M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, notre droit électoral est fait de règles répondant toutes à un même principe : l’égalité de traitement entre les candidats. C’est le sens que nous donnons aux dispositions sur les bulletins de vote, sur la propagande télévisée et, bien sûr, également sur l’affichage.
Vous connaissez le principe : tous les candidats à un scrutin doivent disposer d’un emplacement d’affichage à proximité de chaque bureau de vote pour pouvoir y coller leur affiche de campagne. Cette règle, et je préfère le dire d’entrée, je la crois saine. Elle est une garantie pour chaque candidat ou liste de pouvoir bénéficier d’un affichage égal. Elle est l’assurance d’échapper aux luttes de collage qui peuvent exister sur l’affichage public. Elle est la certitude, pour tous ceux qui le souhaitent, d’être vus au moins une fois par les électeurs.
Par cette proposition de loi, monsieur le sénateur Capus, vous soulignez une difficulté à laquelle les communes peuvent être confrontées ; une difficulté que j’entends parfaitement, étant ancien maire d’une commune de 4 500 habitants ; une difficulté, enfin, qui a été mise au jour lors des élections européennes de mai dernier. Il s’agit du nombre important de listes ou de candidatures – elles étaient trente-quatre, comme cela a été rappelé, aux élections européennes. Je me tourne tout de même vers le rapporteur pour faire observer que la participation aux élections européennes a été très au-dessus de la moyenne habituelle,…
M. Stéphane Piednoir. N’exagérons rien !
M. François Bonhomme, rapporteur. On s’est bousculé !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Surtout chez les écologistes !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cela étant dit, il est parfois difficile pour les maires, notamment dans les petites communes, de se conformer aux exigences du droit, soit par manque de panneaux d’affichage, soit par manque d’espace sur la voie publique, voire les deux. J’ajouterai que l’on a tout de même vu fleurir des idées originales. Les maires sont assez débrouillards, et on a pu le constater dans les territoires.
M. François Bonhomme, rapporteur. C’était le concours Lépine !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je comprends d’autant plus leur frustration quand un certain nombre de candidats, pour des raisons budgétaires qui leur appartiennent et que nous n’avons pas à commenter, ont préféré limiter leur affichage et laisser vierges de nombreux panneaux.
Cette difficulté, donc, je la comprends. Je l’entends. Elle appelle néanmoins, et avant d’aborder précisément le texte, deux remarques.
La première est que la situation provoquée par ces élections était tout de même assez exceptionnelle. Il est extrêmement rare qu’un tel nombre de candidatures soit enregistré. Mais, et c’est ma deuxième remarque, nous devons être prêts à faire face à l’exceptionnel et accompagner les maires dans toutes les situations. C’est la raison pour laquelle une subvention pour frais d’assemblée électorale est mise en place à chaque scrutin. Elle vise à compenser les frais supplémentaires que les communes supportent pour l’organisation d’une élection.
Pour en venir plus précisément au texte, ses dispositions manquent, je le crains, leur objectif et risquent d’être inopérantes ou inapplicables.
La proposition de loi, telle qu’elle a été modifiée par la commission, ne prévoit plus aucune sanction pour les candidats qui choisiraient de ne pas apposer leurs affiches, ou alors de les apposer seulement devant certains bureaux de vote. Il est à craindre que cette mesure retire les effets utiles du texte et que, par mesure de précaution, toutes les listes candidates déclarent leur intention de mettre des affiches et avisent ensuite sur quoi faire réellement.
J’ajoute que le texte, dans sa rédaction actuelle, risquerait de provoquer des problèmes logistiques nombreux et, parfois, insurmontables pour les maires. Ainsi, la possibilité laissée à un candidat ou une liste de changer d’avis jusqu’au début de la campagne électorale pourrait provoquer des problèmes logistiques et de prévision en matière de panneaux.
Autre point appelant des réserves de ma part : j’ai peur que la proposition de loi ne conduise à complexifier notre droit, alors que certains des objectifs visés peuvent être atteints avec des moyens juridiques plus souples, plus simples et plus adaptables aux circonstances.
Ainsi, l’article 1er offre la possibilité aux maires de réduire la dimension des panneaux d’affichage, lorsque le nombre de demandes d’emplacement est supérieur au nombre de panneaux disponibles localement. J’y suis favorable, mais cet objectif peut être atteint par voie de circulaire sans qu’il soit nécessaire de légiférer et, donc, de rigidifier notre droit. Je ne prendrai que l’exemple des dernières élections européennes, pour lesquelles les maires avaient été autorisés, par circulaire, à scinder en deux parties égales les panneaux d’affichage en cas de besoin.
Enfin, je crains que le texte ne fasse peser des contraintes trop fortes, voire insurmontables sur certains candidats ou certaines listes.
La rédaction retenue à l’alinéa 8 de l’article 1er laisse à penser que le maire serait en mesure d’imposer aux candidats la taille des emplacements et, par conséquent, de leurs affiches, en cas de manque de panneaux dans une commune. Cela pourrait provoquer des ruptures d’égalité et des contraintes extrêmement difficiles à supporter pour les candidats ou les listes : imaginons que, dans une même circonscription, il y ait plusieurs jeux de tailles d’affiches à prévoir.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte met le doigt, justement, sur une question pouvant préoccuper les maires lors de certains scrutins. Je crois toutefois que nous avons tout à gagner à garder une forme de souplesse dans notre droit et de capacité à nous adapter aux circonstances de chaque élection, plutôt que de risquer de graver dans la loi des mesures dont nous ne pouvons pas avec certitude garantir les effets. C’est pourquoi je ne pourrai pas défendre ce texte, sur lequel le Gouvernement émettra un avis défavorable. (MM. Pierre-Yves Collombat et Marc Laménie applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.
M. Jean-Marc Gabouty. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je comprends les motivations, totalement fondées, des auteurs de cette proposition de loi – Emmanuel Capus et ses collègues du groupe Les Indépendants. Ces derniers ont voulu, de manière concrète, corriger et rationaliser un dispositif d’affichage électoral devenu un vrai casse-tête pour les mairies à l’occasion des élections européennes.
L’obligation de mise en place de trente-quatre panneaux d’affichage, dont moins de la moitié a finalement été utilisée par les listes de candidats, soulève, en particulier pour les petites communes ou les communes de taille moyenne, des difficultés d’approvisionnement ou de confection artisanale. Bien évidemment, cela représente aussi un coût pour la collectivité.
J’ajouterai à ce constat deux autres arguments, qui n’ont peut-être pas été tellement mis en avant dans les débats en commission.
Le premier est le problème de l’occupation du domaine public, surtout lorsque les panneaux ne peuvent pas être plaqués contre un mur ou une clôture. Dans le cas des élections européennes, il fallait tout de même un linéaire disponible d’au moins trente-cinq mètres et, dans une ville comme Paris, on a bien vu que de nombreux panneaux se baladaient sur les trottoirs.
Le deuxième est l’image extrêmement négative de gaspillage inutile en termes de matériaux et de temps passé par les services municipaux, telle qu’elle peut être perçue par nos concitoyens.
M. Emmanuel Capus. Exactement !
M. Jean-Marc Gabouty. Je voudrais aussi rappeler qu’à l’origine l’affiche électorale était destinée à afficher le programme des candidats, même si elle a ensuite évolué vers un concept plus promotionnel de slogans, comme en témoignent les affiches exposées au sous-sol du Sénat, à proximité de la salle Clemenceau.
Aujourd’hui, l’affiche n’a plus aucun impact pédagogique. Elle vise essentiellement des objectifs de marketing électoral, c’est-à-dire d’identification, d’attractivité, avec un éventuel message qui, pour être percutant, doit être le plus court possible.
Dans ces conditions, aussi bien la multiplication des panneaux que la réduction de la taille des affiches ne sauraient répondre à l’exigence de lisibilité, donc d’utilité, de l’affichage électoral.
Vous aurez compris, mes chers collègues, que seule l’introduction d’un filtre permettant de limiter les candidatures à un nombre raisonnable de listes constitue la bonne solution dans le cas des élections européennes.
À la suite de cet argumentaire, il me semble un peu difficile d’approuver certaines dispositions de l’article 1er de ce texte. Certes, la déclaration d’une intention d’utiliser un panneau d’affichage est une bonne mesure. Mais, pour l’exception, comme l’a indiqué Mme la ministre, on ne peut pas imaginer un affichage à géométrie variable, avec des affiches de tailles différentes en fonction des possibilités des communes.
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
M. Jean-Marc Gabouty. Cela engendrerait automatiquement un surcoût pour les candidats, ou pour l’État en cas de remboursement. Cela pourrait être équitable pour un scrutin communal, mais pas pour les autres élections, qui se déroulent sur une circonscription plus large, comprenant des communes susceptibles de prendre des dispositions différentes en matière de taille de panneaux, donc de taille d’affiches – encore faudrait-il préciser réglementairement si les panneaux doivent être partagés en deux dans le sens de la largeur, de la hauteur…
M. Stéphane Piednoir. C’est moins pratique !
M. Jean-Marc Gabouty. … ou encore l’un ou l’autre choisi par tirage au sort. (Sourires.)
M. Pierre Ouzoulias. En biais !
M. Pierre-Yves Collombat. Il y a la solution du pliage aussi !
M. Jean-Marc Gabouty. Je voudrais évoquer deux autres sujets qui ne figurent plus dans le texte.
Le premier concerne le grammage du papier pour les bulletins de vote et les circulaires – c’était l’article 2 du texte d’origine.
Ce grammage est bien de 70 grammes. La disposition est confirmée par le décret du 27 décembre 2019, mais aussi par l’arrêté interministériel du 24 janvier 2020 concernant les tarifs de remboursement des frais d’impression des documents électoraux pour les élections municipales.
Certes le grammage du papier relève plus du domaine réglementaire que du domaine législatif, mais, monsieur le rapporteur, votre argument pour supprimer l’article 2, considéré comme satisfait, me paraît quelque peu ambigu. En effet, cet article ne serait satisfait que par exception, car les bulletins de vote doivent bien être fabriqués en 70 grammes pour être acceptés par la commission de propagande, diffusés et éventuellement remboursés. Cependant, l’article R.170 du code électoral affirme qu’ils ne peuvent pas être considérés comme nuls au moment du dépouillement si le grammage est compris entre 60 et 80 grammes. Cela manque tout de même de cohérence. Il aurait donc été bien préférable de conserver l’ancienne disposition, permettant l’utilisation de papier de grammage compris entre 60 et 80 grammes, et ce pour plusieurs raisons.
La première, c’est l’autoédition des bulletins de vote. On peut considérer, dans ce cas-là, que la condition est satisfaite.
La deuxième raison, c’est la sécurité d’approvisionnement des imprimeurs sur un papier qui n’est pas le plus utilisé – le 70 grammes –, donc avec des risques d’augmentation du prix du papier, voire de rupture de stock, le papier le plus générique demeurant l’offset 80 grammes. Mais peut-être faudrait-il se rapprocher des professionnels, ou plutôt ne pas écouter que certains d’entre eux, qui ont tout intérêt à concentrer la commande sur du 70 grammes…
Comme vous le savez, madame la ministre, je suis à la fois imprimeur et routeur. Je connais donc un peu le circuit.
M. Stéphane Piednoir. Tout s’éclaire !
M. Pierre-Yves Collombat. Conflit d’intérêts !
M. Jean-Marc Gabouty. Tout est dans ma déclaration d’intérêts.
Madame la ministre, c’est donc à vous que je m’adresse pour corriger l’arrêté du 24 janvier 2020 ou diffuser une circulaire recommandant une tolérance jusqu’à 80 grammes, afin de donner un peu de souplesse aux fournisseurs d’imprimés électoraux.
Je reviens à la problématique du prix : si vous concentrez la demande sur l’offset 70 grammes, les imprimeurs peuvent finir par l’acheter plus cher à la feuille que le 80 grammes.
Le deuxième sujet que je souhaite aborder est celui des problèmes de délais pour les élections européennes, tout comme pour d’autres échéances. Mais je m’exprimerai sur cette question lors de l’examen de l’article 1er bis.
Pour conclure, je dirais que j’ai été ravi en prenant connaissance de la problématique abordée par cette proposition de loi, mais un peu déçu de son contenu, limité à deux sujets, dont l’un a été supprimé et l’autre maltraité. (Sourires.)
Sous le même titre, on pourrait peut-être à l’avenir effectuer un balayage plus complet, que ce soit sur le plan législatif ou réglementaire, pour moderniser un dispositif ayant accumulé au fil du temps imprécisions et incohérences, certaines étant bien récentes, comme celle que je viens d’évoquer sur le grammage du papier.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Marc Gabouty. Pour les autres, je cite au hasard : la référence au format A1 pour les affiches, qui ne correspond pas aux formats standards de fabrication de papier ; la distorsion énorme dans les tarifs de remboursement – dégressivité pour les élections municipales et pas de dégressivité pour les élections européennes, malgré les quantités – ; circulaires offrant la même surface de présentation pour les élections européennes et les élections municipales dans une commune de 1 000 habitants…
J’en termine ici, et je compléterai cette intervention lors de mon explication de vote. Je vous remercie monsieur le président, de votre tolérance – comme celle que j’appelle de mes vœux pour le 60 et le 80 grammes. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat de cet après-midi a un parfum de terroir.
Mme Françoise Gatel. Eh oui !
M. Alain Richard. Nous évoquons des difficultés en milieu villageois, la réponse de bon sens de nos chers élus locaux…
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Alain Richard. Vous voyez le climat : c’est vivifiant !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Sympathique !
M. Alain Richard. Plus sérieusement, cette discussion nous rappelle l’importance, toujours d’actualité, de l’affichage électoral dans la vie démocratique.
M. le rapporteur, qui a très bien travaillé, nous l’a rappelé : cette tradition républicaine, qui remonte, comme beaucoup d’autres, à la IIIe République, a gardé tout son sens. Elle constitue, dans le vécu et les comportements de nos concitoyens, un des éléments de contact vivant avec les candidats et leur message. Nous devons donc traiter la question avec attention.
La difficulté à laquelle nous sommes confrontés, très bien décrite par François Bonhomme, est celle du dépassement du nombre habituel de listes ou de candidats, indépendamment de la nature de l’élection d’ailleurs ; dépassement qui soulève des problèmes en matière de panneaux d’affichage électoral.
La proposition de loi d’Emmanuel Capus a ses limites, comme Mme la ministre l’a souligné. Néanmoins, nous estimons, au sein de mon groupe, qu’elle offre un règlement à peu près adapté, dans les limites du réalisme, s’appuyant sur la bonne foi des candidats.
Cela a été signalé justement, il n’est prévu aucune sanction administrative ou financière de la rupture d’engagement d’un candidat qui aurait déclaré avoir l’intention d’apposer une affiche et se serait tout de même abstenu de le faire. Mais il me semble qu’il y aurait une sanction morale, à la fois parce que les maires s’exprimeraient et signaleraient les candidats ayant rompu leur engagement et parce que les citoyens pourraient avoir la perception d’un comportement conduisant à du gaspillage.
Le dispositif issu des travaux de la commission et du rapporteur offre donc, malgré tout, une solution pratique et raisonnable face à la difficulté rencontrée.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Alain Richard. Mais je voudrais aller plus loin, stimulé par le fait que François Bonhomme a souhaité rouvrir une querelle qui nous avait opposés durant le débat sur la réforme du mode de scrutin des élections européennes – il figurait alors parmi les plus ardents défenseurs du maintien du système par circonscriptions régionales. Ce débat a eu une particularité, une des plus rares parmi celles dont j’ai le souvenir au sein de notre assemblée : le texte alors en discussion a été adopté, ici, sans les voix du groupe ayant la majorité relative. Je comprends que cela ait engendré une petite amertume. (Sourires.)
On avait eu la courtoisie de me proposer d’être le rapporteur de ce texte. À ce titre, j’avais fait remarquer que, même dans un dispositif par circonscriptions régionales, on pouvait être confronté à ce phénomène de grand nombre de listes. Cela avait été le cas en Île-de-France en 2014 : on avait alors dénombré vingt-sept listes.
La particularité des élections européennes tient évidemment dans l’attractivité que représentent les quelques minutes d’audiovisuel public pour des personnes déposant une liste de candidats, ayant parfois une relation assez distendue avec la vie du Parlement européen.
M. Stéphane Piednoir. Bien sûr !
M. François Bonhomme, rapporteur. C’est le quart d’heure de Warhol !
M. Alain Richard. Cela me rappelle une insuffisance que j’avais manifestée en tant que rapporteur du projet de loi : j’avais identifié le risque d’un nombre très élevé de listes, dont une partie assez superficielle, mais je n’avais pas eu le « cran », si j’ose dire, de présenter un amendement visant à instaurer, comme l’ont fait pratiquement tous nos voisins européens, un système de filtrage. En effet, si l’on regarde les autres élections, on n’a jamais trente candidatures. Quelle que soit la nature de l’élection, il y a toujours un facteur modérateur : le nombre de candidats à trouver pour les élections municipales, la faible chance d’accéder au tour décisif pour les élections départementales, etc.
Je ne multiplie pas les exemples, mais notons tout de même qu’aux élections législatives, pour lesquelles demeure l’incitation d’additionner les voix pour le financement du parti politique, le simple fait – disposition judicieuse – d’obliger à avoir au moins soixante-quinze candidats ayant obtenu 1 % des voix pour accéder à ce financement modère tout de même le nombre de candidatures, quoique, en milieu urbain, notamment quand la circonscription est importante et apporte plus de voix, on atteigne parfois les dix-huit ou vingt candidats.
À mon sens en tout cas, l’une des réponses – cela a été évoqué par d’autres dans le débat – devrait être de réfléchir à un filtrage pour les candidatures aux élections européennes.
J’ai refait le calcul : sur les trente-quatre listes, quinze ont obtenu moins de 0,1 % des voix, c’est-à-dire moins d’un électeur pour deux bureaux de vote. À cet égard, la remarque de François Bonhomme sur la confusion et la désorientation de l’électeur susceptibles d’être engendrées par cette profusion de candidatures est parfaitement exacte. Il y a un moment où le pluralisme devient un facteur problématique sur le plan de la démocratie. Il me semble donc qu’il faudra travailler – j’ai l’intention de lancer une proposition en ce sens – pour établir un filtrage citoyen au nombre de listes déposées aux élections européennes.
Je me joins, à l’attention de Mme la ministre, à la remarque du rapporteur, évoquant cette excellente audition que nous avons eue avec tous les professionnels de la logistique électorale : il existe effectivement un risque sérieux de non-faisabilité du transfert aux électeurs, alors qu’ils y tiennent essentiellement, de la propagande électorale pour le deuxième tour des élections régionales, si nous ne conservons qu’un écart de huit jours, c’est-à-dire, en fait, de trois jours et demi, après le dépôt des listes pour ce deuxième tour. Il n’est effectivement pas difficile de prévoir que bon nombre de listes seront modifiées entre les deux tours.
J’en profite aussi – je fais comme pour les murailles de Jéricho – pour rappeler aux représentants du ministère de l’intérieur qui nous font l’honneur d’être parmi nous qu’il faudra rénover le code électoral, ce dernier manquant de cohérence et ne répondant plus aux critères de la codification actuelle. Donc, même si quelques dispositions organiques obligeraient à repasser directement devant le législateur – mais celui-ci peut être de bonne foi et ne pas détourner un débat de codification –, je pense qu’il faudra le faire.
Je conclus en rappelant ce vers de Victor Hugo, que je ne sais plus situer : « À la septième fois, les murailles tombèrent. » (MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, je vous avoue que je suis à la peine,…
M. François Bonhomme, rapporteur. Déjà ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. … parce que, d’un côté, cette proposition de loi part d’une bonne intention : qui ne voudrait pas faciliter la vie des maires ? Et puis, c’est un problème réel et récurent qui se pose. On feint de le découvrir à propos des dernières élections européennes, mais je me rappelle de l’époque où revenait régulièrement la manie de vouloir fusionner les élections régionales et cantonales, pour des raisons nobles comme faciliter la participation, ce qui est d’ailleurs parfaitement faux, ou pour des raisons un peu moins nobles comme d’acclimater l’idée qu’un seul représentant à la région et au département ne serait pas plus mal… En tout cas, on se retrouvait du jour au lendemain à devoir gérer un beau bazar : on n’était pas très content, mais on l’a fait !
D’un autre côté, faut-il encore une fois légiférer sur ce problème à partir d’un cas particulier et, donc, tirer des leçons générales de ce cas particulier ? Faut-il complexifier encore un peu plus l’arsenal de régulation du droit électoral ? Je vous avoue que je n’en suis pas persuadé. Plus on sera précis, plus on s’étendra sur le grammage – j’allais ajouter « et le pâturage » (Sourires.) –,…
M. Gérard Longuet. Le plumage ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. … plus on risque de produire des choses curieuses. On risque ainsi une multitude de contentieux et de difficultés avec les commissions de propagande, qui ne sont pas toujours cohérentes entre elles. Surtout, on risque de limiter une nouvelle fois l’information non médiatisée, celle qui ne passe pas par les filtres médiatiques de l’élection, dont tout le monde s’accordera pour dire qu’elle est tout à fait essentielle.
Des améliorations ont certes été apportées par la commission, notamment le fait de ne pas sanctionner un candidat qui aurait déclaré vouloir utiliser un emplacement et ne l’utiliserait pas. Dans les grandes collectivités, ce n’est pas essentiel, mais dans les communes moyennes, où l’affichage militant est relativement important par rapport à l’utilisation de prestataires de services, il ne faudrait pas en arriver à se voir opposer, au dernier moment, une demande d’autorisation.
Il y a donc le risque, surtout pour les petits candidats, qui sont assujettis au militantisme, de complexifier leur tâche et de la rendre encore plus difficile.
Personnellement, comme je l’ai dit en commission, et je n’ai pas changé d’avis depuis, je crois que le mieux est de s’en remettre à la créativité des maires,…
M. François Bonhomme, rapporteur. Elle est sans limites ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. … à leur capacité de bricolage très élevée, qui fait le charme de la fonction, pour régler au cas par cas le problème.
J’insiste sur le fait que, en essayant de régler des problèmes qui se posent lors des élections européennes, on risque, sans le vouloir, d’en créer de nouveaux dans d’autres situations.
En général, je suis plutôt critique envers les gouvernements, mais, pour une fois, je suis désolé, je serai d’accord avec vous, madame la ministre. (Sourires. – M. le président de la commission des lois applaudit.) Je ne soutiendrai donc pas cette proposition de loi. (M. Pierre Ouzoulias applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.
Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette question, au-delà de l’aspect « terroir », a dit notre collègue Richard, est une vraie question de maire, qui soulève bien des problématiques dont certains d’entre nous se sont fait l’écho.
Pour ma part, je salue l’initiative de notre collègue Capus, parce qu’elle soulève, au-delà des points matériels que nous avons vus, un certain nombre de questions. Lorsque l’on a été confronté à une difficulté, et beaucoup de maires l’ont été, il est intéressant d’anticiper le prochain problème qui sera de cette même nature. Je salue également très sincèrement notre rapporteur, François Bonhomme, qui s’est évertué avec talent à trouver une réponse à la question de nos élus locaux. Ils y sont extrêmement sensibles, et je ne doute pas que nos débats les intéresseront.
La proposition de loi rappelle le casse-tête que beaucoup d’élus ont connu lors de l’organisation du scrutin des élections européennes de mai 2019, qui comptait trente-quatre listes de candidats, soit plus de 2,5 millions de panneaux dans les communes de France. À titre d’exemple, à Morbecque, commune de 2 538 habitants, le maire a dû faire installer pas moins de 102 panneaux électoraux, dont la moitié est restée sans affiche, ce qui a valu au maire les foudres de sa population, qui ne comprenait pas qu’on investisse dans des panneaux inutiles.
Les maires ont eu le plus grand mal à se fournir en panneaux électoraux, et beaucoup d’entre eux ont dû organiser des sortes d’ateliers de bricolage, chez eux parfois, pour trouver des solutions de fortune. Au travers de cet exemple très concret, c’est la preuve de la capacité des élus à inventer des possibles qu’on devrait retenir aussi pour d’autres sujets. L’État encourageait d’ailleurs les maires à faire preuve d’ingéniosité, ce qu’ils savent faire avec talent.
L’affichage électoral est un outil d’information obligatoire et nécessaire, et on sait aujourd’hui encore que la photo prime parfois sur de longs messages. Ces panneaux électoraux sont garants d’une certaine égalité entre les candidats.
Toutefois, des tracas coûteux et excessifs lors du dernier scrutin pour les élections européennes m’amènent à souscrire aux propos de ceux qui s’interrogent sur la mise en place de filtres pour les candidatures, comme cela se pratique pour l’élection présidentielle.
Aussi, la logique de rationalisation portée par l’auteur de la proposition de loi me semble intéressante. Elle a le mérite d’épargner aux maires un certain nombre de migraines et l’installation inutile et coûteuse de panneaux électoraux. Je suis assez favorable à la proposition de ne fournir un panneau qu’aux seuls candidats qui en font la demande.
Je comprends la réserve de la commission sur le principe de sanction, qui impliquerait que le candidat ayant réservé un panneau sans y coller d’affiche rembourse les frais engendrés à la commune. Toutefois, mes chers collègues, un citoyen candidat à une élection, qui veut servir l’intérêt général en sollicitant les suffrages de ses concitoyens, évite toute légèreté de comportement et pense aux incidences de ses engagements en matière de coûts.
Concernant la dimension des panneaux électoraux, je partage la volonté de souplesse et les conditions qui ont été prévues. Je salue aussi l’initiative du rapporteur sur le calendrier des élections européennes : dix jours ne suffisent pas lorsqu’il y a autant de candidats.
Ce texte rouvre par ailleurs le débat sur la dématérialisation de la propagande électorale, dont nous avons souvent débattu. Le Sénat s’y est opposé, au motif, que je partage, que la propagande électorale envoyée à domicile, même si elle est coûteuse et peut paraître artificiellement anti-écologique, permet d’informer dans les meilleures conditions tous les citoyens. Il s’agit là d’un devoir pour la démocratie.
Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi, dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois, dont je remercie de nouveau le rapporteur. (Applaudissements au banc des commissions. – Mme Françoise Férat et M. Marc Laménie applaudissent également.)