M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, sur l’article.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article vise à rendre nos entreprises « plus innovantes », en permettant d’« améliorer et diversifier les financements », notamment en prenant des mesures « en faveur du financement des entreprises par les acteurs privés ».
Il s’agit de mobiliser plus ou moins 10 milliards d’euros, issus du produit de la cession d’entreprises publiques stratégiques et du dégel de l’épargne réglementée, pour favoriser l’innovation dite « de rupture ».
Or n’avons-nous pas déjà quelques outils pour atteindre cet objectif sans recourir à l’abandon des actifs d’État et sans s’attaquer à l’assurance vie ? Que faisons-nous, par exemple, du dispositif Madelin, que nous aurions pu nous contenter de renforcer pour inciter ceux qui en tirent aujourd’hui parti à en faire un peu plus ? Comment justifier une telle mesure quand vous refusez toujours ne serait-ce que le moindre débat sur l’ISF et son rétablissement ?
Pourtant, je le disais, cet impôt couplé au dispositif ISF-PME constituait une incitation forte à des investissements dans la production.
Sans même parler d’un renforcement de cet impôt par une augmentation de son taux et des contribuables concernés, sans parler d’un élargissement de son assiette, un rétablissement répondrait à l’objectif que vous vous êtes fixé d’augmentation des investissements des particuliers en direction des entreprises. Et tout cela sans compter sur le milliard d’euros mobilisé par l’ISF-PME, un millième du patrimoine global estimé fin 2017, souvent égaré dans les frais de gestion des fonds de « défiscalisation ».
Il ne fallait donc pas grand-chose, monsieur le ministre, pour que le financement de nos entreprises soit porté par des mesures qui sont loin d’être aussi risquées que celles qui sont préconisées. Celles-ci portent, certes, des traces d’une innovation de rupture en matière de gestion des affaires publiques, mais je pense, comme nombre de mes collègues, qu’elles créent un risque pour une bonne partie de l’économie française et de l’épargne de nos concitoyens.
En effet, il ne faut pas oublier que l’argent de l’assurance vie, comme de l’assurance en général, est déjà largement engagé dans l’économie, qu’on le veuille ou non, et je n’évoque même pas celui de l’épargne sur livret.
M. le président. L’amendement n° 208, présenté par M. Gay, Mme Apourceau-Poly et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. Je présente ici un amendement de suppression de cet article, pour des raisons qui ne sont pas dogmatiques, et qui méritent réflexion.
Il s’agit, à toutes fins, selon vous, d’orienter l’épargne vers la sphère économique. Un tel objectif peut paraître louable, vertueux, mais de quoi parlons-nous ? À la fin 2017, l’épargne financière dans notre pays était supérieure à 5 000 milliards d’euros, soit plus de deux fois le PIB de la France. Elle a connu une augmentation de 250 milliards d’euros en douze mois, soit plus 5 %, alors que, dans le même temps, la croissance économique se chiffrait à 2,2 %, l’inflation à 1,8 % et le pouvoir d’achat à 1,6 %.
Vous l’avez rappelé ce matin, monsieur le ministre, le produit phare des épargnants, celui qui rassemble encore à peu près 40 % de leurs économies – peut-être un peu moins aujourd’hui –, c’est en effet l’assurance vie. Si 30 % des placements sont stockés sur les comptes bancaires, seulement 24 % vont aux actions et obligations.
Si l’on peut déplorer cette frilosité à investir dans la sphère économique, cela n’interdit pas de s’interroger sur le risque vers lequel on voudrait pousser nos compatriotes. Laurence Cohen vient de le rappeler, ce mode de placement sécurise quelque peu l’avenir, alors que le pouvoir d’achat baisse et que le niveau des retraites n’est pas garanti pour les années à venir – c’est l’un des sujets abordés lors du grand débat. Les gens préfèrent la sécurité et mettent de l’argent de côté pour assurer des lendemains un peu plus sûrs ou un peu moins précaires.
Il y a d’autant plus lieu de réfléchir sur ce sujet de la sécurisation de l’épargne, celle que vous souhaiteriez orienter vers l’économie, que le passé a fourni des exemples édifiants. Sans aller jusqu’à dire que toutes les entreprises fonctionnent de la sorte, souvenons-nous de l’affaire Enron, survenue voilà quelques années et qui a fait des dégâts considérables. Elle a provoqué la mise en place aux États-Unis de nouvelles règles en matière de transparence et de réglementation au niveau comptable pour mieux encadrer les dirigeants et les audits, afin d’assurer une meilleure transparence des comptes.
Nos concitoyens se préoccupent de se mettre à l’abri de l’insécurité, de l’incertitude, ce qui nous ramène aux choix économiques et fiscaux que vous faites dans ce pays. Vous voulez, ce qui est tout à fait normal, financer l’économie, mais n’oubliez pas l’économie réelle. Il faut tout de même avoir en tête que moins de 2 % des flux financiers dans le monde ont un rapport avec l’économie réelle, c’est-à-dire avec la production de biens et de services pour l’humanité. Tout le reste, c’est de l’abus, c’est de la spéculation, c’est de l’argent qui tourne sur lui-même. Les gens ont cela en tête, il faut tout de même le mesurer !
Bien sûr, les assujettis à l’ISF, enfin libérés de cet insupportable fardeau, vont se précipiter sur l’investissement… (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Peut-être faudrait-il solliciter quelque peu vos amis sur le sujet !
J’en viens aux banques, qui, je le sais, ne jouent qu’en partie leur rôle. Il y aurait lieu de débattre avec elles pour les inciter à orienter leurs investissements dans l’économie réelle, plutôt que de s’égarer dans les paradis fiscaux ou d’investir dans les économies et les énergies fossiles. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Monsieur Gay, monsieur Bocquet, heureusement que votre vision n’est pas dogmatique !
M. Julien Bargeton. Sinon, qu’est-ce que ce serait ! (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Cohen. Il y a des preuves, il faut les écouter !
M. Jean-François Husson, rapporteur. Ce ne sont pas des preuves : vous avez exprimé un point de vue, et je vais faire de même. Une telle confrontation est parfaitement normale ; elle participe du débat démocratique qui se déroule dans notre assemblée.
Je partage votre volonté de sécuriser l’avenir, de participer à la réussite économique des entreprises, au dynamisme de la France et même au financement de l’économie productive. Je crois qu’il ne faut pas supprimer cet article. En effet, ce projet se propose de rendre les Français davantage acteurs de leur vie.
Le Gouvernement veut conduire une telle transformation. Je pense, moi aussi, qu’il faut que la France évolue. Être impliqué dans la réussite des entreprises, c’est entrer dans en processus de réciprocité, qui stimule la capacité à produire des biens et à créer des richesses, grâce aux dividendes perçus, aux actions offertes ou à l’épargne-retraite. Cela permet de donner une nouvelle dynamique économique à notre pays, et nous en avons besoin !
Vous l’avez dit, et les statistiques le montrent, une bonne part des 1 700 milliards d’euros placés en assurance vie le sont sur des supports qui manquent manifestement de dynamisme. Plutôt que de laisser cet argent dormir, il faut le mettre davantage au service de la rentabilité et de la productivité de l’économie française, pour créer des emplois. Il n’a pas dû vous échapper que l’on trouve beaucoup de PME dans l’économie productive… J’y vois un véritable facteur d’intégration et de cohésion des équipes et des collaborateurs au sein des entreprises.
C’est la raison pour laquelle je pense qu’il faut que les uns et les autres évoluent. En tout cas, c’est ce que je nous invite à faire collectivement. Mes chers collègues, peut-être pourrez-vous ainsi nous rejoindre, malgré les propos que vous venez de tenir.
Mme Laurence Cohen. Et ce propos, il n’est pas dogmatique, peut-être ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. La commission spéciale émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je partage l’avis de M. le rapporteur. Je rassure tout de suite M. Gay : je ne vais pas parler pendant huit minutes ; je serai plus bref, et je le regrette d’ailleurs.
M. Fabien Gay. Sur l’article 20, vous avez parlé sept minutes !
M. Bruno Le Maire, ministre. En effet, notre débat est intéressant : derrière la loi PACTE, il y a un débat sur ce que nous voulons pour l’économie française.
Je ne cesserai de redire que notre économie a besoin de produire plus, d’investir, d’innover, de créer des emplois et d’avoir du capital à sa disposition. Et je continuerai de dire que les choix fiscaux faits par le Gouvernement en 2017, que j’ai présentés ici au Sénat et à l’Assemblée nationale, et qui visaient à diminuer la fiscalité sur le capital en France, sont justes et nécessaires pour notre pays. En effet, ils permettront à nos entreprises d’investir, d’innover, d’être compétitives et de créer des emplois pour nos compatriotes.
Les autres solutions qui ont été essayées et qui consistent à financer tout cela par de la dépense publique génèrent de la dette, qu’il faut rembourser. Au bout du compte, cela appauvrit le pays ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Martial Bourquin. Quel raccourci !
Mme Sophie Taillé-Polian. Encore du dogmatisme !
M. Bruno Le Maire, ministre. Je ne sors pas de cette logique. Elle est différente de la vôtre, mais je constate, tout simplement, que le chômage a baissé depuis deux ans. Même si ce n’est pas suffisant, nous sommes dans la bonne direction.
Je constate que, pour la première fois depuis douze ans – c’est l’OFCE qui le dit, un organisme qui, en général, ne nous fait spécialement de cadeaux –, la pression fiscale sur les ménages français a baissé. Et la croissance française a atteint 0,3 % au quatrième trimestre de 2018, quand beaucoup d’autres pays européens sont dans une situation plus difficile, voire connaissent une croissance négative.
Je ne dis pas que tout cela est parfait. Je pense que l’on peut faire beaucoup mieux, car les entreprises françaises ont le talent pour faire beaucoup mieux si nous adoptons des dispositions pour leur faciliter la vie et soutenir l’investissement. Mais je considère que nous sommes dans la bonne direction. Et dans un tel cas de figure, il faut être capable de continuer à maintenir les éléments fondamentaux des choix fiscaux et économiques que nous avons faits, sous l’autorité du Président de la République, depuis maintenant deux ans.
S’agissant de l’assurance vie, celle-ci reflète parfaitement, les difficultés françaises actuelles : sur les 1 700 milliards d’euros de l’assurance vie, quelque 1 400 sont placés en toute sécurité et 300 sont placés en actions sur des comptes un peu plus risqués. Nous, ce que nous voulons, c’est attirer davantage d’avoirs placés en assurance vie sur des produits un peu plus risqués, mais qui financent l’économie française. Tout l’objectif de cet article, c’est d’inciter les Français à aller davantage vers ces produits qui financent directement l’économie française.
Je veux rassurer M. Gay et l’ensemble des sénateurs, nous aurions pu proposer le « grand soir » de l’assurance vie. Nous avons eu des discussions très longues, notamment avec les assureurs, sur ce sujet. Cela aurait supposé de faire quelque chose que j’ai refusé, à savoir remettre en cause la garantie sur le capital sous huit ans.
Je pense que nous aurions ainsi franchi une ligne rouge par rapport à la sécurité de l’épargnant dont je vous ai parlé. Si l’on avait vraiment voulu garantir une rentabilité encore beaucoup plus forte et exposer les épargnants à un risque plus important, on aurait pu leur proposer des produits comportant des risques importants et susceptibles de produire une rentabilité importante, en leur demandant, en contrepartie, de renoncer à la garantie sur leur capital. Toutefois, j’ai considéré que cesser de garantir le capital de l’épargnant revenait à franchir une ligne rouge qui aurait été dangereuse.
L’article 21 me semble présenter un juste équilibre entre le risque proposé à l’épargnant et la sécurité de son placement.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Cela n’a pas duré sept minutes, mais quatre ! (Sourires.)
La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, j’aime bien que l’on débatte ! Je sais, vous êtes pragmatique, vous êtes le nouveau monde. Nous, nous sommes l’ancien monde et les dogmatiques.
M. Gérard Longuet. Vous êtes même le très ancien monde ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Fabien Gay. Très ancien, en effet, je le sais. Votre rêve, c’est que nous disparaissions !
M. Gérard Longuet. Non, surtout pas !
M. Fabien Gay. Toutefois, pour l’instant, nous sommes là, et bien là ! Nous allons continuer à animer les débats, comme nous savons le faire, toujours en défendant nos idées.
J’aimerais entendre vos réponses, car il ne faut pas esquiver le débat, notamment au sujet de l’investissement dans les PME. La suppression de l’ISF-PME a privé les PME, que nous voulons soutenir, comme vous, de 516 millions d’euros, qui n’ont pas été compensés.
De même, les montants qui n’ont pas été perçus au titre de l’ISF n’ont pas été réinjectés, comme on le dit, dans l’économie réelle. J’attends une étude et un argumentaire sérieux qui infirme mes propos : tout montre que cet argent est parti soit vers les marchés financiers, soit vers l’épargne. Nous avons fait deux interventions sur ce sujet. Je sais que vous ne souhaitez pas en parler, mais vous devez répondre à mon argument et m’en opposer d’autres ! Ensuite, nous pourrons poursuivre la discussion sur les investissements vers les PME. C’est la méthode que je vous propose, et qui nous permettrait d’avancer dans les discussions, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. J’ai écouté avec beaucoup d’attention les propos de M. le ministre et je partage un certain nombre de ses points de vue. Cependant, sa philosophie générale me gêne un peu.
Au fond, monsieur le ministre, ce que vous nous dites, c’est qu’il y a une épargne passive, qui ne sert pas à grand-chose, tout simplement parce que nos concitoyens ne souhaitent pas prendre des risques. Vous, ce que vous voulez, c’est faire en sorte de financer l’entreprise, incitant, pour ce faire, les épargnants à prendre des risques.
Toutefois, la plupart des épargnants sont de petits épargnants et ont relativement peu d’argent. La volonté de les inviter à se trouver éventuellement en difficulté au bout de leur épargne-retraite m’angoisse quelque peu.
Cela m’angoisse d’autant plus que je retrouve là une certaine forme de pensée selon laquelle les petits épargnants et ceux qui n’ont guère d’argent doivent tout de même faire quelque chose pour l’économie. Mais quid de ceux qui encaissent beaucoup de dividendes ? Ne devraient-ils pas, eux, investir ?
Vous l’avez rappelé – vous savez cela beaucoup mieux que moi, qui n’ai pas de compétence en la matière –, ce qui fait l’avenir de notre économie, c’est l’investissement à réaliser. Or, lorsque l’on sait que la quasi-totalité ou la majeure partie des bénéfices servent simplement à rémunérer les actionnaires et non pas à financer l’investissement, il me semble que votre volonté laisse de côté une cible, qui est la plus essentielle et pour laquelle vous ne proposez aucune solution.
Je me dis que les plus riches sont à chaque fois épargnés, alors que l’on ne manque jamais de demander aux plus pauvres de faire des efforts ! J’ose espérer que dans les unités de comptes, dont nous reparlerons tout à l’heure, nous allons trouver des moyens de garantir le capital des petits épargnants. J’espère aussi que nous aurons l’objectivité et la neutralité nécessaires pour leur faire valoir les avantages et les inconvénients des diverses solutions qui existent sur le marché.
M. le président. L’amendement n° 134, présenté par MM. Tourenne et M. Bourquin, Mme Espagnac, MM. Lalande et Kanner, Mme Artigalas, MM. Durain et Lurel, Mme Tocqueville, M. Antiste, Mmes Blondin et Bonnefoy, MM. Courteau, Duran, Fichet et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première et seconde phrases
Supprimer le mot :
conclus
et le mot :
effectuées
La parole est à M. Jean-Louis Tourenne.
M. Jean-Louis Tourenne. Cet amendement est très simple. Au regard de l’urgence climatique et sociale, qui a été rappelée il y a quelques instants et qui est une réalité criante, la France doit être en mesure d’apporter des solutions de financement immédiates.
Le présent amendement vise donc à permettre la présentation d’unités de comptes responsables à l’ensemble des contrats en unités de comptes dans l’économie sociale et solidaire et dans la transition écologique, et non uniquement aux nouveaux contrats conclus à compter de 2020 et de 2022.
En clair, dans les nouveaux contrats en unités de comptes, il n’y a pas de problème, ces solutions responsables seront présentées. Je pense aux contrats qui existent et pour lesquels il serait bon, afin de garantir une véritable efficacité, d’ouvrir la possibilité de présenter ces solutions responsables. Afin de dissiper toute ambiguïté, je précise qu’il s’agit non pas d’une obligation, mais bien d’une possibilité, offerte à tous ceux qui veulent y souscrire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission spéciale ?
M. Jean-François Husson, rapporteur. Je partage évidemment les objectifs visant à accélérer le verdissement de notre économie par des moyens financiers, notamment par le secteur de l’assurance vie.
Je vais toutefois émettre un avis défavorable sur l’amendement, qui, comme vous l’avez dit, tend à remettre en cause des situations contractuelles. Cette proposition disposition, en ce sens, une vraie fragilité constitutionnelle, que nous vous avions signalée en commission spéciale ; vous avez fait néanmoins le choix de la présenter de nouveau.
Nous considérons qu’il faut être attentif à ne pas exposer ce projet de loi à des risques d’inconstitutionnalité. Telle est la seule et unique raison pour laquelle j’émets, au nom de la commission spéciale, un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Bruno Le Maire, ministre. Je partage l’avis de M. le rapporteur.
Certes, je souscris à l’ambition de M. Tourenne, qui est d’orienter le plus possible l’épargne des Français vers l’économie verte. Au-delà des dispositifs présentés dans le projet de loi PACTE, nous travaillons d’ailleurs actuellement avec les banques et assureurs à des mécanismes de finance verte encore beaucoup plus efficaces. Ceux-ci reposeraient sur un principe de transparence, grâce auquel on pourrait évaluer très précisément la part d’actifs de chaque banque ou de chaque assureur placée sur des produits verts, c’est-à-dire sur de l’énergie renouvelable, des éoliennes, notamment off-shore, du solaire.
Il s’agit de permettre à l’épargnant de savoir où vont ces dépôts, où va son épargne. Est-elle dirigée vers des énergies renouvelables, vers des centrales ou des mines à charbon ? Je suis convaincu que, au bout du compte, ceux qui feront la finance verte, ce seront les clients.
En effet, un jeune de vingt-cinq ans qui va placer son épargne suivra le parcours de son dépôt. Il voudra savoir où sont affectées les sommes de son contrat d’assurance vie ; où va l’argent qu’il a placé dans la banque. Je suis persuadé qu’il préférera placer son argent dans une banque qui finance la transition énergétique plutôt que dans une banque qui continue à financer des activités qui ne sont pas respectueuses de l’environnement. C’est une conviction très forte chez moi.
Toutefois, votre amendement me pose problème pour les mêmes raisons que M. le rapporteur. En effet, vous touchez au droit des contrats parce que vous remettez en cause des contrats déjà conclus. Pour l’avenir, nous avons déjà prévu des dispositifs qui permettent d’orienter l’épargne vers l’assurance vie verte, mais nous ne souhaitons pas remettre en cause les contrats déjà conclus.
C’est la raison pour laquelle je vous suggère, monsieur le sénateur, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nelly Tocqueville, pour explication de vote.
Mme Nelly Tocqueville. Monsieur le ministre, j’entends bien vos explications. Je crois néanmoins que l’urgence climatique actuelle nous oblige à jeter un regard différent sur cette situation.
Alors que les participants aux différentes manifestations pour le climat regroupent un nombre toujours plus important de personnes, il ne nous paraît pas tout à fait incongru de permettre la présentation d’unités de comptes véritablement responsables, puisqu’il s’agit bien d’une simple possibilité qui serait donnée à l’ensemble des contrats.
Monsieur le ministre, vous avez raison de souligner l’importance de la création d’emplois, à laquelle nous sommes également très attentifs. Or l’économie verte est potentiellement créatrice de milliers d’emplois. Élargir cette possibilité à l’ensemble des comptes serait véritablement responsable, me semble-t-il.
M. le président. L’amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Longuet, Mme Bonfanti-Dossat, M. Bonhomme, Mme Bories, M. Brisson, Mme Bruguière, MM. Chatillon, de Nicolaÿ et Daubresse, Mmes Deroche, Deromedi et Gruny, MM. Laménie, D. Laurent, Lefèvre, Magras, Mandelli et Mayet, Mme M. Mercier, MM. Piednoir, Poniatowski, Priou et Regnard, Mme Ramond et MM. Rapin, Revet et Vaspart, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 17
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
« Art. L. 131-1-3. – Dans les contrats d’assurance sur la vie ou de capitalisation dont le capital ou la rente garantis sont exprimés en tout ou partie en unités de compte au sens du deuxième alinéa de l’article L. 131-1 du présent code, la valeur de ces unités de compte, en cas de demande de versement de primes, de rachat, de transfert, d’arbitrage ou d’avance par le souscripteur ou l’adhérent, est déterminée, lorsque la périodicité de valorisation est inférieure à trente jours, sur la base d’une valeur des actifs constituant ces unités de compte arrêtée à une date postérieure à la date de réception par l’assureur de ladite demande, indépendamment, le cas échéant, de la date de publication de cette valeur.
« Toute clause contraire est réputée non écrite.
« Le présent article s’applique aux contrats et adhésions conclus à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la croissance et à la transformation des entreprises, ainsi qu’aux contrats et adhésions en cours à la même date.
« Pour les contrats et adhésions en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la croissance et à la transformation des entreprises dont les stipulations ne sont pas conformes aux dispositions du présent article, la valeur des unités de compte est déterminée sur la base de la première valeur des actifs constituant ces unités de compte, arrêtée à compter du jour suivant la date de réception par l’assureur de ladite demande, indépendamment, le cas échéant, de la date de publication de cette valeur.
« Pour ces mêmes contrats et adhésions, dans un délai de cinq ans à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la croissance et à la transformation des entreprises, le souscripteur ou l’adhérent peut, s’il s’y croit fondé, saisir le juge du tribunal de grande instance compétent aux fins de rechercher, dans les conditions du droit commun, s’il y a lieu de réparer le préjudice éventuellement né de la modification de son contrat ou de son adhésion opérée par le présent article. L’indemnité éventuellement allouée ne peut excéder le montant de la plus-value réalisée par le souscripteur ou l’adhérent sur son contrat ou son adhésion au cours des cinq années précédant la date d’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la croissance et à la transformation des entreprises. » ;
La parole est à M. Gérard Longuet.
M. Gérard Longuet. Cet amendement est en apparence technique. Mais, en réalité, il vise à exprimer la responsabilité du législateur que nous sommes au regard d’un risque avéré de désordre public ; celui-ci remettrait en cause la confiance que nos compatriotes doivent placer dans l’épargne de long terme orientée vers la production à partir de produits à risque, à savoir les actions.
Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. (Sourires.) En ce temps-là, l’assurance appartenait à l’État ; elle était sous l’autorité et la tutelle d’une direction des assurances. Les produits vendus aux clients étaient labellisés par l’État.
Or, involontairement – c’était avant le numérique, je le reconnais –, les compagnies d’assurance de l’État – en tout cas, celles qui avaient été autorisées par lui – ont placé sur le marché la martingale absolue pour être certain de gagner en bourse.
Le problème, c’est que quand vous êtes certains de gagner en bourse, cela signifie que d’autres sont certains de perdre ! Ce déséquilibre naît de ce que l’on appelle la clause d’arbitrage en cours connus.
L’objectif était de protéger la veuve de Carpentras, de telle sorte qu’elle puisse vendre ses actions dans le cadre de son assurance vie ou de son contrat de capitalisation avec un cours connu. Or, aujourd’hui, avec la réactivité des cours, tout se sait en instantané et même un décalage de deux ou trois jours – ce sont souvent des contrats d’une semaine, voire de quinze jours –, vous donne la certitude de vendre ce qui baisse ou d’acheter ce qui a monté : vous êtes certain de gagner !
Certes, on pourrait considérer que c’est formidable, car la veuve de Carpentras va enfin gagner un peu d’argent. Sauf que, si elle est séduite par un trader fou ou par un directeur de fonds activiste, rien ne lui interdit d’emprunter et de jouer des sommes considérables, de faire perdre la banque, laquelle va s’équilibrer sur les autres épargnants, créant ainsi un déséquilibre absolu.
C’est un problème juridique extrêmement complexe. Je pense que seul le législateur peut intervenir, car les autorités de tutelle qui ont succédé à la direction des assurances ne peuvent intervenir qu’après, quand le mal est constaté.
Les dispositions de l’amendement proposé ici s’inspirent d’une idée simple et constitutionnellement acceptée : lorsqu’il y a un risque né d’une mutualisation, il faut le limiter. Nous prévoyons l’indemnisation. Je suis heureux d’ouvrir ce débat, qui ne sera peut-être pas tranché aujourd’hui, mais qui aura au moins le mérite d’être posé.