COMPTE RENDU INTÉGRAL
Présidence de Mme Hélène Conway-Mouret
vice-présidente
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
M. Michel Raison.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication d’un avis sur un projet de nomination
Mme la présidente. En application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, ainsi que de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 prises pour son application, la commission des finances a émis, lors de sa réunion de ce jour, un avis favorable – 19 voix pour, 2 voix contre, 7 bulletins blancs – à la reconduction de Mme Stéphane Pallez aux fonctions de président-directeur général de La Française des jeux.
3
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que des candidatures ont été publiées pour siéger au sein de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’orientation des mobilités.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Grand. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui le 3 juillet. Comment pourrions-nous oublier, dans cet hémicycle, que la loi de séparation des Églises et de l’État a été votée le 3 juillet 1905 ?
Cette loi demeure un pilier essentiel de notre démocratie et de la paix civile. L’histoire et l’actualité contemporaines nous le rappellent chaque jour. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, mon cher collègue.
5
Traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes
Adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes (projet n° 558, texte de la commission n° 608, rapport n° 607).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, monsieur le rapporteur et président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis très heureuse de me trouver aujourd’hui devant vous pour débattre de l’autorisation de ratification du traité sur la coopération et l’intégration franco-allemandes, dit traité d’Aix-la-Chapelle.
Permettez-moi, en introduction, de me concentrer sur quelques points qui me paraissent particulièrement importants : ce traité a été signé le 22 janvier dernier, à Aix-la-Chapelle, par la Chancelière fédérale Angela Merkel et par le Président de la République, en présence de nombreuses personnalités de nos deux pays et des présidents du Conseil européen, de la Commission européenne et du Parlement européen.
Ce texte fait suite à la déclaration commune de la Chancelière et du Président de la République du 22 janvier 2018 et à la résolution conjointe, adoptée le même jour, par le Bundestag et par l’Assemblée nationale.
Le lieu retenu pour la signature, c’est-à-dire la capitale de Charlemagne, monarque emblématique de notre histoire commune avec l’Allemagne et une grande partie de l’Europe, est hautement symbolique.
Il en va de même de la date retenue, à savoir le cinquante-sixième anniversaire de la signature du traité de l’Élysée entre le Chancelier Adenauer et le général de Gaulle, et du cadre public, qui témoignent de la place centrale des citoyens dans cette amitié franco-allemande, à laquelle nous sommes tous extrêmement attachés, et du rôle essentiel de cette amitié pour la construction d’une Europe unie, démocratique et souveraine.
Ce texte a une valeur particulière en ce qu’il entend ouvrir une ère nouvelle dans la relation singulière entre nos deux pays. Le traité du 22 janvier 2019 n’abroge pas, mais complète, à de nombreux titres, le traité de 1963.
En 1963, nous étions dans une phase de réconciliation ; en 2019, nous sommes dans une phase de convergence. Ce traité entend tirer les conséquences de l’évolution géopolitique de l’Europe et de la construction européenne au cours des trois dernières décennies.
Ce texte engage donc nos deux États dans une stratégie visant à construire des espaces intégrés couvrant tous les domaines – économique, juridique, fiscal, social, scientifique et culturel. Ces territoires frontaliers ont vocation à devenir des laboratoires européens sans remettre en cause notre ordre constitutionnel.
Dans cet ensemble, plusieurs dispositions méritent d’être mises en exergue.
En ce qui concerne les questions européennes, le traité souligne la volonté des deux parties de travailler de concert à l’unité européenne en formulant des initiatives conjointes et en harmonisant leurs positions nationales respectives, tant pour les affaires internes que pour les relations extérieures de l’Union – les négociations qui viennent de se terminer à Bruxelles illustrent la qualité de la relation franco-allemande pour faire avancer l’Europe.
Cette disposition ne sanctionne pas seulement une pratique existante, elle la rend systématique. Cette méthode a déjà porté ses fruits, comme nous l’avons vu avec la déclaration de Meseberg sur l’avenir de l’Union économique et monétaire ou encore avec la feuille de route conjointe sur la politique industrielle, pour ne citer que ces deux exemples.
Dans cet ensemble, nous prenons également l’engagement de nous coordonner sur la transposition du droit européen dans nos droits nationaux pour éviter les risques de distorsion normative dans l’application du droit européen. Pour parler clairement, nous voulons éviter que des surtranspositions n’entraînent des divergences entre nos deux pays.
Dans le domaine de la sécurité, le traité souligne la solidarité qui lie nos deux pays en cas d’agression contre nos territoires nationaux. Cette clause de défense mutuelle est bien évidemment conforme aux engagements auxquels nous avons souscrit au titre du traité de l’Atlantique Nord et des traités européens, et notamment du fameux article 42-7 du traité sur l’Union européenne. Elle n’en constitue pas moins un symbole fort dans le contexte d’un accord de nature bilatérale.
Ce traité nous appelle également à intensifier notre coopération de défense, à la fois capacitaire et militaire. Cette coopération porte déjà ses fruits, comme le montre la signature du récent accord-cadre entre l’Allemagne, la France et l’Espagne sur le programme de système de combat aérien du futur, ou SCAF, en présence du président de la République, le 17 juin dernier, au salon du Bourget.
Le traité affirme également le soutien de la France à l’entrée de l’Allemagne au Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent. Sur ce dernier point, nous avons toutes et tous entendu beaucoup de fausses informations. Or, face aux fausses informations, rien n’est plus clair que la vérité : la France n’entend absolument pas abandonner son siège au Conseil de sécurité. De même, et je le dis très clairement, nous rejetons toute idée de siège européen, ce qui n’aboutirait, en fait, qu’à affaiblir le rôle des pays européens au Conseil de sécurité.
En revanche, et je le dis tout aussi clairement, nous défendrons l’entrée au Conseil de sécurité d’un nouveau membre permanent, en l’occurrence l’Allemagne, pour y renforcer le poids de notre continent.
Dans les domaines de la culture, de l’éducation et de la recherche, l’Allemagne et la France doivent donner une impulsion à l’effort européen pour faire face à la compétition technologique mondiale, bâtir des synergies entre établissements d’enseignement supérieur, centres de recherche et instituts de formation. L’intelligence artificielle, les énergies renouvelables, la génétique nécessitent, dans leur domaine, un investissement absolument conjoint et fort de l’ensemble de nos chercheurs.
Le renforcement de la coopération régionale et transfrontalière constitue également une disposition importante de ce traité qui vise à favoriser la réalisation de projets transfrontaliers, en particulier en matière économique, sociale, environnementale, sanitaire, énergétique et de transport, le long des 451 kilomètres de frontière que nous partageons avec l’Allemagne.
Je me suis encore récemment rendue dans de nombreux départements transfrontaliers, notamment avec Brigitte Klinkert. J’ai pu sentir à quel point la nécessité de ces projets transfrontaliers était grande et combien ils étaient portés, encouragés et vraiment incarnés par les leaders politiques et par les collectivités locales en France et en Allemagne.
Nous devons ici mesurer le potentiel de développement absolument majeur en termes non seulement économiques, mais aussi humains. La mise en œuvre de cette coopération pourra s’appuyer sur un comité de coopération transfrontalière. Nous travaillons actuellement à finaliser sa composition en cherchant à y inclure des représentants du Parlement et des collectivités locales directement concernées.
De façon plus générale, les régions et l’ensemble des collectivités territoriales contribueront de manière extrêmement importante et décisive, dans le respect de nos spécificités institutionnelles de part et d’autre du Rhin, à la mise en œuvre de ce traité.
Je n’évoquerai pas ici l’ensemble des dispositions de ce texte. En revanche, je crois utile de vous indiquer que nous travaillons d’ores et déjà d’arrache-pied à sa mise en œuvre – si vous en autorisez la ratification – à travers une liste prioritaire de quinze projets concrets allant de la colocalisation de centres culturels dans des pays tiers au développement d’infrastructures de transports transfrontaliers, projets concrets au service des citoyens.
Telle est notre exigence. Il ne s’agit pas de signer du papier, mais de faire en sorte que des projets émergent d’une volonté commune.
Je souhaiterais enfin évoquer la dimension interparlementaire de cette démarche. Le traité d’Aix-la-Chapelle s’inscrit pleinement dans l’esprit de renforcement du dialogue que le Sénat et le Bundesrat portent également dans leur déclaration interparlementaire franco-allemande du 19 mars 2019.
Les négociations qui se sont déroulées du printemps à la fin de l’année 2018 ont d’ailleurs permis de reprendre dans le texte de nombreuses suggestions parlementaires et d’autres, bien évidemment, de la société civile. Cette implication de nouveaux acteurs est en soi une innovation : nous complétons ainsi le dispositif mis en place en 1963.
Plus largement, je crois important que nos deux Parlements soient pleinement impliqués dans ce nouveau chapitre de la coopération franco-allemande.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Oui !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. C’est ce qu’autorise le dialogue conduit entre le Sénat et le Bundesrat, de même que l’Assemblée parlementaire franco-allemande qui permettra de réunir Assemblée nationale et Bundestag.
Ces formats contribueront également, à travers le rapprochement de nos législations, à l’effort de convergence et d’intégration qui anime ce traité d’Aix-la-Chapelle, lequel nous promet, j’en suis certaine, de grands projets communs au service des citoyens et au service du projet européen. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord, madame la secrétaire d’État, de vous féliciter pour le résultat du Conseil européen de Bruxelles.
Au-delà de nos sensibilités respectives, chacun craignait, lundi dernier, que l’Europe n’affiche une fois de plus ses faiblesses. La nouvelle équipe, paritaire, francophone, compétente, nous rassure. Nous sommes heureux de lui souhaiter bonne chance. (M. Robert del Picchia applaudit.)
Il en va du couple franco-allemand comme de tous les couples : il a des hauts et des bas. Aujourd’hui, nous sommes plutôt dans un « bas » de la relation franco-allemande. Ce traité d’Aix-la-Chapelle vient donc à point nommé, même s’il n’a évidemment pas le souffle de son illustre prédécesseur, le traité de l’Élysée de janvier 1963, qui a gravé dans le marbre une amitié qui devait prévaloir non seulement entre les gouvernements, mais aussi et surtout entre les peuples, entre les jeunesses de ces deux pays – un certain nombre d’entre nous en étions ! – et qui devait rendre possible un renforcement de l’Union européenne.
Le traité d’Aix-la-Chapelle peut néanmoins être l’occasion d’avancées concrètes que nous appelons de nos vœux. Dans un monde marqué par les politiques de puissance décomplexée, par une lisibilité moindre de la politique étrangère américaine et par le Brexit, toute réaffirmation de la relation franco-allemande est évidemment bienvenue. C’est la manifestation d’un attachement profond à la prospérité, à la sécurité européenne, mais aussi aux valeurs que nous partageons, notamment la défense du multilatéralisme.
Avec le traité d’Aix-la-Chapelle, France et Allemagne ont souhaité répondre ensemble à quelques-uns des grands défis politiques, économiques, environnementaux, sociaux et technologiques du XXIe siècle.
À cet égard, le contenu du traité peut sembler moins ambitieux que celui du traité de l’Élysée en son temps. Relevons toutefois, avant d’en venir aux sujets principaux, quelques avancées intéressantes dans le champ traditionnel de la coopération franco-allemande.
Le traité prévoit ainsi la création d’un nouveau comité de coopération transfrontalière composé des principales collectivités territoriales et autres parties prenantes et évoque d’éventuelles dérogations permettant de surmonter des obstacles à la coopération transfrontalière. Nos collègues membres des régions concernées apprécieront cette avancée. Je pense qu’elle était nécessaire.
Le texte évoque aussi, ce qui est bienvenu, le développement de l’apprentissage mutuel de la langue de l’autre. Cette disposition permettra peut-être de lutter contre la diminution inquiétante de l’enseignement de nos langues respectives dans nos systèmes scolaires.
Saluons enfin le lancement d’une plateforme numérique franco-allemande adaptée aux nouveaux modes de consommation des médias. Dans ce domaine, il est important de suivre l’évolution des technologies, sous peine de perdre tout écho, en particulier auprès de la jeunesse. C’est une démarche qu’il faut donc soutenir.
Plus important, le traité comporte quelques avancées, ce qui n’exclut pas certains doutes, en matière de coopération de politique étrangère et de défense. À cet égard, permettez-moi de saluer la nomination, à la tête de la Commission européenne, d’Ursula von der Leyen, que nous connaissons bien. Elle partage la vision française, à savoir notre souhait d’avancer ensemble vers une défense européenne plus robuste.
On peut évidemment regretter de voir l’Europe se priver des qualités remarquables de Michel Barnier. J’ose penser que le Gouvernement saura lui montrer son infinie reconnaissance pour le travail qu’il a accompli.
M. Jean Bizet. Très juste !
M. Christian Cambon, rapporteur. Le traité favorise aussi une approche stratégique et opérationnelle commune à nos deux pays.
Nos approches actuelles sont différentes : quand la France pense indépendance stratégique, OPEX, Afrique, Moyen-Orient, l’Allemagne, quant à elle, pense OTAN, relations transatlantiques, missions civiles, menaces à l’Est… Espérons que cette approche commune, promise par le traité, permettra des déploiements conjoints plus équilibrés sur nos théâtres d’opérations, où nous avons tant besoin de coopération européenne solide et décidée.
Autre aspect positif, le texte prévoit des programmes de défense communs. Certes, ils étaient déjà engagés, et c’est essentiel pour préserver notre avance technologique et notre indépendance stratégique, mais vous conviendrez avec nous que ce n’est pas totalement gagné.
On connaît les grands projets du futur, le char lourd MGCS, ou Main Ground Combat System, le système de combat aérien du futur, le SCAF, qui devra succéder au Rafale, et le drone MALE, à propos duquel nous avons encore eu l’occasion, cette semaine, de faire part d’un certain nombre de doutes et d’inquiétudes.
Les premières étapes sont programmées, mais il reste tellement de sérieuses incertitudes, qu’il s’agisse du partage industriel ou des spécifications techniques. Or, sur l’ensemble de ces projets, le choix est clair : quand il s’agit d’investir 25 milliards d’euros pour la conception de ces armes nouvelles, soit nous le faisons ensemble, soit nos futurs avions seront américains ou, pire encore, chinois.
Le traité d’Aix-la-Chapelle vise aussi à faire sauter le verrou existant sur les exportations d’armements. Cette question, vous le savez, est un irritant sérieux dans notre relation.
Les Allemands, en raison d’enjeux tout à fait compréhensibles de politique intérieure, mais aussi de concurrence commerciale, bloquent aujourd’hui des ventes d’armements français.
M. Ladislas Poniatowski. C’est une honte !
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous devons donc veiller à ce que les accords en cours de négociation préservent solidement notre base industrielle et technologique de défense et garantissent notre liberté d’exporter. C’est fondamental pour notre propre sécurité et pour notre industrie de défense.
L’aide au développement en faveur de l’Afrique est un autre volet essentiel de coopération évoqué par ce traité. Il s’agit d’ailleurs d’un complément indispensable au rapprochement en matière de défense, comme le veut la doctrine désormais bien établie de l’approche globale – défense, diplomatie, développement.
Là encore, aucune nouveauté concrète. Toutefois, nous disposons déjà d’un outil intéressant depuis juillet 2017 avec l’Alliance Sahel.
Il est tout à fait essentiel que l’Allemagne et la France montrent la voie en matière de coordination de ces politiques d’aide publique au développement. Nous dépensons tant d’argent ; il faut le dépenser mieux. En ce domaine, nous n’avons plus droit à l’erreur : l’enjeu du développement africain est crucial pour notre avenir, pour l’avenir de notre continent. Nous serons bien évidemment très attentifs à cette question lors de l’examen du projet de loi de programmation sur l’aide au développement.
En ce qui concerne la clause de solidarité mutuelle, là encore, le traité décline l’existant. Il s’agit de la répétition de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord et de l’article 42-7 du traité de l’Union européenne. C’est une clause de défense mutuelle, une clause symbolique. Formons le vœu de n’avoir jamais à l’utiliser.
La réforme proposée du Conseil de sécurité de l’ONU reprend la position traditionnelle française. Le texte défend la revendication allemande d’obtenir un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations unies.
Toutefois, nous le savons tous ici, la France soutient une réforme beaucoup plus globale, celle d’un siège permanent non seulement pour l’Allemagne, mais aussi pour de grands pays émergents – je pense au Brésil, à l’Inde et au Japon. Malheureusement, cette réforme est aujourd’hui bloquée.
Que les choses soient bien claires : il ne s’agit en aucun cas de céder à l’Union européenne ou à l’Allemagne le siège français de membre permanent du Conseil de sécurité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
M. Christian Cambon, rapporteur. Nous avons pu avoir quelques inquiétudes à la suite de certaines déclarations de hauts responsables ou de futurs responsables allemands. Il semble que des nuances aient été exprimées depuis. Nous nous en réjouissons, car la position du Sénat est absolument claire sur ce sujet.
En ce qui concerne la politique économique, le traité se limite à rappeler les grands objectifs – approfondissement de l’Union économique et monétaire, base industrielle forte, convergence économique, fiscale et sociale… Malheureusement, les déclarations de principe contrastent ici avec le peu d’enthousiasme manifesté par l’Allemagne face aux propositions françaises pour renforcer la politique budgétaire de l’Union européenne.
Avant de conclure, madame la secrétaire d’État, je souhaiterais exprimer un regret sur la méthode d’élaboration du traité : elle aurait pu être plus transparente et s’appuyer davantage sur les peuples, qui viennent encore de manifester, à la faveur des élections européennes, leurs craintes sur l’absence de démocratie au sein de ce continent.
Nous nous inquiétons aussi du peu de place fait aux représentants du peuple français. Dès lors, ne nous étonnons pas de voir fake news et fantasmes apparaître, comme la volonté prêtée au Président de la République de vendre l’Alsace-Lorraine à nos amis allemands – on croit rêver !
Quelle ne fut pas notre surprise en accueillant nos collègues députés allemands, au sein de la commission, de découvrir qu’ils avaient été, eux, consultés sur le texte par leur gouvernement, alors que nous n’en avions même pas eu communication. La demande du Sénat n’a pas été entendue, on peut le regretter. À l’avenir, nous souhaitons que les choses soient corrigées.
De la même manière, nous regrettons que le Sénat ne soit pas associé à l’Assemblée parlementaire franco-allemande. Heureusement, en matière de défense, la coopération tripartite entre l’Assemblée nationale, le Sénat et le Bundestag reste très soutenue. À cet égard, mon collègue de l’Assemblée nationale et moi-même rencontrerons notre homologue allemand la semaine prochaine, en Allemagne.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, ce traité a valeur de symbole – et les symboles sont importants. C’est un symbole fort, au moment où l’Europe a besoin d’une relation franco-allemande puissante, équilibrée et efficace.
Certes, ce traité ne suffira pas à relancer les projets européens ni à aplanir toutes les difficultés et, disons-le, les incompréhensions, notamment en matière de défense, entre nos deux pays. Pour atteindre cet objectif, il vous faudra, madame la secrétaire d’État, la vigilance et la volonté du Parlement, et singulièrement celles du Sénat, qui accepte de vous accompagner dans sa mise en œuvre.
Vous pourrez compter sur nous, dès lors que, dans le respect de la Constitution, l’action des parlementaires sera associée à la mise en œuvre de ce texte. C’est dans cette espérance que j’invite notre assemblée à autoriser la ratification de ce traité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe La République En Marche.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Lienemann, M. P. Laurent, Mmes Prunaud, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et la République fédérale d’Allemagne sur la coopération et l’intégration franco-allemandes (n° 608, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour la motion.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Madame la présidente, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, il nous est demandé de ratifier le traité signé à Aix-la-Chapelle, le 22 janvier dernier, entre la Chancelière allemande, Angela Merkel, et le Président de la République française, Emmanuel Macron.
Ce traité est un mauvais traité, pour la France comme pour l’Europe. Il est mauvais en raison de ce qu’il contient comme de ce qu’il élude.
Il consacre une vision de la défense européenne totalement intégrée à l’OTAN et conçue comme le renforcement de l’Alliance atlantique. Il mobilisera explicitement une contribution financière accrue pour « combler ses lacunes capacitaires, renforçant ainsi l’Union européenne et l’Alliance nord-atlantique ».
Nous sommes loin d’un projet de défense européenne autonome et de la vision traditionnelle de la France, alliée, mais indépendante, des États-Unis d’Amérique.
Nous ne pouvons pas approuver non plus l’article 8 qui stipule que « l’admission de la République fédérale de l’Allemagne en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies est une priorité de la diplomatie franco-allemande. »
Bien sûr, les promoteurs du traité nous disent qu’il ne s’agit pas de supprimer le siège permanent de la France. Mais tout cela n’est que naïveté ou hypocrisie. Si jamais les conditions étaient remplies pour augmenter le nombre de sièges permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, chacun sait que la priorité serait donnée aux pays émergents. Jamais notre continent – c’est en tout cas fort peu probable – ne pourra prétendre disposer d’un troisième siège aux côtés de ceux de la France et de la Grande-Bretagne.
On aurait pu au moins attendre du traité qu’il garantisse explicitement le maintien du siège français. Or, dans l’esprit des dirigeants allemands, le siège que revendiquera l’Allemagne sera soit partagé, « mutualisé » – comme le veut un langage assez confus –, avec celui de la France, soit un siège à part entière pour l’Union européenne. Le fait que le maintien du siège français ne soit pas inscrit dans ce traité signifie quelque chose. Le silence n’est pas un hasard, il existe un risque pour ce siège. Nous vous demandons de ne pas prendre ce risque !
La construction libérale de l’Union européenne, les conditions de mise en œuvre de l’euro et de l’élargissement à l’Est ont très largement profité à l’Allemagne et ont contribué à l’affaiblissement de la France, à sa désindustrialisation et à la dégradation de la balance commerciale entre nos deux pays.
Le traité ne dresse pas ce bilan. Certains bons esprits – même chez nous – font porter la charge de cet affaiblissement au peuple français, qui serait incapable d’ancrer la France dans la mondialisation.
La réalité est tout autre : c’est la logique même du système instauré, traité après traité, au sein de l’Union européenne qui accroît les inégalités, renforce sans cesse les dominants et fragilise les autres.
Cette logique percute notre modèle social et républicain en mettant à bas ce qui a longtemps fait notre force. Je pense aux services publics, mais aussi à l’articulation entre intervention publique et initiative privée, qui a toujours participé du génie français.
Non seulement les promoteurs du traité adoptent la politique de l’autruche devant cette logique qui met en concurrence les peuples, mais ils ne proposent rien de tangible pour y remédier. Rien de tangible sur les convergences sociales et l’harmonisation fiscale. Au passage, on notera quel petit chef-d’œuvre d’hypocrisie constitue ce texte dont le préambule évoque la notion de « convergence sociale ascendante »,… mais le préambule n’a pas de valeur juridique ! En revanche, dans le corps du texte, si les notions d’harmonisation et de convergence sont bien présentes, l’adjectif « ascendant » a, quant à lui, disparu.
Mais sans doute n’est-ce pas très grave, dans la mesure où le traité ne comporte que de vagues déclarations, serinées depuis des lustres, suintant de bonnes intentions et de la même impuissance à agir, voire justifiant des remises en cause graves. C’est à cette impuissance, faute de mesures concrètes et engageantes, que nous condamne la ratification de ce traité.
Or, s’agissant des deux pays développés les plus riches de l’Union européenne, on pouvait tout de même attendre des initiatives offensives pour améliorer notre modèle social et répondre à l’urgence sociale et économique. Il n’en est rien ! Ce texte pétrifie de nouveau la désastreuse politique économique européenne suivie depuis près de quinze ans.
Rien sur la politique de relance, en particulier sur la nécessité d’un soutien au pouvoir d’achat et aux investissements publics. Rien sur la convergence du salaire minimum, pourtant largement préconisée, paraît-il, par le Président de la République. S’il n’y a rien, c’est qu’il y a un veto absolu, un Nein ! déterminé, des dirigeants allemands sur ces points.
Même les propos lénifiants sur le changement climatique sont en deçà de toutes les grandes déclarations que l’on peut entendre. Après l’accord de Paris, un traité peut-il se contenter d’affirmer : « il faut faire vivre l’accord de Paris » ? Aucun engagement clair n’est pris, notamment à l’horizon 2030, avec la réduction d’au moins un tiers des gaz à effet de serre. Et je n’évoque pas l’exigence d’économies décarbonées en 2050 ! Rien, mis à part de vagues intentions ! Pourtant, un accord franco-allemand en la matière aurait une véritable force.
Il ne suffit pas de répéter le mot « climat » sans jamais rien faire. Il en va de même lorsque l’on parle de l’Europe « qui protège », tout en laissant se poursuivre les dérives actuelles. On aurait pu imaginer des coopérations renforcées dans tous ces domaines : il n’en est rien !
Je le dis avec une extrême solennité, l’histoire nous a appris que les déséquilibres au sein de l’Europe, singulièrement entre la France et l’Allemagne, se terminent toujours mal. Comment ne pas comprendre que les vents mauvais qui soufflent sur notre continent sont porteurs de risques graves ? Ils ne seront pas conjurés par une attitude complaisante ou en faisant croire que des compromis ont été élaborés. Car ces prétendus compromis ne résolvent aucun des grands problèmes qui sont devant nous.
Il serait injuste de faire porter aux seuls dirigeants allemands le poids de cet échec. Car nos propres dirigeants ont une large part de responsabilité dans cette affaire ! En taisant les désaccords, en refusant de les mettre sur la table pour en débattre et nouer un nouveau contrat fondateur pour une profonde réorientation de la construction européenne et un rééquilibrage entre nos deux pays, ils ne sont pas à la hauteur de leur tâche historique ni pour l’Union européenne ni pour la France. Au fond, c’est un abandon qui se concrétise avec ce mauvais traité.
Je terminerai mon intervention en évoquant la démocratie et le rôle législatif du Sénat, mis en cause par ce texte. Le préambule du traité fait référence au rôle essentiel de la coopération entre l’Assemblée nationale et le Bundestag dans le cadre de l’accord parlementaire du 22 janvier 2019. Il installe un travail législatif commun, en particulier la préparation de la transposition des directives, excluant de fait la Haute Assemblée, qui, à la différence du Bundesrat, est une assemblée législative de plein exercice. Nous sommes en train de valider ce que dit Mme la secrétaire d’État, à savoir : « Vous êtes comme le Bundesrat, occupez-vous du territorial. Vous ne serez pas associé, au même titre que l’Assemblée nationale, au travail législatif de plein droit. »
Nous faisons passer par la petite porte ce que le Président de la République et une partie de la majorité La République En Marche souhaitent pour le Sénat : sa marginalisation hors du champ législatif. Cette seule affaire, au-delà de tout ce que j’ai dit sur le fond, qui est encore plus important pour nos concitoyens, devrait vous faire accepter de voter, mes chers collègues, la motion tendant à opposer la question préalable que nous vous proposons aujourd’hui.
Je le sais bien, on va nous dire que la situation n’est pas si grave. Mais il est trop facile de ne pas regarder la réalité en face et de faire croire que tout cela est sans incidence réelle. Nous le savons bien, de renoncement en renoncement, d’occasion manquée en occasion manquée, un état de fait s’installe et se consolide, les déséquilibres s’accroissent, les peuples se détournent de l’Europe et de la démocratie, la France perd confiance en elle-même, à mesure que ses dirigeants lui intiment l’ordre de s’aligner sur un projet, un modèle et une logique contraires à son histoire, à sa spécificité et à l’originalité du message républicain de notre nation, qui témoigne de son aspiration à l’égalité et à la fraternité.
La France se désespère de voir ses élites vanter à l’envi la supériorité du modèle allemand. Il s’agit non pas de contester à nos voisins et amis leur vision, leur conception et la défense légitime de leurs intérêts, mais simplement de faire respecter le point de vue des Français. Pour le moins, nous n’avons pas le sentiment que tel est le cas aujourd’hui.
Pourtant, tel devrait être l’enjeu, cinquante-six ans après le traité de l’Élysée, d’un nouveau pacte. Ce n’est pas ce qui nous est proposé avec le traité d’Aix-la-Chapelle. En refusant de le ratifier, nous pourrions envoyer un message clair : oui à l’amitié franco-allemande, mais à condition que les relations franco-allemandes prennent un cours nouveau ! Tel n’est pas le cas : ne laissons pas faire ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)