M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi est un texte fourre-tout, qui pose de sérieuses questions de principe quant aux droits du Parlement. Comme plusieurs d’entre nous l’ont rappelé, la crise sanitaire ne justifie pas tout.
Je concentrerai mon intervention sur l’article 4, qui traite du Brexit et que j’ai examiné avec un intérêt particulier en tant que rapporteur de la loi du 19 janvier 2019, dont cet article est en quelque sorte le « petit frère ». La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, bien qu’elle ne soit pas saisie pour avis, en a débattu par visioconférence la semaine dernière.
Il s’agit aujourd’hui d’habiliter le Gouvernement à combler les vides juridiques susceptibles d’apparaître à l’issue des négociations en cours entre l’Union européenne et le Royaume-Uni, notamment si ces négociations devaient échouer. L’hypothèse d’un no deal n’est pas une simple vue de l’esprit : les négociations, cela n’aura échappé à aucun d’entre nous, se passent très mal. Des blocages de fond demeurent sur des sujets cruciaux tels que la pêche ou l’équité des conditions de concurrence. Les tensions demeurent vives sur les sujets théoriquement résolus des contrôles à effectuer en mer d’Irlande, des droits des citoyens et des droits de douane. L’impasse devient évidente, les Britanniques ne souhaitant pas prolonger la période de transition.
C’est la raison pour laquelle je ne suis pas hostile à une habilitation symétrique de celle que nous avions accordée au Gouvernement l’an dernier. Je vous rappelle, mes chers collègues, que toutes les majorités ont, de tout temps, eu recours aux ordonnances à un moment ou un autre.
Le texte transmis par l’Assemblée nationale était toutefois très insatisfaisant. Nous ne pouvons accepter des habilitations « balai » permettant au Gouvernement de combler d’éventuels oublis, alors que cela fait maintenant presque quatre ans, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, que nous sommes prévenus qu’il y aura un Brexit.
Le Gouvernement demandait initialement un délai d’habilitation de trente mois, que l’Assemblée nationale a ramené à quinze mois. C’est mieux, mais c’est encore trop.
Sur ces deux points, le texte élaboré par la commission des lois, grâce au travail de son rapporteur, Muriel Jourda, me satisfait pleinement. Il comporte les deux amendements que j’avais envisagé de déposer au nom de notre commission. J’apporte donc mon entier soutien à la nouvelle rédaction de l’article 4 issue des travaux de la commission des lois, en particulier au délai d’habilitation réduit à sept mois.
En conclusion, mes chers collègues, la crise sanitaire ne doit pas nous faire perdre de vue le Brexit. Les citoyens doivent s’y préparer. Je voudrais redire ici que les ressortissants britanniques restent tout à fait bienvenus sur notre territoire, contrairement à certaines déclarations entendues de l’autre côté de la Manche, vendredi soir dernier. Il doit en aller de même pour les citoyens français au Royaume-Uni.
Toutefois, madame la secrétaire d’État, je demande l’application de la règle de la réciprocité : si les Anglais veulent nous appliquer une quarantaine de deux semaines en arrivant au Royaume-Uni, je demande l’application de la même quarantaine aux Anglais qui souhaiteraient venir chez nous.
Enfin, mes chers collègues, n’oublions pas que les entreprises aussi doivent se préparer, car les conséquences du Brexit viendront malheureusement s’ajouter au cataclysme économique qui s’annonce. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Marc Fesneau, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je ferai quelques réponses rapides avant d’entamer l’examen des articles.
Monsieur Marie, vous avez dit de ce texte qu’il était profondément antisocial. Il s’agit pourtant de prolonger un certain nombre de mesures de protection des salariés, notamment au travers du dispositif de chômage partiel. J’avoue être quelque peu étonné de cet argument.
Par ailleurs, vous dites que l’article 3 viserait à faire main basse sur l’argent de je ne sais quelle structure. Comme l’a souligné le rapporteur général, cela fait une vingtaine d’années que les collectivités locales participent à un dispositif de ce type, à hauteur de 130 milliards d’euros. Et je réponds aussi en cela à Mme Herzog. Nous ne faisons pas main basse sur l’argent de qui que ce soit. N’employons pas de mots qui fassent peur. Aucune collectivité n’est jamais venue se plaindre de ce dispositif. J’ai été maire et je vous prie de croire que je l’aurais fait si tel avait été le cas.
Madame Assassi, je ne crois pas que nous profitions de l’état d’urgence sanitaire. Personne n’en profite et personne ne peut s’en réjouir – ce n’est d’ailleurs pas votre cas. Nous essayons d’adapter des dispositifs en fonction de notre situation sanitaire, qui est aussi celle de la plupart des pays du monde.
Il est d’ailleurs paradoxal que vous reconnaissiez que certaines de ces mesures sont intéressantes tout en souhaitant le rejet global de ce texte. Nous aurons l’occasion d’en reparler au cours du débat. Vous voudriez aller plus loin sur certains sujets, mais ce n’est pas une raison pour occulter ceux que nous essayons de résoudre étape par étape.
Enfin, madame Assassi, vous connaissant, je ne crois pas qu’il y ait le moindre risque pour que la démocratie soit bâillonnée et j’ai plutôt tendance à m’en réjouir.
Monsieur Mohamed Soilihi, je remercie votre groupe de son soutien constant et de votre vigilance sur certains sujets, en particulier l’outre-mer. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Monsieur Menonville, vous avez souligné les questions de l’intéressement et du statut des salariés à temps partiel et vous nous avez invités à nous mobiliser sur la relance. Muriel Pénicaud, qui nous a rejoints, et moi-même ne manquerons pas d’y revenir lors de la discussion de l’article concerné. Je tiens à redire l’importance du débat parlementaire.
Monsieur Hervé, vous avez rappelé à juste titre que ce projet de loi visait à prolonger un certain nombre de dispositifs votés en mars dernier. Vous appelez à la vigilance, comme tous les orateurs, sur les projets de loi d’habilitation. Mais nous y avons déjà répondu, d’une certaine façon, au travers de ce qu’a souhaité le Gouvernement et de ce qu’ont souhaité l’Assemblée nationale et la Haute Assemblée. Tout cela me paraît aller dans le bon sens et je tiens à vous remercier de vos mots.
Madame Costes, vous avez appelé à la vigilance de votre groupe et précisé que vous vous détermineriez à l’issue du débat, ce qui est une lourde charge à assumer pour nous tous. J’espère que votre vote sera un bon juge de paix de la qualité de nos échanges. Je comprends votre appel à la vigilance, rien de plus normal dans un débat parlementaire.
Madame Di Folco, il s’agit effectivement d’un texte qui aborde pêle-mêle beaucoup de sujets et j’ai apprécié la mesure de vos propos. Je n’ai d’ailleurs pas essayé d’éluder la question.
Si nous avons devant nous autant de sujets, c’est que la crise emporte des conséquences sur l’ensemble du tissu social et économique de la société et sur son organisation. Elle est non pas sectorielle, mais totale, d’où le côté pêle-mêle de ce texte. Je comprends les difficultés que cela peut représenter en termes de lisibilité pour nos concitoyens. Le président Bas a dit qu’il s’agissait, pour l’essentiel, de dispositions techniques. Nos compatriotes ont besoin qu’on réponde à leurs sollicitations, notamment ceux d’entre eux qui sont en CDD et voient leurs contrats arriver à leur terme sans solution, ceux qui sont en situation de chômage partiel ou ceux qui s’inquiètent pour l’avenir de leur entreprise ou de telle ou telle structure.
Nous devons répondre concrètement à ces interrogations immédiates. Je comprends votre logique et la nécessité d’une vision plus globale, mais il s’agit de l’étape suivante, celle du plan de relance, qui sera aussi celle de la grande visibilité.
Au travers du présent projet de loi, nous nous efforçons de répondre très concrètement aux sujets évoqués par les uns et par les autres.
Madame Lubin, je voudrais vous remercier de votre regard plutôt « acceptable » sur ce texte, notamment grâce au travail du Sénat que je tiens à saluer.
Vous avez dit de ce projet de loi qu’il allait accroître la précarité. Nous en débattrons dès l’article 1er, mais je crois au contraire que ce texte permet de limiter la précarité. J’aurais aimé, même si rien n’est jamais parfait, que vous saluiez les mesures prises dans la loi du 23 mars dernier. Il s’agit ici de les prolonger sous d’autres formes. C’est bien un gage de notre volonté collective de préserver les plus fragiles. Ces dispositions visent toutes à limiter les conséquences économiques, et donc sociales, de cette crise qui est encore pleinement devant nous.
Monsieur Poniatowski, je laisserai Amélie de Montchalin vous répondre sur la question européenne, n’étant pas un éminent spécialiste du sujet.
Vous avez souligné, comme d’autres, que la crise sanitaire ne justifiait pas tout, y compris en termes de procédure parlementaire. Nous partageons d’autant plus volontiers votre point de vue que nous avons inscrit le maximum de dispositions en dur. Mais la crise nécessite beaucoup de choses et notamment d’avancer clairement sur un certain nombre de sujets. Je ne préjuge pas de l’article 4, dont nous débattrons.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite à mon tour répondre à certaines de vos allusions et interventions.
Monsieur Marie, vous auriez souhaité un débat dédié après le 1er juillet. Mais la crise sanitaire nous empêche d’organiser les débats parlementaires comme nous le souhaiterions. En outre, le calendrier est souvent particulièrement chargé à l’automne. Dès lors, il nous semblait dangereux de ne pas prendre certaines des dispositions que nous pouvions prendre dès maintenant et qui visent à protéger nos concitoyens. Les questions d’assurance vie, d’épargne ou celles qui sont liées au tunnel sous la Manche inquiètent les acteurs et les épargnants.
Il nous semblait difficile, alors que le contexte financier n’est pas bon, de pousser les épargnants à liquider dans les pires conditions leur épargne, par manque de visibilité sur la protection que nous pourrions leur apporter. C’est pourquoi il était pour nous important d’agir maintenant sur ce sujet. Certes, nous y verrons sans doute un peu plus clair le 1er juillet, je vous le concède. Pour autant, je ne suis pas sûre que nous aurions le temps, entre le 1er juillet et le 31 décembre, de prendre toutes les dispositions que nous vous présentons.
Madame Costes, vous m’avez demandé pourquoi le Gouvernement voulait légiférer par ordonnances s’agissant du tunnel sous la Manche et des ressortissants britanniques.
Pour ce qui concerne le tunnel sous la Manche, nous ne souhaitons pas arriver à la conclusion qu’il faudrait deux autorités ferroviaires dans le tunnel. Nous cherchons à négocier avec les Britanniques, pour justement conserver le caractère dual, mais unifié, de la commission intergouvernementale sur la sécurité ferroviaire. L’ordonnance n’interviendrait qu’en dernier recours, c’est-à-dire si tout échoue. Il paraît donc nécessaire de pouvoir légiférer par ordonnances « au cas où ».
La réduction du délai d’habilitation à sept mois ne me paraît pas satisfaisante. Selon moi, nous avons intérêt, politiquement, en tant que Parlement uni derrière le Gouvernement, à indiquer aux Britanniques que nous sommes prêts à négocier douze mois de plus, s’ils souhaitent aller dans cette voie. Nous devons faire preuve d’une grande ouverture, parce que, je le répète, un accord coûte que coûte n’est pas ce que nous cherchons.
Madame Assassi, vous avez parlé de « désinvolture », soulignant qu’il n’y avait pas d’urgence. Or, s’il y a un sujet sur lequel nous ne sommes pas désinvoltes et où il y a urgence, c’est bien le Brexit.
Mme Éliane Assassi. Je n’en ai pas parlé !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Nous ne pouvons pas laisser penser aux entreprises, aux pêcheurs ou aux agriculteurs que nous serions prêts à leur faire subir une double peine, celle de la crise économique et sociale qui s’annonce et celle du choc du Brexit. Le fait de présenter au Parlement un texte nous permettant d’anticiper, de prévoir et de protéger est l’opposé d’une attitude désinvolte !
Mme Éliane Assassi. C’est vous qui êtes désinvolte, je n’ai pas parlé du Brexit !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Monsieur Hervé, vous avez considéré comme opportuniste le fait d’introduire les problématiques du Brexit dans ce texte. Je le répète, il y a urgence à rassurer, à protéger et à amener tous les Français à se préparer, comme l’a dit M. Ladislas Poniatowski.
Ce texte montre que le Gouvernement prévoit un certain nombre de choses, mais que, pour autant, de nombreux aspects ne dépendent pas de nous. Ainsi, accord ou pas, la situation sera différente après le Brexit, pour ce qui concerne les contrôles et les procédures, que nous souhaitons les moins invasifs possible. J’y insiste, un accord de libre-échange ne signifie pas « zéro contrôle ». D’ailleurs, nos entrepreneurs, nos agriculteurs et nos pêcheurs nous demandent de contrôler ce qui entrera sur le territoire du marché intérieur, parce qu’il y va de la crédibilité européenne.
Monsieur Poniatowski, selon vous, une habilitation de quinze mois est trop longue. Vous incitez ainsi à la vigilance sur les mesures « balai ». Entre l’accord de retrait et le large accord commercial auxquels nous travaillons, nous voyons apparaître des angles morts. Je pense notamment aux conditions d’exercice d’un certain nombre de professions libérales, qui ne seront peut-être pas couvertes par l’accord commercial et qui ne sont pas concernées par l’accord de retrait.
Certains pourraient vous dire que nous n’avons pas besoin de texte. Je préfère, au nom du Gouvernement, donner aux personnes concernées une sécurité juridique absolue sur le fait qu’elles pourront continuer à exercer leurs activités. C’est un sujet que nous sommes aujourd’hui capables d’identifier.
Ces sujets d’angle mort ou de frottement apparaîtront si l’accord commercial ne couvre pas tout le champ permettant de préserver la capacité des ressortissants britanniques à exercer leurs activités chez nous. Nous devons être capables de leur dire que nous ne mettrons pas de barrières à la poursuite de leur activité en France : c’est un signal politique fort, que vous souhaitez également envoyer.
Permettez-moi de revenir sur la question du délai de quinze mois. Si vous pensez que nous sommes en capacité d’avoir un bon accord dans sept mois, je vous suis et le délai d’habilitation de quinze mois n’est effectivement plus opportun. Mais Michel Barnier le dit avec insistance, nous n’avons pas, aujourd’hui, réuni les conditions d’une bonne négociation nous permettant de préserver nos intérêts, y compris après avoir fait du chemin, et de nous assurer que, sur la gouvernance, la pêche et des conditions de concurrence équitables, cet accord nous permet, pour les dix ou vingt ans à venir, d’envisager les choses avec confiance.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement, pour ne pas revenir devant vous avec la même disposition dans six mois, vous propose de nous faire confiance pour les quinze prochains mois, sur les quatre sujets dont nous parlons.
Bien sûr, nous souhaiterions pouvoir négocier douze mois de plus avec les Britanniques. Ni Michel Barnier ni moi-même n’avons aujourd’hui le pouvoir d’imposer ce point de vue. Il est donc important que le Parlement envoie un signal politique fort.
Au fond, il y a deux discussions parallèles : comment le Gouvernement français échange-t-il avec son Parlement ? quel signal le Parlement envoie-t-il à son Gouvernement en termes de confiance ? Il s’agit de nous donner douze mois de plus pour trouver un meilleur accord que ce que les Britanniques veulent nous proposer sous la contrainte du temps. C’est un débat utile, qui permettra d’envoyer un signal diplomatique. Je le concède, il n’est pas de même nature que les demandes d’habilitation traditionnelles, ce qui rend peut-être les choses plus difficilement lisibles.
Je suis ici parfaitement honnête en vous disant qu’il y a là non pas une manigance, mais la volonté de nous mettre tous ensemble dans une position de force face aux Britanniques, pour soutenir Michel Barnier.
M. Ladislas Poniatowski. Et sur la quarantaine décidée par les Britanniques, madame la secrétaire d’État ?
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du royaume-uni de l’union européenne
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme M. Jourda, au nom de la commission des lois, d’une motion n° 269.
Cette motion est ainsi rédigée :
Constatant que les amendements nos 154, 223, 40, 161, 213 et 148 visent à étendre le champ d’une habilitation à légiférer par ordonnances et qu’ils sont contraires au premier alinéa de l’article 38 de la Constitution, le Sénat les déclare irrecevables en application de l’article 44 bis, alinéa 10, de son Règlement.
En application du dernier alinéa de l’article 44 bis, alinéa 10, du règlement, ont seuls droit à la parole l’auteur de la demande d’irrecevabilité, un orateur d’opinion contraire, la commission saisie au fond – chacun disposant de deux minutes et demie –, ainsi que le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme le rapporteur, pour la motion.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Je l’ai indiqué dans la discussion générale, l’article 38 de la Constitution obéit à un certain nombre de règles. Ainsi, le Parlement ne peut pas se voir imposer le transfert de ses pouvoirs par une habilitation trop large ou trop longue. Il ne peut pas non plus se mettre dans une situation de servitude volontaire, c’est-à-dire demander une extension de l’habilitation à légiférer par ordonnance qu’il aurait donnée au Gouvernement. Or tel est justement l’objet des amendements visés par cette motion.
Je vous demande donc, mes chers collègues, d’adopter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, sur le double fondement de l’article 38 de la Constitution et de l’article 44 bis de notre règlement.
M. Marc Fesneau, ministre. Le Gouvernement partage l’analyse de la commission, qui constate que ces amendements tendant à élargir le champ d’une habilitation à légiférer par ordonnance et qui sont donc, par conséquent, contraires à l’article 38 de la Constitution.
Il ne peut donc être que favorable à l’adoption de la motion proposée par la commission des lois.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 269, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, les amendements nos 154, 223, 40, 161, 213 et 148 sont déclarés irrecevables.
Article 1er
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnances, dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi, les mesures relevant du domaine de la loi et, le cas échéant, les étendre et les adapter aux collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution :
1° (Supprimé)
2° Afin, face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, d’assurer le maintien des compétences et des moyens humains nécessaires à la continuité de l’exercice des missions militaires et de service public ou à la poursuite de l’activité économique :
a et b) (Supprimés)
c) Étendant, pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face l’épidémie de covid-19 et prorogé par l’article 1er de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, à l’ensemble des personnes morales chargées d’une mission de service public la possibilité de recourir à la réserve civique, pour la seule exécution de ladite mission de service public et à l’exclusion de toute autre ;
d) Permettant, pendant l’état d’urgence sanitaire déclaré en application du même article 4 et une durée n’excédant pas six mois à compter de son terme et afin de limiter les fins et les ruptures de contrats de travail, d’atténuer les effets de la baisse d’activité, de favoriser et d’accompagner la reprise d’activité, l’adaptation des dispositions relatives à l’activité partielle, notamment en adaptant les règles aux caractéristiques des entreprises en fonction de l’impact économique de la crise sanitaire sur ces dernières, à leur secteur d’activité ou aux catégories de salariés concernés en tenant compte notamment de la situation particulière des artistes à employeurs multiples ;
e à h) (Supprimés)
i) Permettant, pour les saisons sportives 2019/2020 et 2020/2021, d’adapter les compétences et les pouvoirs des fédérations sportives et des ligues professionnelles afin de modifier le régime applicable aux contrats des sportifs et entraîneurs professionnels ;
j) (Supprimé)
k) Permettant aux autorités compétentes pour la détermination des modalités d’organisation des concours et sélections pour l’accès à l’enseignement militaire, ainsi que des modalités de délivrance des diplômes et qualifications de l’enseignement militaire, d’apporter à ces modalités toutes les modifications nécessaires pour garantir la continuité de leur mise en œuvre, dans le respect du principe d’égalité de traitement des candidats ;
l à o) (Supprimés)
3° Ainsi que les mesures :
a) (Supprimé)
b) Permettant, pour les salariés placés en position d’activité partielle, le maintien de garanties de protection sociale complémentaire applicables, le cas échéant, dans l’entreprise, nonobstant toute clause contraire des accords collectifs ou des décisions unilatérales et des contrats collectifs d’assurance pris pour leur application, pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré en application de l’article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 précitée, ainsi que l’adaptation des conditions de versement et du régime fiscal et social des contributions dues par l’employeur dans ce cadre ;
c à e) (Supprimés)
II. – (Supprimé)
III. – Pour chacune des ordonnances prévues au présent article, un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de sa publication.
M. le président. La parole est à M. Max Brisson, sur l’article.
M. Max Brisson. Lors de l’examen de cet article 1er, nous aurons notamment à débattre du dispositif de l’activité partielle.
Je souhaite appeler votre plus grande attention sur la situation exceptionnelle que connaissent de nombreux acteurs du champ artistique et culturel, notamment les établissements publics de coopération culturelle. Alors qu’il leur avait été assuré, mi-avril, qu’ils pouvaient bénéficier du dispositif d’activité partielle, l’ordonnance du 22 avril 2020 les en exclut. Dès le lendemain et à plusieurs reprises les semaines suivantes, le ministre de la culture déclarait : « Nous sommes en train de faire en sorte que toutes ces mesures soient applicables aux établissements publics à vocation industrielle et commerciale relevant des collectivités territoriales. » Le 5 mai, il précisait qu’ils pourraient « désormais bénéficier des aides de l’État ».
Or, une semaine plus tard, un certain nombre d’établissements se sont vu signifier par leur Direccte (direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi) qu’ils n’étaient pas éligibles à ces dispositifs.
Ces atermoiements et ce manque de clarté sont une source de difficultés supplémentaires pour un secteur fragile et qui a perdu l’essentiel de ses recettes.
De plus, sur le fond, ce choix, s’il était confirmé, marquerait une rupture économique majeure pour ces établissements, dont les budgets auront à supporter sur plusieurs années les effets du confinement et leur exclusion des dispositifs du chômage partiel.
Si l’État ne venait pas en aide à ces structures, il imposerait également une charge supplémentaire aux collectivités territoriales.
Enfin, vous ne pouvez ignorer la portée non seulement économique, mais aussi symbolique d’une telle disposition pour un pays profondément attaché aux activités culturelles.
Aussi, dans le prolongement des démarches de la présidente de la commission de la culture, Mme Catherine Morin-Desailly, je tiens à appeler votre bienveillance, au-delà des clivages politiques, sur les amendements nos 55 et 263 portés par Sylvie Robert, dont l’adoption permettrait de sécuriser l’emploi artistique et culturel. Ils sont le reflet du travail de fond des groupes mis en place par la commission de la culture, inquiète face à un vrai risque d’écroulement de pans entiers de la culture dans notre pays.
M. Philippe Mouiller. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Dans sa forme première, l’article 1er n’avait d’autre but que d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance sur plus d’une trentaine de thématiques.
Les sujets étaient aussi divers et variés que les règles ayant trait aux CDD, à la prolongation des mandats des conseillers prud’homaux, à l’organisation de la défense française, ou encore aux prérogatives des fédérations sportives pendant la pandémie. Aucun de ces sujets n’est sans importance et la plupart auraient mérité un projet de loi, afin que le Parlement n’ait pas à se délester en urgence de sa compétence à amender les décisions gouvernementales.
Fort heureusement, l’Assemblée nationale et le travail en commission au Sénat ont permis de vider pour moitié cet article de sa substance. Ainsi, plusieurs sujets, notamment la question primordiale des étrangers, sont revenus dans le champ des compétences législatives du Parlement, sans nécessiter le recours à l’article 38 de la Constitution.
Nous entendons que le droit français offre à l’exécutif la possibilité de légiférer par ordonnance. Toutefois, comprenez que nous sommes en démocratie et que notre système a été bâti sur la capacité du Parlement à contrôler et corriger si nécessaire l’action gouvernementale. Il n’est pas tolérable de nous faire travailler dans ces conditions, sur des sujets disparates, avec une méthode qui bride le législateur dans son pouvoir d’amendement des projets de loi.
Souffrez donc, madame, monsieur les ministres, que nous existions et que nous nous exprimions.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je veux revenir sur certains aspects de ce qu’ont excellemment dit mes collègues, notamment Éric Kerrouche, Didier Marie et Monique Lubin, s’agissant de cet article 1er.
Je pense en particulier aux mesures relatives à la justice. Voyez-vous, le jury populaire est une tradition en France. Mais plus qu’une tradition, c’est une forme d’exercice de la justice très importante, et perçue comme telle. La justice est rendue au nom du peuple français, qu’il s’agisse de magistrats professionnels ou d’un jury populaire en présence de magistrats professionnels.
Il a été décidé qu’il y aurait une expérimentation dans quelques départements, pour mettre en œuvre des cours criminelles départementales. L’expérimentation suppose qu’on évalue, au bout d’un certain temps, les conséquences de la mesure. Or voilà qu’à la faveur de l’état d’urgence sanitaire, sans rapport avec la question, il est proposé d’étendre la mesure à trente départements !
Un tel fonctionnement est intolérable et incompréhensible, car non respectueux du droit. Par conséquent, nous soutenons puissamment l’amendement que Mme la rapporteure Muriel Jourda a présenté pour supprimer cette extension d’une expérimentation dont on ne connaît aucun des effets.
Par ailleurs, nous proposerons d’aller plus loin que l’amendement présenté par Mme la rapporteure sur la question de la justice des mineurs. Je serai bref parce qu’il me reste peu de temps.
Mme la garde des sceaux nous a dit que tout cela se ferait par ordonnance, mais dans le cadre d’une immense concertation avec le Parlement. Nous avons répondu : si immense concertation il va y avoir, en quoi est-il nécessaire d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance ? Pourtant, l’ordonnance est toujours d’actualité, et l’on nous dit qu’il faut retarder encore un peu davantage.
À cela nous disons : « non ». Sur ce sujet si important de la justice des mineurs, nous demandons un projet de loi et un débat parlementaire.