M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Yves Leconte. Les États membres ont plutôt continué à défendre leurs intérêts particuliers, ainsi que les postures de leurs chefs d’État et de gouvernement. Cela nous inquiète pour l’avenir de la construction européenne.
Nous ne pouvons pas faire la démocratisation de l’Europe sans les partis politiques. Nous ne pouvons pas avancer sans respecter une majorité au Parlement européen. Nous ne pourrons pas faire en sorte que cette démocratisation se fasse, si la Commission continue à être un autre club, comme le Conseil européen, réunissant des représentants des États. Non ! La Commission doit être solidairement responsable, choisie par son président, validée par une majorité au Parlement européen et porteuse d’une politique qui ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais qui sera le choix de la majorité des Européens.
M. Roland Courteau. Très bien dit !
M. Jean-Yves Leconte. Ce sera beaucoup plus difficile que les fois précédentes, parce que les majorités au Parlement européen seront plus compliquées. Mais c’est aussi pour cela que la démocratisation de l’Europe est possible aujourd’hui, lors de cette législature. Il est de notre responsabilité de la réussir.
Pour cela, il faut que les différents gouvernements soient à la hauteur des attentes du moment, de la gravité de la situation internationale et des défis que nous avons à relever. Au-delà des discours, au regard des attitudes des uns et des autres lors du Conseil, nous ne sommes pas sûrs que tout le monde l’ait bien compris. Mais, sait-on jamais, peut-être que cela évoluera… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen a adopté des conclusions dans plusieurs domaines stratégiques, dont le changement climatique. La hausse des températures est une réalité éprouvée concrètement cette semaine, y compris dans cet hémicycle !
Quelle que soit la température ressentie en ce moment, il est utile d’évoquer, parmi les intérêts stratégiques de l’Union européenne à protéger, le climat. L’Union a tout intérêt à construire une Europe du climat qui ne soit pas en opposition avec le développement économique.
Le Conseil européen du 20 juin 2019 affirme que « l’Europe doit s’appuyer sur une approche inclusive et durable, qui tire parti des changements induits par la transition énergétique ». Vaste programme, aurait dit le général de Gaulle, à l’origine de bien des politiques européennes.
Plus loin, le Conseil européen explique que l’Union doit montrer la voie pour une neutralité climatique en tenant compte des situations nationales tout en étant socialement juste. C’est la quadrature du cercle.
Au-delà d’un appel à se conformer à l’accord de Paris, il n’y a rien de concret dans cette feuille de route. Pourtant, nous répétons depuis de nombreuses années que la planète ne peut plus attendre. Le marché européen de l’énergie intégré n’existe pas encore, tant s’en faut. L’accélération de la transition vers les énergies renouvelables est complexe, notamment en France.
Par exemple, en 2018, la ferme d’éoliennes offshore la plus puissante du monde a été inaugurée en mer d’Irlande. Il existe plus de 4 000 éoliennes maritimes en Europe, essentiellement réparties au large du Royaume-Uni, de l’Allemagne, du Danemark, des Pays-Bas, de la Belgique et de la Suède. Il n’y en a aucune sur les côtes françaises. Notre pays creuse son retard, alors qu’il dispose de la deuxième zone économique exclusive du monde : 11 millions de kilomètres carrés. Des industriels français finissent par développer des projets à l’étranger.
Je rappelle que le premier appel d’offres pour développer la filière remonte à 2011. Aujourd’hui, ailleurs en Europe, il faut quatre ou cinq ans pour créer un parc éolien en mer. La France double la mise avec des périodes de recours de trois ou de quatre ans supplémentaires. Une telle situation n’existe nulle part ailleurs en Europe.
Oui, l’économie circulaire devra s’appuyer sur des partenariats public-privé. Mais une fois qu’on l’a dit et répété, que fait-on ? Quels sont les investissements européens prévus pour les mobilités de demain ?
Les conclusions du Conseil européen rappellent aussi la nécessité de préserver les systèmes environnementaux, notamment les océans. Le 2 avril dernier, lors du dernier débat post-Conseil européen, je soulignais que la mondialisation des échanges s’effectuait par les océans, sur des autoroutes maritimes aux équilibres biologiques fragiles, d’où l’importance d’un « espace européen de sécurité maritime » contenu dans le paquet « Erika III ». La création de l’Agence européenne pour la sécurité maritime en 2002 a été utile, mais nous devons améliorer les dispositifs. N’oublions jamais que la souveraineté alimentaire se trouve aussi sur la mer et dans la mer.
La préservation des océans est un formidable gisement économique. Je pense, par exemple, aux larges possibilités offertes par les macro-algues et micro-algues alimentaires. Ce sont des aliments naturels produits de manière durable grâce à des procédés innovants. En raison de la croissance de la population mondiale, nous devons chercher de nouvelles sources protéiques pour nous alimenter. La mer en regorge.
La demande alimentaire mondiale augmentera probablement de 50 % d’ici à 2050. C’est donc une question de sécurité alimentaire. Nous devons également tenir compte de l’augmentation des températures, qui est susceptible de modifier l’équilibre des flores marines. L’enjeu n’est pas mince.
Les études du Centre d’études stratégiques de la marine apportent un éclairage utile sur la question de la préservation des océans et des problématiques alimentaires. L’interdépendance entre protection du milieu marin, commerce et sécurité alimentaire est forte. L’Union devrait être un moteur sur cette question éminemment maritime et européenne.
En conclusion, madame la secrétaire d’État, l’agenda stratégique mérite d’être précisé, car il n’y a aucune référence à un calendrier clairement défini pour que l’Union atteigne la neutralité climatique. C’est un échec, après l’opposition de quatre pays qui ont refusé de retenir 2050 comme date butoir. Le charbon a encore de beaux jours devant lui !
Comment l’Union européenne accompagnera-t-elle la transition énergétique des pays membres les moins riches ? Quels seront les mécanismes de compensation ? Autant de questions à résoudre avant de parvenir à l’unanimité pour graver de louables objectifs dans le marbre et les transformer en actions concrètes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 21 juin dernier s’est tenu un sommet de la zone euro au cours duquel a été examinée la situation économique de la zone. Il y a notamment été débattu de l’approfondissement de l’Union économique et monétaire. Parmi les avancées obtenues ou espérées, j’en retiendrai deux.
Tout d’abord, je retiens la mise en place d’un instrument budgétaire de convergence et de compétitivité pour la zone euro. Si celui-ci représente une piste pertinente pour relancer l’activité économique en stimulant l’investissement public, il semble bien éloigné d’un véritable budget de la zone euro tel qu’esquissé lors du discours de la Sorbonne. Un tel outil est pourtant indispensable pour corriger les conséquences des chocs asymétriques et des structures hétérogènes des économies nationales, tout en accompagnant la disparition des politiques monétaires nationales d’une politique budgétaire commune. Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous présenter les ambitions d’un tel « instrument budgétaire » et nous préciser ses sources de financement dans la perspective du prochain cadre financier pluriannuel ?
Je retiens ensuite le renforcement de l’union bancaire. Sa mise en place doit nous permettre de protéger les contribuables et les épargnants d’éventuelles défaillances du secteur financier, tout en démontrant qu’un partage de compétences entre États européens peut apporter aux citoyens davantage de protection et de sécurité que l’action isolée d’un État. Toutefois, quelles ont été, madame la secrétaire d’État, les avancées concernant le troisième pilier de cette union, à savoir un système européen de garantie des dépôts ? Sans celui-ci, l’union bancaire aura bien du mal à assurer la stabilité du secteur bancaire.
Par ailleurs, le dernier Conseil européen fut l’occasion d’évoquer le nouveau programme stratégique 2019-2024 et d’insister sur la nécessité de concevoir une « politique industrielle permettant d’affronter l’avenir ». Or je constate que nous sommes pour le moment incapables de passer de politiques industrielles nationales cloisonnées à une politique industrielle européenne à même de faire émerger des géants industriels européens. Pour cette question comme pour tant d’autres, l’Union européenne ne pourra traiter d’égale à égale avec les autres puissances en adoptant une approche morcelée. Elle ne pourra y parvenir qu’en formant un front uni et « en s’appuyant sur ses propres ressources et sur celles des États membres ». Cette question a-t-elle été évoquée, madame la secrétaire d’État ?
En outre, ce sujet ne peut que m’amener à aborder celui de la politique européenne de concurrence dont l’obsolescence est dénoncée de tous bords, et alors que l’actuelle commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, faisait partie des candidats malheureux à la présidence de la Commission européenne les 20 et 21 juin derniers.
Des pistes ont-elles été évoquées pour enfin refonder les règles de concurrence, particulièrement en matière de contrôle des concentrations et d’interdiction absolue des aides publiques, pour penser une stratégie industrielle européenne intégrée et pour promouvoir des règles du jeu équitables avec les autres grandes puissances, notamment concernant l’application du principe de réciprocité dans les échanges internationaux ?
Enfin, je m’étonne que la plus ancienne et la plus importante des politiques en termes de budget n’ait pas été évoquée lors de ce Conseil européen, alors même qu’elle est à la croisée des enjeux en termes de développement durable, de développement rural et de sécurité. Je parle, bien évidemment, de la politique agricole commune et de sa réforme prochaine. Vous l’avez récemment dit, madame la secrétaire d’État, le premier défi à relever est celui d’une PAC qui protège ses agriculteurs. Le deuxième défi est celui d’une PAC qui protège ses consommateurs. Enfin, le dernier défi est celui de sa simplification. Toutefois, la nouvelle réforme à venir pour la PAC après 2020 en réduit substantiellement le budget tandis que, dans le même temps, elle prévoit également de donner davantage d’autonomie aux États membres.
Qu’en est-il, madame la secrétaire d’État, des discussions autour de cette réforme et de ses ambitions pour les prochaines années ? (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le Conseil européen s’est accordé sur un programme stratégique pour la période 2019-2024 sur la base de quatre priorités. La quatrième priorité a l’ambition de réussir l’amalgame entre la Realpolitik, chère aux États-Unis de Nixon et de Trump, et un idéalisme européen de bon aloi, consistant à promouvoir les intérêts et les valeurs de l’Europe sur la scène mondiale. Voyons son application pratique dans les relations avec la Russie.
Le Conseil européen vient de décider unanimement de renouveler pour une période de six mois les sanctions économiques contre la Russie. Si cette décision n’a rien d’étonnant, il n’en est pas de même de l’absence d’invitation aux cérémonies du 6 juin dernier du président Poutine.
L’Allemagne à l’origine de la guerre était invitée, mais pas la Russie, qui a détruit 80 % des divisions du IIIe Reich et sacrifié 27 millions d’habitants pour lutter contre le nazisme. Ce n’est certainement pas un hasard si la réponse du président Poutine à ce camouflet a été de recevoir, ce même 6 juin, dernier le président de la Chine pour renforcer une coopération bilatérale, déjà très étroite. Dans cet état d’esprit, a été annoncé le choix très probable de la technologie chinoise Huawei pour équiper les futurs réseaux 5G en Russie.
Le lendemain, le 7 juin, le monde entier a pu découvrir que la flotte russe croisait en mer de Chine aux côtés de la flotte chinoise. Ce constat a été fait à l’occasion d’une quasi-collision entre un navire de guerre russe et un navire de la septième flotte des États-Unis, dont la mission est d’empêcher la Chine de s’approprier les eaux de la mer de Chine méridionale.
Il faut tout de même noter que les pays européens qui veulent durcir et prolonger indéfiniment les sanctions contre la Russie, quitte à la pousser ainsi dans les bras de la Chine, sont ceux qui contribuent le moins à la construction de l’Europe de la défense, chère à Emmanuel Macron.
La Pologne, la Lituanie et la Lettonie apportent régulièrement par milliards leur contribution au complexe militaro-industriel américain. Aucun pays de l’Union européenne n’a d’ailleurs acheté de Rafale…
Par ailleurs, les sanctions économiques occidentales ont amené la Russie à rechercher et à atteindre ses objectifs d’autosuffisance alimentaire. En 2017, la Russie est devenue le cinquième exportateur mondial de céréales. Pendant ce temps, les sanctions font perdre aux pays de l’Union européenne près de 5,9 milliards de dollars d’exportations dans le secteur agroalimentaire.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Eh oui !
M. René Danesi. Il est donc temps de faire le bilan diplomatique et économique de la reconduction rituelle des sanctions qui éloignent la Russie de l’Europe au plus grand bénéfice de la Chine. Il est urgent de faire bouger les lignes !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. René Danesi. La visite du Premier ministre russe, hier, au Havre, en compagnie de notre Premier ministre, indique qu’Emmanuel Macron s’y emploie. Il a opportunément déclaré au début du mois de juin que « l’Europe a besoin d’une nouvelle grammaire de confiance et de sécurité avec la Russie qui ne doit pas passer exclusivement par l’OTAN ».
Alors que la Russie avait menacé de quitter le Conseil de l’Europe, la France a pris en main avec succès la manœuvre diplomatique pour que la Russie retrouve toute sa place au sein de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Le président Macron a également reçu il y a quelques jours le nouveau président ukrainien, Volodymyr Zelensky, dont la priorité absolue est le retour à la paix dans l’est de l’Ukraine. Cela suppose la relance du processus de Minsk, que supervisent la France et l’Allemagne, Allemagne dont les Länder de l’Est militent d’ailleurs activement et officiellement pour la levée des sanctions qui frappent leur « ancien grand frère ».
L’ambition du président Macron de faire enfin jouer à l’Union européenne ou, à défaut, à la France et à l’Allemagne un rôle géopolitique autonome est donc à saluer et à encourager ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Benoît Huré. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, au lendemain de ce grand rendez-vous démocratique qu’ont été les élections européennes, et juste après l’adoption lors du Conseil européen des 20 et 21 juin du nouveau programme stratégique, j’interviens dans le cadre de ce débat au Sénat pour dire ma satisfaction, exprimer mes attentes sur l’Union européenne et réaffirmer mes convictions quant à une Union européenne mieux coordonnée et qui s’impose dans un contexte mondial tant déstabilisé. Rarement l’humanité aura eu à faire face à autant de dangers et de défis !
Nous sommes nombreux à nous réjouir des ambitions européennes, alors que certains dirigeants de grands pays, plus ou moins ouvertement, voulaient détruire la construction européenne et que la machine à fabriquer des fake news était à la manœuvre pour que l’Union sorte affaiblie de ces élections et marque le pas. C’est finalement l’inverse qui s’est produit. La participation des électeurs a été importante, avec un beau pourcentage de jeunes, et le vote populiste a été contenu.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout cela nous engage et nous oblige à ne plus perdre de temps. Si les Vingt-Sept ont été trop accaparés par le Brexit, ils sont néanmoins sortis unis de l’épreuve. Nous devons maintenant accélérer la marche tant au niveau européen qu’au niveau international. Nous ne pouvons pas nous résigner à être les sous-traitants de l’Asie et du continent américain. Il n’est pas acceptable que nous soyons cantonnés à devenir une simple destination touristique !
Le plan stratégique adopté la semaine dernière va dans le bon sens en nous donnant les moyens de nos ambitions. Une augmentation et une plus grande mutualisation de nos moyens et de nos savoir-faire permettront de renforcer la performance de tous les secteurs de production industrielle, agricole, alimentaire et de services, y compris dans les domaines de l’économie numérique et de l’intelligence artificielle. Elle nous permettra d’être un acteur déterminant dans la lutte contre le réchauffement climatique et en faveur du développement durable que nous devons à nos enfants. Dans ce domaine, efforçons-nous cependant d’adopter une démarche qui ne soit pas d’abord punitive, mais qui suscite plutôt l’enthousiasme.
Ce plan stratégique permettra également de renforcer la protection des Européens sur leur sol et de défendre mieux nos intérêts partout dans le monde. Plus de moyens pour nos armées coordonnées et nos gardes-frontières renforceront également la souveraineté de l’Europe et permettront à notre diplomatie d’être moins dépendante.
Ce plan, enfin, permettra d’être à l’initiative d’un plan de développement économique destiné aux pays pauvres, à l’image du plan Marshall pour aider à la reconstruction de l’Europe au sortir de la guerre. Ainsi, nous réduirions significativement les migrations subies. Cette démarche est à entreprendre en même temps que le renforcement du contrôle des flux migratoires à nos frontières, car il est illusoire de croire que nous pouvons accueillir toute la misère du monde.
Ainsi, ensemble, nous irons plus vite et plus loin. Mais ces ambitions vitales pour nos pays européens ne pourront se concrétiser que si l’Europe se dote d’un budget beaucoup plus élevé que celui de la période qui s’achève.
Il devra être alimenté de plusieurs manières. Tout d’abord, par des ressources propres en lui affectant, par exemple, une part significative de la fiscalité généralisée des géants du numérique. Après la France et quelques pays européens, tous les membres de l’OCDE, États-Unis d’Amérique compris, vont enfin décider de taxer les GAFA. Ensuite, via le versement par chaque pays des sommes qu’ils consacraient jusque-là aux actions désormais déléguées à l’Union européenne. C’est ainsi qu’ont procédé les communes avec les communautés de communes.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la dangerosité du monde, agité par certains dirigeants aux comportements incertains et irresponsables, oblige les responsables européens à se rassembler sur l’essentiel et à ne pas être passifs et soumis au contexte international imposé par d’autres. Les bons sentiments comme une certaine naïveté n’ont que trop duré.
Si nous voulons agir plus efficacement contre la pauvreté, pour un développement durable réaliste et promouvoir la démocratie partout dans le monde, l’Europe ne peut plus être celle du temps long, car les urgences nous obligent à accélérer ce temps.
Oui, l’Europe est à réformer pour la mettre plus au cœur de la vie de chacun d’entre nous. Oui, l’Europe doit être plus qu’une zone de libre-échange fondée sur le commerce et la finance. Oui, elle doit être synonyme de progrès social, d’humanisme et de développement durable. Oui, l’Europe doit être moins technocratique. Oui, elle doit mieux s’organiser pour concourir à armes égales dans la compétition mondiale. Oui, face à toutes les menaces, l’Europe doit continuer à renforcer la protection due à chacun de ses concitoyens.
Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, même si nous ne nous en rendons pas toujours compte, l’Europe avance.
M. le président. Merci de bien vouloir conclure, mon cher collègue !
M. Benoît Huré. Le paysan que je suis sait que le grain de blé semé a une croissance peu visible avant d’être le bel épi à récolter. Néanmoins, maintenant, nous avons hâte de récolter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Je répondrai bien volontiers aux différents points qui viennent d’être évoqués, car c’est tout l’intérêt de ce type de débat. Je commencerai par les questions les plus saillantes.
Monsieur le président Cambon, vous m’avez interrogée sur la défense et sur l’ambition de constituer – ce point a également été abordé par le dernier orateur – une autonomie stratégique européenne. Dans ce cadre, la constitution d’une base industrielle et technologique de défense est un impératif économique et de souveraineté. Nous constatons des progrès. Qu’il s’agisse de l’avion de combat, du ravitailleur en vol ou de l’hélicoptère, beaucoup de projets dépassent nos frontières et vont dans le bon sens. Nous développons une stratégie commune avec nos partenaires européens, notamment allemands. L’idée est, en particulier, de mettre en place une stratégie globale de l’Union et de décliner ensuite des stratégies spécifiques avec la Chine ou l’Afrique sur des sujets jusque-là plutôt perçus comme relevant de la souveraineté nationale.
En ce qui concerne les enjeux relatifs à l’exportation, il est indéniable que les différentes histoires nationales jouent effectivement un rôle important. Comme vous le savez, nous avons parfois des divergences de vues avec les Allemands. Nous dialoguons beaucoup sur ce sujet avec Berlin. Nous avons d’ailleurs reçu Heiko Maas en conseil des ministres. C’est un point qui a été discuté avec Jean-Yves Le Drian. À mon niveau, dans les cercles des ministres des affaires européennes, nous engageons un dialogue sur le fonds européen de défense et sur la manière de l’utiliser. Vous le savez peut-être mieux que quiconque ici, dans le cadre du traité d’Aix-la-Chapelle, c’est un sujet sur lequel des progrès ont été enregistrés.
Vous m’avez aussi interrogée, tout comme le sénateur Cadic, sur l’élargissement. Je poserai quelques principes et rappellerai quelques faits. Il a toujours été admis que les Balkans occidentaux avaient une perspective européenne. Il a également toujours été dit que, quand les critères seraient réunis, quand l’Union européenne serait prête, ces pays avaient vocation à rejoindre l’Union. Il importe d’être clair à l’égard des sociétés civiles et par rapport aux réformes qui sont engagées : ces pays ont bien une perspective européenne. En revanche, la France constate deux choses.
Premièrement, l’Union elle-même a besoin de se réformer avant de pouvoir intégrer d’autres pays.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Elle a besoin de se réformer dans ses processus de décision, dans ses processus budgétaires et dans ses différentes politiques publiques. Il n’est en effet pas forcément utile de décliner des politiques exactement semblables ; ce n’est pas non plus bénéfique aux populations elles-mêmes.
Deuxièmement, nous constatons que le processus de négociation tel qu’il est lancé n’est pas satisfaisant. D’abord, parce qu’il est extrêmement long. Ensuite, parce que l’Union européenne apparaît toujours comme un facteur bloquant. Enfin, parce que les réformes que nous demandons ne sont pas engagées.
C’est pourquoi j’ai demandé, mais c’est le fruit d’un travail mené depuis de nombreux mois, que nous utilisions la période qui s’ouvre jusqu’au mois d’octobre pour que la nouvelle Commission propose une autre stratégie de négociation. Il convient de mettre un terme à cette logique des « tunnels » dans lesquels les pays entrent en étant convaincus a priori d’en sortir comme des pays membres. Cette automaticité de fait n’est pas forcément bénéfique, car au moment où les négociations s’engagent chacun a déjà en tête que les pourparlers déboucheront sur un élargissement. Ce n’est pas sain non plus, car il n’est pas certain qu’il en ira effectivement ainsi, comme nous le voyons avec la Turquie. Il faut donc trouver une manière de procéder plus satisfaisante et plus honnête eu égard aux pays candidats.
Bref, il est essentiel que l’Union se réforme, et que les négociations puissent se tenir de manière plus acceptable pour nous et pour les pays qui souhaitent entrer dans cette démarche. Les conclusions du conseil Affaires générales soulignent très clairement que l’Union salue, de manière très affirmative, tous les accords menés dans le cadre de Prespa. Il convient, à ce propos, de saluer le courage politique dont les dirigeants grecs et macédoniens ont fait preuve pour régler un différend qui durait depuis des décennies. Nous serons très vigilants en octobre. En Albanie et en Macédoine des réformes ont été votées, mais leur mise en œuvre n’est pas aujourd’hui maximale.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Nous sommes d’accord !
Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État. Je pense, notamment, à nomination d’un procureur spécial et à la mise en place d’un parquet spécial en Macédoine du Nord. De ce point de vue, des choses restent à faire. J’ai d’ailleurs eu un échange très courtois et très honnête avec mon homologue macédonien à ce propos. En Albanie, par ailleurs, se posent également des questions sur la corruption et le blanchiment d’argent. Le Conseil de l’Europe, à ce titre, joue un rôle très important.
En tout état de cause, la France parle à tout le monde. Nous recevons tous nos interlocuteurs, mais nous leur rappelons les critères à la fois internes à l’Union et externes.
Vous m’avez également interrogée sur la Turquie. Dans le cadre des conclusions du conseil Affaires générales, nous avons acté le fait que, depuis déjà quelques semestres, la négociation était au point mort et que les conditions n’étaient pas réunies pour rouvrir de nouveaux chapitres ni pour moderniser davantage l’union douanière avec la Turquie. En revanche, d’un point de vue diplomatique et géopolitique, il est évident, parce que nous avons un accord sur le sujet migratoire, comme sur beaucoup d’autres, que nous devons continuer à avoir des échanges et une relation diplomatique étroite, pour la simple et bonne raison qu’il s’agit d’un pays pivot. La France ne peut donc pas imaginer prendre ses distances.