Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme mérite une clarification complète des responsabilités de chacun, de l’autorité judiciaire comme du pouvoir exécutif.
Lorsque nous avons vu les dangers augmenter au cours des années 2010, en particulier entre 2012 et 2015, nous avons fait un certain nombre de choses : en 2014, nous avons créé de nouvelles infractions afin de permettre la judiciarisation de personnes n’étant pas encore passées à l’acte violent et de renforcer ainsi la capacité de l’action judiciaire ; en 2015, la loi relative au renseignement a donné à nos services de renseignement la possibilité de détecter, dans un cadre légal, les risques qui pouvaient exister sur notre territoire. Voilà les deux moments qui ont fait bouger les choses de manière cohérente et rationnelle.
Monsieur le garde des sceaux, vous affirmez vous-même qu’il faut éviter les mesures éparses. Pourtant, le texte que nous examinons aujourd’hui est bien une mesure de plus qui va complexifier et rendre moins lisible la responsabilité de chacun.
Il est question d’une contrainte après la peine, qui serait prononcée quelque temps avant la libération de la personne, et non au moment de sa condamnation. Vous insistez bien sur le fait que ce ne serait pas une peine ; nous vous avons bien compris. Seulement, si c’est clair dans votre esprit, force m’est de constater que, même hier lors de la réunion de la commission mixte paritaire, plusieurs personnes extrêmement impliquées dans ce texte ont utilisé le mot « peine » à la place du mot « contrainte ».
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, rapporteure. Une seule personne !
M. Jean-Yves Leconte. D’autres auraient voulu que ces contraintes s’appliquent à un champ beaucoup plus large. En effet, quand on s’engage dans cette direction, on ne s’arrête jamais !
Or ce texte pose quand même le principe selon lequel on va imposer une contrainte, non du fait d’un acte déjà jugé et pour lequel une peine aura été prononcée, mais par rapport à une dangerosité. Pardonnez-moi, monsieur le garde des sceaux, mais c’est tout de même en contradiction avec votre conviction…
M. Jean-Yves Leconte. … plusieurs fois rappelée, selon laquelle vous ne voulez pas d’une société où l’on remplacerait la responsabilité et l’acte par la menace que quelqu’un représenterait.
Il est hors de question d’accepter une société où l’on remplacerait la culpabilité par la dangerosité. On supprimerait le code pénal, pour le remplacer par un code de la sûreté !
M. Jean-Yves Leconte. Vous dites « caricatural », mais je vous réponds que, quand on va dans cette direction, on invite d’autres personnes, qui ont l’esprit moins subtil que vous, à aller plus loin ! C’est pourquoi il faut rester ferme.
Vous avez le sentiment de rester sur une ligne de crête, mais tel n’est pas le cas. Vous pensez peut-être qu’on doit parfois essayer de conjuguer deux principes qui peuvent se heurter, mais je veux vous dire avec toute la conviction possible que l’on n’a pas à conjuguer deux principes qui peuvent se heurter. Le principe à suivre est le suivant : on ne condamne pas deux fois ; il n’y a pas de peine après la peine.
Quant à la disposition en cause ici, elle exprime une disproportion entre la dangerosité que représente la personne et ce qui est possible au travers des autres mesures administratives prévues.
Vous affirmez que ce que vous prévoyez sera mis en œuvre par l’autorité judiciaire.
M. Jean-Yves Leconte. Seulement, d’autres mesures, plus fortes, peuvent être imposées par l’autorité administrative. Certes, ces mesures-ci seront prononcées par une autorité judiciaire, mais tout leur suivi sera assuré par le juge de l’application des peines. Cela participe aussi à la confusion.
Dès lors, au vu de la disproportion entre les mesures possibles et la dangerosité des personnes, du non-respect du principe du contradictoire – comme je l’ai rappelé lors de notre débat d’avant-hier, l’évaluation d’un danger en matière de terrorisme n’est pas la même chose qu’une expertise psychiatrique ; elle s’effectue sur la base d’informations qu’il serait inutile et probablement dangereux de divulguer – et de la confusion induite entre la responsabilité de l’autorité judiciaire et celle de l’autorité administrative, mon groupe, animé par la conviction que, sur ce texte-ci comme dans bien d’autres cas, le plus efficace serait le retour aux principes de base, votera contre les conclusions de cette commission mixte paritaire. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, les travaux de la commission mixte paritaire ont permis d’aboutir à un texte destiné à soumettre les personnes condamnées pour des actes de terrorisme à des peines supérieures à cinq ans, ou à trois ans en cas de récidive, à un certain nombre de mesures de contrainte au-delà de leurs peines.
Cette proposition de loi est originale, puisqu’elle vise à rassembler sous un régime commun des mesures de nature judiciaire et administrative. Grâce aux modifications introduites par la Haute Assemblée, elle permet une clarification bienvenue, alors que l’ensemble des initiatives législatives intervenues après 2015 ont parfois conduit à complexifier, en les diversifiant, tous les moyens juridiques de lutte contre le terrorisme.
Précisément, il s’agit de pouvoir obliger ces personnes à répondre aux convocations d’un juge, à recevoir la visite du service pénitentiaire d’insertion et de probation, à avertir ledit service en cas de changement d’emploi ou de résidence, à exercer une activité professionnelle ou à se former, à établir leur lieu de résidence en un lieu, à se soumettre à une autorisation préalable du juge pour tout déplacement à l’étranger, à se présenter périodiquement aux services de police et de gendarmerie et à s’abstenir d’entrer en relation avec certaines personnes ou de paraître en certains lieux.
Cela inclut également, et ces ajouts pertinents sont à mettre au crédit de la commission des lois de notre assemblée, l’interdiction de détenir ou porter une arme – cela paraît une évidence –, l’obligation de se soumettre à un suivi sanitaire, social, éducatif ou psychologique, ou encore l’interdiction de se livrer à une activité en lien avec le contexte de l’infraction commise.
La commission d’enquête sur la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, dont vous avez également été la rapporteure, madame Eustache-Brinio, a en effet montré à quel point certains milieux, notamment le milieu sportif, étaient devenus des terrains de recrutement privilégiés du djihadisme. Cette dernière disposition paraît donc tout à fait pertinente.
En définitive, aucune de ces mesures ne peut être assimilée à une peine, même si les condamnés ou les anciens condamnés peuvent le vivre différemment, ce qui écarte l’inquiétude d’instaurer « une peine après la peine ». Cette préoccupation justifiait notamment d’écarter la possibilité de soumettre ces personnes au port d’un bracelet électronique pour rester dans le cadre de conventionnalité défini par la Cour européenne des droits de l’homme.
En outre, les modifications introduites au Sénat ont également le mérite de rapprocher ces mesures de l’objectif de réinsertion de ces détenus particuliers, dimension moins présente dans le texte initial de nos collègues députés.
Nous nous félicitons enfin que la durée initiale des mesures ait été réduite à un an, au lieu de deux ans, comme nous l’avions proposé. Cette évolution s’ajoute à un encadrement plus raisonnable de la durée totale des mesures de sûreté susceptibles d’être mises en œuvre, ce qui est également bienvenu. Nous serons vigilants à l’application de ces mesures et à la façon dont les magistrats s’approprieront ce nouvel instrument. Nous gardons en effet en tête la difficulté avec laquelle s’est mise en place la rétention de sûreté, actionnée seulement cinq fois entre 2011 et 2015.
L’équilibre entre la nécessité de protéger l’ensemble de la population et le respect des droits de la personne condamnée ressort grandi de l’ensemble de nos débats. C’est pourquoi, dans sa majorité, le groupe du RDSE votera pour le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, chers collègues, en cette fin de session, il est particulièrement agréable de constater ce petit miracle d’intelligence collective, miracle qui a demandé courage et ténacité. Je veux saluer l’effort accompli à la fois par la majorité de l’Assemblée nationale, la majorité sénatoriale et la Chancellerie pour protéger les Français dans le respect de notre État de droit.
Réunir ces deux objectifs de protection et de respect de notre État de droit était difficile. Il n’est qu’à voir les positions qui ont été exprimées ici au cours de nos débats : la frange de la droite extrême, représentée par l’un de nos collègues, a dénoncé l’inefficacité du dispositif, en s’affranchissant allègrement – cela ne laisse pas de nous surprendre – des contraintes de l’État de droit ; l’aile gauche de notre hémicycle – pardonnez-moi la formule, vous mettrez cela sur le compte de la fatigue de la fin de la session – s’est positionnée en gardien zélateur du temple constitutionnel…
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’en avons pas honte !
Mme Éliane Assassi. Qu’est-ce que ça signifie ?
M. Arnaud de Belenet. … et a dénoncé une atteinte aux libertés, en s’affranchissant de l’efficacité du dispositif.
M. Jean-Yves Leconte. C’est un scandale !
M. Arnaud de Belenet. Peut-être que le souci de faire de la politique a primé sur le souci de faire bien.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est possible…
M. Arnaud de Belenet. Il était sans doute tentant de profiter de la notoriété et de l’intérêt médiatique d’un nouveau garde des sceaux pour essayer d’exister.
Mme Nathalie Goulet. Oh !
M. Jean-Pierre Sueur. Devant tous les gardes des sceaux, sans exception !
M. Arnaud de Belenet. Votre indignation me rassure.
Mme Éliane Assassi. Vous êtes très fatigué !
M. Arnaud de Belenet. En vérité, je le confesse, je suis en pleine forme ! (Sourires.)
Chers collègues, cet effort d’intelligence collective a demandé du courage et, à l’exception de quelques réfractaires, un compromis a émergé de nos débats, qui permet d’assurer la sécurité juridique du dispositif, sans renoncer à son efficacité. Il suffit de regarder le contenu du texte : le rétablissement de la durée initiale d’un an de la mesure de sûreté, la référence à une durée minimale de la peine d’emprisonnement comme condition du prononcé des obligations de la mesure de sûreté, le caractère opérationnel avec le placement sous surveillance électronique mobile qui pourra être cumulable avec l’obligation de pointage réduite, le cas échéant, à une fois par semaine.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bonne synthèse !
M. Arnaud de Belenet. Par ailleurs, il m’apparaît nécessaire de redire que le placement est explicitement subordonné au consentement de la personne, dans le respect de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
J’espère bien que personne ne dénoncera un éventuel laxisme, puisque ce risque a été souligné précédemment.
Voilà une nouvelle mesure de sûreté qui donne la faculté au juge, dans le respect du contradictoire, redisons-le, d’appliquer des obligations en matière de surveillance et de suivi aux condamnés pour terrorisme présentant à l’issue de leur peine une particulière dangerosité.
Ce texte renforce, et c’est là l’essentiel, la mise en œuvre du suivi socio-judiciaire en vigueur et l’insertion. Voilà un beau texte, responsable, raisonnable, efficace autant qu’il est possible de l’être. Je veux saluer encore une fois ce succès collectif.
Chacun des orateurs précédents a conclu son intervention en évoquant le budget de la Chancellerie. Je note que la trajectoire budgétaire induit une hausse qui, cumulée sur l’ensemble de la période concernée par nos lois d’orientation, laisse envisager une progression de 25 %, ce qui, nous l’avons indiqué par honnêteté voilà deux ans, est tout à fait inattendu et exceptionnel. Toutefois, je note aussi, peut-être par un excès naïf de sincérité – second péché avoué à cette tribune (Sourires) –, qu’un autre défi attend le garde des sceaux, celui de l’organisation de la Chancellerie. Beaucoup ont évoqué à cette tribune la question du budget de la Chancellerie, je m’en serais voulu de ne pas évoquer celle de son organisation et de son efficience.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Arnaud de Belenet. Je vous remercie, chers collègues, du grand bonheur que nous aurons, à quelques exceptions près, à approuver ce texte, bonheur partagé par le groupe La République En Marche. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur. Les exceptions vous saluent bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je ne répondrai pas aux provocations de l’orateur précédent. J’aurai d’autres occasions de le faire. Je me concentrerai sur le texte qui nous réunit ce matin, dans sa rédaction finale issue des travaux de la commission mixte paritaire hier soir.
Je m’attarderai un instant sur les conditions d’examen dans lesquelles nous travaillons, qui sont de moins en moins sérieuses, et sur l’ordre du jour qui est toujours plus resserré. Croyez bien que nous le regrettons, et nous ne sommes sans doute pas les seuls. Par ailleurs, je signale qu’il y a encore quelques minutes le rapport de la commission mixte paritaire n’était toujours pas en ligne, ce qui n’est pas propice à un travail de qualité. Or, monsieur le président de la commission des lois, vous connaissez notre rigueur en la matière ici, au Sénat.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Tout à fait !
Mme Éliane Assassi. Sauf si cela m’a échappé, il semble qu’au regard du texte final dont j’ai eu connaissance très peu d’évolutions ont été apportées à l’ensemble du dispositif de mesures de sûreté proposé. Aussi, de toute évidence, nous conservons notre position initiale sur le sujet.
Les mesures qu’instaure cette proposition de loi sont pour nous problématiques, voire dangereuses, et source de dérives à bien des égards, n’en déplaise à certains.
Le fait même d’avoir à réfléchir en catastrophe à la marche à suivre pour gérer la sortie de condamnés pour des actes de terrorisme, alors même que 31 condamnés seront libérés cette année et 62 l’année prochaine, est révélateur du manque de vision des lois que nous votons et des échéances que nous repoussons sans cesse en adoptant des dispositifs de circonstances.
Selon nous, toutes les mesures de contrôle et de surveillance d’individus enclins à la récidive à l’issue de leur peine existent déjà. Or leur inapplicabilité aux auteurs d’infractions en lien avec le terrorisme a été créée de toutes pièces en 2016 avec la loi Urvoas.
Je persiste à penser que la philosophie globale du dispositif proposé n’est pas la bonne, aussi circonstanciées que soient les obligations qui pourront être assignées aux condamnés qui auront purgé leur peine.
Certes, la commission des lois du Sénat, fidèle à sa réputation de défenderesse des libertés publiques, a globalement réécrit le texte dans le bon sens, en posant par exemple un jalon de cinq ans minimum de peine pour les condamnés visés ou encore en renforçant le volet réinsertion de la proposition de loi. Reste que la commission des lois du Sénat, bien ancrée dans la tradition sécuritaire de la droite sénatoriale majoritaire, a élevé à deux ans la durée initiale des mesures de sûreté qui seront décidées et a rendu encore plus floue la notion de dangerosité qui permettra de juger la marche à suivre pour tel ou tel condamné.
Certes, il ne s’agit pas d’une rétention de sûreté, nous l’avons bien compris, mais il s’agit bel et bien d’imposer à des condamnés qui ont purgé leur peine d’autres mesures contraignantes au quotidien, comme pour leur signaler qu’aucune confiance ne leur est faite et que leurs faits passés les poursuivront possiblement jusqu’à dix années après qu’ils auront purgé leur peine. Est-ce que cela les convaincra de ne pas récidiver ? Je ne sais pas, mais la question peut être posée.
En parallèle, qu’en est-il des véritables réflexions pour endiguer la radicalisation ? Il n’y a rien.
Qu’en est-il de l’analyse des dispositifs – et ils sont nombreux – déjà mis en place par le passé ? Il n’y a rien.
Le rapport que nous demandions au Gouvernement sur les quartiers de surveillance et de prise en charge de la radicalisation nous a été refusé, pour un motif purement formel. Bien loin d’un exercice de style, il s’agissait bel et bien pour nous de comprendre les tenants et aboutissants de l’échec pénitentiaire auquel nous sommes aujourd’hui confrontés.
Je confirme donc ce matin notre opposition à ce texte.
Monsieur le garde des sceaux, il ne faut pas se méprendre : parmi celles et ceux qui soutiennent ce texte, vous retrouverez demain celles et ceux qui continueront de penser que notre justice est laxiste.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ah !
Mme Éliane Assassi. Ceux-là, vous ne les retrouverez jamais – je dis bien « jamais » – au sein de mon groupe. (MM. Jean-Yves Leconte et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, l’ancien procureur de la République de Paris François Molins déclarait, au lendemain des attentats terroristes de 2015, que, « jusqu’alors, le spectre des peines prononcées ne correspondait absolument pas à l’échelle de gravité des comportements ». Le même constat s’impose aujourd’hui s’agissant du traitement des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.
Pourtant, dès le 17 décembre 2015, notre groupe, sur l’initiative de Philippe Bas et de Bruno Retailleau, avait déposé une proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la lutte antiterroriste, dont j’étais cosignataire. Je rappelle que l’article 18 de ce texte autorisait le placement sous surveillance de sûreté des personnes condamnées pour terrorisme à l’issue de l’exécution de leur peine, dès lors que serait établie leur particulière dangerosité. Il prévoyait en outre que cette décision serait de la compétence de la juridiction régionale de la rétention de sûreté et qu’elle comprendrait des obligations identiques à celles qui sont prévues dans le cadre de la surveillance judiciaire mentionnée à l’article 723-30 du code de procédure pénale. Il permettait enfin de prononcer le placement sous surveillance électronique mobile des terroristes islamistes, après vérification de la faisabilité technique de la mesure.
Mes chers collègues, que de temps perdu !
Il y a cinq ans maintenant que la quasi-totalité des mesures que nous allons adopter aujourd’hui aurait pu être inscrite dans notre droit positif.
La dernière étude du Centre d’analyse du terrorisme communiquée au Sénat illustre, une fois de plus s’il en était besoin, l’urgence et la gravité de cette question. Elle révèle en effet que le taux de récidive des djihadistes se situe, selon les situations, au-delà de 50 % : un islamiste engagé dans une action violente a toutes les chances de se maintenir dans cette mouvance et de récidiver.
Dès lors, malgré le retard pris, et nous le déplorons, il est urgent d’adapter notre arsenal législatif en matière de traitement post-sentenciel des auteurs d’actes terroristes.
Nous saluons l’accord trouvé hier en commission mixte paritaire. Je tiens à remercier notre rapporteure, Jacqueline Eustache-Brinio, de la qualité de son travail.
Pour l’ensemble des raisons évoquées, je ne doute pas que les membres du groupe LR voteront cette proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, aucun amendement n’est recevable, sauf accord du Gouvernement ; en outre, le Sénat étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, il statue d’abord sur les amendements puis, par un seul vote, sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine
Article 1er
Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° À l’intitulé, les mots : « et du jugement des » sont remplacés par les mots : « , du jugement et des mesures de sûreté en matière d’ » ;
1° bis A (nouveau) Au quatrième alinéa de l’article 706-16, la référence : « à l’article 706-25-7 » est remplacée par les références : « aux articles 706-25-7 et 706-25-18 » ;
1° bis L’article 706-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de sûreté prévues à la section 4 du présent titre sont ordonnées sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris. » ;
1° ter (nouveau) Au premier alinéa de l’article 706-22-1, après la référence : « 706-17 », sont insérés les mots : « et les personnes astreintes aux obligations prévues à l’article 726-25-15 » ;
2° Est ajoutée une section 4 ainsi rédigée :
« Section 4
« Mesures de sûreté applicables aux auteurs d’infractions terroristes
« Art. 706-25-15. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et qu’il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, sur réquisitions du procureur de la République, ordonner, aux seules fins de prévenir la récidive, une mesure de sûreté comportant une ou plusieurs des obligations suivantes :
« 1° Répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation ;
« 1° bis Recevoir les visites du service pénitentiaire d’insertion et de probation et lui communiquer les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations ;
« 1° ter Prévenir le service pénitentiaire d’insertion et de probation de ses changements d’emploi ou de résidence ou de tout déplacement dont la durée excéderait quinze jours et rendre compte de son retour. Lorsque le changement d’emploi ou de résidence est de nature à mettre obstacle à l’exécution de la mesure de sûreté, obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines ;
« 1° quater Exercer une activité professionnelle ou suivre un enseignement ou une formation professionnelle ;
« 2° Établir sa résidence en un lieu déterminé ;
« 3° (Supprimé)
« 4° Obtenir l’autorisation préalable du juge de l’application des peines pour tout déplacement à l’étranger ;
« 4° bis Ne pas se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise ;
« 5° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite de trois fois par semaine ;
« 6° Ne pas entrer en relation avec certaines personnes, notamment les auteurs ou complices de l’infraction, ou catégories de personnes spécialement désignées ;
« 7° S’abstenir de paraître en tout lieu, toute catégorie de lieux ou toute zone spécialement désignés ;
« 7° bis Ne pas détenir ou porter une arme ;
« 8° (Supprimé)
« 9° Respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ; cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel la personne concernée est tenue de résider.
« Les obligations auxquelles la personne concernée est astreinte sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation et, le cas échéant, avec le concours des organismes habilités à cet effet.
« I bis. – Après vérification de la faisabilité technique de la mesure, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut décider du placement sous surveillance électronique mobile de la personne faisant l’objet de l’une ou de plusieurs des obligations mentionnées aux 4°, 6° et 7° du I du présent article, dans les conditions prévues aux articles 763-12 et 763-13. Ce placement est subordonné au consentement de la personne. Il y est mis fin en cas de dysfonctionnement temporaire du dispositif ou sur demande de l’intéressé. La limite mentionnée au 5° est abaissée à une fois par semaine.
« II. – La mesure de sûreté prévue au I peut être ordonnée pour une période d’une durée maximale d’un an. À l’issue de cette période, la mesure de sûreté peut être renouvelée sur réquisitions du procureur de la République par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, et pour la même durée dans la limite de cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, dans la limite de trois ans. Cette limite est portée à dix ans lorsque les faits commis par le condamné constituent un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ou, lorsque le condamné est mineur, à cinq ans.
« II bis. – La mesure de sûreté prévue au I ne peut pas être ordonnée à l’encontre des personnes libérées avant la publication de la loi n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine.
« III. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que :
« 1° Si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées au premier alinéa du même I ;
« 2° Et si cette mesure apparaît strictement nécessaire pour prévenir la récidive.
« La mesure de sûreté prévue audit I n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du code pénal ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.
« Art. 706-25-16. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-15 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« À l’issue de cette période, la commission adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la surveillance mentionnée à l’article 706-25-15 au vu des critères définis au I du même article 706-25-15.
« Art. 706-25-17. – La décision prévue à l’article 706-25-15 est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. Elle doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-16, ainsi que des conditions mentionnées au III de l’article 706-25-15.
« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.
« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, sur réquisitions du procureur de la République ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République, modifier les mesures de sûreté ou ordonner leur mainlevée. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations de la mesure de sûreté.
« Art. 706-25-17-1. – Les décisions de la juridiction régionale de la rétention de sûreté prévues à la présente section peuvent faire l’objet des recours prévus aux deux derniers alinéas de l’article 706-53-15.
« Art. 706-25-17-2. – Les obligations prévues à l’article 706-25-15 sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-15 doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706-25-18. – Le fait pour la personne soumise à une mesure de sûreté en application de l’article 706-25-15 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
« Art. 706-25-19. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »
Article 1er bis
L’article 230-19 du code de procédure pénale est complété par un 19° ainsi rédigé :
« 19° Les obligations ou interdictions prononcées en application des 1° ter, 4°, 4° bis, 6°, 7° et 7° bis du I de l’article 706-25-15 du présent code. »
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Article 3
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ».