M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, auteur de la question n° 1164, adressée à Mme la ministre de la culture.
M. Frédéric Marchand. Madame la ministre, le marché du livre d’occasion, particulièrement celui de la bande dessinée, a pris une importance considérable ces dernières années. Le prix d’occasion des livres est régulièrement, sinon systématiquement, affiché à côté de leur prix neuf, ce qui est fortement incitatif pour les clients.
Ce nouveau marché de l’occasion enrichit tous les acteurs, à l’exception notable des auteurs et des éditeurs, lesquels sont pourtant les premiers concernés. Il ne s’agit plus d’un phénomène lié aux fêtes de fin d’année, à l’occasion desquelles une colossale quantité d’ouvrages à peine reçus en cadeaux sont sitôt proposés à la vente sur internet, via des plateformes détenues par des géants mondiaux.
Cette pratique pose des problèmes économiques et juridiques de grande ampleur. Hier marginal, le marché de l’occasion représente aujourd’hui plus de 42 % des ventes de livres. Ses acteurs, parmi lesquels Amazon, PriceMinister, la FNAC ou eBay, touchent des commissions sur chaque vente et sont soumis pour partie à la taxe sur la valeur ajoutée, la TVA.
En revanche, ceux qui ont créé et édité les livres vendus ne perçoivent aucun bénéfice de cette exploitation et voient même leur chiffre d’affaires amputé de recettes non négligeables.
En effet, une l’étude qualitative menée par l’institut GfK à l’occasion des Rencontres nationales de la librairie, en 2017, indiquait que 16 % des acheteurs de bandes dessinées et 25 % des acheteurs de livres, tous genres confondus, déclaraient acheter des ouvrages d’occasion. Ramené aux 4 milliards de chiffre d’affaires de l’édition, cela représente un manque à gagner de 800 millions à 1 milliard d’euros.
Dans le cas de la vente d’occasion, seuls le libraire, le site, le vendeur et, dans une moindre mesure, l’État touchent un pourcentage. Face au développement de la vente d’occasion, les créateurs, les auteurs et les éditeurs sont donc fortement pénalisés. Les premiers sont en effet privés d’une part non négligeable de leurs droits d’auteur et les seconds voient baisser significativement leurs ventes moyennes, ce qui rend leurs coûts de création de plus en plus difficiles à amortir et met en péril financier l’ensemble du secteur de l’édition.
C’est pourquoi il semble nécessaire de réglementer la vente de livres d’occasion. La majorité de ces ventes se faisant sur les grandes enseignes de vente en ligne, nous pourrions imaginer obtenir de leur part un déclaratif de ces ventes et, à travers un organisme collecteur, obtenir un reversement destiné aux auteurs et aux éditeurs.
Face à l’accroissement de la vente d’occasion, les créateurs, les auteurs et les éditeurs, vous le voyez, sont fortement pénalisés. Aussi, je vous remercie de bien vouloir m’indiquer quelles sont les pistes qui peuvent être mises en œuvre pour réglementer cette vente du livre d’occasion.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Frédéric Marchand, je l’ai indiqué lors de ma prise de fonctions, je serai particulièrement attentive à la situation des auteurs au sein de la chaîne économique du livre, et cela me mobilisera au cours des mois à venir.
Vous me pardonnerez de ne pas être complètement d’accord avec le diagnostic que vous avez posé sur le marché du livre d’occasion. Selon les données du ministère de la culture relatives aux évolutions des pratiques d’achat, si ce dernier est en progression, il reste limité, puisqu’il représente moins de 8 % des sommes dépensées par les ménages pour leurs achats de livres en 2019.
En outre, si les opérateurs que vous citez occupent une place importante sur ce marché, un achat de livre d’occasion sur deux s’effectue directement de particulier à particulier, notamment dans les bourses aux livres scolaires, les marchés ou les brocantes, que je sais nombreuses dans votre département du Nord.
Les auteurs ne sont pas privés d’une partie de leurs droits d’auteur, dans la mesure où ils ont exercé leur droit exclusif de commercialiser les exemplaires de leurs œuvres, l’exercice de ce droit de distribution entraînant de facto son épuisement. Au-delà, la création d’un droit de suite des auteurs de livres n’est pas autorisée par les textes internationaux et européens.
Vous évoquez aussi l’idée d’un reversement de la part des grandes enseignes de la vente en ligne. Si je partage évidemment l’objectif sous-tendu par cette proposition, je crains que cela ne s’apparente à une nouvelle taxe, qui irait à rebours des arguments développés pour justifier le taux réduit de TVA sur le livre.
De plus, il ne pourrait pas être directement reversé sous forme de revenus aux auteurs, l’article 2 de la loi organique relative aux lois de finances ne permettant pas l’affectation d’impositions directement à un tiers, sauf en raison des missions de service public qui lui sont confiées.
D’autres solutions pour mieux rémunérer la création existent : le rapport de M. Bruno Racine remis au ministre de la culture en janvier 2020 explore un certain nombre de pistes sur lesquelles nous travaillons actuellement. Je m’engage à vous associer à ce travail et à vous informer de l’avancée de ces initiatives pour le marché du livre d’occasion.
Je partage donc vos préoccupations, monsieur le sénateur, même si je ne suis pas tout fait d’accord avec votre diagnostic.
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour la réplique.
M. Frédéric Marchand. Je vous remercie, madame la ministre.
Je souhaitais insister sur l’augmentation, voire l’explosion, des sites de vente d’occasion, la période du confinement ayant été propice à ce type de ventes. Il est donc nécessaire de porter un intérêt particulier aux auteurs, notamment ceux de bandes dessinées, parmi lesquels figure un grand auteur originaire du Nord – j’en profite pour vous le signaler… –, François Boucq.
accès aux appels d’offres des conservatoires publics pour les entreprises françaises
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, auteur de la question n° 1242, adressée à Mme la ministre de la culture.
M. Pierre Louault. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur une petite entreprise de Touraine, Bergerault Percussions, qui fabrique des instruments de musique, plus particulièrement de percussions.
Cette entreprise nous signale qu’un établissement public de coopération intercommunale, un EPCI, et non des moindres, le Grand Paris, a émis un appel d’offres citant explicitement des marques de fabrication étrangères et excluant, de fait, les entreprises artisanales françaises, qui ont pourtant une renommée internationale.
À la suite des sollicitations de Bergerault Percussions, cet EPCI a finalement modifié son appel d’offres en incluant de nouvelles marques, mais toujours sans citer les principales marques françaises. À l’heure où nous souhaitons favoriser et recentrer la production artisanale et industrielle en France, comment pouvons-nous accepter de tels agissements ?
Il paraît impensable que des entreprises inscrites au patrimoine vivant, qui s’impliquent pour développer le tissu économique de nos territoires et participent à l’excellence de notre rayonnement international soient de facto mises de côté.
Ce problème précis révèle une difficulté plus globale sur la commande publique et les appels d’offres qui ne mettent pas en place toutes les mesures possibles à l’attention des entreprises françaises, afin que celles-ci soient mieux prises en compte. Un appel d’offres devrait être très ouvert et, par exemple, ne citer que le type d’instrument de musique souhaité, sans indiquer une quelconque marque.
Madame la ministre, quelles actions concrètes comptez-vous mener pour que la commande publique donne toutes ses chances au tissu artisanal et industriel français, et pour bannir ce type d’appel d’offres ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture. Monsieur le sénateur Pierre Louault, vous avez raison, le soutien à la production artisanale et industrielle française, et en particulier aux entreprises du patrimoine vivant, est indispensable.
Nos territoires sont dotés de multiples établissements qui reposent sur des savoir-faire uniques, à l’image de l’entreprise d’instruments de musique et de percussions de votre département. Je veux ici saluer son travail, qui se poursuit depuis, je crois, près d’un siècle.
La question que vous soulevez, bien qu’elle soit relative à la commande d’instruments de musique, relève strictement des règles définies par le code de la commande publique, auxquelles sont soumis l’État, les collectivités territoriales et les EPCI pour leurs achats.
Des principes fondamentaux doivent être respectés : il en est ainsi de l’égalité de traitement qui prohibe toute pratique discriminatoire de nature à favoriser certains opérateurs, de la liberté d’accès qui permet à tout opérateur de se porter candidat, ou encore de la transparence des procédures. Si des illégalités ou des impropriétés ont été commises, il faudra remédier à ces manquements.
Je souhaite cependant rappeler que, si les conservatoires sont classés par l’État, à la demande des collectivités, ils relèvent de l’initiative de celles-ci et de leurs responsabilités pleines et entières. La plupart des conservatoires sont ainsi gérés en régie directe et le principe de libre administration des collectivités territoriales ne permet pas à l’État de s’immiscer dans le fonctionnement de ces établissements, donc dans leurs politiques d’acquisition instrumentale.
Pour ce qui concerne les évolutions à apporter à la commande publique – cela ne relève pas de mon ministère –, un travail important a été mené par Agnès Pannier-Runacher, au cours des derniers mois. Soyez-en assuré, je vais me mobiliser pour permettre au tissu artisanal et industriel français d’accéder à ces marchés.
J’adhère à l’objectif qui sous-tend votre question. Ces entreprises, telles que Bergerault Percussions, contribuent à l’attractivité de nos territoires, à laquelle vous savez que le Premier ministre est attaché, et font perdurer des savoir-faire souvent très anciens ; il est donc indispensable qu’elles puissent accéder aux marchés.
Monsieur le sénateur, je vous remercie d’avoir appelé mon attention sur ce sujet primordial.
M. le président. La parole est à M. Pierre Louault, pour la réplique.
M. Pierre Louault. Je vous remercie, madame la ministre ; nous comptons sur votre tempérament pour défendre les entreprises du patrimoine français !
Il serait tout de même dommage que ces fabricants soient reconnus par le théâtre Bolchoï de Moscou, l’Opéra de Sydney, l’Orchestre philharmonique de Berlin et la Scala de Milan mais soient oubliés par l’Opéra de Paris…
Mme Roselyne Bachelot, ministre. Ce serait dommage, en effet !
prestation de fidélisation et de reconnaissance des pompiers volontaires
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, auteur de la question n° 1142, adressée à M. le ministre de l’intérieur.
M. Éric Gold. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vous le savez, les sapeurs-pompiers volontaires ayant effectué plus de vingt ans de service ont droit, à partir de 55 ans, au versement d’une rente annuelle appelée « Prestation de fidélisation et de reconnaissance », ou PFR. Le montant de cette prestation varie en fonction du nombre d’années de service ; il est fixé chaque année par arrêté ministériel.
Pour tenter de contrer la baisse inquiétante du nombre de pompiers volontaires, une réforme de cette rente a été engagée par la loi du 27 décembre 2016 relative aux sapeurs-pompiers professionnels et aux sapeurs-pompiers volontaires. Depuis la mise en application de cette réforme, les pompiers éligibles perçoivent une part de la prestation de fidélisation et de reconnaissance pour leur service réalisé avant 2015 et une part de la nouvelle prestation pour leur exercice réalisé après cette date, s’il y a lieu.
Si cette réforme a suscité, pour certains, des droits supplémentaires, elle a également conduit à des dysfonctionnements liés à la clôture des comptes, à la fin 2015, de l’assureur CNP. En effet, depuis cette date, de nombreux bénéficiaires potentiels de la rente ont constaté la mise en attente de leur dossier et ont observé des erreurs dans leur nombre de points ou l’absence de prise en compte de leurs états de service postérieurs à décembre 2015.
D’après mes informations, dans le Puy-de-Dôme, 89 dossiers sont encore en attente, ce qui retarde, parfois de plusieurs années, le versement de sommes pourtant largement méritées par des pompiers volontaires qui ont donné de leur temps et de leur énergie pour la sécurité de tous.
Les volontaires représentent 80 % des sapeurs-pompiers en France et constituent le socle de notre modèle d’intervention en matière d’incendie et de secours d’urgence aux personnes. Pour ceux qui s’engagent pendant plus de vingt ans au service de leurs concitoyens, il est impératif de clore les dossiers en temps et en heure.
Madame la ministre, vos services ont-ils engagé, ou vont-ils le faire, des mesures pour lever les freins existants et garantir à tous ces anciens pompiers le versement de la rente qui leur est due ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Tout d’abord, je vous remercie, monsieur le sénateur Gold, de mettre à l’ordre du jour cette question importante sur les difficultés rencontrées par certains sapeurs-pompiers. Je vais vous répondre avec le plus possible de détails.
La sécurité civile repose sur le modèle que vous avez rappelé, qui démontre, tant au quotidien qu’en temps de crise, la pertinence et la robustesse de cette organisation. Grâce à celle-ci et à la mobilisation des 240 000 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, les services d’incendie et de secours peuvent faire face aux besoins.
Au cours des dernières années, de nombreuses initiatives ont été engagées par l’État pour valoriser l’engagement des 198 400 sapeurs-pompiers volontaires, maillons essentiels, du point de vue opérationnel, de notre réponse ; cela passe notamment par l’amélioration continue du statut des sapeurs-pompiers volontaires et par une protection sociale renforcée et adaptée.
C’est dans cet esprit que la loi du 27 décembre 2016 précitée et le décret du 9 mai 2017 relatif aux différentes prestations de fin de service allouées aux sapeurs-pompiers volontaires ont créé la nouvelle prestation de fidélisation et de reconnaissance, la NPFR, qui se substitue, depuis janvier 2016, à la prestation de fidélisation et de reconnaissance, la PFR, instituée par la loi de modernisation de la sécurité civile de 2004.
Il s’est agi d’une avancée sociale majeure, dont la mise en œuvre, aujourd’hui achevée, donne entièrement satisfaction.
Les sapeurs-pompiers volontaires ayant cessé leur activité avant le 1er janvier 2016 continuent de bénéficier de l’ancien dispositif, qui était un régime de versement de prestations de fin de service par capitalisation.
Cet ancien régime, qui prévoyait l’acquisition de points en fonction de seuils d’ancienneté d’activité des sapeurs-pompiers volontaires, pose aujourd’hui des difficultés à certains anciens sapeurs-pompiers volontaires, notamment lorsque des anomalies existent dans leur déroulé de carrière ou dans le versement de leurs cotisations. En effet, le régime étant clôturé depuis le 1er janvier 2016, à la suite de la création de la NPFR, aucun nouveau droit ne peut être créé sur les dossiers existants.
Après une première phase de dialogue entre l’Association pour la PFR, chargée de ce régime, et CNP Assurances, gestionnaire du contrat, 282 dossiers en souffrance ont été régularisés en 2019.
Ce dialogue s’est poursuivi, afin d’apporter une solution aux dossiers non encore régularisés à ce jour et sur lesquels vous m’interrogez. C’est ainsi qu’une proposition juridiquement étayée a été approuvée lors de l’assemblée générale de l’Association pour la PFR du 22 janvier dernier. Cette solution a été jugée recevable par CNP Assurances ; les dossiers en souffrance devraient donc être régularisés au cours des prochaines semaines ou des prochains mois.
M. le président. La parole est à M. Éric Gold, pour la réplique.
M. Éric Gold. Je vous remercie de votre réponse et de votre compréhension, madame la ministre.
Pour des sapeurs-pompiers, qui ont donné beaucoup de temps à leur mission, il n’est pas acceptable, vous le comprenez bien, que le changement d’assureur entraîne de tels dysfonctionnements, chacun se renvoyant la balle, et que les dossiers en attente ne soient pas traités.
Je compte donc réellement sur vous pour faire avancer ces dossiers.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Catherine Troendlé.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2020 est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Rappel des règles sanitaires
Mme la présidente. Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, comme M. le président du Sénat et MM. les questeurs en ont informé, hier, l’ensemble des sénateurs, je vous indique que le port du masque est désormais obligatoire dans l’ensemble des salles de réunion et des espaces de circulation du Sénat, à compter d’aujourd’hui.
Ainsi, il vous est demandé de bien vouloir porter, à partir de ce jour, un masque dans l’hémicycle ; je constate d’ailleurs que vous le faites déjà.
6
Homologation de peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie
Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à homologuer des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie (proposition n° 242, texte de la commission n° 599, rapport n° 598).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi que vous examinez aujourd’hui a pour objet l’homologation des peines d’emprisonnement prévues en Nouvelle-Calédonie.
Sur le fondement de la Constitution, ce territoire dispose, comme la Polynésie française d’ailleurs, d’une autonomie lui permettant de créer des infractions pénales et d’assortir celles-ci de peines. En application des dispositions des articles 87 et 157 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, le Congrès et les assemblées de province de Nouvelle-Calédonie peuvent ainsi assortir de peines d’emprisonnement les infractions qu’ils créent, dans les matières relevant de leurs compétences.
Si cette autonomie est entière pour ce qui concerne, notamment, les peines d’amendes, les peines d’emprisonnement nécessitent quant à elles l’homologation préalable du Parlement. À défaut d’une telle homologation, ces peines ne peuvent être prononcées par les juridictions pénales. Les délais d’homologation sont parfois longs, faute d’un vecteur législatif ; cette proposition de loi permettra donc de rattraper le retard pris, depuis plusieurs années, en la matière.
L’homologation des peines d’emprisonnement est soumise à deux conditions.
En premier lieu, les peines instituées par la collectivité doivent respecter « la classification des délits » ; cela signifie que seules les peines d’emprisonnement prévues en matière délictuelle par la législation nationale peuvent être retenues. Cela implique que ces peines doivent respecter l’échelle des peines d’emprisonnement prévue par l’article 131-4 du code pénal, donc être de deux mois, de six mois, d’un an, de deux ans, de trois ans, de cinq ans, de sept ans ou de dix ans.
En second lieu, la collectivité ne peut prévoir une peine plus sévère que celle qui est prévue en métropole pour une infraction de même nature. En pratique, les peines prévues par les délibérations ou lois de pays sont, le plus souvent, identiques à celles qui sont prévues par les lois nationales, même si elles peuvent leur être inférieures.
La présente proposition de loi tient compte des deux exigences que je viens d’évoquer ; d’une part, elle respecte la classification des délits et, d’autre part, les peines n’excèdent pas le maximum prévu, pour les infractions de même nature, par les lois de la République.
Sur le fond, il s’agit de textes qui relèvent de la compétence des territoires et qui concernent, notamment, le droit social, le droit environnemental, le droit de l’urbanisme, le droit des assurances ou encore le droit du sport. Il est ainsi proposé d’homologuer des peines d’emprisonnement en répression de délits prévus à l’ancien code de la santé publique, applicable en Nouvelle-Calédonie ; 47 infractions sont concernées, telles que la fabrication ou la vente de médicaments falsifiés, à usage humain.
Ce texte concerne également les infractions au code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, notamment le délit d’exercice illégal de la médecine vétérinaire. Les délits prévus au code des assurances applicable en Nouvelle-Calédonie – je pense par exemple à la direction d’une société d’assurance malgré une interdiction ou une incapacité – sont également concernés.
Il s’agit par ailleurs d’infractions au code de l’urbanisme de la Nouvelle-Calédonie, comme l’exécution de travaux non autorisés par un permis de construire, ou au code de l’environnement de la province Sud, comme le délit d’obstacle aux fonctions d’un fonctionnaire ou agent habilité à exercer des missions de contrôle administratif dans le domaine de l’environnement.
Enfin, sont concernés les délits prévus par la délibération relative à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant ; il s’agit du délit d’émission, par une entreprise, de substances polluantes constitutives d’une pollution atmosphérique, en violation d’une mise en demeure.
L’homologation des peines d’emprisonnement est nécessaire pour assurer, en Nouvelle-Calédonie, une répression équivalente à celle qui existe en métropole.
Prévoir que le juge pénal peut prononcer des peines d’emprisonnement dans ces matières ne signifie pas que ces peines seront systématiquement infligées en répression des infractions commises.
Néanmoins, l’homologation des peines d’emprisonnement permettra d’offrir au juge pénal de Nouvelle-Calédonie un panel plus étoffé et diversifié de peines, comme c’est le cas sur le reste du territoire national. En effet, dès lors qu’une peine d’emprisonnement est encourue, le juge peut prononcer non seulement celle-ci, mais également des peines autres que l’incarcération, comme le travail d’intérêt général, la peine de jours-amendes ou encore le stage de citoyenneté.
Enfin, d’une manière générale, le Gouvernement est favorable, au nom du principe d’égalité, à l’homologation des peines d’emprisonnement, qui permet que des agissements identiques ou similaires soient réprimés par des sanctions de même nature, sur toute l’étendue du territoire de la République.
Cette proposition de loi, qui permettra d’homologuer 82 peines, est, je le sais, très attendue sur ce territoire. Je suis d’ailleurs favorable au fait qu’une proposition de loi de ce type soit examinée annuellement par le Parlement.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur la présente proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Bigot, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, vous ne m’en voudrez pas, je l’espère, si je n’épuise pas mon temps de parole ; en effet, la commission des lois est sur la même longueur d’onde que vous, monsieur le garde des sceaux, et elle est favorable à l’adoption conforme de ce texte.
Ce vote permettra aux juridictions de Nouvelle-Calédonie de prononcer rapidement des peines d’emprisonnement dans des cas où elles ne peuvent pas le faire.
Par exemple, le harcèlement moral et le harcèlement sexuel, prévus au code du travail de Nouvelle-Calédonie et inspirés du droit français général, ne sont toujours pas assortis, et cela depuis plusieurs années, de la peine d’emprisonnement prévue dans le droit français général. On voit donc bien l’intérêt d’homologuer rapidement ces peines, en adoptant ce texte.
Cette proposition de loi, déposée par Philippe Dunoyer, député de Nouméa, ne fait, pour l’essentiel, que reprendre des textes que nous retrouvons dans le droit français général, d’où l’absence de difficultés dans l’examen de ce texte.
Je me permettrai d’ajouter deux conditions à celles que vous avez rappelées, monsieur le garde des sceaux.
D’une part, la loi organique prévoit effectivement que les assemblées de Nouvelle-Calédonie – le Congrès ou assemblées de province – peuvent adopter des délibérations assorties d’infraction, mais exclusivement dans leurs domaines de compétence. La première vérification à faire consiste donc à s’assurer que les peines prévues ressortissent aux domaines de compétence de la Nouvelle-Calédonie.
D’autre part, il existe une jurisprudence sur le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines. Nous devons donc vérifier si la description de l’infraction est suffisamment claire pour justifier une peine d’emprisonnement. Si tel n’est pas le cas, l’homologation de celle-ci n’est pas possible. C’est d’ailleurs à ce titre que la commission des lois de l’Assemblée nationale n’a pas homologué une peine initialement prévue, parce que l’infraction correspondante lui avait paru trop peu précise et faisait référence à un arrêté qui n’était pas, lui-même, d’une clarté absolue.
Si vous me le permettez, mes chers collègues, je présenterai tout de même le texte en quelques mots, pour que vous compreniez de quoi il retourne.
L’article 1er, qui constituait initialement l’article unique de la proposition de loi, prévoit l’homologation de peines d’emprisonnement prévues à différents codes.
Il s’agit du code agricole et pastoral de Nouvelle-Calédonie, qui rejoint notre code rural. Sont également visées 4 infractions au code des assurances, correspondant à celles que nous connaissons dans notre propre code des assurances.
Il s’agit encore de 45 peines d’emprisonnement pour des infractions aux règles, identiques aux nôtres, de l’ancien code de la santé publique, toujours applicable en Nouvelle-Calédonie. Sont aussi concernées 4 peines pour les infractions au code du travail ; j’ai abordé les peines de harcèlement moral ou sexuel, mais il y en a d’autres, notamment relatives à la fraude.
Il s’agit par ailleurs d’un texte relatif à l’amélioration de la qualité de l’air ambiant, avec une définition de la pollution plus restrictive que la nôtre. On peut le regretter et trouver dommage de ne pas aller plus loin, mais nous n’avons pas à nous prononcer sur le fond du droit ; c’est la liberté de la Nouvelle-Calédonie. Nous n’avons qu’à homologuer la décision d’assortir ces infractions de peines d’emprisonnement : ce territoire a une parfaite liberté dans la définition des peines d’amende ou complémentaires.
Est également visé un texte relatif aux manifestations sportives, qui prévoit une sanction pénale pour non-souscription, par l’organisateur de la manifestation, d’une assurance. Ce texte présente encore une nuance par rapport à notre droit ; en effet, la Nouvelle-Calédonie va un peu plus loin, en obligeant l’organisateur d’une manifestation sportive à assurer également les participants et les personnes présentes, ce qui n’est pas le cas en France. Néanmoins, cela ne nous empêche pas d’accepter l’homologation.
Enfin, sont prévues des peines pour des infractions à une loi relative à l’efficacité énergétique, lorsque l’on fait obstacle aux fonctions exercées par les agents contrôleurs.
À cet article 1er, qui n’a posé aucune difficulté aux commissions des lois des deux chambres, se sont ajoutés trois articles, qui visent uniquement des délibérations de la province Sud. La Nouvelle-Calédonie compte en effet trois provinces, mais, notre collègue Dunoyer ayant demandé aux différentes assemblées si celles-ci avaient des textes nécessitant une homologation, seule la province Sud, celle de Nouméa, a répondu dans les délais impartis. Cela ne signifie toutefois pas qu’il ne faille pas être attentif aux autres provinces.
Cela clôt le sujet, mais, vous l’avez souligné, monsieur le garde des sceaux, il est important que ces homologations, par le Parlement, ne se fassent pas au détour d’un amendement à un texte de loi – cela s’est déjà produit –, ni au travers d’une proposition de loi d’un député de Nouvelle-Calédonie. Il faudrait effectivement prévoir un rendez-vous quasi annuel pour faire le point et examiner les demandes d’homologation de ces décisions.
Bien évidemment, mes chers collègues, je dis tout cela sous réserve de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie au sein de la République. La question référendaire est plus intéressante sur le fond et suscitera sans doute plus de débats, mais ce n’est pas le sujet d’aujourd’hui.
Je vous propose, au nom de la commission des lois, d’adopter le texte dans sa version issue de l’Assemblée nationale, de sorte que puissent entrer en vigueur les peines pénales prévues en Nouvelle-Calédonie et conformes aux peines applicables dans le droit français général, ce qui répondrait à l’attente de nos collègues de ce territoire. (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – M. Yvon Collin applaudit également.)