M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chaque année, l’examen du projet de loi de finances est un grand moment de « vérité des prix » : vérité sur les dépenses que l’État engage par rapport aux ressources dont il se dote, vérité sur ce qui est réellement investi au regard des engagements politiques pris devant les électeurs et la représentation nationale.
En réalité, nous savons, à l’aune de l’expérience des deux précédents quinquennats, que les projets de loi de finances ont été largement détournés de cette fonction de grand moment de vérité des politiques publiques, tant nos prédécesseurs ont usé et abusé de projets de loi de finances rectificative monstrueux, véritables « lois de finances bis » qui n’osaient dire leur nom ; abusé, aussi, de niveaux surréels de mises en réserve, associés à un usage systématisé des décrets d’avance en cours d’exercice. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Au fil du temps, le vrai moment de vérité des prix des politiques publiques est devenu la loi de règlement, et non le projet de loi de finances de l’année, certes âprement discuté par le Parlement, mais sournoisement révisé et reformaté en cours de route par les gouvernements qui nous ont précédés. (Mme Sylvie Robert s’exclame.)
Mes chers collègues, vous vous demanderez pourquoi je m’autorise cette longue tirade sur les faux-semblants et le décalage entre le déclaré et le réalisé à l’occasion de l’examen des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». La raison en est simple : cette mission est l’une de celles qui, jusqu’en 2017, ont été le plus systématiquement rognées en cours d’exercice par des avalanches de décrets d’avance et de gels de crédits. Entre les grands discours ambitieux tenus pendant plus d’une décennie et la mise en œuvre effective des moyens, rarement le décalage n’aura été si grand.
Le caractère erratique, souvent aussi très malthusien, de la dépense publique dans des domaines d’investissement stratégiques comme l’enseignement supérieur et la recherche aura eu, sur la durée, plus encore qu’ailleurs, des effets dramatiques sur le dynamisme et l’avenir de notre économie. Dans le domaine de la recherche, en particulier, la sous-budgétisation et l’absence de prévisibilité à moyen et long terme des engagements de l’État ont souvent conduit à déstabiliser un secteur hautement concurrencé et largement contribué à alimenter la crise de confiance de la communauté scientifique à l’égard de l’État.
Car il ne suffit pas de se doter de moyens budgétaires substantiels chaque année. Encore faut-il définir une véritable trajectoire pluriannuelle dans ce domaine et s’y tenir, en dépit des aléas qui peuvent frapper la ressource publique. Telles sont la philosophie et la praxis, tant politiques que budgétaires, de ce gouvernement. Elles sont parfaitement illustrées par la mission dont nous débattons ce soir.
En effet, le projet de loi de finances pour 2020 conforte le budget du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont les crédits connaissent une nouvelle augmentation, qui poursuit la trajectoire initiée par le budget pour 2018.
Au total, les crédits de la mission s’élèvent à 28,6 milliards d’euros, en progression de 6 % depuis 2017. Il est bon de rappeler que le budget du ministère était resté tristement stable de 2012 à 2016, malgré de beaux discours d’intention, des discours jamais mis en œuvre…
Bien sûr, tout cela peut être jugé encore insuffisant, notamment au regard de l’état de délabrement de l’université et de la recherche universitaire dont nous héritons. Mais les moyens insufflés sont tout sauf de la monnaie de singe, car nous nous faisons un honneur, depuis deux ans, de ne pas recourir aux sempiternels décrets d’avance ou aux massifs gels de crédits.
Au reste, nos ambitions ne s’arrêtent évidemment pas là. Le budget pour 2020 doit faire la jointure avec le futur projet de loi de programmation de la recherche, que nous examinerons au printemps prochain. Récemment rappelé par le Premier ministre à l’occasion de la commémoration des quatre-vingts ans du CNRS, l’objectif de ce texte est clair : porter l’effort national en faveur de la recherche à 3 % du PIB à l’horizon de 2027.
L’autre objectif de la loi de programmation sera de jouer un rôle moteur dans la recherche européenne, en pleine intelligence avec l’Union européenne, qui s’apprête à décider d’un effort exceptionnel dans ce domaine à travers son programme Horizon Europe, le plus important programme de recherche publique au monde, doté d’environ 100 milliards d’euros pour la période 2021-2027.
Cet investissement massif et cette synergie entre budget national et budget européen sont absolument nécessaires si nous ne voulons pas que notre pays et notre continent soient définitivement dépassés dans la rude compétition qui nous oppose aux États-Unis, à la Chine et aux autres puissances émergentes.
Si nous voulons tirer pleinement profit des opportunités de financement que nous offre l’Union européenne, ce qui n’est malheureusement pas le cas aujourd’hui encore, nous devons mieux jouer la complémentarité et la subsidiarité entre les moyens mobilisés au niveau national et à l’échelle européenne.
En particulier, régler notre future loi de programmation sur le même cadre temporel que le programme Horizon Europe, soit la période 2021-2027, est indispensable. Il en va de même pour nos objectifs dans les grands secteurs de la recherche ; c’est bien ce à quoi s’attelle aujourd’hui le ministère.
Pour cela, il ne suffit pas que nos chercheurs et nos centres de recherche scientifique soient crédibles au niveau européen – ils le sont, assurément. Il faut aussi que, comme État, nous soyons budgétairement crédibles et fiables vis-à-vis de l’Union européenne et de nos partenaires – ce qui, en revanche, n’a pas été le cas jusqu’à présent.
En matière de politique spatiale, par exemple, nos prédécesseurs nous ont légué une dette auprès de l’Agence spatiale européenne de plus de 700 millions d’euros ! Simplement, ils ont pendant plusieurs années omis de s’acquitter de la contribution de la France… Avec l’augmentation de 213 millions d’euros des crédits du programme 193, notre pays aura presque achevé d’apurer la dette contractée. Ainsi, comme dans bien des domaines, le Gouvernement, loin de la démagogie et des faux-semblants de ses prédécesseurs, s’honore de respecter les engagements pris par d’autres, qui ne les avaient pas tenus.
Lors de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne, qui s’est achevée hier à Séville, le respect par la France de ses engagements a été salué, et, dans la foulée, les vingt-deux États membres de l’Agence ont confirmé leur soutien à une politique spatiale européenne aux ambitions fortement réévaluées.
Pour toutes ces raisons, le groupe La République En Marche votera les crédits de la mission.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias.
M. Pierre Ouzoulias. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à cette même tribune, l’an passé, j’avais appelé votre vigilance sur les prodromes flagrants d’un décrochage de l’enseignement supérieur et de la science français.
Les groupes de travail chargés de la réflexion préparatoire à l’élaboration de la future loi de programmation pluriannuelle de la recherche viennent de confirmer ces inquiétudes et dressent un bilan partagé de cet état préoccupant. Notre collègue député Cédric Villani, président de l’Opecst (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques), résume ce diagnostic pessimiste en deux formules : « la France n’investit pas assez dans sa recherche » ; elle a « perdu du terrain ».
De fait, depuis bientôt dix ans, les dépenses de recherche croissent moins vite que le produit intérieur brut. Elles représentaient encore 2,28 % du PIB en 2014 ; aujourd’hui, elles n’en représentent plus que 2,19 %.
L’effort budgétaire de l’État dans ce domaine est médiocre et bien inférieur à celui de nos voisins européens. Quant aux sommes investies par les entreprises privées pour la recherche, elles représentent 1,4 % du PIB en France, contre 2 % en Allemagne. Ce différentiel ne cesse de se creuser, car, en 2017, ces investissements n’ont augmenté en France que de 1,7 %, contre 7,8 % en Allemagne et 8,7 % en Suède.
Or la faiblesse chronique des investissements a des conséquences funestes pour l’emploi scientifique et l’attrait des étudiants pour les carrières scientifiques. La France est ainsi l’un des rares pays d’Europe dont le nombre de doctorants est en baisse constante.
Cette régression doit être rapportée à la chute drastique des recrutements par les opérateurs publics : pour le seul CNRS, les postes ouverts pour les chercheurs, au nombre de 412 en 2010, ne seront plus que de 240 en 2020, soit une baisse de plus de 40 % en dix ans.
Dans ces conditions, c’est la validité scientifique même des concours qui est fragilisée. En effet, par découragement, de nombreux jeunes chercheurs quittent notre pays. Cette fuite des cerveaux est un symptôme de plus du déclin de la science française.
Je pourrais malheureusement poursuivre longtemps la description de ces affaiblissements successifs.
Madame la ministre, votre projet de budget n’ambitionne pas d’y mettre fin. Au contraire, il s’inscrit dans un cadre qui a imposé à l’enseignement supérieur et à la recherche une progression budgétaire inférieure à la moyenne des crédits de l’État.
Au-delà des effets d’annonce et de la promotion de mesures nouvelles, plusieurs déficits structurels vont nécessairement continuer, en 2020, d’affaiblir la situation économique des opérateurs de la mission.
Ainsi, l’absence de compensation du glissement vieillesse-technicité oblige les opérateurs à réduire leur masse salariale. Pour les universités, cette perte conduit au gel de plus de 1 200 emplois. Je regrette vivement, avec nos rapporteurs, que le Gouvernement demande au Parlement de se prononcer sur des objectifs qu’il sait inaccessibles.
De la même façon, dans un contexte de hausse de la démographie estudiantine, la quasi-stabilité des moyens alloués aux universités aboutit à une baisse du budget moyen par étudiant. Ce ratio est en diminution de près de 1 point tous les ans depuis 2010. Pour 2018, il a été estimé à 11 470 euros per capita, son plus bas niveau depuis 2008.
Cette décimation de l’emploi scientifique a touché plus durement encore les opérateurs de recherche. Ainsi, le CNRS a perdu, en dix ans, 3 000 emplois, soit près de 11 % de ses effectifs.
Sans doute la non-compensation du GVT est-elle considérée comme une saignée indolore, puisque le Gouvernement veut aller plus vite : il a décidé d’augmenter le niveau de la réserve de précaution de 3 % à 4 %. Le précédent de la loi de finances rectificative, adoptée cette semaine, révèle que, pour l’enseignement supérieur et la recherche, les crédits gelés en début de gestion budgétaire sont intégralement annulés à la fin de l’année. Mes chers collègues, nous débattons donc d’un budget qui sera encore plus diminué l’année prochaine par ces annulations.
À tout cela, il faut ajouter le refus du Gouvernement d’anticiper les conclusions de la récente et inédite décision du Conseil constitutionnel. Grâce à votre décret sur les droits d’inscription différenciés, madame la ministre, les Sages ont considéré que l’enseignement supérieur était constitutif du service public de l’éducation nationale et que le principe de gratuité s’y appliquait.
Le Conseil constitutionnel admet toutefois qu’il est loisible aux établissements de percevoir des droits d’inscription, à la condition expresse qu’ils restent modiques par rapport aux capacités contributives des étudiants. Il n’est point besoin d’attendre l’interprétation que donnera le Conseil d’État de cette décision pour supposer que celle-ci ouvre des voies de recours à tous les étudiants qui considèrent leurs frais d’inscription comme disproportionnés. Ces possibles contentieux risquent de priver de nombreux établissements de ressources importantes.
En théorie, votre projet de budget paraît quasi stable ; en pratique, il risque de s’avérer encore plus déficient que l’an passé. À tout le moins, il n’est pas la manifestation budgétaire d’une priorité politique en faveur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Au reste, vous en avez parfaitement conscience, puisqu’il nous est demandé d’attendre le début de l’année prochaine pour connaître des ambitions du Président de la République en ces matières.
Mes chers collègues, nous débattons donc d’un projet de budget des affaires courantes, les annonces décisives étant réservées à un autre auditoire. Il en va du budget de la recherche comme de celui de la sécurité sociale : l’essentiel n’est pas destiné à cet hémicycle… Nous voterons contre ces crédits ! (Mme Sophie Taillé-Polian applaudit.)
M. Pascal Savoldelli. Excellente argumentation !
M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.
M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la mission « Recherche et enseignement supérieur » comprend neuf programmes consacrés au financement de la formation supérieure, de la vie étudiante et de la recherche dans l’ensemble des domaines couverts par l’État. Contrairement à l’orateur précédent, mon groupe salue l’engagement du Gouvernement en faveur de cette mission stratégique pour l’avenir de notre économie.
En effet, chercheurs et étudiants bénéficieront l’année prochaine de 534 millions d’euros de crédits supplémentaires, le budget atteignant 28,68 milliards d’euros, soit 10 % des dépenses pilotables.
Il faut admettre que la France demeure bien en deçà de l’objectif de Lisbonne – 3 % du PIB investi dans la R&D –, contrairement à l’Allemagne et aux pays scandinaves. Or notre compétitivité par rapport aux puissances étrangères et aux grandes entreprises technologiques dépend directement de l’excellence de nos formations, de l’engagement de la France dans les recherches de pointe et de notre capacité à attirer et garder les jeunes talents.
La France dispose de nombreux atouts, mais les opportunités ouvertes par les innovations technologiques des vingt dernières années sont immenses. Nous ne pouvons pas nous résigner à être seulement utilisateurs de ces technologies. Le financement de cette mission est une question de souveraineté nationale.
À travers le financement de la recherche et l’excellence de nos formations, il s’agit de nous positionner en acteurs du changement et de réunir aujourd’hui les conditions nécessaires à l’émergence des solutions de demain pour répondre aux défis du siècle.
Bien sûr, il s’agit là d’un budget de transition, dans l’attente de l’examen par le Parlement du projet de loi de programmation de la recherche. Cette réforme, très attendue par la communauté scientifique, devrait permettre de donner davantage de visibilité aux laboratoires et de renforcer l’attractivité des carrières.
Le premier programme de cette mission, doté de 13,6 milliards d’euros, est consacré aux formations supérieures et à la recherche universitaire. Ses crédits permettront notamment la poursuite du plan Étudiants et la réforme des études de santé pour favoriser les passerelles entre formations et diversifier les profils.
Le programme « Vie étudiante » bénéficiera l’année prochaine de 175 millions d’euros supplémentaires, pour atteindre un montant de 2,7 milliards d’euros. Le Gouvernement a fait le choix de renforcer les moyens consacrés aux bourses sur critères sociaux, à hauteur de 46 millions d’euros, sans revaloriser l’aide au mérite, dont le montant a été divisé par deux en 2015.
Le manque de places en résidences universitaires cause un véritable problème de précarité pour les étudiants, qui dépensent en moyenne 70 % de leur budget dans leur loyer. Nous devons réagir pour garantir à chaque étudiant des conditions de vie décentes et faciliter la mobilisation des aides d’urgence.
En matière de recherche, les financements permettront de développer le plan Intelligence artificielle au sein du programme 172, d’accompagner la création du nouvel Inrae, consacré à l’agronomie et aux sciences de l’environnement, et d’améliorer l’attractivité des carrières scientifiques au sein du CNRS et de l’Institut national de recherche en sciences du numérique.
Comme l’a fait le président Claude Malhuret en commission, j’appelle l’attention du Gouvernement sur la question de la souveraineté numérique de la France, ou plutôt sur notre état de forte dépendance à l’égard de Google en matière d’agrégation de données. Je pourrais parler aussi de Palantir et de son actionnaire, la CIA, la DGSI y ayant eu recours pour gérer ses bases de données. L’expérience a démontré que l’échelle nationale ne permettra pas de résoudre ce problème et qu’il nous faut impérativement bâtir une stratégie d’indépendance informationnelle avec nos partenaires européens.
Nous saluons la hausse des moyens consacrés à la mise en œuvre de notre politique spatiale à l’échelle européenne. La recherche spatiale représentera en 2020 plus de 2 milliards d’euros. Ces crédits contribueront à apurer la dette de la France auprès de l’Agence spatiale européenne. Après le succès de la mission de Thomas Pesquet à bord de la station spatiale internationale et celui du GPS européen, Galileo, qui a dépassé le seuil du milliard d’utilisateurs cette année, nous assisterons, en juillet prochain, au vol inaugural du lanceur Ariane 6.
La compétition mondiale s’accélère, s’exerçant au niveau tant des puissances étatiques que des acteurs privés. La Cour des comptes estime que notre politique spatiale manque encore d’ambition pour garder le cap face aux investissements massifs de la Chine et des États-Unis. Elle s’associe au Sénat pour appeler l’Europe à développer son propre lanceur réutilisable, à l’image de celui développé par SpaceX.
Il serait illusoire de penser rivaliser avec les 21 milliards de dollars de budget annuel de la NASA, mais nous pouvons développer des points d’excellence dans des domaines précis, comme l’exploration des ondes gravitationnelles. Lors de la conférence ministérielle de l’Agence spatiale européenne réunie à Séville cette semaine, les vingt-deux pays membres ont voté une contribution globale de 14,3 milliards d’euros sur une période de trois à cinq ans pour intégrer la nouvelle donne internationale. Nous invitons le Gouvernement à positionner la France à la hauteur des enjeux auxquels l’Europe doit faire face.
Madame la ministre, nous voterons les crédits de cette mission. (M. Jean-Marc Gabouty applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Laurent Lafon. Nous examinons ce soir le budget de la mission « Recherche et enseignement supérieur », le troisième que vous nous présentez, madame la ministre, depuis votre prise de fonction. Il est donc à considérer au regard des projets que vous avez menés depuis votre arrivée, à travers la loi relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, mais aussi la réforme des études de santé et le plan Bienvenue en France, destiné à favoriser l’accueil des étudiants étrangers.
Permettez-moi de commencer par une remarque sur le contexte général dans lequel intervient ce budget.
L’enseignement supérieur fait face depuis plusieurs années à une montée des effectifs liée au boom démographique de l’an 2000, dont on sait qu’il entraîne un accroissement automatique du nombre d’étudiants. Le budget que vous présentez tient compte pour partie, pour partie seulement, de cette augmentation des effectifs. Il est certes en augmentation, ce que nous saluons, mais insuffisamment pour maintenir un budget par étudiant équivalent à celui de l’année dernière.
Ce constat appelle de notre part deux commentaires.
D’abord, les établissements d’enseignement supérieur, singulièrement les universités, sont confrontés à des tensions budgétaires d’autant plus fortes que la montée des effectifs et l’impact des réformes sont importants. J’y reviendrai dans quelques instants.
Ensuite, l’accroissement des effectifs sera suivi, on le sait, d’une diminution, normalement à partir de 2025. Espérons – ce n’est pas interdit… – que, si l’État n’augmente pas mécaniquement le budget des universités quand les effectifs augmentent, il saura également ne pas le diminuer automatiquement quand les effectifs diminueront.
Les universités connaissent des tensions budgétaires d’autant plus fortes que l’accroissement des effectifs se cumule avec l’effet des réformes à mettre en place. Vous entamerez dans quelques jours une phase de dialogue avec les présidents d’université pour déterminer le montant de l’aide financière qui leur sera allouée. Nous avons compris que vous abordez cette phase avec une enveloppe de 50 millions d’euros à répartir et que la prise en compte du GVT ne sera pas automatique.
Si, en soi, il n’est pas choquant – je dirais : au contraire – que le ministère entretienne un dialogue de gestion particulier avec chaque université et que la reconduction des crédits ne soit pas mécanique, vous comprendrez que l’exercice soit un peu frustrant pour nous, parlementaires, invités à voter à l’aveugle une enveloppe de 50 millions d’euros sans en connaître précisément la répartition. C’est pourquoi je formule d’ores et déjà la demande qu’un retour nous soit fait sur la répartition de cette enveloppe, une fois le dialogue de gestion terminé. C’est aussi pour nous un moyen de comprendre les objectifs assignés par le ministère aux universités en matière de recrutement et d’accompagnement de leurs projets, pédagogiques ou de développement. De manière plus large, cela nous permettra également d’apprécier la pertinence et l’efficacité de cette phase de dialogue comme outil de pilotage.
Les tensions budgétaires ont une autre conséquence, qui nous préoccupe tout particulièrement : je veux parler de l’état des bâtiments. Le parc universitaire est pour partie, s’agissant notamment des bâtiments construits dans les années 1970, vétuste et inadapté aux exigences environnementales. Il nécessite un effort financier de remise en état, sans même parler d’extension, un effort que les universités elles-mêmes ne peuvent fournir et que l’État, compte tenu de sa situation financière, ne peut supporter.
Je n’ose rêver d’une grande mobilisation de l’ensemble des acteurs, notamment des collectivités territoriales, comme le plan Université 2000 l’avait permis au début du siècle. Néanmoins, je souhaite savoir quelle est l’enveloppe envisagée par l’État pour l’enseignement supérieur dans le cadre des contrats de plan en cours de discussion et quelles orientations ont été données aux préfets et recteurs sur ce sujet.
Par ailleurs, nous le savons, la réponse à la question immobilière repose en partie sur la dévolution aux universités elles-mêmes de leur patrimoine. Nous souhaitons connaître de manière précise le calendrier de ces dévolutions. C’est l’objet d’un amendement que j’ai déposé et qui sera examiné dans le cadre de la mission « Gestion du patrimoine immobilier de l’État ».
Dans cette phase de tension budgétaire, nous ne pouvons qu’être inquiets de la décision du Conseil constitutionnel, prise il y a quelques jours, sur les droits d’inscription. Elle pourrait inutilement mettre en difficulté les universités. Espérons que le Conseil d’État apportera une réponse rassurante sur ce sujet.
Le budget pour 2020 est caractérisé aussi par la diminution du crédit d’impôt dont peuvent bénéficier les donateurs aux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Nous sommes évidemment opposés à cette mesure, prise, au surplus, sans aucune étude d’impact et sans même qu’on sache, ce qui peut paraître invraisemblable, combien d’établissements sont concernés, et pour quel montant.
Cette situation reflète la difficulté à disposer de données statistiques sur l’enseignement supérieur. De fait, l’outil statistique n’est malheureusement pas la hauteur de ce qu’il devrait être. Comparativement à d’autres ministères, par exemple celui de l’éducation nationale, nous sommes surpris de la faiblesse des données statistiques fournies sur l’enseignement supérieur. Résultat : il ne nous est pas possible d’apprécier les effets de certaines réformes que nous avons votées. Je pense en particulier au taux de réussite en première année de licence des étudiants, dont l’amélioration était pourtant l’un des objectifs majeurs de la loi Orientation et réussite des étudiants.
Ces données nous sont essentielles pour savoir si les dispositifs d’accompagnement, les fameux « oui si », sont efficaces. Alors que nous sommes en période de discussion budgétaire, ces données éclaireraient fort utilement nos choix.
Il nous serait également utile de savoir si l’effort indispensable d’augmentation des places en IUT et en BTS est mis en œuvre et de connaître la part des bacheliers technologiques et professionnels en première année de ces filières.
De même, et c’est une remarque plus personnelle, il serait intéressant de connaître l’impact de la mesure de régionalisation mise en œuvre en Île-de-France cette année.
Je voudrais maintenant aborder la question de la vie étudiante.
L’événement dramatique de Lyon a placé dans le débat public la question du niveau des aides pour permettre la réussite des étudiants, mais aussi celle de la pertinence et de l’efficacité des dispositifs existants. Si nous sommes tous émus par ce geste dramatique, la réponse à ces questions ne saurait se limiter à la seule augmentation de lignes budgétaires. Elle suppose une analyse approfondie des dispositifs et des structures. Nous souhaitons vivement que cette analyse soit effectuée rapidement et sérieusement et que, à l’issue, des mesures soient prises pour aider les étudiants qui en ont besoin.
Enfin, je terminerai en évoquant les crédits de la recherche.
Comme l’a expliqué notre rapporteure Laure Darcos, le budget pour 2020 est un budget d’attente avant la loi de programmation annoncée pour l’année prochaine. Les maux sont connus et le diagnostic établi : revalorisation indispensable de la fonction de chercheur par une rémunération tout simplement correcte, diversification nécessaire des financements, amélioration du lien entre recherche et développement industriel. Nous attendons les réponses du Gouvernement pour y faire face et leur transcription budgétaire. Il nous faudra pour cela attendre le projet de loi de finances pour 2021.
Nous regrettons d’autant plus, dans ce contexte, la mesure d’augmentation du taux de réserve de précaution, qui nous paraît inappropriée au moment où la recherche devrait au contraire être aidée. Nous espérons, madame la ministre, que vous aurez gain de cause auprès de Bercy pour ne pas affaiblir inutilement nos outils en matière de recherche par un tour de passe-passe budgétaire dont le ministère des finances a l’habitude.
Le groupe Union Centriste votera les crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains. – MM. Emmanuel Capus et Jean-Marc Gabouty applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Max Brisson. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Max Brisson. Madame la ministre, l’augmentation de près de 1,7 % des crédits de la mission dont vous avez la charge a été saluée par tous les rapporteurs et presque tous les orateurs, cher Pierre Ouzoulias… (Sourires.)
L’an dernier, vous avez fait voter la loi Orientation et réussite des étudiants. Votre collègue Jean-Michel Blanquer avait lancé après vous, commettant une erreur manifeste de calendrier, la réforme du baccalauréat, dont je souhaite par ailleurs qu’il redevienne un tremplin pour la réussite des élèves dans l’enseignement supérieur.
Assurément, votre volonté d’agir, comme celle de votre collègue de l’éducation nationale, demeure sincère et constante. Elle a été saluée.
Reste la question des moyens. Ils sont en hausse, cela a été dit, et il faut vous en donner acte. Sont-ils pour autant suffisants compte tenu de l’impact des mesures déjà prises ? Sont-ils à la hauteur des défis de la recherche ? On sait que non, et les nuages menacent. C’est le cas, par exemple, du financement du glissement vieillesse-technicité, que vous semblez vouloir utiliser pour serrer la vis de certains. En 2018, il avait été intégralement compensé. En 2019, nous vous alertions sur l’utilisation d’une partie des crédits du plan Étudiants pour le financer. Pour 2020, vous avez annoncé que son financement ne sera pas systématique. Or la hausse globale peut masquer des situations très opposées, inscrites dans le temps long. Ainsi, le manque de moyens contraint certaines universités à ne pas remplacer les départs à la retraite, alors que nous devons répondre au défi que constitue l’arrivée de 30 000 étudiants supplémentaires chaque année.
Autre motif d’alerte : depuis dix ans, sur le temps long, la dépense moyenne de l’État par étudiant stagne, voire diminue, masquant parfois des situations dramatiques.
On le sait aussi, la vétusté des locaux s’aggrave, et la question de la précarité étudiante ne peut être passée sous silence. Certes, ce manque de financement de l’université ne date malheureusement pas d’hier, et on ne peut qu’acter l’effort réalisé cette année dans le cadre du projet de loi de finances.
En revanche, l’abaissement du taux de défiscalisation des dons d’entreprises supérieurs à 2 millions d’euros marque un tournant. Limiter l’effet incitatif de ces dons risque de priver l’université de financements supplémentaires. On comprend mal pourquoi, dans ce contexte budgétaire difficile, vous affaiblissez le processus de diversification des sources de financement. Je partage donc pleinement l’alerte de notre rapporteur pour avis, Stéphane Piednoir, qui a pointé les conséquences de cette décision.
Concernant les crédits de la recherche, je voudrais insister sur un point : la rémunération des chercheurs et enseignants-chercheurs – j’ai d’ailleurs également alerté sur la rémunération des professeurs du second degré lors de l’examen des crédits de la mission « Enseignement scolaire ». Comme l’a souligné notre rapporteure pour avis Laure Darcos, les chercheurs et enseignants-chercheurs éprouvent eux aussi un sentiment de déclassement social.
Malgré la mise en œuvre du protocole PPCR, qui représente dans ce budget une dépense de 28 millions d’euros, une refonte de la grille indemnitaire des chercheurs est nécessaire. C’est une question d’attractivité et de dignité. La baisse du nombre de doctorants doit faire l’effet d’un électrochoc.
Permettez-moi, enfin, de vous interroger sur un point précis, majeur pour notre pays : la formation des professeurs du second degré, dont vous avez également la responsabilité en partage avec le ministre de l’éducation nationale dans le cadre des Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation. Ces instituts nationaux ont été maintenus au sein des universités, alors qu’ils auraient pu redevenir des écoles professionnelles intégrées au sein du ministère employeur. Je souhaite donc vous poser quatre questions.
Comment les Inspé draineront-ils mieux que ne le faisaient les ÉSPÉ les ressources scientifiques de haut niveau que les élèves professeurs attendent et qui justifient l’ancrage des instituts de formation au sein de l’université ?
Comment les maquettes de formation ne seraient-elles pas contraintes dès leur origine, comme le furent celles des ÉSPÉ, par les spécialités des enseignants qui y sont affectés ? Ce fut le point faible des défuntes écoles. Comment comptez-vous y remédier ?
Comment les Inspé articuleront-ils mieux que ne le faisaient les ÉSPÉ la formation théorique et la formation pratique ?
Comment s’établira la collaboration avec les corps d’inspection et les professeurs formateurs du second degré, sans que soit remise en cause l’autonomie des universités, mais de telle manière que les parcours des élèves professeurs soient rétablis en cohérence et en efficience ? C’était un point faible de la formation des ÉSPÉ.
En conclusion, je voudrais réaffirmer que l’enseignement supérieur et la recherche ne pourront se passer d’une réforme profonde qui réponde durablement au défi de la démocratisation, de la compétition internationale et de la revalorisation du statut des chercheurs et des enseignants-chercheurs, au risque de voir notre pays poursuivre son recul. Tel sera en particulier l’enjeu de la prochaine loi de programmation de la recherche.
Dans cette attente, et au vu des efforts déjà déployés, comme les collègues de mon groupe, je voterai les crédits de cette mission. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)