M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Avis défavorable.
Notre intention n’est absolument pas de court-circuiter le Parlement. D’ailleurs, au début de 2019, une procédure semblable a été suivie, qui n’a en rien empêché un dialogue constant, précis, détaillé entre le Gouvernement et le Parlement sur la manière dont les négociations étaient menées en notre nom à tous par Michel Barnier.
En ce qui concerne le caractère d’urgence, je vous rappelle que les négociations ont été suspendues pendant près de deux mois du fait de la crise sanitaire. Certains négociateurs ont même été touchés par la maladie. Elles reprennent aujourd’hui en visioconférence, c’est-à-dire dans des conditions très difficiles. La probabilité de parvenir à un accord d’ici au 31 décembre 2020 s’amenuise, et le calendrier est entouré de nombreuses incertitudes.
Je crois qu’il est du rôle du Gouvernement sur les points qui relèvent strictement du droit national, et non pas européen, et où nous identifions un besoin de protection d’un certain nombre d’acteurs, de prendre le plus en amont possible les dispositions nécessaires, parce que les Français, les entreprises, les acteurs concernés attendent un signal de réassurance. Ils ne doivent pas subir une double peine, les conséquences du Brexit venant s’ajouter à la crise économique qui s’annonce parce que nous aurions failli à prendre des dispositions. Je sais la Haute Assemblée particulièrement vigilante à l’exercice par le Gouvernement de son devoir d’anticipation.
Quant aux ordonnances prises en 2019, elles sont aujourd’hui caduques, et nous ne pouvons donc plus en appliquer les dispositions. Il importe donc de nous permettre d’agir sans délai pour protéger nos concitoyens et nos entreprises. Construire un accord ambitieux et équilibré portant sur un champ aussi large demandera du temps et des compromis ; cela suppose des moments d’incertitude et des difficultés. C’est pourquoi il nous semblait de notre responsabilité de vous soumettre aussi tôt que possible ce projet de loi d’habilitation.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Mes chers collègues, vous n’en serez sans doute pas surpris, le groupe La République En Marche ne votera pas cet amendement du groupe socialiste et républicain.
Je dois avouer que je tombe de ma chaise, quand j’entends ce gloubi-boulga : les négociations sur la sortie du Royaume-Uni relèvent de l’Union européenne ! La France ne traite pas directement ce sujet. Par contre, effectivement, les accords de Lancaster House relèvent bien des relations bilatérales. Je me demande parfois si nos éminents représentants du groupe socialiste et républicain au sein de la commission des affaires européennes sont très présents aux réunions… Les négociations sur la sortie du Royaume-Uni sont conduites par l’Union européenne, les parlements nationaux pouvant présenter des propositions de résolution et, in fine, choisir de ratifier ou non le texte. Le droit européen est ainsi !
Comme je l’ai déjà souligné à propos du sujet des intermittents du spectacle, il est toujours mieux de regarder avec deux yeux. Si les rapporteurs ici présents discutaient avec les membres de la commission des affaires européennes, ils se rendraient compte que réduire le délai des habilitations à sept mois est totalement irréaliste ! Vous n’avez jamais suivi de négociations européennes, pour tenir un discours aussi théorique, qui ne tient pas la route en pratique ! À un moment, il faut se réveiller, discuter et mener un travail inter-commissions. Une commission prend toujours le dessus pour décider selon ses préceptes, qui sont toujours bons, puisque ce sont les siens, mais il serait peut-être intelligent de travailler davantage ensemble. Vous vous rendriez alors compte, madame Jourda, qu’un délai de sept mois, ça ne tient pas la route !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cher André Gattolin, vos propos sonnent bizarrement, comme une provocation. Sur quels sujets les demandes d’habilitation portent-elles ? Le seul sujet, me semble-t-il, qui relève de la négociation européenne, c’est celui du tunnel sous la Manche.
M. André Gattolin. Oui.
M. Jean-Yves Leconte. Les autres ne figurent pas dans le mandat de négociation confié à M. Barnier ou sont d’ordre bilatéral.
En tout état de cause, il faudrait que l’on cesse, en France, de croire qu’une négociation sera menée plus efficacement si elle se déroule hors de tout contrôle parlementaire. Dans cette grande démocratie parlementaire qu’est la Grande-Bretagne, ce contrôle s’exerce de façon très pointilleuse. Devrions-nous dire au négociateur qu’il peut agir comme bon lui semble, notre rôle se bornant à ratifier le texte qui en résultera ? Certainement pas : notre vigilance doit s’exercer à chaque instant. Les habilitations demandées portent sur des sujets qui nous concernent, hormis, je le redis, celui du tunnel sous la Manche, le seul qui relève exclusivement de la négociation menée à l’échelon européen.
Il n’y a aucune donc logique à nous reprocher notre position de cette manière, monsieur Gattolin. Nous souhaitons pouvoir exercer notre contrôle à chaque instant. La plupart des sujets ne relevant pas de la négociation européenne, inscrivons les dispositions concernées en dur dans le texte !
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il ne faut pas tout confondre. Nous n’avons jamais prétendu que les négociations européennes seraient terminées dans sept mois ; nous savons qu’une telle affaire prend du temps. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici : ce qui nous occupe, c’est de définir le délai pendant lequel le Parlement accepte de se dessaisir de son pouvoir législatif pour le laisser exercer par l’exécutif. Nous sommes maîtres de nos choix sur cette question, qui est totalement indépendante du fond des négociations. Nous savons très bien que le Gouvernement peut parfaitement les mener quel que soit le délai prévu par l’habilitation à légiférer par ordonnances.
Ne confondons donc pas les deux sujets. Aujourd’hui, nous traitons de la question du délai. Pour aller au bout du raisonnement, si nous proposons un délai de sept mois, c’est parce que l’accord transitoire en vigueur arrivera à expiration à la fin de l’année – ou pas, nous le saurons en juillet. Au terme de ce délai, il sera toujours temps, pour le Gouvernement, de revenir vers nous. Nous ne faisons pas preuve de mauvaise volonté quant au principe même de l’habilitation ; simplement, il convient de la limiter dans le temps. Fixer le délai à sept mois ne signifie aucunement que la France s’arrêtera de négocier à l’échéance. Je ne crois pas que Boris Johnson soit suspendu à mes propos et en tire une telle conclusion. (Exclamations amusées.)
M. Jean Bizet. Ce n’est pas sûr !
Mme Sophie Primas. Mais si !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je le redis, ne confondons pas entre, d’un côté, le rapport entre l’exécutif et le Parlement, et, de l’autre, les négociations européennes, dans lesquelles le Gouvernement fait pour l’instant bien ce qu’il veut !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Le Gouvernement ne fait pas ce qu’il veut dans les négociations…
Monsieur Leconte, je vous rencontre très régulièrement lorsque je suis auditionnée par la commission des affaires européennes, notamment sur les sujets ayant trait au Brexit. Vous le savez, le Gouvernement n’a nullement décidé de priver le Parlement national d’un quelconque droit de contrôle. Les Vingt-Sept, dont la France, ont choisi de confier à Michel Barnier, le 27 février dernier, un mandat très complet, sur lequel j’ai été auditionnée au Sénat. M. Barnier se rend d’ailleurs dans toutes les assemblées de l’Union européenne où il est invité. Si vous voulez avoir des informations de première main, il se rendra disponible pour venir vous les fournir. Le président Bizet l’invite d’ailleurs régulièrement. La France n’a privé aucun de ses parlementaires d’un quelconque droit d’information. Je tiens vraiment à l’affirmer, ayant l’impression que certains se sentent victimes d’un processus qui n’existe pas.
Par ailleurs, il y a bien un lien entre le PEA, l’assurance-vie et les autres sujets de la négociation : c’est la date à partir de laquelle nous avons besoin de pouvoir nous appuyer sur les mesures concernées. Comme je l’expliquais au président Bizet, j’aurais bien sûr aimé pouvoir inscrire celles-ci dans un texte de loi modifiant le code monétaire et financier, afin de permettre par exemple que, de manière transitoire, les titres de sociétés britanniques demeurent éligibles au PEA et que les épargnants ne soient pas obligés de liquider ces actifs. Dans la période actuelle, je ne suis pas certaine que nos compatriotes aient très envie de vendre des titres d’entreprises dans la précipitation à seule fin de pouvoir rester dans le cadre fiscal du PEA…
Les dispositions que nous devons prendre ne s’appliqueraient qu’au terme de la période de transition : ce sera peut-être le 1er janvier 2021, peut-être le 1er janvier 2022, voire le 1er janvier 2023, puisque les Britanniques ont la possibilité, jusqu’au 1er juillet, de demander une extension d’une ou deux années de la période de transition.
Par conséquent, il existe bien un lien entre les différents sujets, qui tient non pas au contenu des dispositions à prendre, mais au calendrier. Il est très important pour les épargnants, les transporteurs, les acteurs, notamment ceux des secteurs de la défense et l’espace, que nous puissions prendre les mesures nécessaires, liées à des négociations qui sont à la fois incertaines et complexes. Ces négociations, nous entendons bien sûr les mener avec fermeté ; je le dis très clairement, nous n’accepterons pas que les intérêts de nos pêcheurs et de nos agriculteurs soient sacrifiés en raison d’une décision politique qui n’est ni de leur fait ni du nôtre !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la secrétaire d’État, si nous adoptions un délai de quinze mois, une partie des problèmes que vous rencontrez avec le délai de sept mois seraient susceptibles de se poser de la même façon. En effet, au bout de quinze mois, la négociation avec le Royaume-Uni pourrait fort bien ne pas avoir davantage abouti qu’au bout de sept mois. En ce cas, une fois les quinze mois écoulés, vous ne manqueriez pas de présenter un nouveau projet de loi d’habilitation à prendre des ordonnances, car vous en auriez besoin ; votre explication était à cet égard très convaincante.
Nous avons juste une différence d’appréciation avec vous sur la durée pendant laquelle nous vous laissons les mains libres pour prendre des ordonnances. Nous ne vous disons pas que, à l’expiration de ce délai de sept mois, nous refuserons de vous renouveler l’habilitation à prendre des ordonnances. Vous devez souffrir que, quand elle se dessaisit du pouvoir législatif que lui reconnaît la Constitution, la représentation nationale entende poser des conditions suffisamment étroites pour qu’elle puisse garder le contrôle.
En vous assignant un délai de sept mois, nous ne vous disons pas que vous devrez avoir conclu un accord à cette échéance. Nous vous disons simplement que, si cet accord doit être conclu, vous aurez les moyens de prendre les mesures nécessaires par ordonnances et que, s’il ne doit pas être conclu, nous serons alors à votre disposition pour délibérer de nouveau et apprécier si, oui ou non, nous vous donnons la possibilité de conserver cette compétence législative pendant plus longtemps.
Au fond, c’est ici notre seul point de débat. Nous sommes vraiment à vos côtés pour que les positions et les intérêts de la France et de tous les acteurs économiques que vous avez mentionnés soient défendus. Nous sommes tous unis dans cette négociation sur le Brexit, nous sommes tous sur le même bateau européen et nous avons tous intérêt à éviter un Brexit « dur ». Nous n’entendons pas, par un vote sur l’habilitation à légiférer, exercer la moindre influence sur la conduite de la négociation.
Par conséquent, vous n’avez pas à vous inquiéter. Le Sénat de la République est à vos côtés dans cette négociation, comme il est aux côtés de Michel Barnier, avec lequel nous sommes nombreux à avoir des contacts très étroits et amicaux. En tout état de cause, que la durée de l’habilitation soit de sept mois ou de quinze mois, la probabilité que vous reveniez nous voir me semble assez élevée…
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Madame la secrétaire d’État, ne vous méprenez pas sur nos propos. Je vous l’ai dit, en janvier 2019, nous avons répondu aux sollicitations du Gouvernement et, dans le cadre de la commission spéciale alors en place, traité sa demande d’habilitation à légiférer par ordonnances dans des délais extrêmement contraints. Nous l’avons fait pour que nous soyons prêts, collectivement, dans l’hypothèse d’un Brexit « dur » en mars.
Nous sommes tout à fait capables de le faire de nouveau, dès lors que nous connaîtrons la décision du Royaume-Uni de prolonger ou non la période de transition. Nous demandons en somme que l’on attende le 1er juillet ; c’est bientôt. S’il faut, en août, en octobre ou avant décembre, vous habiliter à légiférer, nous saurons le faire ; il n’y a aucun problème.
Par ailleurs, nous souhaitons aussi connaître le contexte : la négociation s’engage-t-elle véritablement ? Nos partenaires britanniques font-ils preuve de bonne volonté ?
Comme l’a indiqué le président Bas, nous entendons être pleinement associés. Je ne doute pas de votre volonté de nous informer, mais nous voulons plus que cela : le Parlement doit être partie prenante.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 75 rectifié, présenté par MM. Bizet, Cambon, Reichardt, Rapin, Danesi et Huré, Mme Duranton, M. Gremillet, Mme Gruny, MM. Kennel, Bazin, Bouchet, Calvet et Brisson, Mme Bruguière, MM. Chaize et Chatillon, Mme Chauvin, MM. Dallier, de Legge et de Nicolaÿ, Mmes Deroche, Deromedi, Di Folco et Dumas, MM. B. Fournier et Laménie, Mmes Lamure et Lassarade, MM. Lefèvre, Longuet et Magras, Mme M. Mercier, MM. Milon, Piednoir, Pierre et Poniatowski, Mmes Puissat, Raimond-Pavero et Ramond, MM. Regnard et Sido, Mme Thomas et MM. Vaspart et Vogel, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
sept
par le mot :
dix-huit
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Cet amendement a pour objet de porter le délai proposé par la commission des lois de sept mois à dix-huit mois. Permettez-moi de le dire, Londres ne manifeste pas toujours une grande volonté d’avancer. Prévoir un délai de dix-huit mois reporterait l’échéance à la fin de décembre 2021.
Aujourd’hui, nos amis Britanniques ne semblent pas souhaiter une extension de la période de transition, pour deux raisons. D’une part, ils ne veulent pas mettre le petit doigt dans l’engrenage du futur cadre financier pluriannuel, et donc devoir s’acquitter de leur quote-part à l’Union européenne. Sur ce point, les choses sont en train de s’arranger, si j’en crois mes dernières discussions avec Michel Barnier. D’autre part, ils ne souhaitent pas rester trop longtemps sous l’autorité de la Cour de justice de l’Union européenne. Sur ce sujet, pour le moment, il y a blocage.
Il n’est pas impossible que, demain, l’on parle d’une période non plus de transition, mais d’expérimentation. Il est peu probable, je le sais, que Boris Johnson soit suspendu aux paroles de Mme le rapporteur, dont je salue la pertinence. Comme l’a dit le président Bas, si, au bout de sept mois, la négociation n’a pas abouti, vous reviendrez devant le Parlement, madame la secrétaire d’État, et je sais que le Sénat fera preuve d’ouverture.
Je ne suis pas un adepte des ordonnances. Certains pourront considérer que je suis « imprudent » de vouloir laisser la bride sur le cou au Gouvernement pendant une période aussi longue. D’autres me trouveront naïf, estimant que ma proposition revient à adresser aux Britanniques et à Michel Barnier le message qu’ils peuvent négocier à leur aise. En fait, je ne suis ni naïf ni imprudent, je suis plutôt inquiet, inquiet de la tournure des événements, car, pour le moment, on se dirige plutôt vers une absence d’accord.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 79 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 228 est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
sept
par le mot :
quinze
La parole est à Mme la secrétaire d’État, pour présenter l’amendement n° 79.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Présenter cet amendement, qui a pour objet de reprendre le compromis trouvé à l’Assemblée nationale, me permettra de répondre au président Bizet et au président Bas.
Au fond, si je suivais votre logique, monsieur le président Bizet, nous en reviendrions à ce qui avait été proposé initialement par le Gouvernement, c’est-à-dire un délai de trente mois, qui recouvre la durée maximale de la période de transition, dont les Britanniques peuvent demander l’extension de deux ans.
Le Parlement jugeant cette durée trop longue, nous avons proposé dix-huit mois, comme le président Bizet aujourd’hui. Une longue discussion s’est tenue à l’Assemblée nationale, au cours de laquelle furent d’ailleurs avancés les arguments que vous avez développés, monsieur le président Bas. Il s’agissait de déterminer la période la plus restreinte possible pendant laquelle, pour reprendre votre comparaison équine, on pouvait nous laisser la bride sur le cou. Un compromis a été trouvé pour fixer le délai à quinze mois.
J’émets un avis de sagesse sur l’amendement du président Bizet, dont le dispositif est cohérent. Néanmoins, par respect pour le vote de l’Assemblée nationale et les prérogatives du Parlement, il me semble raisonnable de vous proposer de reprendre le compromis adopté par les députés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je le redis, un délai de sept mois me paraît incompatible à la fois avec le calendrier de négociation et avec la volonté d’expérimentation, évoquée par le président Bizet, qui semble se faire jour. Je ne suis absolument pas en mesure, aujourd’hui, de vous dire si la négociation durera trois mois, six mois, neuf mois, douze mois ou plus, d’où l’intérêt de permettre une certaine flexibilité. Je suis absolument ravie et honorée de savoir que le Sénat restera à nos côtés sur ce sujet, comme il l’a été depuis le début, mais je ne suis pas sûre qu’il soit très utile de recommencer le même débat dans sept mois.
Croyez bien que les Britanniques nous regardent et suivent de très près nos discussions. Il importe d’envoyer le bon signal ce soir. Dans cet esprit, il me semblerait délicat de donner à penser que nous serions prêts, collectivement, à raccourcir les délais à la seule fin d’avancer plus vite, alors que notre objectif doit être avant tout de protéger les Français et nos acteurs économiques, qui voient arriver avec beaucoup d’inquiétude cette fracture d’un marché intérieur dans lequel nous avons vécu pendant près de trente ans.
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour présenter l’amendement n° 228.
M. André Gattolin. À peu près tous les arguments ont été donnés. On parle souvent de l’imprévisibilité de la crise du Covid-19 ; celle du Gouvernement britannique n’est pas moindre ! Il a même répondu au geste d’apaisement consistant à ne pas soumettre à quarantaine les ressortissants des pays membres de l’Union européenne, y compris ceux du Royaume-Uni, en imposant cette mesure aux citoyens français souhaitant entrer au Royaume-Uni !
Pour ma part, je m’attends donc à tout dans les mois à venir. Au regard des difficultés économiques, sociales, politiques dans lesquelles le Gouvernement du Royaume-Uni va se trouver plongé, compte tenu de l’ampleur de la crise actuelle, du nombre des décès et des dysfonctionnements du système de santé, je m’attends à une négociation très rude !
L’intérêt du Gouvernement n’est pas de cacher des choses au Parlement ; il est d’être le plus efficace possible. Dans ce genre de négociation, il faut savoir se montrer un peu dur. Je pense que l’on peut faire confiance au Gouvernement pour défendre les intérêts de la France et de l’Union européenne face au Royaume-Uni. Dans cette perspective, prévoir un délai de quinze ou de dix-huit mois me paraît pertinent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Muriel Jourda, rapporteur. S’il s’agit de se montrer durs, alors fixons le délai à sept mois ! Nous pourrions en discuter à l’infini…
Si les Britanniques suivent effectivement ce débat, madame la secrétaire d’État, j’espère qu’ils auront entendu le président Bas : nous voulons tous un accord et nous serons aux côtés du Gouvernement dans la négociation.
Je crois que, encore une fois, nous ne parlons pas de la même chose : ne confondons pas délai de négociation et délai d’habilitation. La commission a opté pour un délai d’habilitation de sept mois, pour des raisons exposées à maintes reprises et qui découlent de l’article 38 de la Constitution, lequel ne nous permet pas de déléguer trop longtemps notre pouvoir législatif à l’exécutif – nous ne le souhaitons d’ailleurs pas.
La commission des lois ayant retenu un délai de sept mois, son avis est défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 75 rectifié ?
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, début 2019, dans le cadre d’un débat similaire avec Mme Loiseau, vous étiez arrivés à la conclusion, en mobilisant les mêmes arguments qu’aujourd’hui, qu’il convenait d’habiliter le Gouvernement à légiférer pour une durée de douze mois. Apparemment, les mêmes arguments ne conduisent pas toujours au même résultat !
Effectivement, délai d’habilitation et délai de négociation ne sont pas la même chose. J’estimais cohérent de faire converger ces deux délais, pour mettre en place un cadre unifié.
Comme je l’ai indiqué, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 75 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous avons besoin de réinventer cinquante ans d’interdépendance avec le Royaume-Uni. Nous parlons de durée d’habilitation à légiférer par ordonnances sur les sujets de négociation qui ont été identifiés, mais j’ai la conviction que, au cours des prochains mois, nous en découvrirons d’autres. Par conséquent, ce n’est pas la fin de l’histoire !
Lorsque vous êtes venue nous voir voilà deux mois, madame la secrétaire d’État, voilà deux mois, pour évoquer la proposition de résolution présentée par Jean Bizet et Ladislas Poniatowski, la question des droits des citoyens européens semblait avoir été totalement traitée dans l’accord de retrait. Il semble aujourd’hui que ce ne soit pas tout à fait vrai…
Certes, on peut discuter du délai d’habilitation, mais, quoi qu’il arrive, vous serez obligée de revenir vers nous pour évoquer tel ou tel sujet nouvellement identifié. C’est pourquoi il n’est pas nécessaire de fixer une trop longue durée d’habilitation : dans le cadre du processus de reconstruction de la relation franco-britannique, nous n’avons pas encore identifié tous les sujets à traiter. Ne laissons pas croire aujourd’hui que, pour peu que nous prévoyions une durée d’habilitation plus ou moins longue, le Gouvernement sera en mesure de négocier tous les éléments de notre relation future avec le Royaume-Uni. Ce n’est pas vrai, car, progressivement, nous découvrirons d’autres sujets.
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski, pour explication de vote.
M. Ladislas Poniatowski. J’ignore pourquoi mon om figure dans la liste des cosignataires de l’amendement de mon collègue Jean Bizet. En effet, je suis tout à fait opposé à cet amendement, comme je suis également opposé aux deux amendements identiques. Je partage la position de la commission des lois.
Je rappelle que nous avons tous adopté la loi du 19 janvier dernier. Habiliter, ce n’est pas un gros mot. Permettre au Gouvernement de prendre un certain nombre de mesures urgentes et nécessaires par voie d’ordonnances n’est pas malvenu ; c’est même très bien !
Je le dis au passage, les Britanniques ne nous regardent absolument pas ! (Sourires.) Ils se fichent éperdument de la décision que prendra le Parlement français. Pour eux, le débat est ailleurs, d’autant que leur pays est dirigé par un M. Boris Johnson qui est capable de faire n’importe quoi, comme il l’a encore prouvé vendredi dernier.
La négociation entre le Royaume-Uni et les Vingt-Sept n’a rien à voir avec ce que nous allons décider et voter. Néanmoins, il est bon de permettre au Gouvernement de prendre des mesures par ordonnances.
Je comptais déposer, au nom de la commission des affaires étrangères, un amendement visant à inscrire dans la loi un délai de douze mois, faisant ainsi un pas de plus par rapport à la position de l’Assemblée nationale, qui ne vous avait déjà pas plu, madame la secrétaire d’État. Constatant que la commission des lois proposait un délai de sept mois, ce qui est peut-être un peu court, j’ai décidé, en accord avec le président Christian Cambon, d’y renoncer.
Adopter un délai de sept mois ouvrira une marge de négociation entre le Sénat et l’Assemblée nationale en commission mixte paritaire. Il ne faut surtout pas fixer un délai de trente mois, parce qu’il importe de maintenir, comme l’a dit M. Marie, un contrôle du Gouvernement par le Parlement.
Nous avons montré, lors de la discussion de la loi du 19 janvier, que nous étions capables d’être réactifs, de décider très vite de permettre au Gouvernement de prendre des mesures par ordonnances. Demain, en cas de pépin, nous saurons le refaire.
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet, pour explication de vote.
M. Jean Bizet. Une certaine rationalité semble devoir conduire à retenir un délai de quinze mois ou de douze mois, plutôt que de dix-huit mois. Je suis tout à fait prêt à retirer mon amendement pour me rallier à celui du Gouvernement, en espérant que la commission saura faire le même geste en commission mixte paritaire… (M. le président de la commission des lois rit.)
M. le président. L’amendement n° 75 rectifié est retiré.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 79 et 228.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 80, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Rétablir le 1° dans la rédaction suivante :
1° Désigner l’autorité nationale de sécurité, au sens de la directive (UE) 2016/798 du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2016 relative à la sécurité ferroviaire pour la partie de la concession du tunnel sous la Manche située en territoire français ;
II. – Alinéa 8
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Cet amendement vise en premier lieu à rappeler quel est notre objectif commun dans le cadre de la négociation : permettre la continuité du transport dans le tunnel sous la Manche, et cela même en l’absence d’accord spécifique à l’issue de la période de transition.
Nous sommes tous convaincus, en effet, que ce tunnel est une infrastructure à la fois incontournable et symbolique ; elle voit passer plus de 22 millions de passagers par an et plus de 140 milliards d’euros de marchandises. Afin de préserver son bon fonctionnement, la priorité – je le dis ici très formellement – est bien de maintenir cette conférence intergouvernementale comme unique organe, binational, de gouvernance du tunnel.
Nous n’envisageons donc la désignation d’une autorité nationale pour la sécurité ferroviaire de la seule partie française du tunnel que comme une option de repli, qui ne devrait être mise en œuvre qu’en dernier recours. Je tiens à le préciser devant vous, car vous avez eu des discussions sur ce point en commission : une telle option ne peut être inscrite « en dur » dans la loi, car son entrée en vigueur présente un caractère extrêmement hypothétique, dès lors que la mesure envisagée dans l’habilitation dépend de plusieurs conditions soumises chacune à des calendriers différents, qui ne peuvent être anticipés avec certitude.
Il faudra réviser une directive européenne ; il faudra conclure un accord avec le Royaume-Uni permettant la continuité de l’application du droit de l’Union européenne sur l’ensemble du tunnel ; il faudra aussi réviser le traité de Cantorbéry. Vu le niveau d’incertitude, nous souhaitons donc rétablir la rédaction initiale de cette habilitation, qui nous donnerait la faculté d’utiliser la solution de repli que je vous présente, qui est vraiment une solution de dernier recours, au cas où nous n’arriverions pas à franchir les trois étapes que je viens de décrire.