M. le président. La parole est à M. Claude Haut.
M. Claude Haut. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le travail de sensibilisation et de suivi qu’effectue le groupe de liaison, de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes.
Cette proposition de résolution européenne présentée par le président Retailleau et plusieurs de nos collègues préconise d’établir en Irak un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale ou mixte pour juger les crimes commis sur son territoire par Daech de 2014 à 2017.
Elle demande de flécher d’emblée des financements européens pour la création d’un tel dispositif.
Ces dernières années, à travers le monde, l’expérience de la justice transitionnelle nous a montré combien cette étape était cruciale pour consolider la paix au sortir d’une période conflictuelle, pour rétablir un sentiment de sécurité, pour reconstruire un pays et pour réconcilier une nation meurtrie.
La justice transitionnelle comprend quatre piliers complémentaires et indissociables : le droit à la vérité, avec l’établissement des faits, la recherche des disparus, les archives ; le droit à la justice, par la création de commissions d’enquête, mais aussi par des actions en justice aux niveaux national, régional, international ou mixte ; le droit à la réparation, par exemple par des programmes de réparation individuelle et/ou collective, ou des monuments commémoratifs ; enfin, l’exigence de non-répétition, garantie par des réformes institutionnelles, une constitution suffisamment protectrice des droits de l’homme, des institutions de sécurité, mais aussi par la mise en œuvre d’un processus de désarmement, de démobilisation et de réintégration.
Ces principes sont connus sous le nom de « piliers Joinet », du nom du juriste Louis Joinet.
Systématiquement, tous les groupes vulnérables, qu’il s’agisse des minorités, des femmes, des enfants, des handicapés, doivent être spécifiquement protégés, pour éviter le retour de discriminations qui ont pu conduire à des conflits.
La justice transitionnelle ne se réduit donc pas au droit à la justice et au « mécanisme de justice transitionnelle » évoqué par cette proposition de résolution européenne.
En la matière, plusieurs écueils sont à proscrire.
Premièrement, il faut se garder de croire que ces quatre piliers peuvent être mis en œuvre simultanément.
Deuxièmement, une précipitation excessive au nom de l’impératif de la réconciliation tout comme un ajournement permanent sont contre-productifs.
Dès lors, il apparaît plus que souhaitable que le lancement d’un processus de justice transitionnelle implique, au préalable, que la situation sécuritaire soit entièrement stabilisée.
Bien sûr, cette nécessité ne doit pas empêcher de commencer à se concerter pendant la phase de stabilisation, sur ce qui peut être le rôle et la forme d’un tel processus.
Avec cette proposition de résolution européenne, et bien que nous souscrivions aux intentions louables portées, nous avons toutefois le sentiment d’être tombés dans l’un des écueils que je viens d’énoncer : une précipitation excessive au nom de l’impératif de la réconciliation.
En dépit des progrès récents accomplis, l’Irak demeure un pays où l’on se déplace encore en véhicule blindé. Les forces de sécurité irakiennes, appuyées par la coalition internationale contre Daech, procèdent encore à des opérations de sécurisation dans le désert à l’ouest de la province de l’Anbar, où des combattants de Daech se sont repliés.
Pour l’heure, la priorité est donc plutôt au retour de la stabilité sécuritaire et de la souveraineté irakienne, en combattant la menace terroriste.
Nos efforts doivent se concentrer sur la situation humanitaire dramatique, la reconstruction des bases de l’État, des institutions et des services élémentaires assurés par l’État, tout comme sur la consolidation du fonctionnement légitime des tribunaux de droit commun et la collecte de preuves sur les crimes perpétrés par Daech, qui sont des préalables indispensables pour la réconciliation nationale.
Cela signifie aussi soutenir Bagdad dans la politique inclusive qu’elle mène à l’égard de toutes les minorités du pays. La nomination du nouveau premier ministre Adel Abdel-Mehdi, en octobre, après un compromis trouvé entre les deux blocs chiites rivaux vainqueurs des élections, est un signe prometteur.
Nous savons par ailleurs que le pays rechigne à se soumettre à la compétence de la Cour pénale internationale. Bagdad n’est pas non plus demandeur d’un tribunal pénal ad hoc international ou mixte. Or le consentement du pays concerné est une condition sine qua non pour la mise en place d’un tel dispositif.
Notre prudence est d’autant plus de mise que rien ne nous assure que les Irakiens accepteront de renoncer à l’application de la peine de mort, même dans ce cadre.
Aller aussi vite en besogne, en fléchant d’emblée un financement européen, nous fait alors courir le risque d’être vus comme leur adressant une injonction, ce qui braquerait le pays et serait contre-productif.
Les tribunaux mixtes peuvent être une solution, mais à condition de s’inscrire dans le cadre d’une souveraineté pleinement recouvrée.
Néanmoins, un tel modèle mixte a aussi pu montrer ses limites dans le cas cambodgien, où plus de dix ans ont été nécessaires avant que les chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens puissent débuter leurs travaux.
Seule une poignée de responsables a finalement été jugée. Toute la lumière n’a guère pu être faite. Cela a été extrêmement coûteux, et la pression exercée sur les procureurs et les juges internationaux comme cambodgiens a été telle qu’il a fallu à plusieurs reprises trouver un remplaçant au démissionnaire.
Dès lors, il semble préférable de continuer à défendre la compétence de la CPI, à appeler l’Irak à la reconnaître et à appeler le Conseil de sécurité de l’ONU à étudier la possibilité de déférer ces crimes à la CPI, d’autant que le procureur de la Cour est déjà impliqué dans la collecte de preuves.
Telle est également la position de l’Union européenne, comme celle qui a été adoptée dans le Plan d’action de Paris, dont l’Irak est partie.
Notre groupe soutient évidemment le rôle essentiel joué par l’Union européenne dans la reconstruction de l’Irak. Nous croyons à la mise en place et à la promotion d’un système judiciaire effectif et indépendant irakien. Nous soutenons la coopération judiciaire et partageons, bien sûr, l’avis selon lequel les crimes commis par Daech doivent être punis. Avec toutes les réserves que je viens d’évoquer, le groupe La République En Marche préférera s’abstenir, mais évidemment avec bienveillance. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, cette proposition de résolution européenne tente de répondre à deux questions : comment s’assurer que la justice est rendue dans le cas des crimes de masse commis par Daech ? Comment amorcer dans ce pays le développement et la paix ?
L’équilibre est fragile. La situation en Irak est encore instable et les risques de se retrouver face à une épuration incontrôlée ou à un pardon généralisé existent. D’autant plus qu’en n’adhérant pas au Statut de Rome, Bagdad ne pourrait même pas se reposer sur le tribunal pénal international. Alors, comment répondre à la demande d’aide du gouvernement irakien ? Comment gérer la situation ?
Ainsi, nous en sommes ici tous d’accord, il serait opportun de maintenir l’aide apportée à l’Irak pour reconstituer ses institutions, notamment judiciaires.
Dans ce cadre, le programme européen lancé à la fin de l’année 2017 pour aider les forces de police irakiennes doit se poursuivre en vue de récolter l’ensemble des éléments d’enquête. De la même manière, il faut relancer la mission européenne de renforcement de l’État de droit en Irak.
L’accord de partenariat dont nous discutons doit permettre une communication permanente entre Bagdad et les pays européens. Cela est d’autant plus nécessaire au regard des 5 000 Européens qui ont rejoint Daech en Syrie ou en Irak de 2011 à 2016. À ce titre, le Plan d’action de Paris présenté en 2015 doit être pleinement mobilisé.
Conforter la reconstruction d’un pays ne doit pas forcément signifier sa mise sous tutelle. La volonté exprimée par les autorités irakiennes de pouvoir juger sur le sol de leur pays les actes qui relèvent de sa législation doit être écoutée, ce que vous avez précisé, monsieur le président Retailleau, en appelant à la non-ingérence.
Que penser, dans ces conditions, de cette proposition de résolution ? La volonté de créer un mécanisme judiciaire proche des chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, ou CETC, rappelée par le collègue qui m’a précédé, tente de trouver un équilibre subtil, sans pour autant y arriver pleinement. Il est vrai que l’absence de reconnaissance des crimes contre l’humanité dans la loi antiterroriste irakienne de 2014 pose un problème majeur. Il est vrai aussi que l’ONU pointe depuis plusieurs années le risque que les juridictions nationales irakiennes ne se montrent peu enclines à juger les crimes commis par Daech.
Toutefois, rappelons-nous les limites importantes des CETC, je pense notamment à la lenteur extrême des procédures et, au final, au jugement d’à peine dix anciens responsables khmers en vingt ans.
De plus, dessaisir Bagdad d’une partie de ses prérogatives judiciaires pourrait ralentir considérablement sa reconstruction sociétale et institutionnelle. Ne sous-estimons pas l’importance du travail judiciaire dans le devoir de mémoire d’un État.
Comme le pointe la résolution, l’Irak est, finalement, un État composite où ont cohabité musulmans, chrétiens, shabaks, yézidis et autres, comme nous l’avons tous précisé.
La demande légitime des autorités irakiennes de pouvoir juger sur le sol de leur pays les criminels, disons plutôt les terroristes islamistes et leurs complices, pourrait pleinement participer à la reconstruction de l’Irak en incluant l’ensemble des Irakiennes et des Irakiens. Et c’est sur cette notion de « l’ensemble des Irakiennes et des Irakiens » que j’émets quelques réserves par rapport à l’écriture de l’alinéa 7, qui distingue les victimes chrétiennes et les victimes appartenant à d’autres minorités religieuses. Cette distinction dans le texte me semble maladroite. Je note d’ailleurs que dans votre intervention, monsieur le président Retailleau, vous avez mélangé toutes les religions. En effet pour nous, et j’espère que vous comprenez la nuance, une victime d’un crime de masse, d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité reste une victime, quelle que soit son origine, sa race, sa religion. Toutes les victimes doivent avoir les mêmes droits.
Sur le fondement de ces réserves et de ces seules réserves, nous allons nous abstenir. Abstention empreinte d’une certaine bienveillance car nous notons que cette proposition de résolution prône un renforcement de la coopération en respectant la souveraineté de l’Irak. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, un an et demi après la fin des combats contre l’État islamique en Irak, le pays a donc entamé un long travail de reconstruction.
Quatre années de guerre ont en effet non seulement détruit en partie le pays, mais aussi fait des milliers de morts.
Bien sûr, c’est l’ensemble du peuple irakien qui est concerné, mais n’oublions surtout pas que Daech avait ciblé un certain nombre de communautés. À ce titre, les chrétiens d’Orient ont eu à subir, nous le savons, de très lourds massacres, les pires exactions, accompagnés dans ce triste bilan par les Yézidis, les Turkmènes, les Kurdes ou encore les Shabaks.
Il convient par ailleurs de souligner dans ces horreurs que le terrorisme de l’État islamique a également ciblé – et durement – le monde musulman !
À l’heure actuelle, les survivants recherchent toujours leurs disparus. Des milliers de corps sont enfouis dans les ruines des villes ou ont été jetés dans des charniers.
Pour être précis, on a découvert 202 de ces charniers de l’État islamique, où seraient ensevelis entre 6 000 et 12 000 corps. Beaucoup reste encore à faire pour les familles et leurs victimes.
Depuis 2014, la France joue pleinement son rôle – vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État – de soutien auprès de l’Irak pour sa reconstruction. Chacun a noté la présence du ministre des affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, voilà quelques jours à Najaf, la ville sainte du sud du pays où les pèlerins chiites du monde entier viennent se recueillir.
Sa rencontre avec l’une des plus hautes autorités chiites d’Irak fut l’occasion d’annoncer un nouveau prêt de 1 milliard d’euros sur quatre ans pour des projets de reconstruction. Il vient compléter un premier prêt de 430 millions d’euros accordé en 2017.
L’absence et la déliquescence des services publics, principalement les coupures d’électricité, rendent la vie quotidienne particulièrement difficile pour les Irakiens. Au-delà des mots et des déclarations d’intention, nous ne pouvons, je pense, que nous féliciter de l’investissement concret de la France auprès de notre partenaire historique.
J’en viens au texte qui nous est présenté aujourd’hui : la proposition de résolution européenne demandant l’appui de l’Union européenne à la mise en place d’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale en Irak.
Je voudrais, tout d’abord, donner les raisons pour lesquelles nous sommes favorables à cette proposition de résolution.
Première raison, il s’agit d’exprimer notre détermination à lutter absolument contre toute impunité. C’est un impératif à la fois moral, juridique et politique. Le droit à la vérité, le droit à la justice, le droit à la réparation est probablement, au final, la meilleure garantie de la non-répétition !
Deuxième raison, l’Europe doit démontrer son exigence humaniste. Si elle aide déjà à la reconstruction de l’Irak, elle doit aussi, parallèlement, soutenir la mise en place d’une justice transitionnelle. Les deux sont, selon moi, indissociables et n’ont pas à se succéder. Bref, en termes d’exigence humanitaire, il n’est jamais urgent d’attendre !
D’autant que dans le cas de l’Irak et du Moyen-Orient en général, notre pays a une responsabilité historique particulière. Toutefois, celle-ci doit passer, autant que faire se peut, par une décision européenne. Au-delà de l’aspect pratique et juridique, un engagement de l’Europe en faveur d’une justice transitionnelle en Irak a une valeur symbolique forte.
C’est une question essentielle au nom du respect des droits de l’homme, mais ce peut être aussi un gage de sécurité future pour notre propre continent.
La France, parce qu’elle fut durement touchée par l’État islamique, est dans son rôle lorsqu’elle souhaite pousser l’Union européenne à prendre sa place et ses responsabilités dans ce domaine.
Avant de poursuivre mon propos, mes chers collègues, je voudrais rendre ici hommage à ceux qui, par la force de leur engagement, par la force de leur détermination et trop souvent par le sacrifice de leur vie, auront permis de faire reculer Daech. Même si l’État islamique n’est pas totalement éradiqué, c’est grâce à eux qu’aujourd’hui nous pouvons précisément imaginer une autre étape d’évolution vers la démocratie. Qu’ils soient chaleureusement remerciés pour leur engagement !
Cette seconde étape, indispensable, eh bien, nous y sommes ! Et l’histoire nous l’enseigne depuis toujours, face à la nature totalitaire et génocidaire, la réponse uniquement militaire ne suffit jamais.
La reconstruction est, certes, une étape essentielle, mais elle doit être accompagnée de la volonté de combattre le totalitarisme par la force du droit et de la justice, qui doivent succéder à la force militaire.
La paix ne se gagne pas seulement avec les armes, elle se gagne aussi par la puissance des valeurs de respect mutuel, de tolérance et d’acceptation des différences, sur lesquelles doivent reposer la justice et le droit.
C’est la raison pour laquelle il est indispensable de solder les horreurs passées, sans pour autant, à l’évidence, les oublier. Pour cela, la non-impunité des crimes est une ardente obligation et un passage obligé. Sans quoi, aucune réconciliation n’est envisageable, aucune réconciliation n’est possible. C’est le but profond d’un mécanisme de justice transitionnelle !
La France, je l’ai dit, doit prendre sa place, l’Europe tout autant, ainsi que la communauté internationale, à l’évidence. C’est pourquoi je voudrais également vous faire part, mes chers collègues, de ma conviction profonde : le soutien européen au mécanisme de justice transitionnelle doit prévoir que celui-ci ait forcément une dimension internationale. Il faut qu’y soient associés magistrats irakiens et magistrats internationaux en vue, notamment, de mieux prendre en compte le droit international et les incriminations de crime de guerre et de crime contre l’humanité.
À cet égard – ce point a déjà été évoqué précédemment –, je prendrai à mon tour l’exemple cambodgien. « Le processus vérité » a, pour ce pays, finalement bien fonctionné. L’association de juges cambodgiens et de juges étrangers a permis à ce tribunal de faire sereinement son travail et aux victimes d’être reconnues comme telles. C’est en effet la reconnaissance des crimes qui peut aider à entrer dans un processus de réconciliation et faciliter le chemin de démocratisation pour, ensuite, permettre une justice véritablement indépendante des autres pouvoirs.
Je ne nie pas tout ce qui reste à parcourir pour aboutir à la mise en œuvre d’un tel mécanisme. Le contexte régional ne facilitera pas cette démarche, comme les jeux de dupes qui s’y jouent. C’est pourquoi l’Europe doit être volontariste. Tout obstacle mérite d’être surmonté. L’Europe, de par son histoire, de par ce qu’elle a traversé et a su surmonter, est une voix particulière, à part, et à ce titre, il se trouve qu’elle est parfois respectée.
L’enjeu est important : il s’agit aussi d’exprimer la capacité de l’Union européenne à projeter, en quelque sorte, des valeurs humanistes fondamentales et de respect des droits de l’homme, au nom desquels les crimes ne peuvent rester impunis. Il y va à la fois de notre crédibilité et, peut-être aussi, de notre sécurité présente et future.
Actuellement, nous donnons parfois le sentiment, au niveau européen, d’être paralysés par des jeux régionaux qui mêlent Turquie, Syrie, Iran et Russie. De plus, l’imprévisibilité de la politique américaine et le fait que le soutien des États-Unis n’est plus indéfectible ont ébranlé et vont, à l’avenir, profondément bouleverser nos stratégies européennes habituelles.
Pour autant, mes chers collègues, nous ne pouvons nous permettre aucune frilosité. L’Europe est plus que jamais face à ses responsabilités. Elle a trop souffert de crimes contre l’humanité pour en négliger leur condamnation partout ailleurs dans le monde.
Il est donc urgent d’agir et fondamental de procéder à la reconstruction de l’Irak, ce qui ne doit pas empêcher d’aborder dans le même temps les questions juridiques et de droit international. L’un ne va pas sans l’autre !
Je le redis, l’Union européenne doit affirmer avec détermination sa volonté de lutter contre toute impunité pour des raisons d’ordre moral, politique et juridique. Elle doit défendre avec force son exigence humaniste et prendre toute sa place et ses responsabilités. La communauté internationale et l’ONU doivent prendre les leurs. Aujourd’hui, mes chers collègues, prenons les nôtres !
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Olivier Léonhardt. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Olivier Léonhardt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la paix en Irak repose non seulement sur sa reconstruction matérielle et politique, mais aussi sur sa reconstruction morale, qui devra évidemment passer par la réparation des exactions commises depuis 2014 par Daech contre la population civile.
Tel est le sens de la proposition de résolution aujourd’hui soumise à notre examen.
La nature et l’ampleur des crimes recensés en Irak justifient que l’on encourage tous les outils qui iront dans le sens d’une politique de réconciliation entre toutes les communautés vivant sur le territoire irakien.
Ai-je besoin de rappeler ici l’horreur des actes perpétrés par les djihadistes, de rappeler les meurtres, les tortures, les déplacements forcés, les viols, la réduction en esclavage de milliers d’hommes et de femmes ?
Doit-on rappeler l’enfer vécu par les minorités chrétiennes, par les yézidis, par les minorités kurdes, et en général, l’enfer vécu par tous les musulmans qui n’adhéraient pas au califat ?
Doit-on rappeler que certaines de ses exactions relèvent – disons-le clairement – du crime contre l’humanité ?
C’est pourquoi la réponse judiciaire doit être à la hauteur des drames vécus, à l’instar de ce qui a pu être fait, par exemple, pour l’Afrique du Sud ou pour le Cambodge.
Nous savons que ces grands moments de vérité judiciaire permettent non seulement de satisfaire des attentes individuelles, mais également de refonder une mémoire collective apaisée par le sceau de la justice, une étape nécessaire au retour à l’apaisement et à la paix.
Dans cette perspective, et sachant que l’Irak ne reconnaît pas la Cour pénale internationale, il me semble qu’un mécanisme de justice transitionnelle à dimension internationale est l’une des réponses que l’on peut apporter aux victimes.
Comme nos collègues rapporteurs l’ont rappelé, cette initiative recueille l’assentiment de l’Union européenne.
Bien sûr, je pense que la réussite d’un tel dispositif est conditionnée, au minimum, par le respect de trois principes : la transparence, la capacité de l’outil judiciaire irakien et, bien entendu, l’adhésion sincère des autorités irakiennes à une entreprise de réconciliation.
S’agissant de la transparence, l’accueil par l’Irak, depuis 2017, d’une équipe internationale d’enquêteurs au titre de la résolution 2379 du Conseil de sécurité des Nations unies est plutôt un bon indicateur.
En ce qui concerne la capacité de l’outil judiciaire, la proposition de résolution avance deux pistes : le lancement d’une nouvelle mission d’assistance européenne dans le domaine judiciaire afin de former des magistrats, ainsi que l’élargissement de la mission « EUAM Irak » en vue d’y intégrer la formation aux enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité,
Je soutiens bien évidemment ces orientations, même si je sais que tout cela demandera du temps. S’agissant, en particulier, de la seconde piste, elle risque de se heurter au fait que la loi antiterroriste irakienne ne prend pas en compte la notion de crime contre l’humanité.
Enfin, quant à l’état d’esprit du pouvoir en place, on peut osciller entre optimisme et pessimisme. En effet, on le sait bien, les autorités actuelles sont soucieuses du respect de leur souveraineté et, par conséquent, des missions régaliennes qui lui sont attachées.
L’adoption de cette proposition de résolution constitue un encouragement au lancement d’un processus de réparation dû à tous ceux qui ont souffert des atrocités exercées par Daech.
Ce serait en outre un signal positif pour favoriser un retour plus rapide des personnes réfugiées ou déplacées.
En attendant, la communauté internationale doit demeurer vigilante, car le bon rétablissement des institutions et des principes d’une justice démocratique en Irak dépend fortement des contours de la paix dans toute la région.
À cet égard, personne n’ignore que la situation est encore bien fragile. Que ce soit en Syrie ou en Irak, la reconquête des territoires ne signifie pas la fin du terrorisme islamiste.
Alors, oui, nous devons soutenir toutes celles et ceux qui ont été et qui sont encore aujourd’hui nos meilleurs alliés contre Daech.
Je pense évidemment aux Kurdes. Le peuple kurde s’est battu en première ligne, sur tous les fronts, et a remporté de grandes victoires contre le terrorisme islamique en Irak comme en Syrie.
Alors, oui, si nous en sommes là aujourd’hui, c’est surtout grâce à eux, il ne faut jamais l’oublier !
En début d’année dernière, lors des attaques menées par le gouvernement turc à Afrin, je vous avais déjà fait part de mon indignation.
À cette époque, les troupes américaines étaient encore présentes et la Turquie devait forcément en tenir compte.
Que va-t-il se passer, demain, lors du retrait des troupes américaines dans cette région ?
En Syrie, le Rojava est menacé et on ne peut pas exclure une offensive de Damas, qui ne reconnaît pas les forces démocratiques syriennes comme légitimes, et au sein de laquelle, je le rappelle, se trouvent de nombreux Kurdes.
Vous l’aurez compris, le peuple kurde est gravement menacé, pris en étau entre la Syrie et la Turquie. Et le président Macron a eu raison d’appeler la Russie à préserver les Kurdes.
Mes chers collègues, si nous voulons encourager une paix durable dans cette région du monde,…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Olivier Léonhardt. … nous ne pourrons pas le faire en tournant le dos au peuple kurde.
La communauté internationale ne doit pas faire preuve d’amnésie. Elle ne doit pas oublier ses alliés.
M. le président. Il faut vraiment conclure !
M. Olivier Léonhardt. Elle ne doit pas abandonner celles et ceux qui ont combattu victorieusement contre les djihadistes, que ce soit à Raqqa ou à Kobané. J’ajouterai que les Kurdes continuent aujourd’hui à lutter contre Daech dans la vallée de l’Euphrate…
M. le président. Merci, mon cher collègue !
M. Olivier Léonhardt. … où quelques djihadistes tiennent encore des positions stratégiques. Je voudrais remercier…
M. le président. Merci à vous, cher collègue !
M. Olivier Léonhardt. Je voudrais remercier, disais-je, le président Bruno Retailleau pour avoir permis de faire adopter cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. Bruno Retailleau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.
M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il est évident que je suis, comme tout le monde, horrifié par les exactions de l’État islamique et par toutes les pratiques scandaleuses par rapport aux droits de l’humanité relevées dans les pays arabes.
Cela étant, en France en particulier, il est quand même facile de se donner bonne conscience ! Il y a des centaines de milliers de morts en Libye, des centaines de milliers de morts en Syrie, mais la faute à qui ?
Qui est allé enclencher la guerre en Libye pour déstabiliser le gouvernement de Kadhafi, lequel n’était pas un ange ? (M. Antoine Lefèvre s’exclame.) Je conviens tout à fait que M. Kadhafi n’était pas un ange, mais du temps de Kadhafi, il y avait peut-être 1 000 ou 2 000 morts par an. Depuis que la France est allée faire la guerre chez Kadhafi – c’était M. Sarkozy qui, pour des raisons éventuelles d’intérêt national, et peut-être pour d’autres raisons moins avouables… (MM. Laurent Duplomb et Jackie Pierre s’exclament.)