M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez reçu le 12 mars 2019 un courrier de Mme la ministre précisant que l’ouvrage en question figurera dans le recensement des ouvrages d’art dits « de rétablissement » en vertu de la loi Didier. Une réunion s’est bien tenue le 7 juin 2019, qui pose les grandes bases de ce que sera éventuellement la convention de répartition des charges. En tout état de cause, cette convention ne pourra être signée qu’à compter du début de l’année prochaine dans la mesure où le recensement est en cours.
M. Olivier Jacquin. Il est recensé !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État. Oui, mais il faut recenser l’ensemble des ouvrages, soit 15 400 ouvrages partout en France et 4 400 ouvrages impliquant VNF à hauteur d’un peu plus de 50 millions d’euros, montant que vous avez cité. Le volume d’ouvrages et les volumes financiers tant sur les réseaux ferrés que sur les réseaux fluviaux ou routiers sont tout à fait considérables. La charge de l’État sera donc importante.
La deuxième partie de votre question portait sur le financement. J’ai évoqué au moins deux pistes : la première est celle de la DETR et de la DSIL ; la deuxième tend à faire sortir ces opérations d’entretien non récurrentes de la section de fonctionnement pour les inscrire dans la section d’investissement des collectivités. Cette dernière piste devra être étudiée dans le cadre de la future loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d’État, je comprends tout à fait cette procrastination face à l’impact financier et eu égard aux difficultés budgétaires de VNF et de la SNCF. Les autoroutiers sont dans une situation un peu différente de ce point de vue. Je m’interroge néanmoins sur le risque d’un accident et d’une crise qui viendraient clarifier la situation et accélérer les choses. C’est une situation que nous ne souhaitons absolument pas. Vous pourrez compter sur mon opiniâtre courtoisie républicaine, selon l’expression utilisée par M. le Premier ministre lors des questions d’actualité, pour suivre ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Monsieur le secrétaire d’État, la mission d’information sur la sécurité des ponts souligne la nécessité d’une gestion patrimoniale des ponts. Nous avons tous des exemples, dans nos territoires respectifs, de ponts vieillissants, insuffisamment entretenus, fermés à cause d’un péril imminent. Souvent, il s’agit d’ouvrages majeurs, alors même que nous n’avons aucune idée précise de l’état des petits ponts fortement endommagés.
Un exemple emblématique dans le département de la Loire-Atlantique est le pont de Saint-Nazaire, point stratégique majeur reliant la Bretagne à la Nouvelle Aquitaine en passant par la Vendée et le Poitou. Construit en 1975, il est le plus long de France avec plus de 3,3 kilomètres – ce titre ne revient donc pas au pont de Normandie qui vous est cher, monsieur Maurey ! (Sourires.) Ce pont à haubans qui enjambe l’estuaire de la Loire est particulièrement surveillé. Près de 30 000 véhicules le franchissent chaque jour.
Le département de Loire-Atlantique, chargé de son entretien, doit faire face aux besoins permanents de travaux de consolidation. Le béton est dégradé par les embruns maritimes. Les campagnes d’entretien sont longues et coûteuses pour les collectivités territoriales : de 2010 à 2014, le pont a fait l’objet de 20 millions d’euros de réparation sur sa partie sud et de 8 millions d’euros sur sa partie nord en 2018. Il a même fallu prévenir l’affaissement des travées en renforçant des poutres en béton. Tous les trois ans, des spécialistes auscultent sur plusieurs mois les semelles et les fondations immergées des piles.
Je viens d’évoquer la situation du plus long pont de France, lui-même touché par les outrages du temps. Mais, à côté des ouvrages de premier ordre, combien de petits ponts subissent des désordres dans l’indifférence ? On estime à plus de 200 000 ces ouvrages qui structurent les voies de nos communications quotidiennes.
La mission d’information souhaite intégrer dans les budgets des collectivités locales les dépenses de maintenance des ouvrages. Nous attendons un signal fort de l’État, car un tiers des ponts sous sa responsabilité sont en mauvais état. Quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux excellentes préconisations contenues dans ce rapport ?
On dit : pas de stationnement, pas de commerces. Il en va de même pour l’économie : sans infrastructures, il n’y a pas de vie ni de développement économiques !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, en raison de ses grandes dimensions, le pont que vous évoquez pourrait être équipé pour des démarches exploratoires, à l’instar de celles qui sont actuellement entreprises en Italie après le drame que nous avons tous en mémoire. Cela permettrait un suivi très précis, notamment grâce à l’analyse des vibrations, et nous pourrions organiser des opérations d’entretien et de maintenance plus adéquates.
Pour ces ouvrages, notamment pour les plus importants qui sont à la charge du conseil départemental, il serait intéressant d’expérimenter ce type d’équipement pour en mesurer les apports, tant sur le suivi en temps réel que sur les économies de moyens et de finances.
Les premières indications dont nous disposons font valoir que ces économies seraient tout à fait substantielles dans la mesure où de telles analyses permettent d’allouer plus efficacement les moyens.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. L’effondrement du pont de Gênes a révélé un souci global quant à la sécurité des infrastructures. Ma question sortira du sujet des ponts, mais porte néanmoins sur la sécurité des structures.
À la suite d’un accident tragique survenu dans mon département – la chute d’un balcon à Angers en 2016 –, j’avais attiré l’attention du Gouvernement sur la nécessaire certification des armatures du béton. Le béton armé est le matériau de construction le plus utilisé en France. L’incorporation d’armatures est indispensable au renforcement de la solidité de l’ouvrage, mais des armatures de mauvaise qualité ou une pose incorrecte peuvent avoir des conséquences dramatiques.
À la fin de 2017, le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, nous avait annoncé le lancement d’une étude confiée à l’Agence Qualité Construction consacrée à la sinistralité affectant les balcons. Ce travail a été mené et achevé cet été. Il a recensé un certain nombre de malfaçons récurrentes que je ne détaillerai pas ici, puisqu’elles concernent les balcons. Néanmoins, dans 15 % des dossiers, un défaut sur la structure des balcons a été relevé, avec un placement défaillant ou une mauvaise mise en œuvre du béton.
L’étude propose des perspectives d’amélioration, avec l’instauration d’audits ou des contrôles de la disposition des armatures. Mais qu’en est-il de la certification des armatures ? Plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, l’Espagne, la Belgique, ont introduit une certification obligatoire pour les entreprises fabricant ou mettant en œuvre ces armatures.
L’Association française de certification des armatures du béton alerte les pouvoirs publics depuis plusieurs années sur la nécessité de recourir à des armatures de qualité et à des entreprises de pose compétentes. J’ai relayé ses préoccupations il y a deux ans déjà. Seules 50 % des entreprises du secteur sont aujourd’hui titulaires de cette certification. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d’État, nous indiquer ce qu’il en est aujourd’hui de cette demande ? Ma question ne concernant pas directement les ponts, je comprendrai que vous me fassiez une réponse différée.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous me surprenez en flagrant délit d’incompétence sur le sujet. Je vais me rapprocher de mon collègue ministre de la cohésion des territoires pour avoir accès au dossier et vous adresser une réponse écrite, qui sera certainement plus précise et plus intéressante que celle que je pourrais vous faire ici ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d’État, comme la pédagogie est affaire de répétition, je rappellerai à mon tour que, le 14 août 2018, le viaduc dessiné par l’ingénieur civil Riccardo Morandi s’effondrait à Gênes, en Italie, faisant quarante-trois morts, dont quatre de nos compatriotes. Comme souvent, il aura fallu attendre une terrible catastrophe pour mettre en évidence le vieillissement de ce type d’infrastructures et se pencher, par voie de conséquence, sur leur état en France. Dès lors, cela nous renvoie évidemment au défi lié à leur entretien.
Je tiens à cet instant à remercier nos collègues sénateurs Patrick Chaize et Michel Dagbert pour avoir conduit ce travail particulièrement utile avec la mission d’information sur la sécurité des ponts.
Bien entendu, plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d’alarme et appellent à investir davantage. Mais la véritable question, comme d’habitude, est : « Qui va payer ? »
Premier constat, en France, ce sont les collectivités territoriales qui sont en première ligne. Il s’agit d’une spécificité française ! Les communes et les départements gèrent près de 90 % de ces ouvrages d’art. Je suis marqué par le désarroi des élus locaux qui gèrent des communes de taille modeste. Aujourd’hui, 20 % des ponts communaux présenteraient une structure altérée ou gravement altérée, soit un total de 16 000 ponts potentiellement dangereux. Or les communes manquent de ressources financières pour régler ce problème.
Je prendrai un exemple que je connais bien, celui de Limours, commune dont j’ai été maire pendant dix-sept ans et qui ne se situe ni en Loire-Atlantique ni en Normandie, mais dans l’Essonne, à 30 kilomètres de Paris. Comment, monsieur le secrétaire d’État, cette commune peut-elle entretenir, entre autres, vingt-cinq bâtiments communaux, une église du XVIe siècle, 56 kilomètres de voirie, 100 kilomètres de canalisations, trois ponts et un viaduc avec une dotation globale de fonctionnement en retrait de 650 000 euros sur quatre ans ?
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d’État : la création d’un fonds d’aide spécifique aux collectivités locales est-elle envisageable afin de leur permettre d’effectuer un suivi patrimonial des ponts et d’entreprendre les travaux nécessaires à leur sécurisation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d’État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, puisque la pédagogie est l’art de la répétition, je préciserai de nouveau le cadre dans lequel nous souhaitons financer les travaux nécessaires en ce qui concerne les ponts.
Le projet de loi d’orientation des mobilités fixe la trajectoire pour les ponts relevant de l’État, soit 120 millions d’euros par an, certes pour 2 % des ponts, mais qui subissent 20 % du trafic routier. C’est une somme tout à fait significative. Il incombera effectivement à l’État de trouver des financements supplémentaires pour financer la charge sur les 15 400 ouvrages que nous avons évoqués au cours du débat. Il faudra répartir la responsabilité en droit et la responsabilité financière. L’État et les collectivités devront trouver les voies et moyens, en s’appuyant sur les différents dispositifs que j’ai cités.
J’ajoute que le Gouvernement n’a pas l’intention de tomber dans la procrastination, pour reprendre les mots de M. Olivier Jacquin. Je salue MM. les rapporteurs, Patrick Chaize et Michel Dagbert, qui ont fait œuvre utile, sous la présidence de M. Hervé Maurey. Leur travail permet d’éclairer d’un jour nouveau et de voir d’un œil aiguisé ce sujet important non seulement pour la sécurité des personnes, mais aussi pour la régénération de nos réseaux, dont la dégradation participe parfois au sentiment de relégation et d’abandon dans les territoires.
Nous prenons ce problème très au sérieux à la fois sur le plan de la sécurité, mais aussi sur le plan politique. Vous pouvez compter sur nous pour apporter les réponses nécessaires.
Conclusion du débat
M. le président. En conclusion de ce débat, la parole est à M. le président de la commission.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Je me réjouis de ce débat et je remercie les rapporteurs de leur travail. Je salue également l’ensemble des groupes politiques qui ont participé aux travaux de la mission. Je remercie M. le secrétaire d’État. Même s’il a déjà participé à une séance de questions au Gouvernement dans cet hémicycle, c’est un peu aujourd’hui son baptême du feu. Nous avons bien travaillé ensemble sur la loi pour un nouveau pacte ferroviaire. C’est donc un plaisir de le retrouver aujourd’hui.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez annoncé que, à l’avenir, les travaux sur les ponts pourraient être imputés dans les dépenses d’investissement, ce qui permettra notamment aux collectivités locales de récupérer la TVA. Si c’était confirmé, ce serait une bonne nouvelle. Mais force est de constater qu’il ne s’agit que d’une des dix propositions que nous avons formulées. Nous sommes donc loin du plan Marshall que nous avions appelé de nos vœux !
En France, 25 000 ponts sont jugés à risques. Même si la situation est plus satisfaisante en ce qui concerne les ponts d’État, 7 % d’entre eux ne sont pas dans un état satisfaisant.
J’ai noté avec plaisir que la trajectoire budgétaire en matière d’entretien des ponts était positive. On y consacrait en moyenne environ 40 millions d’euros. On y consacrera 79 millions en 2020 et 120 millions en 2022 : c’est effectivement la somme nécessaire, d’après l’État lui-même, pour entretenir son réseau. Nous devrons parvenir rapidement à de tels financements, car plus on tarde à entretenir les ponts, plus les moyens nécessaires à leur réparation seront importants. Si nous ne faisons rien aujourd’hui, nous serons confrontés dans dix ans à deux fois plus de ponts en mauvais état !
Si l’on compare nos ratios en termes d’entretien des ponts par rapport aux autres pays, la France est très loin de l’Allemagne, par exemple, ou d’autres pays de l’OCDE.
En ce qui concerne les collectivités locales, nous l’avons bien mesuré, la situation est beaucoup plus préoccupante. Cela ne vaut pas tant pour les départements qui, grosso modo, arrivent à faire face, car ils disposent de services compétents, que pour les communes et les communautés de communes.
Comme Didier Mandelli, je ne peux que regretter que le dispositif que nous avons voté dans le projet de loi d’orientation des mobilités pour obliger l’État à aider les collectivités locales à entretenir les ponts n’ait pas prospéré à l’Assemblée nationale. Il faut d’abord aider les communes et les communautés de communes à recenser leurs ponts, puis les aider à les réparer.
J’ai souvent cité l’exemple d’un pont de mon département où l’on a découvert un beau matin qu’il manquait un pilier ! Fort heureusement, il relevait de la compétence de la communauté de communes, qui dispose d’un peu plus de moyens que la commune. Mais dans le département de l’Eure, où il n’y a pas de DETR sur les ponts, il en a coûté 300 000 euros à la communauté de communes. Un deuxième pont était dans le même état que le premier, la communauté de communes a donc dû débourser près de 1 million d’euros pour ces deux ponts.
Dans d’autres départements, comme l’Essonne ou la Seine-et-Marne où nous sommes allés dans le cadre de notre mission, la compétence « ponts » est restée aux communes. En conséquence, à 50 kilomètres de Paris, des communes ont dû purement et simplement fermer leurs ponts à la circulation, ce qui pose des problèmes sur lesquels je n’ai pas besoin de m’étendre.
Je regrette, comme M. Corbisez, que l’on n’ait pas décidé d’utiliser le fonds créé pour faire face à l’entretien des tunnels à la suite de la catastrophe du Mont-Blanc pour réaliser les travaux nécessaires sur les ponts. Une fois de plus, je déplore que, dans notre pays, il faille attendre une catastrophe pour parvenir enfin à dégager les moyens nécessaires !
Au-delà du financement, le besoin d’ingénierie n’est pas satisfait aujourd’hui avec la suppression de l’assistance technique de l’État pour des raisons de solidarité et d’aménagement du territoire, l’Atesat, en 2014. Quant à savoir ce que pourra vraiment faire l’Agence nationale de la cohésion des territoires, l’ANCT, en matière d’ingénierie, nous sommes quand même collectivement dans le flou.
Par ailleurs, en ce qui concerne le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement, le Cérema, on peut s’inquiéter de constater chaque année dans les budgets successifs que ses moyens humains sont en régression. Aujourd’hui, le Cérema intervient déjà beaucoup plus pour l’État que pour les communes, alors qu’il a été initialement constitué pour aider les communes.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, on a eu Gênes, on a eu Taïwan, on a failli avoir Gennevilliers. J’aimerais que la série s’arrête là et que l’État, dont je connais les contraintes budgétaires, soit en mesure de faire le nécessaire pour éviter un drame dans notre pays. Il s’agit certes de sommes importantes, mais elles sont néanmoins bien minimes au regard de l’enjeu que représente la sécurité de nos concitoyens. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur les conclusions du rapport d’information : Sécurité des ponts : éviter un drame.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
9
Communication d’un avis sur un projet de nomination
M. le président. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-338 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission de l’aménagement du territoire a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 29 voix pour, aucune voix contre – à la nomination de M. Jean-Pierre Farandou aux fonctions de président du directoire de la SNCF.
10
Intelligence artificielle
Débat organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « L’intelligence artificielle : enjeux politiques, stratégiques et économiques. »
Nous allons procéder au débat sous la forme d’une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l’auteur de la demande dispose d’un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l’issue du débat, le groupe auteur de la demande dispose d’un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
Dans le débat, la parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe auteur de la demande. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Yvon Collin, pour le groupe RDSE. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, parce qu’elle concentre de forts enjeux stratégiques, éthiques et économiques, l’émergence de l’intelligence artificielle est communément qualifiée de quatrième révolution industrielle.
Aussi, le RDSE a souhaité que le Sénat en débatte ce soir. J’en profite pour saluer les travaux du groupe de suivi de notre assemblée qui s’est emparé de ce sujet dès 2017.
Si l’intelligence artificielle fut pour la première fois évoquée en 1956 dans le cadre d’une conférence universitaire aux États-Unis, ce sont les recherches technologiques les plus récentes qui permettent son développement fulgurant.
Je ne m’attarderai pas sur sa définition qui, vous le savez, interroge souvent, tant cet outil est « disruptif ».
Pour faire simple, je dirais qu’il s’agit de seconder l’intelligence humaine pour augmenter celle-ci… La compilation de données du big data combinée à la puissance de calcul ouvre des horizons incroyables pour effectuer des fonctions, pas forcément toujours mieux que le ferait un homme, mais en tout cas beaucoup plus rapidement.
Au cours des dernières années, l’intelligence artificielle a investi de nombreuses applications qui commencent à envahir notre quotidien : voitures autonomes, diagnostics médicaux, finance algorithmique, robots industriels, jeux vidéo…
Ces applications ne sont que le début d’un développement irréversible, une tendance qui charrie également nombre de craintes et de phantasmes. Je balaierai tout de suite celui de la perte du contrôle de l’intelligence artificielle, qui conduirait la machine à échapper à son créateur, une situation largement véhiculée par des œuvres de fiction littéraire ou cinématographique.
Même si je n’ignore pas la lettre ouverte cosignée en 2015 par 700 chercheurs de renom alertant l’opinion sur l’hypothèse d’une « intelligence artificielle malveillante ou trop autonome », je pense qu’il est préférable de croire à la possibilité d’en fixer les limites, d’en encadrer les usages. Raisonner autrement nous obligerait à renoncer à une partie du potentiel offert par l’intelligence artificielle et à laisser des États moins scrupuleux s’en emparer complètement.
Par ailleurs, relativisons la vision d’une intelligence artificielle triomphante. En effet, si la machine peut atteindre une puissance extraordinaire pour la réalisation de nombreuses tâches, il lui manquera toujours ce qui fait notre singularité et notre supériorité sur elle en tant qu’êtres vivants : l’intuition et l’imagination.
Cette inquiétude pose en tout cas le débat des enjeux éthiques. Je m’arrêterai un instant sur la question de la protection des données, la matière première qui alimente l’intelligence artificielle.
Notre pays est particulièrement soucieux de la protection des données, tout comme l’Union européenne, qui dispose d’un marché de 500 millions de consommateurs qu’elle doit impérativement protéger.
C’est tout le sens des dernières législations adoptées par l’Union, au premier rang desquelles le règlement relatif à la libre circulation des données à caractère non personnel, la directive concernant la réutilisation des informations du secteur public, ou encore les règles relatives à la cybersécurité. L’Europe s’est dotée d’un véritable cadre juridique, que l’on ne peut qu’applaudir.
Au-delà de la protection des données, il doit aussi être question de responsabilité, de transparence des algorithmes et d’information sur les décisions sous-jacentes aux applications. L’intelligence artificielle doit également être inclusive, et ce à double titre : n’oublier personne pour les bénéfices qu’elle apporte, et protéger tout le monde des bouleversements qu’elle pourrait induire sur le plan sociétal. Je pense en particulier à l’organisation du travail, qui pourrait être impactée à la fois négativement et positivement.
Dans ces conditions, mes chers collègues, et comme le souligne très clairement le rapport intitulé Donner un sens à l’intelligence artificielle : pour une stratégie nationale et européenne, remis au Gouvernement par Cédric Villani et rendu public l’année dernière, doit-on autoriser l’accès aux données européennes à des entreprises qui ne seraient pas implantées en Europe et qui ne se plieraient donc pas à nos principes éthiques ?
Cette réserve s’impose en raison de la domination des Gafam sur la récupération de données et, plus globalement, en raison de la compétition entre la Chine et les États-Unis qui prend en étau l’Union européenne.
Nous savons, s’agissant des États-Unis, que les Gafam leur donnent un avantage considérable. Leur avance en termes de collecte des données, de matériel de pointe et de recherche sera – soyons lucides – difficilement rattrapable. Les investissements qu’ils consacrent à l’intelligence artificielle, cumulés à ceux que les pouvoirs publics américains injectent de leur côté par le biais de leurs grandes agences, leur confèrent un leadership indétrônable pour les années qui viennent. Quant à la Chine, elle ambitionne de contester ce leadership en investissant chaque année plusieurs dizaines de milliards d’euros dans l’intelligence artificielle.
Dans ce contexte, quel est le niveau de l’ambition européenne ? En avril 2018, la Commission a jeté les bases d’une stratégie sur l’intelligence artificielle ayant pour but d’augmenter les investissements publics et privés, afin qu’ils atteignent au moins 20 milliards d’euros par an au cours des dix prochaines années. Monsieur le secrétaire d’État, où en sommes-nous de cet objectif financier ?
Il y a urgence. Le manque de capitaux dans les entreprises innovantes aboutit parfois à la perte de fleurons européens, comme ce fut le cas en 2016 avec le rachat de l’entreprise anglaise DeepMind par Google et de l’allemande Kuka par un groupe chinois.
En février dernier, le Conseil européen a confirmé les propositions de la Commission visant à faire de l’Europe un acteur de premier plan dans le domaine de l’intelligence artificielle, et souhaité que les États membres investissent dans tous les secteurs économiques. Soit ! Mais, à cet égard, compte tenu des besoins colossaux de financements, il me semblerait pertinent que chacun des États membres s’emploie plutôt à performer sur un segment, tandis que l’Union européenne positionnerait de son côté des champions européens sur divers secteurs par le biais des « projets importants d’intérêt européen commun », les Piiec.
Parmi les secteurs que notre pays doit privilégier, je pense à celui de la santé, dont la croissance du volume de données créées sera la plus forte d’ici à 2025. Dans ce domaine, compte tenu de son système de protection sociale, la France dispose d’un atout de taille : une centralisation forte des données par l’administration. Nous avons par ailleurs intégré le règlement général sur la protection des données, le RGPD, dans notre législation, ce qui doit permettre de garantir la sécurité de l’exploitation de données médicales, des données qui sont bien entendu intrinsèquement sensibles.
Je citerai également le secteur de la sécurité, comme l’a préconisé la ministre des armées à Saclay le 5 avril dernier. Il s’agit là, pour des raisons stratégiques évidentes, de nous appuyer sur l’intelligence artificielle pour conserver notre supériorité opérationnelle.
Dans le monde numérique qui nous attend, le principal défi est de pouvoir conserver notre souveraineté, qu’elle soit économique, politique ou stratégique. Le maintien de notre indépendance par le développement de nos propres outils d’intelligence artificielle est le gage de la protection des libertés de nos concitoyens, de notre territoire et d’une transformation douce de notre économie pour réaliser une répartition juste de la valeur au bénéfice de tous.
Ce défi, vous l’aurez compris, impose la mobilisation de moyens considérables afin de nous permettre d’agir en amont plutôt que de subir.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vous remercie d’avoir été attentifs à mon intervention, qui n’a pas été rédigée à la plume Sergent-Major, mais qui n’est pas non plus le fruit d’un algorithme, bien heureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)