COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de M. Philippe Dallier
vice-président
Secrétaires :
Mme Annie Guillemot,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du mercredi 18 décembre 2019 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue François Autain, qui fut sénateur de la Loire-Atlantique de 1983 à 2011.
3
Avenir des transports express régionaux
Débat organisé à la demande du groupe Les Républicains
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur l’avenir des transports express régionaux.
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je vous rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, l’auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Didier Mandelli, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
M. Didier Mandelli, pour le groupe Les Républicains. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les transports express régionaux (TER) sont un élément essentiel du maillage de nos territoires.
En France, 7 000 trains TER circulent sur 20 000 kilomètres de lignes de chemin de fer, dont 9 000 kilomètres de lignes de desserte fine du territoire, sans oublier les 1 300 autocars qui complètent cette offre de mobilité. Ils transportent chaque jour quelque 900 000 voyageurs.
Grâce aux financements des autorités organisatrices régionales, l’offre TER a progressé de plus de 25 % depuis 1997, et le trafic a crû de plus de 50 %.
Malgré ce rôle essentiel de maillage, notamment dans les territoires ruraux, où l’offre de mobilité est réduite, les TER souffrent aujourd’hui de nombreux maux, qui nous amènent à nous interroger sur leur pérennité. En effet, ils subissent une baisse de fréquentation qui s’explique essentiellement par le manque de régularité du réseau : des trains en retard ou supprimés, ou encore des incidents d’exploitation.
Alors que nous évoquons l’intermodalité dans les transports et la nécessité de faire du transport ferroviaire la colonne vertébrale de cette dernière, une telle tendance ne peut que nous alarmer.
Ce manque de régularité a une cause très claire, soulignée d’ailleurs par le récent rapport de la Cour des comptes : il s’agit de l’état très dégradé du réseau. En janvier 2019, SNCF Réseau indiquait que seuls 29 % de ces lignes régionales étaient jugées en bon état, tandis que plus de la moitié était touchée par des ralentissements, voire par une suspension de service.
Un rapport sur les lignes de desserte fine du préfet François Philizot est d’ailleurs très attendu par l’ensemble des élus et des acteurs de la mobilité.
Dans le cadre de la rédaction du rapport sur la loi du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités (LOM), j’avais pu auditionner le préfet Philizot. Selon lui, 7,4 milliards d’euros seraient nécessaires pour remettre en état l’ensemble de nos petites lignes ferroviaires. C’est une somme colossale, qui nous amène à nous interroger sur le manque de moyens consacré dans le temps à l’entretien de notre réseau ferré.
Si un tel coût venait à se confirmer, le budget de l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) devrait être totalement revu.
Les TER sont aujourd’hui majoritairement couverts par la subvention des régions, à hauteur de 3,1 milliards d’euros, et par les voyageurs, à hauteur de 1 milliard d’euros. La Cour des comptes pointe, là aussi, une hausse continue des coûts d’exploitation depuis 2012.
Ainsi, les coûts complets d’exploitation, en comptant l’impact environnemental et le régime de retraite des cheminots – sujet d’actualité –, s’élevaient à 8,5 milliards d’euros en 2017, dont le financement était assuré à 88 % par des subventions publiques.
L’État avait d’ailleurs indiqué son souhait de se désengager des petites lignes en demandant à SNCF Réseau, dans son contrat de performance, de ne plus investir sur ce segment et en réduisant son intervention dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER).
Logiquement, les régions sont désormais seules en première ligne pour maintenir cette offre de mobilité dans les territoires, et ce dans le cadre de budgets de plus en plus restreints.
Néanmoins, des réformes majeures engagées ces dernières années devraient aider les régions à améliorer cette offre de mobilité et permettre au TER de regagner en attractivité.
La loi du 27 juin 2018 pour un nouveau pacte ferroviaire prévoit l’ouverture à la concurrence des services non conventionnés à partir du 1er janvier 2019, en vue d’une exploitation à partir de décembre 2020.
Depuis le 3 décembre 2019, et jusqu’au 23 décembre 2023, l’État et les régions pourront ainsi attribuer des contrats de service public de transport ferroviaire de personnes, après publicité et mise en concurrence. Trois régions ont d’ores et déjà marqué leur volonté de mettre en concurrence certaines lignes, en entamant les procédures pour ce faire : les régions Grand Est, Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Le Sénat a joué un rôle clé dans la préparation de cette réforme, avec l’adoption en mars 2018 de la proposition de loi d’Hervé Maurey et de Louis Nègre relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs.
Grâce à cette proposition de loi, nous avons pu coconstruire, en bonne intelligence avec le Gouvernement, le projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.
Enfin, lors de l’examen de la loi d’orientation des mobilités, le Sénat a réaffirmé son engagement pour les lignes à desserte fine, qui représentent une offre de mobilité indispensable.
La LOM répond d’ailleurs à une des préconisations de la Cour des comptes et clarifie les rôles entre l’État, les régions et le gestionnaire d’infrastructure.
Ainsi, concernant les lignes de desserte fine, la LOM prévoit la possibilité de transférer leur gestion aux régions qui en feraient la demande. Cette disposition est issue d’un amendement, qu’avait accepté le Gouvernement. Les régions seraient ensuite en capacité, dans le cadre de cette ouverture à la concurrence, de faire appel à l’exploitant ou à un tiers pour la gestion de l’infrastructure.
Cette liberté accordée aux régions a pour objectif de pérenniser ces lignes ferroviaires, tout en maitrisant les coûts d’exploitation.
Bien entendu, ce transfert de compétence ne règle pas le problème du manque d’investissement de l’État, afin d’accompagner les régions dans cette offre de mobilité.
De même, l’ouverture à la concurrence ne pourra pas apporter une solution miracle à tous ces problèmes, notamment le coût de régénération du réseau ferré. Ainsi, nombre de ces lignes de desserte fine sont aujourd’hui menacées, et il appartiendra aux régions d’évaluer la pertinence de conserver chacune d’entre elles, selon les spécificités de chaque territoire.
Le Sénat, compte tenu de son rôle auprès des collectivités territoriales, continuera de veiller à l’avenir de ces petites lignes, qui permettent à nos territoires ruraux de sortir des zones blanches de la mobilité et à nos concitoyens de bénéficier d’une offre de mobilité alternative à la voiture, partout en France, de Chavagnes-en-Paillers, en Vendée, dont je salue les représentants présents en tribune, à Cherbourg, en passant par l’ensemble des régions et des départements chers à chacun d’entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avec cette nouvelle année, pour laquelle je vous présente mes meilleurs vœux, entrent en vigueur plusieurs dispositions majeures issues du nouveau pacte ferroviaire voté en 2018, dans le plus strict respect des engagements pris par le Gouvernement.
Ainsi, la SNCF est depuis le 1er janvier un groupe public unifié, constitué de sociétés nationales à capitaux publics. En recréant un groupe plus intégré, il s’agit d’améliorer l’efficacité opérationnelle de la SNCF, pour en faire une entreprise apte à affronter les enjeux de demain.
La loi de finances pour 2020, qui vient d’être adoptée, organise la reprise de 25 milliards d’euros de dettes de SNCF Réseau. C’est un effort sans précédent pour notre système ferroviaire, qui doit permettre à ce dernier de retrouver une trajectoire soutenable : dès cette année, plus de 400 millions d’euros de frais financiers seront économisés et réinjectés dans la rénovation du réseau ; ce point me paraît essentiel à souligner.
La fin du recrutement au statut de cheminot est par ailleurs effective depuis le 1er janvier dernier.
Enfin, et cela fait directement le lien avec notre débat d’aujourd’hui, l’État et les régions sont depuis le 3 décembre libres de mettre en concurrence l’exploitation des services qu’ils organisent, respectivement les trains d’équilibre du territoire (TET) et les TER.
Le train express régional transporte chaque jour près de 1,3 million de voyageurs dans environ 7 900 trains et 1 300 autocars. Il s’agit donc d’un maillon essentiel des transports du quotidien pour nos concitoyens, sur l’ensemble du territoire national, comme cela a été rappelé par M. Mandelli.
Je tiens à rappeler que les TER sont et resteront des services conventionnés, c’est-à-dire déficitaires et subventionnés par de l’argent public. C’est vrai pour absolument toutes les lignes, avec un taux de subvention du contribuable de 75 % en moyenne à l’échelle nationale, les recettes des billets couvrant les 25 % restants, soit moins que dans la plupart des pays européens. En 2019, les régions ont versé environ 3 milliards d’euros de subventions d’exploitation à la SNCF.
Avec l’ouverture à la concurrence, ce principe ne changera pas : il ne s’agit nullement d’une privatisation, comme on a pu l’entendre dire à tort ici et là. Les régions resteront aux commandes de ces services publics, dont elles continueront de définir l’ensemble des aspects : dessertes, horaires, confort, tarifs, services à bord et en gare.
Ainsi, il ne revient pas à l’État de se substituer aux régions, à qui appartient le suivi de la performance des services qu’elles organisent, en vertu du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales, auquel je sais votre assemblée spécialement attachée.
Par ailleurs, l’amélioration de la productivité constitue un enjeu fondamental pour la compétitivité du transport ferroviaire par rapport aux autres modes de transport et une préoccupation majeure d’acteurs tels que la Cour des comptes, préoccupation sur laquelle je reviendrai plus tard.
Cet objectif relève avant tout du management de SNCF Voyages, entreprise publique. En particulier, la négociation des conditions de travail participe des prérogatives des partenaires sociaux, et il ne revient pas à l’État de remettre en cause ce que ceux-ci négocient, dans le respect du cadre posé par le pacte ferroviaire.
Le rôle de l’État est de créer les conditions optimales pour favoriser l’attractivité du mode ferroviaire. C’est bien ce qui guide l’action du Gouvernement depuis 2017.
Ainsi, l’ouverture du secteur ferroviaire à la concurrence permettra d’offrir aux voyageurs de nouveaux services, au meilleur coût. L’État travaille à préparer le système ferroviaire à cette ouverture en fixant les règles pour que celle-ci puisse s’exprimer dans des conditions équitables entre tous les opérateurs. De nombreux textes d’application ont ainsi été publiés au cours des dix-huit derniers mois, après concertation avec l’ensemble des acteurs.
En ce qui concerne l’organisation de la SNCF, le choix de faire de SNCF Voyages une société à part entière lui offrira la flexibilité nécessaire pour adapter son organisation en fonction de ses besoins. En particulier, l’entreprise aura désormais le choix d’exploiter ses services nationaux directement ou à travers des filiales.
Sur le plan social, l’État a engagé la création d’un nouveau cadre harmonisé pour les salariés du transport ferroviaire. Au-delà de la fin des embauches au statut, cela se traduit par les négociations en cours entre les partenaires sociaux sur la convention collective de branche, que le Gouvernement veut de haut niveau.
Enfin, en ce qui concerne les infrastructures, comme je l’ai souligné en introduction, l’État a consenti un effort sans précédent avec la reprise de 35 milliards d’euros de dette de SNCF Réseau, dont 25 milliards d’euros au 1er janvier 2020. À terme, cela permettra à SNCF Réseau d’économiser de l’ordre de 1 milliard d’euros par an de frais financiers, donc d’intensifier ses investissements en faveur de la remise en état de ses infrastructures ferroviaires sans dégrader sa situation financière.
Je vous rappelle que 3,6 milliards d’euros par an sur dix ans, auxquels s’ajouteront 200 millions d’euros par an à partir de 2022, seront ainsi consacrés aux investissements de régénération du réseau ferré national, qui représentent aujourd’hui 90 % des circulations et 80 % des circulations de TER. Cela correspond à une hausse de 50 % par rapport à la précédente décennie.
S’agissant des petites lignes ferroviaires, dont les investissements de régénération sont pris en charge par l’État et les collectivités dans le cadre des contrats de plan État-région, il convient de rappeler que leur coût complet, en incluant les dépenses d’entretien et d’exploitation, reste financé aujourd’hui par l’État et par SNCF Réseau à plus de 70 %, en tenant compte de l’effort accru des régions ces dernières années pour cofinancer les investissements nécessaires à leur remise en état.
Nous sommes tous conscients ici de la nécessité de faire face à un pic d’investissements historique pour la décennie à venir sur ces lignes, dont les rails et les plateformes sont arrivés au terme de leur durée de vie.
Cela représente plusieurs centaines de millions d’euros par an au cours des prochaines années, pour lesquels je tiens à vous confirmer, d’une part, que le Gouvernement respectera les engagements pris par l’État dans le cadre des CPER actuels, prolongés jusqu’à la fin de 2022, et, d’autre part, que les travaux du préfet Philizot, menés en partenariat avec les régions, ont permis de recenser l’ensemble des besoins et de bâtir des plans d’action régionaux, qui seront signés dans les prochaines semaines, avec des solutions innovantes et adaptées à chaque ligne, en termes techniques et de gouvernance.
Ces solutions pourront notamment s’appuyer sur les possibilités introduites par l’article 172 de la LOM, qui ouvre par exemple la voie à des transferts de gestion de certaines petites lignes au profit des régions qui en feraient la demande.
En parallèle, je souhaite que l’État impulse la création d’une véritable filière de « trains légers », pour redonner au TER la place qu’il mérite, y compris sur des dessertes fines des territoires. En jouant simultanément sur le dimensionnement des infrastructures, de la signalisation et des matériels roulants, je suis convaincu que des économies de l’ordre de 30 % à 40 % sont réalisables, en investissement comme en exploitation.
Ces nouvelles possibilités permettront de mieux faire face aux besoins de chaque territoire, en fonction du contexte et des besoins identifiés par les acteurs locaux en matière de transport public. En cela, le Gouvernement répond pleinement à la première recommandation du rapport que la Cour des comptes a rendu public à l’automne 2019 sur la gestion des TER entre 2012 et 2017.
Pour terminer, je souhaite revenir quelques instants sur ce rapport, qui a pu faire l’objet d’interprétations caricaturales, à commencer par le niveau d’engagement de l’État en faveur du ferroviaire.
Des neuf recommandations de la Cour, seules deux impliquent directement l’État : la première, que j’évoquais à l’instant, et la septième, relative à la disponibilité des données afin de réussir l’ouverture à la concurrence.
Cette seconde recommandation a été également satisfaite, à travers le décret Données, publié cet été pour permettre à l’État, pour les TET, et aux régions volontaires de préparer les premiers appels d’offres : il s’agit des régions Grand Est, Provence-Alpes-Côte d’Azur et Hauts-de-France.
Toutes les autres recommandations de la Cour s’adressent aux régions et à la SNCF. Elles concernent notamment la qualité du service, les analyses socioéconomiques, les coûts d’exploitation, le niveau de présence des agents en gare et à bord, les plans de transport, la tarification, l’expertise des régions ou encore l’organisation interne de l’activité TER à la SNCF.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Sans remettre en cause la pertinence économique des analyses de la Cour, je tiens à replacer ces aspects dans le contexte plus global des transports sur les six années considérées, au cours desquelles l’offre et la fréquentation ont augmenté de 50 %.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de l’occasion que vous nous offrez de débattre aujourd’hui de ce sujet important, qui nous préoccupe tous, ici et dans les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – Mme Michèle Vullien applaudit également.)
Débat interactif
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d’une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l’auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n’ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous présente mes meilleurs vœux, que j’adresse également au système ferroviaire !
Monsieur le secrétaire d’État, vous venez de nous dire que les engagements que vous avez pris dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire contenu dans la loi d’orientation des mobilités avaient été tenus. Or, mauvais concours de circonstances, nous vivons, aujourd’hui encore, l’une des grèves les plus dures du système ferroviaire.
Nous nous rappelons tous des déclarations du Premier ministre, alors que celui-ci recevait le fameux rapport Spinetta, selon lesquelles tout irait mieux avec le nouveau pacte ferroviaire ; or ce n’est pas ce que l’on constate…
Permettez-moi d’ajouter, monsieur le secrétaire d’État, que ce premier budget de la nouvelle SNCF interroge et suscite l’inquiétude sur la situation financière de l’entreprise. SNCF Réseau n’est pas dans la trajectoire prévue.
Bien sûr, et je l’avais souligné, la dette a été reprise. Félicitations ! Mais, si je m’en tiens à l’avis qu’elle a rendu le 19 décembre, l’Autorité de régulation des transports s’inquiète fortement du non-respect de la trajectoire financière par le contrat de performance SNCF Réseau 2017-2026 et de l’insuffisance des investissements de renouvellement du réseau, même si les investissements nouveaux s’inscrivent plutôt dans une bonne trajectoire.
Monsieur le secrétaire d’État, vous nous dites tenir vos promesses. Or de nombreuses promesses avaient été tenues devant le Parlement au sujet des petites lignes – un débat totémique s’il en est dans notre République. Habilement, la ministre Élisabeth Borne a su jouer des Assises nationales de la mobilité, puis du rapport Spinetta, avant de nous promettre un rapport génial, le rapport Philizot, que l’on attend toujours, pour éviter d’engager un débat dans le cadre du nouveau pacte ferroviaire et de la loi d’orientation des mobilités. Nous n’avons toujours pas eu ce débat démocratique nécessaire.
Aussi, monsieur le secrétaire d’État, quand disposerons-nous du rapport Philizot ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je soulignerai deux points.
Tout d’abord, les faits sont têtus. S’agissant du budget et des promesses qui ont été faites, l’État est au rendez-vous : comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, environ 3,6 milliards d’euros sont prévus, à savoir 3 milliards d’euros pour la régénération des lignes et 600 millions d’euros pour les gares.
Ensuite, s’agissant des travaux de la mission Philizot, j’ai eu l’occasion de rencontrer à la fin du mois de décembre dernier des représentants de l’Association des régions de France. Nous leur avons présenté les éléments de cette mission et nous leur avons fait part des discussions que nous avions eues avec les différentes régions concernées, dans la perspective des accords qui seront signés entre celles-ci, l’État et SNCF Réseau, accords que nous envisageons de signer en tout état de cause avant le 15 février, pour un volume financier considérable.
L’objectif est de solidifier les lignes structurantes, d’être au rendez-vous des lignes qui sont aujourd’hui incluses dans les CPER et de faire plein usage, notamment, de l’article 172 de la LOM, pour trouver des solutions innovantes, souvent d’ailleurs, si ce n’est toujours, à la demande des régions, de manière à préserver le maximum de petites lignes de desserte fine du territoire.
Vous le savez, un certain nombre de ces lignes ont déjà été supprimées, et je suis donc toujours quelque peu étonné d’entendre parler de moratoire.
Financièrement, l’État est bien présent au rendez-vous. Je le répète, globalement, ce sont 6 milliards d’euros qui seront consacrés au système ferroviaire, en augmentation de 400 millions d’euros cette année par rapport à 2019, notamment à la suite de la reprise de la dette de SNCF Réseau, dont les frais financiers diminueront.
En lien avec les régions, l’État est au rendez-vous, de manière à conclure très rapidement avec elles des accords bilatéraux et à régénérer un certain nombre de petites lignes vitales pour nos territoires.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Mes chers collègues, nous venons d’entendre un aveu remarquable !
J’ai posé une question claire, et il m’a été répondu que nous n’aurions pas le rapport Philizot, puisque, déjà, des discussions importantes ont lieu directement entre les régions et le ministère des transports. Il n’y aura donc pas de rapport Philizot, lequel nous avait été promis à plusieurs reprises. D’ailleurs, Mme la ministre Élisabeth Borne, que j’avais interrogée à ce sujet lors de l’examen de la loi de finances, avait déjà fait une réponse similaire.
Je demande la tenue d’un débat démocratique sur cette question importante !
M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en Auvergne, les lignes d’irrigation du territoire représentent 60 % du réseau ferroviaire. C’est dire l’importance qu’elles revêtent pour assurer la desserte de territoires fortement enclavés. Or leur coût fait peser le risque d’une fermeture totale ou partielle de certaines d’entre elles.
Si une étude approfondie et impartiale de la fréquentation de chaque ligne doit, de toute évidence, être menée, ce seul critère, bien sûr très pénalisant en zone rurale, ne saurait être retenu, d’autant plus que cette appréciation peut se révéler subjective.
En effet, le rapport de la Cour des comptes, publié en octobre 2019, portant sur l’avenir des TER souligne une diminution de leur fréquentation sur la période 2012-2018 à l’échelon national : nous pourrions y voir surtout une stagnation après une forte hausse sur la période précédente, due aux efforts des régions ; cela correspond également à une stabilisation de l’offre de transport, qui avait également évolué.
En ce qui concerne les explications apportées, à savoir la dégradation continue de la qualité du service pour partie liée à un mauvais état du réseau, nous les partageons. En Auvergne, le réseau est électrifié à hauteur de 18 % seulement. Ce sont là, pour nous, les véritables causes de la baisse de fréquentation de ces petites lignes.
Aussi, plutôt que d’aborder la question à travers le seul prisme de l’analyse économique, nous espérons que l’utilité sociale et environnementale sera prise en compte pour juger de la pertinence de ces lignes.
Dans le cadre du plan de sauvegarde des lignes d’irrigation du territoire de la région Auvergne-Rhône-Alpes, adopté en 2016, la contribution de 50 millions d’euros prévue pour l’État est insuffisante. Malgré les efforts de la région, qui apporte trois fois plus, sa réalisation est donc incertaine.
Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous rassurer nos concitoyens, en confirmant que l’État soutiendra les petites lignes pour mettre fin au contre-report modal et répondre à leurs besoins en mobilité ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je soulignerai deux points.
En matière d’utilité socioéconomique, l’ensemble des textes qui ont été votés récemment n’a pas pour objet une approche purement financière, singulièrement pour les petites lignes.
Je l’ai rappelé dans mon propos liminaire, ces lignes de service public dans les territoires sont conventionnées et sont toutes structurellement déficitaires. Elles sont subventionnées par la collectivité publique à hauteur de 75 %, l’usager payant en moyenne 25 %, voire bien moins dans un certain nombre de territoires, notamment ceux du grand Massif central, que vous connaissez bien. Notre logique n’est donc évidemment pas financière.
La philosophie qui a inspiré les travaux du préfet Philizot est de définir, en lien avec les régions, les solutions adaptées à chacune des petites lignes, soit parce que celles-ci présentent un caractère structurant d’aménagement pour le territoire, soit pour mener des expérimentations en vue de trouver des moyens de régénération plus économes, soit pour assurer la pérennité des lignes inscrites aux contrats de plan État-région par des travaux d’aménagement.
En conclusion, la philosophie qui nous guide au travers de ce plan d’action concertée avec les régions, c’est bien l’utilité socioéconomique et environnementale de ces lignes, et non pas une approche budgétaire ou financière, même si, effectivement, l’ensemble des opérations est cadré, conformément aux textes que vous avez votés, parce qu’il s’agit d’argent public.