Mme Josiane Costes. C’est les deux !
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État. Oui, mais on a eu tendance à considérer que c’était plus l’un que l’autre. Au demeurant, dans ces matières, tout est question d’équilibre très sensible.
Parallèlement, j’ai souhaité que le Conseil national de la protection de l’enfance et le Comité consultatif national d’éthique, qui sont, par essence, des lieux de représentation et de concertation et disposent de l’expertise nécessaire, complètent par des avis et des recommandations les propositions du rapport Limon et Imbert sur l’adoption, avant que nous les traduisions par des mesures législatives. Ces avis m’ont été officiellement remis fin novembre et début mai. Nous n’attendons plus qu’une opportunité parlementaire pour vous présenter un texte.
Ces différents éléments sont l’occasion pour moi d’inscrire les sujets visés par la présente proposition de loi dans la cohérence globale de mon action. Nous débattrons dans le détail sur les différents articles. Je conclurai en indiquant que certaines des dispositions que vous proposez me semblent pertinentes et adaptées aux orientations et travaux que j’ai cités et à l’action globale et cohérente que je tente de mener. Leur insertion conforte l’édifice juridique et législatif construit jusqu’à présent. Cependant, je l’évoquais à l’instant, cet édifice repose sur un équilibre sensible, complexe et intime. Or, M. Bas le disait, la loi n’est pas forcément en mesure de dire ce qui doit être fait dans le domaine de l’intime. Il faut donc laisser une certaine marge de manœuvre aux professionnels qui exercent au plus près des réalités.
Notre boussole commune, c’est la défense des intérêts de l’enfant et la réponse apportée à ses besoins fondamentaux. L’équilibre dont je viens de parler ne peut pas être fragilisé par une mise de côté trop rapide, trop automatique, de l’environnement familial et de la vie de l’enfant, au risque d’aller à l’encontre des droits de ce dernier et des droits des parents. Les uns et les autres, nous devons agir avec précaution.
Je suis convaincu que nous avons intérêt à fluidifier et à accélérer nos procédures, à accompagner et à former les professionnels de manière interdisciplinaire et interinstitutionnelle, plutôt que de prendre le risque de rigidifier le droit et de passer à côté d’une évaluation fine nécessaire de chacune des situations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis ravi d’être parmi vous ce matin pour parler de ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaite commencer mon intervention en remerciant les travailleurs de l’aide sociale à l’enfance. Comme nos médecins, infirmiers et tant d’autres professionnels, ils se sont mobilisés pendant la crise sanitaire que traverse notre pays. (Applaudissements.) Ils font face à la pandémie avec courage et solidarité, et nous leur devons beaucoup.
Mes chers collègues, le sujet qui nous rassemble aujourd’hui nous interpelle avec gravité. En France, deux enfants meurent chaque semaine. Un viol sur mineur a lieu toutes les heures. Environ 73 000 enfants sont victimes de violences chaque année. Il est à craindre que toutes ces atteintes faites aux jeunes en difficulté n’aient été exacerbées par le confinement.
Alors que la protection de l’enfance devrait être un pilier fondamental de l’égalité des chances, afin que chaque mineur de ce pays puisse s’épanouir et se construire en citoyen modèle, notre système reste largement perfectible.
Pour cette raison, le texte proposé par Josiane Costes, que je salue, et les membres du groupe RDSE est bienvenu. Pointant du doigt les dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance, le manque d’investissement de l’État et les lenteurs procédurales contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant, Mme Costes nous présente une proposition de loi intéressante, apportant certaines réponses aux problèmes majeurs soulevés par le Conseil national de la protection de l’enfance.
Jusqu’à présent, le législateur s’est donné pour mission de préserver un équilibre entre le maintien des droits liés à la parentalité et l’intérêt supérieur de l’enfant. En ont découlé deux échecs majeurs : tout d’abord, l’obstacle à l’adoption, qui interdit actuellement à des personnes le souhaitant d’accueillir aisément un enfant dans leur foyer ; ensuite, des procédures de délaissement longues et fastidieuses, qui plongent certains mineurs dans des situations de précarité, avec des parents souvent violents ou incapables de les élever.
Trop longtemps, le législateur est parti du postulat selon lequel les liens du sang devaient primer et l’enfant demeurer le plus longtemps possible dans sa famille biologique.
Cette tradition devrait impérativement prendre fin. Oui, certains parents ne sont pas aptes à élever leurs enfants. Oui, ces enfants doivent être mis à l’abri, protégés et confiés à des familles adoptives susceptibles de réunir les conditions essentielles à leur épanouissement.
Ainsi, les auteurs de ce texte ont souhaité rendre le recours à l’adoption simple plus facile. La filiation par adoption simple n’effaçant pas la filiation biologique, les tuteurs adoptifs prendront le relais des parents de sang pour l’éducation des enfants délaissés.
Le dernier pan intéressant de ce texte est le traitement des mineurs étrangers. Alors que le Gouvernement continue à fermer les yeux sur l’enfermement de ceux-ci en centre de rétention administrative, au détriment des préconisations de la Cour européenne des droits de l’homme, cette proposition de loi nous rappelle un élément fondamental : avant d’être des étrangers, ces mineurs sont des enfants, qu’il faut éduquer, intégrer et, surtout, protéger. En permettant à ces derniers d’accéder plus aisément à un titre de séjour et en simplifiant les règles d’adoption pour les enfants nés à l’étranger, on ferait des pas pour la normalisation de leur situation. Si ces mesures étaient adoptées, nous changerions de paradigme : l’enfant primerait sur le migrant. De tels éléments rendraient plus humaines nos politiques d’accueil des mineurs étrangers et nous saluerions positivement ces évolutions.
Cependant, certaines dispositions proposées dans ce texte semblent éloignées des réalités de terrain, voire contre-productives. C’est notamment le cas des conditions de reprise des enfants placés, qui font l’objet de l’article 4.
Pour cette raison, le groupe CRCE s’abstiendra sur cette proposition de loi. Nous sommes cependant favorables à ce que des travaux soient menés sur un tel sujet. C’était d’ailleurs le sens de notre proposition de loi tendant à la création de délégations parlementaires aux droits des enfants, rejetée par notre assemblée le 20 novembre 2019.
Mes chers collègues, nos enfants sont l’avenir de notre pays. Actuellement, 300 000 mineurs sont pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Eux aussi ont le droit à un avenir meilleur, à une citoyenneté épanouissante, à une sûreté économique et à un accès sécurisé à l’éducation et à la vie active. Si nous menons ce combat de front, leur futur n’en sera que plus stable et enviable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – M. Jean-Yves Leconte et Mme Françoise Laborde applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est un grand plaisir de rejoindre cet hémicycle pour cette merveilleuse occasion, chère Josiane Costes, de parler de la protection de l’enfance. Je vous en remercie.
Il n’est pas coutume que nous abordions ce sujet, qui devrait d’ailleurs « sortir » de l’hémicycle bien plus souvent. Dans nos départements, c’est un sujet « confiné », personne n’ayant envie de discuter de la protection de l’enfance, parce que c’est une défaite que des enfants soient abandonnés ou violentés. Si nous en parlons ici aujourd’hui, il est surtout important d’en parler dehors, demain, avec fièvre et envie de travailler tous ensemble. Car s’il est louable de publier des rapports, il faut surtout mettre notre énergie dans l’action.
La protection de l’enfance reste un sujet tabou, et il faut que cela cesse. Ces enfants sont aussi des enfants de la France, et nous ne devons pas les oublier.
Une fois n’est pas coutume, je veux remercier, en tant que responsable de la protection de l’enfance dans mon département, le cabinet de M. le secrétaire d’État. En effet, durant la pandémie, j’ai pu remarquer à quel point il s’était mobilisé. Certes, le protocole est toujours un peu trop long ! Malgré tout, nous avons vu son énergie à répondre à nos attentes et, surtout, à nos nombreuses questions, avec précision et célérité. Merci, monsieur le secrétaire d’État, et merci à ceux qui sont à vos côtés !
Je veux maintenant me joindre aux remerciements d’Esther Benbassa à tous les acteurs de la protection de l’enfance, qu’il s’agisse des médecins, des agents du conseil départemental, des éducateurs ou de tous ceux qui gravitent autour de la protection de l’enfance, en particulier les assistants familiaux. En effet, ne l’oublions pas, ces derniers ont travaillé 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pendant deux mois et demi. Ils méritent toute notre reconnaissance. Ils sont aujourd’hui épuisés, et j’espère que les départements se mobiliseront pour leur accorder ce qu’ils leur doivent. Ils ont accueilli et accompagné ces enfants, sans le soutien des IME, les instituts médico-éducatifs, ou des ITEP, les instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, qui étaient fermés. Ils ont assuré une sorte de très longue astreinte.
Nous devrons d’ailleurs réfléchir au statut des assistants familiaux, parce que, à la marge, quelques avancées sont certainement possibles. Ce statut n’a pas évolué depuis des années, alors que le monde bouge et que les enfants ont des profils de plus en plus complexes.
Je souhaite dépasser le cadre de cette proposition de loi, que j’ai trouvée très ambitieuse, puisqu’elle traite d’une multitude de sujets. Or nous n’avons pas l’habitude d’examiner des propositions de loi comportant autant d’articles. Nous ne sommes par conséquent pas frustrés, comme nous le sommes souvent avec les propositions de loi à article unique.
Pour ma part, je suis engagée dans la protection de l’enfance depuis quinze ans dans mon département. Tous les sujets abordés m’ont paru dignes d’intérêt. Si j’ai été troublée, c’est que je n’ai pas reconnu ces problématiques dans mon département. Mais je veux bien travailler avec vous sur tous ces sujets.
Trois difficultés se posent aujourd’hui, me semble-t-il, en matière de protection de l’enfance.
Premièrement, la protection de l’enfance n’a jamais été financée à son juste niveau. La décentralisation de cette compétence, à l’époque où elle a été décidée, était certes bienvenue ; mais c’est de délaissement qu’il faut désormais parler. (Mmes Laure Darcos et Nadia Sollogoub applaudissent.) On a délaissé aux départements cette responsabilité sans leur donner le moindre sou ! Là est l’erreur, car il s’agit en réalité d’une mission essentielle des départements.
Premier problème, donc : le financement. Le Fonds national de financement de la protection de l’enfance n’a jamais été alimenté à son juste niveau. Et je remercie M. le secrétaire d’État d’avoir organisé cette stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance, ce qui nous a permis de réfléchir tous ensemble sur les sujets les plus importants, et de travailler sur le fond. J’ai trouvé votre méthode excellente, monsieur le secrétaire d’État ; je ne suis pas membre de La République En Marche, mais lorsque des compliments doivent être faits, je les fais ! J’ai beaucoup apprécié cette méthode de concertation. La contractualisation avec les départements va apporter beaucoup, tant en qualité que financièrement. Pour la première fois, la protection de l’enfance bénéficiera de financements, en contrepartie d’une pratique de qualité et d’innovations.
C’est là justement l’objet du deuxième point que je souhaite aborder : faire bouger les lignes dans nos équipes départementales. Nous avons de très bons professionnels, mais ils ont parfois peur de changer de méthode ou d’orientation. J’avais d’ailleurs dit à Laurence Rossignol, lors des discussions autour de la loi de 2016, que l’inspection de mon département par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) pendant quelques mois avait été un moment important : elle avait justement permis aux professionnels de réfléchir sur leurs méthodes et sur d’éventuels changements d’approche.
Je suggère au Gouvernement de mettre en place des équipes qui iraient dans les départements, et dont la mission ne serait surtout pas de contrôler, mais consisterait à créer une dynamique, à insuffler une énergie, en matière d’innovation et de recherche de nouvelles méthodes. Ces petites équipes qui visiteraient les départements pourraient permettre très vite de diffuser les bonnes pratiques et d’améliorer les mauvaises.
Troisième difficulté : les relations en tuyaux d’orgue, avec lesquelles nous devons hélas quotidiennement composer, entre les départements, la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) et les services de santé, notamment psychiatriques. Ce n’est plus possible ! Il faut que la justice et la protection de l’enfance parviennent à se comprendre mutuellement. Et il faut qu’elles arrivent à communiquer avec la pédopsychiatrie.
Il y a donc trois chantiers – vous avez ouvert le premier, celui du financement, avec la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Élisabeth Doineau. Vous constatez, mes chers collègues, avec quel enthousiasme je parle de la protection de l’enfance. Merci, ma chère collègue Josiane Costes, et merci à M. le secrétaire d’État d’aller encore plus loin concernant la qualité des pratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – M. Michel Amiel applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le nombre de mineurs pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance en 2020 est estimé à 350 000, contre 300 000 en 2017. Cette hausse s’explique par une meilleure détection des cas critiques, via les enseignants et les assistants sociaux dans les familles. Mais elle livre aussi le constat d’une situation de plus en plus inquiétante.
Avec le confinement dû à l’épidémie de Covid-19, les violences intrafamiliales ont augmenté, en particulier la maltraitance à l’égard des plus jeunes.
La protection de l’enfance est l’un des aspects cruciaux de la politique d’égalité des chances en France. Elle vise en effet à offrir une prise en charge garantie par l’État partout où l’autorité parentale est défaillante. Cette prise en charge est loin d’être parfaite, même si je tiens à féliciter les personnels de l’ASE, qui font beaucoup avec peu, ainsi que tous les professionnels impliqués, services départementaux, associations, magistrats, et les familles d’accueil qui reçoivent ces jeunes.
Je prends l’exemple de mon département, l’Eure. En 2015, les enfants placés y étaient au nombre de 1 845 ; en janvier 2020, ils étaient 2 300 ; 453 assistants familiaux travaillent pour le département. Ces familles accueillent plus de 60 % des enfants placés. Les 40 % restants se répartissent entre six maisons d’enfants à caractère social, quinze lieux de vie et d’accueil et un foyer de l’enfance. Pour toutes ces structures, le budget de l’ASE dans l’Eure est de 70 millions d’euros pour l’année en cours.
L’État a un triple rôle : piloter la politique de l’enfance, contrôler la qualité des dispositifs et créer des partenariats avec les conseils départementaux. Une enveloppe de 80 millions d’euros a été débloquée en octobre dernier – c’est une bonne nouvelle – pour la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance. Et l’Eure fait partie des trente départements sélectionnés pour en bénéficier. En cofinançant les projets du département, l’objectif est de donner aux jeunes placés les mêmes chances qu’aux autres.
Les critiques se multiplient contre les foyers et les structures qui accueillent ces mineurs. Les délais sont importants – 31 % des pupilles de la Nation ne le deviennent qu’après une prise en charge d’au moins cinq ans par la protection de l’enfance. Il faut repenser la durée des procédures et mieux gérer chaque parcours. Je salue la volonté, qui est celle de mes collègues du RDSE, à commencer par Mme Costes, de revoir sans faux-semblants cette question complexe. Tout le monde veut bien faire, car la protection de l’enfance est une tâche noble.
Cependant, cette proposition de loi fait de l’intérêt de l’enfant le seul marqueur, unique et absolu, de cette politique. Or les besoins médico-sociaux, les modes de garde, l’intérêt des parents et de la fratrie, doivent aussi être pris en compte. L’avis de l’enfant n’est pas exempt de revirements. Ce sont tous ces besoins complexes, et parfois opposés, que la loi doit synthétiser.
Cette proposition de loi semble reposer sur un raisonnement quelque peu paradoxal. D’un côté, elle s’appuie sur le désir de parentalité. Or être parent n’est pas un droit ; c’est un devoir, et même une série de devoirs. D’un autre côté, ses auteurs envisagent, notamment aux articles 3 et 4, un recours prioritaire à l’adoption le plus tôt possible lorsque la parentalité est défaillante, arguant du fait qu’un enfant pourra ensuite « explorer sa parenté biologique », alors même que l’on sait pertinemment que l’adoption est complexe et parfois traumatisante.
La responsabilité des mineurs revient légalement à leurs parents. L’autorité parentale, cette valeur chère à ma famille politique, doit rester au cœur de la décision. L’État doit intervenir lorsque c’est nécessaire, en particulier durant cette période de crise sanitaire, mais en aucun cas déresponsabiliser les parents ou s’y substituer.
Ce sujet est encore trop souvent tabou ; l’ambition de tous est d’éveiller la conscience collective quant aux violences subies par les enfants. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, merci à Josiane Costes de nous avoir conduits à traiter de ce sujet si important. La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, mais combien de lignes de ce texte restent lettre morte et non respectées ? Selon un chiffre de 2018, 306 000 mineurs sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance ; les juges des enfants ont été saisis, toujours en 2018, de 126 145 mineurs en danger, et 122 mineurs ont été victimes d’infanticide ; le nombre d’appels au 119, numéro d’urgence pour l’enfance en danger, a augmenté de 113 % pendant les deux mois du confinement ; la plateforme d’accueil de l’enfance en danger a vu le nombre des appels qu’elle reçoit augmenter de 56 % par rapport à l’an dernier.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, cela a été dit : le travail de l’ensemble des personnels de l’ASE, dans tous les départements de notre pays, est essentiel pour faire face à cette situation.
Des enfants sont victimes de violence ; à cet égard, je dois regretter, au nom de Mme Michelle Meunier, que deux amendements qu’elle avait déposés aient été retoqués, une fois encore, en vertu du fameux article 45 de la Constitution, qui est toujours appliqué ici dans des conditions que je juge déplorables. Car enfin, que l’éducation et l’action sociale doivent s’exercer sans aucune violence ni morale ni physique, cela va de soi. Mais il n’est sans doute pas inutile de le dire ! C’est en tout cas ce qu’a pensé Mme Michelle Meunier, qui m’a chargé de vous faire part de sa réaction.
S’agissant des articles 1er, 2 et 4 de la proposition de loi, nous partageons totalement la position de M. Alain Marc, le rapporteur, car nous pensons que ces mesures pourraient être préjudiciables à l’enfance, au lien entre les parents et les enfants, à la possibilité qui doit être donnée aux parents de revenir en arrière eu égard à un certain nombre de procédures.
Pour ce qui est des allocations familiales, nous avons proposé un amendement de suppression de l’article 9 pour laisser – cela nous semble opportun – une capacité d’appréciation au juge. Et je remercie la commission de s’être elle aussi prononcée contre cet article.
Je conclurai par quelques mots sur les mineurs isolés non accompagnés, en commençant par redire, monsieur le secrétaire d’État – mais vous l’avez entendu si souvent que vous en êtes persuadé –, que la prise en charge de ces mineurs exige, sur le plan financier, un plus juste équilibre entre l’État et les départements. C’est nécessaire ! Les départements ne pourront plus continuer à assumer cette mission dans les conditions actuelles.
Ce que propose Mme Costes est très intéressant : introduire une présomption de désintérêt pour faciliter la prise en charge de ces jeunes par les services de l’enfance ; désigner, pour ceux-ci, le juge des enfants – on peut en discuter ; favoriser l’accès à un compte en banque – lorsque des mineurs reçoivent une bourse sans pouvoir la percevoir, il y a quand même quelque chose qui ne va pas, et Jean-Yves Leconte présentera un amendement très précieux à ce sujet tout à l’heure ; favoriser l’attribution de titres de séjour au bénéfice de mineurs non accompagnés intégrés dans un cursus professionnel ; généraliser l’accompagnement des jeunes majeurs jusqu’à 21 ans.
Ces mesures vont dans le bon sens. Les 40 000 jeunes non accompagnés – cela a été dit – sont d’abord des êtres humains, et ils sont ici ! Or, vous le savez, mes chers collègues, seuls 42 % de ces jeunes sont reconnus mineurs. Les autres doivent, pour obtenir cette reconnaissance, faire un recours – c’est très compliqué et cela pose des quantités de problèmes.
Ce sujet est encore largement devant nous. Merci, madame Costes, de nous avoir donné l’occasion de l’évoquer à la faveur de l’examen de cette proposition de loi. Je sais que vous entendrez ce message, monsieur le secrétaire d’État. (Mme Viviane Artigalas applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi relative aux mineurs vulnérables dans un contexte de crise sanitaire qui frappe en premier lieu les publics les plus fragiles. Ce texte couvre, en quinze articles, un champ très large et traite de problématiques aussi diverses que complexes.
Je commencerai par saluer la démarche de son auteure, Josiane Costes, dont la proposition de loi permet d’évoquer des sujets essentiels tels que l’adoption, la protection de l’enfance, l’accompagnement des jeunes majeurs et des mineurs isolés étrangers. Elle permet de mettre en lumière, une fois de plus, un certain nombre de problématiques et de dysfonctionnements auxquels nous devons apporter des solutions concrètes dans l’intérêt des enfants et des jeunes vulnérables.
Elle s’inscrit également dans un contexte global dans lequel l’ensemble des acteurs sont mobilisés. Le Parlement s’est ainsi souvent saisi de cette question – je pense au rapport de la députée Perrine Goulet, à celui de la députée Monique Limon et de notre collègue Corinne Imbert sur l’adoption, et à la proposition de loi que Nassimah Dindar et moi-même avons déposée en juillet dernier, cosignée par plusieurs collègues siégeant sur toutes les travées de cet hémicycle, et qui traitait un certain nombre de sujets, dont celui de la prise en charge des jeunes majeurs.
Le Gouvernement, par votre voix, monsieur le secrétaire d’État, est lui aussi mobilisé dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance 2020-2022, qui aboutira, nous l’espérons, à de réelles avancées en matière de protection et d’accompagnement.
On constate enfin une prise de conscience collective partout dans la société, grâce, en premier lieu, aux enfants placés, qui ont largement contribué à libérer la parole et qui, chaque jour, nous rappellent qu’il est urgent d’agir.
Les trois axes de cette proposition de loi, à savoir le délaissement parental, l’adoption, la prise en charge des jeunes majeurs et la protection des mineurs isolés étrangers, constituent des problématiques complexes, mais bien réelles sur l’ensemble du territoire.
Pour ce qui concerne le délaissement parental, l’article 2 supprime l’obligation de proposer des mesures de soutien aux parents délaissants. Nous partageons l’objectif qui sous-tend cette disposition – il s’agit de placer l’intérêt supérieur de l’enfant au sommet des priorités. Mais nous pensons que son adoption créerait un déséquilibre au regard de la nécessité des mesures de soutien à la parentalité, le délai prévu étant notamment trop restreint. Ces mesures ont montré leurs vertus durant le confinement, période où les tensions ont pu être plus importantes que d’habitude, en particulier dans les familles les plus précaires vivant dans des espaces restreints.
Nous croyons donc en la nécessité de trouver un juste équilibre en protégeant en premier lieu les enfants et en accompagnant davantage les parents en difficulté. Tel est l’objectif du Gouvernement, tant dans le cadre de la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance que j’évoquais à l’instant, qu’avec le programme relatif aux 1 000 premiers jours de l’enfant que vous avez mis en place dernièrement, monsieur le secrétaire d’État.
Accélérer la procédure de déclaration judiciaire de délaissement parental pourrait également s’avérer inefficace, au regard du fonctionnement de la justice et du caractère délicat de l’appréciation dudit délaissement parental notamment.
Pour ce qui est de l’accompagnement des jeunes majeurs et de la problématique des sorties sèches, personne ne peut accepter que la rue à 18 ans soit la seule option pour ces jeunes. Aujourd’hui, rappelons-le, 70 % des jeunes de l’ASE en sortent sans diplôme ; 40 % des sans domicile fixe de moins de 25 ans sont passés par les services de l’aide sociale à l’enfance, alors même qu’ils ne représentent que 2 % à 3 % de la population globale. Comment pouvons-nous demander à un jeune dont le parcours de vie a été si difficile de faire ses valises le jour de ses 18 ans, alors même que, selon l’Insee, l’âge moyen de décohabitation, en France, est de 27 ans ? Ces jeunes ont eux aussi le droit d’être des Tanguy, comme tous nos enfants !
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. Xavier Iacovelli. Le Gouvernement a d’ailleurs interdit les sorties sèches pendant la durée du confinement, ce dont on ne peut que se satisfaire. C’était évidemment nécessaire au regard des risques auxquels les jeunes sous protection sont exposés. Mais – nous pourrons en parler lors du débat – on a vu, dans un certain nombre de départements, des gymnases réquisitionnés pour accueillir les mineurs non accompagnés ; ils y étaient entassés, à défaut de solutions hôtelières, même si ces dernières, pour les mineurs, ne sont pas forcément la panacée. Il existe en tout cas un vrai problème de prise en charge par les départements.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez récemment publié une circulaire précisant à la fois les objectifs, le calendrier et les financements des conventions qui seront signées d’ici à quelques jours entre les agences régionales de santé (ARS), les préfets et les trente départements volontaires pour mettre en œuvre la stratégie nationale de prévention et de protection de l’enfance annoncée le 14 octobre dernier. La fin des sorties sèches y est préconisée ; nous nous en réjouissons.
Nous saluons la proposition de l’auteure du texte visant à rehausser à 3 ans l’âge jusqu’auquel la situation des enfants confiés à l’ASE est examinée tous les six mois par la commission pluridisciplinaire et pluri-institutionnelle. Nous voterons pour cet amendement. Il nous paraît en effet essentiel qu’ait lieu un suivi régulier du développement et du cadre de vie de l’enfant.
Par ailleurs, s’agissant du principe d’une présomption d’impossibilité d’exercer tout ou partie de l’autorité parentale pour les parents des mineurs isolés étrangers, je comprends l’objectif visant à déléguer totalement ou partiellement l’exercice de cette autorité parentale. Les structures accueillant des enfants se retrouvent en effet confrontées à un certain nombre de situations qui, dans la vie quotidienne de l’enfant, nécessitent l’accord explicite des parents, parfois injoignables et souvent absents. Ces barrières juridiques qui empêchent, par exemple, l’enfant de se rendre, comme tous les autres enfants, à l’anniversaire d’un camarade le week-end, le privent d’une vie normale et portent préjudice à sa sociabilisation.
Cette problématique concerne les mineurs isolés étrangers, mais également tous les publics pris en charge par l’aide sociale à l’enfance. Nous devons donc en débattre, en concertation avec l’ensemble des acteurs, pour trouver, pour ce qui concerne tant les actes usuels que les actes non usuels, un juste équilibre entre l’intérêt de l’enfant et le respect de l’autorité parentale, tout en appliquant les dispositions en vigueur.
Pour conclure, je veux une fois de plus saluer le travail de l’auteure de cette proposition de loi, qui pose ainsi un débat essentiel. Cette question nécessiterait néanmoins une approche plus globale, vu l’importance des nombreux sujets évoqués dans ce texte.