M. Bruno Le Maire, ministre. Voilà les trois objectifs fixés par le Gouvernement à travers cette opération. (M. Fabien Gay s’exclame.)
Pendant cette heure et demie de discussion, personne, je dis bien personne, n’a rappelé la situation actuelle. Pour ma part, je tiens à le faire. À vous écouter, on a le sentiment que l’État détient Aéroports de Paris à hauteur de 100 %, qu’il fait la pluie et le beau temps dans cette entreprise. Or ce n’est absolument pas le cas ! Que chacun l’entende bien : au titre de la loi de 2005, l’État a 50,6 % des actifs d’Aéroports de Paris, et les actionnaires privés en possèdent 49,4 %.
Mme Laurence Cohen. C’est déjà insatisfaisant, ce sera pire demain !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ainsi, au sein de cette société, le pouvoir est partagé ; pour 49,4 % des parts, les actionnaires privés disposent d’un droit d’exploitation illimité dans un actif que vous jugez stratégique.
M. Alain Fouché. Ça suffit comme ça !
M. Bruno Le Maire, ministre. Dès lors, chacun d’entre vous devrait considérer que la situation actuelle n’est pas satisfaisante.
Mme Sophie Taillé-Polian. Rachetons les actions !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’ai cru comprendre que, sur toutes les travées de cet hémicycle, l’on considérait Aéroports de Paris comme un actif absolument stratégique : vous ne devriez pas vous résigner à voir un actif stratégique appartenir, à hauteur de 49,4 % et pour une durée illimitée, à des acteurs privés.
M. Alain Fouché. Alors, tout le monde a tort ?
Mme Éliane Assassi. Pourquoi ne pas rester dans le champ public ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il s’agit d’une situation exorbitante du droit commun (Mme Sophie Primas s’exclame.), et la solution que nous vous proposons nous permet d’en sortir. (Exclamations sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Pierre Laurent. Ah, pour sortir, on sort !
M. Bruno Le Maire, ministre. Plusieurs chiffres ont été cités. Les 8 à 10 milliards d’euros d’argent public immobilisés au titre d’ADP ont rapporté, très exactement, 174 millions d’euros en 2017.
M. Fabien Gay. Montant en progression !
M. Bruno Le Maire, ministre. Beaucoup d’interventions donnent le sentiment que ces dividendes seraient en progression continue ; vous avez même parlé, les uns et les autres, de « poule aux œufs d’or ». Pardon, mais c’est faux !
Les chiffres sont têtus : les dividendes d’Aéroports de Paris peuvent être volatils. Ils ont ainsi perdu 17 % au cours de deux exercices. Les chiffres montrent à quel point il est préférable, quand on investit dans l’innovation de rupture, d’avoir des rendements stables et certains,…
M. Fabien Gay. Surtout avec les marchés financiers !
M. Bruno Le Maire, ministre. … plutôt que des rendements instables et incertains.
En 2008, les dividendes étaient de 110 millions d’euros. En 2010, ils sont tombés à 70 millions d’euros – ce qui représente 40 millions d’euros en moins. En 2011, ils se sont établis à 78 millions d’euros. En 2015, le montant est remonté à 157 millions d’euros, mais, en 2016,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Les dividendes ont été multipliés par six depuis l’origine !
M. Philippe Dominati. Pensons aux administrateurs de l’État !
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Dominati, quand vous affirmez que la régularité des dividendes permettrait de financer l’innovation de rupture de manière stable pour les dix prochaines années, ce n’est pas exact, et les chiffres le montrent. (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.)
Mme Annie Guillemot. C’est n’importe quoi !
M. Bruno Le Maire, ministre. Non, madame la sénatrice, ce sont les chiffres ; ce sont les montants des dividendes, qui résultent tout simplement de la valorisation de l’actif et des résultats comptabilisés à ce titre.
Au total, les fameuses activités aéroportuaires, que vous jugez stratégiques, représentent 26 % du résultat opérationnel courant ; les activités commerciales, c’est-à-dire les boutiques, en constituent 39 %, contre 16 % pour les hôtels et 18 % pour le développement international.
M. Pierre Laurent. Ça ne se découpe pas en tranches !
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous parlez d’un domaine absolument stratégique pour l’État, comme s’il s’agissait d’activités militaires ou nucléaires ; or le résultat opérationnel courant d’Aéroports de Paris est constitué à 74 % de commerces, d’hôtels et du développement international de l’entreprise. (Et alors ? sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Il ne me semble pas totalement absurde de confier la gestion des boutiques, des hôtels et du développement international d’Aéroports de Paris au secteur privé : c’est ma conviction. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.) Une nouvelle fois, regardons la réalité du chiffre d’affaires de l’entreprise avant de faire des déclarations impérieuses quant au caractère absolument stratégique de ces activités.
À travers l’opération qui vous est proposée, et que, grâce à votre rapporteur, vous avez à mon sens améliorée, le choix qui est fait, c’est de déléguer ce service public à un acteur privé, afin qu’il gère ces trois activités de la manière la plus cohérente possible.
Je répondrai à Sophie Primas quant aux modalités d’exécution de cette opération : la question est ouverte, et il faut que nous en discutions ensemble. J’ai également entendu un certain nombre de critiques récurrentes : j’y reviendrai et, plus largement, je répondrai à chacun d’entre vous. Nous avons tout notre temps : nous pouvons même y passer sept heures si vous le souhaitez ! (Sourires et exclamations.)
M. Jacques Genest. Le Président de la République en a pris six lors de son débat d’hier !
Mme Éliane Assassi. Et en bras de chemise ? (Nouveaux sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Premièrement, certains nous ont dit qu’il n’y avait aucun autre aéroport privatisé dans le monde. (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Fabien Gay et Mme Éliane Assassi. Personne n’a dit ça !
M. Bruno Le Maire, ministre. Beaucoup ont cité en exemple les aéroports américains ; or ces derniers sont loin d’être un modèle de succès.
Mme Éliane Assassi. Ça tombe bien, on ne veut pas faire comme les USA !
M. Bruno Le Maire, ministre. Prétendre que la France ne pourrait pas faire mieux que les Américains en la matière, c’est vraiment limiter les ambitions nationales…
J’en suis convaincu : les gestionnaires d’infrastructures aéroportuaires français sont capables de faire mieux que les Américains, qu’il s’agisse de la qualité de service des aéroports ou de la valorisation des infrastructures aéroportuaires.
Osaka est un aéroport privatisé ; Rome est un aéroport privatisé (Protestations.) ;…
M. Marc Daunis. Quelle erreur !
M. Albéric de Montgolfier. Londres, ce n’est pas un modèle !
M. Bruno Le Maire, ministre. Édimbourg est un aéroport privatisé ; Aberdeen, Glasgow, Southampton sont privatisés ; Copenhague, Bruxelles,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Cela n’a rien à voir !
M. Bruno Le Maire, ministre. … tous les aéroports portugais, Vienne, Brisbane, Melbourne, Zurich sont des aéroports privatisés. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Et Alors ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Aussi, ne considérons pas que, avec cette opération, nous faisons preuve d’une singularité totale : ce n’est pas le cas ! Il existe d’autres aéroports dont le capital a été ouvert au privé, dans le reste du monde.
Mme Annie Guillemot. Mais nous, nous sommes plus intelligents !
M. Roger Karoutchi. Ça, ce n’est pas sûr…
M. Bruno Le Maire, ministre. Deuxièmement, j’ai entendu, à de multiples reprises, la critique suivante : cette opération ne serait pas rentable, mieux vaudrait compter sur les recettes des dividendes, qui seraient régulières dans le temps, pour alimenter notre fonds pour l’innovation de rupture.
Je le répète : cette opération est financièrement rentable pour l’État. En euros actualisés, la valorisation de la participation de l’État sera supérieure aux soixante-dix ans de dividendes. Sur ce point, je tiens à répondre à M. Dominati.
J’entends la critique faite, à cet égard, par M. Gay,…
Mme Dominique Estrosi Sassone. Qui n’écoute pas ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Le Maire, ministre. … qui semble un peu dissipé ; mais les 8 à 10 milliards d’euros ne seront pas placés en bourse de manière aléatoire. Ils seront confiés au Trésor, avec un rendement de 2,5 %. Ils rapporteront donc, pour 10 milliards d’euros,…
M. Fabien Gay. Mais ce ne sera pas 10 milliards d’euros !
M. Guillaume Gontard. En effet !
M. Bruno Le Maire, ministre. … 250 millions d’euros de produit certain chaque année. (M. Fabien Gay s’exclame.) On aboutira ainsi, en l’espace de dix ans, à une recette de 2,5 milliards d’euros disponible pour l’innovation de rupture.
Par la même occasion, je répondrai aux diverses questions posées, il y a quelques instants, sur ce sujet : avec le fonds pour l’innovation de rupture, l’on disposera d’une garantie de financement de 2,5 milliards d’euros en dix ans, et l’on préfigurera un fonds pour l’innovation de rupture européen, qui devrait associer l’Allemagne et d’autres grands États européens. En regard – je viens de le montrer –, les dividendes en question ne sont pas réguliers d’une année sur l’autre : ils ne garantissent donc pas le financement stable et pérenne de l’innovation de rupture.
Troisièmement – cette critique a été la plus fréquente –, l’on fait une comparaison avec les autoroutes. Mais comparaison n’est pas raison : ces deux opérations n’ont strictement rien à voir, pour des raisons fondamentales.
Tout d’abord, l’opération relative à Aéroports de Paris est assortie d’un contrat de régulation économique, qui prévoit la révision, tous les cinq ans, des redevances aéroportuaires. Cette révision se fera sous le contrôle de l’État : les tarifs ne pourront pas être fixés sans l’accord de l’État.
Aujourd’hui, il s’agit d’une mesure contractuelle ; si vous votez le projet de loi PACTE, ce sera une disposition législative. Voilà pourquoi j’estime que la régulation sera renforcée après PACTE, et que les tarifs seront mieux contrôlés après cette réforme qu’ils ne le sont actuellement.
M. Jean-Louis Tourenne. Comme pour le gaz…
M. Bruno Le Maire, ministre. Dans un cas, vous avez une disposition contractuelle ; dans l’autre, vous avez une disposition législative,…
M. Alain Fouché. Pour les autoroutes aussi, c’était censé être formidable !
M. Bruno Le Maire, ministre. … qui prévoit, tous les cinq ans, l’adoption des tarifs aéroportuaires sous le contrôle et avec l’accord de l’État. À vous de choisir !
Mme Sophie Taillé-Polian. On a choisi : contractualiser avec une entreprise publique !
M. Bruno Le Maire, ministre. À mon sens, pour garantir la sécurité des tarifs, mieux vaut qu’une disposition législative figure dans PACTE. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.).
Certains m’interpellent au sujet des autoroutes.
M. Alain Fouché. On disait que ce serait formidable !
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur le sénateur, je n’ai jamais dit que c’était formidable : j’ai même dit qu’il fallait tirer les leçons de ces erreurs. Laissez-moi répondre à vos remarques.
Les autoroutes ont fait l’objet d’un contrat de redevance sans examen du niveau de rentabilité. À ce titre, l’erreur a été de ne pas prévoir le mode de révision des tarifs. Ces derniers sont réévalués de manière automatique, sans contrôle de l’État !
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je suis le premier à l’admettre ; j’estime que l’on progresse en reconnaissant les erreurs qui ont été commises, en les corrigeant et en garantissant un contrôle plus strict. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Je le répète : le contrôle sur les tarifs aéroportuaires sera de nature législative…
M. Pierre Laurent. En quoi cela justifie-t-il la privatisation ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … et donc plus fort, après PACTE, qu’il ne l’est aujourd’hui (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame de nouveau.), puisqu’il relève, pour l’heure, d’une simple disposition contractuelle.
Les mesures que vous pouvez voter aujourd’hui assurent, pour une autre raison, un véritable renforcement du contrôle exercé sur les tarifs face aux compagnies aériennes, sujet qui vous préoccupe légitimement : avec ce projet de loi, nous prévoyons le contrôle de l’Autorité de supervision indépendante des redevances aéroportuaires, l’ASI.
Cette instance rendra un avis sur le coût moyen pondéré du capital, ce qui n’est pas prévu pour ce qui concerne les autoroutes. Votre rapporteur a même proposé de renforcer cette autorité indépendante, et je suis prêt, dans le cadre de PACTE, à accepter les amendements des sénateurs tendant à accroître le contrôle de l’autorité indépendante sur les redevances aéroportuaires.
Permettez-moi d’insister sur ce point : il s’agit là de deux garanties fortes, qui vous sont données par le Gouvernement, pour le contrôle des tarifs aéroportuaires dans le cadre de cette opération.
M. Vincent Capo-Canellas. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Une disposition législative, un renforcement de l’autorité indépendante : cela nous distingue totalement de l’opération relative aux autoroutes, et cela vous garantit le contrôle de l’État sur les tarifs aéroportuaires.
On dénonce également une perte générale de contrôle sur une activité stratégique. Là encore, c’est faux ! Le cahier des charges m’est réclamé à cor et à cri : je le tiens à la disposition des sénateurs et des sénatrices qui souhaiteraient en avoir connaissance. (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) Mesdames, messieurs les sénateurs, ces éléments ont été transmis au rapporteur ; je les tiens à votre disposition…
M. Rachid Temal. Monsieur est bien bon ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jean-Luc Fichet. Trop bon ! (Nouveaux sourires.)
M. Bruno Le Maire, ministre. Ils vous permettront de constater des choses simples. Le contrôle sera plus fort après la loi PACTE qu’il ne l’était avant ; les dispositions de caractère législatif permettront de contrôler le niveau des investissements du futur concessionnaire ;…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Qu’est-ce qui empêche de le faire avec un acteur public ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … si le concessionnaire refuse de faire certains investissements pour valoriser Aéroports de Paris (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.), par exemple l’aménagement du terminal 4, l’État peut le contraindre à les réaliser ; si, à l’inverse, le concessionnaire engage des investissements qui ne lui semblent pas opportuns – je vous recommande d’en discuter avec les représentants d’Air France, notamment avec le nouveau patron de l’entreprise : il est le premier à émettre quelques doutes quant à certains investissements –, l’État est en mesure de les refuser au motif qu’ils ne sont pas souhaitables et ne sont pas de nature à valoriser Aéroports de Paris.
Qu’il s’agisse des nuisances sonores, de l’environnement ou de l’emploi, grâce aux dispositions ajoutées par les députés dans le cahier des charges, tous les éléments nécessaires ont été apportés pour garantir la bonne gestion d’Aéroports de Paris.
Ce cahier des charges est un élément absolument structurant des garanties apportées à Aéroport de Paris. Votre rapporteur a suggéré qu’il fasse désormais l’objet d’une clause de revoyure tous les dix ans. Je suis ouvert à cette proposition : si vous le souhaitez, ce document pourra faire l’objet d’un examen tous les dix ans. Ainsi, l’on s’assurera qu’il remplit bien les fonctions qui lui ont été fixées. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Le contrat de régulation économique devenant une disposition législative ; le renforcement de l’autorité indépendante ; le cahier des charges, que nous mettons à votre disposition et que je suis prêt à voir réexaminer tous les dix ans : voilà trois garanties substantielles que je donne aux sénateurs pour la sécurité de cette opération.
M. François Patriat. On ne peut pas mieux faire !
M. Bruno Le Maire, ministre. Pour souligner le caractère stratégique d’Aéroports de Paris, beaucoup d’entre vous ont relevé que cette entreprise était la première frontière de France. Je le comprends parfaitement, mais je vous rappelle une chose simple : qu’il s’agisse du contrôle des biens ou des personnes, notamment des contrôles douaniers, rien ne changera pour les activités régaliennes de l’État, absolument rien !
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Bruno Le Maire, ministre. Ces missions régaliennes continueront d’être exercées par la police aux frontières ou par les douanes, comme c’est le cas aujourd’hui.
Mme Laurence Cohen. Alors, pourquoi privatiser ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Il n’est pas question, pour nous, de déléguer ces missions régaliennes de contrôle de nos frontières à qui que ce soit.
La conclusion que je tire de tous ces éléments que je tenais à porter à votre connaissance est la suivante : l’opération qui vous est proposée permet, au bout du compte, à l’État de récupérer cet actif stratégique ; elle se fait avec trois verrous sûrs que sont le renforcement de l’autorité indépendante, le contrat de régulation économique et la révision du cahier des charges tous les dix ans ; les missions régaliennes de l’État restent inchangées. Il me semble que ce sont des garanties qui entourent de manière sérieuse cette opération.
Je vais maintenant répondre à chacune de vos interventions. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Marc Daunis. Après vingt minutes !
M. Bruno Le Maire, ministre. Monsieur Fabien Gay, je ne reviens pas sur votre PEL, je voudrais juste rappeler, sur la question importante des dividendes, que nous avons, d’un côté, des dividendes susceptibles de varier de 10 % à 17 % d’une année à l’autre et, de l’autre côté, un fonds placé à 2,5 % qui garantit rentabilité et sécurité pour l’innovation de rupture.
Monsieur Martial Bourquin, vous avez développé un argumentaire qui a été repris par beaucoup d’autres sénateurs sur le monopole d’État. Il ne me semble pas qu’Aéroports de Paris soit un monopole d’État et je conteste l’idée même qu’il s’agisse d’un monopole. En effet, le secteur a été libéralisé et cet établissement est soumis à la concurrence d’autres grands aéroports internationaux pour les voyages long-courriers, tels que Francfort, Londres ou Amsterdam. Les compagnies aériennes choisissent l’aéroport le plus opportun pour elles en termes de redevances, de tarifs, d’accessibilité et de services rendus. Il y a bien une concurrence sur les vols internationaux et donc pas de monopole de Charles-de-Gaulle, l’aéroport de Paris. (M. Rachid Temal s’exclame.)
En outre, celui-ci subit une concurrence nouvelle, notamment de la part de l’aéroport de Beauvais,…
M. Rachid Temal. Ce n’est pas du tout le cas, arrêtez de dire cela !
M. Bruno Le Maire, ministre. … dont le nombre de passagers a été multiplié par dix-sept en vingt ans et qui offre des solutions alternatives aux passagers français.
Monsieur Michel Vaspart, je viens de répondre sur le monopole, mais vous m’avez également interrogé sur les deux caisses. Il s’agit d’un principe fondamental, et il me semble que le président d’Aéroports de Paris, Augustin de Romanet, vous a présenté ses arguments pour le maintenir. J’y souscris totalement, car il s’agit d’un principe de saine gestion.
Quand les caisses sont mêlées, les activités les moins rentables sont financées par les activités les plus rentables, selon un système de vases communicants, ce qui empêche de faire les économies nécessaires pour que les premières gagnent en efficacité. On me dit que cela pousse à l’augmentation des tarifs, mais les tarifs aéroportuaires de Londres, qui fonctionne avec une caisse unique, ont davantage augmenté au cours des dix dernières années que ceux d’Aéroports de Paris.
Sur la base de l’expérience et d’un principe de bonne gestion, je considère qu’il est préférable de maintenir des caisses séparées entre les activités aéroportuaires et les activités commerciales, sinon les unes financent les autres sans que ces dernières fassent les nécessaires efforts d’économies et de compétitivité.
M. Rachid Temal. Il y aura un cahier des charges !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’entends également que cela pèserait sur les compagnies aériennes, mais je rappelle que les redevances ne comptent que pour 3 % à 4 % de leur chiffre d’affaires. Il me semble que le problème de compétitivité d’Air France, qui est d’ailleurs en passe d’être réglé – je suis persuadé que la situation de la compagnie va s’améliorer dans les mois qui viennent –, ne tient pas à la question des tarifs aéroportuaires,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Si, en partie !
M. Bruno Le Maire, ministre. … mais à d’autres éléments beaucoup plus stratégiques. Je le répète, ces tarifs représentent seulement 3 % à 4 % du chiffre d’affaires de cette compagnie.
Madame Viviane Artigalas, vous m’avez interrogé sur l’aéroport de Toulouse. J’ai déjà eu l’occasion de répondre dans cet hémicycle, mais le bilan de cette opération est très clair : une augmentation de 27 % de la fréquentation de l’aéroport en trois ans,…
Mme Annie Guillemot. Et les investissements ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … des résultats financiers en hausse de 27 % et des investissements qui correspondent à ce à quoi l’investisseur privé s’était engagé. (Mme Frédérique Espagnac fait un signe de dénégation.) Tout le monde devrait être satisfait de l’amélioration de la situation financière et du nombre de passagers de cet aéroport !
Mme Frédérique Espagnac. Ce n’est pas le cas !
M. Bruno Le Maire, ministre. Reste la question des 10 % que l’État conserve dans cet établissement. Je répète ce que j’ai déjà eu l’occasion de dire lors des questions d’actualité au Gouvernement, je vous recevrai quand vous le souhaitez – nous sommes en train de fixer une date – pour que les collectivités locales et les élus nationaux et locaux de Toulouse me fassent part de leurs souhaits à ce sujet. Nous prendrons notre décision sur l’investissement de l’État dans l’aéroport en fonction de cela. En la matière, c’est la meilleure garantie que je peux vous donner.
Monsieur Olivier Jacquin, vous nous dites que nous faisons cela parce que nous avons besoin d’argent. Non, nous faisons un choix d’investissement. L’alternative devant laquelle se trouve l’État est la suivante : continuer à gérer une activité qui, je le rappelle, est à 74 % commerciale ou réinvestir cet argent pour financer des innovations de rupture. Le président chinois, par exemple, (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) nous dit qu’il doit opérer des percées fondamentales en matière d’intelligence artificielle, de spatial, de gestion des données, de ferroviaire, d’aéronautique, de voiture électrique, de véhicule autonome et nous, nous devrions renoncer à dégager des moyens financiers suffisants pour garantir notre indépendance technologique ! (M. Olivier Jacquin s’exclame.) Il est temps que nous prenions une autre direction.
Le choix fondamental derrière la privatisation d’ADP, monsieur le sénateur, est là : l’État doit-il continuer à gérer des activités commerciales (Oh ! sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.) ou doit-il investir pour l’avenir de nos enfants ? (Mme Sophie Taillé-Polian fait mine de jouer du violon.) Nous, nous voulons dégager les moyens financiers nécessaires pour investir pour l’avenir de nos enfants et pour notre souveraineté technologique. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
Monsieur Patrick Kanner, vous me dites que les faits et les chiffres sont têtus et que nous menons une gestion aléatoire du pays. Je n’aurai pas la cruauté de rappeler dans quel état vous avez laissé la dette publique,…
M. Rachid Temal. Et la vôtre ?
M. Bruno Le Maire, ministre. … les déficits et les impôts ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Rachid Temal. Quel était votre bilan, après les années Sarkozy ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je préfère que l’on ne s’engage pas sur ce chemin, parce qu’il ne me semble pas que gestion des socialistes de 2012 à 2017 ait été un modèle de bonne gestion. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Madame Marie-Noëlle Lienemann, Vous nous faites des propositions. Je ne reviens pas sur les choix que vous aviez faits à une autre période. Vous nous dites que nous devrions récupérer de l’argent sur le crédit d’impôt recherche, le CIR, et sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE. Il ne me semble pas, toutefois, que l’instabilité de ces dispositifs soit de nature à garantir leur efficacité. Je préfère trouver des fonds ailleurs, c’est un choix politique différent.
Pour vous dire le fond de ma pensée, s’il fallait dégager de l’argent sur le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, parce que j’entends certains économistes nous dire qu’à partir de 2,5 SMIC ce serait beaucoup moins efficace, je réinvestirais ces sommes pour baisser les impôts de production des entreprises afin que celles-ci soient plus compétitives (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)…
M. Rachid Temal. Oh là là !
M. Bruno Le Maire, ministre. … et qu’elles créent des emplois pour nos compatriotes. C’est cela qui serait à mes yeux le plus utile et le plus efficace. (M. Patrick Kanner s’exclame.)
M. Pierre Laurent. Vous ne voulez donc pas que nous votions.
M. Bruno Le Maire, ministre. Vous nous dites également, madame Lienemann, que nous ferions cela pour laisser des droits de trafic aux compagnies étrangères. Vous le savez pourtant aussi bien que moi, les droits de trafic des compagnies étrangères ne sont pas accordés par Aéroports de Paris, mais par la Direction générale de l’aviation civile, la DGAC.