M. André Reichardt. Alors, c’est quoi ?
Mme Frédérique Vidal, ministre. … mais d’observer, dans des cadres différents, les mécanismes de différenciation qui sont au cœur de la recherche sur l’embryon et les différentes catégories de cellules souches.
Le cadre législatif actuel en matière de bioéthique interdit l’introduction de matériel génétique animal dans un embryon humain : cette interdiction absolue est bien rappelée dans le texte qui vous est soumis. En revanche, la loi aujourd’hui en vigueur est floue s’agissant des manipulations, tout à fait nécessaires à la recherche, consistant à agglomérer du matériel biologique humain dans un embryon animal.
De fait, le paragraphe que nous vous proposons de modifier fait partie des dispositions relatives à l’expérimentation sur l’embryon humain uniquement. Le Gouvernement et l’Assemblée nationale ont fait le choix de clarifier cette situation en offrant un cadre clair et juridiquement sécurisé à des techniques sur lesquelles de grands espoirs sont fondés.
Au-delà de l’imaginaire charrié par la notion de chimère, ce qui est en jeu, c’est bien notre capacité à continuer à disposer de modèles animaux nous permettant de mieux comprendre certaines pathologies humaines et leur traitement ; c’est de cela qu’il s’agit, ni plus ni moins.
Beaucoup a été écrit sur certains protocoles de recherche annoncés au Japon. Ce qui est scientifiquement établi, c’est que, à ce jour, nos connaissances ne nous permettent pas de conduire ces embryons jusqu’à la parturition ; il est tout aussi établi que nous ne savons pas utiliser des embryons animaux pour produire des organes compatibles avec l’homme, ce qui poserait du reste d’importantes questions, éthiques bien sûr, mais aussi sanitaires. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit, et ce n’est pas ce qui est en jeu dans le présent projet de loi.
Ainsi, c’est en ouvrant de nouvelles voies et en traçant de nouvelles limites, en réaffirmant des lignes rouges, que ce texte dessine les contours d’une recherche libre et responsable. Naturellement, nous aurons des sujets de désaccord ; je ne crois pas me tromper en avançant que nous en avons déjà quelques-uns… Le temps du dialogue est ouvert, et nous aurons ces prochains jours l’occasion et le temps d’explorer tous nos sujets de divergence, en allant au fond des questions.
Le Gouvernement entend que le débat se poursuive dans les conditions de sérénité nécessaires pour que nous puissions, avec l’Assemblée nationale, parvenir à un équilibre sur ces différentes questions. Aussi Agnès Buzyn, Nicole Belloubet et moi-même n’avons-nous pas souhaité revenir par voie d’amendement sur la totalité de nos sujets de désaccord à l’issue des travaux de la commission spéciale.
En revanche, nous avons décidé de relever d’emblée ceux qui constituent des lignes rouges, du moins des points susceptibles de déséquilibrer le texte ou de l’entraîner dans une direction qui ne nous semble pas opportune, s’agissant notamment du délai d’observation des embryons in vitro, du cadre législatif relatif aux chimères et des questions relatives à la génétique, précédemment abordées par ma collègue Agnès Buzyn.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, les sujets de débat ne manquent pas : nous aurons dans les prochains jours le privilège de les explorer avec vous et d’en tirer tous les fils, toutes les conséquences ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Corinne Imbert, rapporteure de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, accueillir les innovations médicales au service de nos concitoyens et dans le respect des principes éthiques : tel est l’équilibre recherché par la commission spéciale en matière de recherche et de génétique.
Dans ce domaine, le texte du Gouvernement nous a semblé ambigu : d’un côté, il ouvre la voie à des expérimentations discutables sur le plan éthique, comme les embryons transgéniques ou chimériques ; de l’autre, il reste en retrait de certaines recommandations du CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé), par exemple en matière de diagnostic préimplantatoire.
S’agissant de la recherche, la principale novation réside dans un assouplissement du régime des recherches sur les cellules souches embryonnaires : il est pris acte que, n’étant pas des embryons, elles ne doivent pas être soumises aux mêmes règles. En revanche, le projet de loi ne sécurise en rien les recherches sur l’embryon, que les lois de bioéthique ont clairement autorisées mais qui continuent de faire l’objet de contentieux systématiques.
Devant ce constat, la commission spéciale a choisi de préciser les prérequis applicables à ces recherches, qui s’inscrivent généralement dans une démarche de recherche fondamentale, dont, par définition, les résultats et les possibles applications cliniques ne peuvent être anticipés.
La commission spéciale a également souhaité que la recherche française puisse prétendre à l’excellence dans la compréhension des mécanismes du développement embryonnaire. C’est pourquoi elle a étendu à vingt et un jours la durée limite de développement in vitro d’embryons surnuméraires, sur dérogation accordée par l’Agence de la biomédecine. En effet, la limite de quatorze jours est aujourd’hui réinterrogée, pour permettre des recherches indispensables à une meilleure connaissance du processus de différenciation des cellules souches embryonnaires.
De façon assez surprenante, le texte issu de l’Assemblée nationale normalise des recherches qui soulèvent pourtant des questions éthiques majeures, s’agissant en particulier de la création d’embryons chimériques. Mesdames les ministres, soyons clairs : le législateur n’a jamais entendu autoriser l’insertion dans un embryon animal de cellules souches embryonnaires humaines, et il n’appartient ni au Gouvernement ni au Conseil d’État de parler au nom du Parlement sur une question aussi sensible – l’éventuelle transgression d’une ligne rouge dans le franchissement de la barrière des espèces. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
Mme Corinne Imbert, rapporteure. Dans ces conditions, la commission spéciale a rétabli l’interdiction de constitution d’embryons chimériques impliquant l’utilisation de cellules souches embryonnaires humaines.
Consciente de ce que permet le droit en vigueur, elle a également posé des verrous aux expérimentations impliquant l’insertion de cellules souches pluripotentes humaines induites dans un embryon animal. Même les États-Unis, dont la tradition d’éthique biomédicale est différente, interdisent la poursuite à terme de la gestation d’embryons chimériques ; je ne vois donc pas pourquoi nous autoriserions une telle perspective dans notre pays.
Enfin, sur le sujet sensible du diagnostic préimplantatoire, la commission spéciale a élargi, à titre expérimental, les indications médicales de recours à cette technique, dans le seul objectif d’améliorer la prise en charge de femmes en assistance médicale à la procréation, en évitant des échecs répétés et douloureux. J’entends les craintes de dérives exprimées par certains, mais notre dispositif, qui pourra être amélioré à la faveur de nos débats, est strictement encadré dans ses finalités, afin, précisément, de proscrire toute dérive.
Soucieuse de prévenir et soigner les souffrances et les maladies dans le respect de la personne et des principes fondamentaux de notre droit, la commission spéciale vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter le présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Muriel Jourda, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, j’ai été choisie comme rapporteur sur les articles 1er à 4 du projet de loi, relatifs à l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes ainsi qu’aux liens de filiation qui en découlent, à la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes et à l’autoconservation des gamètes.
Compte tenu de la brièveté du temps qui m’est imparti, je n’aborderai dans la discussion générale que l’extension de l’assistance médicale à la procréation aux femmes seules et aux couples de femmes.
La commission spéciale a donné son accord à cette extension, contre l’avis que j’ai exprimé en qualité de rapporteur. Nous nous sommes exprimés, et les votes ont été assez partagés – il en sera vraisemblablement de même en séance publique.
M. Bruno Sido. Absolument !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. Pour que chacun puisse prendre position, il me semble que nous devons nous interroger sur un certain nombre de points. De fait, des questions se posent – j’en aborderai, rapidement, trois.
En tout cas, il en est une qui, je crois, ne se pose pas : celle de la légitimité de la demande des femmes qui veulent recourir à l’assistance médicale à la procréation. Le désir d’une femme d’avoir un enfant, quelle que soit sa situation conjugale, quelle que soit son orientation sexuelle, est parfaitement respectable. De la même façon, il me semble que les capacités d’amour, d’attention, d’éducation d’une femme ne dépendent en aucun cas de sa situation conjugale, ni de son orientation sexuelle. Nous pouvons, me semble-t-il, nous entendre sur ce point : la demande qui nous est adressée est respectable et peut être entendue.
Pour autant, pouvons-nous y répondre favorablement ? Il nous faut répondre d’abord à quelques questions.
La première est celle du rôle que nous voulons voir la médecine jouer. La bioéthique a pour effet – à vrai dire, pour fonction – de fixer des limites à ce que nous pouvons demander à la science. Lorsque nous affirmons que la médecine est là pour combler nos désirs, ne renonçons-nous pas au rôle même de la bioéthique, puisque le désir est sans limite ?
La deuxième question posée, importante, a trait au sort que nous faisons aux enfants que, dans le cadre de cette extension de l’assistance médicale à la procréation, nous faisons naître sans filiation paternelle et sans possibilité d’en établir jamais aucune. Est-ce là servir l’intérêt de l’enfant ? Pour le dire de façon un peu brutale et, peut-être, un peu triviale, un père sert-il à quelque chose, ou pouvons-nous le supprimer purement et simplement de la vie d’un enfant ? (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. André Reichardt. Eh oui !
Mme Muriel Jourda, rapporteur. À cet égard, nous ne disposons – j’en suis navrée – d’aucune étude scientifique véritablement fiable. Certes, un certain nombre d’études sont visées dans l’étude d’impact du Gouvernement, mais un nombre assez important de pédopsychiatres et l’Académie nationale de médecine nous ont affirmé, de manière extrêmement claire, qu’aucune n’avait la rigueur scientifique suffisante pour pouvoir appuyer un jugement.
Parmi les spécialistes de l’enfant que sont les pédopsychiatres, certains expliquent que, si un père et une mère ont des rôles différents, celui du père peut parfaitement être joué par la mère, en sorte qu’une mère pourrait être un père. D’autres, au contraire, estiment que, si des femmes sont parfaitement capables d’élever ensemble un enfant – encore une fois, nous n’en doutons pas –, ce n’est pas le tout pour un enfant ; que celui-ci ne peut se construire psychiquement que dans la mesure où il peut s’approprier une origine filiative crédible – hétérosexuelle, bien sûr, puisque seuls un homme et une femme peuvent avoir ensemble un enfant ; et que, faute d’une telle origine filiative crédible, sa construction psychique ne sera pas bonne.
De ces propos, chacun de nous retiendra peut-être ce qui lui convient. Mais l’important est moins de savoir ce qui nous convient que de décider si, devant des analyses contradictoires, nous prenons le risque que des enfants puissent, avec l’autorisation de la société, naître en ayant, peut-être, une construction psychique altérée dès la naissance.
Enfin, la troisième question que nous pouvons nous poser – et qui peut paraître plus technique – concerne le droit de la filiation.
Ce dernier est un droit d’ordre public, car c’est celui qui structure la société. Il n’est pas confié aux citoyens : il est réglé par l’État. Or, aujourd’hui, ce qui nous est demandé, c’est d’établir un lien de filiation en fonction de la volonté pure d’un individu qui déclare être parent. Or la volonté est infinie, mais elle est aussi fragile. Devons-nous structurer la société sur un fondement aussi fragile que celui de la volonté ?
Voilà, me semble-t-il, les questions que nous devons nous poser et auxquelles nous devons répondre.
Le désir d’enfant est respectable, mais la médecine a-t-elle pour rôle de satisfaire nos désirs ? Suffit-il à un enfant d’être l’objet de l’amour et du désir ? Enfin, pouvons-nous structurer la société sur le désir et la volonté ? Voilà ce dont nous serons, entre autres choses, amenés à parler pendant ces débats ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. Guillaume Arnell applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Olivier Henno, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je vais entamer mon propos par une citation de Jean d’Ormesson (MM. Jean-Noël Guérini et Bruno Sido s’exclament.) : « Comme l’esprit peut hésiter dès qu’il se préoccupe de considérations morales ou éthiques ! »
Cette citation, je la fais mienne, car c’est ce que j’ai ressenti tout au long d’auditions au cours desquelles nous avons, je le crois, rencontré l’excellence française. Ces auditions m’ont marqué, notamment celles des professeurs Mattei, Frydman et Nisand.
La bioéthique à la française a ceci de particulier qu’elle n’est pas la seule affaire des médecins et des juristes : c’est aussi l’affaire des philosophes et des citoyens. Il s’agit d’aborder l’avenir pour humaniser les progrès scientifiques, et non d’avoir peur de cet avenir.
C’est empreinte de ces doutes et de cette humilité, tâtonnant vers la connaissance, que notre commission spéciale a travaillé. Il lui a semblé que ce projet de loi, pour ce qui concerne un certain nombre de dispositions, n’a pas toujours adapté le droit à l’évolution des connaissances scientifiques et techniques en matière de génétique.
Évidemment, ne nous leurrons pas : l’interdiction des tests génétiques en accès libre sur internet est aujourd’hui purement virtuelle.
Plus d’un million de Français ont déjà eu recours à ces tests sans avoir aucune garantie que leurs droits étaient protégés. Voilà la réalité ! Leurs données sont librement conservées et utilisées par des sociétés commerciales, qui en tirent profit en monnayant leurs bases de données auprès de laboratoires pharmaceutiques. Des informations médicales sont communiquées sans aucun accompagnement professionnel digne de ce nom, alors même que les personnes recourant aux tests génétiques sur internet le font essentiellement à des fins généalogiques.
Interdire par principe sans savoir véritablement interdire a-t-il du sens ? Ne vaut-il mieux pas encadrer ? N’est-ce pas cela la bioéthique à la française : encadrer et humaniser plutôt qu’interdire ?
La commission spéciale a pris ses responsabilités. Elle a posé les bases d’un encadrement strict des examens génétiques à visée généalogique, en interdisant la transmission d’informations médicales et en introduisant des garde-fous dans le traitement de données aussi sensibles que les informations génétiques.
Suivant les recommandations du CCNE, elle a aussi ouvert la voie à un accès aux examens génétiques en population générale et dans le cadre du dépistage préconceptionnel. Le Gouvernement gardera la possibilité d’établir une liste d’anomalies génétiques « actionnables » pour lesquelles des mesures de prévention ou de soins sont envisageables.
S’agissant des embryons chimériques, je partage l’analyse de ma collègue Corinne Imbert. Il convient de poser des limites claires à ce type d’expérimentation pour prévenir tout risque de franchissement de la barrière des espèces, tout en préservant l’excellence de nos équipes de recherche.
Enfin, concernant le développement de l’intelligence artificielle, qui constitue également un sujet de première importance, le projet de loi crée opportunément un cadre juridique pour l’utilisation d’un traitement algorithmique lors de la réalisation d’un acte médical. La commission spéciale a renforcé les garanties applicables à l’utilisation de ces technologies, en prévoyant que le patient soit informé en amont de l’utilisation d’un traitement algorithmique et qu’aucune décision médicale ne puisse exclusivement se fonder sur un tel traitement.
Mes chers collègues, « améliorer la vie sans la bouleverser » : cet objectif résume assez bien le travail de notre commission spéciale et de son président, qui, je le crois, honore notre institution. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, RDSE et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Bernard Jomier, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la bioéthique. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, en matière de don d’organes, le projet de loi lève de façon bienvenue des contraintes pesant sur le développement du don croisé.
Cet aménagement du don du vivant n’a connu qu’une mise en œuvre timide depuis la précédente loi de 2011. Pour atteindre les objectifs ambitieux du plan Greffe, alors que cinq cents personnes meurent chaque année dans notre pays faute de greffe d’organes, les défis sont encore devant nous.
Face à ces enjeux, la commission a introduit plus de souplesse pour accompagner une relance du don croisé compatible avec les exigences liées à cette procédure complexe. Elle a également affirmé un « statut de donneur », préconisé par le Comité consultatif national d’éthique comme par les associations. Je souhaite que le Gouvernement puisse se saisir de ce cadre comme d’une opportunité de mieux valoriser, même symboliquement, ce geste altruiste et civique qu’est le don d’organes.
Nos propositions ont par ailleurs été guidées par la recherche de l’équilibre entre consentement et vulnérabilité des mineurs et majeurs protégés : nous proposons notamment d’abaisser à 16 ans l’âge du consentement pour le don à un parent de cellules souches hématopoïétiques, ou d’exclure du prélèvement post mortem les majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection avec représentation à la personne.
Suivant cette même logique, la commission a ouvert le don du sang dès l’âge de 17 ans, afin de permettre aux jeunes de contribuer à la solidarité nationale par ce geste citoyen.
Le projet de loi apporte en outre des clarifications bienvenues à l’encadrement de l’interruption de grossesse pour motif médical et des réductions embryonnaires ou fœtales.
Sur le sujet de l’interruption médicale de grossesse, la commission spéciale n’a pas jugé nécessaire de prévoir une clause de conscience spécifique des professionnels de santé, dès lors qu’une clause de conscience générale leur permet déjà de ne pas accomplir un acte contraire à leurs convictions.
Enfin, la commission spéciale a adopté, en y apportant des améliorations, le dispositif proposé par l’Assemblée nationale sur la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital par les centres de référence. Elle a notamment soumis le diagnostic et la prise en charge de ces enfants à un référentiel de bonnes pratiques, arrêté par la Haute Autorité de santé en concertation avec les associations de patients.
Telles sont les principales observations sur les articles du projet de loi dont je suis le rapporteur et que la commission spéciale vous demande d’adopter.
J’ajoute à ces considérations ma conviction que ce projet de loi nous offre une opportunité, celle de démontrer que le progrès de la connaissance peut être, est bénéfique à notre population. L’enjeu est de poser le cadre dans lequel la connaissance scientifique doit progresser, et certainement pas de l’empêcher.
Avoir conscience, identifier les dérives possibles et instituer les garde-fous nécessaires relèvent du rôle irremplaçable du législateur. Nous légiférons dans un monde ouvert : notre responsabilité n’en est que plus complexe. Ayons ensemble la volonté commune de dépasser ces obstacles dans le consensus tant nous savons que l’obscurantisme est simplement le fils de l’ignorance et de l’intolérance. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et RDSE. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui les débats sur un texte à part dans notre travail législatif, qui nous convie à des questionnements quasi philosophiques et sur lequel les clivages traditionnels ne tiennent plus. Tous les groupes politiques ont d’ailleurs renoncé à donner une consigne de vote, pratique que le groupe du RDSE expérimente régulièrement. (Sourires.)
La France a fait le choix de confier aux représentants du peuple, et donc au peuple, les décisions en matière de bioéthique. C’est le peuple qui tranche sur le permis et l’interdit face à des progrès scientifiques qui font que la médecine ne se contente plus de soigner les malades.
Ce débat renvoie à un conflit de valeurs qui concerne chacun d’entre nous. Il s’agit non pas d’un conflit entre le bien et le mal, mais d’une lutte entre deux biens, deux éthiques : celle du libre choix du patient et celle de la protection des plus vulnérables.
Ainsi, c’est à nous, en tant que représentants du peuple, de nous prononcer sur notre propre conflit de valeurs, en gardant toujours à l’esprit l’intérêt général, qui n’est jamais la somme des intérêts particuliers. Ces dilemmes éthiques se résolvent non par l’absolutisme d’une valeur sur les autres, mais par la recherche de solutions qui prennent en compte les avancées de la science et de la société.
En cela, je le disais, ce projet de loi ne ressemble à aucun autre. Il pose une question simple dont la réponse est complexe : est-ce que la société veut ce que la science peut ? En d’autres termes, est-ce que cela doit être autorisé parce que cela est possible ?
Considérant, comme le dit si bien Jean Leonetti, qu’il est important de continuer à énoncer l’interdit, je m’efforcerai de vous présenter ma position sur les grandes mesures de ce texte, hormis celles qui concernent le don d’organes sur lesquelles mon collègue Jean-Pierre Corbisez se prononcera. Bien qu’étant cheffe de file de mon groupe, je m’astreindrai à parler en mon nom propre, afin de laisser à mes collègues le soin de se faire leur propre avis au fil des discussions.
Compte tenu des très nombreuses sollicitations que nous avons reçues et qui, pour un certain nombre, provenaient de personnes qui diffusaient sciemment de fausses informations, j’aimerais commencer mon propos en rappelant ce que ce projet de loi ne contient pas.
La gestation pour autrui, l’eugénisme et les chimères ne figurent pas dans ce texte, et rien ne permet d’affirmer que ses dispositions ouvrent une quelconque porte à leur légalisation.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. Le Gouvernement, comme la majorité des parlementaires, a réaffirmé son opposition à ces pratiques. Brandir la GPA pour refuser la PMA, c’est nier le débat parlementaire qui s’engage. L’une n’est pas liée à l’autre.
Comme l’a rappelé le rapporteur Bernard Jomier en commission – et je partage ses propos –, lorsqu’on regarde en arrière, on constate que les précédents débats sur les lois de bioéthique ont suscité les mêmes craintes de dérives, et on voit avec le recul qu’elles n’étaient pas tout à fait justifiées. En effet, le législateur a mis en place un dispositif efficace qui permet soit d’interdire une technique, soit de l’autoriser dans un cadre qui limite les risques et garantit les évaluations.
Pour autant, sur la question de la GPA, j’ose dire avec lucidité que la situation actuelle entraîne déjà une marchandisation du corps : c’est bien parce que, en ce domaine, il n’y a pas d’éthique, pas de doctrine, pas d’encadrement dans notre pays que des ventres sont à louer à l’étranger.
M. Yvon Collin. Eh oui !
Mme Véronique Guillotin. Toutefois, même si le débat mérite d’être ouvert, tel n’est pas l’objet de ce projet de loi.
Les enfants issus d’une GPA à l’étranger existent : nous ne pouvons pas les ignorer. Considérant qu’il faut d’abord les protéger, j’ai déposé un amendement de suppression de l’article 4 bis relatif à la transcription de l’acte de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger : l’enfant n’est pas responsable de son mode de procréation et ne doit pas en être pénalisé.
J’en viens maintenant à la question qui a occupé et qui occupera une bonne partie de nos discussions : l’extension de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires – je préfère ce terme à celui de femmes « seules » qui reflète, à mon sens, un jugement de valeur discutable.
D’abord, sur la forme, je suis d’avis que cette mesure aurait dû faire l’objet d’une loi à part, une loi sociétale à l’instar de celle sur le mariage pour tous. Les débats sur l’ouverture de la PMA à toutes les femmes occultent trop souvent d’autres questions bioéthiques fondamentales, malheureusement polluées par la cristallisation des peurs et des rejets.
Cela étant, j’ai abordé ce sujet comme j’essaie d’aborder toutes les questions sociétales : avec humilité, pragmatisme, progressisme et humanisme. Tout en gardant à l’esprit l’intérêt de l’enfant, souvent brandi avec force par les opposants à la réforme, je suis convaincue que, correctement régulée, la technologie renforcera le seul modèle familial qui prévaut, celui qui est fondé sur l’amour.
La légalisation du mariage pour tous avait fait craindre à certains la destruction d’un modèle familial classique, fondé sur un couple hétérosexuel marié et des enfants. En réalité, cela fait bien longtemps que ce modèle a été rejoint par d’autres. Il est nécessaire aujourd’hui de reconnaître la diversité des configurations familiales qui composent notre société.
Rappelons d’ailleurs que les célibataires peuvent adopter depuis 1996 et qu’il est interdit de leur refuser l’agrément pour ce seul motif. Dans le cas de l’adoption, comme dans le cas de la PMA, il s’agit de procédures longues qui nécessitent une réflexion mûrie, de la patience et de la détermination. On parle d’enfants attendus, désirés, parfois viscéralement. On parle de fonder la famille sur une base plus solide que la seule procréation, qui est un acte biologique, tandis que la parentalité est un acte social et affectif.
Pour ma part, vous l’aurez compris, je suis résolument convaincue de l’intérêt d’étendre la PMA à toutes les femmes, et optimiste sur ce point.
Aussi, je défendrai deux convictions lors de l’examen de l’article 1er.
Tout d’abord, pour une question d’égalité, il me paraît essentiel de garantir à toutes les femmes le remboursement de la PMA, seule condition de l’existence d’un droit réel, non soumis à des critères financiers. Le contraire aurait pour effet de créer une rupture d’égalité entre les femmes qui peuvent payer et celles qui ne le peuvent pas, comme aujourd’hui. À mon sens, il serait même logique de supprimer toute référence à l’infertilité médicale puisque, pour les couples hétérosexuels, la cause n’est pas toujours médicalement prouvée.
Ensuite, dans une perspective humaniste et parce que la situation actuelle n’est pas acceptable, je défendrai un amendement permettant aux femmes de bénéficier du transfert des embryons issus d’une fécondation in vitro en cas de décès de leur conjoint en cours de procédure. Aujourd’hui, ces embryons sont soit détruits, soit donnés à un autre couple. Demain, la femme, elle-même veuve, pourra bénéficier d’une PMA avec donneur, mais pas avoir accès aux embryons issus de ses ovocytes et des spermatozoïdes de son conjoint. Cette réglementation n’a plus trop de sens et devrait pouvoir évoluer.
Sur les dons de gamètes, les débats sont tout aussi complexes. Si l’on comprend naturellement le besoin des enfants nés d’une PMA avec donneur de connaître leurs origines, nous sommes nombreux à craindre une forte baisse des dons en cas de levée de l’anonymat, alors que ceux-ci ne permettent déjà pas de répondre à toutes les demandes.
Certains membres de mon groupe soutiendront un amendement visant à revenir au droit actuel, c’est-à-dire à l’anonymat du donneur. Pour ma part, je suis plutôt favorable au compromis trouvé en commission, qui prévoit que l’agence sollicite l’accord du donneur au moment de la demande de l’enfant, ce qui permet de respecter le désir de l’enfant et la vie privée du donneur, tout en préservant le stock de gamètes existant.
Sur d’autres sujets, je m’associe à l’excellent travail des rapporteurs.
Je ne défendrai donc aucun amendement sur l’extension à titre dérogatoire de la recherche sur le développement in vitro des embryons jusqu’à vingt et un jours, pas plus que sur l’autorisation à titre expérimental du diagnostic préimplantatoire pour la recherche d’aneuploïdies en vue d’améliorer la prise en charge des femmes en AMP et le taux de réussite des fécondations in vitro, sur la suppression de la double clause de conscience spécifique à l’interruption médicale de grossesse, ou encore sur la prise en charge des enfants présentant une variation du développement génital, dans la mesure où il est nécessaire d’optimiser la prise en charge actuelle.
Au-delà de mes convictions, qui me poussent à soutenir la plupart des mesures du texte initial, je suis convaincue qu’il faut laisser plus de liberté aux professionnels de santé et à nos concitoyens, en respectant la volonté, les désirs et la capacité de chacun à décider en responsabilité.
Je salue en ce sens les avancées obtenues en commission : elles permettent d’introduire des critères plus souples sur l’âge en cas d’autoconservation des ovocytes et de PMA. Comme je l’ai souvent dit, la reconnaissance tardive de maladies telles que l’endométriose ainsi que le défaut d’information des patientes doivent nous encourager à faire davantage, notamment en termes de préservation de la fertilité.
Je terminerai en rappelant que, sans une politique familiale volontaire et une meilleure prise en compte de la grossesse des femmes dans le monde du travail et dans la société, toutes ces bonnes intentions pourraient demeurer vaines. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants et UC.)