M. le président. Il est important qu’au travers du Sénat l’ensemble de la population soit informé, monsieur le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je vous remercie de me permettre de préciser les choses de la façon la plus claire possible.
Madame la sénatrice, vous avez évoqué la possibilité de faire reconnaître l’état de catastrophe technologique. Un certain nombre d’élus rouennais m’ont également saisi de cette question. La loi Bachelot de 2003, qui a créé cette possibilité, a mis en place un régime d’indemnisation des victimes de catastrophes technologiques. Ce régime, je le dis au Sénat, vise à faciliter le traitement des accidents qui ont eu un très fort impact sur les biens immobiliers et mobiliers en s’appuyant sur le précédent d’AZF à Toulouse en 2001 : des milliers de logements avaient alors été affectés, voire rendus inutilisables.
Dans le cas présent, les critères qui ont été définis dans la loi ne semblent pas en première analyse adaptés. En effet, il n’y a pas eu de dommages importants sur les logements dans l’environnement du site. Par ailleurs, le dispositif tel qu’il a été conçu ne concerne pas l’indemnisation des producteurs agricoles.
Cela étant, il y a un acteur que nous n’avons pas encore mentionné. Dans tous les cas, je veillerai à ce que des mesures soient prises pour l’indemnisation immédiate des agriculteurs qui, en vertu du principe de précaution, voient leur production non commercialisée, mais aussi des riverains et de l’ensemble de ceux qui subissent un préjudice ou un dommage. Je veillerai à ce que rien ne vienne exonérer la responsabilité de l’industriel, car en matière d’installations classées, le régime juridique qui a été établi puis complété par la loi prévoit qu’il y a bien un responsable : il s’agit de l’entreprise, de l’acteur industriel qui est responsable des dommages causés au voisinage du fait des activités qu’il mène à l’intérieur d’un site.
Enfin, s’agissant de la demande de mise en place d’un suivi médical de long terme et d’une étude épidémiologique, évidemment, comme pour ce qui concerne la transparence, le Gouvernement mettra tout en œuvre pour dire, pour mesurer et pour faire connaître l’ensemble des causes et des conséquences de cette catastrophe industrielle dont nous souhaitons – nous allons y veiller – qu’elle ne devienne pas une catastrophe sanitaire ou une catastrophe environnementale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser pour le temps que j’ai pris pour répondre à cette question, mais il me semblait important d’aller jusqu’au bout. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour la réplique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Je vous remercie de vos réponses, monsieur le Premier ministre. Vous l’avez reconnu, la crise est grave : elle est sanitaire, écologique, économique. Elle nous conduit à nous interroger sur la sécurité des sites Seveso en général. Sommes-nous bien préparés à gérer ces crises industrielles, même si, vous l’avez dit, nos pompiers ont été absolument extraordinaires ? Toutes les leçons ont-elles été tirées de la catastrophe d’AZF ? La question se pose.
Nous allons prendre nos responsabilités au Sénat, mes chers collègues, et créer une commission d’enquête ou une mission d’information commune qui nous permettra d’effectuer un suivi très strict de cette situation et des analyses qui nous sera utile pour progresser et faire en sorte qu’un tel drame ne se reproduise pas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
agenda rural
M. le président. La parole est à M. Didier Rambaud, pour le groupe La République En Marche.
M. Didier Rambaud. Madame la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, lors du congrès des maires ruraux de France, vous avez présenté avec le Premier ministre le plan d’action du Gouvernement dit « agenda rural ». Ce dernier comporte 173 mesures proposées à la suite du travail réalisé par une mission d’élus.
Pour reprendre votre expression, vous souhaitez faire du « cousu main ». Vous avez raison : il existe non plus une seule ruralité, mais plusieurs formes de ruralité, depuis l’hyper-rural jusqu’au périurbain en passant par la montagne.
En tant qu’ancien maire d’une commune rurale, Châbons, et d’un bourg-centre, le Grand-Lemps, j’accueille donc ce plan avec beaucoup d’espoir.
Espoir, car de nombreuses mesures annoncées sont attendues depuis longtemps : la revitalisation des centralités, avec le soutien aux petits commerces, le développement des lieux de convivialité, notamment l’opération 1 000 cafés dans les villages, ou encore le renforcement de l’accompagnement de la jeunesse de ces territoires, en lui facilitant l’accès aux services dont elle n’a pas toujours connaissance – les cartes de réduction, le permis à un euro, etc. – et d’autres propositions relatives à la culture, à l’accès au numérique ou à notre système de santé.
Vous le savez bien, madame la ministre : après le temps des annonces doit venir le temps des actes concrets. Afin de garantir la bonne réalisation des mesures de ce plan d’action, pouvez-vous nous préciser la méthode employée pour définir la carte de géographie prioritaire des ruralités, ainsi que le calendrier de cet agenda ? Quand ces territoires pourront-ils concrètement en ressentir les effets et répondre à des appels à projets ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le sénateur Rambaud, nous partageons l’analyse selon laquelle il existe non pas une, mais des ruralités. Et il faut effectivement passer des annonces aux actes concrets pour améliorer la vie quotidienne des habitants de nos campagnes.
Pour y parvenir, vous l’avez rappelé, nous avons donné suite à un grand nombre de propositions de la mission agenda rural, dont je tiens à saluer la qualité du travail. La mission avait notamment recommandé d’élaborer une géographie prioritaire des territoires ruraux. Le Gouvernement a décidé de suivre cette recommandation, car nous pensons qu’il est nécessaire de concentrer nos efforts dans les territoires qui en ont le plus besoin.
Aujourd’hui, vous le savez, il existe des zones de revitalisation rurale, les fameuses ZRR, qui sont importantes pour les territoires. Elles couvrent près d’une commune sur deux dans notre pays, et leur effet nécessite d’être évalué. Vous êtes d’ailleurs un certain nombre sur ces travées à partager ce point de vue – je pense en particulier à Bernard Delcros, Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau qui viennent de rendre un rapport sur ce sujet.
C’est la raison pour laquelle nous avons pris deux décisions : tout d’abord, prolonger jusqu’à la fin de l’année 2020 le zonage ZRR pour les 4 074 communes qui devaient en sortir en juin prochain ; ensuite, travailler sur une nouvelle géographie prioritaire. Nous avons une année pour le faire, et je le dis dès à présent : cette nouvelle géographie prioritaire sera naturellement définie en lien avec les membres de la mission, mais aussi les associations d’élus, et bien sûr des parlementaires.
La méthode du Gouvernement est constante : partir des besoins des territoires et coconstruire les solutions avec ceux qui les représentent.
devenir de la mission de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires
M. le président. La parole est à M. Stéphane Artano, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Stéphane Artano. Monsieur le Premier ministre, en 2013, sous l’impulsion de nos collègues Jacques Mézard et Alain Milon, le Sénat constituait une commission d’enquête sur les dérives sectaires dans le domaine de la santé qui a formulé 41 recommandations pour répondre à cette problématique.
La première conséquence des dérives sectaires dans le domaine de la santé est un nombre important de décès prématurés chaque année ; personne ne peut l’ignorer.
Ne nous y trompons pas : ce phénomène touche toute la société et justifie pleinement l’existence de la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, la Miviludes, créée en 1996 sous une première forme. Son efficacité n’est plus à démontrer. Récemment encore, c’est elle qui a révélé l’affaire des essais cliniques non autorisés sur 350 personnes souffrant des maladies de Parkinson et d’Alzheimer.
Ce service, disposant d’un savoir-faire que de nombreux pays nous envient, est considéré comme unique au monde, parce qu’il est à la fois observatoire et régulateur.
Depuis un an, cette mission placée sous votre autorité, monsieur le Premier ministre, n’a plus de président, et je le regrette. Depuis plusieurs mois, des rumeurs circulent sur un rattachement au ministère de l’intérieur auprès du comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation ou du bureau central des cultes. Ce rattachement a d’ailleurs déjà été évoqué ou suggéré par la Cour des comptes en 2017.
Il semblerait que ce rattachement au titre de la police administrative de la prévention ait été récemment confirmé par le ministère de l’intérieur. Est-ce à penser que la Miviludes perdrait, de fait, ses pouvoirs en matière de police judiciaire ?
La Miviludes est indispensable dans notre société, touchée à tous les niveaux par les dérives sectaires et les phénomènes d’emprise mentale.
Monsieur le Premier ministre, j’aimerais – et je ne suis pas le seul sur ces travées – connaître vos intentions quant à l’avenir de la Miviludes et à son possible rattachement au ministère de l’intérieur : dans quelles conditions, si cela est confirmé, avec quels moyens et pour quelle mission l’envisagez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d’État auprès du ministre de l’intérieur. Monsieur le sénateur Artano, en 2002 a effectivement été créée la Miviludes, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires.
Cette dernière exerce des missions extrêmement importantes : d’abord, celle d’analyser le phénomène des dérives sectaires, qui, vous le savez, est mouvant, évolutif – nous l’avons observé au cours de ces vingt dernières années ; ensuite, celle d’assurer la coordination de la politique préventive et répressive de la lutte contre les dérives sectaires ; enfin, la Miviludes joue un rôle extrêmement important en matière de formation des agents publics, et d’une manière générale, de sensibilisation du public sur ce que sont les dérives sectaires.
Permettez-moi de faire trois observations.
Premièrement, nous constatons que les missions exercées par la Miviludes aujourd’hui impliquent sans doute une meilleure synergie, un meilleur partage de compétences avec d’autres organismes qui ont vu le jour depuis 2002 et qui sont également compétents en matière d’emprise, notamment mentale : je pense particulièrement au comité interministériel de la prévention de la délinquance et de la radicalisation.
Deuxièmement, un rapport de la Cour des comptes datant de 2017 soulevait l’hypothèse d’un rattachement de la Miviludes au ministère de l’intérieur.
Troisièmement, et c’est une remarque de bonne administration, de bonne gestion, il est de bonne politique que les politiques publiques soient menées dans les ministères sous l’impulsion et la coordination du Premier ministre et de son cabinet.
Pour ces raisons, il a été décidé de rattacher la Miviludes au ministère de l’intérieur, où ses compétences s’exerceront en parfaite synergie en matière d’emprise ou de radicalité avec d’autres compétences.
Je peux toutefois vous indiquer, monsieur le sénateur, ainsi d’ailleurs qu’à l’ensemble de cette assemblée, que les missions et les moyens de la Miviludes ne seront absolument pas remis en cause. Il ne s’agit pas de revenir sur le bilan extrêmement positif de la Miviludes depuis vingt ans.
Nous veillerons d’ailleurs à ce que la nouvelle organisation ne se réduise pas à la lutte contre une seule forme d’emprise : l’ensemble des phénomènes de dérives sectaires sera appréhendé dans le cadre de ses missions. Moyens et missions seront maintenus. La détermination du Gouvernement à lutter contre le phénomène des dérives sectaires reste pleine et entière. (Applaudissements sur des travées du groupe LaREM.)
incendie de lubrizol à rouen
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Mme Céline Brulin. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, vous avez enfin accepté de publier la liste des produits stockés chez Lubrizol, mais j’imagine et j’espère que les services de l’État en disposaient avant. Alors, pourquoi ne pas avoir fait évaluer dès les premières heures de l’incendie les conséquences sur la santé humaine et des animaux, sur l’air, l’eau, les sols ou les cultures de la combustion de ce cocktail de substances ?
Face aux effets sur la santé des populations touchées, quel plan d’action sanitaire, quel suivi épidémiologique comptez-vous concrètement mettre en œuvre ? Qu’est-il prévu pour les salariés présents sur le site lors de l’incendie, pour les sapeurs-pompiers ou les forces de l’ordre qui sont intervenus, qui ont mis leur vie en jeu et qui ont souvent l’impression, comme nos concitoyens, qu’ils courent de grands risques ?
Les élus locaux seront finalement réunis comme nous le demandions. Pouvez-vous nous garantir qu’ils seront désormais consultés et associés à chaque nouvelle étape ? Leur mise à l’écart, l’isolement et même le mépris qu’ils ont ressenti sont inacceptables, mais surtout contre-productifs. Vous vous êtes privés d’acteurs majeurs dans la gestion de la crise.
L’usine Lubrizol a bénéficié de ce que vous appelez des « simplifications » de la législation. Il s’agit en réalité d’un détricotage du droit de l’environnement et d’un recul sur les exigences de sûreté, en l’occurrence l’augmentation des stocks sans étude de danger. Allez-vous abandonner vos projets d’alléger encore les obligations d’évaluation environnementale pour les sites industriels ? Sans attendre la commission d’enquête sénatoriale, dont nous nous réjouissons, nous voulons, comme la population, des réponses précises à ces questions précises. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Céline Brulin, tout d’abord, comme le Premier ministre et d’autres collègues, je me suis rendue sur le site. Je mesure donc pleinement à la fois l’émotion et l’inquiétude des populations qui ont été touchées par cette catastrophe industrielle.
Permettez-moi de vous redire l’engagement du Gouvernement à agir avec la plus grande exigence et dans une transparence totale.
C’est dans cet esprit que, dès le début de l’incendie, des mesures ont été réalisées et ont concerné à la fois l’air et les retombées du panache de fumée, donc les suies qui se sont déposées. Cette surveillance de l’environnement a été effectuée depuis le départ. Les analyses dont nous disposons aujourd’hui ont fait apparaître qu’il n’y avait pas de concentration anormale de produits, que ce soit dans l’air ou dans les suies.
Le préfet a publié hier la liste des produits qui se trouvaient sur la partie incendiée du site, laquelle représente 15 % de ce dernier. Cette liste a dû être établie à notre demande par l’industriel, parce que, comme vous le savez, les autorisations, qui ne sont au demeurant plus publiques pour les raisons exprimées par le Premier ministre, portent sur la totalité du site. Or ce qui était requis, c’était la liste des produits présents sur la partie incendiée du site. Celle-ci a été diffusée dès qu’elle nous a été remise par l’industriel.
Maintenant que nous en disposons, Agnès Buzyn et moi-même allons saisir l’Anses et l’Ineris pour savoir s’il faut réaliser des analyses supplémentaires.
Je peux en tout cas vous assurer de la totale détermination du Gouvernement à garantir la plus grande transparence, à répondre à toutes les questions des élus, qui seront associés à toutes les étapes du processus, et, bien sûr, à fournir tous les éléments à la commission d’enquête.
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour la réplique.
Mme Céline Brulin. Nous devons être collectivement conscients que les réponses que vous apportez, madame la ministre, et qui nous sont un peu répétées en boucle ne répondent pas à la colère qui se développe parmi nos concitoyens.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Céline Brulin. Il y a une aspiration immense à ce que l’État protège, et cette demande est légitime. Il faut l’entendre et y répondre très concrètement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
incendie à rouen (i)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
M. Didier Marie. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, permettez-moi d’associer à mon intervention Nelly Tocqueville, sénatrice de Seine-Maritime, et mes collègues des Hauts-de-France.
Il y a six jours, l’agglomération de Rouen a vécu la plus importante catastrophe industrielle connue depuis le drame d’AZF en 2001. L’incendie de l’usine Lubrizol a généré un gigantesque nuage de fumée noire épaisse et nauséabonde, dont les particules ont tapissé jardins, cours d’école, habitations et récoltes, constituant une véritable marée noire terrestre. Le pire a été évité grâce au courage de 240 sapeurs-pompiers et au personnel de l’usine, dont je salue le dévouement.
Mais, monsieur le Premier ministre, la gestion de cette crise n’a pas été satisfaisante. Les maires ont été livrés à eux-mêmes : sirènes d’alerte actionnées tardivement, absence d’information dans certaines communes pourtant très proches du sinistre, consignes de confinement confuses, cacophonie totale quant à l’ouverture ou la fermeture des établissements scolaires. Les communications distillées au fil des heures se voulaient rassurantes : elles ont produit l’effet inverse, et la colère a empli le vide d’informations.
Comment croire qu’il n’y a pas de danger quand le préfet annonce qu’il n’y a pas de risque de toxicité aiguë, reconnaissant implicitement que les fumées sont bien toxiques ? Comment accepter qu’il n’y ait aucun risque lorsque l’État publie tardivement la liste des produits partis en fumée, et que l’on n’en connaît ni la quantité, ni la résistance à la chaleur, ni la dangerosité ? Comment se sentir en sécurité quand il reste 165 fûts endommagés qui peuvent dégager du sulfure d’hydrogène hautement toxique ? Comment être rassuré lorsque les agriculteurs de 206 communes ne sont toujours pas autorisés à procéder aux récoltes ni à vendre leur lait et leurs produits agricoles ?
Monsieur le Premier ministre, pour apaiser la colère et les angoisses, nous vous demandons d’accéder aux demandes suivantes : la transparence – vous y êtes engagé, nous vous en remercions ; la nomination d’un comité d’experts indépendants chargé d’analyser et d’interpréter les résultats des études ; la mise en place d’un suivi médical à court et long terme ; la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique, qui permettrait d’ouvrir droit à indemnisation, même si les biens n’ont pas été détruits ; la réparation rapide des dommages, en ordonnant au préfet d’exercer ses prérogatives de police administrative et d’appliquer le principe du pollueur-payeur, sans attendre l’issue des procédures judiciaires qui prendront des années.
Il faut rétablir la confiance et la sérénité en faisant preuve de sérieux et de responsabilité. Ces propositions formulées en association avec une centaine d’élus peuvent y contribuer. (Applaudissements sur des travées du groupe SOCR.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur Marie, j’ai indiqué, à l’occasion de la réponse que je formulais à Mme Morin-Desailly, les engagements de transparence totale pris par le Gouvernement.
J’ai dit que nous communiquions les éléments au fur et à mesure que nous les avons et vous comprendrez bien – je ne veux pas prendre le sujet à la légère – que je ne peux pas produire le résultat des analyses avant que celles-ci aient été réalisées.
Les tests de prélèvements visant à vérifier la présence éventuelle de dioxine prennent du temps. Ce n’est pas moi qui le dis – je ne suis pas chimiste –, ce sont les spécialistes qui font ces analyses, et qui les font bien, parce qu’ils doivent donner une information sérieuse et précise : je pense que nous pouvons nous accorder sur ce point. Nous vous communiquons les résultats dès que nous les avons.
J’ai parfaitement conscience qu’au fur et à mesure que nous diffusons des informations de nouvelles questions se posent. C’est bien naturel, et nous ne nous arrêterons pas à cela, au contraire : toutes les informations qui seront connues seront rendues publiques ; elles susciteront de nouvelles interrogations, parfois peut-être de nouvelles angoisses, et nous y répondrons. J’ai parfaitement conscience que la parole et parfois l’expertise publiques sont contestées, qu’elles ne sont pas crédibles aux yeux de certains. Je le mesure et le déplore.
Mais je ne vais pas commencer à raconter n’importe quoi ou arrêter de donner les informations pour autant. Nous allons faire exactement ce que je me suis engagé à faire : communiquer au fur et à mesure qu’elles sont disponibles absolument toutes les informations.
Pour répondre aux demandes que vous avez formulées, monsieur le sénateur, je le redis : oui à la transparence totale, oui au suivi épidémiologique et au bilan de santé à court et à long terme, oui à la discussion scientifique des éléments qui seront fournis par les analyses.
Permettez-moi toutefois d’indiquer qu’il revient d’abord à l’Anses, à l’Ineris et aux hôpitaux de donner les éléments et de répondre aux questions. Mais ces informations étant par définition publiques, elles seront discutées, peut-être contestées par d’autres scientifiques ou d’autres médecins. Cette discussion ne me fait pas peur : elle est nécessaire, elle aura lieu, et nous nous expliquerons.
Vous m’interrogez sur la reconnaissance de l’état de catastrophe technologique. Je comprends bien l’intérêt qu’il pourrait y avoir à reconnaître officiellement qu’une catastrophe a eu lieu. À l’évidence, une catastrophe a eu lieu, mais l’instrument juridique tel qu’il a été conçu par le Parlement en 2003 ne répond manifestement ni aux caractéristiques de l’accident qui est survenu sur le site de l’usine Lubrizol ni aux questions que celui-ci pose.
En la matière, je ne veux pas me payer de mots – je pense que vous en serez d’accord. Je veux dire les choses telles qu’elles sont, et mettre en place les dispositifs tels qu’ils existent.
Mais surtout, monsieur le sénateur, je veux dire et redire que la responsabilité, les dommages relèvent de l’industriel : il n’échappera pas à la mise en jeu de cette responsabilité. Et c’est tout le sens de la législation que vous avez produite sur les installations classées.
Nous allons donc appliquer toute la loi en la matière, avec la rigueur et avec la totale transparence qui est due à nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
gafa
M. le président. La parole est à M. Claude Malhuret, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants.)
M. Claude Malhuret. Monsieur le Premier ministre, vingt ans de développement à l’abri de toute régulation ont permis aux géants de l’internet d’être les maîtres du jeu et, peut-être bientôt, du monde. Google détient 90 % du marché des moteurs de recherche. Facebook absorbe les deux tiers des publicités sur internet. Amazon concentre la moitié des ventes en ligne aux États-Unis.
En commençant à fixer un cadre et des règles à ces nouveaux empires, la France s’est attiré la fronde des firmes concernées et l’hostilité du président des États-Unis qui nous menace de rétorsion sur les vins français.
Hier, Amazon a mis en œuvre sa menace de reporter sur les vendeurs de sa plateforme la taxe GAFA adoptée le 11 juillet dernier ; 10 000 PME se retrouvent pieds et poings liés, et certaines devront fermer leurs portes.
Le 24 octobre prochain, Google entamera un bras de fer contre la nouvelle loi française relative aux droits voisins, qui prévoit une redistribution des revenus du numérique au profit des éditeurs de presse. L’objectif de Google est de forcer les éditeurs à céder tous leurs droits et de faire pression sur les autres gouvernements européens pour une transposition plus favorable de la directive européenne.
Monsieur le Premier ministre, le Sherman Act américain de 1890 et les règles européennes contre les abus de position dominante ne sont plus adaptés aux pratiques des Gafam – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. Confisquer les données de la vie privée, racheter les start-up concurrentes, exclure ses rivaux de la publicité en ligne, piller la production des entreprises de presse, ce n’est plus du tout la même chose que capter 90 % du marché du dentifrice.
Aujourd’hui, les monopoles des Gafam sont sans doute beaucoup plus préoccupants que ne l’étaient celui de la Standard Oil en 1911 et celui de AT&T en 1982.
Des deux côtés de l’Atlantique, de nouvelles lois antitrust sont nécessaires et de plus en plus évoquées. Il est urgent que l’Europe se saisisse de ce dossier. Quelle est la position du gouvernement français à ce sujet ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes SOCR, UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président Malhuret, comme vous l’avez indiqué, Amazon a annoncé sa décision d’augmenter ses prix en France et de répercuter la taxe sur les services numériques, créée par la loi du 11 juillet dernier, auprès des vendeurs.
La semaine dernière, Google a présenté un nouvel outil de publication pour les éditeurs et les agences de presse. Celui-ci, comme par hasard, a été configuré de telle sorte qu’il n’ouvre pas droit à rémunération, contrairement aux principes posés par la loi du 25 juillet 2019 sur les droits voisins.
Ces deux faits, qui ne sont pas sans lien, posent une question juridique, économique et, en vérité, politique extrêmement sérieuse.
Pour l’ensemble de nos concitoyens, il n’est pas acceptable qu’un acteur, aussi puissant soit-il – en l’occurrence, ces deux acteurs sont extrêmement puissants –, puisse changer ses règles de publication de manière unilatérale pour contourner une obligation légale.
L’objectif politique visé au travers de la création de la taxe sur les services numériques, comme pour la taxe sur les droits voisins, est extrêmement clair : il s’agit de permettre un juste partage de la valeur produite au bénéfice des plateformes par les contenus et services qu’elles référencent, valeur qui leur procure des revenus qu’elles conservent aujourd’hui en quasi-totalité, voire en totalité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en France et en Europe, il existe des entreprises qui innovent et qui créent de la valeur. Il y a aussi des gouvernements qui sont démocratiquement élus. Les lois sont votées par les représentations nationales. Les entreprises doivent mesurer que, en s’y opposant, c’est aux citoyens libres de ces États qu’elles s’opposent.
Nous voulons vraiment croire que la démarche de Google relève de l’erreur d’appréciation, et non de la volonté d’engager une épreuve de force avec la France et l’Europe. C’est pourquoi le ministre de la culture s’est exprimé le jour même pour que Google entame des négociations avec les éditeurs, les agences de presse, négociations qui sont prévues par la loi. La presse doit évidemment s’unir pour faire reconnaître ses droits dans cette discussion.
Par ailleurs, la question appelle évidemment une réponse européenne.
Au fond, nous sommes les premiers à y être confrontés, parce que nous avons été les premiers à transposer la directive. Cela étant, cette question concerne ou concernera tous les pays européens. Si nous voulons construire l’espace souverain de droits et de libertés que nous souhaitons bâtir ensemble à l’heure du numérique, alors l’Union européenne, au moins autant que chacun des États qui la composent, doit se saisir du sujet.
Cela exige – je vous rejoins bien volontiers sur ce point, monsieur Malhuret – non seulement de modifier notre corpus théorique en matière de droit de la concurrence, de politique industrielle et d’espace numérique, mais aussi d’accroître l’ambition de la Commission européenne dans ce domaine pour mettre en œuvre ces nouveaux concepts.
Il y a là un défi qui n’est pas insignifiant, car les avis diffèrent parfois, nous le savons, au sein de l’Union européenne. Seulement, si nous voulons défendre nos droits et notre conception, alors nous devons être offensifs et exigeants. C’est l’un des arguments que nous avons fait valoir auprès de l’ensemble des personnalités qui étaient pressenties pour devenir membres de la future Commission européenne, et c’est l’un des points qui s’est trouvé au cœur de la discussion entre le Président de la République et la future présidente de la Commission.
Ce ne sera pas un combat facile, car nous avons en face de nous des gens déterminés et puissants. Mais ce dont il s’agit, c’est quand même de faire respecter notre souveraineté et notre conception du monde numérique. Ce n’est pas un petit combat ; c’est un combat difficile qu’il nous revient de livrer ! (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM et Les Indépendants, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Vincent Éblé applaudit également.)
déficit de la sécurité sociale