M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Bertrand.
Mme Anne-Marie Bertrand. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que de temps perdu ! Au Salon international de l’agriculture de 2018, le Président de la République déclarait : « Je ne peux pas, avoir, d’un côté, des agriculteurs qui n’ont pas de retraite, et, de l’autre, un statut de cheminot et ne pas le changer. »
Nous sommes aujourd’hui en 2020 et nous discutons pour la seconde fois de ce texte. Vous ne m’entendrez pas dire qu’une revalorisation peut se faire d’un claquement de doigts. Avouez, néanmoins, que vous n’avez rien fait pour accélérer cette dernière, et ce n’est rien de le dire.
Il y a tout d’abord eu votre amendement reportant à 2020 cette revalorisation, alors que nous souhaitions, ici même au Sénat, qu’elle entre en vigueur dès 2019. Puis, il y a eu un vote bloqué pour nous en empêcher. Aujourd’hui, c’est à 2022, au lieu de 2021, que vous souhaitez reporter cette revalorisation.
Je tiens en cet instant à préciser que nous parlons bien d’une revalorisation de pensions de retraite de 75 % à 85 % du SMIC. Il me faut souligner, et même marteler, que, aujourd’hui, un agriculteur sur trois à une retraite inférieure à 350 euros par mois. S’il y a bien une leçon que nous devons tirer du confinement, c’est que notre indépendance alimentaire est ô combien précieuse. Ces femmes et ces hommes répondent à nos besoins primaires.
Aujourd’hui, nombreux sont ceux qui ont pris conscience que rien n’apparaît par magie dans les rayons des supermarchés.
Aujourd’hui, personne ne peut ignorer la retraite indécente de nos agriculteurs. Personne ne peut, non plus, ignorer la dureté de ce travail. Rendez-vous compte : alors que notre pays compte plus de 3 millions de personnes sans emploi, les maraîchers des Bouches-du-Rhône ont dû faire appel à des travailleurs détachés, car il n’y avait pas suffisamment de main-d’œuvre.
Comme souvent, je regrette la méthode du Gouvernement, pour des considérations non pas procédurales, mais plutôt politiques. Quand vous vous félicitez, dans les médias, de cette revalorisation, je ne suis pas sûre que vous mesuriez bien l’espérance que vous faites naître.
Je regrette de ne pas avoir beaucoup entendu votre collègue Marlène Schiappa concernant la retraite des conjoints.
M. François Bonhomme. Elle va arriver ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Anne-Marie Bertrand. En effet, les conjoints sont très souvent des conjointes, et leurs pensions resteront, quant à elles, à 550 euros par mois.
Quand, soudain, après ces belles annonces, les collaborateurs et aides familiaux se rendent compte qu’ils en sont exclus, mesurez-vous leur colère, leur désarroi ? En effet, cette revalorisation ne concerne que les chefs d’exploitation.
Cette autosatisfaction est indécente. Après autant de mobilisation, daigner porter à 85 % du SMIC la retraite d’une partie seulement de ceux qui nous nourrissent devrait vous appeler, je pense, à plus de modestie. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en france continentale et dans les outre-mer
TITRE Ier
GARANTIR UN NIVEAU MINIMUM DE PENSIONS À 85 % DU SMIC ET DE NOUVELLES RECETTES POUR LE FINANCEMENT DU RÉGIME DES NON-SALARIÉS AGRICOLES
Article 1er
(Non modifié)
I. – L’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :
1° A Le I est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes mentionnées au présent I ne peuvent bénéficier d’un complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire que si elles ont fait valoir l’intégralité des droits en matière d’avantage de vieillesse auxquels elles peuvent prétendre auprès des régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires, français et étrangers, ainsi qu’auprès des régimes des organisations internationales. » ;
1° B Le II est ainsi rédigé :
« II. – Ce complément différentiel a pour objet de porter les droits propres servis à l’assuré par le régime d’assurance vieillesse de base et par le régime de retraite complémentaire obligatoire des personnes non salariées des professions agricoles à un montant minimal lors de la liquidation de ces droits. » ;
1° Le premier alinéa du IV est ainsi modifié :
a) La première phrase est complétée par les mots : « en vigueur le 1er janvier de l’année civile au cours de laquelle la pension de retraite prend effet » ;
b) Les deuxième et dernière phrases sont remplacées par une phrase ainsi rédigée : « Ce pourcentage est égal à 85 %. » ;
2° Il est ajouté un V ainsi rédigé :
« V. – Lorsque le montant des pensions de droit propre servies à l’assuré par les régimes légaux ou rendus légalement obligatoires, de base et complémentaires incluant le montant du complément différentiel de points de retraite complémentaire obligatoire, français et étrangers, ainsi que par les régimes des organisations internationales excède un plafond fixé par décret, le complément différentiel est réduit à due concurrence du dépassement.
« Les modalités de revalorisation du plafond mentionné au premier alinéa du présent V sont fixées par décret. »
II. – A. – Le I entre en vigueur à une date fixée par décret, et au plus tard le 1er janvier 2022.
B. – Le I est également applicable aux pensions de retraite ayant pris effet avant le 1er janvier 2022, dans les conditions suivantes :
1° La valeur du salaire minimum de croissance est celle en vigueur le 1er janvier 2022 ;
2° L’application du V de l’article L. 732-63 du code rural et de la pêche maritime ne peut avoir pour conséquence une baisse de la pension de retraite complémentaire.
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, la commission n’a pas la même lecture que le Gouvernement de cet article, et particulièrement de son II. Nous l’avons constaté lors de l’audition de M. le secrétaire d’État pour préparer cette deuxième lecture.
L’Assemblée nationale a adopté un amendement pour que l’application du I se fasse au plus tard au 1er janvier 2022, et non plus nécessairement à cette date. Seulement, et j’invite chacun à lire cet article, aucune coordination n’a été faite ni au B du II de l’article 1er ni aux II et III de l’article 3.
Ainsi, soyons clairs, que vous le vouliez ou non, ce que dit le texte de loi dont nous débattons, c’est bien que vous pouvez avancer l’entrée en vigueur du II, et non du I, de l’article 1er. Cela signifie que, dans le cas où le Gouvernement prendrait un décret anticipant la date du 1er janvier 2022, cette disposition n’aurait de valeur que pour les nouveaux retraités de l’Hexagone.
Pour les retraités actuels, comme pour les adaptations retenues pour les agriculteurs des départements d’outre-mer, la date d’entrée en vigueur est précisée clairement dans la loi : ce sera le 1er janvier 2022 ! L’absence de coordination ne vous laisse donc pas la possibilité d’anticiper.
Vous nous avez indiqué que si, d’aventure, vous décidiez d’anticiper l’entrée en vigueur, vous prendriez une circulaire permettant d’intégrer les retraités actuels et les outre-mer. C’est là une bien singulière interprétation de la hiérarchie des normes, que nous ne pouvons pas nous permettre de partager dans cette assemblée.
Monsieur le secrétaire d’État, nous n’avons pas amendé ce texte pour ne pas retarder son adoption définitive. Aussi, notre souhait est de voir ces coordinations assurées dans un texte prochain, peut-être celui qui assurera le financement de cette réforme.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi à mon tour d’enfoncer le clou. Les choses sont claires entre ce que l’on appelle le flux et le stock. Ceux qui vont être à la retraite en 2021 pourront bénéficier, si vous prenez les décrets nécessaires, d’une revalorisation, ou plutôt d’une valorisation de leur retraite à hauteur de 85 % du SMIC de 2021. Ils seront ensuite revalorisés en 2022 quand on connaîtra le niveau du SMIC cette année-là.
Pour ce qui est du stock, c’est-à-dire de ceux qui sont déjà à la retraite, comme on ne connaît pas encore le SMIC de 2022, vous aurez beau prendre un arrêté ou une circulaire pour donner des consignes aux caisses de retraite afin d’essayer de tenir compte de ces critères, ce n’est pas ce que la loi dit expressément.
Il faut donc adapter ce texte au travers du B du II de l’article 1er et du II de l’article 4. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour trouver le véhicule législatif le plus adapté, si vous avez réellement la volonté de donner satisfaction aux retraités actuels ou à ceux d’outre-mer, et non pas de les bercer d’illusions.
Ce véhicule législatif peut très bien être le PLF. Pourquoi ce texte et non pas le PLFSS, comme cela a pu être évoqué ? Parce qu’il s’agit d’une allocation différentielle qui porte sur les retraites obligatoires, mais complémentaires, et qui ne sont pas dans le champ du PLFSS aujourd’hui.
Vous aviez proposé de le faire dans la loi portant réforme des retraites. Nous en avions parlé en commission des affaires sociales, et c’était tout à fait envisageable pour avoir une vision globale des retraites, mais, aujourd’hui, n’oubliez pas vous allez devoir financer cette mesure, donc le PLF serait assez adapté. En tout cas, vous devez faire un choix, afin de faire passer les adaptations nécessaires pour que ces ressortissants bénéficient de la mesure le plus tôt possible.
À l’époque, la loi n’avait pas été votée, car nous étions censés attendre la réforme des retraites. Les choses n’ont pas changé, et il n’y a toujours pas de loi sur les retraites.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Permettez-moi de conclure, monsieur le président, ou je m’exprimerai sur l’article 2…
Cette loi n’avait pas été votée, non plus, parce qu’il n’y avait pas de financement. Or ce dernier n’est pas davantage prévu dans le présent texte.
Si nous n’y prenons garde, l’issue risque donc d’être identique. C’est la raison pour laquelle nous tenons à donner satisfaction aux chefs d’exploitation en votant ce texte sans délai, mais nous attendons de vous, monsieur le secrétaire d’État, la garantie que le flux et le stock seront bien pris en compte dans la revalorisation des pensions à 85 % du SMIC.
Mme Cathy Apourceau-Poly, rapporteure. Très bien !
M. le président. Monsieur le rapporteur, je ne fais qu’appliquer les règles.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Merci, monsieur le président !
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme, sur l’article.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, comme beaucoup ici, je viens d’un département où des hommes et des femmes ont participé fortement, et souvent durement, à relever la France, à une époque où l’on croyait encore à l’agriculture pour assurer notre indépendance alimentaire. Et voilà que, enfin, après des manœuvres quelque peu dilatoires – il est nécessaire de le rappeler, monsieur Lévrier –, nous examinons cette proposition de loi, alors que le monde agricole attend des mesures fortes depuis longtemps.
La situation des retraites agricoles n’a que très peu évolué depuis l’arrêt brutal de l’examen de ce texte, au moyen d’un vote bloqué, voilà un peu plus de deux ans. Que de temps perdu ! Que d’atermoiements ! Depuis lors, le mouvement de disparition des petites exploitations familiales s’est poursuivi. Il faut savoir que près de 100 000 emplois d’exploitants et d’ouvriers agricoles ont été perdus dans ma région depuis 1968.
Je rappelle que la pension moyenne des non-salariés agricoles, en tout cas si l’on en croit la caisse centrale de la MSA, est de 953 euros pour les hommes et de 852 euros pour les femmes. Par ailleurs, beaucoup l’ont dit, un tiers des agriculteurs perçoivent moins de 350 euros par mois.
Dès lors, ce dispositif de revalorisation des retraites à 85 % du SMIC, soit un peu plus de 1 000 euros, constitue une avancée juste et nécessaire pour celles et ceux qui ont tant donné pour relever notre agriculture.
Dans ces conditions, la mise en œuvre de cette mesure avant 2022 est très importante, monsieur le secrétaire d’État. Dès lors, quand la majorité repousse l’application d’un an, au 1er janvier 2022, en faisant valoir des « motifs techniques », cela s’apparente à une triste et piètre diversion, d’autant que le président national de la MSA, M. Cormery, a bien indiqué qu’il n’y avait aucun obstacle de ce type qui empêchait une entrée en vigueur du dispositif dès le 1er janvier prochain.
Je rejoins donc les positions de nos rapporteurs, et j’ose espérer que le Gouvernement prendra un décret pour une mise en œuvre dès le 1er janvier prochain.
Si les objectifs visés par ce texte sont bienvenus, ce dernier reste toutefois bien incomplet et partiel. Je regrette notamment qu’il n’y ait pas d’évolution concernant l’absence de prise en compte des conjoints collaborateurs et des aidants familiaux. J’aurais moi aussi souhaité que Mme Schiappa vienne s’expliquer sur la disparité des situations, et je ne m’explique pas son absence. (M. Martin Lévrier s’esclaffe.)
La délégation aux droits des femmes du Sénat avait produit un rapport, voilà trois ou quatre ans, sur ce problème, et nous ne voyons toujours rien venir. J’espère que le rachat ou l’expiation aura fait son œuvre dans la nuit.
Pour conclure, je dirai que ce texte apporte un progrès certes partiel, mais attendu par le monde agricole. Il ne constitue qu’une première étape et il doit être complété et amélioré.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, je suis agriculteur et j’ai tenu à faire l’aller-retour cet après-midi pour participer physiquement à ce petit progrès social, largement attendu dans les campagnes et par les plus fragiles de ceux qui tentent de vivre de la terre.
Derrière la question des faibles retraites, par définition, il y a l’évidence des faibles revenus. Monsieur le secrétaire d’État, je vous ai bien écouté, et j’ai pu constater que vous n’aviez pas utilisé l’expression « justice sociale », comme vous l’aviez fait la semaine dernière à l’Assemblée nationale. En effet, vous vous êtes fait étriller en faisant ensuite la démonstration d’une certaine mesquinerie, passez-moi le terme, à ne pas vouloir rendre justice immédiatement pour faire quelques économies.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les points en question. Vous décidez de faire l’économie d’une année, comme ma collègue Monique Lubin l’a fort bien dit, parce que vous avez besoin de temps. En revanche, pour supprimer l’ISF, vous n’avez pas eu besoin de temps, puisque vous l’avez fait quasi immédiatement ! De même, pour inventer le prélèvement forfaitaire unique, autrement dit la flat tax. Or, là, vous avez besoin de temps, alors que le président de la MSA dit qu’il peut, si vous prenez le bon décret, agir rapidement.
Autre point sensible, vous visez les plus faibles. En disant que les polypensionnés vont être écrêtés, on a l’impression que l’on va agir sur des riches parmi les retraités agricoles. Pensez donc, des polypensionnés… Mais pourquoi le sont-ils ? Parce qu’ils n’ont pas assez de revenus sur leur exploitation et qu’ils sont obligés d’aller chercher des revenus à l’extérieur pour compléter leur pitance, et bien souvent sur des postes de salariés à temps partiel.
S’agissant des femmes, ou plus précisément des conjointes collaboratrices, on a inventé ce sous-statut pour celles qui étaient, Monique Lubin l’a dit, des invisibles sur les exploitations agricoles. Les femmes peuvent encore attendre, puisqu’elles ne manifesteront pas, pense-t-on. Et en même temps, on tient de grands discours sur la parité…
Pour ce petit progrès social, qui est positif et que nous allons voter, des propositions sont venues régulièrement soit de groupes politiques de gauche, soit de gouvernements de gauche. Et eux ne se sont pas contentés d’incantations !
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux revenir sur l’écrêtement des pensions. Comme vient de le dire Olivier Jacquin, tout le monde sait très bien qu’un agriculteur polypensionné est un agriculteur qui est obligé d’aller travailler à l’extérieur. Il n’a pas le choix ! J’ai lu certains chiffres, dont un révélant qu’aujourd’hui 90 % des agriculteurs seraient polypensionnés. C’est tout de même impressionnant.
J’ai bien compris quelle était votre philosophie dans cette histoire d’écrêtement. Le Gouvernement considère qu’il s’agira d’une allocation complémentaire, en quelque sorte de solidarité, et que, comme toute allocation de solidarité, elle doit tenir compte de tous les revenus. Il faut donc qu’il y ait une somme maximale à ne pas dépasser.
Toutefois, ne pourrait-on pas considérer, puisque l’on parle là d’agriculteurs qui auront travaillé et cotisé une carrière pleine, et non pas de personnes qui auraient eu des carrières hachées ou des accidents de parcours, qu’il s’agit d’un droit à retraite plein, lui aussi, donc ne pas appliquer d’écrêtement ? Je le répète, dans aucune autre profession nous ne pratiquons les écrêtements de pension de retraite. Je demande réellement à ce que l’on y réfléchisse, non pas cette fois-ci, nous l’avons bien compris, mais dans des temps très proches.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je dirai juste un mot pour évidemment saluer ce texte qui arrive enfin, même si, et ce sont les limites de l’exercice, on attend son financement.
Je veux tout de même vous dire que, dans les départements ruraux comme celui que je représente, franchement, le temps législatif n’est pas le temps des agriculteurs. On a déjà dit dix fois que l’on avait non pas un ministre des agriculteurs, mais un ministre de l’agriculture, et notre débat d’aujourd’hui l’illustre bien. Le moment où nos agriculteurs et nos agricultrices ont besoin de toucher leur retraite n’est pas celui de ce temps législatif, qui n’en finit plus et qui s’est déroulé dans les conditions que l’on sait.
Je veux aussi rappeler, pour appuyer les propos de mon collègue Jacquin, que, la semaine dernière, le P-DG d’Air France a bénéficié d’un bonus de 760 000 euros, et pas seulement parce que son entreprise a touché 7 milliards d’euros de garantie de l’État, plus 4 milliards d’euros de prêts, et qu’il va licencier 10 000 salariés – non, tout cela n’est pas très grave ! (Sourires sur les travées des groupes UC, SOCR et CRCE.)
En revanche, j’ai calculé que ces 760 000 euros représentaient un peu plus de 1 000 mois de retraite agricole, soit 90 ans. On parle de justice ; on parle d’équilibre. On a beaucoup parlé, évidemment, de tous ces problèmes au moment des gilets jaunes, puis on les a un peu oubliés, mais les revoilà à l’occasion d’un texte qui mériterait l’urgence, pour le coup, au lieu de suivre son petit bonhomme de parcours législatif.
Nous nous apprêtons à voter un texte urgent, nécessaire et symbolique, dirai-je, de ce que l’on peut faire en matière d’égalité et de respect du travail d’autrui. Je ne voulais pas manquer cette occasion de vous rappeler de quoi l’on parle, en comparant un certain nombre de salaires ou de bonus avec la situation de nos agriculteurs, qui nous nourrissent et qui ont fait tout ce que l’on sait pendant la crise du covid.
On connaît ces vies et l’âpreté de ce métier. Le minimum que l’on puisse faire est de voter ce texte et de penser, surtout, à son financement, qui ne devrait pas tarder.
On va encore parler de la dette sociale dans quelques jours. Tout cela est lié et nous renvoie à des ruptures d’égalité tellement flagrantes, monsieur le secrétaire d’État, que je me demande combien de temps encore nos concitoyens pourront les supporter. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et CRCE. – Mme Élisabeth Doineau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, sur l’article.
Mme Nathalie Delattre. Mes chers collègues, je pense que nous avons tous les mêmes mots en tête : que de temps perdu !
Nous étions tous prêts à voter à l’unanimité la proposition de loi que nous avait présentée le groupe CRCE en 2017, afin que cette revalorisation puisse se faire sans délai. Par un artifice de procédure, à savoir un vote bloqué, que peu d’entre nous connaissaient, nous n’avons pas pu le faire. Nous avons été empêchés, tous ici, pour des raisons purement politiciennes, parce que, aujourd’hui, c’est votre texte que vous présentez. C’est à votre bénéfice, effectivement, que vous souhaitez que cette loi puisse passer. Que de temps perdu !
Je suis élue d’un département agricole. En Gironde, le plus gros employeur est la viticulture ; je suis moi-même viticultrice. Sur les 25 000 retraités agricoles du département, 8 000 touchent à peine 300 euros par mois. Depuis des années, ils se trouvent sous le seuil de pauvreté dans l’indifférence générale – votre indifférence, monsieur le secrétaire d’État. Il était donc temps que vous réagissiez. Ce n’est pas grand-chose : de 300 euros, nous allons passer à 85 % de SMIC.
Que vont-ils faire de cet argent ? Ils ne vont certainement pas le mettre dans un « bas de laine » : ils vont le consommer, relancer la consommation, ce qui n’est pas inutile après le covid. Ils vont aussi le donner à leurs enfants, qui ont pris leur succession dans les domaines et les exploitations, pour les aider et faire en sorte qu’ils vivent dignement, enfin, du travail de leurs mains, de leur sueur, de tout ce qu’ils nous apportent.
Nous avons vu pendant la crise sanitaire que les agriculteurs étaient indispensables. Ce n’est qu’un juste retour de voter cette loi pour eux aujourd’hui. Et encore, elle est incomplète, puisque, comme l’ont dit tous mes collègues, les conjoints collaborateurs et les aidants familiaux n’en bénéficieront pas encore. Combien d’années va-t-il encore falloir attendre pour qu’il leur soit rendu justice ? (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. François Bonhomme. Ils seront tous morts !
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, sur l’article.
M. Michel Raison. Monsieur le secrétaire d’État, madame, monsieur les rapporteurs, je ne reviendrai pas sur les vicissitudes qu’a connues ce texte, mais je voudrais insister sur quelques points.
Tout d’abord, je tiens à dire que les retraités agricoles sont étroitement liés aux actifs agricoles. Pour qu’il y ait des actifs agricoles, il faut que celui qui cesse son activité sacrifie une partie de ses biens, de son patrimoine, afin que son successeur puisse y arriver.
Vous savez tous quelles sont les difficultés des actifs agricoles aujourd’hui, malgré une loi Égalim pleine de promesses, mais qui comporte autant d’imprécisions, sources d’inefficacité. Les retraités agricoles, souvent, lorsqu’ils ont la chance d’avoir des enfants qui leur succèdent, se sacrifient encore un peu, comme vient de le dire ma collègue. Il est très important d’avoir cette réalité à l’esprit. C’est donc la moindre des choses que de leur donner ces quelques euros que nous sommes en train de voter.
Nous ne sommes pas en train de voter quelque chose d’exceptionnel ; nous sommes simplement en train d’offrir une retraite de 1 000 euros à des gens qui ont travaillé toute leur carrière.
Ensuite, monsieur le secrétaire d’État, je vous en conjure, écoutez le président de la MSA – nous avons beaucoup de contacts avec toutes les MSA de nos départements –, qui est prêt à régler ce problème dès le 1er janvier 2021. Pendant la crise du covid, nous avons vu l’administration surmonter de nombreux obstacles, et je l’en félicite. Les 1 500 euros ont été versés vite ; la réaction a été rapide. Aussi, cessons de tergiverser et passons à 85 % du SMIC dès le 1er janvier 2021.
Enfin, réfléchissons dès maintenant aux conjoints collaborateurs. Je sais ce que l’on va me répondre : elles n’ont pas toujours beaucoup cotisé. Certes, il y a eu quelques problèmes de cotisation, mais la tâche a été accomplie. Le revenu était celui du ménage et il était faible. C’est aussi pour cette raison que les cotisations n’ont pas été payées : ils n’en avaient pas la possibilité.
Ces femmes qui, parfois, touchent quelque 150 euros ou 170 euros, ont passé toute leur vie à travailler, aussi bien, comme beaucoup d’épouses, à la maison, à s’occuper du ménage et des enfants, qu’à l’exploitation, se levant de bonne heure le matin pour la traite ou le soin d’autres animaux. Monsieur le secrétaire d’État, pensons-y aussi très rapidement, car cela manque dans ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Nathalie Delattre applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux dire quelques mots, tout d’abord, pour vos rapporteurs, qui ont mené un travail approfondi. Lors des échanges que j’ai eus avec eux avant cette séance, ils m’ont fait part de leurs interrogations sur l’amendement, adopté par l’Assemblée nationale, visant à rendre possible la mise en œuvre des dispositions de l’article 1er avant le 1er janvier 2022 si cela se révèle techniquement possible.
Concernant ces aspects techniques, rappelons que, dans le cadre fixé par cette proposition de loi, il appartiendra à la MSA d’obtenir certaines informations dont elle ne dispose pas. En effet, les agriculteurs peuvent recevoir des pensions d’autres caisses : en réalité, personne à la MSA ne peut garantir le flux d’information qui proviendra des autres caisses. C’est objectif : certes, on est en droit de présupposer que toutes les autres caisses fonctionneront comme la MSA, on peut s’en réjouir d’avance, mais on peut aussi, tout simplement, examiner les choses de façon objective et tranquille.
Ces dispositions seront donc appliquées avant le 1er janvier 2022 si c’est possible. Vous vous interrogiez, madame, monsieur les rapporteurs, sur les aspects techniques et législatifs de l’amendement adopté par l’Assemblée nationale. Son objet était bien d’offrir la possibilité que je viens d’évoquer si la technique allait plus vite que ce qui était envisagé.
Vous avez souligné, monsieur le rapporteur, que si une telle démarche requérait seize mois il y a quelques années, cela pourrait bien n’en exiger que huit ou neuf aujourd’hui. Pourquoi pas ? Je ne remets pas en cause la bonne volonté des équipes informatiques.
Seulement, pour avoir travaillé de nombreuses années dans le secteur privé, je puis vous dire que les développements que connaissent les systèmes d’information sont extrêmement complexes : il y a parfois un écart entre la promesse et qu’on peut vous faire et la réalité de la livraison de l’outil. Il ne s’agit pas de pointer du doigt qui que ce soit ; simplement, c’est souvent très complexe.
Pour en revenir à cet amendement, il ne peut pas y avoir de doute quant à son objet au regard des débats qui se sont tenus dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. L’intention du législateur, comme vous le savez, se voit certes dans le texte adopté, mais on peut aussi en juger au regard des débats parlementaires.
Or ceux-ci montrent bien que les députés présents, qui ont voté cet amendement, voulaient bien, dans leur ensemble, le voir appliqué aussi bien à ceux qui vont liquider leur retraite qu’à ceux qui l’ont déjà fait, pour le dire sans avoir recours aux termes de « flux » et de « stock », qui, quoiqu’ils soient techniquement tout à fait compréhensibles, ne sont tout de même pas très beaux.
Il n’y a donc pas de débat à avoir quant à la volonté des députés ; il n’y en a pas ici non plus, me semble-t-il : j’ai bien senti votre volonté commune, quasi unanime, sur ce sujet.
Je vous confirme que cette volonté du législateur a été bien entendue par le Gouvernement, qui s’engage à la respecter, afin que, si c’est possible, ces dispositions soient appliquées avant le 1er janvier 2022, pour ceux qui ont déjà liquidé leur retraite comme pour ceux qui la liquideront alors.
Il restera à trouver la passerelle technique, si j’ose dire, permettant de faire fonctionner tout cela ; il me semble que, les décrets ayant été pris, une circulaire pourra préciser le point de départ. Si celui-ci est fixé avant 2022, il faudra prendre comme référence le SMIC à son niveau de 2021 ; son niveau de 2022 sera ensuite pris en compte pour les autres liquidations.
À mes yeux, techniquement, tout cela se tient, car il s’agit seulement d’une précision portant sur une période relativement courte : il n’y aurait que quelques mois d’écart si l’on était prêt, par exemple, au 1er mars ou au 1er octobre 2021. Il s’agit non pas de modifier l’essence de la loi, mais d’en préciser un point particulier si elle pouvait être appliquée plus tôt, éventualité qui est prévue.
Voilà les informations que je voulais vous apporter de façon extrêmement transparente. J’entends bien ce que vous avez voulu dire, madame, monsieur les rapporteurs, et je vous en remercie ; je veux aussi offrir dans le débat du Sénat la perspective qu’a entendue l’Assemblée nationale.
Madame Lubin, j’ai bien entendu vos interrogations sur tout ce qui touche à l’écrêtement. Je suis très à l’aise sur cette question : vous faisiez remarquer, monsieur Jacquin, que vous n’aviez pas encore entendu dans ma bouche – les débats ne faisaient que commencer ! – l’expression « justice sociale ». Or, si nous souhaitons collectivement réparer ce qui constitue, en effet, une injustice sociale, n’en créons pas d’autres !
Madame Lubin, vous m’avez déjà interrogé à plusieurs reprises sur les retraites, et je connais donc votre technicité en la matière ; vous devez donc déjà savoir qu’il existe des mécanismes d’écrêtement ailleurs : la pension minimale de référence du régime de base des exploitants agricole est soumise à écrêtement ; le minimum garanti pour les fonctionnaires l’est aussi, de même que le MICO, le minimum contributif pour les salariés. Ce ne sont pas de petits exemples que je vous donne, puisqu’ils concernent les fonctionnaires, tous les salariés et l’ensemble des adhérents au régime de base de la MSA.
Le dispositif prévu vise donc non pas à opérer quelque amputation que ce soit au détriment des chefs d’exploitation agricole, mais simplement à leur appliquer la même règle qu’aux autres. Cette précision devrait vous rassurer sur ces dispositions et vous permettre, si vous le souhaitez, de voter le cœur léger en faveur de cette proposition de loi.
Quant à vous, monsieur Jacquin, vous aurez entendu pourquoi j’estime que nous pouvons nous rejoindre sur ces dispositions de justice sociale.