M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux vous expliquer pourquoi, à une très large majorité, la commission des affaires économiques a décidé d’apporter son soutien aux deux mesures principales de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement : la suppression du mois de carence et la réindexation des APL sur l’indice de référence des loyers.
Nous sommes – à une large majorité dans cet hémicycle – en désaccord avec une politique conduite au détriment des plus modestes qui affaiblit le mouvement HLM. En effet, en 2017, le Gouvernement a décidé, de manière délibérée et brutale, de réaliser des économies sur les aides au logement pour réduire le déficit budgétaire et permettre à la France de sortir de la procédure pour déficit excessif.
Monsieur le ministre, votre collègue Gérald Darmanin l’a écrit noir sur blanc dans sa réponse aux observations que la Cour des comptes formule dans son rapport public annuel pour 2020.
Entre 2017 et 2020, compte tenu de la non-application de la contemporanéisation des APL pour le moment, près de 6 milliards d’euros seront économisés. Dit autrement, entre le budget de 2017 et le budget de 2020, l’État dépense 3 milliards d’euros de moins pour les APL.
Or, dans ce même rapport public, la Cour des comptes souligne combien cette politique de baisse uniforme des APL, quelle que soit la situation du foyer, suscite des interrogations en termes d’équité. Elle relève aussi qu’elle a mis à mal la confiance entre le Gouvernement et le mouvement HLM et nui à la capacité des acteurs de se projeter dans l’avenir.
Rappelons quelques données. Les APL représentent près de 40 % des moyens financiers de la politique du logement, soit environ 17 milliards d’euros en 2018 et en 2019. De fait, 20 % des ménages français – les plus fragiles – touchent les APL, soit 6,6 millions.
Les APL sont l’une des principales mesures de redistribution en leur faveur. Elles représentent un tiers de l’effort de la Nation pour les ménages du premier décile de niveau de vie, qui constituent 75 % des bénéficiaires.
Baisser les APL ou ne pas les revaloriser correctement, comme l’a fait le Gouvernement, c’est frapper le portefeuille et le pouvoir d’achat des moins favorisés. C’est aussi accroître les inégalités en réduisant la redistribution.
Cette politique de réduction des aides au logement est également – nous le constatons – une politique d’affaiblissement du logement social. La réduction de loyer de solidarité (RLS) qui a été imposée représente une ponction de 1,3 milliard d’euros en 2020.
L’ensemble des opérateurs ont été durablement déstabilisés. La capacité des bailleurs à investir, c’est-à-dire à construire de nouveaux logements, a été amputée. D’ailleurs, dans la crise que nous traversons, c’est moins de trésorerie que de fonds propres que vont manquer les bailleurs sociaux.
Monsieur le ministre, notre pays va devoir affronter une crise du logement très importante puisque ce sont sans doute près de 100 000 constructions qui ne seront pas réalisées cette année en raison de l’arrêt des chantiers pendant le confinement. Ne serait-il pas temps de se rendre compte que les économies effectuées ces dernières années sont aujourd’hui un handicap pour organiser la relance et soutenir les locataires en difficulté ?
En 2008 et en 2009, les bailleurs sociaux avaient pu acheter un grand nombre de programmes en vente en l’état futur d’achèvement (VEFA). Sont-ils encore en capacité de le faire ?
Concernant l’aide aux locataires face aux impayés, vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que la présidente Sophie Primas, ma collègue Annie Guillemot et moi-même vous avons écrit pour soutenir la proposition de la Fondation Abbé-Pierre de créer un fonds d’aide à la quittance doté de 200 millions d’euros. C’est moitié moins que l’économie réalisée chaque année par la réduction de 5 euros des APL, moins que leur gel en 2018, moins que leur non-revalorisation en 2019 et en 2020.
Pour ma part, comme je l’ai dit à plusieurs reprises à cette tribune, je suis convaincue qu’il faut redonner de l’air aux bailleurs sociaux. La question d’un moratoire de la RLS ou d’une mesure équivalente doit être envisagée. Je crois également à la nécessité du rétablissement de l’APL accession, qui est une mesure peu coûteuse et efficace pour soutenir l’accession sociale à la propriété. Peut-être nous indiquerez-vous, monsieur le ministre, les intentions du Gouvernement dans le cadre du futur plan de relance.
Mes chers collègues, après avoir rappelé les motivations de fond de la commission en faveur d’une politique ambitieuse du logement pour tous les Français – nous y reviendrons grâce à la cellule de suivi constituée avec Annie Guillemot –, je voudrais expliciter la position de la commission sur les différentes dispositions de la proposition de loi.
La commission vous propose, tout d’abord, de supprimer le mois de carence de versement des APL lors de leur première demande. Il convient de rappeler que ce mois de carence est plus une mesure budgétaire qu’une mesure de gestion. Il a été instauré par la loi de finances pour 1995, sachant qu’il s’applique aux prestations familiales depuis 1983. Mais, en réalité, il existe déjà de nombreuses exceptions.
Il ne s’applique qu’aux premières demandes, pour le premier mois d’ouverture des droits, et non si les droits sont acquis depuis plus longtemps, mais n’ont pas fait l’objet d’une requête.
Par ailleurs, il ne s’applique pas aux personnes hébergées qui accèdent à un logement, à celles qui quittent un logement frappé d’insalubrité, à celles qui sont logées en foyer – jeunes travailleurs et travailleurs migrants – et aux bénéficiaires des minima sociaux.
Vos services, monsieur le ministre, nous ont indiqué que le coût de cette mesure serait de l’ordre de 250 millions d’euros en année pleine, 1,2 million de nouvelles demandes étant enregistrées chaque année.
J’estime cependant que, compte tenu des exceptions déjà existantes, cette mesure apportera plus de lisibilité – d’ailleurs, la Mutualité sociale agricole (MSA) demande depuis 2002 la suppression de ce mois de carence ; que son coût doit être rapporté aux économies réalisées ces dernières années au détriment des populations les plus fragiles qui bénéficient des APL ; enfin, que, dans le contexte actuel où il est malheureusement à craindre que de nombreux Français ne deviennent éligibles à cette aide, il serait alors incompréhensible de réaliser une économie à leur détriment.
La commission vous propose d’approuver une seconde disposition, prévue à l’article 4 de la proposition de loi : le retour à l’indexation des APL sur l’IRL.
Comme je l’ai rappelé, après avoir réduit les APL de 5 euros à l’été 2017, le Gouvernement a pris des mesures plus discrètes conduisant à leur érosion par rapport à l’inflation ou à l’évolution des loyers : leur gel ou leur sous-revalorisation.
C’est ce qui a été décidé en loi de finances pour l’année 2020 – mesure que nous avons dénoncée – en limitant la revalorisation à 0,3 % plutôt que d’appliquer ce qui est prévu par le code de la construction et de l’habitation, c’est-à-dire de se baser sur l’IRL, qui aurait conduit à une hausse de l’ordre de 1,5 %, mesure dont le coût aurait été de 171 millions d’euros selon les chiffres qui m’ont été communiqués.
Il s’agit là d’une demande forte des associations de locataires et de l’ensemble du monde HLM. Nous la soutenons, estimant qu’il s’agit d’une mesure de justice.
En revanche, la commission, dans sa majorité, n’approuve pas la suppression du seuil de non-versement, qui est actuellement fixé à 10 euros par mois. L’argument selon lequel le vrai seuil devrait être celui de l’éligibilité et non un montant minimal de versement est naturellement compréhensible, mais il s’agit en l’espèce d’une mesure de bonne gestion.
Ce seuil touche actuellement 17 000 ménages pour un montant total de 1 million d’euros et des APL moyennes de 60 euros par an, alors que le coût de gestion et d’instruction d’une demande serait de l’ordre de 80 à 90 euros selon la Cour des comptes.
Par ailleurs, il faut le rappeler, en 2017 et en 2018, pour atténuer les effets indésirables de la baisse de 5 euros des APL, ce seuil avait été abaissé de 15 à 10 euros, voire complètement supprimé lorsque la RLS pouvait avoir un effet aggravant.
Enfin, on pourrait craindre que le versement d’une aide très faible, même si son versement était annualisé, ne paraisse finalement indécent à certaines familles.
Ce sont les raisons qui nous ont conduits à présenter un amendement de suppression de l’article 2.
En résumé, la commission souhaite promouvoir une politique du logement juste et ambitieuse, tenant compte des difficultés des locataires, tant dans le parc social que dans le parc privé, et des bailleurs dans le cadre de la crise sanitaire et économique que traverse actuellement notre pays. C’est pourquoi elle vous propose de supprimer le mois de carence et de revenir à une meilleure revalorisation des APL. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, SOCR et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’examen aujourd’hui de cette proposition de loi visant à garantir l’efficacité des aides personnelles au logement déposée par le groupe CRCE est évidemment essentiel.
Cet examen est d’autant plus important dans la période que nous venons et que nous continuons de traverser, laquelle a montré à quel point l’habitat est une question cruciale, centrale, malheureusement encore beaucoup trop vectrice d’inégalités sociales.
C’est aussi, comme vous l’avez mentionné, madame la sénatrice, une question de dignité pour beaucoup de nos concitoyens. Notre rôle à tous, en tant que responsables politiques à l’échelon national ou local, est de tout faire pour accompagner les trop nombreuses personnes qui souffrent dans leur logement.
Je veux profiter de l’examen de cette proposition de loi pour partager avec vous plusieurs convictions, même si je ne suis pas d’accord avec un certain nombre de propositions formulées.
D’abord, je le dis de manière très précise, j’estime que nous avons une vision commune – vous l’avez rappelé, madame la sénatrice – de la politique à mener en matière de logement. La question est donc la suivante : quels sont les chemins pour aboutir à cette politique du logement ?
Je l’ai toujours affirmé – il ne s’agit pas d’un discours d’estrade puisque vous m’avez entendu le dire à de multiples reprises –, il existe pour moi deux priorités en matière de logement.
La première priorité est la réhabilitation et la rénovation des logements pour lutter contre l’habitat insalubre. Je pense à tout ce qui a été fait dans cet hémicycle, que ce soit dans le cadre de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi ÉLAN, ou des travaux qui ont eu lieu à la suite du drame qu’a connu la ville de Marseille, mais ce n’est pas le débat du jour…
La seconde priorité, que vous avez rappelée dans vos propos, madame la sénatrice, madame la rapporteure, est la question de la production de logements abordables. Aujourd’hui, notre défi à tous est de produire certes plus de logements, mais aussi plus de logements abordables. En effet, beaucoup de nos concitoyens voient leur « taux d’effort » augmenter sans cesse. Parfois, 40 % à 50 % de leur revenu sont consacrés au paiement du loyer. Notre objectif politique est donc très clair : il faut mettre toute notre énergie à produire plus de logements abordables.
Bien évidemment, et c’est le principe de la démocratie, nous pouvons ne pas être d’accord sur les voies à emprunter pour atteindre cet objectif. Quoi qu’il en soit, je crois vraiment que nous partageons la même ambition.
À ce titre, le logement social est un trésor du modèle social français. Ce modèle social, quoi qu’on en dise – nous y reviendrons assurément au cours du débat –, doit selon moi absolument être préservé. C’est pourquoi je m’inscris totalement en faux avec l’exposé des motifs de cette proposition de loi, qui affirme que le gouvernement auquel j’appartiens, voire le ministre que je suis, défendrait la financiarisation et la privatisation du logement social !
Je vous rappelle que, notamment dans le cadre de la loi ÉLAN, je me suis battu avec beaucoup de force, plus à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, je dois l’admettre, contre les positions défendues par les représentants de partis politiques très largement représentés dans cet hémicycle. Il a, par exemple, été proposé d’ouvrir le capital d’un certain nombre de bailleurs sociaux à des financeurs privés et de casser le modèle limitant le financement du capital dans le logement social. Je m’y suis toujours opposé avec force et avec beaucoup de conviction, car le modèle du logement social français doit, selon moi, perdurer tel qu’il existe.
Ma deuxième conviction sur le modèle français du logement social est que beaucoup de réformes ont été réalisées depuis trois ans. Certains les critiqueront, c’est le principe de la démocratie, mais je me félicite de toute la dynamique des regroupements qui a été largement débattue ici pendant la Conférence de consensus sur le logement. Je salue d’ailleurs le travail réalisé à cette occasion par le président Gérard Larcher et par Jacques Mézard. Ces regroupements de bailleurs sociaux sont effectifs et fonctionnent bien.
Je me réjouis aussi des décisions stratégiques qui ont été prises dans le cadre de la loi ÉLAN s’agissant du monopole bancaire, ainsi que de l’étendue des missions données aux bailleurs sociaux. Que de débats n’avons-nous eus sur le fameux titre III de la loi relative à la maîtrise d’ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d’œuvre privée, dite loi MOP !
Je pense aussi à la question des titres participatifs pour lesquels Mme la rapporteure est extrêmement engagée avec d’autres représentants du monde HLM. Les titres participatifs représentent aujourd’hui près de 900 millions d’euros. L’un des représentants d’une famille d’office d’HLM, pour ne pas le cacher, me disait encore dernièrement au téléphone : si nous avions voulu élaborer un dispositif de soutien pendant la crise financière, nous n’aurions pas fait mieux que les titres participatifs ! Ces derniers, comme l’a rappelé Mme la rapporteure, relèvent plus d’un sujet de fonds propre que d’un sujet de trésorerie, qui est l’enjeu du moment.
Mais d’autres fois, madame la sénatrice, on est allé trop loin, comme je l’ai reconnu avec beaucoup d’humilité. Je pense, par exemple, au dispositif de réduction de loyer de solidarité, la RLS. La mise en place d’une clause de revoyure en avril dernier nous a permis de tomber d’accord avec l’ensemble des familles d’HLM.
Aujourd’hui, les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2019, avec les familles de bailleurs sociaux, nous nous étions fixé le lancement de 110 000 constructions. À l’époque, nous en étions à 109 000. Cette même année, la part des prêts locatifs aidés d’intégration (PLAI) concernait pratiquement 34 000 logements – les logements les plus sociaux – contre 33 342 en 2018. Il s’agissait de la troisième meilleure année depuis le début des années 2000. C’était là aussi un objectif que nous nous étions fixé, d’autant plus important qu’il concerne les logements les plus abordables parmi les logements sociaux.
Les chiffres ont été publiés il y a quelques jours : sur les trois mois précédant le début du confinement, nous avons enregistré une augmentation significative de la dynamique du logement de manière globale, avec une hausse de 10 % des autorisations d’urbanisme. Cette dynamique s’est confirmée sur l’ensemble de l’année 2019 : après de nombreux mois et de nombreuses années de difficultés dans le domaine du logement, la reprise était là !
Au-delà du logement social, d’autres mesures ont été prises. Je pense à l’encadrement des loyers, qui n’a pas été évoqué, mais qui a fait l’objet de longs débats dans cette enceinte. Je pense aussi au formidable dispositif des organismes de foncier solidaire cher à Marie-Noëlle Lienemann avec qui je me suis rendu à Espelette. J’ai d’ailleurs constaté avec beaucoup de satisfaction que la Mairie de Paris a décidé de copier ce qui se fait à Espelette. J’appuie avec force de telles initiatives depuis de nombreuses années, conformément aux positions que le ministre de l’économie de l’époque, Emmanuel Macron, et moi-même avions défendues dans cet hémicycle lors de l’examen de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron.
Outre la question du logement abordable, se pose également le problème de l’appui social pour les personnes les plus pauvres et les plus fragiles. La question des APL, madame la sénatrice, est directement abordée dans votre proposition de loi. Mais ce n’est pas le seul souci, comme vous l’avez souligné, puisqu’elle pose, par exemple, le problème des personnes les plus démunies, à savoir les sans-abri.
Songez qu’hier soir, madame la sénatrice, 180 000 personnes – je dis bien 180 000 personnes ! – ont été accueillies dans les dispositifs de mise à l’abri. Pendant la période de confinement, nous avons ouvert 22 000 places supplémentaires qui permettent d’atteindre ces 180 000 places en réquisitionnant, notamment, bon nombre de chambres d’hôtel.
Sur la question des APL, j’ai plusieurs convictions.
Premièrement, les APL ne sont pas un minima social, mais sont une aide, très importante, distribuée à 6,5 millions de personnes. Madame la rapporteure, le revenu universel d’activité (RUA) n’est pas que le regroupement des minima sociaux : c’est le filet de sécurité. C’est un point important.
Deuxièmement, je fais partie de ceux qui pensent, contrairement à ce que prétendent de nombreuses études, que les APL n’ont pas d’effet inflationniste, excepté peut-être sur les surfaces de petite taille. L’argument du caractère inflationniste ne doit donc pas servir à remettre en cause les APL.
Troisièmement, les APL ne doivent surtout pas nous faire oublier que notre objectif est de produire du logement abordable et pas uniquement de subventionner les loyers parce que, in fine, nous n’aurions pas été capables de produire du logement abordable. L’un et l’autre sont nécessaires et sont les deux piliers des politiques à avoir en la matière, il est très important de le souligner de nouveau.
Quatrièmement, le public éligible aux APL doit être particulièrement soutenu. Je me suis beaucoup battu pour que les familles bénéficiant des APL puissent être également éligibles à l’aide exceptionnelle de solidarité que nous avons versée le 15 mai dernier. Au total, 4 millions de familles, dont 5 millions d’enfants, en ont bénéficié.
De la même manière, des erreurs ont été commises en ce qui concerne les APL. Je pense à la réduction de 5 euros : c’était une mauvaise décision, il faut le reconnaître, je l’ai déjà admis et je le redis bien volontiers devant vous. Mais surtout, nous avons laissé se mettre en place depuis de nombreuses années un système extrêmement complexe. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a déjà examiné le tableau des APL, mais il faut un doctorat en Excel pour le comprendre !
Le plus scandaleux est que les APL aujourd’hui se calculent en fonction des revenus perçus il y a deux ans. C’est la fameuse question de la contemporanéité des APL. On m’explique par A plus B que certains facteurs permettent de réduire et de compenser cela, mais c’est précisément ce qui rend le système extraordinairement complexe et fait d’énormes trous dans la raquette ! Il importe donc – c’est ce que nous avons fait – de régler le problème à la racine et de faire en sorte que les APL soient calculées en temps réel.
Je le dis de manière très ferme : cette réforme est aujourd’hui prête, même si nous l’avons décalée. Nous ne l’avons pas lancée le 1er avril, comme c’était initialement prévu : pourquoi ? Tout simplement parce que les personnes chargées de la mettre en œuvre sur le terrain sont les employés des caisses d’allocations familiales (CAF).
Je devais appuyer sur le bouton le 10 mars pour lancer la réforme au 1er avril : je vous laisse vous remémorer la situation de notre pays à cette date ! Or ce sont les personnes qui géraient par exemple les aides sociales que j’évoquais ainsi que tout l’accompagnement de nos concitoyens durant la crise qui devaient aussi mettre en œuvre la réforme. Les caisses d’allocations familiales ont été extrêmement sollicitées pendant cette période, il n’était pas raisonnable de leur en demander davantage.
C’est pourquoi nous avons pris un décret repoussant jusqu’à la fin de cette année la mise en œuvre de la réforme. Mon objectif est aujourd’hui la mettre en place le plus rapidement possible, sans attendre la fin de l’année.
Cette réforme est d’autant plus importante aujourd’hui. Elle a été présentée, je l’ai souligné à plusieurs reprises, sous un prisme budgétaire, mais ce n’est pas juste. Car vouloir faire en sorte que les allocations soient versées en fonction des ressources actuelles est avant tout une réforme politique. Je l’ai précisé dans cet hémicycle en réponse à plusieurs questions d’actualité au Gouvernement : s’il y avait un retournement de cycle, ce que personne n’espère, cette réforme deviendrait coûteuse.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais c’est ce que nous sommes en train de vivre ! Vous ne l’appliquerez pas !
M. Julien Denormandie, ministre. Je n’ose même pas vous répondre ! Madame Lienemann, nous nous connaissons suffisamment : vous savez très bien que ce ne sera pas le cas ! Cette réforme sera appliquée avant la fin de l’année, l’objectif étant de la mettre en œuvre dès cet automne. Elle est prête, il n’y a plus qu’à appuyer sur le bouton. Elle est d’autant plus nécessaire que nos concitoyens, les Français qui se retrouvent dans la difficulté aujourd’hui, pourront, grâce à elle, bénéficier du montant d’aide correspondant aux difficultés qu’ils traversent.
Enfin, pour terminer, je ne suis pas d’accord avec l’article 1er de la proposition de loi. Des dérogations existent déjà sur le délai de carence, comme Mme la rapporteure l’a souligné. Je n’entrerai donc pas dans le détail.
En ce qui concerne l’article 2, qui vise à revenir sur l’application d’un seuil de non-versement aujourd’hui fixé à 10 euros, je partage l’avis de Mme la rapporteure, qui a déposé un amendement de suppression.
L’article 3 a été supprimé par la commission. Je crois que le groupe CRCE en a compris la raison.
Quant à l’article 4, qui tend à revenir sur les mesures de limitation de revalorisation des barèmes, vous ne serez pas étonnés que je renvoie ce débat au projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui comporte des mesures visant à améliorer le régime des aides au logement. Ces dispositions sont importantes, car elles sont porteuses de justice sociale et d’équité. Elles sont d’autant plus nécessaires qu’elles interviennent dans un contexte de début de crise économique et sociale.
La pandémie et les mesures prises pour l’endiguer ont eu de graves effets sur notre économie, mais aussi sur celles de nos voisins et partenaires économiques. L’économie française va faire face à une récession jugée historique il y a quelques jours par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire.
Avec une contraction de 11 % du PIB en 2020, ainsi qu’un déficit public d’au moins 9 % et une dette publique aux alentours de 115 %, la crise économique qui est devant nous aura malheureusement des conséquences fortes sur les ménages. Or le logement demeure l’un des premiers postes de dépenses des Français. C’est donc notamment dans ce domaine qu’il faut apporter un soutien aux plus fragiles de nos concitoyens.
Au-delà de son caractère social, la politique du logement est également un outil majeur de relance économique. Elle apporte un soutien actif au secteur du bâtiment et à de nombreux corps de métier. Certains bailleurs sociaux qui maillent nos territoires sont déjà très vulnérables ; ils le seront encore davantage en cas de crise. Ils sont des acteurs importants de l’aménagement de nos territoires. Il faut donc soutenir leur capacité d’intervention, d’investissement et de rénovation.
Les aides au logement sont un pilier ancien et essentiel de la politique sociale française. Elles sont inscrites dans le paysage français depuis 1948. En 2018, ce sont 17 milliards d’euros qui étaient versés à un peu plus de 6 millions de bénéficiaires. Il importe donc de ne pas faire de petites économies sur les aides sociales au logement, car elles sont souvent lourdes de conséquences.
La proposition de loi que nous examinons comportait deux mesures qui ont été supprimées en commission.
Il s’agissait, en premier lieu, de la suppression du seuil de non-versement de l’APL fixé à 10 euros. Même si j’approuve son objectif, qui est à première vue louable, cette disposition doit toutefois être confrontée à un principe de réalité et de bonne gestion des fonds publics, notamment au regard du coût de gestion qui est supérieur à l’aide versée. Je partage donc pleinement l’avis de la commission et de Mme la rapporteure.
Il s’agissait, en second lieu, de maintenir le versement de l’APL en cas de loyers impayés. La commission a heureusement supprimé cette disposition, qui vidait de sa substance le principe même d’une aide au logement. Si le loyer n’est pas payé, comment pourrait-on justifier le versement d’une telle aide, qui vise à couvrir partiellement le paiement du loyer ? Je suis conscient de la nécessité d’appréhender les difficultés de paiement des loyers pour certains foyers en ces temps à venir, mais une telle mesure ne me semble pas opportune.
Outre ces suppressions pertinentes, la commission a approuvé deux mesures auxquelles je souscris totalement.
Le versement de l’APL pour le premier mois de loyer me semble tout à fait justifié : si l’aide est due, elle doit être payée dès que les conditions sont remplies. C’est là aussi une question de justice et d’équité.
Je suis également favorable au rétablissement de l’indexation de l’APL sur l’indice de révision des loyers. Pour garder toute son efficacité, le montant de cette aide doit être réactualisé régulièrement. C’est là aussi un enjeu d’équité, car cette non-indexation conduit inexorablement à voir s’éroder le montant relatif de l’APL, alors même que les loyers, eux, peuvent faire l’objet d’une indexation.
Nous avons fait face ensemble à la crise sanitaire. Pour tenir face à la crise économique, nous avons besoin de soutenir les entreprises, bien évidemment, mais aussi les ménages, car ils sont un des moteurs importants de la consommation et donc de la croissance.
Dans ce sens, l’APL accession était un dispositif utile dont je regrette la disparition. Il permettait aux ménages les plus modestes d’accéder plus facilement à la propriété. Les différentes composantes de notre société sont interdépendantes ; il importe de n’en négliger aucune.
Cette proposition de loi ne suffira pas à régler toutes les difficultés, mais elle contribuera utilement à préserver la situation des plus fragiles de nos concitoyens et permettra un certain nombre d’ajustements du dispositif des aides au logement. Nous voterons donc le texte tel qu’il a été amendé par la commission et sur proposition de Mme la rapporteure.