Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. On le sait, j’approuve l’ouverture de l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, constatant l’émergence de nouvelles formes de couples et de parentalité.
Il y a un pas entre reconnaître que, dans certaines situations, la parentalité est déliée du biologique et l’effacement total de celui-ci. C’est ce qui me dérange dans la position du Gouvernement. J’entends qu’elle respecte parfaitement le principe d’égalité, qui est aussi une valeur essentielle. Personne ne doit se sentir stigmatisé ou dévalorisé dans cette affaire. Pour autant, l’amendement de Sophie Primas respecte la vérité biologique. Encore une fois, reconnaître de nouveaux modes de parentalité ne doit pas amener à cacher la réalité biologique. Je ne veux pas davantage que l’on cache leurs origines aux enfants : il faut tourner la page du secret, faire preuve d’honnêteté et ne pas mentir avec la réalité dans ces affaires extrêmement sensibles.
Cela étant, l’amendement de Sophie Primas me paraît trop complexe, pas suffisamment maturé. Je me trouve donc très ennuyé à l’heure du vote.
M. Roger Karoutchi. Il y a deux lectures !
M. Bernard Jomier. Je me félicite en effet de ce que la navette se poursuive et qu’il y ait une deuxième lecture.
La position du Gouvernement peut être entendue et je la partage sur beaucoup de points. Il importe de respecter la vérité de la biologie. Disant cela, je ne me projette pas sur d’autres sujets : il n’y a pas d’enchaînement mécanique en la matière.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. J’écoute avec beaucoup d’attention les arguments échangés. Je reste, pour le moment, convaincu que la proposition du Gouvernement est, en l’état, la meilleure et la plus simple.
La procédure de l’adoption ne me paraît pas adaptée. Il ne s’agit nullement pour moi de dévaloriser les parents qui adoptent : j’en compte, comme beaucoup d’entre nous sans doute, parmi mes proches et dans ma propre famille. Ce n’est donc pas la question, mais je pense que le processus de conception par AMP pour un couple de femmes est d’une nature différente. Certes, la mère d’intention ne porte pas l’enfant, mais elle est partie prenante au projet parental à l’égal de la femme qui accouche, ne serait-ce que parce que les deux membres d’un tel couple doivent décider ensemble qui va porter l’enfant. Il y a donc une situation d’égalité, en matière d’intention, pour le recours à la PMA dans un couple lesbien. De ce point de vue, la place de la mère d’intention est singulière, et la démarche ne peut être assimilée à l’adoption.
J’ajoute qu’il ne sera demandé à aucun homme placé dans des conditions analogues de passer par l’adoption pour être reconnu comme le père. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. Ce ne sont pas les mêmes conditions !
M. Pierre Laurent. Je considère que les deux membres d’un couple lesbien qui décident d’adopter ensemble sont à égalité. La procédure de l’adoption ne me paraît donc pas adaptée.
La procédure proposée par le Gouvernement est-elle parfaite ? Faut-il approfondir encore la réflexion ? Peut-être, mais, entre les deux solutions proposées à ce stade, j’opte pour celle du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Dans ce débat a été affirmé le droit de connaître son histoire, ses origines ; à cet égard, la solution du Gouvernement n’est peut-être pas idéale, mais il faut aussi prendre en compte le couple qui partage un projet parental.
Mme Sophie Primas. Comme des adoptants !
M. Jean-Yves Leconte. Il importe de faire en sorte qu’il y ait égalité absolue, sur le plan juridique, entre les deux membres de ce couple, ce qui n’enlève rien au droit pour chacun d’avoir accès à ses origines, à son histoire. Dans cette perspective, la solution proposée par le Gouvernement semble la plus adéquate.
On peut être interpellé par l’instrumentalisation de la procédure d’adoption que met en œuvre l’amendement de Mme Primas. Dans le cas d’espèce, celle-ci serait détournée pour répondre à la question de la connaissance de ses origines par l’enfant. Cela pourrait poser problème. La solution du Gouvernement me paraît préférable.
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Rien, dans l’intelligence, qui n’ait d’abord été dans les sens ! Là, vous êtes sens dessus dessous, face à la lente dérive vers l’effacement du père et de la mère, remplacés par « parent un » et « parent deux ». La vérité, c’est qu’il y a un père et une mère. À force de vouloir étendre les possibilités de procréation, on suscite inévitablement des confusions sur le plan intellectuel.
Ainsi, à l’Assemblée nationale, le président de la commission est allé jusqu’à affirmer que l’accouchement n’était pas une preuve de filiation ! La femme qui accouche ne serait donc qu’une simple mère d’intention ? C’est tout simplement un mensonge ! La femme qui accouche est forcément la mère, et l’on devrait s’en tenir là. À force de tirer le fil, on en arrivera à des conceptions complètement ubuesques : des pères avec des utérus, que sais-je encore… C’est une négation de la vérité, de l’existence d’hommes et de femmes égaux mais différents !
Je soutiendrai l’amendement de Sophie Primas, car son dispositif est le plus proche du sens commun.
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Bargeton, pour explication de vote.
M. Julien Bargeton. Voilà encore un débat extrêmement intéressant !
Certains l’ont dit, on ne peut pas nier le réel. Or faire de la politique, c’est se confronter au réel. Il y a bien une femme qui accouche et l’autre pas. Peut-on nier cette différence biologique ?
Cela étant, j’insiste à nouveau sur les principes de liberté et d’égalité. Deux femmes ayant la volonté d’avoir et d’élever ensemble un enfant sont à égalité dans leur projet parental. Or on voit bien que ce n’est pas le cas avec la procédure de l’adoption, qui ne correspond pas à ces nouvelles formes de familles ayant émergé, qu’on le veuille ou non, dans la société.
Il faudrait peut-être faire confiance aux familles, aux parents pour expliquer à l’enfant ce qu’a été l’histoire de leur couple et de leur projet parental.
Certes, on ne peut pas nier la réalité biologique, mais on ne peut pas non plus tourner le dos au principe d’égalité. Or l’amendement de Mme Primas crée une rupture d’égalité,…
Mme Sophie Primas. Absolument pas !
M. Julien Bargeton. … tandis que la proposition du Gouvernement permet de tenir compte de la réalité du projet parental.
Mme Sophie Primas. Les parents adoptifs seraient-ils des sous-parents !
M. Julien Bargeton. C’est une solution plus satisfaisante que l’adoption. La navette permettra de régler un certain nombre de difficultés.
Mme Sophie Primas. Vous créez une discrimination à l’égard des parents d’enfants adoptés ! C’est insupportable !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. J’ai entendu parler d’égalité, de discrimination, de situations discriminatoires… L’égalité, ce n’est pas traiter tout le monde de la même façon.
M. Julien Bargeton. C’est vrai !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. La discrimination, c’est traiter différemment des personnes se trouvant dans une situation identique.
Nous avons bien conscience, les uns et les autres, qu’un couple de femmes n’est pas dans une situation identique à celle d’un couple hétérosexuel face à la procréation. Le Conseil d’État, le Conseil constitutionnel et, me semble-t-il, la Cour européenne des droits de l’homme l’ont d’ailleurs dit.
Instaurer l’égalité, en termes de filiation, c’est parvenir à ce que tous les parents aient les mêmes droits et, surtout, les mêmes obligations à l’égard de leurs enfants. Il faut qu’ils se retrouvent in fine tous placés dans la même situation. Au regard de cet objectif, le droit n’est qu’un outil, pour reprendre une expression qui nous est chère, à Mme le garde des sceaux et à moi-même. Mais il importe tout de même que cet outil soit conforme à la réalité. Or tel n’est précisément pas le cas, me semble-t-il, de la solution du Gouvernement, au contraire de l’amendement de Mme Primas. Encore une fois, dans un couple de femmes, celle qui n’a pas accouché sera reconnue en tant que mère d’intention. Voilà comment les choses peuvent se passer.
Monsieur Chasseing, la procédure d’adoption paraît toujours complexe, mais il s’avère que l’adoption de l’enfant du conjoint ne l’est pas, les exigences étant bien moindres ; il n’y a pas d’enquête sociale, par exemple. Le dispositif de l’amendement approuvé par la commission simplifie encore la procédure et permettra que la décision soit rendue plus rapidement. La requête en adoption sera déposée le jour de la naissance de l’enfant. La démarche sera d’autant moins complexe qu’un notaire aura déjà été saisi du dossier. Le jugement interviendra au plus tard un mois après et il sera rétroactif. Cela signifie que la filiation sera établie le jour de la naissance si les diligences nécessaires ont été faites.
J’ajoute que ce mode d’établissement de la filiation n’est pas discriminant, parce qu’il en existe déjà de nombreux. Un père marié n’a aucune démarche à accomplir pour reconnaître son enfant, parce que le simple fait qu’il soit marié avec la mère crée une présomption de paternité. En revanche, un homme qui n’est pas marié à la femme ayant accouché de l’enfant est dans l’obligation de faire une démarche pour reconnaître celui-ci. Parle-t-on de discrimination entre ces deux pères ? Non : les règles applicables sont différentes parce que les situations sont différentes.
Il ne faut pas mentir, disait M. Meurant : ce serait un mensonge institutionnel que de prétendre reconnaître que deux femmes ont pu participer à la procréation d’un enfant. Utilisons les outils qui existent et qui correspondent à la réalité de la filiation. Ne fragilisons pas le droit de la filiation, car si la reconnaissance a l’avantage de la simplicité, elle en présente aussi, s’agissant d’un droit d’ordre public, le danger. Imaginez que les liens de filiation se créent par l’effet de la simple volonté et qu’il suffise d’aller déclarer devant notaire que l’on veut être parent d’un enfant : il me semble que la structure de la société s’en trouverait très largement fragilisée, car ce que la volonté fait, la volonté peut le défaire.
Mme Sophie Primas. Eh oui !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Il ne manquerait pas d’arriver qu’un plaignant déclare vouloir renoncer à sa parentalité. Cela ne me paraît pas du tout être une vue de l’esprit…
Utilisons les outils existants, qui donnent les mêmes droits aux deux mères d’un enfant conçu par le biais d’une AMP et les placent en situation d’égalité au regard de tous les autres parents ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – M. Loïc Hervé applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ferai plusieurs observations, après vous avoir tous écoutés avec beaucoup d’attention.
Madame la sénatrice Primas, je respecte tout à fait votre proposition, même si celle du Gouvernement me semble préférable.
Au fond, sans même parler de discrimination, madame la rapporteure, quel est l’intérêt d’une procédure d’adoption ? Une procédure d’adoption permet de confier à un juge un pouvoir de contrôle. En effet, pour adopter, il faut détruire un lien de filiation qui existait précédemment et en reconstruire un nouveau.
M. Bruno Retailleau. Pas nécessairement !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Le rôle du juge est donc de vérifier que le lien de filiation antérieur est bien aboli. Il me semble qu’il y a, dans ce processus, un intérêt qui n’est pas pertinent dans le cadre de la PMA avec tiers donneur, où il s’agit non pas de vérifier l’inexistence d’un lien de filiation antérieur, mais de prendre acte, par le mode d’établissement de la filiation, d’une reconnaissance conjointe de volonté, d’un consentement à l’AMP et, bien sûr, de l’accouchement. Le mode d’établissement de la filiation par l’adoption, en l’espèce, ne me semble pas utile. Madame Primas, vous renvoyez les femmes concernées devant un juge, alors que cela ne me paraît pas nécessaire et complexifie la situation. C’est cette complexité qui peut être perçue comme inutile, voire, dans certains cas, dévalorisante.
Je le dis clairement, le Gouvernement a fait le choix du principe d’égalité entre les deux mères ab initio.
M. Bruno Retailleau. C’est un choix idéologique !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je ne dis pas le contraire. Les deux mères déclareront leur consentement à l’AMP, reconnaîtront conjointement l’enfant, ce qui, de facto, entraînera qu’elles seront mères à égalité dès le moment de la naissance.
La femme qui accouche est mère, c’est évident.
Plusieurs membres du groupe Les Républicains. Quand même !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Personne n’a dit le contraire ici ! Dans le système que nous proposons, c’est la conjonction de l’accouchement et de la reconnaissance conjointe qui permet aux deux femmes d’être mères au même moment. La femme qui accouche est mère en toutes hypothèses, évidemment, mais elle serait mère célibataire, si je puis dire, s’il n’y avait cette reconnaissance conjointe qui bloque tout autre mode d’établissement de la filiation et qui fera que les deux femmes seront mères en même temps. C’est un système extrêmement simple, clair, qui place les deux femmes à égalité. Il est respectueux du projet parental et me semble parfaitement s’inscrire dans la démarche que nous souhaitons promouvoir.
Monsieur Longuet, vous avez fait valoir que l’adoption crée un lien plus stable et plus durable que tout autre mode d’établissement de la filiation. Je ne le crois pas. À partir du moment où la filiation est établie, elle emporte exactement les mêmes conséquences, qu’il s’agisse de l’adoption, du système que nous proposons ou de la filiation biologique.
M. Gérard Longuet. Qui garde l’enfant ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Dans le cas d’une AMP avec tiers donneur, les deux mères sont mères de la même manière, au même moment. Dans le cas d’un couple hétérosexuel, qui garde l’enfant ?
M. Gérard Longuet. La mère !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Ce n’est pas toujours le cas, vous le savez, monsieur le sénateur ! Il revient aux parents de traiter cette question et, s’il y a une difficulté, le juge aux affaires familiales se prononce.
Monsieur Retailleau, vous avez évoqué la vraisemblance biologique. Il est vrai que tout notre droit de la filiation, hors l’adoption, est fondé sur l’altérité sexuelle. Il est également vrai que le schéma que nous proposons ne l’est plus, à partir du moment où deux femmes peuvent devenir mères d’un même enfant. On ne peut nier cette évidence.
Nous créons un mode d’établissement de la filiation pour répondre à cette évolution, à cette nouvelle donne. Pour autant, monsieur le président Retailleau, je ne crois pas que l’on dégage ainsi la voie, pour reprendre l’expression que vous avez utilisée, pour la GPA. En effet, les situations ne sont pas du tout les mêmes : dans le cas d’une AMP, la femme qui accouche n’est pas la seule mère, mais elle est mère, tandis que, dans le cas d’une GPA, la femme qui accouche n’est pas la mère.
Mme Sophie Primas. C’est une filiation par volonté !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la rapporteure, il n’y a aucun mensonge dans le système proposé par le Gouvernement : il s’agit purement et simplement de prendre en compte une réalité et d’instaurer, pour les femmes concernées, un mécanisme d’établissement de la filiation simple, clair et sûr. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme Sophie Primas. Vous ouvrez la voie à la filiation par volonté !
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Madame le garde des sceaux, sans entrer dans un débat de techniciens qui finirait par lasser tout le monde, je voudrais réagir à la réponse que vous avez faite à M. le président Retailleau. Votre dispositif n’ouvre pas la voie à la GPA, avez-vous affirmé. Or, contrairement à ce que vous avez indiqué, dans celui-ci, la femme qui accouche n’est pas la mère. C’est sans doute ce que vous pensez, mais ce n’est pas ce que vous avez écrit : « Pour les couples de femmes, la filiation est établie à l’égard de chacune d’elles par la reconnaissance qu’elles ont faite conjointement devant le notaire. » Dans votre système, c’est donc la reconnaissance qui établit la filiation.
M. Gérard Longuet. Exactement !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Dissocier ainsi la maternité de l’accouchement amène immanquablement à évoquer les mères porteuses, dont on ne souhaite pas qu’elles deviennent mères du simple fait qu’elles ont porté l’enfant, car on veut leur substituer des parents d’intention. Je ne crois pas trahir le propos et la pensée de M. Retailleau en disant cela.
M. Bruno Retailleau. C’est mieux exprimé ! (Sourires.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Par ailleurs, vous indiquez que, en cas d’adoption, le lien créé entre l’adopté et l’adoptant se substituera au lien de filiation antérieur. Dans le système que nous proposons, le seul lien de filiation est celui qui aura été créé avec la femme ayant accouché. Or précisément, dans ce cas, l’article 356 du code civil prévoit expressément, pour l’adoption de l’enfant du conjoint, que le lien de filiation avec la personne qui est déjà parent de l’enfant adopté demeure. Il n’y a donc aucune substitution, mais l’ajout d’un lien de filiation par adoption au lien de filiation créé par la procréation charnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Gérard Longuet. Très bonne démonstration !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Je pense que l’on progresse : le Gouvernement ne conteste pas que, du point de vue de l’effet sur les droits et obligations des parents, l’amendement proposé par Mme Primas et la solution du Gouvernement ont exactement la même portée, à savoir que les deux femmes seront pleinement investies des droits et obligations d’une mère. C’est déjà très important, car tel est bien le principal objectif visé par le Gouvernement à travers l’établissement de la filiation pour les enfants nés d’une assistance médicale à la procréation demandée par un couple de femmes.
Madame la garde des sceaux, vous avez invoqué un argument d’égalité. Permettez-moi d’en invoquer un qui me paraît beaucoup plus fort que le vôtre : je considère que l’établissement de la maternité doit être le même pour une femme qui accouche d’un enfant conçu avec un homme et pour une femme qui accouchera au terme d’un projet de naissance conçu avec une autre femme. Que deux femmes placées dans la même situation aient exactement le même traitement juridique du point de vue de l’établissement de la filiation, dont j’ai essayé de rappeler tout à l’heure à quel point il était important qu’il repose sur des bases objectivement constatées, là est l’égalité !
Par conséquent, tout le discours sur l’égalité et la discrimination se retourne complètement en faveur de la solution proposée par Mme Primas.
L’adoption ne serait pas une solution adaptée, nous dit-on. Je pense au contraire qu’elle est parfaitement adaptée. En effet, elle est destinée à permettre une vérification par le juge, mais surtout à établir une filiation maternelle à stricte égalité avec toute autre filiation maternelle.
Par ailleurs, afin de pouvoir tenir le discours de vérité dont nous admettons tous qu’il est indispensable au développement de l’enfant, il faut absolument que les modes d’établissement du lien de filiation entre l’enfant et ses parents reposent sur une réalité, et non sur une invention.
Enfin, un dernier argument me paraît peser fortement en faveur de la solution proposée par Mme Primas : celui de la prudence. Si, chaque fois qu’un problème se pose, on remet en cause des modes d’établissement de la filiation maternelle établis depuis plusieurs siècles, on n’en sortira pas : ce sera la confusion dans l’établissement de la filiation maternelle ! (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. La reconnaissance conjointe anticipée semble constituer une véritable petite révolution par rapport à notre code civil. J’entends dire que cela fait des siècles que la filiation est établie comme elle l’est aujourd’hui, mais nous venons d’adopter l’ouverture de l’AMP aux femmes seules et aux couples de femmes : cette mesure révolutionne elle aussi la société ! Dès lors que l’on fonde la société sur une pluralité de modèles familiaux, et non plus sur un seul, il n’apparaît pas abracadabrantesque de revoir en profondeur notre code civil ! (Sourires.)
N’étant pas juriste, je reconnais avoir dû m’accrocher pour suivre ce débat d’une grande technicité, mais cet article me paraît de nature à répondre aux questions suscitées par l’extension de l’AMP que nous avons adoptée, quand bien même nous proposerons d’adopter des amendements visant à en améliorer encore le dispositif.
Il existera désormais des familles avec deux mères à égalité par rapport à la filiation de l’enfant, l’une ayant accouché et l’autre ayant effectué la démarche de reconnaissance anticipée, dans un même projet parental conçu ensemble. Certes, ce nouveau schéma nous bouscule, mais il s’agit selon moi d’un pas indispensable à accomplir après notre vote en faveur de l’extension de l’AMP.
Mme Sophie Primas. Je ne le crois pas !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Madame la rapporteure, l’acte d’état civil de l’enfant qui naîtra à la suite d’une AMP au sein d’un couple de femmes sera établi sur la base de la présentation à l’officier d’état civil du certificat d’accouchement – c’est une condition indispensable – et, simultanément, de la reconnaissance conjointe qui aura été signée en amont même de la conception. En effet, au moment où le projet parental est établi, on ne sait pas forcément laquelle des deux femmes portera l’enfant. La filiation de l’enfant avec les deux mères sera alors immédiatement établie.
Cela me semble à la fois plus simple et plus rapide que l’adoption préconisée par Mme Primas, tout en ouvrant les mêmes droits. En outre, cette solution offre plus de sécurité juridique que la procédure de l’adoption, puisque celle-ci dure entre quatre mois et demi et cinq mois au minimum.
Notre solution n’emporte aucune forme de mépris pour l’adoption en tant que mode d’établissement de la filiation, comme j’ai pu l’entendre dire. Bien au contraire, je considère que l’adoption est un mode d’établissement de la filiation absolument nécessaire dans un certain nombre de cas qui impliquent une déconstruction du lien de filiation initial et la reconstruction d’un nouveau lien par l’acte d’adoption. Cette démarche est valable et utile non pas dans tous les cas, mais dans un grand nombre d’hypothèses. Nous prévoyons d’ailleurs d’en simplifier la procédure ; nous travaillons actuellement avec des parlementaires en ce sens, afin de la rendre plus aisément utilisable par les nombreux couples qui ont besoin d’y recourir.
M. Philippe Bas. Cela facilitera l’application de notre amendement ! (Sourires.)
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. J’espère, monsieur le président Bas, que vous reconnaîtrez in fine que la solution proposée par le Gouvernement est préférable à la vôtre !
M. Philippe Bas. N’y comptez pas ! (Nouveaux sourires.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 67 rectifié ter.
J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission spéciale est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 72 :
Nombre de votants | 333 |
Nombre de suffrages exprimés | 303 |
Pour l’adoption | 174 |
Contre | 129 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
En conséquence, l’article 4 est ainsi rédigé, et les amendements nos 107 rectifié bis, 108 rectifié, 109 rectifié bis, 112 rectifié, 195, 27 rectifié bis, 111 rectifié, 113 rectifié, 63, 232, 242, 277 rectifié, 110 rectifié, 269 rectifié, 223, 327, 328, 329, 97 rectifié et 330 n’ont plus d’objet.
Articles additionnels après l’article 4
Mme la présidente. L’amendement n° 229 rectifié, présenté par Mme de la Gontrie, M. Jacques Bigot, Mmes Meunier et Blondin, MM. Daudigny, Jomier et Vaugrenard, Mme Rossignol, M. Kanner, Mme Conconne, M. Fichet, Mme Harribey, M. Montaugé, Mme Monier, M. Antiste, Mme Artigalas, MM. Assouline, Bérit-Débat et Joël Bigot, Mme Bonnefoy, MM. Botrel, M. Bourquin, Boutant et Carcenac, Mme Conway-Mouret, MM. Courteau, Dagbert, Daunis, Devinaz, Durain, Duran et Éblé, Mme Espagnac, M. Féraud, Mmes Féret, M. Filleul et Ghali, M. Gillé, Mmes Grelet-Certenais et Guillemot, M. Jacquin, Mme Jasmin, MM. P. Joly, Kerrouche, Lalande et Leconte, Mme Lepage, M. Lozach, Mme Lubin, MM. Lurel, Magner, Manable, Marie et Mazuir, Mme Perol-Dumont, M. Raynal, Mme S. Robert, MM. Roger, Sueur et Sutour, Mme Taillé-Polian, MM. Temal et Tissot, Mme Tocqueville, MM. Todeschini, Tourenne et Vallini et Mme Van Heghe, est ainsi libellé :
Après l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code civil est ainsi modifié :
1° L’article 316 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les couples de même sexe, la filiation ne peut être établie par reconnaissance qu’en apportant la preuve que les deux femmes ont eu recours ensemble à une assistance médicale à la procréation. Cette preuve est rapportée par la production du consentement notarié au don mentionné aux articles 342-10 et 342-13. » ;
2° Le chapitre V du titre VII du livre Ier est complété par un article 342-13-… ainsi rédigé :
« Art. 342-13-… – Les femmes qui, pour procréer ont eu recours, alors qu’elles étaient en couple avec une autre femme, à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur peuvent signer ensemble devant le notaire un consentement a posteriori au don, sous réserve de la production de preuves justificatives du recours à une assistance médicale à la procréation en France ou à l’étranger les mentionnant toutes deux. La liste des preuves est fixée par décret.
« Celle qui, après avoir consenti a posteriori au don, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant.
« En outre, sa filiation est judiciairement établie. L’action obéit aux dispositions des articles 328 et 331. »
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.