M. Alain Fouché. Il exagère !
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, sur l’article.
M. Philippe Bonnecarrère. Nous sommes confrontés à un problème de violences dans les manifestations, pas à un manque de lois contre les violences dans les manifestations.
Défendre la République, l’ordre public et la démocratie est une responsabilité que chacun de nous assume. Je vous renvoie, par exemple, à l’ensemble des mesures qui ont été prises pour lutter contre le terrorisme.
La question est de savoir si nous avons aujourd’hui les moyens de lutter contre les violences dans les manifestations. À mon sens, notre police et notre justice ont les moyens d’agir et de maintenir l’ordre républicain. Elles le font. Les interpellations ont lieu. Ainsi, quelque 2 000 manifestants – ce n’est pas rien – ont fait l’objet d’une judiciarisation lors des épisodes successifs du mouvement des « gilets jaunes ». Le juge pénal a la possibilité de sanctionner les auteurs de violences d’une interdiction de manifestation ou de déplacement dans le cadre des peines dites « complémentaires », au titre de l’article 131-10 du code pénal.
Je doute que le texte proposé puisse apporter en pratique l’efficacité que vous lui prêtez. Nous sommes devant un texte de circonstance. Le sujet n’est pas comparable à la lutte contre le hooliganisme, et il est difficile de soutenir la constitutionnalité d’un tel dispositif.
Une loi se doit d’être intemporelle. Demain, il pourrait être fait un mauvais usage de l’interdiction préventive de manifester.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Philippe Bonnecarrère. Plus fondamentalement, monsieur le ministre, si j’attends de nos institutions de la fermeté sur les sujets régaliens, je crois également que l’idée, de plus en plus en faveur aujourd’hui en Europe, selon laquelle nous serions mieux protégés si nous acceptions de renoncer à une partie de nos libertés est néfaste pour la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, sur l’article.
M. Jérôme Durain. Avec cet article 2, nous sommes au cœur du texte. Ce débat est marqué par un savant mélange d’idéologie et de calcul politique ; je pense notamment à la nécessité d’un vote conforme que l’on ne cesse d’invoquer.
Un orateur a parlé de « lâcheté ». Nous aurions pu faire un rappel au règlement, car un tel mot est tout à fait déplacé. Sur nos travées, nous n’employons pas le vocabulaire martial ; nous n’avons pas parlé de « hordes barbares », de « vandales », de « brutes », d’« ultra-violents ». En revanche, il ne manquera personne, dans nos rangs, pour condamner toutes les violences, exiger la plus grande sévérité et soutenir les forces de l’ordre.
Ce matin, le Défenseur des droits s’est inquiété du nombre inédit d’interpellations et de gardes à vue intervenues de manière préventive lors de certaines manifestations ; au demeurant, cela prouve que le droit actuel suffit, comme le soulignait notre collègue Philippe Bonnecarrère. Il s’interroge sur le fait que des directives des autorités semblent s’inscrire dans la continuité des mesures de l’état d’urgence, comme le relevait M. Leconte à l’instant, que, finalement, le régime d’exception empoisonne progressivement le droit commun et que ce qui se passe en ce moment contribue à poser les bases d’un nouvel ordre juridique fondé sur la suspicion, au sein duquel les droits et libertés fondamentaux connaissent une certaine forme d’affaissement.
Il y a déjà tout ce qu’il faut dans notre arsenal juridique pour lutter contre les violences et les casseurs. Arrêtons de nous embarrasser avec des sujets périphériques et dangereux ! On invoque l’interdiction administrative de stade comme si c’était un précédent magnifique. Or ce dispositif n’a pas été évalué, et les cas que l’on nous rapporte sont inquiétants. Les dispositions administratives sont parfois un peu rapides et aléatoires, et les personnes concernées subissent des contraintes extrêmement lourdes dans leur vie quotidienne.
Enfin, les juristes se délectent sans doute à l’avance des circulaires qui seront prises pour la mise en application de tels articles. Il y a en effet énormément de flou, notamment sur la signification du terme « agissements », comme l’a bien souligné notre collègue Loïc Hervé. Tout cela nous paraît bien aléatoire et bien trop dangereux. (M. Yves Daudigny applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. Le sujet est extrêmement important. Des amendements de suppression ont été déposés, mais il convient à mon sens de maintenir cet article. Je salue le travail accompli par nos collègues de la commission des lois sur une question particulièrement sensible.
Faisons confiance à notre administration, aux préfets, à leur capacité d’appréciation des situations et à leur bon sens. Cet article a le mérite de poser des problèmes essentiels en termes de sécurité intérieure. Nos forces de sécurité tant intérieure que civile, nos gendarmes, nos policiers, nos sapeurs-pompiers, nos militaires doivent être respectés. Ils méritent pleinement notre soutien.
Par ailleurs, s’il importe de respecter le droit de manifester, celui-ci doit s’exercer dans la paix et la sauvegarde de la sécurité des personnes comme des biens. Il est essentiel à cet égard de lutter contre les casseurs. Je soutiens la position de la commission des lois.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, sur l’article.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je souhaite aborder un point qui n’a pas encore été évoqué concernant cet article 2, lequel pose décidément beaucoup de problèmes ! Je souhaite bien du plaisir aux services du ministère de l’intérieur pour rédiger la circulaire d’application à l’intention des fonctionnaires de police…
Si la liberté de manifester peut être limitée en raison des principes de protection de l’ordre public, cela doit être de manière proportionnée. Or quid de son application dans le temps ? Personne n’en a parlé jusqu’à présent. Rien dans la rédaction de cet article, que d’aucuns souhaitent voter conforme, n’impose que les « agissements » aient été commis récemment. Une personne pourra donc se retrouver ad vitam soumise à une interdiction administrative de manifester, prise pour une durée d’un mois, mais régulièrement reconduite. J’attire votre attention sur ce point qui vous aura peut-être échappé, mes chers collègues, du fait de la rédaction complexe et touffue de cet article. (MM. Roland Courteau et Jean-Luc Fichet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, sur l’article.
M. Jacques Bigot. Monsieur le ministre, la rédaction proposée pour l’article L. 211-4-1 du code de la sécurité intérieure m’interpelle. Il est précisé que le préfet peut interdire à une personne de participer à une manifestation lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, elle constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Cela signifie que le préfet, qui doit motiver son arrêté, devra apporter la preuve de tels agissements. Il devra pouvoir en justifier devant le juge administratif. Dès lors, s’il existe des preuves, pourquoi cette personne ne ferait-elle pas plutôt l’objet de poursuites judiciaires, pouvant déboucher sur une condamnation à une peine d’amende ou de prison, en plus d’une peine d’interdiction de manifester ?
En réalité, ce texte n’offre pas les moyens d’agir ; il ne donnera même pas au préfet les outils lui permettant de justifier ses décisions devant le tribunal administratif. Tout ce que le Gouvernement espère, c’est que les personnes auxquelles auront été notifiés des arrêtés d’interdiction de manifester ne saisiront pas le juge administratif et se contenteront de rester chez elles… C’est un peu simple !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par MM. Durain, Kanner, Sueur, J. Bigot et Fichet, Mmes de la Gontrie et Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie, Sutour et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 20 est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Collombat et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jérôme Durain, pour présenter l’amendement n° 13.
M. Jérôme Durain. Je n’y reviens pas, le pouvoir accordé au préfet de prononcer une décision d’interdiction préventive de manifester est par trop discrétionnaire. On le voit bien, les éléments objectifs sur lesquels le préfet peut s’appuyer sont trop larges et aléatoires, ce qui pourra conduire à des interdictions arbitraires.
Par ailleurs, les conséquences de la mesure administrative d’interdiction – obligation de pointage, interdiction de prendre part à toute manifestation sur l’ensemble du territoire national pour une durée d’un mois – sont elles-mêmes disproportionnées et manifestement excessives.
Enfin, les garde-fous sont très putatifs, puisque l’exercice du droit au recours effectif devant le juge sera impossible dans les faits.
Pour toutes ces raisons, la suppression de cet article scélérat nous paraît souhaitable.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 20.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Ce n’est pas la première fois que le législateur tente de contraindre les libertés constitutionnelles par la voie administrative. On connaît les interdictions administratives de stade, les IAS, fortement contestées plus de dix ans après leur instauration, y compris sur le plan du droit. On se rappelle aussi que certaines et certains ont voulu étendre une mesure analogue aux fraudeurs dans les transports en commun…
Il me semble essentiel de revenir sur deux points précis : le dévoiement, déjà prévisible, du dispositif et l’atteinte portée aux droits de la défense.
L’Assemblée nationale a supprimé la condition préalable d’une condamnation pénale pour que le préfet puisse prononcer une interdiction de manifester. Les députés du groupe En Marche ont soutenu qu’il s’agissait d’une mesure préventive et transitoire, visant à rendre le dispositif opérationnel et efficace, au vu des délais de jugement. Globalement, l’interdiction administrative de manifester n’était censée servir qu’à « faire tampon » entre la constatation des faits et le jugement, tout comme les IAS. On se retrouve donc dans un régime de primauté de la police administrative sur la police judiciaire : on peut rappeler à cet égard le passif des IAS, qui bien souvent font office de jugement, voire sont maintenues malgré une relaxe judiciaire, au mépris de l’article 66 de la Constitution.
Par ailleurs, cela exige de borner au plus près le dispositif pour permettre l’effectivité du droit au recours. Le rapport du Sénat proclame que notre chambre a prévu un droit au recours, mais il omet de rappeler que le référé-suspension peut être jugé dans un délai allant jusqu’à un mois, le caractère d’urgence de ce dernier étant déterminé par le juge. L’Assemblée nationale a cru résoudre le problème en instaurant une présomption d’urgence, mais nous doutons clairement de son applicabilité. Les journées ne font que vingt-quatre heures : avec toute la meilleure volonté du monde, on ne pourra pas changer cela et instruire dans de bonnes conditions les dossiers.
Reste donc la solution d’une procédure contradictoire préalable à l’intervention de la justice, avec un droit de recours devant le préfet lui-même. Une nouvelle fois, l’exemple des IAS – je vous renvoie au rapport du Sénat de 2007 – montre que cette solution n’est pas satisfaisante.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. J’ai fait part, dans mon propos liminaire, des interrogations de la commission quant à certaines rédactions adoptées par l’Assemblée nationale à cet article 2.
Ces interrogations ne remettent toutefois pas en cause le bien-fondé de la mesure d’interdiction de manifester. Je rappelle que cette dernière n’aura en aucun cas vocation à concerner des manifestants pacifiques : il s’agit de viser uniquement les personnes les plus dangereuses, qui constituent une menace caractérisée pour l’ordre public. Le préfet de police de Paris m’a par exemple indiqué que de 80 à 100 personnes pourraient être concernées en Île-de-France : nous sommes loin de l’atteinte massive à la liberté de manifester !
Je voudrais apporter quelques précisions concernant l’emploi du terme « agissements ». Il s’agit ici de cibler des comportements très précis, qui ne sont pas couverts par l’acte violent. Seraient visées les personnes qui incitent à des actes violents, en les suscitant ou en les encourageant de façon récurrente.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Ce n’est écrit nulle part !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. C’est exactement ce qui nous a été dit lors des auditions.
Ces agissements répétés pourront être détectés par les caméras de surveillance : on vise précisément les meneurs.
Mes propos seront consignés au Journal officiel et pourront être utilisés par le juge administratif pour interpréter le droit en cas de recours.
M. Jean-Yves Leconte. C’est la loi qui compte !
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Je précise également que la personne devra présenter une menace d’une particulière gravité à l’ordre public. Par conséquent, madame Assassi, les auteurs de tags ne sont pas concernés !
Enfin, comme pour toutes les mesures de police administrative, la décision du préfet ne sera pas subjective : son arrêté devra être motivé. Des éléments probants permettant d’établir la menace à l’ordre public devront être apportés. À défaut, la mesure pourra être annulée par le juge administratif.
La commission est défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christophe Castaner, ministre. En ce qui concerne le terme « agissements », le critère pour prononcer l’interdiction de prendre part à une ou à plusieurs manifestations ne réside pas dans les agissements commis par un individu. Le fondement essentiel de l’interdiction administrative de manifester prévue par ce texte est « la menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». C’est cette menace d’une particulière gravité pour l’ordre public que constituerait la présence d’une certaine personne à une manifestation qui amène le préfet à prononcer l’interdiction de manifester à son encontre.
Les menaces d’une particulière gravité représentent le degré le plus haut dans la gradation des menaces à l’ordre public, qui comporte également les menaces et les menaces aggravées : il est essentiel, me semble-t-il, de garder cet élément en tête.
Par ailleurs, la menace pour l’ordre public est caractérisée par des agissements antérieurs de l’individu commis à l’occasion de manifestations ayant donné lieu à de graves atteintes aux biens et aux personnes. Là encore, il ne s’agit pas de pénaliser quelqu’un qui aurait simplement participé à une manifestation.
Le préfet, comme l’a souligné Mme la rapporteure, devra caractériser de manière précise et objective la menace d’une particulière gravité, notamment en s’appuyant sur des notes de renseignement, pour interdire à une personne de participer à une manifestation. Cette menace se caractérise, là encore, par des actes violents, par des comportements violents, voire par la référence à la commission d’une infraction pénale, sans que celle-ci ait forcément déjà donné lieu à poursuites par l’autorité judiciaire.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne faut pas avoir peur des préfets. Dès lors qu’ils devront notifier l’interdiction dans les trois jours précédant la manifestation, leur décision risquera, le cas échéant, d’être annulée par le juge administratif. Les préfets n’aimant guère cela, soyez assurés qu’ils veilleront à ce que leur décision soit bien fondée comme je l’ai indiqué.
Il convient de garder à l’esprit que l’autorité administrative agit dans le cadre de la prévention de troubles à l’ordre public, en aucun cas selon une logique répressive. Elle devra fonder l’interdiction de manifester sur des éléments de fait attestant précisément de la dangerosité particulière du comportement de l’intéressé pour l’ordre public. Il n’est question que de cela !
Il y a tout de même une forme de paradoxe à ne pas trouver choquant qu’un préfet puisse interdire une manifestation, mais à juger scandaleux qu’un préfet puisse interdire de manifestation une personne qui présente une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13 et 20.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
Lorsque, par ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique ayant donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations, une personne constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public
par les mots :
Lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser que la présence d’une personne dans une manifestation constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public et en raison, dans les six derniers mois, de sa participation à un attroupement tel que défini à l’article 431-3 du code pénal ou de ses agissements lors de manifestations ayant fait l’objet de poursuites ou d’une condamnation pénale
La parole est à Mme Josiane Costes.
Mme Josiane Costes. L’ensemble des amendements déposés par notre groupe à l’article 2 visent à souligner des difficultés d’ordre juridique ou opérationnel qui justifient, à notre sens, la poursuite de la navette parlementaire.
À l’alinéa 2, plusieurs points devraient ainsi être débattus plus longuement.
Tout d’abord, les critères actuellement retenus pour fonder la décision du préfet de prononcer une interdiction de manifester sont en réalité des infractions définies dans le code pénal. Cela donne à entendre que l’action administrative pourrait devenir concurrente de l’action judiciaire contre des casseurs, ce qui ne nous paraît pas pertinent au regard de la gravité des faits concernés.
Se pose en conséquence l’épineuse question de l’articulation entre les sanctions administrative et pénale. L’interdiction de manifester peut s’apparenter à une sanction administrative. Or la jurisprudence du Conseil constitutionnel est claire, notamment depuis sa décision du 18 mars 2015 : le cumul de sanctions peut exister à condition qu’il n’y ait pas d’automaticité.
Enfin, la rédaction actuelle de l’article 2 ne prévoit pas de limitation explicite dans le temps du recours à l’interdiction de manifester. De ce fait, en toute logique, un individu s’étant rendu responsable de violences lors de manifestations dans son jeune âge pourrait théoriquement faire l’objet d’interdictions de manifester plusieurs années plus tard. Il convient de contraindre l’autorité administrative à une actualisation de l’évaluation du risque.
Le présent amendement vise donc à la prise en compte de ces préoccupations au travers de l’alinéa 2, en imposant que soient cumulativement réunis des critères « subjectifs », fondés sur des notes de renseignement, et des critères « objectifs », tels que l’ouverture d’une procédure devant le juge judiciaire.
Cette rédaction se fonde sur le contrôle exercé par le juge administratif en matière d’expulsion des étrangers lorsqu’il évalue la menace grave pour l’ordre public que représente un individu.
Enfin, l’amendement vise à établir une sorte de prescription administrative, en prévoyant qu’une personne ne pourra être l’objet d’une interdiction de manifester prononcée sur le fondement d’infractions pénales constatées il y a plus de six mois.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, la commission s’est interrogée, comme notre collègue, sur la définition du champ d’application de la mesure d’interdiction de manifester adoptée par les députés.
Je rappelle que nous avons néanmoins décidé de souscrire à la rédaction retenue par l’Assemblée nationale au regard des assurances apportées par le Gouvernement et de ne pas modifier l’article 2.
La définition proposée par les auteurs de l’amendement n’apparaît, en outre, pas exempte de difficultés.
En premier lieu, elle ne semble pas plus restrictive que celle qui a été adoptée par l’Assemblée nationale. Le seul fait de participer à un attroupement sur la voie publique constitue certes un délit, mais ne paraît pas suffisant pour établir l’existence d’une « menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Une personne qui ne se disperse pas après sommations est en situation illégale, mais elle n’est pas pour autant à l’origine de troubles à l’ordre public.
En second lieu, retenir la rédaction proposée ne permettrait plus de viser les « meneurs ». Une telle restriction serait fortement dommageable sur le plan opérationnel et limiterait considérablement l’efficacité de la mesure.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 6 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère et Costes, MM. Artano, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
ou dont il a connaissance
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Cet amendement vise à souligner les limites de la législation actuelle, qui laisse une zone de flou entre les manifestations légales, régulièrement déclarées en préfecture, et les attroupements. Je rappelle qu’aux termes de l’article 431-3 du code pénal, « constitue un attroupement tout rassemblement de personnes sur la voie publique ou dans un lieu public susceptible de troubler l’ordre public ».
Si ce flou permet en temps normal une application souple du droit de manifester, il serait en revanche particulièrement problématique qu’une interdiction individuelle de manifester soit prise sur son fondement dès lors qu’il existe une incertitude jusqu’à la tenue effective de la manifestation. Dans ce cas, l’interdiction de manifester constituerait une atteinte non seulement au droit de manifester, mais également une atteinte à la liberté d’aller et venir…
Faute d’étude d’impact, nous ne connaissons ni le nombre de manifestations non déclarées en préfecture ne constituant pas un attroupement ni le ratio entre manifestations anticipées par les préfectures et manifestations effectivement constatées sur la voie publique.
Cette mention introduisant une trop grande insécurité juridique, il est proposé de la supprimer.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer la possibilité, pour un préfet, de prononcer une interdiction de manifester à l’occasion de manifestations qui ne seraient pas déclarées. Une telle modification réduirait considérablement l’intérêt de la mesure. Dans le cas des manifestations des « gilets jaunes », par exemple, qui n’ont pas, pour la plupart d’entre elles, donné lieu à déclaration, aucune mesure d’interdiction de manifester n’aurait ainsi pu être prononcée à l’encontre des casseurs. L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, A. Bertrand, Collin, Gabouty, Gold et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
ni le domicile d’un membre de sa famille
La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. La rédaction actuelle de l’article comporte déjà des précautions destinées à offrir quelques garanties aux personnes visées par des interdictions individuelles de manifester. Il est en particulier prévu que le périmètre géographique de l’interdiction de manifester ne pourra comporter ni le lieu de résidence de l’individu ni son lieu de travail.
Le présent amendement vise à souligner les difficultés familiales qui pourraient résulter d’interdictions portant sur un périmètre incluant, par exemple, le domicile de parents de l’individu ayant besoin d’être assistés par lui.
Dans un sens, la définition du périmètre n’est pas respectueuse du droit de mener une vie familiale normale tel que défini par la Convention européenne des droits de l’homme et interprété par la cour de Strasbourg. L’objet de cet amendement est donc d’y remédier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Troendlé, rapporteur. En première lecture, le Sénat avait exclu du périmètre des interdictions de manifester le domicile ainsi que le lieu de travail de la personne, de manière à se conformer aux exigences constitutionnelles.
Par cet amendement, notre collègue souhaite aller plus loin, en excluant également du périmètre le domicile des membres de la famille de la personne faisant l’objet de l’interdiction.
Je note que cette précision ne constitue pas une exigence posée par le Conseil constitutionnel pour garantir le droit à une vie familiale normale. Dans sa décision du 9 juin 2017 qui a censuré les interdictions de séjour de l’état d’urgence, le Conseil constitutionnel n’a ainsi fait référence qu’au domicile et au lieu de travail de la personne. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5 rectifié, présenté par Mmes M. Carrère, Costes et N. Delattre, MM. Arnell, Artano, Collin, Dantec, Gold et Guérini, Mme Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Roux et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Maryse Carrère.