Mme Maryse Carrère. Cet amendement reprend l’article 1er de la proposition de loi déposée par Jean-Pierre Sueur et plusieurs de nos collègues, dont j’ai été la rapporteure, et qui visait à assurer une plus juste représentation des petites communes au sein des conseils communautaires. Ce texte a été adopté à une large majorité par le Sénat.

Le présent amendement vise à modifier les règles relatives à la détermination du nombre et de la répartition des sièges au sein de l’organe délibérant des EPCI à fiscalité propre, afin d’assurer une plus juste représentation des communes de taille moyenne.

Selon les règles actuelles, chaque commune est bien représentée au sein de ces assemblées. Mais les communes dont la population se situe autour de la moyenne communautaire sont pénalisées.

L’objet de cet amendement est donc de rééquilibrer raisonnablement la représentation des communes moyennes au sein des conseils communautaires.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 392 rectifié bis.

M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement reprend l’article 1er d’une proposition de loi, qui a été adoptée par la commission des lois du Sénat le 16 janvier 2019 et par le Sénat le 24 janvier suivant. Je comprendrai mal que la Haute Assemblée change d’avis sur cette question.

Il s’agit, une fois encore, de permettre une plus juste représentation des petites et moyennes communes au sein de l’intercommunalité. Je sais que ce sujet tient à cœur à beaucoup d’entre nous. Des déséquilibres ont été instaurés, dont se plaignent les élus des petites et moyennes communes, et nous sommes leurs représentants… Il faut aller dans le sens de l’équité, pour donner plus de place à l’accord entre les communes !

C’est ce que Mme Jacqueline Gourault, quand elle était sénatrice, et moi-même avons défendu à plusieurs reprises devant le Sénat. Nous avons présenté des propositions de loi qui allaient dans le même sens.

Nous nous étions également penchés – vous vous en souvenez, mes chers collègues – sur la fameuse décision prise par le Conseil constitutionnel à la suite d’une requête de la commune de Salbris et avions saisi toute l’étendue du problème. Alain Richard et moi-même avions alors déposé une proposition de loi pour en sortir, à la demande de l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité et de l’Association des maires ruraux de France. Mais nous nous sommes rendu compte par la suite que le dispositif était trop contraignant et qu’il fallait vraiment se fier à l’accord entre les communes, entre les maires.

D’où cet amendement, reprenant, je le répète, une mesure issue d’un texte adopté par une très large majorité, aussi bien au sein de la commission des lois qu’en séance publique. Je ne comprendrai pas que le Sénat se déjuge sur ce sujet !

Article additionnel après l'article 11 - Amendements n° 227 rectifié ter et n° 392 rectifié bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique
Article additionnel après l'article 11 - Amendement n° 195

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont également identiques.

L’amendement n° 149 rectifié ter est présenté par MM. Longeot, Cigolotti, Médevielle, Moga, Bignon et Guerriau, Mme Tetuanui, MM. Henno et Luche, Mmes Goy-Chavent et Vermeillet, M. Prince, Mme Billon, MM. Chasseing et Le Nay, Mme Vullien, M. Kern, Mme Guidez, M. Canevet, Mmes C. Fournier et Sollogoub et M. Capus.

L’amendement n° 870 rectifié quater est présenté par Mme Chain-Larché, M. Cuypers, Mmes Thomas et Morhet-Richaud, M. Houpert, Mme Imbert, M. Longuet, Mme Lopez, MM. Charon, Courtial et Cardoux, Mme Lassarade, MM. Cambon, Duplomb et J.M. Boyer, Mmes Deromedi et Gruny, M. Pellevat, Mmes Bruguière et L. Darcos, MM. Danesi, Dufaut, Laménie et Grosperrin, Mme Garriaud-Maylam et MM. D. Laurent, Sido, B. Fournier, Rapin et Gremillet.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l’article 11

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article L. 5211-6-1 du même code est ainsi modifié :

1° Le dernier alinéa du e du 2° du I est supprimé ;

2° Le III est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, les mots : « établi à partir du » sont remplacés par les mots : « égal à la moitié du nombre de communes membres de l’établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, arrondie à l’entier inférieur et augmentée du nombre de conseillers communautaires correspondant à la strate démographique de l’établissement, conformément au » ;

b) Les deuxième à dernière lignes de la seconde colonne du tableau constituant le deuxième alinéa sont ainsi rédigées :

« 

Population municipale de létablissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre

Nombre de sièges

De moins de 3 500 habitants

12

De 3 500 à 4 999 habitants

13

De 5 000 à 9 999 habitants

16

De 10 000 à 19 999 habitants

19

De 20 000 à 29 999 habitants

22

De 30 000 à 39 999 habitants

25

De 40 000 à 49 999 habitants

28

De 50 000 à 74 999 habitants

30

De 75 000 à 99 999 habitants

31

De 100 000 à 149 999 habitants

36

De 150 000 à 199 999 habitants

42

De 200 000 à 249 999 habitants

48

De 250 000 à 349 999 habitants

54

De 350 000 à 499 999 habitants

60

De 500 000 à 699 999 habitants

67

De 700 000 à 1 000 000 habitants

75

Plus de 1 000 000 habitants

97

 » ;

3° Le VI est ainsi modifié :

a) Au deuxième alinéa, le mot : « , sauf : » est remplacé par le signe : « . » ;

b) Les 1° et 2° sont abrogés.

La parole est à M. Jean-François Longeot, pour présenter l’amendement n° 149 rectifié ter.

M. Jean-François Longeot. Les conseils communautaires sont aujourd’hui gouvernés par un critère, celui de la population. La méthode actuelle de répartition des sièges se limite effectivement à une répartition à la proportionnelle, favorisant les plus grandes communes qui, de fait, concentrent un plus grand pouvoir. Ainsi, 62 % des communautés sont présidées par le maire, l’adjoint ou un conseiller de la ville principale du territoire couvert. Ce taux atteint 74 % si l’on ajoute, aux représentants de la ville principale, ceux de la deuxième ville la plus importante.

Le présent amendement tend à changer cette situation, qui ne va pas dans le sens des intérêts des communes rurales. Celles-ci, se retrouvant sous-représentées, perdent confiance et ne voient plus l’intérêt d’une intercommunalité qui ne serait qu’une antichambre de leur disparition. Cela nous mène à une impasse tant politique que démocratique.

Je soumets à l’approbation de notre assemblée une proposition intéressante : instaurer une proportionnelle dégressive, c’est-à-dire une répartition proportionnelle fondée sur des populations virtuelles, obtenues en multipliant la population municipale par un coefficient décroissant selon le niveau de cette population. Cela permettrait une meilleure représentation des communes rurales et aussi, j’en suis persuadé, une meilleure participation aux commissions intercommunales.

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour présenter l’amendement n° 870 rectifié quater.

Mme Anne Chain-Larché. Le détail du mécanisme que nous vous proposons, mes chers collègues, vient d’être amplement développé.

J’indiquerai donc simplement que ces quatre amendements – les trois qui viennent d’être présentés et celui que je défends maintenant – visent à rectifier un effet pervers de la mise en place des communautés de communes.

Il faut se rappeler qu’au tout début du processus on partait souvent d’une démarche volontaire des communes, avec des concessions acceptées par celles dont la population était la plus nombreuse aux petites communes et, très souvent, une représentativité égale des unes et des autres au sein du conseil communautaire. Or, progressivement, au fil de l’application de la loi, les toutes petites communes ont vu leur représentativité se réduire au point de pratiquement disparaître.

Le projet de loi que nous examinons nous semble répondre à l’attente des élus. Il tend à freiner les effets négatifs que les intercommunalités font peser sur les petites communes. En adoptant ces amendements, notre assemblée enverrait un bon signal à ces dernières.

Je le dis souvent lors des réunions du conseil communautaire – j’ai eu la chance d’en construire un, avec les communes voisines de la mienne et de façon très consensuelle –, on a fréquemment besoin d’un plus petit que soi. Aujourd’hui, nous pourrions en apporter la preuve quant aux plus petites communes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Françoise Gatel, rapporteur. Les amendements identiques nos 227 rectifié ter et 392 rectifié bis, ainsi que les amendements identiques nos 149 rectifié ter et 870 rectifié quater abordent le sujet très difficile et très contrariant – il est même plus qu’irritant – de la composition des conseils communautaires, c’est-à-dire de la représentation de chacune des communes au sein de ces organes. La semaine dernière, nous avons adopté un amendement, sur proposition de la commission des lois, tendant à assouplir les accords locaux, avec ce fameux tunnel de plus ou moins 20 %.

Il s’agit ici de droit commun. Le sujet a été longuement évoqué lors de l’examen d’une proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur et dont Mme Maryse Carrère était rapporteure. Dans ce cadre, on s’était vraiment évertué à trouver des solutions permettant une représentation plus équilibrée, tout en se préservant des fourches caudines du Conseil constitutionnel.

Aujourd’hui, la règle de droit commun, cela a été souligné, aboutit parfois à une surreprésentation des grandes communes, mais surtout à un écrasement des communes intermédiaires lorsque les petites communes sont nombreuses et doivent disposer, indépendamment du niveau de leur population, d’au moins un représentant au sein de l’assemblée communautaire.

La difficulté est donc réelle, suscitant une véritable insatisfaction.

L’article 1er de la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur instaurait un mécanisme un peu complexe – je ne vais pas le rappeler –, mais qui permettait, à la fois, de modifier les règles de répartition et de déterminer l’effectif des conseils communautaires.

Comme on l’a dit au moment de l’examen de ce texte, cette rédaction présente des risques extrêmement importants au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Selon les simulations que nous a fournies, depuis lors, le Gouvernement, confirmées par celles que le Sénat avait réalisées, cette proposition aboutirait à renforcer en moyenne les écarts de représentation entre communes par rapport à la proportionnelle démographique. Or je vous rappelle, mes chers collègues, que la démographie est le critère essentiel, prioritaire, voire quasi unique, retenu depuis l’arrêt Commune de Salbris.

C’est pourquoi, lors de l’examen de la proposition de loi au mois de janvier, nous étions convenus de la nécessité de la déférer au Conseil constitutionnel avant sa promulgation, pour éviter tout risque de déstabilisation des conseils communautaires qui s’en seraient inspirés pour organiser la représentation de leurs communes.

Même si je n’ignore pas votre effort, monsieur Sueur, et celui de Mme Maryse Carrère pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons, il me semble que nous prendrions un risque en réintroduisant cette disposition, alors que le projet de loi, selon toute vraisemblance, ne sera pas soumis a priori au Conseil constitutionnel.

En tout état de cause, il faudrait reporter l’application de votre proposition aux élections de 2026, puisque les organisations de représentation des communes au sein des conseils communautaires ont dû être achevées pour le 31 août.

Vous comprendrez donc, mon cher collègue, que, en dépit de mon intérêt et de celui de la commission des lois pour la question que vous soulevez, nous demandions le retrait de ces amendements. À défaut, l’avis de la commission sera défavorable. Je le répète, il y a un vrai risque en termes d’insécurité juridique.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Sébastien Lecornu, ministre. Nous revenons donc en deuxième semaine sur cette question, que nous abordons, non plus sous l’angle des accords locaux, mais sous celui du droit commun.

J’ai déjà plus qu’évoqué mes doutes, au regard de la décision – et non de l’arrêt – Commune de Salbris du Conseil constitutionnel, sur la constitutionnalité des dispositions concernant les accords locaux votées dans cet hémicycle la semaine dernière.

Je le répète à l’attention des sénateurs qui n’étaient pas présents, sur le fond, je partage la préoccupation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je n’étais pas très enthousiaste sur le scrutin de liste dans les intercommunalités : on écarte progressivement les maires ruraux de l’exécutif intercommunal !

Donc, j’y insiste, tout ce qui participe au rééquilibrage entre territoires urbains et ruralité va, à mes yeux, dans le bon sens.

Néanmoins, je ne veux pas que l’on fragilise le projet de loi en adoptant des dispositions qui seraient peut-être, voire manifestement, inconstitutionnelles.

Certes, le président Philippe Bas nous a conviés, la semaine dernière, lors de la discussion sur les accords locaux, à une forme d’« aventure » juridique. Je note que la commission des lois ne souhaite pas que nous nous lancions dans cette même aventure pour les dispositions de droit commun. À la première question prioritaire de constitutionnalité, à la première saisine du Conseil constitutionnel, nous serions pratiquement certains d’être censurés !

Déjà, une censure des dispositions adoptées par le Sénat la semaine dernière ferait malheureusement voler en éclats de nombreux accords locaux. Que l’on ne s’y méprenne pas, monsieur le sénateur Sueur, je ne le souhaite pas ! Je reste très militant dans cette affaire, mais, encore une fois, il faut trouver une rédaction correcte en droit !

En conséquence, je demande le retrait de ces amendements. Sur ce sujet, comme sur d’autres, nous ne ferons peut-être pas l’économie d’une réforme constitutionnelle…

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. On ne dira jamais assez combien la jurisprudence Commune de Salbris a eu des effets dévastateurs dans la plupart des territoires et sur la plupart des intercommunalités. En limitant notre capacité à organiser une bonne représentation des différents élus, à travers des accords passés entre nous, elle a créé des difficultés majeures dans les intercommunalités qui ont dû être recomposées. Une grande part de la frustration qui s’est exprimée découle directement de la perte de cette capacité, qui existait précédemment, à bien représenter l’ensemble des communes.

Bien entendu, j’entends l’argument concernant les risques. Mais il faudra bien, un jour, que nous puissions revenir sur cette jurisprudence. Le Conseil constitutionnel a marqué une évolution, avec sa décision concernant la métropole Aix-Marseille-Provence, mais cela ne suffit pas.

Tant que l’on ne sortira pas d’une stricte conception démographique de la représentation, les territoires rencontreront des difficultés.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Arrêtons d’être tétanisés par des considérations sur ce que dirait s’il était saisi le Conseil constitutionnel ! Nous allons finir par ne plus pouvoir légiférer, juste par peur de sa censure, éventuelle, hypothétique.

Lorsque, le 24 janvier, nous avons adopté dans cet hémicycle la proposition de loi dont est tirée la mesure proposée, il a effectivement été convenu de soumettre au préalable cette disposition au Conseil constitutionnel. Mais pour qu’elle fût soumise au Conseil constitutionnel, encore fallait-il qu’elle fût votée, donc qu’elle arrivât devant l’Assemblée nationale. J’ai précisément demandé au membre du Gouvernement présent ce jour-là si, afin que la mesure puisse s’appliquer pour les prochaines élections municipales, le Gouvernement pouvait s’engager à ce que le texte soit bien présenté devant l’Assemblée nationale. Or il n’a jamais été mis à l’ordre du jour ! Malgré mes interventions multiples, orales ou écrites, on m’a répondu qu’on ne pouvait pas l’y inscrire !

Ainsi, une injustice patente va perdurer jusqu’en 2026, alors que nous avons voté un texte en janvier et que l’on pouvait tout à fait le soumettre à l’Assemblée nationale dans les semaines ou les mois qui ont suivi, puis saisir le Conseil constitutionnel après son adoption.

Par ailleurs, pour vous mettre bien à l’aise, mes chers collègues, je vous conseille de lire la déclaration, que j’ai jugée excellente – je l’ai alors dit en séance et je le redis –, faite par Mme Françoise Gatel, ici même, la semaine dernière.

Vous avez opposé, madame la rapporteure, à ceux qui doutaient de mon premier amendement, la position du Conseil constitutionnel s’agissant de la métropole Aix-Marseille-Provence. Cette position était la suivante : dès lors que l’on respecte un équilibre global, on peut s’affranchir d’une vision stricte des plus ou moins 20 %.

Je serais plutôt partisan de s’appuyer sur cette décision du Conseil constitutionnel, pour en finir avec ces peurs qui n’ont pas de raison d’être, et d’adopter ces amendements, émanant de groupes différents, mais allant tous dans le même sens. Il s’agit simplement d’une disposition de justice pour les petites et moyennes communes de ce pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour explication de vote.

Mme Anne Chain-Larché. Quel message enverrait le Sénat aux communes s’il ne prenait pas ce risque ? Tenir compte de la proportion que représente la population des communes par rapport à la population globale de la communauté de communes – c’est exactement le mode de calcul actuel –, c’est s’avouer que les petites communes disparaîtront à terme… Nous sommes opposés à la disparition des communes, petites ou grandes, car elles constituent la cellule de base de notre démocratie. Je préfère prendre le risque, en maintenant mon amendement ! (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. À mon tour, et à l’instar de M. Éric Kerrouche, je voudrais insister une nouvelle fois sur les dégâts causés par la jurisprudence Commune de Salbris. La semaine dernière encore, j’ai été saisi par une commune, brutalement contrainte de céder un siège au sein d’une communauté de communes, le préfet appliquant naturellement les consignes. Elle ne comprend pas cette décision et se demande ce qu’elle fait encore dans cette communauté de communes, avec le peu de représentativité qu’elle y a.

Je me félicite de l’« aventure », pour reprendre le terme évoqué par M. le ministre, pour laquelle notre assemblée a opté la semaine dernière s’agissant des accords locaux. J’aurais aimé que nous choisissions aussi l’aventure aujourd’hui, au risque, certes, de passer sous les fourches caudines du Conseil constitutionnel et en appelant de mes vœux une révision constitutionnelle sur ce sujet, qui le justifierait.

Donc, pour ma part, je voterai en faveur de ces amendements, ne serait-ce que pour le « fun ». Je ne me vois pas répondre, à la commune qui m’a encore saisi la semaine dernière comme à d’autres, que l’on ne peut rien faire. Essayons, mes chers collègues !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Je veux abonder dans le sens de Jean-Pierre Sueur sur la problématique du Conseil constitutionnel. Nous n’avons pas à faire son boulot ! Nous, nous votons des lois ; nous ne sommes pas là pour raser les murs devant le Conseil constitutionnel ! S’il s’avère qu’il n’est pas d’accord avec une de nos décisions, il l’annulera. En tout cas, nous n’avons pas à anticiper ses prises de position ou à craindre ce qu’il pourrait éventuellement dire.

En outre, j’ai remarqué que, dans cette enceinte, on évoque souvent le Conseil constitutionnel quand on ne veut pas accepter un amendement ou un article. Cela permet de ne pas opposer un refus sur le fond, par le recours à un prétexte de forme.

Pour cette raison, je voterai ces amendements.

Il est évident que les petites communes sont spoliées dans le dispositif actuel. Mais, à mon avis, la faute en incombe, non pas au système de représentation, mais à la loi NOTRe et à ceux qui l’ont votée.

Tout le problème a éclaté à partir du moment où on a construit autoritairement de grandes intercommunalités. Plus celles-ci sont grandes et plus les petites communes sont sacrifiées en termes de représentation !

Le vrai problème, donc, c’est la taille obligatoire des intercommunalités en milieu rural.

En rester à une dimension de 5 000 habitants ne pose aucune difficulté ; le système actuel fonctionne très bien. Mais si, en revanche, on crée des intercommunalités « XXL », avec plus de 100 communes, comme on en trouve dans mon département, les petites communes sont automatiquement marginalisées. Dans un tel cas, on peut bricoler à tout-va : la plupart des petites communes n’auront toujours qu’un délégué !

À cet égard, monsieur le ministre, il faudrait peut-être que le Gouvernement soit un peu plus clair. On entend parfois certains ministres dénoncer l’aberration que représentent les grandes régions ou la taille trop importante de certaines intercommunalités. Je ne veux pas citer de nom, mais vous en connaissez comme moi !

Mme la présidente. Il faut conclure, cher collègue !

M. Jean Louis Masson. Si le Gouvernement acceptait de régler ce problème, nous ne perdrions pas notre temps à discuter de ces amendements !

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.

M. Hervé Maurey. Je voterai en faveur de ces amendements, qui répondent aux attentes des élus locaux, mais correspondent aussi à ce que nous souhaitons au sein de cette assemblée.

Avant la décision Commune de Salbris de 2014, les accords locaux permettaient un fonctionnement plus fluide et souple des intercommunalités. Les communes et les maires pouvaient se mettre d’accord sur une représentation au sein de l’intercommunalité, parfois même égalitaire, indépendamment du niveau de population.

La décision précitée a remis en cause ce fonctionnement et, aujourd’hui, la représentation de chaque commune est établie en fonction de son poids démographique. On sait très bien que cela est mal vécu dans les intercommunalités ; les maires des petites communes ont un peu le sentiment d’être écrasés par les communes plus grandes.

Lorsqu’une commune est représentée par son seul maire, quand une autre dispose d’une cinquantaine de délégués, on aboutit à un déséquilibre. C’est ce qui explique le sentiment de domination des grandes communes sur les plus petites.

Certes, la commission et le Gouvernement ont évoqué le risque d’une censure de la part du Conseil constitutionnel. Au terme d’une question prioritaire de constitutionnalité, une telle censure pourrait fragiliser l’élection des membres de ces intercommunalités. Mais, pour éviter la QPC, il y a une solution très simple : la saisine directe, en application de l’article 61 de la Constitution, à l’issue du vote par le Parlement !

Cette procédure permettrait de savoir sans retard si, oui ou non, les dispositions dont il s’agit posent problème. Ne nous censurons pas en amont. Au fond de lui-même, chacun, dans cet hémicycle, est plutôt favorable à ces amendements. Adoptons-les, puis soumettons ces mesures au Conseil constitutionnel avant leur mise en œuvre. Ce faisant, nous éviterons l’écueil indiqué par le Gouvernement et par la commission.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Sébastien Lecornu, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vais revenir sur quelques-uns des arguments avancés pour défendre ces mesures, auxquelles – je vous l’ai dit – je suis favorable sur le fond.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Sébastien Lecornu, ministre. Je suis donc placé dans une position assez paradoxale, mais de telles situations ne sont pas rares ! (Sourires.)

Tout d’abord, l’on évoque la domination des grandes communes sur les petites. Mais, en regardant la situation d’un peu plus près et en examinant les chiffres, on constate que le problème se pose avant tout pour les communes de taille intermédiaire. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle aboutissent les travaux de la commission des lois. Une commune de 100 habitants disposera d’un délégué, mais une autre commune qui en dénombre 600 ou 700 ne sera pas forcément beaucoup mieux représentée.

M. Bruno Sido. Voilà !

Mme Françoise Gatel, rapporteur. C’est vrai !

M. Sébastien Lecornu, ministre. En somme, dans les intercommunalités, la question se pose avant tout pour la « classe moyenne des communes ». J’entends beaucoup parler des petites communes : en l’occurrence, il s’agit souvent de communes rurales, mais ce ne sont pas forcément les plus petites qu’il convient de défendre.

En outre, monsieur Reichardt, vous vous apprêtez à voter ces amendements « pour le fun ». Comme vous le savez, j’aime bien le « fun », même si je ne suis pas tout à fait certain d’avoir toujours été très « fun »… (Sourires.) Quoi qu’il en soit, chaque groupe politique doit rester conscient de ses responsabilités. Assumer une telle fragilité constitutionnelle, « pour le fun », c’est s’exposer à demander aux 600 000 élus locaux de notre pays, « pour le fun », de voter de nouveau, « pour le fun », pour l’ensemble des exécutifs intercommunaux. (Sourires sur les travées du groupe LaREM.)

Nous sommes entre adultes responsables et, au Sénat, chacun à une bonne expérience des questions territoriales : on peut se lancer dans une aventure « pour le fun »… simplement, il faut l’assumer collectivement, jusqu’au bout !

M. Sébastien Lecornu, ministre. J’y insiste : en cas de QPC, alors que la mise en place des futurs exécutifs locaux serait bien avancée à la suite des élections municipales et communautaires de mars 2020, ou pourrait, outre le « fun » des accords locaux, devoir demander à tout le monde de refaire les élections. Il faut bien en avoir conscience.

Si par ailleurs ce projet de loi restait en l’état, les élections dont il s’agit se feraient au scrutin de liste : je ne le répéterai jamais assez. On peut avancer que les communes rurales seraient défavorisées par rapport aux plus grandes. Mais, à cet égard, on serait en inadéquation avec les mesures votées la semaine dernière par scrutin public, donc, souvent, par les absents… Je le souligne, car je ne le comprends toujours pas.

Monsieur Masson, on peut le dire, vous n’étiez pas là la semaine dernière : nombre de vos amendements devaient être examinés, mais, certainement pour de bonnes raisons, vous n’avez pas pu les défendre. Mes collaborateurs de la direction générale des collectivités locales, comme l’ensemble des administrateurs de la commission des lois, ont néanmoins travaillé sur vos amendements. Cela étant, nous avons déjà répondu à la plupart des interpellations que vous venez de faire, par exemple au sujet des grandes intercommunalités : je n’y reviens pas.

Je n’ai pas spécialement d’intérêt à défendre le Conseil constitutionnel : il se trouve qu’un décret du Président de la République m’a nommé ministre, mais je suis un élu local. Cela étant, je me dois de rappeler devant la Haute Assemblée que personne n’est soumis au Conseil constitutionnel !

Premièrement, cette institution a été imaginée par les pères de la Ve République : elle n’est pas sortie de nulle part. Deuxièmement, le président du Sénat nomme trois de ses membres. Troisièmement, ce n’est pas le Conseil constitutionnel qui, dans notre pays, est le Constituant. Le Constituant est, soit le peuple français, soit les parlementaires, qui représentent le peuple français.

On ne peut pas présenter, notamment aux personnes qui suivent nos débats, le Conseil constitutionnel comme une sorte d’autorité administrative indépendante, siégeant dans un coin, qui ferait ce que bon lui semble. Non ! On peut toujours supposer telle ou telle décision d’opportunité. Mais il s’agit de juges constitutionnels, dont un tiers sont nommés par le patron de cette maison ; de juges décidant sur la base d’un texte, la loi fondamentale, qui est le fruit de notre histoire et qui est l’œuvre à la fois du peuple français, sollicité directement, et des parlementaires, qui ont décidé de la modifier.

On s’étonne que plus personne ne croie en notre démocratie représentative : alors même que, avec ce projet de loi, nous voulons, sinon réinventer, du moins réenchanter la démocratie représentative locale, il faut éviter tout propos qui, en portant atteinte à la Constitution, abîmerait la démocratie représentative globale.

Monsieur Maurey, je n’ai pas lieu de me prononcer sur votre proposition : une saisine du Conseil constitutionnel sans attendre la QPC est du ressort des deux chambres du Parlement. Elle peut être effectuée par un nombre minimal de sénateurs et de députés, ou encore par les présidents des assemblées, et elle peut porter sur tout ou partie du texte.

M. Sueur milite déjà en faveur d’une proposition de loi en la matière : il faut saluer la ténacité avec laquelle il défend ce texte. Je constate également la volonté collective d’avancer : personne, dans cet hémicycle – pas même moi ! –, ne s’est prononcé contre de telles dispositions.

Certains prétendent se moquer du fait qu’elles soient constitutionnelles ou pas, et d’autres se disent prêts à prendre le risque d’une censure. Soit ! Mais, dès lors, le législateur et le Gouvernement doivent agir comme à l’accoutumée, c’est-à-dire sérieusement. Il s’agit, d’une part, de regarder l’impact pour les élus locaux – monsieur Reichardt, je le rappelle, nous sommes face au risque d’un nouveau vote intégral – et, d’autre part, d’interroger celui qui, en vertu de nos institutions, est là pour dire si une mesure est constitutionnelle ou non : le Conseil constitutionnel !

Enfin, merci à chacune et chacun d’entre vous de ce débat : il est au niveau, et il est attendu, non seulement par nos concitoyens, mais aussi par nos 600 000 collègues élus locaux à travers le pays.