compte rendu intégral
Présidence de Mme Valérie Létard
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Patricia Schillinger,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
Mes chers collègues, sans plus attendre, je vais suspendre la séance quelques instants pour laisser le temps à M. le garde des sceaux de nous rejoindre.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures trente-deux, est reprise à dix heures quarante.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
2
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Mes chers collègues, le Gouvernement a retiré de l’ordre du jour du Sénat la suite de l’examen du projet de loi prorogeant le régime transitoire institué à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. En conséquence, nous pourrions retirer de l’ordre du jour, en accord avec le Gouvernement, les conclusions de la commission mixte paritaire ou l’examen en nouvelle lecture de ce projet de loi, que nous avions inscrit à l’ordre du jour de notre prochaine semaine de contrôle, le jeudi 22 octobre, l’après-midi et le soir, à l’issue de l’espace réservé de l’après-midi.
Il n’y a pas d’observation ?...
Il en est ainsi décidé.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie d’accepter mes excuses pour mon retard. J’étais ce matin avec M. le Président de la République et M. le ministre de l’intérieur à l’Élysée, pour rencontrer les organisations syndicales de policiers. Compte tenu des événements récents, ils avaient, vous l’imaginez bien, beaucoup de choses à dire. Nous les avons donc écoutés s’exprimer, ce qu’ils ont fait avec beaucoup d’émotion. C’est la raison pour laquelle je suis en retard. Je vous prie donc de bien vouloir m’accorder quelques circonstances atténuantes pour vous avoir infligé cette suspension de séance.
3
Conseil économique, social et environnemental
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi organique dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi organique, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif au Conseil économique, social et environnemental (projet n° 712 [2019-2020], texte de la commission n° 14, rapport n° 13).
Dans la discussion des articles, nous sommes parvenus à l’article 4.
Article 4
(Supprimé)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. J’ai demandé la parole quelques instants, parce que, si nous avons beaucoup échangé au cours de la discussion générale, celle-ci ne nous a évidemment pas permis d’évoquer tous les arguments. Vous en avez en particulier utilisé un, monsieur le garde des sceaux, avec lequel je ne suis pas d’accord, et je souhaitais m’en expliquer dans le cadre du débat.
Vous l’avez dit hier, nous avons plusieurs désaccords, mais je veux m’attarder ce matin sur le parallèle que vous avez fait entre le tirage au sort des jurés d’assises et la composition de la Convention citoyenne pour le climat.
Je suis tout à fait d’accord avec le tirage au sort des jurys d’assises, mais on ne peut pas le comparer avec celui de la Convention citoyenne : les jurys d’assises sont composés à partir d’un vrai tirage au sort, alors que la Convention citoyenne l’a été à partir d’un tirage au sort orienté, si je puis dire : il s’agissait de volontaires qui ont ensuite été sélectionnés sur des critères.
Cependant, ce n’est pas sur ce point que se situe notre vraie dissension. Selon moi, les situations ne sont pas comparables. Dans le tirage au sort des jurés d’assises, nous nous trouvons dans une situation où la justice est rendue au nom du peuple français, lequel n’intervient jamais dans la justice, qui est rendue par des magistrats professionnels, sélectionnés parce qu’ils ont la formation et les compétences pour rendre des décisions de justice. Le tirage au sort permet de réintroduire les citoyens français dans le processus de justice, qui se déroule en leur nom.
Il n’en va pas de même s’agissant de la représentation démocratique en France. Nous n’avons pas besoin de réintroduire les citoyens, parce qu’ils sont présents à tous les niveaux. Les citoyens, ce sont les électeurs, mais ce sont aussi les élus ; les élus sont des citoyens choisis parmi les autres.
Alors, s’il est compréhensible que le peuple français soit réintroduit dans la justice rendue en son nom, il n’en va pas de même pour la démocratie représentative, telle qu’elle existe, car elle met déjà le citoyen, soit en tant qu’électeur, soit en tant qu’élu, au cœur du processus.
Voilà pourquoi il me semble que ce parallèle ne peut pas être fait. Je finirai quand même sur un accord, monsieur le garde des sceaux, puisque je crois que nous tenons tous les deux autant à ce que les jurys d’assises continuent à être tirés au sort.
Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 21 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Gontard, Labbé et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée, sont insérés des articles 4-1-1 et 4-2 ainsi rédigés :
« Art. 4-1-1. – Lorsque le Conseil économique, social et environnemental associe le public à l’exercice de ses missions par une consultation ou la participation aux travaux de ses commissions, les modalités de cette association doivent présenter des garanties de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité.
« Le Conseil met à la disposition du public associé une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation ou de la participation ainsi que sur les modalités de celles-ci, lui assure un délai raisonnable pour y prendre part et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
« Lorsqu’il recourt à la procédure de tirage au sort pour l’association du public à l’exercice de ses missions, la définition du périmètre du public associé assure une représentativité appropriée à l’objet de la consultation ou de la participation. Cette définition assure également une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit que la différence entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes constituant le public associé ne soit pas supérieure à un.
« Lorsqu’il recourt à la procédure de tirage au sort pour déterminer les participants d’une consultation publique, le Conseil demande à la Commission nationale du débat public de nommer un ou plusieurs garants tenus à une obligation de neutralité et d’impartialité. Ces garants veillent au respect des garanties prévues par le présent article.
« Art. 4-2. − Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale, du Président du Sénat, de soixante députés ou soixante sénateurs, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation, selon des modalités respectant les garanties mentionnées à l’article 4-1-1.
« La consultation du public avec recours au tirage au sort est également organisée quand une pétition qui le demande remplit les conditions mentionnées à l’article 4-1.
« Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat.
« Ces consultations font l’objet d’une réponse écrite et motivée par le Gouvernement. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous abordons le cœur du débat, puisque cet amendement concerne le tirage au sort. Je vous remercie de votre démonstration, madame la rapporteure. Néanmoins, il est acquis pour nous tous ici, me semble-t-il, que nous devons trouver des outils de revitalisation de notre vie démocratique.
Nous avons parlé des pétitions, hier, sur lesquelles notre groupe a défendu un certain nombre d’amendements. De la même façon, je rappelle que le tirage au sort, qui ne doit pas être confondu avec une quelconque loterie, est un processus, un outil déjà expérimenté et utilisé, pratiquement dans les mêmes conditions que celles que nous proposons aujourd’hui, dans de nombreuses organisations, collectivités ou autres, en France ou à l’étranger.
La position de la commission des lois nous apparaît ici un peu en décalage avec les attentes de la société.
Si nous n’avions rien à redire, si nous pensions que tout se passait pour le mieux dans le meilleur des mondes, si la démocratie était vivante, si les élus l’étaient avec 80 % de participation, peut-être pourrais-je partager votre opinion, madame la rapporteure, mais tel n’est pas le cas. En tant qu’élu et citoyen, je me dois d’essayer de trouver des outils pour faire en sorte que cette démocratie, nécessaire dans le contexte économique, social, environnemental où nous nous trouvons, puisse être revitalisée.
Le tirage au sort est un de ces outils. Pour autant, il ne délégitime absolument pas la démocratie représentative. Il vient compléter, et non pas en concurrencer, la consultation de la société civile organisée. La Convention citoyenne pour le climat a montré l’intérêt de ces procédures. Des citoyens de tous milieux sociaux, et notamment issus des couches les plus modestes de la société, qui ne sont pas forcément inclus aujourd’hui dans les processus existants, ont pu travailler et acquérir une expertise leur permettant de présenter des propositions dont la qualité n’a rien à envier avec la production d’autres institutions consultatives.
Cependant, bien entendu, les réserves émises par la commission des lois du Sénat, notamment sur le fait que la gouvernance des conventions citoyenne nécessitait une réflexion approfondie…
Mme la présidente. Il va falloir conclure !
M. Guy Benarroche. Je vais essayer d’aller plus vite… Cet amendement a également pour objet de prévoir une réponse écrite du Gouvernement à ces consultations. Il faut être transparent sur les suites données aux consultations sous peine de délégitimer complètement le processus…
Mme la présidente. Il faut vraiment conclure !
M. Guy Benarroche. Je termine. Nous prévoyons la désignation de garants par la Commission nationale du débat public (CNDP), qu’il ne s’agit donc pas de supprimer.
Mme la présidente. L’amendement n° 22 rectifié, présenté par MM. Benarroche, Labbé, Gontard et Dantec, Mme Taillé-Polian, MM. Fernique, Salmon et Dossus, Mmes Poncet, Benbassa et de Marco et M. Parigi, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée, sont insérés des articles 4-1-1 et 4-2 ainsi rédigés :
« Art. 4-1-1. – Lorsque le Conseil économique, social et environnemental associe le public à l’exercice de ses missions par une consultation ou la participation aux travaux de ses commissions, les modalités de cette association doivent présenter des garanties de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité.
« Le Conseil met à la disposition du public associé une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation ou de la participation ainsi que sur les modalités de celles-ci, lui assure un délai raisonnable pour y prendre part et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
« Lorsqu’il recourt à la procédure de tirage au sort pour l’association du public à l’exercice de ses missions, la définition du périmètre du public associé assure une représentativité appropriée à l’objet de la consultation ou de la participation. Cette définition assure également une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit que la différence entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes constituant le public associé ne soit pas supérieure à un.
« Lorsqu’il recourt à la procédure de tirage au sort pour déterminer les participants d’une consultation publique, le Conseil demande à la Commission nationale du débat public de nommer un ou plusieurs garants tenus à une obligation de neutralité et d’impartialité. Ces garants veillent au respect des garanties prévues par le présent article.
« Art. 4-2. − Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation, selon des modalités respectant les garanties mentionnées à l’article 4-1-1.
« Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat.
« Ces consultations font l’objet d’une réponse écrite et motivée par le Gouvernement. »
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Dans l’amendement précédent était prévue la possibilité, pour enrichir le dispositif, de recourir à cette consultation du public sur initiative du Premier ministre, du président de l’Assemblée nationale, du président du Sénat, mais aussi de soixante députés ou de soixante sénateurs. Le présent amendement est un amendement de repli qui supprime cette dernière possibilité.
Mme la présidente. C’est parfait, vous avez rattrapé le dépassement de votre temps de parole sur le précédent amendement, mon cher collègue.
L’amendement n° 2, présenté par Mmes Lienemann, Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée, sont insérés des articles 4-1-1 et 4-2 ainsi rédigés :
« Art. 4-1-1. – Lorsque le Conseil économique, social et environnemental associe le public à l’exercice de ses missions par une consultation ou la participation aux travaux de ses commissions, les modalités de cette association doivent présenter des garanties de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité. La définition du périmètre du public associé assure une représentativité appropriée à l’objet de la consultation ou de la participation. Cette définition assure également une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit que la différence entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes constituant le public associé ne soit pas supérieure à un.
« Le Conseil met à la disposition du public associé une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation ou de la participation ainsi que sur les modalités de celles-ci, lui assure un délai raisonnable pour y prendre part et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
« Art. 4-2. – Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation, selon des modalités respectant les garanties mentionnées à l’article 4-1-1.
« Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat.
« Le Gouvernement répond par écrit aux résultats de ces consultations et le cas échéant aux préconisations qui en émanent. »
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cet amendement a pour objet de rétablir l’article 4 tel qu’il avait été voté par l’Assemblée nationale. Nous y ajoutons simplement l’obligation faite au Gouvernement de répondre et de donner une suite aux travaux de ces conventions citoyennes.
Pour éviter de multiplier les explications de vote, je dois dire que la proposition de notre collègue socialiste Jean-Yves Leconte, qui vise à transmettre au Parlement, pour en débattre, les travaux de ces conférences citoyennes nous paraît une très bonne méthode pour leur donner du poids dans les discussions publiques, ce qui nous semble nécessaire.
En revanche, je tiens à dire que nous ne sommes pas favorables au recours à la CNDP pour désigner des garants, car nous trouvons positif que le Conseil économique, social et environnemental (CESE), qui représente la société civile dans sa pluralité, veille à ce que le pluralisme et l’indépendance de la conférence citoyenne soient bien garantis.
Mme la présidente. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par M. Leconte, Mme de La Gontrie, MM. Durain, J. Bigot et Bourgi, Mme Harribey, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. Kanner, Kerrouche, Marie, Sueur et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée, sont insérés des articles 4-1-1, 4-2 et 4-3 ainsi rédigés :
« Art. 4-1-1. – Lorsque le Conseil économique, social et environnemental associe le public à l’exercice de ses missions par une consultation ou la participation aux travaux de ses commissions, les modalités de cette association doivent présenter des garanties de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité. La définition du périmètre du public associé assure une représentativité appropriée à l’objet de la consultation ou de la participation. Cette définition assure également une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer. Enfin, le périmètre du public associé doit être représentatif de la population française en termes de sexe, d’âge et de catégorie socioprofessionnelle.
« Le Conseil met à la disposition du public associé une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation ou de la participation ainsi que sur les modalités de celles-ci, lui assure un délai raisonnable pour y prendre part et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
« Art. 4-2. – Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation, selon des modalités respectant les garanties mentionnées à l’article 4-1-1.
« Le Conseil publie, dans un format ouvert, les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat.
« Art. 4-3. – Les résultats de ces consultations, dans les deux mois suivant leur publication, font l’objet d’un débat devant le Parlement lorsque la consultation a été mise en œuvre sur demande du Premier ministre, ou devant la chambre par laquelle la consultation a été sollicitée. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Nous arrivons à notre point de désaccord majeur avec Mme la rapporteure. Nous sommes favorables à la mise en œuvre d’une disposition qui permette au Conseil économique, social et environnemental de faire appel à des consultations citoyennes, avec des personnes tirées au sort, pour l’accompagner dans sa réflexion. J’y insiste, l’accompagner dans sa réflexion, et non pas dans ses décisions ou dans la rédaction des avis.
Nous proposons donc de rétablir l’article 4, avec trois changements.
Premièrement, nous souhaitons préciser que le périmètre du public doit être représentatif de la composition de la population française du point de vue du sexe, de l’âge et des catégories socioprofessionnelles.
Deuxièmement, nous prévoyons que les résultats d’une consultation feront l’objet d’un débat devant le Parlement, lorsque la consultation aura été demandée par le Premier ministre, ou devant la chambre qui aura sollicité cette consultation.
Enfin, troisièmement, concernant les résultats de la consultation, leur publication devra être faite dans un format ouvert afin de favoriser l’analyse des données.
Nous considérons que la révolution numérique a violemment percuté le fonctionnement de la vie politique et de la démocratie représentative. Nous pouvons comparer, quelle que soit notre affiliation politique, le fonctionnement actuel de nos partis à ce qu’il était voilà quelques années. Je pense que personne, ici, n’imagine comment les sénateurs et les sénatrices travaillaient voilà cinquante ans quand ils ne disposaient pas, sur leur téléphone, du contenu de Légifrance ; quand tous ceux qui nous ont fait confiance en nous faisant l’honneur de nous envoyer ici pour légiférer n’étaient pas en mesure de suivre en temps réel ce que nous disions. La situation actuelle nous donne d’autres facilités pour travailler, mais pose aussi de nouvelles exigences. De même, les partis politiques ne fonctionnent plus de la même manière ni avec la même discipline d’expression.
Nous constatons ce besoin de trouver de nouvelles formes de mobilisation citoyenne, de nouvelles formes d’échanges continus entre les représentants du peuple et l’ensemble de la société. Sans ces nouveaux modes d’expression, la démocratie se perd ; elle devient consumériste : on prend quelqu’un et puis, après cinq ans, on le lâche, alors que la citoyenneté est un exercice de tous les jours, avec des échanges. Nous considérons que cette méthode peut permettre d’accompagner des réflexions tout au long des mandats. C’est un accompagnement nécessaire pour que la démocratie représentative se mette à jour et soit efficace au temps de la révolution numérique.
C’est la raison pour laquelle nous voulons le rétablissement de cet article 4 avec les modifications que j’ai présentées.
Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 36 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 47 rectifié est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis, Dennemont, Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Haye, Iacovelli, Kulimoetoke, Lecornu, Lemoyne, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud, Richard et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Après l’article 4-1 de l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 précitée, sont insérés des articles 4-1-1 et 4-2 ainsi rédigés :
« Art. 4-1-1. – Lorsque le Conseil économique, social et environnemental associe le public à l’exercice de ses missions par une consultation ou la participation aux travaux de ses commissions, les modalités de cette association doivent présenter des garanties de sincérité, d’égalité, de transparence et d’impartialité. La définition du périmètre du public associé assure une représentativité appropriée à l’objet de la consultation ou de la participation. Cette définition assure également une représentation équilibrée du territoire de la République, notamment des outre-mer, et garantit que la différence entre le nombre de femmes et le nombre d’hommes constituant le public associé ne soit pas supérieure à un.
« Le Conseil met à la disposition du public associé une information claire et suffisante sur l’objet de la consultation ou de la participation ainsi que sur les modalités de celles-ci, lui assure un délai raisonnable pour y prendre part et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics.
« Art. 4-2. − Pour l’exercice de ses missions, le Conseil économique, social et environnemental peut, à son initiative ou à la demande du Premier ministre, du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, recourir à la consultation du public dans les matières relevant de sa compétence. Il peut organiser une procédure de tirage au sort pour déterminer les participants de la consultation, selon des modalités respectant les garanties mentionnées à l’article 4-1-1.
« Le Conseil publie les résultats de ces consultations et les transmet au Premier ministre ainsi qu’au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat. »
La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 36.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. Cet amendement du Gouvernement tend à rétablir l’article 4 du projet de loi organique dans la rédaction adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale. C’est pour nous une disposition centrale de ce projet de loi. Il s’agit en réalité de permettre au CESE de procéder à des consultations publiques, y compris en ayant recours au tirage au sort, pour l’exercice de ses missions.
À ce propos, madame la rapporteure, j’ai entendu le distinguo que vous faites entre le tirage au sort des jurés d’assises et ce tirage au sort. Vous avez raison, mais je veux juste dire que le tirage au sort en tant que tel existe déjà dans notre droit et qu’intrinsèquement il ne peut pas a priori effrayer. D’ailleurs, dans mon discours, j’ai mentionné les grandes démocraties qui utilisaient déjà cette voie.
Les Français, nous le savons, réclament de plus en plus de démocratie participative. Les députés ont d’ailleurs renforcé les garanties entourant ces consultations afin de légitimer cette procédure.
Enfin, nous avons eu récemment la preuve de la capacité du CESE à mener à bien de telles consultations, avec l’organisation de la Convention citoyenne pour le climat, qui est, disons-le, un véritable succès démocratique.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement présente cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 47 rectifié.
M. Thani Mohamed Soilihi. J’interviens sur l’ultime amendement dans ce débat passionnant et trop important pour être réduit à une simple question dans l’air du temps.
Il convient avant tout de s’accorder sur ce qui fait l’objet de nos discussions. En commission, Mme la rapporteure avait formulé l’inquiétude que l’inscription du tirage au sort dans la loi organique ne fragilise les fondements de notre démocratie. Mais que prévoit l’article que nous voulons rétablir ? La faculté, et je dis bien la faculté, pour le CESE d’enrichir ses travaux en désignant pour ses consultations publiques des personnes tirées au sort. C’est une faculté, j’y insiste, parmi d’autres modalités. Il n’est donc pas question ici de substituer des membres tirés au sort aux représentants de la société civile organisée, qui composent le CESE.
Il n’est pas non plus question, puisque le caractère consultatif est bien précisé, de substituer le tirage au sort à la légitimité de l’élection, qui fonde notre démocratie représentative et qui, seule, peut asseoir, par le mandat, la décision souveraine. Une fois les choses clarifiées, il devrait être possible de dépasser l’opposition sèche et concurrente entre représentation et participation. L’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ne dispose-t-il pas lui-même que « la loi est l’expression de la volonté générale », et que « tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ».
Au-delà du procédé, c’est la question fondamentale du processus qu’il faut poser. Les garanties d’égalité, de transparence et d’impartialité que nous proposons de rétablir apparaissent de nature à favoriser la pertinence et la qualité de la participation citoyenne. Ainsi, nous serons prémunis d’une quelconque démocratie de la courte paille !