Mme la présidente. La parole est à M. Claude Malhuret, pour explication de vote.
M. Claude Malhuret. Personne ne sera surpris, je n’ai pas changé d’avis depuis le début de l’après-midi ! Le contraire serait surprenant, puisque rien n’a changé sur le fond… En en supprimant le cœur, c’est-à-dire le délit de non-retrait dans les vingt-quatre heures qui était prévu à l’article 1er, notre assemblée va retirer, à l’issue de ses travaux, ce qui fait la substance même de ce texte.
Nous nous retrouverons donc pratiquement dans la situation d’aujourd’hui – c’est la loi pour la confiance dans l’économie numérique qui continuera à peu près à s’appliquer –, avec de très minimes modifications qui ne sont pas des reculs, mais qui sont vraiment minimes.
Par conséquent, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous n’aurons pas fait de progrès dans la lutte contre les contenus haineux sur internet. Bien entendu, je le regrette !
Il n’y a donc pas de raison, à notre avis, de voter le texte tel qu’il ressort des travaux du Sénat. Néanmoins, il ne constitue pas non plus, à proprement parler, un recul par rapport à la situation actuelle. Nous exprimerons donc notre indifférence plutôt que de l’hostilité et nous nous abstiendrons.
Le débat va continuer à l’Assemblée nationale. Il aura également lieu à l’échelon européen, sans doute modestement, en tout cas tardivement – nous en avons parlé en début de séance. Je souhaite que le Parlement français et le Gouvernement fassent tout ce qu’il faut pour qu’une nouvelle directive vienne remplacer le plus rapidement possible celle de 2000 qui est très largement datée et insuffisante. Il faut que nous arrivions rapidement au résultat que nous souhaitons vraiment.
Ite missa est, disait M. Ouzoulias. Je me permettrai de lui répondre : Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? Combien de temps les Gafam vont-elles continuer de se livrer à des pratiques qui constituent progressivement une menace tant pour internet lui-même que pour nos valeurs démocratiques ? Nous voyons bien ce phénomène se produire. Quel changement par rapport à la naissance d’internet dans les années 1990, période où ces entreprises se présentaient comme un formidable atout pour les démocraties !
Bien entendu, ces menaces vont exactement dans le sens contraire de la devise de Google – Don’t be evil –, une devise par prétérition ou plutôt, finalement, par antiphrase, puisque la réalité que nous observons est son contraire…
Je pense que notre responsabilité, aujourd’hui comme demain, est de faire en sorte que cette devise se traduise concrètement de façon positive, et non négative comme c’est de plus en plus le cas aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Le dernier mot est donc à la défense !
Ce texte était parvenu, initialement, à un équilibre et je regrette moi aussi que le délit de non-retrait des contenus haineux ait été supprimé par la commission des lois.
Je n’ai pas voulu entrer dans la polémique que David Assouline a voulu instaurer par rapport à la loi de 1881. Ce n’est pas parce que la garde des sceaux n’a pas strictement répondu de la façon dont l’aurait souhaité notre collègue que ce texte a effectivement quelque chose à voir avec cette loi. Celle-ci, rappelons-le, prévoit un cadre légal très particulier à toute publication ou à tout affichage ou colportage avec des infractions limitativement énumérées, un régime de prescription particulier, avec de brefs délais, ainsi qu’un régime de responsabilité en cascade. Il est évident que ce texte ne pouvait pas concerner la loi sur la liberté de la presse de 1881.
M. David Assouline. Vous n’êtes pas ministre !
M. Thani Mohamed Soilihi. Mais je suis parlementaire et je vous réponds, mon cher collègue !
Finalement, malgré la suppression de la disposition essentielle qui était contenue dans l’article 1er, le texte qui ressort des travaux du Sénat contient tout de même des avancées – cela a été dit. C’est la raison pour laquelle, comme je l’annonçais lors de mon intervention en discussion générale, notre groupe va s’abstenir.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État. Je ne vais pas prolonger par trop cette soirée déjà tardive… Je remercie les sénateurs, au-delà de nos divergences, pour l’esprit constructif dans lequel a eu lieu la discussion sur cette proposition de loi.
De toute évidence, nous avons une divergence de vues et d’appréciation sur l’article 1er. Je le dis très clairement, nous n’estimons pas que la rédaction qui vous était proposée et qui a été corrigée par la commission des lois présente les risques qui ont été évoqués. Nous pensons que la référence aux vingt-quatre heures reste utile et nécessaire – je le redis, nous avons une divergence d’appréciation sur ce point. Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut pas être favorable à la rédaction du texte tel qu’il ressort des travaux de la Haute Assemblée.
Je crois pourtant que nous visons tous le même objectif. C’est pourquoi il me semble que députés, sénateurs et Gouvernement doivent continuer de travailler ensemble pour essayer de rapprocher leurs points de vue dans l’optique de la réunion de la commission mixte paritaire. Ce serait une bonne chose.
J’ai entendu beaucoup de reproches sur la rapidité d’élaboration et d’adoption de ce texte. Or je crois que nous avons l’obligation d’agir, et d’agir vite. Il est quand même difficile pour un responsable politique de dire pendant des mois qu’il réfléchit, qu’il discute, mais que c’est long… Évidemment, la Haute Assemblée et l’Assemblée nationale sont en droit de dire qu’elles doivent pouvoir faire leur travail correctement. C’est évidemment un point de tension ; je pense que vous le sentez également en tant qu’élus.
Nous sommes vraiment face à un problème de santé publique, une urgence. Quasiment tout le monde connaît ou a eu vent de la situation d’un enfant, d’un adolescent ou d’une adolescente victime de cyberharcèlement. C’est cette urgence qui explique notre volonté d’aller vite.
Je ne partage pas les commentaires sur la fragilité du dispositif. Effectivement, comme je l’ai dit, nous devons encore travailler pour essayer de trouver un consensus sur l’article 1er. Cependant, j’ai conscience de la nécessité d’être humble. Personne, aucun pays dans le monde, n’a réglé le problème. Nous proposons de poser une première brique et nous estimons qu’elle va permettre de régler un certain nombre de questions. Il est probable que nous y reviendrons à l’avenir pour compléter et améliorer les choses, mais il est important de montrer notre ambition – c’est une demande très forte de nos concitoyens.
Sur les sujets plus structurels abordés à la fois par le sénateur Ouzoulias et la présidente Morin-Desailly, je le répète, la France porte, dans le cadre de la discussion sur l’agenda de la prochaine Commission européenne, la volonté d’une régulation nettement plus forte des plateformes structurantes, parmi lesquelles les grands réseaux sociaux – j’aurai l’occasion d’en discuter très prochainement avec Thierry Breton et Margrethe Vestager.
Il est évident que, pour des raisons tant économiques que démocratiques, la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement n’est pas satisfaisante. C’est naturellement un sujet qui relève d’abord du niveau européen, mais il nous faudra impliquer les parlementaires des deux assemblées dans les discussions. Pour des raisons évidentes, qui ont été rappelées par l’ensemble des groupes politiques de cette assemblée, il faut essayer d’avancer à ce niveau pour créer un cadre robuste de régulation qui soit à la hauteur des enjeux démocratiques et économiques.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
9
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 18 décembre 2019 :
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente :
Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
- Projet de loi autorisant l’approbation de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger et de la convention d’extradition entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Niger (texte de la commission n° 192, 2019-2020) ;
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de l’accord de partenariat global et renforcé entre l’Union européenne et la Communauté européenne de l’énergie atomique et leurs États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part (texte de la commission n° 189, 2019-2020) ;
Nouvelle lecture du projet de loi de finances pour 2020 ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à agir contre les violences au sein de la famille (texte n° 157, 2019-2020) ;
Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique (texte n° 204, 2019-2020).
À vingt et une heures trente :
Débat à la suite de la réunion du Conseil européen des 12 et 13 décembre 2019.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
ÉTIENNE BOULENGER
Chef de publication