M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled.
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’épidémie, bien que maîtrisée, n’est pas finie. Le virus circule toujours sur notre territoire. Il circule également, parfois encore très activement, à l’extérieur de nos frontières, en Europe et au-delà. Plus de 500 000 personnes à travers le monde ont perdu la vie et plus de 10 millions de cas ont été confirmés à ce jour.
La crise n’est pas derrière nous, mais il faut désormais sortir de l’état d’urgence sanitaire en vigueur depuis le mois de mars dernier. Cela signifie retrouver progressivement nos libertés.
Le projet de loi que nous examinons ce matin en nouvelle lecture a pour objet d’organiser la fin de cet état d’urgence sanitaire, en prévoyant une sorte de période de transition jusqu’à la fin du mois d’octobre prochain.
Le délai pour étudier le projet de loi modifié par l’Assemblée nationale au début de la semaine a été très court. Nous comprenons l’urgence due à la situation que nous vivons et au besoin qu’ont les Français de retrouver leurs libertés. Reste que le temps imparti n’est malheureusement pas suffisant pour travailler un texte aussi important, alors que les deux assemblées parlementaires ne se sont pas mises d’accord sur des points essentiels.
Je tiens à saluer le travail important accompli par le Sénat en première lecture et ses apports significatifs, qui ont permis de clarifier et d’approfondir certains dispositifs.
L’un des principaux points de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale concerne les menaces sanitaires et les moyens d’action du ministre chargé de la santé. La rédaction proposée par le Sénat pour l’article L. 3131-1 du code de la santé publique venait préciser les pouvoirs dudit ministre dans la lutte contre l’épidémie. Elle apportait une sécurité supplémentaire avant la révision du dispositif qui devrait intervenir au mois d’avril prochain.
Nous avons été particulièrement sensibles à la restriction, parfois extrêmement importante, de nos libertés. Nous l’avions exprimé lors de la première lecture, notamment au sujet de la liberté de manifester, de la circulation des personnes et des véhicules ou encore de l’ouverture des établissements accueillant du public. Cette privation de libertés était certainement nécessaire, mais, une fois la crise passée, elle doit être levée aussi vite que possible.
La gestion de l’épidémie par un retour progressif à la normale après la fin de l’état d’urgence sanitaire doit respecter un équilibre entre liberté et sécurité. La nouvelle phase postérieure au 11 juillet prochain ne doit pas voir nos libertés restreintes plus que nécessaire pour lutter contre l’épidémie. Nous y serons attentifs.
Les Français sont conscients des risques et responsables. À ce titre, ils appliquent les gestes barrières. Il faut qu’ils continuent pour réduire la progression du virus sur notre territoire. Pour l’heure, ni traitement ni vaccin ne sont encore disponibles. Les précautions et la prudence doivent rester de rigueur.
Nous avons aussi eu l’occasion de le dire en première lecture : la gestion de cette sortie de crise doit respecter la spécificité de chacun de nos territoires. Tous n’ont pas été touchés de la même manière ni avec la même intensité. Les mesures de gestion de l’épidémie doivent être adaptées aux différentes situations.
La bonne répartition des compétences entre les collectivités territoriales et l’État nous semble essentielle, plus encore dans nos territoires ultramarins. Plusieurs mesures vont dans ce sens.
Restons mobilisés et vigilants. À situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles, mais, lorsque la situation sanitaire revient progressivement à la normale, cela doit s’accompagner d’un retour progressif à la normale de notre droit.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, plusieurs membres du groupe Union Centriste étaient pour le moins sceptiques, lors de l’examen de ce texte en première lecture, quant à l’opportunité de l’adopter en pleine période de déconfinement et à la nécessité réelle, juridique, d’adopter les dispositions proposées par le Gouvernement. Certains avaient d’ailleurs évoqué dans cet hémicycle une prorogation de l’état d’urgence sanitaire qui ne disait pas son nom…
En première lecture, nous avions largement débattu de l’article 1er, qui conservait à l’exécutif la plupart des pouvoirs dont il disposait dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire. Plusieurs de nos collègues avaient insisté sur le fait que la sortie de l’état d’urgence ne privait pas le Gouvernement de moyens juridiques suffisants pour gérer la sortie de crise.
Le code de la santé publique prévoyait déjà de nombreuses dispositions de droit commun permettant à l’exécutif d’agir efficacement dans le cadre d’une épidémie. Ce sont d’ailleurs ces dispositions que le Sénat proposait d’améliorer à travers l’article 1er bis A, qui procédait à une réécriture bienvenue de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique.
La commission des lois du Sénat avait également remodelé l’article 1er. Nous avions été nombreux à nous laisser convaincre par la pertinence des aménagements présentés par le président Bas. L’objectif était simple : limiter strictement les modifications législatives à ce qui était nécessaire dans le cadre du déconfinement. Pas plus, mais pas moins, avec bien sûr la possibilité d’activer de nouveau l’état d’urgence sanitaire dans les mois qui viennent si la situation sanitaire de notre pays devait se dégrader.
Ce point d’équilibre raisonnable avait convaincu une majorité des membres de notre groupe, mais la commission mixte paritaire n’a pu aboutir. Sans surprise, la majorité de l’Assemblée nationale a presque intégralement rétabli le texte qu’elle avait adopté en première lecture. En d’autres termes, la voix du Sénat n’a pas été entendue. Il apparaît donc logique que nous ne souhaitions pas poursuivre ce dialogue de sourds.
Pour autant, je veux mettre en lumière, au nom de mon collègue calédonien Gérard Poadja, deux précisions qui ont été adoptées mardi dernier, lors de la nouvelle lecture du texte à l’Assemblée nationale, sur proposition des députés calédoniens Philippe Dunoyer et Philippe Gomès.
Aux articles 3 et 4 du projet de loi, relatifs aux mesures d’adaptation du rôle du représentant de l’État en matière de gestion de l’état d’urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie, il est désormais précisé que l’exercice des prérogatives du haut-commissaire se fait « dans le strict respect de la répartition des compétences » entre l’État et la Collectivité de Nouvelle-Calédonie, d’une part, et entre l’État et la Polynésie française, d’autre part.
Je salue l’inscription de ces précisions dans le projet de loi, car elle correspond à une attente forte des Calédoniens et, je le crois, des Polynésiens. À l’inverse, la crainte d’une « étatisation » de la compétence en matière sanitaire, qui est dévolue à la collectivité en vertu des accords de Nouméa, avait suscité une vive émotion depuis plusieurs semaines.
Mes chers collègues, nous nous rallierons à la position exposée par le président Philippe Bas et les membres du groupe Union Centriste voteront très majoritairement en faveur de l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons pour la nouvelle lecture du projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, sur lequel il n’a pas été possible de trouver un accord avec nos collègues députés en commission mixte paritaire jeudi dernier. Cela est malheureux. L’entrée dans l’état d’exception représente un moment délicat de la vie institutionnelle et parlementaire, dans lequel l’unité la plus large est souhaitable ; la sortie de cet état aurait dû se faire dans des circonstances comparables.
Il est vrai qu’une réelle recherche de compromis a pu avoir lieu avant et pendant la commission mixte paritaire, grâce aux efforts de notre président-rapporteur, Philippe Bas, qui, depuis le début de la crise sanitaire, incarne la démarche sénatoriale de pragmatisme sur les moyens et de fermeté sur les principes. Après ces discussions, il aurait même été possible d’atteindre un accord sur certains points.
Cependant, des désaccords de fond demeuraient. Ils étaient liés à la question centrale des pouvoirs qu’il sera nécessaire de maintenir entre les mains du Gouvernement, aussi bien durant qu’après la période qui s’annonce de sortie de l’état d’urgence sanitaire.
La position de notre assemblée était qu’un retour à la normale, pour être plus qu’un slogan, devait s’accompagner d’une diminution des pouvoirs spéciaux de nature coercitive accordés à l’exécutif. Cela ne nous désarme pas face au virus : nous avons toujours souligné qu’il demeurait possible de déclarer de nouveau l’état d’urgence sanitaire sur tout ou partie du territoire, si nécessaire.
Rétablir l’état d’urgence sanitaire n’est pas une perspective réjouissante, évidemment, mais nous pensons que, comme les Allemands ou les Portugais, les Français sont suffisamment responsables pour accepter que soient prises les mesures qui s’imposent, et ce sans qu’il soit nécessaire de se livrer à des contorsions sémantiques et juridiques.
Il faut appeler les choses par leur nom, car ne pas le faire ne contribuerait qu’à semer le doute dans l’esprit de nos concitoyens, ce qui n’est certainement pas un gage d’adhésion aux mesures sanitaires.
Telle était notre position lundi dernier, indépendamment des ajustements et adaptations qui demeuraient comme toujours envisageables en vue de la commission mixte paritaire. Cette position n’a pas changé après l’échec de cette dernière.
Or le texte qui nous revient aujourd’hui de l’Assemblée nationale porte la marque d’une certaine divergence dans la compréhension de la fin de l’état d’urgence sanitaire, même s’il est vrai que quelques apports sénatoriaux y subsistent. C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant.
D’abord, l’article 1er du texte voté par les députés comprend un certain nombre de retours en arrière que nous ne pouvons accepter, en particulier le rétablissement de la possibilité d’interdire la circulation dans certaines parties du territoire. Il me semble difficile d’approuver des restrictions générales et absolues qui limiteraient la liberté d’aller et de venir, tout en proclamant le retour à la normale. Recommencer à interdire des déplacements, ce n’est pas sortir de l’état d’urgence sanitaire.
Le rétablissement de l’extension à l’outre-mer des dispositifs de quarantaine, à ce même article 1er, pose également question. Ils semblent superfétatoires au regard du maintien jusqu’au 30 octobre prochain de l’état d’urgence sanitaire à Mayotte et en Guyane, prévu à l’article 1er bis, qui n’a, quant à lui, plus été modifié. Une telle différence de traitement entre Français métropolitains et Français ultramarins me paraît difficilement justifiable, eu égard aux autres outils dont disposent les pouvoirs publics. Telle était déjà, par le passé, la position de notre assemblée.
Enfin, les députés ont supprimé l’article 1er bis A, qui contenait les mesures proposées par le Sénat pour rénover l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Les faiblesses de la rédaction actuelle de cet article ont déjà été amplement soulignées et sont par ailleurs reconnues par le rapporteur de l’Assemblée nationale. Malgré tout, il a fait supprimer cet ajout du Sénat, en renvoyant à une date ultérieure la modernisation du régime de droit commun de gestion des crises sanitaires, alors même que nous discutons d’un texte dont l’objet est de préparer le retour au droit commun.
Je suis pourtant certaine qu’un accord aurait été possible, ne serait-ce que sur un commencement d’amélioration de cet article juridiquement trop flou. Quelqu’un de plus facétieux que moi pourrait aller jusqu’à soupçonner la majorité gouvernementale de vouloir faire sien ce mot du cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. »
Dès lors, j’estime que c’est à raison que notre commission des lois a choisi de nous proposer de rejeter le texte via l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable. Les positions respectives du Sénat et de l’Assemblée nationale sont claires ; la conciliation ayant échoué, il me paraît difficilement possible de transiger et de revenir ainsi sur notre vote initial. Le président de notre groupe, Bruno Retailleau, l’a bien exprimé la semaine dernière : « Nous sommes parvenus à la limite de nos capacités de souplesse et nous ne pourrons accepter des dispositifs plus contraignants. »
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains ne peut être favorable à l’adoption du texte des députés : la majorité de l’Assemblée nationale devra assumer de le voter seule. Nous soutiendrons la motion déposée par le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Bas, au nom de la commission, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire (n° 578, 2019-2020).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. André Reichardt, vice-président de la commission des lois, pour la motion.
M. André Reichardt, vice-président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a souligné dans son propos liminaire le président Bas, la commission des lois a pris acte des approches inconciliables des deux assemblées sur l’article 1er du projet de loi. Elle a donc décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi.
Le Sénat ne s’est pas opposé par principe au projet de loi ; il a même fait preuve d’une approche constructive en première lecture et admis que le Gouvernement devrait conserver un certain nombre de prérogatives après le 10 juillet. Toutefois, nous constatons que les divergences que nous avons eues, en commission mixte paritaire, avec nos collègues députés se retrouvent dans le texte adopté par l’Assemblée nationale.
La différence entre le régime transitoire qui entrera en vigueur le 10 juillet prochain et l’état d’urgence sanitaire demeure, en pratique, trop ténue. Bien sûr, la nécessité de gérer l’apparition de clusters est légitime, mais elle ne peut se traduire par le maintien de prérogatives très exorbitantes du droit commun, qui autoriseraient le Premier ministre à restreindre les libertés sur des parties importantes du territoire.
Nous avons accepté, il y a quatre mois, de doter le Gouvernement d’un régime d’exception. C’est ce régime qui doit aujourd’hui être mobilisé en cas de recrudescence de l’épidémie.
Enfin, nous ne pouvons admettre la suppression de l’article 1er bis A, que le Sénat avait introduit en première lecture. Cela revient à maintenir entre les mains du ministre de la santé des prérogatives larges et indéfinies pour lutter contre l’épidémie, sans garanties pour nos concitoyens.
La fragilité juridique de ce régime a justifié, il y a quatre mois, l’instauration d’un régime d’exception ad hoc, afin de sécuriser l’action des pouvoirs publics et d’encadrer les atteintes portées aux libertés. Il serait pour le moins contradictoire qu’il constitue, pour les mois à venir, la principale base juridique mobilisée par le Gouvernement pour gérer l’épidémie.
C’est la raison pour laquelle je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cette motion et souhaite poursuivre la discussion avec les sénateurs. Cependant, pour avoir écouté les différentes interventions, je n’ai guère de doutes quant à l’issue du vote… Je donne acte à la Haute Assemblée de la qualité des échanges au cours de la navette et du travail qui a été effectué.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour explication de vote.
M. Dany Wattebled. Nous comprenons bien les arguments en faveur de l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable, mais le groupe Les Indépendants n’est jamais favorable à ce type de motion. Aussi s’abstiendra-t-il.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le projet de loi organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire est rejeté.
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 7 juillet 2020 :
À neuf heures trente :
Trente-quatre questions orales.
À quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière (procédure accélérée ; texte de la commission n° 553, 2019-2020).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à onze heures vingt-cinq.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication