M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Madame la sénatrice Françoise Férat, la question de la fiscalité applicable aux transmissions est essentielle. Elle fait naturellement partie des discussions en cours et constituera un point important de la future loi foncière.
Je vais répondre à vos interrogations, mais il faut d’abord savoir que le sujet de la fiscalité est vieux comme le monde, si je puis dire, et que nous ne sommes pas vraiment encore arrivés à le régler.
Dans le cadre du chantier relatif à la fiscalité agricole mené en 2018, plusieurs mesures ont été prises en loi de finances pour 2019 : premièrement, triplement du plafond d’exonération des droits de succession ou de donation lors de la transmission de biens loués par bail à long terme ; deuxièmement, élargissement du crédit vendeur, qui permet d’étaler l’imposition des plus-values lors des cessions. Or, vous le savez comme moi, il faut laisser passer du temps avant de mesurer les effets d’une politique publique. Nous ne pouvons donc pas le faire pour les deux dispositifs que je viens de vous citer, puisqu’ils sont entrés en vigueur en 2019.
Nous ne devons pas nous interdire de poursuivre la réflexion sur le sujet. D’ailleurs, la question de la fiscalité et de la transmission constitue l’un des cinq axes de la consultation que nous menons actuellement sur le foncier, et il sera indispensable que la future loi inclue un volet consacré à la fiscalité. Les discussions ne seront peut-être pas simples avec mes collègues de Bercy, mais nous devrons avancer. Si nous n’évoquons pas ces sujets de fiscalité, de donation et de transmission, nous n’y arriverons pas.
Sur le renforcement des contrôles sur le foncier que vous évoquez, j’y suis personnellement favorable.
L’ensemble des propositions que vous formulez me semble de bon sens, mais les questions fiscales ne dépendent pas directement de moi et doivent être débattues lors de l’examen du projet de loi de finances.
Surtout, on ne peut pas faire de règle générale à partir des problèmes que vous soulevez à propos de la Champagne, problèmes que je comprends tout à fait. Les questions se posent de manière différente dans les autres régions – c’est d’ailleurs l’une des difficultés. Pour autant, elles méritent une expertise précise, et je m’engage à y travailler dans le cadre des réflexions sur la fiscalité que nous menons pour préparer le projet de loi foncière.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Férat, pour la réplique.
Mme Françoise Férat. À vous entendre, monsieur le ministre, on a l’impression que rien n’est possible ! Vous vous abritez derrière cette future loi, dont nous entendons parler depuis des années… Je suis donc un peu déçue par vos propos. Pourtant, il faut vraiment que nous adressions des signaux clairs à nos agriculteurs, en particulier à nos viticulteurs. Je ne parle pas des grands vignobles de champagne, mais de petites exploitations souvent morcelées et qui ne sont pas exploitées comme il le faudrait.
Je le répète, je suis désolée d’entendre de tels propos de votre part, parce que nous devons absolument prendre les problèmes à bras-le-corps et aller de l’avant.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Le foncier agricole est largement dominé par l’intervention des Safer et, après avoir entendu leur éloge, je voudrais quand même rappeler le rapport de la Cour des comptes de 2014, qui pointait des dérives, notamment un dévoiement de leurs missions traditionnelles au profit de pratiques communément appelées opérations de substitution.
Il s’agit d’opérations qui n’ont strictement rien à voir avec les missions initiales des Safer, à savoir le remembrement et l’installation des jeunes et qui permettent aux acquéreurs de ne pas s’acquitter des droits fiscaux, dont les Safer sont exemptées, et à ces dernières de toucher une commission en échange. Selon la Cour des comptes, le coût fiscal de ces opérations s’élève à plus de 45 millions d’euros, les perdants étant les départements et les communes…
La Cour constate par ailleurs que cet avantage fiscal concerne de plus en plus d’opérations relatives à des biens ruraux bâtis qui n’ont strictement rien à voir avec les biens agricoles. Je vous invite, monsieur le ministre – j’en ai encore fait l’expérience tout à l’heure –, à aller sur le site internet géré par la Fédération nationale des Safer ; vous y trouverez des résidences secondaires qui n’ont aucune terre agricole autour.
Quelles mesures envisagez-vous pour mettre un terme à ce détournement de procédures ?
De manière plus générale, l’un des enjeux majeurs de l’agriculture réside dans l’investissement en milieu rural, et je ne suis pas certain que la combinaison du droit de préemption, de la politique des structures et des mécanismes de fixation des loyers soit un véritable élément d’attractivité. Qu’envisagez-vous de faire pour que les investisseurs n’hésitent pas à investir en milieu rural ?
Enfin, en ce qui concerne la fiscalité, sujet qui vient d’être évoqué par Mme Férat, on ne peut pas nous dire en même temps que le foncier agricole ne participe pas à l’économie réelle, puisqu’il est taxé au titre de l’impôt sur la fortune immobilière, et qu’il est indispensable à l’agriculture ! Il y a là une certaine contradiction…
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Dominique de Legge, votre question se situe dans le prolongement de celle de Mme Férat, et elle est importante.
Vous parlez de « détournement ». De manière générale, et sans évoquer cette expression en particulier, je crois que nous devons modérer nos propos. À propos des Safer, j’entends beaucoup de compliments, mais aussi des reproches. Tout dépend du camp dans lequel on est et de sa région. Les choses varient beaucoup. Par exemple, le Parlement a récemment voté un texte sur la préemption de petites parcelles en Île-de-France ; à cette occasion, le rôle de la Safer a été mis en avant.
Les missions des Safer sont strictement encadrées par la loi. Bien sûr, s’il y a des dérives, des choses qui ne se passent pas correctement, il faut les regarder de près, et je suis prêt à le faire. En même temps, depuis la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt de 2014, les missions des Safer s’exercent dans un champ relativement large : installation des agriculteurs, soutien aux exploitations, protection de l’environnement, développement rural, connaissance et transparence des marchés fonciers, etc. En contrepartie, la tutelle de l’État est forte.
Je crois que nous pouvons encore améliorer la transparence des Safer, et il faut que nous travaillions avec elles sur ces sujets pour qu’elles s’améliorent. C’est important, parce qu’elles sont la pierre angulaire de la question du foncier agricole.
Mme Férat disait : « Si on attend tout de la loi foncière, il ne se passera rien. » Mais nous n’en attendons pas tout ! Ces sujets sont sur la table depuis des années, et je ne connais pas encore le calendrier de ce texte. C’est pourquoi nous devons avancer sur cette future loi foncière, tout en adoptant des mesures grâce à d’autres véhicules à notre disposition, qu’ils soient législatifs – je pense surtout aux lois de finances – ou réglementaires.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Le foncier agricole, plus particulièrement viticole, est confronté à de nombreux conflits d’usages, qui sont notamment liés à l’urbanisme. L’objectif des SCOT, des PLUI ou des PLU est clairement d’optimiser la consommation des espaces, en préservant au mieux le foncier agricole et viticole.
Ainsi, en Gironde, le concept de trame pourpre, à l’instar des trames bleues et vertes, permet, sans en avoir la même force, d’améliorer la prise en compte des enjeux viticoles pour la rédaction des documents d’urbanisme, mais nous sommes clairement confrontés à une incapacité d’agir pour combler les dents creuses viticoles en milieu urbain ou en périphérie.
Cet objectif louable permettant notamment de rationaliser les périmètres et les bandes de protection ne dispose pas d’outil opérationnel de négociation et de compensation. Il est en effet légitime que, dans cette perspective, toute consommation foncière viticole, notamment en appellation d’origine contrôlée, soit compensée pour maintenir les surfaces d’exploitation, mais ces outils de compensation sont aujourd’hui quasi inexistants ou inopérants.
Il serait judicieux d’établir sur ces sujets des coopérations fonctionnelles entre les Safer et les établissements publics fonciers pour créer les moyens de la négociation et de la compensation, que celle-ci soit en nature ou financière.
Cet outil de médiation est aujourd’hui essentiel pour optimiser les démarches d’urbanisme, en respectant toutes les parties prenantes. Il serait essentiel pour répondre aux enjeux environnementaux et faciliter l’acceptabilité des projets.
Face à l’impuissance actuelle, quelles propositions d’outils de compensation et de médiation foncière pourriez-vous faire pour résoudre nombre de conflits et tensions liés aux proximités viticoles et urbaines ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Gillé, il est vrai que la question du foncier crée des tensions fortes, en particulier sur votre territoire. Quand on connaît le prix de l’hectare de vignes dans votre département, on peut le comprendre…
M. Hervé Gillé. Pas seulement des vignes !
M. Didier Guillaume, ministre. C’est exact !
Un outil existe, il a été établi par la loi d’avenir de 2014, c’est la compensation agricole, mais, aujourd’hui, nous ne nous en saisissons pas assez et nous ne disposons pas de suffisamment de dispositifs de régulation – je l’admets d’autant plus volontiers que je l’avais noté en 2014 dans mon rapport sur le projet de loi. C’est la raison pour laquelle, dans le cadre de la concertation en cours, nous devons travailler sur ces sujets. Peut-être ne faudra-t-il d’ailleurs pas attendre la future loi foncière et proposer des évolutions dans d’autres textes, par exemple en loi de finances. J’espère que vous pourrez contribuer à cette réflexion et proposer des amendements allant dans ce sens.
Je l’ai dit en répondant à une autre question, il faut absolument que la médiation sur la compensation du foncier se fasse.
En ce qui concerne les dents creuses, il faut évidemment trouver un équilibre entre l’extension des terres agricoles et celle des villes. Dans ce cadre, nous avons fixé un objectif essentiel : zéro artificialisation nette. Ce sujet recoupe aussi le débat actuel sur les zones de non-traitement, qui concernent notamment les activités viticoles. Je le disais dans mon intervention, l’urbanisation a progressé, les villages ont progressivement grignoté les champs et les vignes, et on dit maintenant aux agriculteurs : « Attention aux zones de non-traitement ! » Nous devons évidemment régler ce conflit entre plusieurs usages et intérêts.
Je vous propose de travailler avec mon cabinet sur ces sujets. J’écouterai vos propositions avec attention pour que nous puissions avancer le plus vite possible.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Je retiens votre proposition, monsieur le ministre, et je vous en remercie. Les contentieux sur les documents d’urbanisme sont de plus en plus nombreux, ce qui démontre une certaine impuissance publique. Il devient donc urgent de créer des instruments de médiation pour faciliter leur conception et leur approbation, en respectant l’ensemble des parties prenantes.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Je tiens à remercier mes collègues du groupe Les Indépendants d’avoir demandé l’inscription de ce débat sur le foncier agricole et la pertinence des outils de régulation à notre ordre du jour et à saluer le travail que mène notre collègue Laurent Duplomb sur l’agriculture.
Il faut d’emblée souligner l’importance de la politique foncière en France. Elle représente un atout pour la compétitivité et la durabilité de notre agriculture. À ce titre, cette politique publique mérite d’être préservée et consolidée.
Globalement, les outils de régulation existants et le travail des institutions mixtes, les Safer, depuis plus de cinquante ans ont permis d’accompagner la modernisation de l’agriculture, tout en préservant au maximum les structures familiales, mais ils ont surtout permis d’avoir une politique foncière agricole efficace – j’en veux pour preuve plusieurs exemples comme le contrôle des loyers en fonction de l’inflation et de l’évolution des revenus agricoles ou le contrôle de l’acquisition des terres par des pays étrangers. On constate cependant que ces outils ont aujourd’hui atteint certaines limites. Si le système fonctionne, il est perfectible et doit être amélioré pour mieux préserver nos terres face à l’accaparement par des investisseurs étrangers.
L’un de nos objectifs communs, mes chers collègues, étant de permettre aux agriculteurs d’acquérir progressivement les terres qu’ils exploitent, on peut se demander de ce point de vue où en est le dispositif Sapin, qui vise à mieux appréhender l’acquisition par des pays étrangers des terres agricoles françaises.
Je crois qu’il nous faut préserver, renforcer et moderniser les outils de régulation de notre politique foncière agricole.
Je terminerai par le cas précis du mitage des terres. Il faut pousser au regroupement des terres agricoles et éviter au maximum pour les collectivités le recours à un tel mitage. Comment améliorer la situation de ce point de vue et aider les collectivités ? Comment renforcer les outils de régulation existants ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Pellevat, je partage totalement vos inquiétudes et vos interrogations.
J’ai évoqué la loi Sapin et ce que nous avons ajouté dans la loi Pacte : à partir du 1er juillet 2020, la France aura la possibilité d’empêcher l’achat de terres pour des raisons de souveraineté. C’est quelque chose de très important.
Vous avez raison, une régulation est nécessaire. Aujourd’hui, 1,2 % des terres, je le disais, sont achetées par des sociétés financières étrangères. Cela reste faible, mais nous ne savons pas comment les choses peuvent évoluer à l’avenir, et le mouvement pourrait s’amplifier et s’accélérer, ce qui justifie pleinement la mise en place d’une régulation. J’insiste, régulation est le maître mot de ce que nous voulons faire.
Tous les élus de terrain connaissent bien ces problèmes, nous y sommes tous confrontés, que nous vivions dans une zone touristique ou viticole ou dans n’importe quel autre territoire. Nous comprenons donc parfaitement la nécessité de ces outils de régulation, et nous devons travailler ensemble à leur élaboration.
Vous évoquez aussi la question du mitage des terres, qui constitue en effet un véritable problème. Nous devons partir d’un principe de base : un agriculteur doit pouvoir acquérir ses terres. Dans le cadre du plan Biodiversité dévoilé en 2018, mes collègues Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie sont en train de mettre en place un groupe de travail sur ce sujet, ses conclusions sont attendues pour le printemps prochain. Une feuille de route interministérielle sera alors définie, et je pense que nous réussirons à trouver un modèle qui nous permette de faire baisser la pression.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Je vous remercie pour ces éléments, monsieur le ministre. Vous le savez, la Haute-Savoie est une région touristique qui est soumise à une forte pression immobilière. Les parlementaires de ce département seront donc très attentifs aux travaux du groupe de travail que vous évoquez et nous serons heureux de pouvoir être associés à ce processus de réflexion.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé.
M. Hervé Gillé. Ma question porte sur la création d’un nouveau livret d’épargne, que certains nomment déjà livret vert, dont l’objectif serait de mobiliser l’épargne des Français pour financer des actions en faveur de l’agriculture, notamment la préservation du foncier agricole et la transition vers l’agroécologie.
Ce livret vert pourrait être créé sur le modèle du livret A ou du livret de développement durable. Cette idée est portée depuis le début des années 2010 sur différents bancs de l’Assemblée nationale et différentes travées du Sénat.
Récemment, dans leur rapport de la mission d’information sur le foncier agricole rendu en décembre 2018 à l’Assemblée nationale, Anne-Laurence Petel et Dominique Potier en ont fait l’une de leurs propositions, mais nous pouvons aussi nous rappeler qu’en 2015 une proposition de loi déposée par une partie de nos collègues du groupe Les Républicains reprenait également le principe de ce livret vert.
Ce livret vert présenterait selon moi un triple avantage.
Le premier serait de renforcer la lutte contre la pression foncière et l’artificialisation ou l’accaparement des terres agricoles. Il pourrait financer une politique de prêts bonifiés fléchés visant à favoriser l’accès au foncier agricole pour encourager l’installation et le renouvellement des générations. Il pourrait bénéficier aux agriculteurs, mais aussi aux collectifs citoyens et aux collectivités territoriales.
Le deuxième avantage, c’est qu’il répondrait à une attente sociétale de plus en plus forte des Français de s’engager vers des politiques plus respectueuses de l’environnement et une alimentation plus sûre.
Le troisième avantage que j’identifie viendrait également répondre à une attente forte des Français : avoir accès à une épargne sûre.
Monsieur le ministre, la loi sur le foncier agricole tardant à venir et la création de ce livret vert relevant davantage d’une loi de finances, pouvez-vous nous indiquer si le Gouvernement est prêt dans le cadre du prochain projet de budget à accepter le principe de la création de ce livret vert ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Gillé, vous posez une question importante, qui a déjà été évoquée au Sénat, ainsi que par la mission d’information présidée par Jean-Bernard Sempastous à l’Assemblée nationale. Elle dépasse bien évidemment le cadre de notre débat d’aujourd’hui, parce qu’elle doit être évaluée en interministériel et parce qu’elle fait partie du champ d’une loi de finances – vous l’avez dit.
Vous évoquez les attentes sociétales. Je voudrais dire de manière générale que, si nous voulons une transition agroécologique et une agriculture plus saine, plus sûre et plus durable, c’est aux agriculteurs que nous devrons cette évolution.
En ce qui concerne la création d’un livret vert, il n’y a pas d’opposition a priori du Gouvernement, mais son contour et les modalités de sa mise en place ne sont pas assez définis aujourd’hui. Cette idée mérite que nous y travaillions, et nous le ferons dans le cadre de la concertation qui est en cours.
Je ne peux évidemment pas vous répondre par oui ou par non – ce serait absurde. Cette proposition d’épargne populaire verte dépasse naturellement le champ de compétences du ministère de l’agriculture et beaucoup d’acteurs peuvent être concernés par un tel projet.
En tout cas, le Gouvernement n’est pas a priori opposé à une réflexion sur ce sujet, mais l’ensemble des répercussions, notamment dans le domaine fiscal et économique, doit être expertisé avec précision. Je comprends votre question comme un appel à mettre ce sujet à l’ordre du jour, et vous avez bien fait de la poser, parce qu’il est important.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la maîtrise foncière par des instruments publics vise également à réguler les investissements financiers. Il est urgent de prendre cette orientation : nous espérons pouvoir travailler très rapidement à ce chantier !
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. L’artificialisation des terres se poursuit en France, malgré de nombreuses lois appelant à la sobriété. Mon département, représenté aujourd’hui dans nos tribunes par des habitants de la commune de Viriat, n’y échappe pas.
Le plan Biodiversité, qui prône le « zéro artificialisation nette », vient s’ajouter aux dispositifs antérieurs, tels que ceux des lois Grenelle II, SRU, ALUR ou de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, et aux orientations stratégiques de la politique climatique.
L’artificialisation reste pourtant supérieure en France à la moyenne européenne ; elle augmente plus rapidement que la population.
Ainsi, malgré les objectifs de réduction annoncés, on constate que la consommation des espaces naturels et agricoles se poursuit inexorablement. Elle représente en moyenne 27 000 hectares par an, soit l’équivalent de trois à cinq stades de football par heure.
De plus, si elle a été divisée par deux entre 2007 et 2017, elle est repartie à la hausse depuis 2015. Dans un rapport publié l’été dernier, France Stratégie estimait pour sa part qu’atteindre l’objectif de « zéro artificialisation nette » dès 2030 nécessiterait de réduire de 70 % l’artificialisation brute et de retourner à la nature 5 500 hectares de terres.
L’agriculture est souvent doublement touchée, par l’emprise des ouvrages construits puis par la mobilisation du foncier pour la mise en œuvre des mesures de compensation environnementale. La reconquête des sols et des friches urbaines peine à se mettre en place, notamment parce qu’elle est coûteuse.
L’application de la séquence « éviter-réduire-compenser », présentée comme la solution pour concilier aménagement et environnement, ne semble pas non plus donner les résultats escomptés. Le rôle des Safer comme régulateurs de la consommation du foncier agricole apparaît également de moins en moins prégnant.
Aussi, en quoi la loi foncière en préparation sera-t-elle de nature à apporter des solutions à la hauteur de cette consommation inexorable du foncier agricole, notamment en matière de réhabilitation des friches urbaines ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Patrick Chaize, permettez-moi de saluer à mon tour les citoyens et les élus de la commune de Viriat présents en tribune. Ils assistent à un débat dont la portée est bien réelle pour eux, tant le sujet de la pression foncière et de l’artificialisation des terres est prégnant dans le département de l’Ain, en particulier au sein de l’arc franco-valdo-genevois, du fait de la proximité de la Suisse. Ces dernières années, le nombre d’habitants a augmenté dans toutes les petites communes de ce secteur, ce qui a entraîné la consommation de terres agricoles.
Le sujet de la pression foncière, la proximité avec la Suisse font que tous nos petits villages ont augmenté en habitants et ont pris des terres agricoles.
Vous avez raison, monsieur Chaize : la consommation des espaces naturels est beaucoup trop forte aujourd’hui. Si, depuis des décennies, nous ne parvenons pas à régler ce problème, c’est pour une double raison.
D’abord, il a fallu équiper la France en logements et en services publics. Cela a contribué à priver l’agriculture de beaucoup de terres.
Ensuite, comme vous l’avez très bien dit, tant de textes législatifs concernant des secteurs divers et variés ont été produits, chacun traitant en silo de l’artificialisation des terres, que nous avons échoué à élaborer une vision globale du problème. De ce fait, nous sommes pour l’instant collectivement en échec.
Nous entendons précisément adopter une approche globale dans le cadre de l’élaboration de la future loi foncière, ainsi que dans celui de cette consultation. Je ne sais pas si cette loi foncière sortira cette année ou l’année prochaine : ni vous ni moi ne sommes maîtres de l’ordre du jour du Parlement, et il y a tellement d’autres textes à examiner ! Ce que je sais, c’est que le sujet que vous abordez est absolument essentiel. Le groupe de travail sur l’artificialisation des terres doit maintenant proposer des actions concrètes et partagées d’ici au mois d’avril et à la prochaine réunion du comité de défense écologique, afin d’étayer le projet de loi foncière à venir.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.
M. Patrick Chaize. Je remercie M. le ministre d’avoir pris en considération cette question. Effectivement, il faut arrêter de travailler en silo et aborder le problème selon une vision globale. C’est ainsi que l’on pourra répondre efficacement à un problème qui devient majeur dans nos territoires.
M. le président. La parole est à M. Vincent Segouin.
M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, je viens de l’Orne, département de polyculture, où prédominent, à l’ouest, la production laitière, et, à l’est, l’élevage et la culture des céréales. Dans ce département très agricole, bon nombre d’exploitations sont reprises par de jeunes agriculteurs, qui sont souvent, mais non toujours, les enfants des précédents exploitants.
Depuis quelques années, nous observons des reprises d’exploitations par des sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA) de départements voisins : ces sociétés pratiquent la monoculture pour fournir des unités de méthanisation. Nous constatons aussi que certaines fermes laitières sont reprises pour y étendre ou y installer des haras de chevaux de courses appartenant à des sociétés financières françaises ou étrangères. Dans ces deux cas, la terre peut être vendue jusqu’à 20 000 euros l’hectare.
Avec un chiffre d’affaires de 1 300 euros par hectare et un bénéfice de l’ordre de 450 euros par hectare, il est impossible pour un jeune agriculteur d’acquérir ces terres et de vivre décemment de son travail. Pourtant, à l’échelle du pays, il est primordial de conserver une indépendance agricole et de produire suffisamment pour nourrir la population : cela a été suffisamment répété au fil de cette journée. L’installation des jeunes agriculteurs doit donc être suivie et encouragée.
Bien sûr, le libéral que je suis aurait préféré que l’agriculture rémunère suffisamment pour qu’un marché du foncier agricole fonctionne de façon libre et indépendante, sans intervention des Safer. Malheureusement, ce n’est pas le cas ! Les Safer ont donc leur place, mais elles sont incompétentes dans les deux situations précises que j’ai décrites. En effet, elles ne peuvent agir en cas de transfert partiel des parts sociales. Les Safer font aussi l’objet de nombreuses critiques quant à la préemption et à l’attribution des terres, mais aussi quant à leur financement, depuis le retrait du soutien de l’État en 2017.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer votre position sur les points que j’ai évoqués, à savoir l’extension de l’avis des Safer aux transferts partiels de parts de société, leur financement et leur fonctionnement ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Monsieur le sénateur Segouin, le débat d’aujourd’hui nous permet de constater qu’il existe une vision partagée, sur toutes les travées de la Haute Assemblée, de ce que nous voulons pour nos terres agricoles.
Nous avons également une volonté commune de faire en sorte que des jeunes puissent s’installer. En effet, si l’on veut qu’il y ait encore de l’agriculture demain, il ne suffira pas de résoudre le problème du foncier : il faut aussi que les générations d’agriculteurs puissent se renouveler. À cet égard, nous travaillons sur un agrément afin de mettre en place une approche globale. Nous sommes donc tout à fait en phase.
Il reste à déterminer comment aborder ces sujets et dans quel cadre. À la suite de l’intervention du Président de la République, j’ai souhaité engager cette concertation pour faire prendre conscience à tous de l’enjeu. Comme je l’ai dit en réponse à M. Chaize, il faut cesser de travailler en silo, conduire une réflexion globale : telle est la tâche que s’est assignée le ministère de l’agriculture et de l’alimentation. C’est la première fois, me semble-t-il, que des organisations professionnelles agricoles, des structures associatives privées et des ONG travaillent ensemble sur ce thème.
Lors de la restitution à laquelle je me livrerai dans les prochaines semaines, je demanderai aux acteurs s’ils valident les points d’accord. Si tel est le cas, nous pourrons aller vite, mais nous savons très bien que, sur beaucoup de sujets, en particulier ceux que vous venez d’évoquer, il n’y a pas d’unanimité. Il faudra alors trancher. Ma crainte est que nous nous engagions dans des débats qui nous mèneraient à aborder, au-delà de l’agriculture et de l’artificialisation des terres, bien d’autres domaines, tel celui du logement. Pour pouvoir avancer, il faut d’abord déterminer ce sur quoi nous sommes unanimement d’accord.