PRÉSIDENCE DE Mme Valérie Létard
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
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Violences faites aux femmes en situation de handicap
Adoption d’une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, de la proposition de résolution pour dénoncer et agir contre les violences faites aux femmes en situation de handicap présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par Mme Annick Billon et plusieurs de ses collègues (proposition n° 150).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution.
Mme Annick Billon, auteure de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de résolution que mes collègues Roland Courteau, Chantal Deseyne, Françoise Laborde, Dominique Vérien et moi-même avons l’honneur de vous présenter aujourd’hui est l’aboutissement de travaux conduits par la délégation aux droits des femmes sur un fléau qui est longtemps resté un « impensé » des politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes : il s’agit des violences que subissent les femmes en situation de handicap.
À titre symbolique, nous avons souhaité déposer ce texte le 25 novembre 2019, journée consacrée chaque année, dans le monde entier, à la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est d’ailleurs le jour qu’a choisi le Gouvernement pour exposer les conclusions du Grenelle pour lutter contre les violences conjugales, ouvert le 3 septembre dernier dans le contexte créé par la prise de conscience de la réalité des féminicides.
Notre proposition de résolution est largement partagée au sein du Sénat puisqu’elle réunit à ce jour 158 cosignataires, de tous les groupes.
Cette véritable mobilisation, qui nous rassemble par-delà nos appartenances politiques, montre un indéniable progrès dans la prise de conscience de la gravité de violences demeurées trop longtemps taboues. Signe d’une longue incapacité à nommer des comportements insupportables, les violences faites aux femmes en situation de handicap ont longtemps été banalisées et désignées par la notion de « maltraitance », terme plus acceptable socialement. Cette incapacité à nommer ces violences a trop longtemps rendu les victimes invisibles.
Les femmes handicapées sont longtemps restées « invisibles et oubliées des politiques publiques », comme nous le confiait APF France handicap. D’ailleurs, Sœurs oubliées – Forgotten Sisters – est précisément le titre d’un rapport consacré en octobre 2012 par l’agence ONU Femmes sur les violences faites aux femmes handicapées. Son auteure, Michelle Bachelet, faisait observer combien la violence à l’égard des femmes handicapées demeurait « largement ignorée ».
Aujourd’hui, grâce au combat inlassable d’associations comme Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir et de sa regrettée fondatrice, Maudy Piot, à qui je souhaite une nouvelle fois rendre hommage, la parole de celles qui dénoncent ces comportements effroyables commence à être entendue.
Plusieurs constats ressortent de notre travail.
Le premier constat est la prise de conscience très récente du lien entre le handicap et les violences faites aux femmes puisqu’elle remonte à 2006, avec l’adoption par l’ONU de la convention relative aux droits des personnes handicapées. Ce texte est le premier à avoir reconnu explicitement que les femmes et les filles handicapées courent « des risques plus élevés de violence, d’atteinte à l’intégrité physique, d’abus, de délaissement ou de défaut de soins […] ».
La même année, un plan d’action pour la promotion des droits des personnes handicapées, élaboré par le Conseil de l’Europe, soulignait les besoins spécifiques des femmes et des jeunes filles parmi lesquelles on compte une proportion de victimes d’abus et de violences largement supérieure à celle que l’on enregistre dans la population féminine non handicapée.
Le deuxième constat est que les violences peuvent être à la fois la cause et la conséquence du handicap. En effet, si le handicap accroît pour une femme ou une fille le risque de subir des violences, inversement il peut aussi être la conséquence de violences subies.
Ainsi, la Commission nationale consultative des droits de l’homme relevait, dans un avis de mai 2016 : « Le handicap peut également être le résultat de la violence sexiste. Les violences subies peuvent être à l’origine chez les femmes battues de troubles psychiques et physiques importants, et les agressions sexuelles entraîner des handicaps permanents. »
Il était donc plus que temps que soient pris en compte les besoins particuliers des femmes en situation de handicap parmi les victimes de violences, même si, à ce stade, la particulière vulnérabilité de ces femmes aux violences est attestée par des témoignages convergents et par diverses enquêtes, sans toutefois que l’on puisse à ce jour s’appuyer sur une analyse statistique complète.
Le troisième constat est que les violences qui menacent les femmes en raison de leur handicap ne leur laissent aucun répit. Elles peuvent être le fait de l’entourage institutionnel ou familial. Selon une enquête réalisée par l’association Femmes pour le Dire, Femmes pour Agir, 60 % des violences subies par les femmes en situation de handicap surviennent à leur domicile. Cela signifie qu’elles ne sont nulle part à l’abri.
Le quatrième constat est qu’il existe une vulnérabilité particulière, s’agissant des violences sexuelles, liée au handicap mental ou psychique pour des victimes qui ne sont pas en mesure de comprendre l’agression dont elles font l’objet et dont l’« incapacité à dire non » peut être « perçue comme un signe de consentement à une relation sexuelle ».
À cet égard, la délégation aux droits des femmes a été plus particulièrement alertée sur l’exposition des femmes atteintes d’un trouble de l’autisme aux violences sexuelles. Je pense, bien sûr, au témoignage de Mme Marie Rabatel.
De manière générale, le risque de subir une violence sexuelle serait ainsi multiplié par six pour les femmes en situation de handicap mental. La réalité que recouvrent ces chiffres est insupportable !
Il est donc positif qu’un groupe de travail consacré aux femmes en situation de handicap se soit constitué lors du Grenelle contre les violences conjugales. On peut lire dans cette méthodologie le signe que la vulnérabilité liée au handicap est enfin intégrée aux politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes après en avoir été un « angle mort », pour reprendre l’expression de notre collègue Laurence Rossignol.
Je rappelle toutefois que l’exposition spécifique des femmes et des filles en situation de handicap aux violences ne doit pas se limiter au contexte conjugal, car elle concerne tout le champ des violences faites aux femmes. Le Grenelle ne saurait donc être considéré comme terminé depuis les annonces du 25 novembre. Il n’est qu’une étape dans un processus.
Aujourd’hui, les moyens humains et financiers doivent être déployés dans tous les territoires pour prévenir, former, informer, accompagner et soigner. Je précise bien dans tous les territoires : en France métropolitaine et dans les outre-mer, dans les grandes villes et dans les territoires plus ruraux, car la violence n’a pas de frontières.
M. François Bonhomme. Absolument !
Mme Annick Billon. Pour gagner ce combat, nous devons aussi et surtout tous changer notre regard sur les femmes en situation de handicap. Ces femmes aspirent à être considérées non comme d’« éternelles mineures » dépendantes de leur entourage, mais comme des citoyennes à part entière dont la parole ne saurait être mise en doute au nom de leur handicap quand elles dénoncent des violences. Bien entendu, ces dénonciations doivent avoir lieu dans un cadre particulier, car les victimes sont des personnes en situation de handicap, madame la secrétaire d’État. Il est donc nécessaire qu’elles soient reçues par des personnels formés et compétents : nous ne pouvons nous satisfaire de formations en ligne !
Nommer les violences et reconnaître ces femmes comme citoyennes, c’est déjà un pas pour lutter efficacement contre ce fléau. Nous devons donc tout mettre en œuvre pour mieux connaître ce fléau, avoir de véritables statistiques et enfin lutter contre ces violences, qui sont totalement inadmissibles et révoltantes dans une société comme la nôtre ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDSE et LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à vous demander de bien vouloir excuser ma collègue Christine Prunaud, qui n’a pas pu être présente cet après-midi.
Je salue l’initiative prise par plusieurs membres de la délégation aux droits des femmes pour permettre la discussion de cette proposition de résolution. Dénoncer les violences faites aux femmes en situation de handicap et agir contre ces violences, tel est le louable et nécessaire objectif de ce texte.
En effet, ces femmes sont des victimes toutes désignées qui peinent à dénoncer et à se faire entendre. D’après un rapport de l’ONU, quatre femmes en situation de handicap sur cinq seraient victimes de tous types de violences.
De son côté, une étude de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales de 2018 montre que les femmes qui courent le plus de risques d’être victimes de violences conjugales sont celles de moins de 25 ans qui se trouvent en situation de handicap.
Le constat est le même pour l’association Femmes Solidaires, qui a mis en place un numéro non surtaxé d’écoute pour répondre à la détresse des femmes handicapées : 35 % des violences signalées sont commises par le conjoint, même si de nombreuses femmes n’appellent tout simplement pas, notamment en cas de handicap mental.
Cette proposition de résolution vise à formuler quatorze recommandations. Parmi elles, je citerai l’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH). Elle permettra de sortir de la dépendance économique, qui rend compliquée la possibilité de quitter son conjoint violent. Au-delà de cette question, je rappelle que notre groupe a déposé une proposition de loi sur cette individualisation de l’AAH pour toutes les femmes handicapées, proposition de loi qui a malheureusement été rejetée en octobre 2018. Nombre d’associations qui accompagnent les personnes en situation de handicap n’ont pas compris que notre Haute Assemblée ne soutienne pas cette proposition, d’autant que 49 % des femmes handicapées sont inactives et que 13 % d’entre elles sont au chômage.
La formation des professionnels de justice et de santé est également impérieuse, l’éducation dès le plus jeune âge indispensable, la promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes primordiale. Ce sont autant de recommandations défendues depuis de nombreuses années par les associations féministes.
Dans les Côtes-d’Armor, de nombreuses initiatives en ce sens sont menées. L’association Athéol, par exemple, prévoit un accompagnement et un hébergement spécifique pour les femmes handicapées. La Maison des Femmes du département regroupe vingt et une associations, dont Adalea, qui propose une veille et des réponses très spécifiques pour les femmes victimes de violences conjugales et familiales.
Je formulerai une dernière remarque sur l’accessibilité des bâtiments pour les femmes en situation de handicap. Je rappelle l’incompréhension de mon groupe concernant l’allongement de neuf ans du délai de mise en accessibilité des lieux publics, voté ici même en 2015.
Appeler à une prise de conscience de la situation du handicap, c’est bien, mais donner les moyens techniques, humains et financiers d’accompagner les femmes en situation de handicap, c’est mieux ! À ce propos, nous regrettons qu’aucune référence ne soit faite aux moyens financiers nécessaires pour accompagner ces mesures.
Former des professionnels, aménager des espaces d’hébergement adaptés, mener une politique publique d’inclusion sont autant d’objectifs annoncés, mais sans budget véritablement alloué.
Dans le département du Nord, en 2018, la moitié seulement des 8 000 appels reçus par l’association SOLFA a pu être traitée, faute d’effectifs. Le constat est le même pour l’hébergement d’urgence, puisque plus de 500 demandes n’ont pu aboutir. Les chiffres de 2019, encore inconnus pour le moment, ne seront malheureusement pas meilleurs. C’est dommage, d’autant que les subventions de cette association ont sans cesse diminué depuis 2010.
Les associations féministes mobilisées sur le sujet espéraient sincèrement que le Grenelle déboucherait sur un plan Marshall doté au moins de 500 millions d’euros, voire de 1 milliard d’euros. Une somme bien loin des 79 millions d’euros spécifiquement alloués à cette lutte !
D’ailleurs, comment ne pas s’interroger sur le fait que les conclusions de ce Grenelle n’abordent même pas la question des femmes handicapées ? Elles en sont véritablement les grandes oubliées. C’est bien la preuve que cette proposition de résolution arrive à point nommé.
Parce qu’il montre l’engagement du Sénat sur cette question et qu’il représente un pas en faveur du droit des femmes, nous voterons sans réserve ce texte, cosigné déjà par deux de mes collègues, Christine Prunaud et Laurence Cohen. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet des femmes en situation de handicap m’est apparu comme particulièrement grave et sous-estimé lors du travail que mes collègues corapporteurs et moi-même avons effectué au sein de la délégation aux droits des femmes du Sénat. Il est sous-estimé, déjà, parce qu’il n’est pas estimé du tout !
Comme pour d’autres sujets, par exemple la protection de l’enfance, nous sommes confrontés à une absence de données. S’il existe quelques enquêtes sectorielles qui tendent à montrer que ces femmes sont plus exposées aux violences que la population générale, ces données sont anciennes.
Le chiffre fréquemment cité selon lequel 80 % des femmes en situation de handicap seraient victimes de violences provient d’un rapport du Parlement européen de 2007.
Il nous faut donc des chiffres, car comment construire une politique publique sur un sujet dont on ne maîtrise ni la fréquence, ni l’ampleur, ni les différentes dimensions, qu’elles soient psychologiques, sexuelles, conjugales ou économiques ? La direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) prévoit de réaliser entre 2021 et 2023 une grande enquête sur les personnes handicapées. Tant mieux ! Mais pourquoi en prévoir une si tard ?
Graves et sous-estimées, aussi, sont les défaillances dans la prise en charge de jeunes filles en situation de handicap dans les établissements spécialisés.
Défaillances quant à la prescription de contraceptifs, par exemple, qui se ferait sans véritable consentement ni réel suivi médical. Cela paraît même être une condition pour être accueillie. Lors de nos auditions, certaines interlocutrices sont allées jusqu’à se demander si l’objectif de telles pratiques n’était pas de se prémunir contre les conséquences de viols…
On ne peut pas non plus passer sous silence les stérilisations qui ont été imposées par le passé à des femmes handicapées dans des institutions françaises. Le Sénat avait déjà dénoncé ces pratiques en 2003, dans le cadre d’une commission d’enquête. Il les jugeait alors sous-estimées. Aujourd’hui, les stérilisations sont heureusement encadrées par la loi et interdites sur les handicapés mentaux placés sous tutelle ou curatelle, sauf indication médicale.
Toutefois, je rappelle ici avec force qu’aucune adolescente, aucune femme en situation de handicap ne devrait être « obligée » de prendre une contraception ni faire l’objet d’une stérilisation dans des conditions contraires à la loi. Ce sont les femmes que l’on doit protéger et non les violences sexuelles !
Grave et sous-estimée toujours est la « culture de la soumission », qui caractérise les relations entre les familles des personnes en situation de handicap et les établissements spécialisés qui les accueillent.
Les familles seraient implicitement dissuadées de révéler des violences, par peur que leur enfant ne soit exclu de l’institution ou qu’il soit l’objet d’un signalement auprès de l’aide sociale à l’enfance (ASE).
Par ailleurs, en tant que corapporteure de la mission commune d’information sur les infractions sexuelles sur mineurs commises par des adultes dans le cadre de leurs fonctions, le cas spécifique de ces établissements d’accueil nous a été signalé, mais les associations les ayant en gestion n’ont pas cru bon de répondre à notre invitation pour être auditionnées, excepté APF France handicap.
Nous avions alors proposé que le fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (Fijaivs) soit obligatoirement consulté pour l’embauche de tout professionnel ou bénévole ayant à travailler dans de telles institutions. C’est une demande renouvelée aujourd’hui dans cette proposition de résolution.
Grave et sous-estimé, enfin, le manque de signalement. Or, vous le savez, le secret professionnel ne s’applique pas en cas de violences commises sur des personnes qui ne sont pas en mesure de se protéger en raison de leur âge ou d’une incapacité physique ou psychique.
Il serait bon que le signalement ne soit plus considéré, notamment par les médecins, comme une délation ou une prise de risque de leur part, mais soit perçu comme un acte pouvant sauver une vie. Je souhaite donc que le débat sur la question de l’obligation de signaler, actuellement en cours au sein d’une mission d’information au Sénat, aboutisse à une solution permettant de protéger les personnes en situation de handicap, particulièrement les femmes.
Mes chers collègues, cette gravité et cette sous-estimation m’ont poussée à cosigner ce projet de résolution que je vous invite à voter. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je me réjouis de discuter aujourd’hui de cette proposition de résolution qui permet de mettre en lumière un sujet très grave et pourtant encore tabou.
Comme l’a rappelé Annick Billon, ce texte s’inscrit dans la continuité des travaux de la délégation aux droits des femmes, qui a publié au mois d’octobre dernier un rapport sur les violences faites aux femmes en situation de handicap, dont j’étais corapporteure avec Roland Courteau, Françoise Laborde et Dominique Vérien.
La proposition de résolution vise à insister sur les multiples formes que prennent ces violences, qu’elles soient physiques, sexuelles, psychologiques ou économiques.
Elle tend aussi à souligner, il faut le rappeler, que la vulnérabilité des femmes en situation de handicap est exacerbée par une menace constante. En effet, ces violences peuvent être commises aussi bien au sein de leur domicile, par un conjoint ou par des proches, qu’au sein d’institutions, par des membres du personnel.
Pourtant, rares, voire inexistantes, sont les campagnes de prévention ou les actions de sensibilisation contre ces violences.
Mon intervention portera plus spécifiquement sur le lien qui peut exister entre précarité des femmes en situation de handicap et violences.
En effet, ces femmes sont d’autant plus fragiles et vulnérables qu’elles se trouvent bien souvent dans une situation de dépendance économique : elles ont du mal à poursuivre des études, à trouver un emploi et à évoluer dans leur carrière professionnelle. Elles subissent donc encore plus d’inégalités que l’ensemble de la population féminine.
Notre rapport identifie plus particulièrement trois facteurs aggravant la précarité et la dépendance économique des femmes handicapées.
Premier facteur aggravant : les femmes handicapées se heurtent à des obstacles dans le suivi de leur scolarité et de leurs études supérieures, victimes de préjugés à la fois sur leur sexe et sur leur handicap. L’association Droit Pluriel a plus particulièrement alerté la délégation aux droits de femmes sur le taux très élevé de personnes sourdes ne sachant ni lire ni écrire. On ne saurait se satisfaire de cette situation. Il faut impérativement prendre des mesures pour y remédier. L’une de nos recommandations appelle donc à améliorer l’accès aux études des jeunes filles en situation de handicap, car cela constitue un enjeu important de leur autonomisation. Dans cette logique, nous visons aussi les études supérieures.
Deuxième facteur aggravant : la « surdiscrimination » au travail des femmes en situation de handicap ne doit pas être sous-estimée, car elle a des conséquences sur la capacité de ces femmes à échapper à leurs éventuels agresseurs.
Un remarquable rapport du Défenseur des droits, publié en novembre 2016, analyse en détail les multiples discriminations dans l’emploi dont sont victimes les femmes en situation de handicap. Le constat est édifiant.
Le onzième baromètre de la perception des discriminations dans l’emploi, publié en 2018 par le Défenseur des droits et l’Organisation internationale du travail, montre par exemple que 34 % de la population active âgée de 18 ans à 65 ans déclare avoir été confrontée à des discriminations durant les cinq dernières années, contre une proportion de 54 % pour les femmes en situation de handicap, soit plus d’une femme sur deux.
Les préjugés freinent ainsi l’insertion professionnelle des femmes handicapées, victimes d’une double exclusion, parce qu’elles sont femmes et parce qu’elles sont handicapées. À cet égard, il faut savoir que, dans un cadre professionnel, un homme handicapé sera considéré comme plus apte à surmonter son handicap qu’une femme handicapée.
Dans un premier temps, ces femmes sont soumises à une ségrégation horizontale puisqu’elles sont, davantage que les autres femmes, susceptibles d’occuper des emplois de niveau inférieur ou des temps partiels, généralement peu rémunérés, qui les maintiennent dans une situation de précarité.
Dans un second temps, elles subissent davantage les effets du « plafond de verre », puisque 1 % seulement des femmes handicapées en emploi sont cadres, contre 10 % de leurs homologues masculins.
L’une de nos recommandations vise donc à prévoir que le critère de l’égalité femmes-hommes soit mieux pris en compte dans les politiques visant à favoriser l’emploi et la formation des personnes en situation de handicap.
Suivant les préconisations du Défenseur des droits sur le sujet, nous recommandons aussi la mise en place de mesures concrètes pour rendre effectifs les aménagements de poste dans l’emploi et pour développer l’accessibilité des établissements de formation, des entreprises et des administrations au bénéfice des personnes en situation de handicap.
Troisième facteur aggravant : lorsque la seule source de revenus des femmes en situation de handicap est l’allocation aux adultes handicapés, elles demeurent dans une situation de précarité et de dépendance intolérables. En effet, en tant que revenu de solidarité, l’AAH est soumise à des conditions de ressources et intègre les revenus du conjoint dans le barème de versement.
Convaincus que l’autonomie économique des femmes handicapées est un prérequis pour leur permettre d’échapper à des situations de violence, nous appelons donc à une réflexion sur l’allocation aux adultes handicapés qui prenne en compte l’importance de celle-ci, dans le contexte de violences au sein du couple, pour l’autonomie de la victime par rapport à un conjoint violent.
Pour conclure, je dirai que le renforcement de l’autonomie professionnelle est l’un des facteurs clés pour prévenir et lutter contre les violences faites aux femmes en situation de handicap.
Mme la présidente. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Chantal Deseyne. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à voter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDSE. – Mme Victoire Jasmin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est avec une émotion particulière que j’interviens cet après-midi à la tribune du Sénat pour défendre, avec mes collègues rapporteures et avec la présidente de la délégation aux droits des femmes, cette proposition de résolution.
Ce texte constitue l’aboutissement d’un travail de plusieurs mois sur les violences faites aux femmes en situation de handicap. Le rapport d’information qui en est issu a été adopté par notre délégation à l’unanimité.
Comme l’a souligné notre présidente, le fait que cette proposition de résolution soit cosignée par un si grand nombre de sénateurs et de sénatrices, de tous les groupes politiques, traduit l’implication de l’ensemble de notre assemblée pour défendre les victimes de ces violences insupportables, parce qu’elles visent des personnes vulnérables qu’il est de notre devoir de défendre contre les prédateurs qui les prennent pour cibles. Car il s’agit bien de prédateurs !
Mon engagement contre les violences faites aux femmes est ancien : c’est le fil conducteur de mon parcours d’élu. J’y travaille depuis de longues années, à la fois comme législateur et sur le terrain.
Si, ces dernières années, quelques avancées ont pu être constatées, notamment en matière de lutte contre les violences conjugales, on ne peut en dire autant des violences auxquelles sont confrontées les femmes en situation de handicap.
Deux adjectifs ont émergé des témoignages que nous avons entendus au cours de notre travail : « oubliées » et « invisibles ». Il faut y ajouter « inaudibles », car à toutes les violences que subissent ces femmes, s’ajoute la violence qui résulte d’une parole presque toujours mise en doute, au nom de leur handicap, comme si leur identité pouvait être réduite à celui-ci.
Certes, la prise en compte des femmes handicapées dans les politiques publiques de lutte contre les violences est récente, puisqu’elle remonte, en réalité, aux deux derniers plans interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes : le quatrième plan, qui couvre la période 2014-2016, et le cinquième plan, qui concerne les années 2017-2019.
On peut donc espérer que les dynamiques enclenchées depuis 2014 conduisent prochainement, si les moyens nécessaires sont mobilisés, à des résultats concrets.
Le quatrième plan a ainsi pris en compte les femmes handicapées dans les objectifs définis dans le domaine de la formation initiale et continue des agents du service public et des professionnels. C’était une orientation pertinente, car la formation des personnels est, on le sait, décisive dans ce domaine.
Dans le même temps, des clips de sensibilisation ont été adaptés à certaines formes de handicap, puisqu’ils ont été sous-titrés et traduits en langue des signes. Voilà une bonne pratique à rendre, si cela est possible, systématique !
Quant au cinquième plan, il prévoyait la formation des professionnels au contact des femmes handicapées, l’éducation à la vie sexuelle et affective dans les établissements médico-sociaux et la signature d’une convention entre le 3919 et le 3977, numéro national pour lutter contre la maltraitance des personnes âgées et des personnes handicapées, afin d’orienter les femmes en situation de handicap vers des structures spécialisées.
Nous avons par ailleurs noté que la feuille de route issue du comité interministériel du handicap, intitulée Gardons le cap, changeons le quotidien !, prenait aussi en compte la lutte contre les violences faites aux femmes, en contribuant notamment à renforcer la lutte contre le harcèlement sexuel et les discriminations. Cette démarche devra donc être amplifiée à l’avenir.
Parmi les pistes à explorer, on pourrait promouvoir des campagnes de sensibilisation et de communication montrant des femmes en situation de handicap. Il faut que celles-ci cessent d’être invisibles pour sensibiliser l’opinion publique à la réalité des violences qu’elles subissent.
Il est certain que l’effort de formation des professionnels doit se poursuivre de manière plus ambitieuse, afin d’encourager et de crédibiliser la parole des victimes de violences et de leur garantir une prise en charge adaptée. C’est un impératif bien connu de la délégation aux droits des femmes. Il est encore plus prégnant dans le cas des femmes en situation de handicap.
Pour révéler les violences subies, les femmes doivent pouvoir se tourner vers des professionnels formés. Dans le cas des personnes en situation de handicap, une formation insuffisante des professionnels peut déboucher sur de graves écueils. Plus particulièrement, la méconnaissance des symptômes du psychotrauma par de nombreux praticiens conduit des professionnels à passer à côté d’une situation de violence.
Tous les professionnels et bénévoles en contact avec des personnes en situation de handicap, ou susceptibles de l’être, devraient être formés au repérage des violences. Ce point concerne aussi bien les soignants, les bénévoles des centres d’accueil, les écoutants des plateformes téléphoniques que les personnels de l’ASE ou des cellules de recueil des informations préoccupantes. Il vise aussi, bien évidemment, les professionnels de la chaîne judiciaire.
Madame la secrétaire d’État, nous comptons sur le Gouvernement pour que le sixième plan interministériel de lutte contre les violences faites aux femmes, qui devrait commencer en 2020, poursuive et amplifie les quelques efforts déjà observés ces dernières années.
Par ailleurs, il nous a paru regrettable que la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles du neuro-développement ne prévoie pas de mention explicite de la prévention et de la lutte contre ces violences, même si certaines mesures peuvent contribuer à une prévention indirecte des violences sexuelles à l’égard des femmes autistes. Il y a probablement là une piste d’évolution à envisager.
Quant au Grenelle contre les violences conjugales, je ne suis pas convaincu que les actions spécifiques annoncées le 25 novembre dernier à destination des femmes en situation de handicap soient à la hauteur des enjeux. La « formation en ligne certifiante s’adressant aux professionnels des établissements et services médico-sociaux » manque d’ambition. Je ne vois pas comment une formation en ligne pourrait se substituer à un réel apprentissage, compte tenu de la complexité et de la sensibilité de la question.
Permettez-moi aussi d’exprimer quelques doutes sur les « centres ressources prévus dans chaque région pour accompagner les femmes en situation de handicap dans leur vie intime et sexuelle et leur parentalité ».
Notre rapport souligne la nécessité d’une éducation à la sexualité pour toutes les jeunes femmes en situation de handicap, dans une perspective de prévention des violences et d’accompagnement à la maternité. Or ces centres ressources ne sont à la hauteur de cet enjeu ni par leur nombre, trop faible, ni par leurs objectifs, formulés en des termes aussi abstraits que flous.
Il nous a donc semblé que deux évolutions étaient nécessaires pour mieux accueillir les femmes handicapées victimes de violences. D’une part, il s’agit de faire en sorte que les politiques publiques du handicap intègrent la dimension de l’égalité femmes-hommes dès le plus jeune âge. D’autre part, les politiques publiques de lutte contre les violences faites aux femmes doivent systématiquement prendre en compte la dimension du handicap.
Seule cette approche transversale des questions relatives au handicap et des politiques publiques de lutte contre les violences, croisant le genre et le handicap, pourrait permettre aux femmes en situation de handicap d’avoir toute leur place dans les plans de lutte contre les violences.
Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe socialiste votera bien sûr sans réserve ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR, CRCE, RDSE et UC.)