M. Franck Montaugé, rapporteur de la commission des affaires économiques. La mise en place d’un eco-scheme, en gascon dans le texte (Sourires.), n’est pas exclusive de la mise en œuvre de PSE en dehors du cadre budgétaire de la politique agricole commune. Compte tenu des baisses annoncées du budget de la politique agricole commune, il serait même plutôt préférable de financer les paiements pour services environnementaux en dehors du cadre budgétaire de la PAC.
Le programme Horizon Europe permettrait bel et bien d’y pourvoir. Je rappelle qu’il s’agit quand même d’une enveloppe, à l’échelle européenne, bien entendu, de 100 milliards d’euros sur la période 2021-2027, sur des thèmes parfaitement en phase avec l’objet d’éventuels PSE.
J’ajoute – je ne l’ai pas dit ce matin en commission, mais je l’ai dit dans mon intervention en discussion générale – que le programme LIFE, qui est l’instrument financier de la Commission européenne pour tout ce qui concerne les projets relatifs à l’environnement et au climat, pourrait aussi contribuer au financement de PSE.
La préoccupation majeure doit être de ne pas grever plus encore le budget de la PAC, qui va de toute façon diminuer, et donc de trouver des programmes de financement alternatifs. C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements. Nous partageons néanmoins le fond de votre argumentation, eu égard à ces enjeux climatiques et environnementaux et, de façon plus générale, à la reconnaissance de ce que l’agriculture apporte à la société.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Didier Guillaume, ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je suis très favorable aux paiements pour services environnementaux. Nous en avons parlé pendant plusieurs heures, ici même, il y a quelques mois ; ce n’est donc pas le sujet.
Vos amendements sont, me semble-t-il, de simples amendements d’appel, que vous allez peut-être retirer ; c’est en tout cas ce que je souhaiterais que vous fassiez, pour m’éviter d’avoir à émettre un avis défavorable.
L’objet de ces amendements ne colle pas avec cette proposition de résolution européenne. Cela ne retire rien, néanmoins, à la force de votre engagement sur le fond : les paiements pour services environnementaux devront être mis en place, d’une façon ou d’une autre. Le Sénat en a d’ailleurs voté le principe à l’unanimité ou à la quasi-unanimité il y a de cela quelque temps. Mais, dans le moment où nous sommes, nous devons garder toutes nos forces pour, de manière unitaire, défendre le budget de la PAC, avant de nous égayer dans d’autres directions, de traiter d’autres sujets, aussi importants soient-ils.
Dans ce cadre, je dois souligner une divergence d’appréciation entre nous : je ne peux laisser dire que le Gouvernement serait divisé sur le PAC, qu’il y aurait une « cohabitation », comme l’a dit la présidente de la commission des affaires économiques, ou, comme l’a dit M. Raison, qu’existerait un double discours. Je ne manquerai d’ailleurs pas de me faire communiquer l’audition du commissaire allemand que vous avez cité ; si c’est bien ce qu’il a dit, je me permettrai d’intervenir pour remettre les pendules à l’heure.
La France n’a qu’un discours, depuis le début ! C’est bien la France, et aucun autre pays, qui porte le drapeau en disant qu’il est hors de question que le budget de la PAC baisse. Mais reconnaissons qu’il faut une majorité qualifiée pour voter ce budget, et que la France, aujourd’hui, est un peu trop isolée ; or certains pays historiques de l’Union européenne – je pense à un grand pays en particulier – semblent vouloir promouvoir, dans le budget européen, d’autres postes que celui de la politique agricole commune. Sur un tel sujet, évitons les divisions dommageables et battons-nous pour ce budget.
Monsieur Labbé, la transition agroécologique et les paiements pour services environnementaux sont indispensables, mais je vous demande de bien vouloir retirer vos amendements pour laisser toute sa force à cette proposition de résolution européenne que le Gouvernement soutient.
M. le président. Monsieur Labbé, les amendements nos 2 rectifié ter et 1 rectifié ter sont-ils maintenus ?
M. Joël Labbé. Sur le fond, avec l’ensemble de mon groupe, nous sommes très en phase avec cette proposition de résolution. Aussi, pour maintenir ce que j’espère être une unanimité, je retire ces amendements, étant entendu, monsieur le ministre, que vous vous engagez formellement à poursuivre le travail.
J’espère qu’un consensus, en la matière, se dégagera dans notre assemblée, car ces orientations ne sont pas négociables.
M. le président. Les amendements nos 2 rectifié ter et 1 rectifié ter sont retirés.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, la proposition de résolution européenne.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 97 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 340 |
Le Sénat a adopté.
Je constate que ce texte a été adopté à l’unanimité des présents. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
En application de l’article 73 quinquies, alinéa 7, du règlement, la résolution que le Sénat vient d’adopter sera transmise au Gouvernement et à l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Contrôle de l’application et de l’évaluation des lois
Adoption d’une proposition de résolution dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour renforcer les capacités de contrôle de l’application et de l’évaluation des lois, présentée par M. Franck Montaugé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 387, texte de la commission n° 449, rapport n° 448).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution.
M. Franck Montaugé, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, chers collègues, la proposition de résolution dont nous débattons ce soir marque une étape supplémentaire dans l’approfondissement par notre assemblée du processus de contrôle et d’évaluation des lois que nous votons.
Ce texte s’inscrit dans le prolongement des travaux que nous avions menés, en mars 2018, en présentant deux propositions de loi.
La première d’entre elles était relative à l’amélioration des études d’impact des textes législatifs. Elle avait été amendée en commission ; le texte qui en était résulté était en retrait par rapport aux ambitions initiales. Le débat s’était conclu par un vote, permettant de confier la réalisation des études d’impact à des cabinets indépendants choisis par décret en Conseil d’État. Transmis à l’Assemblée nationale, ce texte n’a pas, à ce jour, été repris par elle.
La seconde proposition de loi prévoyait la création d’un conseil parlementaire d’évaluation des politiques publiques et du bien-être, ainsi que la mise en œuvre d’une démarche scientifiquement structurée d’évaluation des politiques publiques, ouverte à la participation effective des citoyens par des moyens appropriés.
Jugée trop complexe, cette proposition de loi a été renvoyée voilà un an à la commission pour y être rediscutée. Elle ne l’a pas été, et nous avons souhaité, avec Jean-Pierre Sueur, Marc Daunis, Patrick Kanner et les membres du groupe socialiste et républicain, clore cette séquence de travail sur les fonctions du législateur par une proposition de modification du règlement de notre assemblée. Elle vise à nous permettre d’être plus efficaces dans le contrôle de l’application de la loi et l’évaluation de ses effets et, plus généralement, des politiques publiques, comme nous y enjoint l’article 24 de la Constitution de la Ve République.
En effet, si le Parlement contrôle et évalue les politiques publiques de différentes manières, grâce notamment à l’instauration d’un espace réservé dans l’ordre du jour, à la possibilité de procéder à des contrôles « sur pièces et sur place », à l’institution de commissions d’enquête sur des sujets donnés et aux questions posées aux membres du Gouvernement, le contrôle de l’application des lois votées et promulguées peut être amélioré.
Il est ainsi fréquent que les décrets et autres textes réglementaires nécessaires à l’application effective des lois soient publiés très tardivement ; parfois, ils ne le sont même pas du tout.
Qu’en est-il, par ailleurs, de l’application sur le terrain, dans les territoires, de lois dont l’esprit initial, tel que voulu par le législateur, s’est transformé et a parfois été perdu en chemin, dans la chaîne administrative des interprétations ?
Cet état de choses n’est pas acceptable, puisque la loi votée s’impose à toutes et à tous et qu’elle doit pouvoir s’appliquer dans des délais rapides dès lors qu’elle a été promulguée.
Notre proposition de résolution initiale visait à compléter l’article 19 de notre règlement afin de confier au rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi la responsabilité d’assurer le suivi de son application une fois le texte promulgué, en présentant chaque année devant la commission saisie au fond, sous forme écrite et orale, une communication dressant l’état de la mise en application de la loi promulguée, notamment de la publication de ses textes d’application. Nous proposions donc l’instauration d’un droit de suite au bénéfice du rapporteur d’un projet ou d’une proposition de loi.
Sur le rapport de M. Philippe Bonnecarrère, dont je veux ici souligner la qualité du travail et la cordialité et que je remercie de m’avoir permis de participer aux auditions, la commission des lois a jugé que la création de ce droit de suite serait bienvenue, qu’il renforcerait utilement le suivi de l’application des lois, mais qu’il devait être assoupli. Sur ce point, les dispositions retenues par la commission des lois ne dénaturent pas la proposition de résolution initiale.
Dès lors, si nous en décidons ainsi aujourd’hui, le rapporteur sera chargé de suivre l’application de la loi après sa promulgation et jusqu’au renouvellement du Sénat. Il pourra être confirmé dans ces fonctions à l’issue du renouvellement, s’il est toujours sénateur. Les commissions permanentes pourront si nécessaire désigner, dans les mêmes conditions, un autre rapporteur à cette fin. Dans le cas d’un texte examiné par une commission spéciale, les commissions permanentes pourront désigner, toujours dans les mêmes conditions, un rapporteur pour assurer le suivi de l’application des dispositions relevant de leur domaine de compétence.
Pour ce qui est de la mission d’évaluation des politiques publiques, notre position initiale n’a en revanche pas pu être conciliée avec celle de la commission.
Nous proposions de faire figurer de manière explicite la notion d’« évaluation de la loi » dans notre règlement, dans le prolongement de la référence au « suivi de l’application de la loi ».
La commission a jugé que le Parlement dispose d’une mission plus large d’évaluation des politiques publiques, qui relève déjà des commissions permanentes. C’est indéniable, mais qu’en fait-on en pratique ?
Que l’évaluation des politiques publiques se distingue du suivi de l’application des lois, cela est certain. Reconnaissons qu’en toute logique on peut difficilement faire de l’évaluation sans en passer d’abord par un bilan de l’application des lois.
La commission fonde aussi sa position sur le fait que l’évaluation est plus exigeante, qu’elle demande davantage de recul, qu’elle s’inscrit dans une démarche collective nécessitant la planification et la mobilisation de moyens spécifiques, et que si le rapporteur du projet ou de la proposition de loi peut y participer, il peut difficilement en être le seul acteur.
Je suis tout à fait d’accord avec ces remarques. C’était d’ailleurs bien le sens de la proposition de loi qui a été renvoyée il y a un an à la commission : elle visait à définir un cadre, un dispositif, un processus d’évaluation des politiques publiques, et non pas seulement – je tiens à le préciser – des lois.
Il est vrai que de nombreuses réflexions sont en cours en vue de renforcer les capacités d’évaluation du Parlement. Certains prétendent qu’une diminution de 20 % à 30 % du nombre de parlementaires permettra de mieux répondre aux exigences constitutionnelles actuelles !
Mme Sophie Primas. Mais bien sûr…
M. Franck Montaugé. Au regard de nos pratiques en matière d’évaluation des politiques publiques, je dois dire qu’une telle affirmation me laisse pour le moins songeur…
Différents groupes du Sénat, dont le mien et celui qui est conduit par le président Larcher, ont formulé, dans le cadre de la présentation du projet de révision constitutionnelle à la mi-2018, des propositions allant dans le sens d’une structuration de ce travail d’évaluation des politiques publiques. Je m’en réjouis. Parce que ce point est essentiel à mes yeux, je présenterai un amendement à l’article 1er visant à prendre en compte les remarques de la commission, pour que ne disparaisse pas purement et simplement de la proposition de modification de notre règlement l’évaluation des effets de la loi.
Sans préjuger de l’organisation et des moyens internes au Sénat qui permettront d’y pourvoir, et en tenant compte – c’est un point important – des préconisations du Conseil d’État, rappelées en 2017 par son vice-président Jean-Marc Sauvé devant le groupe de travail de l’Assemblée nationale sur les moyens d’évaluation et de contrôle du Parlement, je proposerai que soit inséré à l’article 19 du règlement du Sénat les dispositions suivantes : « Dans les deux ans suivant la promulgation de la loi, le rapporteur présente devant la commission une évaluation des premiers effets de la loi qui lui paraissent les plus significatifs. Dans les cinq ans après la promulgation de la loi, il doit être en mesure de présenter une évaluation complète de ses effets. Cette évaluation est effectuée au regard des motifs et de l’étude d’impact initiale de la loi. Elle prend en compte les effets de la loi sur les indicateurs de richesse légalement en vigueur et les objectifs de développement durable que la France met en œuvre dans le cadre de ses engagements internationaux pour le climat et le développement. Elle indique les effets de la loi sur la trajectoire des finances publiques. »
Si nous adoptons cet amendement, nous ferons un petit pas de plus vers l’évaluation des politiques publiques. Dans le cas contraire, la question restera entière.
J’ai bien conscience que le sujet est complexe et je constate qu’il suscite beaucoup de frilosité. Je crois cependant que le temps est venu, que nos concitoyens, nos territoires attendent que nous inventions un lien avec eux dans ce domaine, en vue d’une amélioration de notre fonction institutionnelle de représentation. C’est là tout le sens de mon engagement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bonnecarrère, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, Frank Montaugé a exprimé le sentiment du groupe socialiste et républicain, mais aussi son opinion personnelle, sur les questions de l’application de la loi et de l’évaluation.
Cette proposition de modification du règlement du Sénat visait initialement à élargir le champ de l’action parlementaire en matière tant de suivi de l’application de la loi que d’évaluation de celle-ci, en conférant au rapporteur d’un texte législatif une sorte de droit de suite. M. Jean-Pierre Sueur nous a exposé ce point de vue à diverses reprises. Attentif aux travaux de M. Stiglitz, qui préconise de tenir compte de la notion de bonheur pour le calcul du PIB, vous proposez quant à vous, monsieur Montaugé, avec une passion politique parfaitement légitime et respectable, d’enrichir le contenu du volet relatif à l’évaluation, qui doit dans votre esprit intégrer les dimensions participative et environnementale.
La commission des lois, sous l’égide de son président, M. Bas, s’est attachée à vous donner satisfaction autant qu’il était possible. L’application et l’évaluation de la loi sont deux sujets importants. Aux termes de l’article 21 de la Constitution, c’est une mission qui incombe au Premier ministre. Le Sénat, après différentes évolutions, est parvenu à la conclusion que les commissions étaient les instances les mieux placées pour assurer le suivi de l’application des lois, au travers notamment du bilan annuel de l’application des lois, dressé sous le contrôle de Mme Létard, vice-présidente de notre assemblée.
Concernant le suivi de l’application des lois, intégrer le rapporteur dans le circuit d’examen par les commissions et dans la réalisation du bilan annuel nous paraît envisageable. C’est le sens des amendements qui ont été adoptés par la commission, sachant que trois des quarante propositions faites par le Sénat dans la perspective de la révision constitutionnelle portent sur l’application des lois. La première tend à consacrer dans la Constitution l’obligation de prendre les mesures d’application des lois. Ce ne serait pas, en réalité, une véritable évolution constitutionnelle, puisque cela figure déjà dans nos principes. Le Sénat propose également un élargissement de la mission d’assistance de la Cour des comptes. La troisième proposition est d’ouvrir la possibilité, à l’instar de ce qui se pratique en matière constitutionnelle, à soixante députés ou à soixante sénateurs de saisir le Conseil d’État pour constater un retard ou une carence du Gouvernement dans l’application des lois. C’est là un élément tout à fait central : aujourd’hui, paradoxalement, nos concitoyens peuvent saisir le Conseil d’État, mais le Parlement n’en a pas la faculté !
Concernant l’évaluation des lois, il s’agit d’un mécanisme beaucoup plus complexe. Ce travail est effectué, dans une assez large mesure, de manière collective : il peut difficilement être confié au seul rapporteur et il s’accomplit aussi, au moins pour la commission des finances et la commission des affaires sociales, en lien avec la Cour des comptes. En outre, le projet de loi constitutionnelle, dans sa rédaction de mai 2018, prévoyait que la conférence des présidents de chaque assemblée arrête un programme de contrôle et d’évaluation. Là aussi, notre assemblée a déjà réfléchi à cette question et formulé trois propositions : élargir à toutes les commissions la possibilité de demander des enquêtes à la Cour des comptes ; améliorer l’articulation avec les procédures judiciaires ; étendre les pouvoirs d’investigation dont disposent la commission des finances et la commission des affaires sociales à l’ensemble des commissions permanentes – c’est la proposition n° 32, d’une particulière importance.
L’initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain est pertinente. La commission a essayé de la prendre en compte aussi largement que possible, ce qui a permis qu’elle l’adopte à l’unanimité. J’espère que cette unanimité pourra se confirmer ce soir, même si nous ne pouvons partager entièrement l’enthousiasme de M. Montaugé. Nous avons en tout cas bien compris que notre collègue prenait déjà date pour la révision constitutionnelle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, mes chers collègues, mon propos sera bref.
Notre groupe éprouvait quelques hésitations devant la configuration de la proposition de résolution initiale. En effet, prolonger très durablement la fonction de rapporteur n’est pas forcément une solution très expédiente dans toutes les situations. Je souligne à ce propos que le rapporteur et son rôle dans l’élaboration de la loi sont une spécificité française, de sorte que, dans bien des pays non francophones, on emploie ce terme même, ainsi qu’au Parlement européen.
Nous voyons bien que le rapporteur est une clef pertinente pour la préparation et la fabrication de la loi, en particulier dans notre assemblée, grâce à la qualité de nos collaborateurs. Toutefois, par définition, cette institution s’inscrit dans notre culture majoritaire : le rapporteur, dans la plupart des cas, appartient à la majorité politique de son assemblée. Or, de notre point de vue, le travail de vérification et le débat sur l’application de la loi après sa promulgation doivent être pluralistes. Ramener cette dimension au seul rôle du rapporteur, prolongé dans le temps, ne nous paraît donc pas forcément la solution optimale, a fortiori si l’on confie également au rapporteur un rôle d’évaluation de la loi, ce qui est par construction un sujet soumis à débat.
L’évolution du texte que M. le rapporteur a bien voulu nous proposer nous a convaincus. Nous allons donc soutenir cette proposition de résolution, comme nous l’avons fait en commission, sachant que le renforcement de nos capacités d’évaluation des lois, dans leur complexité, est un travail qui est encore devant nous ; Franck Montaugé a bien fait de le rappeler en introduction.
Après quelques décennies d’expérience parlementaire, je reste toujours frappé de l’appétit avec lequel les institutions parlementaires et les différents groupes souhaitent instaurer de nouvelles procédures ou recevoir de nouveaux pouvoirs, tout en manifestant une certaine nonchalance dans l’utilisation de ceux qu’ils ont déjà… (Sourires.)
En réalité, si l’on examine ce qui figure dans la Constitution et dans notre règlement, ainsi que les capacités d’intervention dont nous disposons à travers les missions d’information et d’autres procédures encore, on constatera que, si nous voulons évaluer la loi, nous avons déjà quelques outils pour ce faire !
On peut par ailleurs dresser un prébilan de la réforme des méthodes du Sénat, qui a donné lieu à quelques discussions entre nous : on voit bien que les semaines consacrées aux travaux de contrôle, centrés sur l’évaluation des lois, ne sont pas toujours celles où l’assistance est la plus fournie… (Marques d’approbation sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Il faut avant tout un changement de culture et de méthodes de travail, qui ne demande pas forcément l’adoption de nombreux textes.
En attendant, la présente proposition de résolution, telle qu’issue des travaux de la commission, nous paraît satisfaisante et susceptible de contribuer à cette évolution des méthodes. En conséquence, nous la soutenons vigoureusement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, mes chers collègues, quel parlementaire n’est pas révulsé par les délais, d’apparence incompressibles, entre le vote des lois et leur application ? Ce constat n’empêche d’ailleurs pas l’exécutif de se plaindre du temps perdu par les assemblées en débats et discussions d’amendements inutiles !
Faut-il, pour autant, en rendre responsables les sénateurs ou les députés, et leur donner une mission de « suivi » – de surveillance – de l’exécution des lois ? Je ne le pense pas. C’est une tâche qui incombe au Gouvernement et à son secrétariat général, que je croyais tout spécialement chargé de cette responsabilité. C’est lui qu’il convient de « responsabiliser », pour reprendre les termes du rapport, et non les parlementaires, dont la mission, n’en déplaise aux amateurs de procédures expéditives, est d’abord et toujours de faire la loi.
Je crains en effet que, sur fond de réduction des effectifs et des moyens d’action des parlementaires, leur donner officiellement la responsabilité de contrôler la mise en œuvre des lois qu’ils votent, loin de renforcer leurs pouvoirs, n’occulte encore un peu plus leur mission première : faire la loi.
Le contrôle de l’action du Gouvernement, dont ils ont effectivement la charge, n’est pas le service juridique après-vente de la loi, mais l’évaluation de la manière dont celle-ci est exécutée sur le terrain. Le contrôle annuel, par la commission des lois, de l’état d’avancement de la production par l’exécutif des textes d’application des lois relevant de sa compétence me semble suffisant et correctement exécuté. Cela suffit à l’édification des citoyens, sans créer de surcharge pour la commission.
J’ai une autre réticence, tenant au risque de spécialisation de quelques sénateurs de la majorité et de la minorité qui pensent comme elle. Par construction, un parlementaire est un généraliste ; la première vertu du Parlement, ce qui en fait autre chose qu’une assemblée d’experts, même juridiques, est qu’en théorie du moins la loi est le produit du débat collectif, et non d’échanges entre spécialistes. Le fait que les non-spécialistes, ceux qui ne trouvent pas évidentes les certitudes d’habitude, ont voix au chapitre est la première garantie de la vitalité du parlementarisme et de sa compréhension par nos concitoyens. C’est en tout cas ma conviction.
Le groupe CRCE ayant la faiblesse de tenir à cette vision du parlementarisme, nous nous abstiendrons sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Mme Victoire Jasmin applaudit.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, il est un souvenir qui restera longtemps en ma mémoire. En 2004, j’ai présenté un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale. Cela faisait suite à une demande formulée bien des années auparavant, alors que j’étais député, par des femmes dont les mères s’étaient vu prescrire du Distilbène, alors même que ce médicament avait été interdit deux ou trois années plus tôt aux États-Unis et qu’il présentait à l’évidence des dangers. Contre l’avis du Gouvernement, le Sénat a adopté cet amendement, qui visait à permettre à ces femmes de bénéficier d’une grossesse aménagée. Ces dispositions ont ensuite également été adoptées par l’Assemblée nationale.
L’association constituée par ces femmes s’est félicitée du vote de cette mesure, attendue depuis longtemps, mais, entre la promulgation de la loi de financement de la sécurité sociale et la parution du second décret d’application – deux décrets étaient nécessaires, l’un pour le régime général, l’autre pour la fonction publique –, il s’est écoulé exactement cinq ans, six mois et quatorze jours. Les femmes qui s’étaient réjouies de l’adoption de cette disposition en sont venues à se demander si l’on attendait, pour prendre les décrets, qu’elles soient trop âgées pour pouvoir en bénéficier…
J’ai multiplié les démarches : questions de toute nature, interventions en séance auprès des ministres, visites dans les ministères, etc. Il a néanmoins fallu cinq ans, six mois et quatorze jours pour que les décrets d’application paraissent. C’est tout à fait inacceptable. Il est paradoxal que tout ministre ait la latitude de ne pas appliquer la loi : il suffit pour cela qu’il s’abstienne de publier les décrets d’application. Certes, on peut former des recours devant le Conseil d’État, mais la procédure est complexe, et ces retards, parfois considérables, dans la parution des décrets sont un véritable problème. Nous nous félicitons de voter des lois, mais quand il faut autant de temps pour qu’elles puissent être appliquées, cela relève d’une forme de tromperie et la République se trouve en quelque sorte bafouée.
Je remercie notre collègue Franck Montaugé d’avoir été à l’initiative du dépôt de cette proposition de résolution, à la rédaction de laquelle j’ai participé et dont les dispositions concernaient à la fois l’application et l’évaluation de la loi. M. le rapporteur Philippe Bonnecarrère a expliqué que, si la question de l’évaluation était essentielle, nous avions choisi, après débat entre nous, de limiter le champ de ce texte au contrôle de l’application des lois. Cela n’est pas rien, comme en témoigne l’exemple que je viens de donner, qui me semble édifiant. Nous reviendrons sur le sujet de l’évaluation à la faveur de la révision constitutionnelle.
On pourrait proposer d’autres modalités, mais c’est à mon sens une bonne idée que de procéder à la vérification de l’application des lois en commission. Le rapporteur sera chargé de veiller à la parution des textes d’application : si, au bout d’un délai d’un an après le vote de la loi, par exemple, il constate que tous les décrets n’ont pas été pris, il pourra saisir le président de la commission, qui ne manquera pas, le cas échéant, d’inviter le ministre compétent à venir s’expliquer devant la commission. Je pense que cela aura un effet.
Comme notre collègue Alain Richard, je pense que la semaine de contrôle n’est pas du tout efficace. En général, les débats ne débouchent pas sur un vote et n’ont guère de suites. C’est pourquoi je préférerais que notre temps de travail soit partagé, de sorte qu’il soit consacré pour deux tiers à l’examen de projets de loi et pour un tiers à la discussion de propositions de loi, le contrôle relevant des commissions d’enquête parlementaires, des missions d’information et de l’application par les commissions permanentes de dispositions comme celles que nous allons, je l’espère, adopter. Ce sera un pas, mes chers collègues, vers une meilleure application des lois, au service de tous nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)