M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors de nos débats l’an dernier, nous avions tous conclu que nous attendions beaucoup d’une loi de programmation spécifique relative à l’aide publique au développement. Malheureusement, cette loi n’existe toujours pas !
D’où mon interrogation, déjà exprimée par certains orateurs, sur la sincérité du débat budgétaire de cet après-midi : une future loi pourrait redéfinir la trajectoire financière de l’aide publique au développement. J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez nous rassurer.
Le seul objectif, martelé par le Président de la République, est d’atteindre, d’ici à la fin du quinquennat, 0,55 % du PIB consacré à l’aide publique au développement. Loin, donc, des 0,7 % sur lesquels la France s’était engagée… Il faut dire que le niveau actuel n’est que de 0,44 % !
Pour cette année, le Gouvernement propose un budget d’un peu plus de 3 milliards d’euros, en augmentation de 210 millions d’euros. Certes, cette hausse est bienvenue, mais comment croire que la trajectoire impulsée depuis 2017 sera amplifiée au point d’atteindre des hausses de 700, puis 900 millions d’euros les deux prochaines années ?
Bien évidemment, certains jeux d’écriture pourraient permettre de gonfler artificiellement le budget. Je pense tout particulièrement au recours accru aux fonds inscrits, mais bloqués. Cela suffira-t-il ? Je ne le pense pas.
Il est urgent de redéfinir cette mission budgétaire. Tout d’abord, en augmentant massivement les crédits inscrits, sans se contenter de promesses. Ensuite, en réformant la taxation affectée à l’aide publique au développement. En effet, si le produit de la taxe sur les transactions financières était intégralement affecté à l’APD, celle-ci augmenterait de 800 millions d’euros.
Une fois les fonds réunis, vers qui les orienter ? Aujourd’hui, l’aide publique au développement française ne bénéficie toujours pas aux pays qui en ont le plus besoin, mais profite plutôt à ceux qui présentent de sérieuses garanties de solvabilité. Monsieur le ministre, nous avons dans ce domaine un certain désaccord : je ne conçois pas l’APD comme un outil conditionné aux bénéfices à en attendre pour notre pays. Au reste, je m’interroge sur l’efficacité d’une telle pratique.
Il est une autre pratique dont je veux parler, et que je conteste vraiment : le financement de la retenue des migrants en Turquie, dans des conditions indignes. Vous me corrigerez si je me trompe, monsieur le ministre, mais ce financement est considéré comme de l’aide au développement, ce que mon groupe n’estime pas justifié. Il semble qu’il faut redéfinir ce qu’est l’aide au développement…
Plus largement, nous assistons à un essor croissant de l’économie de marché et du libéralisme dans les pays bénéficiaires. Or le ruissellement, si cher à notre gouvernement, creuse toujours les inégalités chez nous : comment ne produirait-il pas les mêmes effets dans les pays en développement ?
Compte tenu de ces observations, monsieur le ministre, nous voterons contre les crédits de cette mission. (Mme Michelle Gréaume applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’aide publique au développement est-elle simplement une affaire de philanthropie, comme d’aucuns l’affirment ? Elle est bien plus que cela.
Elle participe, effectivement, à une forme de solidarité entre pays, mais elle recouvre bien d’autres aspects. En particulier, elle est l’un des outils majeurs de notre politique internationale : à travers elle, nous favorisons la diffusion de nos valeurs et nous servons nos intérêts.
Une action menée dans un pays a des répercussions dans les autres, y compris en France. Ceux qui ne le comprennent pas voient cette aide, au mieux, comme une variable d’ajustement et, au pire, comme de l’argent jeté par les fenêtres. En réalité, cette aide est un investissement, dont les retombées dépassent la seule sphère économique.
De fait, elle est aussi une aide publique à la construction de la paix. Le travail est immense… On s’en rend compte en regardant les missions de l’AFD au Sahel et dans les autres zones prioritaires.
À cet égard, nous saluons la forte augmentation, de 6 %, des crédits de la mission. Le montant inscrit dans le projet de loi de finances porte l’effort de la France de 0,43 % à 0,46 % de son revenu national brut. Nous nous rapprochons ainsi de l’objectif de 0,55 % fixé par le Président de la République. Cette augmentation et la logique qui la soutient nous paraissent être des signaux positifs.
Toutefois, nous regrettons que l’objectif de 0,7 % du RNB ait été abandonné. En effet, cet objectif résulte de nos engagements internationaux, issus des travaux de l’Assemblée générale des Nations unies de 1970.
Reste que le Gouvernement poursuit le réarmement de notre politique d’aide au développement, ce dont nous lui savons gré. Le bénéfice de cette aide n’est pas unilatéral : le pays qui dépense en retire aussi des avantages. C’est ce qu’a bien compris le Royaume-Uni, qui consacre 0,7 % de son RNB à l’aide au développement : personne ne croit qu’il s’agit d’une pure philanthropie…
Cet exemple illustre, d’abord, le fait que le Royaume-Uni considère, malgré les difficultés qui pèsent sur lui, que ces dépenses lui sont utiles ; ensuite, que cet objectif peut être atteint.
Le Royaume-Uni n’est pas seul à adopter une politique d’aide au développement forte. C’est aussi le cas de la Chine, très active en la matière, notamment sur le continent africain et en Europe de l’Est – les nouvelles routes de la soie se construisent à travers l’Eurasie. L’Inde nourrit une ambition similaire et souhaite faire émerger un projet, concurrent, de route de la liberté.
L’aide au développement façonne l’avenir, politique ou économique. La France doit y participer activement, en ayant cet objectif à l’esprit.
À cet égard, monsieur le ministre, nous sommes très favorables à la logique que vous défendez : comme vous, nous pensons que la France doit être maîtresse des dépenses qu’elle engage. Le multilatéralisme, bien sûr, n’est pas à fuir ; mais le bilatéralisme est à privilégier, lorsque nous ne nous retrouvons pas dans les projets multilatéraux.
Notre action doit servir les intérêts de la France ; elle doit être efficace. À cet égard, plusieurs points d’amélioration subsistent.
Ainsi, nous pensons qu’il faut améliorer l’articulation entre les actions de l’État, des collectivités territoriales, des ONG et des entreprises ou fondations privées. Elles peuvent parfois se compléter utilement.
S’agissant de la gouvernance, nous considérons que la prise de décisions en matière d’aide publique au développement ne doit pas être éclatée entre deux ministères et un opérateur : cette division conduit à multiplier les instances de coordination et amoindrit la lisibilité et l’efficacité de notre politique d’aide au développement.
En ce qui concerne les objectifs de l’aide au développement, nous nous réjouissons que la priorité ait été donnée à l’Afrique, car nous pensons aussi que c’est sur ce continent que les efforts de la France doivent porter. De grands défis sécuritaires sont à relever, mais nous savons aussi que de grandes opportunités s’y développent. L’Afrique de demain va surprendre le monde ! Nous souhaitons que la France participe à son essor et à son développement.
Sous réserve de ces quelques points de vigilance, le groupe Les Indépendants soutient les grandes orientations présentées pour poursuivre le réarmement de notre aide au développement ! (MM. les rapporteurs spéciaux et M. Richard Yung applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cambon. (M. Philippe Mouiller applaudit.)
M. Christian Cambon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la politique d’aide publique au développement est l’un des piliers de l’approche globale de résolution des crises, en « 3D » : diplomatie, défense, développement. Au-delà de la lutte contre la pauvreté, elle est bien un instrument de stabilité géopolitique, dont nous souhaitons que la France fasse le meilleur usage.
Or, aujourd’hui, comme les interventions de cet après-midi l’ont montré ou le montreront, notamment celles des membres de mon groupe, nous avons grand besoin, monsieur le ministre, que vous recadriez le sens de cette action.
De fait, la commission des affaires étrangères dresse un diagnostic quelque peu contrasté, mettant en évidence un triple déficit : déficit de pilotage politique, de lisibilité et d’évaluation – les rapporteurs pour avis l’ont déjà souligné.
Le manque de pilotage est évident : nous avons le sentiment qu’on a progressivement délégué notre stratégie à ce fleuron que constitue l’Agence française de développement, comme s’il s’agissait d’une question purement technique, dépourvue de lien avec les grands axes de notre politique extérieure. Pour nous, ce n’est pas le sens de l’action à mener. Je crois savoir, monsieur le ministre, que vous avez pris des initiatives pour corriger cette situation.
D’ores et déjà, nous saluons la décision du Gouvernement de conforter les ambassadeurs dans leur rôle de chefs d’orchestre de l’action française de développement sur le terrain. La volonté exprimée de mieux intégrer l’AFD au sein de l’« équipe France » du développement, au moment où ses engagements atteignent un niveau vertigineux, de plus de 12 milliards d’euros, est également très positive. Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous éclairiez sur le rôle du conseil local de développement, qui permettra dorénavant à l’ambassadeur de jouer son rôle de chef d’orchestre.
J’en viens au manque de lisibilité. Nous avons plus de cinquante contributions multilatérales, dont l’opacité n’est plus vraiment tolérable. Certes, le Gouvernement a prévu de consacrer, d’ici à 2022, les deux tiers de la croissance des crédits à l’action bilatérale, une orientation que nous approuvons sans réserve. Mais, alors, est-il cohérent, pour ne citer que cet exemple, d’avoir décidé le mois dernier, sans que le Parlement soit prévenu, une augmentation de 20 % de notre contribution au Fonds mondial, qui n’agit pas suffisamment pour renforcer les systèmes de santé ? Dans le même temps, les pays africains qui construisent leur système de santé voient leurs crédits diminuer de 600 millions d’euros… Cette distorsion pose problème.
De même, les commissions des affaires étrangères et des finances ont beaucoup discuté du tableau, certes explicable, mais terrible inscrit dans le jaune budgétaire : on y voit la Turquie arriver en tête des pays destinataires de notre aide et le Brésil, qui nous insulte régulièrement, figurer en quatrième position, le Mali atteignant seulement le dix-neuvième rang. Bien sûr, il y a des raisons techniques, que vous allez exposer, monsieur le ministre ; mais vous comprenez bien le trouble qui peut naître chez un certain nombre de collègues.
Je sais que vous voulez recentrer l’aide sur nos priorités. Le Sénat vous soutiendra. Vous avez parlé d’un comité de pilotage restreint : où en êtes-vous à cet égard ?
S’agissant enfin de l’évaluation, trop lacunaire, trop dispersée et trop procédurale, elle est de longue date notre talon d’Achille. Ce qui tient lieu d’évaluation aujourd’hui ne permet en aucun cas le pilotage par les résultats tel que nous le souhaitons. Quels résultats ont produit les millions d’euros, pour ne pas dire davantage, déversés dans le sable du bassin du fleuve Niger ? Personne ne peut le dire.
Comme les rapporteurs pour avis l’ont expliqué, la comparaison que nous avons faite avec le Royaume-Uni nous a persuadés qu’une commission véritablement indépendante, appuyée sur de l’expertise privée, permet une meilleure évaluation de l’aide. C’est pourquoi nous ne sommes pas totalement convaincus par le projet de rattacher la future commission d’évaluation à la Cour des comptes. (Mme la rapporteure pour avis opine.) Ce n’est pas encore à la hauteur de l’enjeu : nous avons besoin d’un instrument complètement nouveau.
Monsieur le ministre, nous voulons de l’audace, et vous en êtes capable ! Nous voulons une évaluation resserrée, qui nous permette de juger vraiment de l’utilisation de l’argent public.
Dans ce contexte, les positions sont assez différenciées : au sein de mon groupe, la tendance est plutôt négative ; la commission des affaires étrangères s’est prononcée pour l’adoption des crédits ; quant à la commission des finances, elle appelle à les rejeter.
M. le président. Veuillez conclure.
M. Christian Cambon. Monsieur le ministre, nous espérons que vos explications conforteront notre sentiment sur l’importance de l’aide au développement !
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais relayer les propos préparés par André Vallini.
Le projet de loi de finances prévoit une hausse de 210 millions d’euros de la mission « Aide publique au développement » pour 2020. Cette augmentation est bienvenue, mais elle reste insuffisante si on la rapporte à la trajectoire nécessaire pour tenir l’engagement, pris par le Président de la République, de consacrer, d’ici à 2022, 0,55 % de la richesse de notre pays à l’aide publique au développement.
En 2019, le Gouvernement a mis l’accent sur l’augmentation des autorisations d’engagement. Cette hausse doit non seulement se poursuivre en 2020, mais être accompagnée d’une hausse significative, elle aussi, des crédits de paiement pour permettre une mise en œuvre effective des projets.
Plus précisément, l’utilisation actuelle de l’aide publique au développement n’est pas entièrement satisfaisante pour plusieurs raisons.
D’abord, la part pilotable – soit la part pour laquelle le donateur est en capacité de maîtriser les flux – de l’aide publique au développement augmente, mais elle ne reste pas dans les mêmes proportions par rapport à l’APD globale, ce qui ne permet pas une accélération de la mise en œuvre des projets.
Actuellement, la crainte est que les 0,55 % du RNB – objectif fixé par le Président de la République – soient affectés à tout ce qui ne concerne pas directement l’aide publique au développement, c’est-à-dire à des projets sans pilotage – l’accueil des étrangers, les bourses aux étudiants étrangers, etc.
Concernant les instruments que la France mobilise pour mettre en œuvre son APD, ils ne sont pas toujours les plus pertinents, dans la mesure, notamment, où la part des prêts reste très importante, alors que ce sont les dons qui permettent de soutenir au mieux les pays les moins avancés, en particulier dans les domaines sociaux et éducatifs.
Pour ce qui est de la diplomatie féministe, malgré des engagements répétés, la France se contente d’un objectif de 50 % de son APD prenant en compte la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Pour 2019, les prévisions concernant les crédits bilatéraux sont en deçà de 20 %, en décalage par rapport aux annonces du Président de la République.
Ensuite, la politique migratoire de la France présente un risque de dévoiement de l’APD, qui doit avoir pour objectif la lutte contre la pauvreté, les inégalités et leurs conséquences. Vouloir en faire un levier pour une autre politique revient à l’instrumentaliser au profit d’enjeux qui ne devraient pas lui être associés.
Par ailleurs, comment ne pas s’interroger sur la confirmation de financements à certains pays – ce point a été évoqué précédemment – tels le Brésil ou la Turquie ? Comment justifier ces choix, au moment où le Président de la République a affirmé, à bon droit, vouloir concentrer prioritairement notre aide sur l’Afrique ?
Compte tenu de la progression rapide des moyens qui lui sont consacrés, se pose la question de l’évaluation de l’aide publique au développement. Or, dans le projet de loi de finances pour 2020, les crédits dédiés à l’évaluation restent modestes, et aucune enveloppe spécifique n’est prévue pour le fonctionnement de la nouvelle commission d’évaluation qui pourrait être créée par la future loi d’orientation que nous attendions en 2019, et qui devrait arriver en 2020. Il devient donc urgent, dans le cadre de ce futur texte, de préciser les choix du Gouvernement en matière d’évaluation.
En 2015, le Royaume-Uni a adopté une loi fixant l’aide publique au développement à 0,7 % de son RNB et a créé, parallèlement, un dispositif d’évaluation avec un organisme dédié qui permet de rendre des comptes à la commission parlementaire chargée du développement. Sur ce point, je rejoins mon collègue Richard Yung : nous souhaitons qu’il en aille de même dans la prochaine loi d’orientation et de programmation.
Sous réserve des critiques que je viens de formuler, et pour encourager le Gouvernement à aller plus loin et plus vite encore, nous voterons les crédits de la mission « Aide publique au développement ». (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM. – MM les rapporteurs spéciaux applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Éric Jeansannetas.
M. Éric Jeansannetas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l’extrême pauvreté a reculé au cours de ces trente dernières années, notamment sous la pression des huit objectifs du millénaire pour le développement, les bouleversements qui agitent aujourd’hui notre monde nous invitent à rester vigilants sur cette évolution.
En effet, aux fractures anciennes, qui avaient conduit au déséquilibre économique entre le Nord et le Sud, s’en ajoutent de nouvelles liées au changement climatique qui entraîne des déplacements massifs de populations. La crise migratoire qui a frappé l’Union européenne à partir de 2015 nous le rappelle : ce qui se passe là-bas n’est pas sans conséquence ici.
La question du développement nécessite donc une action collective forte. En tant que cinquième contributeur, la France y prend toute sa part. À cet égard, je rappellerai que notre pays a accueilli des annonces très importantes en matière d’aide au développement lors du G 7 qui s’est tenu à Biarritz, annonces qui, je l’espère, seront de nature à amplifier la remobilisation des États après le creux résultant de la crise financière de 2007-2008.
Je salue également l’ambition que le Président de la République a affichée au début de son mandat et qu’il a réaffirmée depuis, à savoir porter l’aide publique au développement à 0,55 % de notre revenu national brut d’ici à 2022, sous réserve que ce cap soit atteint.
Je me réjouis que la mission que nous examinons s’inscrive dans cette trajectoire volontaire. Les rapporteurs accordent d’ailleurs une confiance, certes prudente, mais réelle, à l’atteinte de l’objectif de 0,47 % du RNB.
Depuis 2016, un cercle vertueux s’est enclenché. S’il se poursuit, il permettra à la France de remplir ses engagements pour contribuer efficacement aux objectifs fixés par la communauté internationale.
Au-delà de la question de son niveau, je souhaite également évoquer le contenu de l’aide, au travers de la ventilation des moyens mis à la disposition de l’Agence française de développement, le principal levier du soutien public.
La mission comporte une augmentation de la capacité de l’Agence à accorder des prêts à l’étranger grâce à une hausse des crédits de bonification des prêts de l’ordre de 1,1 milliard d’euros en autorisations d’engagement pour 2020. Si cet effort est positif, je regrette, en revanche, que la capacité de l’Agence à accorder les dons soit affaiblie, enregistrant une baisse de 600 millions d’euros par rapport à l’année passée.
Ayant souvent eu ce débat sur le rapport entre les dons et les prêts, nous connaissons la conséquence de la prédominance des prêts : elle bouscule la définition des priorités, en ce qu’elle tend à exclure les pays les plus pauvres et les plus fragiles.
À l’inverse, les grands émergents, dont le niveau de développement est assez élevé et qui bénéficient de prêts faiblement concessionnels, se voient ainsi bien soutenus par l’aide publique au développement.
C’est pourquoi, sans remettre en cause les projets dans des pays qui participent de l’influence française dans le monde, il est toutefois urgent de redéfinir nos priorités. Aussi, nous attendons avec impatience l’examen par le Parlement du prochain projet de loi d’orientation et de programmation – vous l’avez confirmé, monsieur le ministre, nous devrions examiner ce texte dans quelques mois.
Dans cette perspective, je souhaite d’ores et déjà évoquer quelques pistes tirées des enseignements du dernier rapport de la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.
Ce document, mes chers collègues, soulève le manque d’efficacité de l’aide extérieure des contributeurs, qui ne ciblerait pas suffisamment leurs priorités de développement. Est-il normal, en effet, que dix pays sur quarante-sept captent 70 % de l’aide mondiale, parmi lesquels l’Angola qui va passer au statut de pays en développement en 2021 ?
Pourtant, une évidence demeure : c’est en Afrique que sévit la plus grande pauvreté, ce qui nous invite à réaffirmer son caractère de zone géographique prioritaire, s’agissant en particulier des pays les moins avancés.
L’Organisation des Nations unies (ONU) suggère aussi de revoir l’orientation de l’aide qu’elle juge, par exemple, trop axée sur les centres urbains, dans des pays où les trois quarts de la population vivent en milieu rural.
Sans sous-estimer la persistance de grands défis sanitaires, on peut aussi relever que le soutien est en grande partie concentré sur l’éducation et la santé, à hauteur de 45 % du total de l’aide mondiale, alors que les infrastructures économiques, qui créent les emplois, n’en captent que 14 %.
Enfin, il serait également souhaitable de bien évaluer la façon dont est canalisée notre aide sur place, afin que ne soient pas financées des multinationales avec de l’argent public.
Je prendrai un exemple : les dons qui bénéficient à des cimentiers nationaux de pays d’Afrique francophone, cimentiers qui sont en réalité reliés au sein d’une multinationale, conduisent ces groupes à abaisser leur coût du travail au détriment d’entreprises vraiment locales.
Toutes ces observations me conduisent à répéter que la remontée en puissance de l’aide publique au développement est indispensable, à condition de redéfinir clairement les orientations de celle-ci.
Mes chers collègues, cette mission ne recouvre pas tout l’effort financier que nous consacrons au développement, mais elle est le reflet d’une dynamique entamée depuis quelques années, et dont on peut se réjouir.
Le RDSE soutiendra bien entendu ce budget qui reflète une politique à laquelle adhèrent 79 % de nos concitoyens, bien conscients des enjeux qu’elle recouvre.
En effet, et pour reprendre les mots de l’ancien président François Mitterrand, exprimés devant les Nations unies le 1er septembre 1981 : « La solidarité pour le développement […] m’apparaît tout à la fois comme la clé de notre avenir commun et une nécessité pour chacun. » (MM. les rapporteurs spéciaux, ainsi que M. Julien Bargeton applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller.
M. Philippe Mouiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances est un moment de vérité comptable et politique.
La question qui nous est posée est la suivante : les crédits pour 2020 sont-ils à la hauteur des ambitions de la France sur la scène internationale ?
Il convient de rappeler que partout où elle est déployée, l’aide publique au développement est un moyen de permettre une amélioration de la qualité de vie des habitants, un outil participant à la sécurité dans le monde, ainsi qu’un instrument diplomatique.
Tout d’abord, je voudrais attirer votre attention sur la nature de l’aide publique au développement. Force est de constater que la part de l’aide directe a reculé au profit de l’aide sous forme de prêts en vertu de choix stratégiques étonnants. C’est précisément cet aspect qui pose question, monsieur le ministre, car nous sommes étonnés par certains bénéficiaires de l’AFD.
J’en donnerai deux exemples.
Premièrement, la Chine. Alors que ce pays détient une part de la dette américaine, alors qu’on impose des normes de traçabilité à tout va sur le territoire national, il est déroutant de constater qu’une banque publique française peut aider à coups de centaines de millions d’euros l’investissement dans un pays où l’échelle des valeurs est inversée.
Deuxièmement, la Turquie. Elle bénéficie d’aides, alors même que la politique de M. Erdogan a pour incidence la résurgence de l’État islamique contre lequel nous sommes engagés au Levant et en Afrique.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris, c’est au fléchage de l’aide que nous réagissons. Il est aux antipodes de la politique que vous menez, et pour laquelle vous œuvrez sans relâche à la tête de votre ministère.
J’en viens maintenant au point névralgique de l’APD française : son pilotage.
Sur ce sujet, mon groupe soutient totalement la démarche du président Cambon et du rapporteur pour avis Jean-Pierre Vial qui appellent à une nouvelle relation avec l’administration, à sa responsabilisation et au retour à un véritable pilotage politique par le Gouvernement et le Parlement.
C’est aussi de la tutelle des opérateurs de l’aide au développement qu’il s’agit. L’AFD dépend de Bercy. Néanmoins, pour tout ce qui concerne l’aide au développement, l’Agence et sa direction ne peuvent se substituer aux décideurs politiques. La stratégie de l’AFD doit être impérativement synchronisée avec celle du ministère de l’Europe et des affaires étrangères (MEAE). Aujourd’hui, il est urgent de revoir le pilotage stratégique de l’Agence sur les projets résultant de choix politiques.
J’estime que la priorité stratégique et géographique doit être donnée à l’Afrique. Ce continent est menacé par l’islamisme extrémiste et a du mal à gérer sa croissance démographique exponentielle. Il représente un défi à l’échelle de la planète.
J’aborderai maintenant l’importance de l’évaluation.
Aucune politique ne peut se soustraire au contrôle. Sans évaluation, comment savoir si une politique doit être reconduite ou non ? Au moment où la réduction des dépenses publiques et les réformes touchent au cœur les Français, nous devons en permanence être animés par le souci de l’efficacité de chaque euro investi.
Avant de conclure, je souhaite revenir sur ce qui est devenu une très mauvaise habitude de Bercy, à savoir le détournement des produits des taxes, pourtant conçues pour alimenter des crédits de missions. C’est le cas de la taxe de solidarité, dont seule une part est affectée au développement.
Monsieur le ministre, les crédits de la mission « Aide publique au développement » ont été rejetés par la commission des finances. Mon groupe fera de même, non pas par esprit de polémique ni dans un objectif politicien, mais au nom d’une volonté affichée de transparence et d’un meilleur pilotage politique. Nous souhaitons un retour à une politique cohérente avec notre diplomatie. Je sais que les travaux que vous engagez avec notre commission des affaires étrangères iront dans ce sens, mais nous voulons signaler la situation. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Plusieurs orateurs, dont le président Cambon, l’ont souligné, l’aide publique au développement est un instrument majeur de notre politique étrangère. Elle nous permet d’agir de façon concrète sur le terrain pour inscrire dans la durée nos efforts de gestion des crises, pour lutter contre les inégalités mondiales, pour protéger les biens communs que sont la planète, la culture et la santé des populations.
La mission budgétaire qui vous est présentée aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, se compose de deux programmes, le programme 110, « Aide économique et financière au développement », géré par le ministère de l’économie et des finances – ce programme bénéficie, monsieur Jeansannetas, de 1,14 milliard d’euros de crédits de paiement, et non d’une augmentation équivalente en autorisations d’engagement – et le programme 209, « Solidarité à l’égard des pays en développement », dont la gestion revient à mon ministère.
Permettez-moi d’indiquer les trois grandes priorités que j’ai souhaité inscrire sur ce dernier programme.
La première est de porter progressivement notre APD à 0,55 % de la richesse nationale brute d’ici à 2022. Un projet de loi de programmation sera soumis au début de l’année prochaine au conseil des ministres puis au Parlement – ce texte existe bien, je l’ai vu.