M. le président. La parole est à M. Loïc Hervé. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Loïc Hervé. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le maintien de l’ordre est, sans nul doute, un sujet d’une grande actualité. C’est pourquoi je tiens à remercier nos collègues du groupe CRCE pour l’inscription de ce débat à l’ordre du jour, tant il est nécessaire de mieux comprendre comment la doctrine d’emploi de la police nationale et de la gendarmerie nationale dans le cadre du maintien de l’ordre a évolué depuis ces derniers mois.
Par où commencer ? Dans le sillage des manifestations liées à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, à la loi Travail, au mouvement des « gilets jaunes » et, plus récemment, au projet de loi portant réforme des retraites, force est de constater que l’État est confronté à une augmentation sans précédent des actes de violence tant envers les biens – notamment le mobilier urbain – qu’envers les symboles de la République, à l’image du saccage de l’Arc de Triomphe, le 1er décembre 2018.
Ainsi, pour les opérations de maintien de l’ordre, l’année qui vient de s’écouler aura été exceptionnelle, à la fois par la durée de mobilisation des forces de sécurité intérieure et par le niveau de violence auquel ont dû faire face gendarmes et policiers.
Afin de répondre à ce développement des troubles à l’ordre public, l’État, qui en est le principal garant, doit disposer d’unités professionnelles qui s’appuient sur des savoir-faire et des savoir-être garantissant une continuité de son action en tout temps et en tous lieux. C’est pourquoi des forces professionnelles de maintien de l’ordre, spécialement formées et solidement encadrées par des personnels expérimentés, sont les plus à même de favoriser une gestion politique des crises sociales. Rompues à doser l’emploi de la force, elles permettent ainsi d’éviter des fractures durables au sein du corps social qu’est la Nation.
Ces unités régulièrement entraînées doivent renforcer leur robustesse afin de se préparer collectivement aux situations les plus dangereuses et les plus instables, mais également développer leurs capacités physiques et leur maturité psychologique en matière de gestion du stress ainsi que le discernement individuel de leurs membres.
Vous l’aurez donc compris, mes chers collègues, la formation et l’entraînement sont la clé d’un maintien de l’ordre efficace, c’est-à-dire avec un usage strictement nécessaire de la force.
Face à l’intensification et à la multiplication dans le temps de ces mouvements de violence, cependant, l’État a dû faire appel à des policiers ou à des gendarmes qui n’étaient pas des spécialistes du maintien de l’ordre, issus notamment de brigades anti-criminalité. Confier les missions de maintien de l’ordre, même très ponctuellement, à des personnels non spécialisés peut présenter un risque pour ces personnels eux-mêmes, qui sont moins bien formés et mal entraînés à l’usage de tel ou tel matériel, mais aussi pour les personnes qui se trouveront face à eux.
À cet égard, il y a quelques mois, nous avions débattu dans cet hémicycle des lanceurs de balles de défense. D’utilisation complexe, mais indispensable, ce matériel nécessite une réelle expertise dans son maniement. Il est probable qu’un policier de la BAC ou un CRS, plongés au cœur d’une manifestation violente, n’auront pas exactement les mêmes réflexes ou les mêmes réactions en l’utilisant.
Comment, dès lors, concilier liberté de manifester et respect de l’ordre public ? Peut-on parler d’un changement, voire d’une remise en question, de la doctrine d’emploi du maintien de l’ordre ? Je le pense.
Comme je l’ai rappelé, nous avons assisté à une réorganisation du maintien de l’ordre qui permet aux forces de l’ordre d’être plus mobiles, présentes sur l’ensemble du territoire et plus dynamiques. Elles peuvent ainsi disposer d’une plus grande autonomie. Depuis plusieurs mois, la doctrine historique reposant sur le principe de la mise distance pour éviter un contact direct avec les manifestants a sensiblement évolué, afin que les compagnies de CRS ou de gendarmes mobiles ne soient plus simples spectateurs des agissements de ces casseurs appelés Black Blocs qui empêchent tout individu d’exercer son droit de manifester librement.
Ce changement de doctrine visant à permettre une intervention plus directe et plus réactive est, certes, salutaire, mais n’est pas dénué de conséquences. Lorsque des policiers et des gendarmes vont au contact, le risque de blessures s’accroît, du côté des manifestants comme des forces de l’ordre.
Enfin, le débat d’aujourd’hui nous donne l’occasion d’évoquer la décision rendue par le Défenseur des droits en décembre dernier rappelant que « les fonctionnaires de police et militaires de gendarmerie […] appartenant aux services et aux unités engagées en opération de maintien de l’ordre ne peuvent, au cours de ces opérations, dissimuler leur visage, notamment par une cagoule ».
Ce principe vient renforcer celui que met en œuvre la loi du 2 mars 2011, qui dispose que « se dissimuler le visage, c’est porter atteinte aux exigences minimales de la vie en société ».
Autrement dit, dans l’espace public personne ne peut porter une tenue destinée à dissimuler son visage sans motif légitime, tel que la participation à des missions spécifiques et strictement définies par une note de la direction générale de la police nationale (DGPN).
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, il est important de rappeler que, comme n’importe quel citoyen, les agents de police se doivent d’être visibles, reconnaissables, notamment par leur numéro de matricule. Le port de la cagoule doit rester strictement encadré et les règles relatives au matricule respectées, y compris lors des opérations de maintien de l’ordre, afin que certains policiers ou gendarmes qui ne respecteraient pas les lois de la République ne puissent pas se réfugier dans l’anonymat.
Mes chers collègues, débattre du maintien de l’ordre n’est pas sans difficulté, tant la notion a évolué et s’est adaptée au cours des crises sociales que notre pays a connues. Il est fondamental que les forces qui assurent le maintien de l’ordre conservent toute la confiance du peuple, car elles sont les garantes de la stabilité de la société.
Pour que cette confiance soit garantie, il faut que les comportements déviants soient sanctionnés dès qu’ils sont détectés, afin que les agissements d’une infime minorité ne déteignent pas sur les policiers et les gendarmes qui assurent notre sécurité au quotidien.
C’est l’occasion, pour moi ainsi que pour les membres du groupe Union Centriste, de témoigner de notre soutien aux policiers et aux gendarmes et de notre respect pour le difficile métier qu’ils exercent. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pascal Allizard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis des mois, la France vit une situation politique et sociale dégradée à l’origine d’un climat de défiance et de violence à l’égard des représentants de l’autorité publique. Les forces de l’ordre, à propos desquelles nous débattons ce soir, font face à une situation inédite à plus d’un titre.
Il y a eu, d’abord, les attentats contre Charlie Hebdo, ceux du Bataclan, puis tous les suivants, qui ont conduit à une montée en puissance du dispositif de sécurité intérieure. Cette mission essentielle, qui s’avère consommatrice d’effectifs et de moyens, ne semble pas près de s’arrêter, compte tenu du niveau élevé de menace, du retour des revenants et des fins de peines de certains condamnés pour terrorisme.
Il y a, ensuite, la crise migratoire, dont l’issue n’est pas pour demain, avec des conditions difficiles et des situations qui dégénèrent parfois.
La radicalisation, encore, de la contestation sociale s’amplifie. Des manifestations tournent mal, noyautées par des individus qui débordent aussi bien les forces de sécurité que les organisateurs des manifestations. Les réseaux sociaux jouent un rôle d’activateur et de caisse de résonnance de ces violences, compliquant le maintien de l’ordre.
La crise des « gilets jaunes », enfin, s’est ajoutée au tableau. Ni son ampleur ni sa radicalité n’avaient été anticipées. Elle est attisée, selon moi, par des mouvements ultras, spécialistes du désordre, qui veulent abattre les institutions, quand le cœur du mouvement – il faut le dire – reste pacifique.
Il semble loin, le temps où les Français acclamaient dans les rues leur police qui venait de mettre un terme à la cavale meurtrière de terroristes. Un certain fossé se creuse entre les citoyens et la police ; les problématiques, pour ne pas dire les errements, du maintien de l’ordre n’y sont pas étrangers.
Cette situation ne peut plus durer, ne serait-ce que parce que personne, et surtout pas la démocratie, n’y trouve son compte, sauf l’extrême droite, qui se nourrit de ce climat délétère, et l’extrême gauche, qui peut donner libre cours à sa haine du capitalisme et des institutions, tout en médiatisant ses coups d’éclat.
C’est un fait, les forces de l’ordre sont épuisées d’avoir à faire face sur plusieurs fronts simultanément, le maintien de l’ordre s’ajoutant à leurs autres missions et s’inscrivant dans la durée.
Le bilan des blessés est inquiétant, sans parler des blessures invisibles, psychologiques, qui apparaissent lorsque les personnels sont à bout et peuvent conduire à des extrémités dramatiques. Ciblées par les Black Blocs, les forces de l’ordre le sont aussi par les terroristes. C’est la double peine !
De leur côté, les citoyens, choqués par certaines images, ne comprennent pas les stratégies de maintien de l’ordre mises en œuvre, et en sont parfois les victimes. Au cours de l’année dernière, celles-ci n’ont pas permis d’éviter, outre les violences sur les policiers, les atteintes aux personnes et les nombreuses dégradations de biens publics et privés.
Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, les dégâts matériels ont été considérables sur la voie publique, même si le pire a été évité. En guise de maintien de l’ordre, il n’y a eu, dans certains cas, ni maintien ni ordre, mais seulement une gestion désordonnée du désordre qui a mis en péril les policiers, les gendarmes, les manifestants pacifiques, les commerçants et les habitants des quartiers concernés.
Alors, fatigués, débordés, parfois désorientés par les consignes, certains policiers se sont laissés aller à des comportements inappropriés, dont les plus graves doivent être sanctionnés, et qui, en retour, alimentent la haine de la police, puissamment relayée sur internet et dans la « complosphère ».
Dès lors, monsieur le secrétaire d’État, quels retours d’expérience faites-vous des événements des derniers mois ? Comptez-vous abandonner des zones, comme ce fut le cas place d’Italie, dans lesquelles les radicaux peuvent tout casser ? Comment améliorez-vous la coordination avec les autres services, notamment les mairies, afin d’éviter aux forces de l’ordre d’être canardées par du mobilier urbain ou de chantier ? Comment renforcez-vous la formation au maintien de l’ordre ?
Je le conçois, la reprise en main du maintien de l’ordre ne passe pas uniquement par le ministère de l’intérieur et par la doctrine d’emploi des forces. Elle ne pourra être réellement efficace que si la réponse pénale, pour les cas qui en relèvent, est rapide et forte.
Manifester est, et doit rester, un droit fondamental dans notre démocratie. À cette occasion, ne laissons plus les casseurs tenir le haut du pavé et dégrader notre bien commun. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie le groupe CRCE d’avoir choisi ce thème de débat aujourd’hui, qui traduit sa volonté constante d’accorder de l’importance aux questions de maintien de l’ordre dans notre hémicycle. Mes chers collègues, vous aviez également invité le Gouvernement à discuter avec nous de l’interdiction des lanceurs de balles de défense en 2019, et M. Laurent Nunez avait alors fait des déclarations intéressantes, sur lesquelles je reviendrai.
Il est malheureux de constater que, débat après débat, le Gouvernement fuit les responsabilités qui sont les siennes dans l’état de tension qui existe dans le pays. C’est un jour la faute des « gilets jaunes » – admettons ! –, un autre, celle des Black Blocs – je veux bien le croire –, un autre encore celle des observateurs de la Ligue des droits de l’homme – ils ont le dos large ! –, mais jamais, au grand jamais, la responsabilité du Gouvernement ne saurait être invoquée !
Ces derniers mois, devant l’évidence, vous avez fini par lâcher du lest, en rejetant d’abord la responsabilité sur des policiers qui auraient commis individuellement des erreurs, puis en lançant une consultation citoyenne pendant deux week-ends, dont on a finalement peu entendu parler. Laissez-moi vous dire qu’un peu plus de transparence en la matière aurait été bienvenu ! Après tout, la convention citoyenne sur le climat travaille bien en communiquant beaucoup, l’exécutif sait donc rendre les choses accessibles au grand public, quand il le veut.
Au sujet de l’information rendue accessible au grand public, je me permets d’aborder un élément que Mediapart a porté à notre connaissance : la DGPN travaillerait à des évolutions législatives visant à limiter le nombre de vidéos de violences policières filmées par les citoyens. On évoque une moindre diffusion, voire des floutages. Nous aimerions en savoir plus et, surtout, comprendre la logique de cette démarche : d’un côté, le Gouvernement veut développer la reconnaissance faciale dans la vidéosurveillance et équiper les binômes porteurs de LBD de caméras-piétons et, de l’autre, il entendrait limiter la portée des images réalisées par les citoyens.
Je reviens sur les caméras-piétons, sans doute très utiles pour restaurer la confiance entre la police et la population en matière de maintien de l’ordre. J’ai déposé une question écrite à ce sujet, que vous me permettrez de relayer ici. Lors du débat passé sur l’interdiction des LBD, vous aviez déclaré, monsieur le secrétaire d’État : « Le ministre de l’intérieur a notamment exigé que tous les policiers et les gendarmes munis de LBD soient dotés de caméras-piétons pour pouvoir vérifier systématiquement le bon usage de l’arme et, surtout, contextualiser cet usage pour s’assurer qu’il a été effectué dans des conditions réglementaires. »
Un an plus tard, Le Canard enchaîné nous faisait part de l’inutilité supposée de 10 400 caméras-piétons, acquises pour 2,3 millions d’euros : ces équipements ne bénéficieraient pas de batteries suffisantes pour une utilisation facile. Les difficultés d’usage de ces dispositifs en situation de tir de LBD semblaient connues. La DGPN envisageait des binômes – porteur de LBD, porteur de caméra – dès 2019.
Monsieur le secrétaire d’État, ces informations sont-elles vraies ? Combien de caméras avez-vous achetées depuis 2019, et à quel prix unitaire ? Quelles sont les caractéristiques du modèle retenu ? Comment les équipements ont-ils été répartis entre forces de police et de gendarmerie ?
Par ailleurs, j’aimerais connaître les caractéristiques du modèle retenu pour l’équipement, annoncé l’été dernier, des pompiers de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et du service départemental d’incendie et de secours du Val-d’Oise.
Monsieur le secrétaire d’État, interrogé sur des actes précis, vous avez l’habitude de répondre qu’une enquête a été ouverte par l’inspection générale de la police nationale (IGPN). Je comprends tout à fait cette position, conforme, en quelque sorte, à la séparation des pouvoirs. Reste que des doutes existent sur l’IGPN. Je n’en donnerai qu’une seule illustration : après que, à Strasbourg, un jeune garçon ne participant à aucune manifestation a été blessé au visage, l’enquête de l’IGPN n’a abouti à rien et le policier ayant tiré n’a pas été identifié. Le Défenseur des droits s’est saisi de ce cas.
J’espère donc, monsieur le secrétaire d’État, que vous ne me renverrez pas à l’IGPN en réponse à ma dernière interpellation. Vos brigades de répression de l’action violente motorisées, ces fameuses BRAV-M, qui tirent à bout portant au LBD quand elles ne sont pas en danger, est-ce normal ? Cela contribue-t-il en quelque façon à la désescalade ? Dans ces conditions, pensez-vous que la priorité soit vraiment de flouter les BRAV-M dans les vidéos des citoyens ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, sur l’initiative de nos collègues du groupe CRCE, que je remercie, nous débattons aujourd’hui d’un sujet très médiatisé, en particulier depuis que s’est développé l’usage des LBD, suivi de leur remise en cause. Cette médiatisation a même dépassé nos frontières, puisque le Parlement européen a adopté, le 14 février 2019, une résolution rappelant l’importance d’un recours proportionné à la force.
Il s’agit pourtant d’un sujet sur lequel le législateur n’a, en réalité, que peu de prise. De fait, en matière policière comme militaire, les conditions d’emploi de la force ont toujours relevé du domaine réglementaire, plus précisément d’une doctrine – mot qui figure dans l’intitulé de ce débat –, susceptible d’évoluer dans le temps, en fonction de la modernisation des équipements ou par nécessité d’adaptation rapide aux menaces.
Il est ainsi utile de rappeler que le code de déontologie applicable aux forces de l’ordre, conformément à l’article L. 434-1 du code de la sécurité intérieure, est établi par décret en Conseil d’État, donc au niveau infralégislatif. Par ailleurs, la doctrine de maintien de l’ordre est définie par les directions générales, sous l’autorité du ministère de l’intérieur.
Il revient au juge de veiller à ce que cette doctrine respecte les principes fixés par la loi, notamment les règles énoncées à l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure en ce qui concerne l’usage des armes : « Dans l’exercice de leurs fonctions et revêtus de leur uniforme ou des insignes extérieurs et apparents de leur qualité, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale peuvent […] faire usage de leurs armes en cas d’absolue nécessité et de manière strictement proportionnée. »
S’agissant spécifiquement du maintien de l’ordre, le même article prévoit, dans son 2°, que l’usage des armes ne peut intervenir, pour la défense des lieux occupés par les forces de l’ordre ou des personnes qui leur sont confiées, qu’après deux sommations faites à haute voix. Saisi par un manifestant s’estimant victime de violences, le juge s’assurera que l’ensemble de ces conditions étaient réunies au moment de l’usage de la force dans le cadre d’une manifestation.
Depuis quelques années, on constate une multiplication des recours devant le juge judiciaire pour violence avec arme. Certains regrettent qu’ils aient donné lieu à peu de condamnations et mettent en cause le rôle de l’IGPN.
Pour notre part, nous n’oublions pas l’extrême difficulté de la tâche assignée à nos forces de l’ordre : sans que cela excuse aucun comportement fautif, elles doivent faire face à une violence de plus en plus banalisée, continue et provocatrice.
C’est dans ce contexte que le juge administratif également est de plus en plus saisi, aux fins de rechercher une responsabilité administrative pouvant remonter des agents de maintien de l’ordre jusqu’au préfet, voire au ministre de l’intérieur – avec, chaque fois, la nécessité de traiter de la question complexe de la proportionnalité.
Dans ces conditions, a-t-on intérêt à renforcer l’encadrement législatif des doctrines de maintien de l’ordre ? Je ne le crois pas.
Il est toujours difficile pour le législateur de se projeter dans la situation d’un fonctionnaire chargé de maintenir l’ordre ou d’assurer la sécurité. Sur le terrain, la subjectivité prend le dessus, la rapidité des événements également.
J’ai souvenir des débats qui nous ont longuement tenus en éveil après les attentats de 2015, tant il était difficile de trouver les mots pour permettre aux forces de l’ordre d’intervenir en cas de périple meurtrier sans exposer nos concitoyens à des risques de bavures. Face aux raidissements – c’est un euphémisme… – observés des deux côtés et à l’influence croissante des Black Blocs parmi les manifestants, nous avions proposé des solutions vidéo pour tenter, en objectivant les rapports de force, de sortir des subjectivités qui opposent agents du maintien de l’ordre et manifestants.
À ceux qui doutent de l’existence de grands hommes d’État au sein de nos forces de l’ordre, je rappellerai les directives données par le préfet de police Maurice Grimaud, le 29 mai 1968, aux agents placés sous sa responsabilité : « Dites-vous bien et répétez-le autour de vous : toutes les fois qu’une violence illégitime est commise contre un manifestant, ce sont des dizaines de ses camarades qui souhaitent le venger. Cette escalade n’a pas de limites. »
Très attaché à la liberté de manifester, notre groupe est tout autant un défenseur de l’ordre républicain. (M. Daniel Chasseing opine.) Nous considérons que la désescalade doit aujourd’hui venir de ceux qui, parmi les manifestants, remettent en cause la légitimité du monopole de la violence exercé par l’État. Étant entendu que, bien évidemment, les abus de pouvoir doivent être examinés par le juge au cas par cas, dans le cadre des voies de recours ouvertes à ceux qui s’en estiment victimes.
C’est ainsi, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, que régneront dans notre pays l’ordre républicain et l’État de droit, auxquels nous sommes tous attachés ! (Applaudissements sur des travées des groupes RDSE, LaREM et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la demande formulée par nos collègues du groupe communiste est évidemment légitime. Ce débat nous permet d’échanger informations et réflexions. Je suggère simplement que, dans le calme et avec recul, résistant à la tentation de juger un peu vite et de se donner le beau rôle, nous ne cédions pas à la facilité.
Si la question de l’évolution des doctrines de maintien de l’ordre se présente aujourd’hui, c’est à cause de facteurs externes aux forces démocratiques représentées dans cette assemblée, externes aussi – c’est mon appréciation – à l’organisation de la démocratie en France.
J’ai d’ailleurs apprécié la prudence de la formulation choisie par Mme Assassi pour présenter, au nom de son groupe, la demande de ce débat. Elle a, en outre, eu l’habileté – chose tout à fait légitime dans un débat – de ne prononcer des propos négatifs ou suspicieux que sous forme de citations de tiers. (Murmures sur les travées du groupe CRCE.)
Prenons un peu de recul. Ce sujet, nous n’en aurions pas parlé voilà cinq ans. Pendant très longtemps – j’ai connu cette période –, lors d’une manifestation publique, la coexistence était correctement cogérée par les organisateurs et les responsables de la force publique. Comme souvent, quand une période est satisfaisante, on ne s’en aperçoit qu’après coup…
Le sujet principal qui motive nos échanges de cet après-midi, c’est évidemment l’apparition de plus en plus répétée de groupes organisés ayant planifié des actes agressifs à l’encontre des forces de l’ordre et, plus largement, des propriétés publiques et des institutions. À partir d’une idéologie et d’une volonté de démonstration, ces groupes ont pour stratégie de démontrer que la République ne parvient plus à gérer de façon correcte l’expression des opinions, la liberté de manifester et la paix publique. Voilà pourquoi ces groupes partent à l’attaque – c’est factuellement cela – des forces de l’ordre : déclencher la violence, les incidents, c’est ce qu’ils cherchent !
C’est ainsi que nous en venons à discuter d’une adaptation subie par les forces républicaines et d’un effort pour rétablir la sécurité publique, à commencer par celle des manifestants pacifiques, face à une agressivité construite de l’extérieur. Une agressivité d’ailleurs imitée, puisque, d’abord pratiquée par des groupes militants se rattachant à une forme d’anarchie, elle s’est ensuite étendue à des groupes ayant probablement d’autres racines idéologiques, mais fascinés par la volonté de montrer leur petite puissance, leur petite capacité de destruction face à la République.
Pour mon groupe et moi-même, l’intérêt de ce débat est aussi de demander au Gouvernement de tracer l’évolution de sa réflexion et de son travail sur ces enjeux, à partir de quelques questions.
D’abord, comment appréciez-vous, monsieur le secrétaire d’État, la capacité, en vue de laquelle les forces sont organisées, à mieux identifier et à mettre à l’écart les groupes repérables comme violents dès les premiers temps de la manifestation ? Aujourd’hui, le choix tactique est fait de séparer les groupes de type Black Blocs de la masse des manifestants, ce qui est évidemment très difficile : estimez-vous que la méthodologie a progressé ?
Ensuite, nous devons nous pencher sur un sujet dont on ne parle pas très souvent, parce qu’il a longtemps fait partie du train-train républicain de notre pays : la coopération entre les services d’ordre des manifestations, en particulier les services d’ordre syndicaux, qui ont la capacité d’encadrement la plus forte, et les dirigeants de la force publique. Ce dialogue, qui a longtemps été le premier facteur de régulation des manifestations, s’est-il maintenu au même niveau de qualité ? Du reste, les services d’ordre ont-ils aujourd’hui la même capacité d’encadrement qu’il y a dix ou vingt ans ?
Par ailleurs, les gens auxquels nous faisons face, des gens qui veulent fragiliser la démocratie à travers la violence dans les manifestations, commettent des délits. Ils sont donc susceptibles de poursuites judiciaires. Or nous avons une sérieuse difficulté à faire constater, sur le moment et de manière judiciairement probante, la réalisation de l’infraction et son imputation à un individu donné, généralement déguisé. Depuis deux ou trois ans, monsieur le secrétaire d’État, a-t-on progressé dans la caractérisation en temps réel des délits commis au cours des manifestations ?
Enfin, du fait de la fréquence des manifestations et de la forte mobilisation à laquelle elles vous contraignent, vous devez régulièrement faire appel à des forces de sécurité publique non destinées à maintenir l’ordre : ces forces appelées en renfort ont-elles pu gagner en formation et en aguerrissement, afin que soit confortée leur aptitude à intervenir auprès de leurs collègues spécialisés ?
Puisque l’on parle de liberté de manifestation, il est une manifestation que je crois unanime parmi nous : celle de la solidarité des républicains vis-à-vis de tous ceux, militaires et fonctionnaires civils, qui assument la charge de protéger la paix publique face à ceux qui se proposent de la détruire. Cette manifestation, il me semble qu’elle en vaut bien d’autres ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, RDSE et Les Indépendants.)