M. le président. La parole est à Mme Josiane Costes, qui fait son retour parmi nous.
Mme Josiane Costes. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, depuis son adoption en 1989, la convention internationale des droits de l’enfant n’a cessé de produire des effets dans notre droit interne ; cette proposition de loi en est une nouvelle manifestation.
On observe par exemple un remarquable développement de la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant », dont l’incidence juridique est toujours plus importante, dans le contentieux des étrangers en particulier.
S’agissant du sujet qui nous concerne aujourd’hui, l’article 19 de la convention précitée est explicite : « Les États parties prennent toutes les mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou d’exploitation, y compris la violence sexuelle ».
Il est pourtant incontestable que, en dépit de cet engagement international clair, trente ans après son adoption, l’application de cet article est loin d’être satisfaisante en France.
En effet, madame de la Gontrie, on peut considérer, comme vous le faites vous-même avec rigueur dans votre rapport, que cette résistance relève d’un « habitus » bourdieusien qui agit à la fois dans les familles et dans les juridictions.
Comment expliquer autrement la survivance de la jurisprudence de la Cour de cassation relative au droit de correction, ou le fait que le nombre d’enfants subissant des violences éducatives ordinaires se maintienne au niveau que vous constatez ? Selon les informations que vous donnez, ces violences n’épargnent pas les plus petits, puisque 50 % des moins de deux ans y seraient soumis ! Paradoxalement, c’est la même société qui, d’une part, condamne les infanticides ou les viols sur mineurs au point de demander parfois le retour de la peine de mort, et, d’autre part, tolère que des parents exercent des violences destructrices et quotidiennes sur leurs enfants.
Cette tolérance est pourtant dépourvue de base juridique : le code pénal n’établit pas de distinction entre « violence ordinaire » et « violence extraordinaire ». Si la notion de violence éducative ordinaire a pour mérite de lever l’euphémisme d’autres désignations, comme celle de « correction », accoler au terme « violence » les mots « éducative » et « ordinaire » prolonge donc l’ambiguïté. Il s’agit ni plus ni moins de parvenir à ce que toutes les violences exercées par un individu sur un autre, quand bien même elles le seraient par un parent sur son enfant, soient sanctionnées.
La formulation proposée par la rapporteure et adoptée par l’Assemblée nationale permettra de lutter contre cette tolérance coutumière, en abolissant la limite factice entre violence parentale et violence interpersonnelle.
Bien sûr, tous les parents siégeant dans cet hémicycle reconnaissent que la frontière entre faire acte d’autorité et faire acte de violence, surtout psychologique, est parfois difficile à distinguer, surtout pour des parents désormais soumis à de multiples pressions professionnelles et familiales.
Mais gardons-nous de tomber dans une analyse trop simpliste du phénomène des enfants rois. Comme l’écrivent les spécialistes, « la notion de l’enfant roi ne désigne pas seulement une figure d’enfant, mais une forme de relation entre enfants et adultes. » C’est bien ce lien qu’il s’agit aujourd’hui de réinventer, et le rôle de l’État est d’accompagner les parents dans cette tâche – il faudra se demander quels moyens développer à cette fin.
L’autre intérêt de cette initiative et du rapport de notre collègue est de mettre en lumière l’incidence de la prohibition de telles violences sur le niveau de délinquance juvénile, alors qu’une réforme de l’ordonnance de 1945 est en cours de préparation. Il y a là l’idée que la crise d’autorité pourrait découler du décalage existant entre les affirmations de façade, celles d’une protection absolue de l’enfance, et la réalité, qui place encore les enfants en situation de vulnérabilité vis-à-vis de parents violents. Toute la société pourrait en réalité bénéficier de la protection de l’estime de soi de ces futurs adultes, qui conditionne la réussite scolaire et professionnelle.
Les membres du groupe du RDSE voteront donc en faveur de cette proposition de loi, qui a le mérite d’apporter une réponse adaptée à la problématique des violences éducatives ordinaires en faisant en sorte que leur abolition fasse partie du contrat familial. Nous pensons qu’en la matière la voie civile sera plus judicieuse que la voie pénale, afin que toutes les familles deviennent le lieu premier de construction d’une société pacifiée. On ne lutte efficacement contre des habitus qu’en préparant des évolutions de fond, pas des mouvements de surface.
Je conclurai en disant qu’il reviendra aux magistrats de la chambre criminelle de la Cour de cassation de se saisir de cette évolution et de renoncer à la jurisprudence du droit de correction, sans quoi l’abolition que nous avons en vue restera inachevée. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mes chers collègues, je veux d’abord dire le plaisir que j’ai d’intervenir après Josiane Costes, et saluer son retour, que nous devons à la promotion de Jacques Mézard. (Applaudissements.)
Je veux aussi remercier certains des orateurs précédents ; en effet, intervenant pour le groupe socialiste et républicain après les présentations du texte par Laurence Rossignol et du rapport par Marie-Pierre de la Gontrie – je les remercie également –, je me suis demandé ce qu’un membre du groupe pouvait encore avoir à dire sur cette proposition de loi. Heureusement, donc, certains m’ont donné l’occasion de leur répondre, et de dire à quel point, moi qui suis civiliste de formation, je suis content qu’enfin l’on s’attaque au code civil – nous touchons certes au détail de l’autorité parentale, mais ce détail n’est pas anodin, et je vais vous dire pourquoi.
N’oublions pas que les rédacteurs du code civil, dont certains voient leur souvenir perpétué, dans cet hémicycle même, par des statues, se sont préoccupés de cette question de droit de la famille qu’est celle de l’autorité parentale, et ont inventé ce qui paraissait logique en 1802 : la puissance paternelle.
Je cite ce qu’écrivait l’un des rédacteurs de l’époque, Bigot de Préameneu – je n’ai aucun rapport avec lui : « L’intérêt public est dans la bonne organisation de chaque famille ; car il en résulte la bonne organisation de l’État. »
Oui, la société a besoin de se préoccuper de l’organisation familiale ; et elle le fait dans le code civil, en instituant les obligations des parents : l’autorité parentale est une obligation ! Mais, avant l’autorité parentale, nous avons eu la puissance paternelle. Or la puissance paternelle créée par le code civil était bel et bien une relation d’autorité et de violence de l’homme sur la famille, y compris sur la femme. Il a fallu attendre le 4 juin 1970 pour que l’on institue enfin l’autorité parentale et pour que, admettant que les femmes ont aussi quelque chose à dire, on crée l’autorité parentale conjointe – les mères, auparavant, restaient débitrices de la puissance paternelle.
C’est dans cette évolution que nous nous inscrivons. Existent déjà, certes, un ensemble de règles internationales, fruit du travail effectué, depuis plus de cinquante ans, par le Conseil de l’Europe, ou de celui qui est mené autour de la convention internationale des droits de l’enfant, laquelle s’inspire simplement des réflexions de l’ensemble des sociétés évoluées, des sociétés occidentales notamment. Mais, sur notre territoire, dans cette société de violence que vous décrivez, la famille, via l’éducation donnée par les parents, n’est-elle pas par excellence le lieu de rappeler ce qu’est la règle et comment elle s’applique ? Si je ne peux imposer le respect de la règle que par la violence, comment réussirais-je à éduquer mes enfants ?
L’article 371-1 du code civil est, en la matière, tout à fait révélateur – sa rédaction est superbe : « L’autorité parentale […] appartient aux parents [… ] de l’enfant pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation et permettre son développement, dans le respect dû à sa personne. » Il est important que cette phrase figure dans le code civil. C’est cet article que, lorsque nous célébrons des mariages, nous lisons aux futurs parents – le mariage, en effet, reste au cœur de nos conceptions s’agissant de la création de la famille. Lisant ces mots aux futurs parents, lorsqu’ils sont jeunes, bien sûr – quand on marie des couples un peu plus âgés, on hésite à lire cet article –, on leur rappelle le rôle qu’ils vont avoir s’ils décident d’avoir des enfants. Ce rappel est, plus que jamais, important pour la société.
Nous devons donc être conscients que ce texte, quoiqu’apparemment anodin dans le contexte actuel, est en réalité fondamental : il est fondateur du rôle parental dans l’éducation. Oui, l’autorité parentale est aujourd’hui exercée, pour l’essentiel, sans violence, jusqu’à donner parfois, peut-être – vous avez raison, mes chers collègues –, trop de crédit aux sectateurs de l’enfant roi. Or l’enfant a besoin qu’on lui fixe des règles, et il a besoin de comprendre, corrélativement, que le non-respect de ces règles met en difficulté la vie familiale.
Combien de parents, néanmoins, savent très bien – l’un de nos collègues l’a dit, me semble-t-il, lors du débat en commission des lois – que la violence exercée par l’adulte en réaction au comportement de l’enfant n’est jamais une violence éducative, aussi énervant, agaçant, insupportable même, puisse être cet enfant, et aussi légère soit cette violence ? Il faut en être bien conscient.
Ce sujet est d’ailleurs d’une actualité brûlante, monsieur le secrétaire d’État, à l’heure où s’impose la nécessité d’expliquer à des gens qui, légitimement, s’expriment et revendiquent, qu’ils ne doivent pas le faire dans la violence, mais en dialoguant et en débattant, le tout avec bienveillance. C’est la même question qui est posée dans la vie familiale, dont on se demande bien pourquoi elle échapperait à ces réflexions ! Pourquoi, via le code civil, ne dirait-on pas de telles choses aux parents, de la même manière qu’on a osé dire, en 1970, que le père et la mère exercent conjointement l’autorité parentale, qui est un ensemble de droits et de devoirs ? Il s’agissait, à l’époque, d’une révolution – il suffit de lire les propos tenus alors par le député Pierre Mazeaud pour se rendre compte que cette question, à cette date, n’avait rien d’évident.
Acceptons, donc, cette évolution, qui n’est pas anodine. On ne peut pas systématiquement recourir au code pénal : on ne peut pas tout pénaliser, loin de là ! Ce qui relève du code pénal et donne lieu, par conséquent, à des poursuites, ce sont les violences inadmissibles exercées par des parents à l’égard de leurs enfants. Ces violences échappent de moins en moins au traitement pénal, parce que nous pouvons compter sur des associations qui agissent, des enseignants qui dénoncent, des procureurs qui poursuivent. Mais posons-nous la question : ces parents à qui l’on n’a pas dit que l’éducation se fait sans violence, physique comme psychique, ne reproduisent-ils pas les violences qu’ils ont eux-mêmes subies ?
L’ajout de ce petit alinéa a donc du sens, me semble-t-il. Et je veux dire à ma collègue Esther Benbassa que la présente rédaction me paraît meilleure que celle du texte initial, bien que ce dernier, tel que proposé par Laurence Rossignol, s’inspirât des dispositions contenues dans les conventions internationales.
Il n’est pas besoin d’ajouter « l’exclusion de tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux punitions et châtiments corporels ». Il s’agit, de manière positive, de dire que l’éducation se fait sans violences physiques ou psychologiques.
Sur la base de cette définition – j’ai pris note, monsieur le secrétaire d’État, de votre engagement –, un travail énorme reste à faire pour sensibiliser les parents et les enseignants, et pour faire en sorte que l’autorité parentale soit comprise comme l’apprentissage de la règle. Chacun d’entre nous devra s’investir au-delà du vote de ce texte pour expliquer ces notions, dans nos communes et sur nos territoires.
Il y va non seulement du respect des conventions internationales, mais aussi de la capacité du législateur, celui qui construit la société, à se faire comprendre des parents. Tel est en effet l’enjeu de la société de demain : faire en sorte que les enfants ne soient plus violents en leur apprenant que le rapport à l’autre passe par le respect de la règle, et pas forcément par la violence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui modifie l’article 371-1 du code civil, lu par l’officier d’état civil lors de la célébration du mariage, en y inscrivant le principe selon lequel l’autorité parentale s’exerce sans violence.
Nous convenons tous des bonnes intentions des auteurs de ce texte et de l’intérêt qu’il y a à réduire les violences au sein des familles, tant pour les couples que pour les enfants. C’est d’ailleurs si vrai que le code pénal prévoit déjà un arsenal de mesures permettant de sanctionner, de punir et de condamner les parents qui iraient trop loin.
Le juge aux affaires familiales peut également, selon l’article 515-9 du code civil, délivrer en urgence une ordonnance de protection lorsque les violences exercées au sein d’un couple « mettent en danger un ou plusieurs enfants ».
Ajoutons que la Cour de cassation a confirmé, dans un arrêt du 29 octobre 2014, la pratique jurisprudentielle du « droit à la correction » en rappelant que ce droit reconnu aux parents « a pour limite l’absence de dommages causés à l’enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant ».
La nouvelle rédaction du code civil proposée par la présente proposition de loi revêt une portée davantage pédagogique et symbolique que juridique, puisqu’elle ne prévoit même pas de sanction pénale. Aussi, je m’interroge sur la libre appréciation que les juges feront des violences éducatives ordinaires.
Je me méfie toujours de ces textes qui, sous couvert de bonnes intentions, intentions que nous partageons tous, consistent à distribuer officiellement des bons et des mauvais points, et, en l’occurrence, à stigmatiser les parents.
Lorsque l’on contraint physiquement un enfant à aller au coin, le texte s’applique-t-il ? Lorsqu’un enfant reçoit une tape sur la main parce qu’il a voulu toucher une plaque électrique un peu trop chaude, est-ce grave ? Contraindre un enfant à ranger sa chambre ou sa salle de jeux en le prenant par le bras, élever la voix quand il n’écoute pas, est-ce que ce sont des violences psychologiques telles qu’il en résulterait des perturbations tout au long de la vie ?
S’il est du devoir du législateur d’agir pour lutter contre toutes les formes de violence contre les mineurs, ce n’est pas à la loi de dire ce qu’est un bon ou un mauvais parent. Tous ceux qui sont devenus parents savent que rien ne peut vous préparer à la parentalité. C’est au fur et à mesure des années et des expériences que l’on apprend à bien s’occuper d’un enfant. J’ajoute que fixer des règles et les faire appliquer est essentiel pour que les enfants deviennent des adultes respectueux de la vie en société.
Veillons, dès lors, à ne pas contrarier l’autorité parentale, car c’est aux parents qu’il appartient de trouver les voies et les moyens de parvenir, dans le respect de la légalité, à la bonne éducation, laquelle varie d’ailleurs selon les familles, en fonction de leurs références et des points sur lesquels elles insistent. Au sein même d’une famille, les manières de procéder diffèrent selon les enfants, chacun ayant sa personnalité.
Il existe, à mon sens, bien d’autres phénomènes auxquels il faudrait s’attaquer en priorité, avec plus de force – je pense aux vols avec violences, aux agressions sexuelles, ou encore au harcèlement scolaire, dont sont victimes 700 000 élèves, parmi lesquels un sur quatre déclare avoir pensé au suicide. Ces phénomènes détruisent beaucoup plus de vies, notamment les vies de très jeunes enfants, que l’éducation parentale.
Par ailleurs, il serait souhaitable de développer les dispositifs de soutien à la parentalité ; parfois, en effet, il est nécessaire d’aider les parents à être parents. Beaucoup de maires soutiennent déjà de tels dispositifs, mais il conviendrait d’en généraliser la mise en œuvre sur l’ensemble du territoire et de les faire monter en puissance.
Il faut banaliser le recours à ce type de services pour éviter le risque de stigmatisation ou de prescription et pour répondre de manière concrète aux nouveaux besoins exprimés ou ressentis par les parents.
Des progrès restent à faire pour mieux appréhender l’hétérogénéité des situations parentales. L’offre existante est encore trop généraliste, donc insuffisante. Elle doit être articulée avec une autre offre destinée à répondre aux besoins spécifiques de certains publics, de façon à couvrir toute la population. Il s’agirait par exemple de développer des programmes à destination des parents d’adolescents, des parents de différentes origines culturelles, des parents qui se séparent, des familles monoparentales, etc.
J’aurai également une pensée pour les enseignants – on les oublie trop souvent –, qui se retrouvent de plus en plus, dès la maternelle, devant des enfants à qui les règles n’ont pas été apprises.
En conclusion, mes chers collègues, notre société doit certes se montrer à la hauteur de ses principes, humanistes et républicains, en réaffirmant la place qu’elle donne à l’enfant ; mais elle ne doit pas instaurer de confusion malsaine ; elle ne doit pas culpabiliser ; elle ne doit pas faire tomber sous le coup de la loi des comportements qui ne sont pas violents, mais qui sont tout simplement nécessaires, parfois, dans l’éducation de nos enfants.
Nous voterons ce texte bien qu’il se contente de rappeler une règle de bon sens, dont la violation est déjà sanctionnée par la loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vingt-trois pays en Europe, cinquante-quatre dans le monde, ont déjà interdit la pratique de la fessée.
La Cour de cassation, dans un arrêt de 2014, a reconnu aux parents un « droit à la correction » en rappelant qu’il « a pour limite l’absence de dommages causés à l’enfant, la correction devant rester proportionnée au manquement commis et ne pas avoir de caractère humiliant ».
La pratique de la fessée, qui peut évidemment répondre à ces critères, se verrait prohibée par l’adoption de cette proposition de loi, qui, de fait, l’interdirait.
Pourtant, on ne saurait automatiquement ranger la fessée dans la catégorie des maltraitances. S’il s’agit d’une simple tape sur le fessier, geste symbolique que pratiquent certains parents depuis la nuit des temps, cette punition corporelle peut se défendre.
Un exemple : malgré explication et interdiction répétée, mon fils, lorsqu’il avait cinq ans, m’a échappé et a traversé seul la route. Je lui ai donc donné une tape sur le fessier. Dois-je être condamnée pour cela ?
Par son article unique, cette proposition de loi pose un interdit dans le code civil sans prévoir de sanction pénale. Or ne pas prévoir de poursuites en cas de non-respect d’un interdit vide un texte de son utilité juridique. L’exposé des motifs précise d’ailleurs que cette rédaction a une « portée symbolique ». À quoi bon interdire une pratique si, en définitive, on laisse faire ?
Vous voulez que les Français changent leur comportement ; un enfant se corrigerait-il tout seul, sans sanction ? Comme la récompense, la sanction fait partie intégrante de l’éducation. On parle souvent de prévention plutôt que de sanction, jusqu’à en oublier que la sanction est une forme de prévention. La prévention persuasive consiste à éviter une transgression ; la prévention secondaire consiste, une fois la transgression effectuée, à éviter la récidive. En ce sens, la politique de la sanction concourt à la prévention secondaire.
Et c’est parce qu’un enfant compte plus que tout à nos yeux que nous sanctionnons un comportement aux conséquences négatives pour lui et pour son environnement.
La punition possède un rôle de réparation, car elle permet au jeune de prendre conscience des dégâts commis et de participer à leur réparation. Elle possède un rôle de rédemption, car elle permet au jeune, une fois la sanction effectuée, de reprendre sa place dans le groupe et de tourner la page. Par ses vertus réparatrices et rédemptrices, la sanction rend alors possible l’exercice du pardon : « tu as commis une faute ; tu l’as réparée ; je ne te juge plus pour ce comportement et je te redonne ma confiance. »
La sanction permet aussi au jeune de gérer sa culpabilité. Une absence de sanctions peut avoir des effets désastreux.
Le pédopsychiatre Pierre Lévy-Soussan explique que la Suède, qui a été l’un des premiers pays à adopter une telle loi d’interdiction, en a vu les effets pervers : des parents sont dénoncés à tort ; les enfants, érigés au rang d’enfants rois, deviennent intenables ; la violence augmente chez les enfants, comme la consommation de tabac et d’alcool chez les jeunes.
La punition peut justement incarner la limite, ce qui est structurant dans le développement de l’enfant. Et le fait qu’elle soit donnée par les parents, dans un certain contexte, répond à l’impératif de légitimité. Pour qu’une sanction soit efficiente d’un point de vue éducatif, il est nécessaire que le jeune y adhère et qu’il en comprenne le sens.
On voit qu’une fessée donnée dans le cadre de l’éducation d’un enfant est tout autre chose que de la maltraitance.
Le code pénal punit déjà toutes les violences corporelles et verbales sur les mineurs. Il n’existe pas de vide juridique : les violences sur les enfants sont prises au sérieux.
Naguère, on distinguait la fessée relevant de la pédagogie et celle qui était donnée dans le registre de la maltraitance.
Oui, la violence est intolérable ; oui, la maltraitance est inacceptable. Mais il ne faut pas faire d’amalgame ni confondre une fessée et la maltraitance.
Cela étant, je voterai pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je tiens simplement à indiquer quelles sont, de mon point de vue, les proportions réelles de ce débat.
Ce texte vise à compléter d’un membre de phrase un article du code civil que les maires lisent à chaque mariage ; dans cet hémicycle, nombreux sont ceux qui ont été maires et qui, de ce fait, le connaissent bien ! Il rappelle, d’une part, les obligations mutuelles des époux et, d’autre part, leurs obligations à l’égard des enfants.
La rédaction adoptée par la commission sur l’initiative de notre rapporteure, Mme de la Gontrie, précise : « L’autorité parentale s’exerce sans violences physiques ou psychologiques. » Il s’agit non pas d’une disposition pénale, mais simplement du rappel d’un principe que tous les parents devraient avoir à cœur de respecter.
Les auteurs de cette proposition de loi et notre rapporteure ont voulu proposer une disposition de nature pédagogique, à laquelle la commission des lois a souscrit en toute simplicité. Nous gardons à l’esprit que les violences accomplies par les parents sur leurs enfants sont déjà, et heureusement, passibles de sanctions : l’article L. 222-13 du code pénal les punit sévèrement.
Étant donné la confusion dont les règles applicables font l’objet, il me semble nécessaire d’apporter cette précision : les parents de France n’ont pas le droit de battre leurs enfants ! Et je m’estime heureux de vivre dans une République où c’est le cas depuis longtemps. J’ai lu certains commentaires selon lesquels on va maintenant interdire la fessée : pas du tout ! La fessée est interdite depuis bien longtemps ! Ce n’est pas de cela que nous discutons aujourd’hui.
Nous abordons le problème dans sa dimension juridique. Cette disposition – nous le reconnaissons – reste d’une portée limitée : elle rappelle simplement une saine inspiration qui doit guider l’attitude des parents à l’égard de leurs enfants.
Il ne s’agit pas de proscrire les punitions ou d’interdire l’autorité : on voit les résultats d’une défaillance de l’autorité parentale dans de nombreux cas de délinquance et, indépendamment de ces derniers, dans les difficultés que connaissent nombre de nos enfants, une fois arrivés à l’âge adulte, pour s’insérer dans la société, pour acquérir la maturité, qui donne des armes pour affronter la vie.
Si la commission des lois a adopté ce texte, c’est non seulement parce qu’il traduit une véritable exigence pédagogique, mais aussi parce qu’il ne vise certainement pas à imposer des règles contrariant l’exercice de l’autorité des parents sur l’enfant pour le faire grandir, pour lui permettre d’assumer un jour sa responsabilité d’adulte.
Je tenais à opérer cette mise au point. Elle me paraissait nécessaire pour circonscrire le débat que nous allons, à présent, consacrer aux amendements. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Marc Daunis. Très bien !
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à lutter contre toutes les violences éducatives ordinaires
Articles additionnels avant l’article unique
M. le président. L’amendement n° 2 rectifié bis, présenté par Mmes Boulay-Espéronnier et L. Darcos, MM. Daubresse et Panunzi, Mme Morin-Desailly, M. Sido, Mme Goy-Chavent, MM. Kern, Bonhomme, Laménie, B. Fournier, Regnard, Henno et J.M. Boyer, Mmes Lassarade, Gruny et Vullien, M. Vogel, Mmes Kauffmann, Deromedi, Dumas et Renaud-Garabedian, MM. Bockel et Moga et Mmes Noël et Lherbier, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 226-8 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° Après le mot : « téléphonique », sont insérés les mots : « ainsi que d’une information relative à la prévention des violences éducatives ordinaires » ;
2° Sont ajoutés les mots : « et leurs parents ».
La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier.