Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis quelques années, les jeunes connaissent un engouement particulier pour le secteur de l’apprentissage.
Entre 2018 et 2019, le nombre de contrats d’apprentissage signés a ainsi progressé de 16 %, portant à plus de 480 000 le nombre d’apprentis. Cet engouement s’explique notamment par un taux d’insertion sur le marché de l’emploi des apprentis de près de 75 %, ce qui en fait un puissant levier pour l’accès à l’emploi.
La crise sanitaire que traverse notre pays est venue compromettre cette amélioration et fragiliser cette voie d’accès particulièrement importante pour l’emploi des jeunes. Avec l’arrêt brutal de notre économie, de nombreuses entreprises sont contraintes de revoir – et on peut les comprendre – leurs priorités en matière d’embauche. C’est notamment le cas des PME, des TPE et des artisans, principaux viviers de l’apprentissage. L’incertitude comme le manque de visibilité économique sur leur trésorerie empêchent forcément ces petites entreprises d’envisager l’embauche d’un apprenti.
Dans cette optique, l’Association nationale des apprentis de France craint une baisse de 20 % du nombre d’apprentis à la prochaine rentrée, faute d’entreprises susceptibles de les embaucher. Des solutions sont mises en avant pour permettre aux jeunes de rejoindre une formation, notamment l’allongement à un an, au lieu de trois mois, du délai dont ils disposent en s’inscrivant dans les CFA pour trouver un employeur et signer un contrat.
Dans quelle mesure, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous proposer de nouveaux moyens, notamment financiers, pour soutenir ce secteur ? Envisagez-vous véritablement d’assouplir les conditions d’accès à l’apprentissage ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Bonhomme, je veux vraiment redire que l’apprentissage, qui est notre grande priorité en matière de formation des jeunes depuis 2017, et que nous avons fait décoller l’an dernier avec des chiffres absolument inédits que vous avez rappelés, est encore une grande priorité dans le cadre de la crise que nous traversons. Il en sera question demain, lors de l’échange du Président de la République avec les partenaires sociaux.
Il faut soutenir les entreprises, y compris financièrement, pour le recrutement d’apprentis et les centres de formation dont nous avons besoin pour l’avenir et dont le modèle économique risque d’être déstabilisé.
Il faut continuer à accompagner les apprentis en soutenant cette voie. Nous avons pris des mesures, voilà quelques mois, comme l’aide au permis de conduire. Il faut continuer de valoriser cette voie auprès des jeunes. Tels sont nos objectifs.
Pour ce qui est du détail, je vous demande de bien vouloir patienter jusqu’à demain : des mesures seront annoncées à l’issue de la rencontre avec les partenaires sociaux. Mais vous avez bien compris que l’État sera au rendez-vous et continuera d’investir, même encore davantage, dans l’apprentissage pour être en mesure d’accueillir au moins autant de jeunes cette année que l’an dernier. Il s’agit d’un objectif très ambitieux au regard de la crise que nous traversons, mais c’est aussi un objectif essentiel pour mobiliser l’ensemble du secteur et continuer de bénéficier de cette voie d’excellence au service de nos entreprises et de nos jeunes.
Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme, pour la réplique.
M. François Bonhomme. Monsieur le secrétaire d’État, je partage bien évidemment votre acte de foi, mais nous aimerions en savoir un peu plus, même s’il va vraisemblablement nous falloir attendre demain.
Ce qui s’annonce est tout de même exceptionnel. Je vous donne acte de l’amélioration du nombre de contrats d’apprentissage ces dernières années, mais l’arrêt brutal de l’économie va causer de véritables dégâts chez les jeunes : 700 000 d’entre eux vont arriver sur le marché du travail dans les conditions qu’on imagine. Comme l’a souligné M. Chevrollier, 300 000 apprentis vont sans doute se retrouver sur le carreau.
L’enjeu de la rentrée sera considérable. J’espère que les mesures qui vont être annoncées seront à la hauteur et qu’il ne s’agira pas simplement d’un acte de foi ou de propos par trop incantatoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le secrétaire d’État, je profite de ce débat pour attirer votre attention sur les missions locales, structures au cœur de la prise en charge de nos jeunes de 16 à 25 ans parfois très éloignés de la formation et de l’emploi.
Malgré le contexte de crise sanitaire, les missions locales sont pleinement engagées dans leur mission à destination des jeunes et je souhaite rappeler qu’elles sont des actrices importantes au plus près du terrain.
Certaines ont fait preuve d’une grande capacité d’adaptation pendant cette période et ont su innover sur certains dispositifs, notamment en digitalisant la garantie jeunes ou en développant des forums virtuels de l’alternance.
À ce jour, elles ont manqué de soutien de leur ministère de tutelle dans le cadre de leur adaptation à l’épidémie de Covid-19 : leurs frais liés à la crise n’ont pas été pris en charge, au seul motif que les missions locales ne sont que délégataires d’une mission de service public. Je souhaitais rappeler cette injustice, monsieur le secrétaire d’État.
En parallèle, un premier bilan a été établi confirmant le maintien du lien avec les jeunes en cette période. En revanche, on constate une baisse significative, de plus de 50 %, des propositions faites aux jeunes en raison de la fermeture des organismes de formation, des CFA et de la diminution des offres d’emploi.
Cette situation doit nous alerter sur les résultats : les indicateurs négociés dans le cadre de la convention pluriannuelle d’objectifs sont, à ce jour, totalement inappropriés. Or le financement est lié à ces mêmes indicateurs de performance qui ne seront évidemment pas atteints en raison de la crise sanitaire. Nous devrons donc considérer des indicateurs plus réalistes sur les évaluations des actions menées.
Monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement compte-t-il faire évoluer ces indicateurs pour mieux les adapter aux territoires et à leur réalité ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Madame de Cidrac, je vous remercie de mettre l’accent sur le rôle structurant des missions locales qui accompagnent les jeunes vers l’insertion, y compris durant cette crise.
C’est un sujet que vous connaissez bien, puisqu’il me semble que vous présidez vous-même une mission locale. J’étais la semaine dernière dans l’une d’entre elles, à Sartrouville,…
Mme Marta de Cidrac. C’est mon territoire !
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. … et j’ai pu échanger avec les personnes qui y travaillent. Durant le confinement, et alors que les missions étaient fermées, l’ensemble des salariés des missions locales a fait preuve d’une mobilisation absolument exceptionnelle pour rester en contact, par téléphone, avec les jeunes.
Je crois que 400 000 jeunes au total ont été appelés en France chaque semaine pour que le fil ne se rompe pas et pour leur permettre, une fois levé le confinement, de revenir dans les missions locales et continuer d’y être accompagnés. Je tiens vraiment à saluer cette mobilisation. J’ai eu l’occasion de le dire à Jean-Patrick Gille, voilà quelques jours, en visioconférence. Cette mobilisation exemplaire a été absolument essentielle pour les jeunes.
Vous m’interrogez sur l’avenir. J’ai déjà beaucoup évoqué la garantie jeunes et dit combien nous souhaitions continuer d’investir dans ce très beau dispositif.
La crise que nous vivons aujourd’hui fait naître des difficultés supplémentaires. Vous avez rappelé que le mode de financement de la garantie jeunes dépend des « sorties positives » des jeunes. Alors que nous rencontrons des difficultés de débouchés en matière de formation et d’emploi, ces « sorties positives » vont être plus difficiles. De même, alors que les débouchés se réduisent, il peut être important pour un jeune, sinon essentiel, de rester plus longtemps en garantie jeunes.
Je ne peux pas faire d’annonce aujourd’hui. Nous sommes en train d’y travailler avec les acteurs concernés. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je discutais avec Jean-Patrick Gille. Je peux simplement vous dire que Muriel Pénicaud et moi-même sommes très ouverts quant aux modalités de la garantie jeunes, à la fois en ce qui concerne la durée d’accompagnement des jeunes, y compris financièrement, et sur les différents indicateurs qui permettent de financer les missions locales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, mais je souhaiterais vraiment m’assurer que l’on regardera de près tous ces indicateurs qui ne sont pas tout à fait appropriés aujourd’hui. Nous comptons sur vous.
Par ailleurs, la prochaine fois que vous viendrez dans les Yvelines, n’hésitez pas à me faire signe ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en ma qualité de dernier intervenant, je tiens à remercier le groupe socialiste et républicain d’avoir organisé ce débat.
Nous avons abordé beaucoup de sujets d’importance. Comme plusieurs de nos collègues, mes interrogations portent sur le service civique et sur le service national universel (SNU).
Monsieur le secrétaire d’État, voilà quelques mois, lors de votre passage dans les Ardennes, vous avez rencontré des enseignants, des lycéens – à Bazeilles – et des représentants du monde associatif, notamment des associations patriotiques et de mémoire, et les départements pilotes.
Voilà quelques années, alors que Michèle André présidait la commission des finances du Sénat, la Cour des comptes avait publié un rapport sur la Journée défense et citoyenneté (JDC). Or la JDC ne dure qu’une journée, ce qui peut poser problème. J’aimerais savoir comment vous envisagez de susciter des vocations, en concertation avec le ministère de l’éducation nationale, le ministère de la défense et les différents partenaires.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État auprès du ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse. Monsieur Laménie, je vous remercie d’avoir parlé du service national universel, lequel avait aussi été évoqué rapidement par André Gattolin.
Le SNU, qui a vocation à permettre à notre jeunesse de comprendre tout ce qu’elle peut apporter à son pays, est plus que jamais d’actualité. Durant le confinement, nous avons vu des jeunes très engagés venir en aide aux autres. Il faut continuer de parier sur cet élan.
Le service national universel aura bien lieu cette année, dans des conditions adaptées : pour des raisons sanitaires évidentes, nous avons reporté à l’automne – en espérant qu’il puisse se tenir à ce moment-là – le séjour de cohésion par lequel devaient commencer les jeunes, regroupés et encadrés par des militaires, par des associatifs et par des personnels de l’éducation nationale, et qui implique une mobilité très importante sur le territoire.
Nous avons choisi d’avancer à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet la mission d’intérêt général. En effet, vous le savez, cette première phase comporte deux temps et, dans le cadre de la mission d’intérêt général, les jeunes doivent aller dans une association ou auprès d’un corps en uniforme pour apporter leur aide. Nous développerons de grandes causes, en lien avec la crise que nous vivons. Bien évidemment, l’intergénérationnel et le lien avec nos aînés, ainsi que le soutien aux plus vulnérables et l’environnement seront visés. Les plus de 10 000 jeunes du service national seront sur le terrain dès le début du mois de juillet pour accomplir leur mission d’intérêt général.
Vous avez également abordé la question de la JDC. Je le rappelle, le service national universel a vocation à remplacer la JDC, laquelle disparaîtra progressivement. D’ailleurs, les jeunes qui ont fait leur service national l’an dernier et ceux qui le feront cette année seront dispensés de cette Journée défense et citoyenneté.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée pour envoyer un message rassurant aux jeunes qui auraient dû faire leur JDC pendant le confinement et qui en ont été empêchés. S’ils se demandent si cela les freinera pour l’obtention de certains diplômes ou de leur permis de conduire, je leur réponds qu’une adaptation sera mise en place, afin de leur éviter tout préjudice, notamment pour ce qui concerne le baccalauréat.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour la réplique.
M. Marc Laménie. Je souhaite rebondir sur vos différentes interventions, monsieur le secrétaire d’État.
Pendant la période très difficile que nous venons de vivre, de nombreux jeunes ont fait preuve d’engagement et de dévouement, pour aider. Je pense bien sûr aux soignants, qui étaient en première ligne, mais aussi à tous les autres.
Les dispositifs tels que la JDC ou le SNU permettent également de susciter des vocations, notamment dans les forces de sécurité ou les sapeurs-pompiers. On le sait, la tâche reste immense.
Conclusion du débat
Mme la présidente. En conclusion de ce débat, la parole est à Mme Sylvie Robert, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Sylvie Robert, pour le groupe socialiste et républicain. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il me revient la lourde tâche de conclure. Je veux d’abord vous remercier, mes chers collègues, d’avoir participé à ce débat et d’avoir posé des questions absolument essentielles.
Si notre groupe a souhaité mettre en lumière la question de la jeunesse, c’est parce que nous considérons que c’est un sujet essentiel. Nos échanges l’ont montré, en situation de crise, les jeunes paient toujours un lourd tribut et sont durement frappés. Comme le disait Patrick Boucheron sur une radio de service public – vous l’avez peut-être entendu ce matin –, faisons en sorte que cette génération ne soit pas sacrifiée.
Les jeunes sont fragilisées à plus d’un titre. Tout d’abord, à titre individuel, ils sont le réceptacle indirect et presque mécanique des dommages causés par la crise, singulièrement sur leurs parents. La période de confinement a fragilisé la jeunesse et produit de nombreuses fractures.
Ces fractures sont d’abord éducatives. Le nombre de décrocheurs a augmenté. La mise en œuvre d’un nombre important de mesures sera nécessaire pour les rattraper. La semaine dernière, nous avons évoqué les doctorants qui ont arrêté leur thèse et les étudiants. Les efforts ne devront pas peser sur les établissements, grâce à une véritable solidarité nationale.
Ces fractures sont aussi numériques. Ma collègue Viviane Artigalas en a parlé, il s’agit d’une fracture numérique globale, qui n’est pas limitée au domaine de l’éducation. Nous le savons, derrière ce problème, se cache également la question de l’accès aux droits.
Ces fractures sont aussi économiques et sociales. Je ne reviendrai pas sur les pertes d’emploi des étudiants, des apprentis et des stagiaires, qui ont ainsi vu se tarir une source de revenus substantielle.
Enfin, ces fractures sont civiques et culturelles. Ainsi, de nombreux festivals ont été annulés et leurs bénévoles ne sont plus sollicités. Ces moments d’insertion dans les manifestations et, plus généralement, dans la société disparaissent de fait.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé un plan de relance en faveur de la jeunesse. Dont acte. Vous avez esquissé certaines pistes, soulignant que plusieurs points n’étaient pas encore tranchés, des dispositifs nouveaux devant être proposés avant l’été. Nous les attendons avec beaucoup d’impatience ! Mes collègues ici présents seront très vigilants sur leur portée.
Forcément, ces dispositifs seront généraux, mais aussi spécifiques pour les plus vulnérables. Ils seront nécessairement mis en place dans le cadre d’un accompagnement éducatif. Je pense au « oui si » pour les étudiants en licence, qu’il faudra renforcer, éventuellement par des périodes de remédiation. L’accompagnement devra également être financier et social. Nous avons évoqué les 200 euros. Ne conviendrait-il pas de reconduire rapidement cette mesure, peut-être en élargissant son périmètre ?
Il faudra aussi soutenir les Crous, qui ont beaucoup œuvré. Veillons à ce qu’ils ne soient pas fragilisés à la rentrée. Une prolongation exceptionnelle des bourses sera sans doute nécessaire pour les mois de juillet et d’août, avec une stabilisation de leur montant par échelon.
Il faudra encore renforcer l’accompagnement médico-social et relancer la mobilité des jeunes.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez évoqué l’insertion des jeunes par l’emploi. Le rétablissement du dispositif d’aide à la recherche du premier emploi, qui a été supprimé en 2018, fera-t-il partie des mesures que vous prendrez ?
Vous vous êtes également arrêté sur l’apprentissage. Les mesures seront annoncées demain. Attendons donc ! Il faudra aussi prévoir une aide financière à destination des jeunes qui veulent entreprendre, car il sera difficile pour eux de se réinsérer dans le marché du travail.
Expérimentons, en attendant le revenu universel d’activité de 2023, dont Mmes Brulin et Féret ont parlé. Allons-y, il faut aider les 18-25 ans !
Bien sûr, je n’oublie pas l’urgence en matière de logement, question particulièrement importante.
Il faudra aussi développer le service civique, peut-être en déployant les crédits dédiés au service national universel, Jacques-Bernard Magner l’a dit et redit.
Sûrement faudra-t-il aussi relancer, monsieur le secrétaire d’État, les emplois aidés, surtout dans les quartiers prioritaires, comme le disait ma collègue Annie Guillemot. Il y a là un vrai sujet.
En conclusion, pour reprendre les mots de Pierre Bourdieu, « la jeunesse n’est qu’un mot », mais c’est une promesse et nous devons nous montrer à la hauteur, car il s’agit d’une ressource formidable. Nous attendons, monsieur le secrétaire d’État, que vous soyez au rendez-vous, car la jeunesse a déjà montré, par son engagement et sa solidarité, qu’elle est pour nous un atout indispensable. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. Exceptionnellement, je donne la parole pour quelques instants à M. le secrétaire d’État.
M. Gabriel Attal, secrétaire d’État. Je vous remercie, madame la présidente. Bien qu’il ne soit pas d’usage de reprendre la parole, je veux remercier encore une fois le groupe socialiste d’avoir inscrit ce débat à l’ordre du jour. Je remercie également chacun d’entre vous de ce débat utile et particulièrement enrichissant.
J’en retiens que la jeunesse, son avenir, son autonomie sont une grande cause qui nous rassemble par-delà les clivages politiques. Bien évidemment, nous ne serons pas toujours d’accord sur les dispositifs qui seront activés et les leviers que nous choisirons d’actionner. Quoi qu’il en soit, l’objectif d’accompagner encore mieux les jeunes dans un moment de crise extrêmement difficile pour notre pays nous rassemble. Nous aurons besoin de cette concorde et de ce rassemblement dans les mois à venir.
De mon côté, je serai très ouvert à toutes les propositions que vous pourrez faire. La conclusion de Mme Robert a permis d’en évoquer encore de nouvelles et certaines sont très intéressantes. Je ne dirais pas lesquelles, afin de ne rien dévoiler, mais je vous assure que les mesures arriveront très vite. Demain, une première série, massive, de mesures en faveur de l’apprentissage sera annoncée par le Président de la République. D’ici à la fin du mois, je proposerai un plan global.
Mme Guillemot a commencé le débat en citant Jean Jaurès. Je voudrais le terminer en citant Léo Lagrange : « Aux jeunes, ne traçons pas un seul chemin, ouvrons-leur toutes les routes. » Cette crise difficile pour les enfants et les jeunes ne doit pas les conduire à penser qu’il n’y a pour eux qu’une voie de garage, une voie sans perspective.
Nous aurons la responsabilité d’« investir » toute la palette des dispositifs en faveur de l’autonomie des jeunes – formation, insertion, engagement civique –, afin qu’ils aient toujours le choix de construire leur vie comme ils l’entendent.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Quelles nouvelles politiques publiques à destination de la jeunesse afin d’aider ces publics particulièrement exposés dans la prise en charge des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire ? »
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
6
Imposition de solidarité sur le capital
Rejet d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste et républicain, d’une proposition de résolution demandant au Gouvernement de mettre en œuvre une imposition de solidarité sur le capital afin de renforcer la justice fiscale et sociale et de répondre au défi de financement de la crise sanitaire, économique et sociale du Covid-19 présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Patrick Kanner, Vincent Éblé, Claude Raynal, Jacques Bigot et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 457).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution.
M. Vincent Éblé, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la théorie économique qui fonde depuis 2017 l’action du Gouvernement mérite le nom de fable.
Madame la secrétaire d’État, votre gouvernement a fait du ruissellement son credo, l’alpha et l’oméga de votre politique non seulement économique, mais aussi sociale.
L’idée que, lorsque les pouvoirs publics favorisent l’enrichissement des plus aisés de nos compatriotes, il en découle un effet économique positif indirect pour l’ensemble de la population est une mystification, car personne, jamais, ne l’a observé.
Schématiquement, il s’agit de la croyance magique selon laquelle, lorsque l’une des toutes premières fortunes de France gagne 70 millions d’euros, chaque Français en gagne un.
Je voudrais tout d’abord m’attarder sur le fondement philosophique de cette théorie. Quand bien même ces résultats seraient assurés, ce qui bien sûr n’est pas le cas, vous ne semblez pas voir, plus précisément vous ne voulez pas voir, l’aggravation des inégalités qui découle inéluctablement d’une telle politique économique. C’est d’autant plus regrettable que l’ensemble des études attestent le creusement, aujourd’hui, de l’écart de richesse dans notre pays.
Dans sa Critique de la raison pure, Emmanuel Kant distingue le savoir, l’opinion et la croyance. Il indique que le savoir est objectivement et subjectivement suffisant, quand l’opinion est pour sa part objectivement insuffisante et subjectivement suffisante. Quant à la croyance, elle est objectivement et subjectivement insuffisante. À ce stade de notre analyse, la théorie du ruissellement est donc, au mieux, une opinion.
J’en arrive maintenant au rapport d’information remis voilà seulement huit mois par le binôme politiquement différent constitué du rapporteur général de la commission des finances, Albéric de Montgolfier, et de votre serviteur sur un premier bilan du remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU). Il apporte en près de 400 pages une certitude économique indépassable.
Ce travail a en effet démontré qu’il n’y a pas de ruissellement. Il permet également de mettre en relief une forme d’hypocrisie du Gouvernement en la matière, puisque cet état de fait était déjà révélé à Bercy par le logiciel Mésange et nous avait été communiqué. Ce logiciel ne prévoyait que des résultats très modestes, pour ne pas dire quasi nuls, à long terme, sur vingt ans : hausse de 0,5 point de PIB et création de 50 000 emplois seulement.
Ainsi, la théorie du ruissellement n’est plus, madame la secrétaire d’État, qu’une croyance parfaitement insuffisante pour légitimer la conduite d’une politique publique d’allégement constant et déterminé de la fiscalité des Français les plus riches.
Par la réforme fiscale de la loi de finances pour 2018, vous avez prétendu soutenir notre économie nationale. Mais vous avez sorti du champ de l’impôt sur la fortune de nombreux capitaux et actifs, y compris des biens de consommation de luxe tels que yachts, voitures de course, chevaux yearling, métaux précieux, titres de dette souveraine d’États étrangers, soit des objets et matières purement spéculatifs et parfaitement improductifs pour notre économie nationale, alors que, paradoxalement, d’autres capitaux et biens, productifs et concrètement utiles à l’économie et à l’emploi, sont taxés au titre de l’imposition foncière que vous avez créée : il s’agit des locaux industriels et commerciaux, des immeubles de bureaux ou d’habitation.
En définitive, l’imposition du capital en France est donc aujourd’hui fondée sur une théorie parfaitement fumeuse et se traduit par un dispositif totalement contradictoire avec l’intention exposée initialement de favoriser notre économie.
Aujourd’hui, le Gouvernement nous ayant refusé le bénéfice de l’urgence qu’il s’accorde à lui-même en permanence, c’est finalement une proposition de résolution plutôt qu’une proposition de loi qui nous permet d’échanger sur les principes et les intentions plutôt que sur un dispositif législatif déjà opérationnel. C’est un bien pour un mal, car nous voulons échanger et convaincre à la fois le Gouvernement et la majorité sénatoriale de la nécessité d’une telle réforme.
Nous ne souhaitons pas la reproduction de modalités fiscales anciennes. Nous sommes en effet tout à fait disposés à amender et infléchir une nouvelle loi pour un dispositif entièrement nouveau. L’important est de bien considérer les objectifs fixés, car l’acceptabilité est centrale en matière fiscale.
C’est d’ailleurs dans cette perspective, et parce qu’il ne doit y avoir ni totem ni tabou en la matière, que nous avons volontairement écarté, mes chers collègues, l’appellation d’impôt de solidarité sur la fortune, qui chagrine certains d’entre vous et présente le risque de laisser croire à un retour en arrière sans rapport avec notre intention.
J’évoquerai également la conjoncture économique à deux niveaux. Tout d’abord, l’ensemble des travaux économiques récents – je pense bien évidemment à ceux de Thomas Piketty, que l’on ne peut pas, me semble-t-il, taxer de légèreté – témoignent d’un accroissement des inégalités en France, et plus généralement dans le monde occidental, découlant principalement d’une forte hausse des inégalités patrimoniales.
Pas étonnant que, fort de ces analyses, cet économiste fasse partie, avec Esther Duflo, prix Nobel française d’économie, des personnalités qui appellent de leurs vœux la création d’un impôt sur le capital. J’entends même des voix s’exprimer sur ce thème au sein de votre majorité présidentielle ! Les idées justes ne peuvent pas être écartées d’un revers de la main ou par une simple affirmation idéologique contredite par les faits.
Aujourd’hui mes chers collègues, je vous le dis tel que je le pense, exclure de nos travaux ces questions serait irresponsable. C’est pourquoi, vous le savez, le groupe socialiste et républicain a travaillé ces derniers mois sur des sujets connexes tels que les droits de succession, un ISF 2.0 ou encore les encours d’assurance vie qui découlent ou témoignent, en fonction des points de vue, de la hausse des inégalités.
Se pose ainsi la question de rétablir l’équité contributive à l’impôt, gravement mise à mal. Cette nécessité est fortement ressentie, à raison, par nos concitoyens. La crise des « gilets jaunes » s’en est fait le puissant et profond révélateur. Il existe dans notre société un sentiment très fort selon lequel ce seraient toujours les mêmes qui paieraient l’impôt, les plus fortunés en étant largement exonérés. Or la politique, si elle est l’art du possible, est aussi celui des symboles et des mobilisations construites autour des représentations et des convictions.
Il est difficile – c’est un euphémisme – de contredire ce ressenti quand on constate les exonérations massives dont bénéficie aujourd’hui le premier décile – et a fortiori le premier centile – des contribuables français.
Le groupe socialiste et républicain estime en ce sens que nous avons collectivement, mes chers collègues, le devoir de rétablir une imposition juste et équitable en fonction des ressources réelles de nos compatriotes. Les plus fortunés doivent prendre toute leur part, ni plus ni moins. Cela est particulièrement vrai pour les très, très, très riches, dont la capacité contributive est certaine, ne nous mentons pas à nous-mêmes.
Repenser une imposition de solidarité sur le capital n’est pas une question dogmatique, mais seulement une question de nécessité pour que la solidarité de notre société soit entière, au travers de dispositifs fiscaux plus justes.
Ceux qui disent que le produit sera trop faible au regard des besoins du moment se coupent d’une recette utile, car ce sont les petits ruisseaux qui font les grandes rivières. Et nous dire que « le besoin est de plusieurs dizaines de milliards d’euros, donc une petite recette est insuffisante », c’est de l’idéologie pure ! Sous prétexte que la recette ne serait comprise qu’entre 3,5 milliards et 5 milliards d’euros, on devrait l’exclure ?
Je ne comprends pas cet argument, mes chers collègues. Je le comprends d’autant moins que, à la suite du « grand confinement » qu’a connu notre planète, les pouvoirs publics ont un besoin sans précédent de ressources. Or, dans les circonstances actuelles, seul le capital est mobilisable : ni les revenus ni la consommation ne le sont. Rejeter une réflexion sur l’imposition du capital, le stock plutôt que le flux, est un non-sens économique absolu.
Ceux-là négligent au surplus la question pourtant essentielle en matière d’équité contributive des représentations symboliques, desquelles découle l’acceptabilité des dispositifs fiscaux.
Enfin, je dirai quelques mots sur ce que l’on pourrait imaginer. La nouvelle imposition que nous appelons de nos vœux se fonde sur plusieurs principes.
En premier lieu, la progressivité est réaffirmée. Elle permettra de mobiliser le premier centile de manière équilibrée et équitable, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Cela passerait par la suppression du « plafonnement du plafonnement », comme cela fut proposé par le gouvernement Juppé et validé juridiquement par le Conseil constitutionnel, mais aussi par la définition de barèmes distinguant les « petits » riches, et notamment les personnes pouvant se retrouver dans la situation de la veuve de l’île de Ré, pour reprendre un exemple connu de tous.
En second lieu, et je sais toute la vigilance de notre rapporteur général sur ce point, il faut intégrer une distinction entre le capital productif et le capital improductif. Je le dis tel que je le pense : Albéric de Montgolfier a raison sur ce point.
En troisième lieu, il convient de prendre en compte l’enjeu de l’incitation économique, et notamment de l’appréhension du développement durable. Cela existe pour les entreprises, avec la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ce concept nous semble transposable à l’imposition du capital, tout comme les enjeux de la transition écologique. Nous pouvons et nous devons les intégrer à la définition d’une nouvelle imposition sur le capital.
La question des nouvelles recettes à trouver ne doit pas nous affranchir d’une remise à plat significative de notre fiscalité, qui craque déjà depuis beaucoup trop longtemps. Au contraire, la situation exceptionnelle que nous traversons nous oblige à être très ambitieux et à aller au bout d’une refonte totale. C’est notre responsabilité, pour ne pas aggraver une situation déjà tendue et éviter de la léguer aux prochaines générations.
Le groupe socialiste et républicain souhaite conduire cette réflexion majeure. Tel est l’objet de la proposition de résolution que nous vous soumettons. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)