compte rendu intégral
Présidence de M. Vincent Delahaye
vice-président
Secrétaires :
Mme Françoise Férat,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Candidature à une commission
M. le président. J’informe le Sénat qu’une candidature pour siéger au sein de la commission des affaires européennes a été publiée.
Cette candidature sera ratifiée si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
3
Modifications de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, en raison de l’hommage national en l’honneur de Samuel Paty, qui se tiendra mercredi 21 octobre en fin d’après-midi dans la cour de la Sorbonne, et en accord avec le groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, nous suspendrions nos travaux demain après-midi à l’issue de l’examen de la proposition de loi relative à la déshérence des contrats de retraite supplémentaire, et au plus tard à dix-huit heures trente, et nous les reprendrions à vingt et une heures trente pour le débat à la suite du Conseil européen des 15 et 16 octobre.
Il reviendra à la conférence des présidents d’inscrire le débat sur l’alimentation durable et locale, initialement inscrit en second point de l’espace réservé au groupe du Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, à l’ordre du jour d’une séance ultérieure.
Y a-t-il des observations ?
M. Alain Richard. Je demande la parole !
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Il me semble que, lors de la réunion de notre groupe, le souhait d’inverser l’ordre de ces deux points avait été émis. Ainsi, le débat sur l’alimentation durable et locale aurait lieu demain avant la suspension de séance et l’examen de la proposition de loi relative à la déshérence des contrats de retraite supplémentaire serait reporté à jeudi.
M. le président. Apparemment, cette demande n’a pas été confirmée par votre groupe.
M. Alain Richard. Je crois pouvoir le faire !
M. le président. Cher collègue, je prends acte de votre observation, mais aucun élément ne me permet de revenir sur la proposition qui m’a été communiquée. Je m’en tiens donc à ce que je viens d’annoncer.
En conséquence, il en est ainsi décidé.
Par ailleurs, par lettre en date de ce jour, le Gouvernement demande l’inscription, sous réserve de son dépôt et de sa transmission, du projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses dispositions de gestion de la crise sanitaire à l’ordre du jour du mercredi 28 octobre, l’après-midi et le soir, et du jeudi 29 octobre au matin. Pour ce qui concerne ce texte, il demande également l’inscription, sous réserve de leur dépôt, de la lecture des conclusions de la commission mixte paritaire, ou de la nouvelle lecture, à l’ordre du jour du jeudi 5 novembre, l’après-midi et le soir.
En conséquence, l’examen du projet de loi de programmation pluriannuelle de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur est reporté aux jeudi 29, l’après-midi et le soir, et vendredi 30 octobre, le matin, l’après-midi et, éventuellement, le soir.
Acte est donné de ces demandes.
Nous pourrions fixer le délai limite pour le dépôt des amendements de séance en première lecture sur le projet de loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire au mercredi 28 octobre à douze heures. En cas de nouvelle lecture, le délai limite pour le dépôt des amendements de séance pourrait être fixé au jeudi 5 novembre à douze heures.
Y a-t-il des observations ?…
Il en est ainsi décidé.
4
Rappel des règles sanitaires
M. le président. Mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, je vous rappelle que le port du masque est obligatoire dans l’ensemble du palais. Il vous est demandé de laisser un siège vide entre deux sièges occupés. L’hémicycle fait l’objet d’un nettoyage et d’une désinfection chaque semaine ; les micros sont régulièrement désinfectés.
J’invite chacune et chacun d’entre vous à veiller au respect des distances de sécurité. Je rappelle également que les sorties de la salle des séances devront exclusivement s’effectuer par les portes situées au pourtour de l’hémicycle.
Enfin, afin de limiter la circulation de documents, vous êtes invités à utiliser vos tablettes et la fonctionnalité « En séance » sur le site internet du Sénat pour prendre connaissance du dérouleur et des amendements.
5
Plein exercice des libertés locales
Discussion d’une proposition de loi constitutionnelle et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique pour le plein exercice des libertés locales, présentées par MM. Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues (propositions nos 682 et 683 [2019-2020], textes de la commission nos 49 et 50, rapport no 48, avis no 37).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Bas, auteur de la proposition de loi constitutionnelle et de la proposition de loi organique. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la discussion de cette proposition de loi constitutionnelle et de cette proposition de loi organique constitue un moment important.
C’est un travail de longue haleine qui doit déboucher aujourd’hui. Il a été conduit conjointement par la commission des lois et par la délégation aux collectivités territoriales. Nous nous sommes également appuyés sur le travail accompli par nos deux corapporteurs dans le cadre du suivi des lois de décentralisation, qui leur incombait au sein de la commission des lois.
Au début de cette année, le président du Sénat, Gérard Larcher, a réuni un groupe de travail. J’en étais le rapporteur général ; Jean-Marie Bockel, que je salue – il a quitté le Sénat, mais son travail mérite d’être reconnu –, en était le corapporteur. Nous avons abouti à un document publié par le président du Sénat : Pour le plein exercice des libertés locales : 50 propositions du Sénat pour une nouvelle génération de la décentralisation.
Nous avons également élaboré une troisième proposition de loi, ordinaire celle-là, que le Sénat pourra examiner au cours d’une prochaine séance.
Madame la ministre, vous vous demandez peut-être pourquoi nous avons voulu commencer – ce n’est pas le cas de votre projet de réforme – par une réforme d’ordre constitutionnel.
Je me permets de le souligner : il n’y a pas d’étape de la décentralisation qui n’ait été ouverte par une réforme de la Constitution. Ce fut le cas des lois Defferre – ces dernières furent précédées d’une révision constitutionnelle, qui a notamment érigé la région en collectivité territoriale. Ce fut le cas en 2003, lors de l’étape franchie sur l’initiative du président Jacques Chirac et de son Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, pour le renforcement de la décentralisation. Ce devrait être le cas aujourd’hui, à condition que le Gouvernement soit, comme nous, animé d’une ambition forte pour les libertés locales !
Le premier point et, pour nous, le plus important, c’est de protéger la commune, pour qu’elle ne devienne pas une coquille vide. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Le deuxième point, c’est d’empêcher que l’État ne récupère les pouvoirs qu’il décentralise. C’est la pratique française : fort de l’atavisme centralisateur hérité de l’absolutisme royal,…
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Ah !
M. Philippe Bas. … du centralisme napoléonien et de l’étatisme de la IIIe République, l’État n’a cessé d’agir pour récupérer les pouvoirs qui étaient décentralisés.
Comment a-t-on procédé en France ? Très simplement : par la norme et par l’argent. Les normes se sont multipliées ; l’autonomie financière des collectivités locales n’a cessé d’être rognée, et c’est toujours le cas aujourd’hui.
Le troisième point, c’est de garantir l’indépendance financière des collectivités territoriales. Ces dernières sont de plus en plus sous la dépendance de l’État, pour l’attribution de leurs moyens. Nous voulons donner un coup d’arrêt à cette pratique ; c’est le fait de votre gouvernement, mais c’est aussi le fait de ceux qui l’ont précédé.
Mme Françoise Gatel, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Quand même !
M. Philippe Bas. Le quatrième point, c’est de permettre à chaque catégorie de collectivités territoriales d’avoir des compétences à géométrie variable, autour d’un tronc commun. Il faut mettre un terme à cette uniformité bien française qui stérilise les initiatives. Bien sûr, il ne s’agit en aucun cas d’opposer France urbaine et France rurale.
Le cinquième et dernier point, qui a lui aussi son importance, c’est de faire en sorte que les préfets de département retrouvent le pouvoir de s’engager auprès des collectivités. Depuis des années, on a centralisé les services de l’État à l’échelle régionale. Ce faisant, on a laissé les préfets de département en marge du pouvoir d’instruire et de prendre les décisions. Évidemment, cette évolution est préjudiciable aux collectivités de proximité, qui n’ont plus d’interlocuteur suffisamment capable de s’engager à l’échelon local.
Il arrive donc que l’exercice des libertés locales soit entravé par le centralisme régional, qui, à mes yeux, ne vaut guère mieux que le centralisme de l’État.
Mme Françoise Gatel, corapporteur. Très bien !
M. Philippe Bas. Pour construire l’avenir sur des fondations solides, nous proposons plusieurs éléments d’ordre constitutionnel.
Tout d’abord, nous voulons renforcer le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. Selon nous, l’intervention du décret dans la mise en œuvre des compétences que le législateur donne aux collectivités territoriales devrait être l’exception. La règle devrait être l’exercice, par les collectivités, de leur pouvoir réglementaire, le décret servant en quelque sorte de voiture-balai. (M. François Calvet opine.)
Ensuite, il nous paraît très important d’inscrire dans la Constitution – ce serait une première – le principe en vertu duquel « qui décide paie ».
Je l’ai dit il y a un instant, une partie du pouvoir délégué aux collectivités territoriales par le législateur est récupérée du fait des normes ; mais une autre l’est également du fait des financements. On a pris l’habitude de mettre à la charge des collectivités l’application de normes nationales fort coûteuses, et l’on procède ainsi de plus en plus souvent. Si l’État décide, il doit payer : la Constitution doit garantir aux collectivités et au contribuable local que tel sera bien le cas.
De surcroît, il me paraît extrêmement important de garantir une représentation équitable des territoires dans les assemblées locales, en particulier les intercommunalités. Ces dernières ne fonctionnent pas avec une majorité et une opposition politiques. Elles prennent pour base les attentes exprimées par les représentants de chaque territoire. Quand, au sein d’une intercommunalité, on s’entend pour répartir les sièges entre les communes, l’on ne saurait ériger des obstacles mesquins ou étriqués pour s’y opposer.
M. Loïc Hervé. Très bien !
M. Philippe Bas. À mon sens, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est trop sévère (Mme le corapporteur opine.), même si le principe de représentativité démographique doit naturellement être pris en compte.
Il faut créer de la souplesse. D’ailleurs, nous avons déjà voté ce principe, au sein d’une proposition de loi de révision constitutionnelle que j’ai eu l’honneur de présenter avec Gérard Larcher, président du Sénat, en février 2015 : vous voyez que nous avons de la suite dans les idées.
Dans ce texte de révision constitutionnelle, nous inscrivons de nouveau le principe de la souplesse, pour que l’on soit à l’aise dans nos intercommunalités et pour que, dès lors qu’elle existe, l’entente soit respectée.
Nous voulons aussi consacrer dans la Constitution la clause générale de compétence des communes. Je le disais : prenons garde à ce que la commune ne devienne pas une coquille vidée dans l’intercommunalité.
Il est très important que les communes se considèrent comme les actionnaires de l’intercommunalité, et non pas comme ses sujets. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.) Pour ce faire, il nous paraît essentiel de préserver leur clause de compétence générale, quelle que soit la manière dont elles choisissent de l’exercer : elles peuvent bien sûr choisir de déléguer la compétence au niveau intercommunal.
Madame la ministre, nous voulons également instituer un droit à la différenciation. Vous ne pouvez vous opposer à cette idée, puisqu’elle est au cœur de vos propres réflexions. (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
Par ailleurs, nous voulons assurer les expérimentations locales dans un cadre juridique beaucoup plus souple que le cadre constitutionnel actuel.
Mes chers collègues, cet ensemble de dispositions constitutionnelles est extrêmement important. Il est sans doute plus important encore que les deux précédentes révisions constitutionnelles, que j’ai citées, en matière de décentralisation.
Ces dispositions sont complétées par plusieurs propositions relevant de la loi organique. Ces dernières visent, d’une part, à circonscrire le périmètre des ressources propres aux impositions de toutes natures dont les collectivités territoriales fixent l’assiette, le taux ou le tarif et, d’autre part, à renforcer les études d’impact. Cette exigence constitutionnelle fondamentale a été vidée de sa substance par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Les études d’impact doivent être dignes de ce nom…
M. le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Philippe Bas. … et elles doivent être prolongées par une évaluation obligatoire a posteriori ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme le corapporteur.
Mme Françoise Gatel, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la décentralisation, les libertés locales seraient-elles une utopie dans notre pays aux gènes centralisateurs ?
La peur de rompre avec la République une et indivisible est manifeste et, en la matière, nous avons accompli une longue marche à deux temps.
Le premier a été un temps en avant, avec un pas audacieux. Il a été engagé il y a quarante ans, avec les premières lois de décentralisation, suivies par la révision de 2003 et la proclamation solennelle, dans la Constitution, de l’organisation décentralisée de la République.
Le second a été un temps en arrière, avec la reprise en main des collectivités par l’accumulation des normes et la mise sous dépendance des finances locales.
Pourtant, loin de détruire l’unité de la République, la décentralisation sert l’efficacité de l’action publique. Nous le voyons positivement, avec les dispositions spécifiques aux territoires d’outre-mer et, plus récemment, avec la création de la collectivité européenne d’Alsace, ou encore, dans ma chère Bretagne, avec la territorialisation du dispositif d’investissement locatif pour le logement.
Niez le réel, et il vous revient au visage comme un boomerang !
La crise sociale des « gilets jaunes » a révélé un besoin criant de proximité et de confiance.
La crise sanitaire a prouvé et prouve encore le sens des responsabilités, la réactivité et l’agilité des collectivités locales. Elle a également montré l’impuissance d’une gestion de crise centralisée, avec un État ankylosé par de trop grandes rigidités.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, ne cesse d’affirmer que l’action publique ne peut trouver son efficacité qu’en inversant notre logiciel : il faut construire à partir du principe de subsidiarité, décider de faire au niveau pertinent.
C’est dans cet esprit que le président du Sénat a constitué, au premier semestre, un groupe de travail réunissant tous les groupes politiques.
Je salue le travail accompli par les deux corapporteurs, M. Philippe Bas, alors président de la commission des lois, et M. Jean-Marie Bockel, alors président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
Ce groupe de travail a formulé cinquante propositions ; en ont découlé trois propositions de loi visant à donner un nouvel élan aux libertés locales et à consacrer la pleine reconnaissance des responsabilités locales.
Nous examinons aujourd’hui les volets constitutionnel et organique de ces textes, qui visent à permettre un rééquilibrage des pouvoirs entre l’État et les collectivités locales sans toutefois provoquer un nouveau « big-bang territorial ». Il s’agit de permettre et non plus de contraindre.
Avant de céder la parole à Mathieu Darnaud, je tiens à exposer quelques-uns des objectifs retenus.
Le premier objectif est de consacrer dans la Constitution la représentativité équitable des territoires. Il se traduit par deux apports : inscrire le terme « territoire » dans la Constitution et redéfinir la représentation proportionnelle pour les collectivités locales, avec un écart maximal de 30 %, et de 50 % dans les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Cette disposition permettra une conciliation plus équilibrée entre l’égalité devant le suffrage et la prise en compte des territoires.
Le deuxième objectif est d’adapter les compétences des collectivités à leurs réalités locales en renforçant le pouvoir réglementaire local et en inscrivant dans la Constitution le droit à la différenciation. Ainsi, nous ouvrons la possibilité de pérenniser les expérimentations locales sur une partie seulement du territoire et la possibilité, pour le législateur, d’attribuer des compétences distinctes à des collectivités territoriales de même catégorie.
Quant à la proposition de loi organique, elle vise, par son article 1er, à renforcer les études d’impact – je sais que certains de nos collègues sont très sensibles à cet enjeu – afin que le législateur puisse légiférer plus sûrement et en parfaite connaissance de cause.
Enfin, ces propositions de loi visent à sécuriser les compensations financières des transferts de compétences de l’État aux collectivités, selon le principe « qui décide paie ». Nous pensons tous, et ce n’est qu’un exemple, aux difficultés engendrées, pour les départements, par le revenu de solidarité active (RSA).
L’article 5 de la proposition de loi constitutionnelle précise que la création, l’extension ou la modification de compétences sur l’initiative de l’État s’accompagnera des ressources équivalentes et que la compensation financière fera l’objet d’un réexamen régulier.
Madame la ministre, mes chers collègues, vous l’avez compris : avec ces deux propositions de loi, le Sénat affirme sa conception de l’action publique. Elle se fonde sur le principe de subsidiarité et, parallèlement, elle exige de la part de l’État l’affirmation d’un champ d’action recentré sur les compétences régaliennes.
Toute crise offre des occasions à saisir. Tirons ensemble les leçons de la mobilisation des collectivités territoriales, fortes et responsables. N’ayons pas peur. Osons emprunter le chemin de la confiance et des libertés locales : c’est celui de la réussite, pour sortir notre pays de ses lourdes difficultés ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le corapporteur.
M. Mathieu Darnaud, corapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ces deux textes prouvent la constance des travaux du Sénat depuis de nombreuses années, et ils nous permettent de réaffirmer nos convictions. En particulier, comme l’a dit Philippe Bas, il est absolument nécessaire de redire aujourd’hui tout l’attachement que nous portons à l’échelon communal – j’y reviendrai.
Ces propositions sont le fruit des très nombreuses auditions menées par les deux rapporteurs, Philippe Bas et Jean-Marie Bockel, dont je tiens à saluer le travail. Je salue également l’initiative du président du Sénat : dans le prolongement de la loi Engagement et proximité, que nous avons adoptée il y a moins d’un an, Gérard Larcher a souhaité mettre une nouvelle fois en lumière l’absolue nécessité de traiter la question des libertés locales.
Bien sûr, ces sujets ô combien essentiels que sont la décentralisation et la déconcentration doivent être mis en perspective ; mais il faut également les examiner sous l’angle des libertés locales.
J’ai évoqué la question communale. Il va sans dire qu’en élevant la clause de compétence générale des communes au rang constitutionnel nous tenons également à réaffirmer notre volonté : reconnaître la commune, non seulement comme le premier des échelons administratifs, mais plus encore comme un lieu où se tisse le lien social, comme le creuset de toutes les solidarités.
La crise sanitaire que nous vivons nous rappelle, jour après jour, la nécessité de défendre la commune. Forts de ce lien de proximité, les élus municipaux, au premier rang desquels les maires, œuvrent jour après jour face à l’urgence sanitaire. Ils s’efforcent d’y apporter des réponses très concrètes. Ils agissent au quotidien afin de pérenniser cette proximité que nos concitoyens ne cessent d’appeler de leurs vœux.
Philippe Bas le rappelait il y a quelques instants : cette proximité est essentielle pour nos concitoyens. En effet, le maire et, plus largement, la mairie sont leurs interlocuteurs privilégiés.
En proposant d’inscrire cette clause de compétence générale dans la Constitution, nous disons deux choses. Tout d’abord, il faut bel et bien permettre à la commune de garder cette agilité, qui conforte et consolide le lien de proximité. Ensuite, il faut reconnaître la commune comme la porte d’entrée du bloc communal.
Les maires, comme l’ensemble des élus municipaux, se sentent trop souvent oubliés. Ils sont convaincus que toutes les décisions se prennent à l’échelon intercommunal. Dans ce contexte, nous avons besoin de réaffirmer la place de la commune dans le bloc communal, ce qui passe notamment par la sanctuarisation de la commune, au travers de ce principe constitutionnel.
Toutefois, vous m’opposerez que, si nous n’y prenons garde, aucune commune ne pourra bientôt plus agir, faute d’autonomie financière. Il faut assurer les ressources communales et définir ce que sont les ressources propres. C’est également ce que nous avons souhaité faire.
À cet égard, je salue le travail de la commission des finances et de son rapporteur pour avis, Charles Guené. Il s’agit d’un sujet éminemment compliqué, nous le savons tous ; mais l’enjeu est essentiel pour que nos communes puissent continuer à servir l’intérêt général, à répondre, au quotidien, aux aspirations de nos concitoyens.
Enfin, ce texte traite de la question ultramarine ; à cet égard, il met en exergue les travaux menés par M. Magras lorsqu’il présidait la délégation sénatoriale aux outre-mer. En supprimant l’article 6, nous avons souhaité prolonger un peu le temps de la réflexion ; mais, nous en sommes convaincus, les libertés locales doivent s’affirmer dans l’ensemble de nos territoires. Nous aurons l’occasion d’y revenir au cours des débats.
Mes chers collègues, ces textes nous offrent l’occasion de tracer un nouveau sillon et d’envoyer des signaux forts à l’ensemble de nos territoires ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme Françoise Gatel, corapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui deux propositions de loi, l’une constitutionnelle, l’autre organique, pour le plein exercice des libertés locales. Ces textes ont été déposés, notamment, par nos collègues Philippe Bas et Jean-Marie Bockel et font suite aux conclusions du groupe de travail sur l’avenir de la décentralisation, présidé par Gérard Larcher.
Parmi l’ensemble des mesures que comportent ces propositions de loi, deux ont justifié que la commission des finances se saisisse : c’est sur ces dispositions que je m’exprimerai. La première est la révision des modalités de compensation des charges transférées aux collectivités territoriales, avec la consécration du principe « qui décide paie ». La seconde est la redéfinition du périmètre des ressources propres des collectivités territoriales.
S’agissant du premier point, la situation se résume simplement : dans de trop nombreux cas, les compensations sont éloignées des charges que l’État impose aux collectivités territoriales.
Je souscris entièrement au principe « qui décide paie ». Mais, comme la commission des lois, j’ai estimé que le dispositif de réévaluation proposé pouvait être amélioré.
À mon sens, ce qu’il faut chercher à construire, c’est une gouvernance nouvelle par laquelle l’adéquation des ressources et des charges des collectivités territoriales serait régulièrement réinterrogée. Tel est le sens de la rédaction adoptée par la commission des lois, instituant un réexamen régulier des compensations plutôt qu’une réévaluation.
Il ne s’agit pas de se livrer à un simple jeu sémantique, mais bien de proposer un autre modèle.
Dans le cadre des dispositions examinées aujourd’hui, il reviendra au législateur organique de préciser, voire d’inventer la nouvelle forme de gouvernance que j’évoquais. À mon sens, c’est une bonne chose de construire un espace de dialogue entre l’État et les collectivités locales. Celui-ci permettra de remettre à plat régulièrement les compétences et les compensations.
S’agissant des ressources propres, question dont notre commission s’est également saisie, j’estime moi aussi qu’il est désormais temps de faire le point sur le pouvoir fiscal des collectivités locales et de revoir les équilibres de l’article 72-2 de la Constitution.
En lien avec Mathieu Darnaud et François Gatel, des simulations ont été effectuées pour estimer l’impact qu’aurait la mise en œuvre d’une redéfinition des ressources propres excluant les recettes fiscales sur lesquelles les collectivités territoriales n’exercent aucun pouvoir de taux ou d’assiette.
Il va sans dire que les ratios d’autonomie financière baisseraient par rapport à leur niveau actuel. Le point qu’a relevé la commission des finances concerne les conséquences de cette contraction à droit constitutionnel et organique constant. Vous le savez, le fait que les ressources propres doivent obligatoirement représenter une part déterminante de l’ensemble des ressources des collectivités territoriales imposerait de prendre rapidement des mesures correctives.
Pour parler simplement, il faudrait « reterritorialiser » des impôts nationaux ou créer de nouveaux impôts locaux, pour un montant de l’ordre de 35 milliards d’euros, une fois achevées la réforme de la taxe d’habitation et une éventuelle réforme des impôts de production, si cette dernière s’arrêtait là. Cela semble difficile à envisager pour des raisons tant politiques que techniques.
L’expérience de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) nous a en effet montré la grande difficulté qu’il y a à territorialiser un impôt, de même que nous n’avons pas encore trouvé comment réduire efficacement les inégalités de répartition des bases fiscales entre nos territoires.
Est-ce à dire qu’il faut rejeter cette nouvelle définition des ressources propres et ne jamais envisager de renforcer le pouvoir fiscal des collectivités territoriales ? Non, bien sûr ! Cela nous appelle en revanche à nous interroger sur le bon niveau de ressources propres que nous souhaitons prescrire et à préparer la réforme de la péréquation.
Sur ce point, la commission des finances est satisfaite de la décision de la commission des lois de proposer que les ressources propres représentent une part significative, et non plus déterminante, de l’ensemble des ressources des collectivités territoriales. Cette part devrait-elle être de 50 % ou de 33 % ? Devrait-elle être la même pour les différentes catégories de collectivités ? Faut-il même, d’ailleurs, retenir un niveau plancher ou mettre en miroir des ressources et des charges ? La rédaction proposée ouvre le champ pour ce débat, lequel, ainsi que certains d’entre nous ont pu le vérifier ce matin, est vital pour la relation entre l’État et les collectivités territoriales. J’estime que c’est une bonne nouvelle.
Mes chers collègues, les textes qui nous sont proposés répondent pleinement, s’agissant de la question des compensations et des ressources propres, aux attentes de la commission des finances ; je vous invite, par conséquent, à adopter sans réserve l’article 5 de la proposition de loi constitutionnelle ainsi que l’article 4 de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)