Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la question du cannabis, dont nous débattons aujourd’hui, sur l’initiative de Mme Esther Benbassa et du groupe CRCE, représente un enjeu majeur de santé publique.
Avant d’aborder la question du cannabis thérapeutique, j’évoquerai le cannabis récréatif, substance illicite la plus consommée en France.
En effet, 42 % des adultes âgés de 18 à 65 ans l’ont déjà expérimentée et 22 % en ont consommé au cours des douze derniers mois. La proportion est désormais équivalente chez les adolescents : parmi les jeunes de 17 ans, on estime aujourd’hui que quatre individus sur dix consomment du cannabis et 13 % des collégiens en fumeraient régulièrement.
Le cannabis n’est pas une drogue douce, si tant est qu’il y en ait !
Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, il agit longtemps à faible dose, contenant sept fois plus de goudron et de monoxyde de carbone que le tabac. L’alcool, combiné au cannabis, multiplie par quatorze le risque de provoquer un accident.
D’ailleurs, le lien est aujourd’hui clairement établi entre la consommation de cannabis et les accidents de la route. Les conducteurs sous influence de cette substance présentent un risque deux à trois fois supérieur à la normale d’être responsables d’un accident.
Le cannabis fumé présente une toxicité physiologique – effets cancérigènes ou vasculaires – bien supérieure à celle du tabac, mais aussi des risques psychologiques importants. Il peut causer des troubles psychiatriques, notamment dépressifs et psychotiques, susceptibles de favoriser la schizophrénie. Il entraîne surtout un déficit de l’attention, des troubles cognitifs, tout particulièrement en cas de consommation régulière précoce, car perturbant des zones cérébrales essentielles au développement psychique, intellectuel et relationnel des jeunes. J’ajoute que la substance, traversant le placenta, peut provoquer des dommages chez le fœtus, sur le cerveau et le poids.
On sait désormais, grâce aux saisies opérées par les forces de l’ordre, que les taux de THC contenu dans le cannabis commercialisé en France augmentent.
Le cannabis récréatif constitue donc un problème de santé publique grave : c’est la seule drogue qui demeure durablement dans l’organisme – pour un seul joint, elle séjourne une semaine dans le cerveau – et sa consommation peut entraîner dépendance et passage à une autre drogue.
L’usage thérapeutique du cannabis, quant à lui, peut se révéler dans de très rares cas plus efficace pour soulager les douleurs de patients atteints de maladies lourdes : dans le domaine de l’oncologie, pour la sclérose en plaques ou certaines formes d’épilepsie. Comme cela a déjà été signalé, des États américains, de même qu’Israël, l’ont autorisé et intégré à leur politique de santé publique.
Une expérimentation devrait prochainement voir le jour en France – j’y suis favorable – pour évaluer la pertinence de cet usage.
Trois médicaments sont déjà autorisés dans notre pays, pour quelques centaines de patients concernés : le Sativex, commercialisé dans dix-huit pays européens, qui n’est pas disponible en pharmacie, et deux autres médicaments pour lesquels le médecin doit obtenir de l’ANSM une autorisation temporaire d’utilisation nominative justifiant l’absence d’alternative thérapeutique.
L’étude précédemment mentionnée pourra, à mon sens, apporter des précisions concernant le traitement de la douleur, chronique – le cannabis n’aurait, là, pas d’efficacité –, mais surtout aiguë, ne cédant pas aux antalgiques habituels. Les cas sont exceptionnels, je le précise.
Il y aura un suivi des patients et, bien sûr, une exclusion de la voie d’administration fumée. Les prescriptions devraient être encadrées par des ordonnances sécurisées, comme pour les morphiniques. Il faudra indiquer et apprécier les effets secondaires, tels que la baisse de la vigilance, les décompensations psychiques et les risques d’addiction. La distribution, comme pour les antalgiques morphiniques, devrait se faire en pharmacie et, cela a été dit, on pourrait envisager une culture en France.
En d’autres termes, mes chers collègues, notre position est la suivante : oui à l’expérimentation du cannabis médical, avec – si validation – prescriptions sur ordonnances sécurisées et un travail sur les indications, contre-indications et effets secondaires ; non à une autorisation de prescriptions larges, qui pourraient évoluer vers un usage récréatif dont nous connaissons les graves effets indésirables – cognitifs, psychotiques, addictifs –, notamment chez les jeunes. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Forissier.
M. Michel Forissier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’usage thérapeutique du cannabis refait débat depuis l’annonce du 13 décembre 2018 du comité d’experts de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, qui reconnaît pertinent de l’autoriser dans certaines situations cliniques, pour certains patients, selon des modalités précises à définir.
Il s’agit là d’un premier avis d’un premier groupement d’experts. Il reste plusieurs mois de travail de la part des professionnels de la santé avant une prise de décision politique, puisqu’il s’agit d’un enjeu majeur de santé publique.
La question du cannabis médical suscite beaucoup de passions, en France et partout dans le monde. Le sujet est évidemment sérieux : donner un cadre légal à la prescription médicale d’une drogue, pour pouvoir l’utiliser comme médicament antidouleur.
Les 4 février et 2 avril 2015, l’occasion nous a été donnée d’examiner une proposition de loi autorisant l’usage contrôlé du cannabis, présentée par Mme Esther Benbassa. Les trois articles de ce texte ayant été successivement supprimés par notre assemblée, nous n’avons même pas eu à procéder à un vote sur l’ensemble.
Mais, aujourd’hui, nous débattons d’un autre sujet : l’usage thérapeutique du cannabis dans un cadre strictement clinique, excluant naturellement les motivations auto-thérapeutiques ou récréatives.
Ce recours est encore controversé en raison des effets indésirables induits par cette substance.
Effectivement, l’analyse de l’intérêt thérapeutique du cannabis, dont l’usage n’est pas sans risque sur la santé du patient, doit être rattachée à une information scientifique exhaustive et faire l’unanimité des professionnels de santé. Ce travail d’expertise permettra de tirer des conclusions communes, lesquelles conduiront, dans un deuxième temps, à une phase d’expérimentation puis, dans un troisième temps, à une décision politique finale. Une nouvelle réunion du comité d’experts aura lieu le 26 juin.
Tout reste donc encore à préciser, me semble-t-il, avant d’ouvrir le recours à l’usage thérapeutique du cannabis.
Autrement dit, l’avenir du cannabis en France est encore incertain, même dans le circuit médical. De nombreux points sont à l’étude, comme la posologie adaptée à chaque patient, la formule pharmaceutique, le lieu de délivrance – pharmacie, hôpital, etc. Les experts poursuivent le travail, avant que n’intervienne la phase d’expérimentation.
Pour le moment, une trentaine de pays dans le monde et de nombreux États américains autorisent le cannabis thérapeutique. Parmi eux figurent le Canada, certains États de l’Union européenne, ainsi que la Suisse, la Norvège, Israël et la Turquie.
Le législateur est le garant de l’intérêt général, rappelons-le. Il ne remplirait pas sa mission en repoussant les limites d’une société dont le besoin fondamental est celui du repère.
Il ne nous appartient pas de minimiser ou de nier les incidences sur la santé de l’usage de la drogue. Le cannabis, soyons clairs, constitue un vrai enjeu de santé publique, car il n’y a pas de consommation de drogue sans effets nocifs sur la santé et le psychisme.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d’État, je tiens à attirer l’attention sur la nécessaire vigilance des responsables politiques. Ces derniers doivent demander un bilan éclairé de l’usage thérapeutique du cannabis.
Les avancées scientifiques sont remarquables ; il y a une volonté forte de prendre en charge la douleur des patients, de soulager certains symptômes ou certains effets secondaires des traitements. À ce stade, les études sont encore lacunaires, mais les experts de la santé en France œuvrent pour examiner l’ensemble des modalités.
Ce qui compte à mes yeux, monsieur le secrétaire d’État, c’est le bénéfice pour le patient, en prenant bien entendu en considération les effets indésirables à court, moyen et long termes. J’entends par là que la situation d’une personne en fin de vie n’est pas la même que celle d’un jeune enfant ou d’un adolescent en construction.
Telles sont les réflexions que je tenais à apporter au débat.
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic.
M. Olivier Cadic. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie tout d’abord le groupe CRCE d’être à l’origine de ce débat posant la question du cannabis, comme enjeu majeur de santé publique. Cette démarche, utile, opportune, mérite d’être soutenue.
Tandis que nous parlons de l’usage thérapeutique du cannabis avec moult précautions et garde-fous, je veux partager avec vous mon regard d’élu des Français de l’étranger.
Voilà quelques jours, j’étais au Luxembourg, qui va devenir le premier pays européen à légaliser la culture, le commerce et la consommation du cannabis.
Précisons que l’achat de 30 grammes sera permis aux résidents majeurs, ce qui exclut les frontaliers – dommage pour certains – et, donc, le tourisme de la drogue. La consommation devra se faire en privé, c’est-à-dire ni dans la rue ni au travail. Une dépénalisation de la consommation est même envisagée pour les mineurs.
La réforme est portée par le ministre de la santé, Étienne Schneider, et celui de la justice, Félix Braz.
Rappelons qu’en octobre 2018 le Canada autorisait la vente et la consommation de cette drogue douce à des fins récréatives, emboîtant le pas à l’Uruguay et à la moitié, déjà, des États américains. Tous ont compris que poursuivre une politique de répression, c’était courir après une chimère, coûteuse et inutile, comme nous le faisons ici.
La consommation de cannabis en France est au plus haut niveau depuis vingt-cinq ans ! Plus d’un jeune sur quatre déclare avoir fumé du cannabis, comme le révélait, en novembre dernier, l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.
Cela pourrait étonner, mais les pays ayant légalisé ont placé l’enjeu de santé publique sur la qualité des produits. Oui, mes chers collègues, la qualité ! Au marché noir, il se vend effectivement n’importe quoi, et c’est sans compter les dangers psychiques et physiques qu’il y a à pousser les consommateurs vers ces réseaux criminels.
Interdire le cannabis n’empêche pas les gens de fumer ; cela les empêche juste de respecter la loi !
Tant que le cannabis sera interdit, il fera la fortune des narcotrafiquants, qui s’incarnent parfois jusque dans des États, à l’image de ce que l’on observe au Venezuela.
Je veux saluer le président Christian Cambon pour avoir invité ce matin M. Lorent Saleh, co-récipiendaire du prix Sakharov 2017 pour la liberté de l’esprit, à s’exprimer devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Emprisonné et torturé pendant plus de quatre ans au Venezuela, M. Saleh a témoigné avec force des atteintes quotidiennes aux droits de l’homme dans son pays.
Les témoignages, les ouvrages se multiplient pour mettre en lumière les agissements d’un régime criminel, organisant et exécutant le trafic de drogue à grande échelle, à l’aide des officiers de son armée. Je veux rendre hommage à Juan Guaido, Président de la République par intérim du Venezuela, et à tous ceux qui combattent avec courage à ses côtés pour libérer leur pays d’un système oppresseur.
Une fois encore, mes chers collègues, mon intention est de partager avec vous le regard extérieur que peut avoir un élu comme moi. D’un côté, nous avons sous les yeux un régime qui vit du trafic de stupéfiants et dont les proches viennent parfois se mettre à l’abri dans nos pays, avec le produit de leurs crimes. De l’autre, j’observe que nous poursuivons une personne qui, pour soulager sa douleur, fumera un peu de cannabis. Cherchez l’erreur ! (M. Joël Guerriau applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny. (M. Jean-Paul Émorine applaudit.)
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, toutes les drogues sont nocives et socialement dangereuses. Le cannabis est une drogue comme les autres. Ce n’est pas un cas particulier, davantage comparable à l’alcool qu’à la cocaïne et à l’héroïne.
Fort heureusement, le législateur n’a jamais retenu cette approche. Les faits lui ont donné raison, puisque les travaux scientifiques ont démenti les discours sur la faible nocivité du cannabis et que le phénomène croissant des polytoxicomanies démultiplie les dangers liés à la consommation d’une seule drogue. Il n’existe pas de drogue douce !
Le débat sur les effets thérapeutiques du cannabis est légitime, car il faut se préoccuper de la santé des patients, notamment lorsque les thérapies classiques ne viennent plus à bout des douleurs. Beaucoup d’entre eux s’en procurent aujourd’hui dans l’illégalité, sans aucun suivi médical ni garantie sur la qualité des produits.
Mais engager une réflexion sur le cannabis thérapeutique, c’est aussi prendre le risque d’ouvrir la porte à la légalisation du cannabis récréatif. En vingt ans, la consommation de cette substance a doublé en France. Le geste se banalise, notamment chez les adolescents, qui sont devenus les champions d’Europe de la consommation de cannabis.
Ajoutons que la recherche sur son efficacité thérapeutique est encore balbutiante, et les résultats obtenus jusqu’à présent mitigés.
Nous disposons de trop peu d’études menées sur les humains pour savoir si le cannabis ou ses dérivés soulagent effectivement la douleur chronique. Quand elles existent, les recherches se fondent sur des déclarations subjectives, sur des évaluations personnelles de la douleur, ce qui en limite la validité.
Certains travaux ont suggéré une efficacité possible pour les maladies telle que la maladie d’Alzheimer, mais ils demandent à être confirmés. Un rapport de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies notait « des lacunes importantes dans les données scientifiques ».
Surtout, la possibilité d’une consommation excessive existe pour toute drogue affectant le fonctionnement du cerveau, et le cannabis ne fait pas exception à la règle. Comme pour le tabac, nombre de ses consommateurs peinent, eux aussi, à arrêter. Le cannabis a des effets dévastateurs sur la mémoire, il augmente les risques cardiaques et provoque des catastrophes sur la route.
Dès lors, ouvrir davantage l’usage du cannabis, soit-il thérapeutique, doit nous inciter à proposer, aussi, de nouvelles solutions pour en sortir.
Les centres thérapeutiques communautaires peuvent constituer une réponse adaptée aux toxicomanes.
Voilà quelques années, j’ai eu l’occasion de visiter celui de San Patrignano en Italie, un modèle à suivre dans l’accompagnement des toxicomanes dans leur sortie de la dépendance, mais qui est encore peu adapté en France.
La démarche de tels centres repose sur la rupture avec l’environnement familier et les fréquentations, encore plus sur l’apprentissage d’un métier. La participation à des travaux collectifs aide les personnes accueillies à se stabiliser sur le plan comportemental et psychologique en vue de leur réinsertion future. La communauté a vocation à remplir le vide laissé par la drogue et à leur permettre de retrouver une estime de soi.
L’encadrement permanent, le soutien psychologique et l’entraide des pairs sont essentiels pour le maintien dans l’abstinence, objectif qui n’est souvent atteint qu’imparfaitement dans le cadre d’une démarche strictement médicale.
Malheureusement, nous comptons seulement dix structures de ce type en France et, de fait, les listes d’attente sont longues.
Veillons donc, mes chers collègues, à ne pas créer un doute sur la dangerosité du cannabis et les conséquences de sa consommation.
Pour conclure et revenir au débat sur le cannabis thérapeutique, il est trop tôt, me semble-t-il, pour affirmer que les bénéfices potentiels du cannabis dépassent les risques encourus par ceux qui en consomment. Il est temps que la recherche approfondisse ses études pour établir la réalité des faits. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Adrien Taquet, secrétaire d’État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Madame la présidente, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je vous remercie de la tenue de ce débat, nous permettant d’aborder la question de l’usage thérapeutique du cannabis, qu’il faut clairement distinguer de la consommation de cannabis dite récréative, de son usage en tant que drogue, avec des effets délétères bien répertoriés sur la santé, mais aussi sur l’insertion sociale, en particulier des jeunes.
Cette question mérite d’être posée, et je vous remercie également de l’aborder sans polémique.
Plusieurs orateurs ont évoqué le cannabis récréatif. Nous pourrions en débattre, mais ce n’est pas le sujet du jour. La distinction liminaire que j’ai faite, et que vous avez été nombreux à faire, est néanmoins capitale, car elle renvoie à la double caractéristique du cannabis.
Ce produit est potentiellement nocif. Il peut entraîner des complications aiguës qui sont connues – augmentation ou diminution du rythme cardiaque, nausées, cas de psychose cannabique – et des complications chroniques, telles que les troubles de la mémoire, du sommeil, de la concentration, des formes de désocialisation, ou encore une augmentation du risque de cancers. Mais c’est également un produit doté de propriétés thérapeutiques.
Cela a été rappelé à plusieurs reprises, une modification de la réglementation sur le cannabis est intervenue en juin 2013.
Elle prévoit déjà que des médicaments contenant du cannabis puissent être utilisés, uniquement s’ils possèdent une autorisation de mise sur le marché délivrée en France ou par l’Union européenne. Ces spécialités pharmaceutiques à base de cannabinoïdes ont notamment passé une procédure rigoureuse, incluant, comme pour tout autre médicament, une appréciation du rapport entre bénéfices et risques.
Si vous le permettez, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout de même revenir, dans un premier temps, sur les enjeux majeurs de santé publique liés au cannabis en tant que drogue, avant de me concentrer sur le cœur de notre débat.
Les niveaux d’usage de cannabis en France placent notre pays en tête des pays européens pour ce qui concerne la consommation régulière, surtout chez les jeunes.
Quelques chiffres doivent nous inciter à réfléchir.
On estime que 1,4 million de personnes consomment régulièrement – au moins dix fois par mois – du cannabis et que 700 000 personnes en consomment tous les jours, l’âge minimal de cet échantillon de population s’établissant à 11 ans.
Parmi les usagers actuels de cannabis, 20 % sont identifiés comme à risque élevé d’abus ou de dépendance.
Aujourd’hui, 80 % des consultations jeunes consommateurs, structures dédiées à l’écoute des jeunes de 11 à 25 ans et de leurs parents, concernent des usages répétés et problématiques de cannabis.
Ces quelques chiffres et observations appellent une réponse sanitaire adaptée à chaque public.
S’agissant du cannabis à usage thérapeutique, vous avez été nombreux à rappeler que, au sein de l’Union européenne, vingt et un pays sur vingt-huit l’autorisent.
Cette dynamique est allée crescendo au cours des dernières années : en 2013, la République tchèque et l’Italie ont adopté des dispositions législatives et réglementaires pour autoriser la protection et la réalisation de préparations magistrales à base de cannabis ; en 2015, ce fut le tour de la Hongrie ; en 2017, l’Allemagne, l’Irlande, ou encore la Slovénie leur ont emboîté le pas.
Actuellement, le cannabis thérapeutique recouvre des formes et des circuits de production, de prescription et de contrôle très variés selon les pays.
Ces exemples, comme certains d’entre vous l’ont appelé de leurs vœux, nous guideront pour établir les modalités d’un usage thérapeutique du cannabis dans notre pays adapté aux besoins de notre population.
Permettre un tel usage est aussi une priorité de la ministre des solidarités et de la santé, conformément aux déclarations que cette dernière a faites et à celles du Premier ministre qui ont suivi. Des travaux ont été engagés en ce sens.
Ainsi, la ministre a saisi l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé, afin de disposer d’un état des lieux, notamment des spécialités pharmaceutiques contenant des extraits de la plante de cannabis, ainsi qu’un bilan des connaissances relatives aux effets et aux risques thérapeutiques liés à l’usage de la plante elle-même.
L’ANSM a constitué, en septembre 2018, un comité scientifique spécialisé temporaire chargé d’évaluer la pertinence et la faisabilité de la mise à disposition, en France, du cannabis thérapeutique en tant que plante.
Le comité a exclu d’emblée la voie d’administration fumée, compte tenu des risques pour la santé, et, je le confirme, il y a peu de chance que cette voie d’administration soit retenue.
J’en profite, à deux jours de la Journée mondiale sans tabac, pour saluer les résultats que nous avons obtenus dans ce domaine : en deux ans, ce sont 1,6 million de nos concitoyens qui ont arrêté la cigarette. Comprenez qu’il serait contradictoire, en termes de politique publique, de combattre le tabac tout en promouvant la voie d’administration fumée !
En décembre 2018, le comité scientifique précédemment cité a estimé pertinent d’autoriser l’usage du cannabis à visée thérapeutique pour les patients concernés par certaines situations cliniques précises et limitées : douleurs réfractaires aux thérapies accessibles, certaines formes d’épilepsie sévères et pharmacorésistantes, situations palliatives, soins de support en oncologie et spasticité douloureuse de la sclérose en plaques.
Les travaux de ce comité se poursuivront jusqu’en juin prochain, pour définir le cadre de l’expérimentation et ses modalités de mise en œuvre, c’est-à-dire les prescripteurs autorisés, le circuit de distribution et de délivrance, les modalités d’administration et les formes pharmaceutiques, les dosages et concentrations en principes actifs dispensés. Je peux donc vous assurer, madame la sénatrice Laurence Cohen, que cette expérimentation aura bien lieu.
Il appartiendra ensuite au Gouvernement de se prononcer, en s’appuyant sur ces travaux, sur les indications et les modalités d’usage thérapeutique du cannabis, ainsi que de déterminer, le cas échéant, le circuit de distribution.
En parallèle, nous maintiendrons les interdits et continuerons, surtout, à renforcer nos politiques de prévention, qui constituent le cœur de notre action en la matière.
La prévention des addictions est présente dans le plan national de santé publique. Le principal levier repose sur le milieu scolaire avec, je le rappelle, plusieurs dispositifs : le développement des compétences psychosociales dès l’âge scolaire ; les actions d’information et de sensibilisation en milieu scolaire, notamment par les pairs, les « ambassadeurs de santé » ; le déploiement d’un service sanitaire visant à former une nouvelle génération de professionnels de santé, rompue à la pratique de la prévention, et à les faire intervenir en milieu scolaire.
Les consultations jeunes consommateurs, précédemment évoquées, sont aujourd’hui l’outil essentiel pour l’intervention précoce auprès des jeunes consommant des substances. Spécialisées dans les addictions, elles s’adressent aux jeunes – mineurs ou majeurs – et à leurs familles. Nous continuerons, bien évidemment, à les soutenir.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, si nous sommes favorables à une expérimentation de l’usage thérapeutique du cannabis, nous attirons l’attention sur l’importance de la préparation et l’encadrement d’une telle ouverture. Nous partageons tous, je pense, cette même préoccupation, cette régulation constituant, je le rappelle encore, un enjeu majeur de santé publique, comme souligné dans le libellé même du débat.
Quant à la prévention de la consommation de drogues, lesquelles incluent le cannabis, elle est un axe prioritaire de l’action de la ministre des solidarités et de la santé, et vous pouvez compter sur l’ensemble du ministère pour mener une politique constante et volontariste en la matière. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Le cannabis, un enjeu majeur de santé publique. »