Mme Nathalie Goulet. Je ne suis pas certaine que ce soit un compliment. !
Mme Laurence Rossignol. Nous aurons l’occasion de discuter sur le fond de chacune des mesures au cours de l’examen des articles, mais je voudrais m’arrêter un instant sur la prime exceptionnelle que verseront – ou ne verseront pas – les employeurs. Ce Téléthon sur l’air du « à votre bon cœur patron ! » ou du « merci notre bon maître ! » met mal à l’aise. Et que dire de ce défilé des grands patrons sur les antennes venant nous expliquer qu’ils vont mettre la main au portefeuille ?
M. Martin Lévrier. Oh !
Mme Laurence Rossignol. On n’entend pas les autres, d’ailleurs, comme le patron de Carrefour, qui, malgré ses 400 millions d’euros d’aides publiques et ses 500 millions d’euros de dividendes distribués, aurait, selon les syndicats, déjà prévenu ses salariés que, pour eux, il n’y aurait pas de prime exceptionnelle.
La saison 1 du quinquennat va s’achever ce soir avec le vote de la loi ; personne ne sait encore ce qui va se passer dans la saison 2, mais vous abordez l’année 2019 sous haute surveillance démocratique et sociale.
Haute surveillance démocratique, d’abord, car la séquence qui vient de s’achever a considérablement dégradé la parole publique. Je ne vais pas repasser tout le film : vous êtes droits dans vos bottes dans un premier temps, puis vous abandonnez la taxe carbone, puis vous annoncez une hausse de 100 euros du SMIC, puis on s’aperçoit que cette augmentation concerne non pas le SMIC, mais la prime d’activité, et qu’elle n’est pas non plus de 100 euros ; enfin, je passe sur l’épisode de cette semaine : l’annulation de l’annulation.
Tout cela dénote trop de com’, trop d’amateurisme, trop d’improvisation, sans parler de la mise en scène ridicule d’un bras de fer entre le Président de la République et la technostructure. Quand on connaît le Président de la République et son entourage, cela ne manque pas de sel !
Haute surveillance sociale, ensuite. Vous avez accordé hier aux policiers une augmentation de salaire justifiée, mais que direz-vous aux personnels des hôpitaux et des EHPAD, pour qui cette mesure ne le serait pas moins ?
Mme Éliane Assassi. Exactement !
Mme Laurence Rossignol. Demain, lorsque vous lancerez la réforme des retraites, il faudra au Gouvernement se montrer très persuasif pour convaincre que votre réforme n’a pas pour finalité de réduire le montant des pensions.
Lever la présomption d’injustice qui pèse désormais sur votre politique ; voilà, mesdames les ministres, votre ordre du jour pour l’année 2019 ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – MM. Yves Bouloux et Alain Fouché applaudissent également.)
Mme Nathalie Goulet. Mesdames les ministres, nous sommes dos au mur et nous allons voter sans surprise le texte que vous soumettez à notre examen ; acceptez pourtant que le rapporteur spécial de la mission budgétaire « Engagements financiers de l’État », autrement dit de la dette, exprime quelques lourdes inquiétudes à son sujet : nous allons dépasser les 100 % d’endettement et – largement ! – les 3 % de déficit préconisés par Bruxelles.
Le projet de loi de finances que nous venons juste de voter aurait pu nous aider à financer les mesures que vous nous présentez aujourd’hui, mais il n’en est rien.
S’agissant de la taxe sur les GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon –, l’Assemblée a accepté, après de multiples refus, la création de la taxe nationale prônée, notamment, par Marie-Noëlle Lienemann et que nous avons été nombreux à voter ici. On nous annonce qu’elle sera applicable au 1er janvier, mais selon quelles modalités ? Allez-vous nous présenter un projet de loi de finances rectificative ? Pour le moment, cette nouvelle taxe n’a aucune base légale.
L’Assemblée nationale a, en outre, complètement siphonné, au sens propre du terme, l’article additionnel que nous avions ajouté au texte, visant à sanctionner et à prévenir la fraude à la taxe sur les dividendes. Alors que ces mesures auraient pu rapporter entre 1 milliard et 3 milliards d’euros, je ne comprends pas pourquoi l’Assemblée nationale a vidé de sa substance un dispositif voté à l’unanimité des groupes politiques du Sénat, sur la base du travail du groupe de suivi de la fraude fiscale créé au sein de la commission des finances. Pourquoi le Gouvernement a-t-il accepté que ce texte soit traité ainsi, alors qu’il aurait pu offrir un important recours financier ?
L’Assemblée nationale a, enfin, retoqué une disposition très simple : la demande d’un rapport sur la fraude documentaire en matière de numéros INSEE.
Je vais m’arrêter un peu sur ce sujet. En 2011, madame la ministre, les services relevant du ministère chargé de la santé avaient relevé 17,6 millions d’inscriptions au NIR, le numéro d’inscription au répertoire, de Français nés à l’étranger ou d’étrangers qui souhaitaient obtenir un numéro de sécurité sociale. Une expertise a mis à jour une fraude sur environ 10 % de ces demandes, soit 1,8 million de faux numéros. Une équipe de la police aux frontières, la PAF, chargée de la fraude documentaire, a identifié, après expertise, 2 103 dossiers frauduleux.
Le 16 décembre 2016 – c’est presque un anniversaire ! –, j’ai posé une question d’actualité à la ministre qui vous a précédée à ce banc, pour l’interroger sur l’état d’avancement de l’expertise menée sur la fraude documentaire. Elle m’a répondu – cela figure au Journal officiel – que 500 dossiers avaient été radiés. De 1,8 million, nous sommes passés à 500 : vous avouerez que le compte n’y est pas !
Depuis que l’article évoqué a été supprimé, hier, la presse s’est emparée du sujet et vos services donnent des éléments différents à chaque journaliste qui les interroge. Voilà qui est formidable… Cela justifie plus encore la demande d’enquête qui a été formulée !
Je vous propose un petit calcul digne d’une classe de CM2. S’il est évident qu’un progrès a été fait sur les flux, ce qui m’intéresse, c’est la fraude sur le stock, lequel s’élève à 17,6 millions de dossiers. Dans la mesure où 2 103 dossiers ont été vérifiés en une semaine, une simple division montre qu’il faudra 8 360 semaines, c’est-à-dire 160 ans, pour contrôler le tout…
Il est donc absolument impossible que vous ayez contrôlé le stock de faux numéros INSEE présent dans le logiciel utilisé par SANDIA, le service administratif national d’immatriculation des assurés. Je vous demande, pour la régularité de nos débats comme pour la transparence de nos finances publiques, d’accepter la demande d’enquête qui a été formulée par le Sénat.
Nous ne pouvons pas tolérer cette fraude documentaire. Vos services ont fait des efforts sur le flux, mais je suis persuadée qu’il reste une marge de progression sur le stock. C’est au prix d’un travail sur la fraude fiscale et sur la fraude sociale que nous parviendrons à calmer la fronde sociale qui s’est déclarée avec les « gilets jaunes ». Nous l’avons dit, la demande de justice sociale est forte et la fin de la fraude documentaire serait un signal important ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, le mouvement des « gilets jaunes » est sans précédent dans la forme : né de la base, répercuté par les réseaux sociaux, il n’a pas fait appel aux organisations qui structurent habituellement la vie sociale de notre pays. Spontané, il a rapidement été massif et distribué sur tout le territoire, principalement, d’ailleurs, en dehors des grandes villes.
Ce mouvement social est aussi intéressant et original parce qu’il est largement représenté par des femmes seules, dont beaucoup ont charge de famille.
La mobilisation de ces femmes, leur implication, leur visibilité dans le quotidien des « gilets jaunes » et dans les occupations de ronds-points est décrite dans de nombreux articles de presse. Elles témoignent, à voix haute, sans fierté, désormais, mais sans honte non plus.
Employées ou ouvrières, ces salariées ne peuvent plus se reposer sur leur salaire pour subvenir aux besoins de leur foyer ; elles comptent chaque euro pour nourrir leurs enfants, les habiller dignement et les loger correctement ; elles sont contraintes d’économiser pour le strict nécessaire et ne peuvent se permettre le superflu ; elles culpabilisent de ne pas pouvoir leur offrir une place de cinéma ou une sortie dans un parc d’attractions.
Les familles monoparentales sont ainsi montées sur l’estrade en quelques semaines. Ces femmes, car celles-ci sont à la tête de 85 % de ces familles, nous alertent sur la problématique de la précarité, qui s’abat de façon plus aiguë sur leurs foyers.
Vous ne découvrez pas cette situation, madame la ministre, nous non plus : nous sommes quelques-unes et quelques-uns, ici, à la dénoncer régulièrement.
La précarité des monoparents exige donc des solutions de hausse des revenus de grande ampleur, mais vous y répondez par la prime d’activité. Or l’extension de cette prime par l’augmentation du plafond de ressources risque d’exclure certaines mères, car les contributions alimentaires du père ajoutées à leur salaire peuvent les conduire à dépasser ledit plafond. Selon l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, pour être juste, cette mesure devrait prendre en considération la charge d’enfants.
Autre solution « d’ampleur » que vous proposez : la défiscalisation des heures supplémentaires en faveur du pouvoir d’achat. Sans revenir sur les conséquences de cette disposition pour les comptes publics, je tiens à rappeler que toute incitation aux heures supplémentaires est un nouveau frein à l’égalité salariale. En 2015, 56 % des salariés hommes ont eu recours aux heures supplémentaires, contre seulement 38 % des femmes. À la fin de l’année, l’écart de rémunération découlant de cette différence atteignait 730 euros. Il s’agit d’une mesure d’inégalité.
Au moment même où cette part de la population précarisée se réapproprie son pouvoir d’agir et crie son sentiment d’abandon, cette injustice peut être comprise comme une provocation ou comme un signe d’amateurisme, et risque, je le crains, de ne pas répondre aux attentes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
Mme Muriel Pénicaud, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter des précisions sur deux points que vous avez abordés : le calendrier, d’une part, le financement, d’autre part.
Le calendrier d’application des quatre mesures d’urgence qui concernent les travailleurs et les retraités modestes se présente comme suit.
L’exonération de charges sociales et d’impôt sur le revenu pour les heures supplémentaires s’appliquera, si vous la votez, dès le 1er janvier.
La prime exceptionnelle, quant à elle, devra être annoncée – certaines entreprises l’ont déjà fait – et versée entre le 10 décembre, jour de la déclaration du Président de la République, et le 31 mars prochain.
S’agissant de la CSG, le texte prévoyait initialement que la création du taux intermédiaire à 6,6 % pour les retraités modestes serait effective le 1er juillet, mais le travail sur le sujet a finalement été accéléré afin de permettre une mise en œuvre fin mai. Le droit, toutefois, court bien à compter du 1er janvier. Autrement dit, les retraités concernés auront un remboursement rétroactif fin mai.
S’agissant de la prime d’activité, les foyers qui en bénéficient aujourd’hui n’ont pas de démarche particulière à faire, puisque le bonus – un des éléments de la formule de calcul – progressera automatiquement. Ils recevront bien la prime augmentée le 5 février, au titre des salaires du mois de janvier.
Les nombreux foyers auxquels nous avons décidé d’ouvrir ce droit devront, quant à eux, faire une déclaration pour le 25 janvier, au risque, sinon, de subir un décalage dans le temps.
Je vous confirme également que ces mesures d’urgence, parce qu’elles sont justement des mesures d’urgence, n’ont clairement pas vocation à traiter structurellement de tous les sujets. Il s’agit d’un effort massif de redistribution de 10 milliards d’euros à nos concitoyens, mais ces dispositions ne s’entendent pas pour solde de tout compte.
D’une part, les réformes vont continuer. D’autre part, nous attendons beaucoup du débat national, qui va nous apporter des solutions concrètes et des avis sur un certain nombre d’orientations.
Ce processus sera essentiellement territorial et les maires, d’ailleurs, seront invités à prendre en charge l’organisation de ces débats ou à jouer le rôle de leur choix.
Nous avons déjà annoncé certains sujets. La question du déplacement sera ainsi très importante, puisqu’elle a été le déclencheur du mouvement des « gilets jaunes » : comment accompagner la transition écologique en matière de déplacements tout en mettant en place un accompagnement social permettant à tous d’y accéder ? Deux salariés sur trois utilisent leur voiture pour aller au travail, certains le font par choix, mais une grande partie d’entre eux y est contrainte.
Cet accompagnement devra-t-il prendre la forme d’une prime de mobilité, d’une prime de transport ou d’alternatives sur lesquelles nous devrons travailler ?
Tous ces sujets sont importants et nous ouvrirons, début janvier, avec les partenaires sociaux et les représentants des collectivités territoriales, une concertation pour apporter des solutions.
J’en viens au second point, le financement, à propos duquel nombre d’entre vous sont intervenus.
Certaines mesures sont déjà prévues : l’imposition des GAFA devrait rapporter 500 millions d’euros en année pleine, le maintien du taux de l’impôt sur les sociétés à 33 % durant une année supplémentaire pour les mille entreprises les plus importantes, réalisant plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires – les autres passent à 31 % dès l’année prochaine –, rapportera 1,8 milliard d’euros et la révision de la « niche Copé », 200 millions d’euros. Bien entendu, l’ensemble des décisions ne sont pas encore prises, en particulier en ce qui concerne les économies.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il s’agit, à nos yeux, d’une question de respect du Parlement. Les mesures d’urgence doivent être votées rapidement afin d’être applicables dès le début de l’année pour nos concitoyens qui les attendent. Mais si nous avions organisé, en quelques heures ou en quelques jours, un débat pour réfléchir, dans le détail, aux économies et aux moyens de financement à prévoir, vous auriez, à juste titre, pointé l’insuffisante place laissée au débat parlementaire. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons le faire dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative.
Toutes ces mesures, nous l’avons bien sûr prévu, font passer le déficit, pour 2019, à 3,2 %. Mais je vous rappelle que le CICE, qui coûte 20 milliards d’euros, disparaîtra à partir de 2020. Nous redescendrons alors mécaniquement au-dessous de 3 %.
Je vais maintenant passer la parole à Mme Agnès Buzyn, si vous le voulez bien, monsieur le président.
M. le président. Madame la ministre, c’est moi qui donne la parole ! (Sourires.)
M. le président. C’était seulement un rappel utile. Je vous le dis avec tendresse ce soir, ce qui n’était pas le cas l’autre jour ! (Rires et applaudissements sur plusieurs travées.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter à Mme Nathalie Goulet une réponse claire, une fois pour toutes, afin que cessent de circuler sur les réseaux sociaux ces chiffres totalement erronés, qui ne servent qu’à alimenter le Front national.
Les données que vous citez ne font pas référence à la fraude, madame la sénatrice, mais découlent d’un système de contrôle de gestion des risques.
Le service dont vous parlez, SANDIA, relève de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, qui recense les personnes et leur attribue un NIR, autrement dit un numéro d’identité.
Comme n’importe quelle administration, il est soumis à des tests de contrôle de qualité, pour vérifier la complétude des dossiers ou la qualité d’une photocopie, par exemple. Les chiffres que vous citez correspondent aux anomalies dans les dossiers – photocopie insuffisamment claire, de côté, manque d’une date, dossier incomplet, etc. Beaucoup d’entre vous ont géré des entreprises et savent identifier des anomalies du contrôle des risques.
Celles-ci s’élevaient en 2011 à 6,3 % et sont, depuis lors, en diminution constante, car la qualité du service rendu s’améliore. En 2013, elles atteignaient 5,4 %, en 2018, 4,23 %.
Ce sont donc des chiffres issus du contrôle de qualité des dossiers et, en aucun cas, des fraudes. Ces anomalies ne signifient pas qu’il y a eu plusieurs numéros ou que l’assuré n’existe pas.
Les cas de fraude au NIR sont rarissimes et je vais donner un exemple qui concerne l’assurance maladie. La délégation nationale à la lutte contre la fraude a évalué les fraudes aux prestations dans les organismes de sécurité sociale. Pour l’assurance maladie, le montant concerné s’élevait à 244 millions d’euros au total, incluant les fraudes liées aux professionnels de santé et aux assurés. Dans ce total, la fraude pour usurpation d’identité et communication de faux documents, celle dont vous parlez, représente, en tout et pour tout, 0,3 % des sommes concernées, soit moins de 1 million d’euros.
J’espère avoir été claire et que ce faux bruit cesse de circuler sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La discussion générale est close.
Je vais suspendre la séance une vingtaine de minutes, pour permettre à la commission des affaires sociales de se réunir afin d’examiner les amendements déposés sur le projet de loi.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi portant mesures d’urgence économiques et sociales
Article 1er
(Non modifié)
I. – Bénéficie de l’exonération prévue au IV la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat respectant les conditions prévues aux II et III qui est attribuée à leurs salariés par les employeurs soumis à l’obligation prévue à l’article L. 5422-13 du code du travail ou relevant des 3° à 6° de l’article L. 5424-1 du même code.
Cette prime peut être attribuée par l’employeur à l’ensemble des salariés ou à ceux dont la rémunération est inférieure à un plafond.
II. – Pour les salariés ayant perçu en 2018 une rémunération inférieure à trois fois la valeur annuelle du salaire minimum de croissance calculée pour un an sur la base de la durée légale du travail, la prime exceptionnelle de pouvoir d’achat bénéficie de l’exonération prévue au IV, dans la limite de 1 000 € par bénéficiaire, lorsqu’elle satisfait les conditions suivantes :
1° Elle bénéficie aux salariés liés par un contrat de travail au 31 décembre 2018 ou à la date de versement, si celle-ci est antérieure ;
2° Son montant peut être modulé selon les bénéficiaires en fonction de critères tels que la rémunération, le niveau de classifications ou la durée de présence effective pendant l’année 2018 ou la durée de travail prévue au contrat de travail mentionnées à la dernière phrase du deuxième alinéa du III de l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale. Les congés prévus au chapitre V du titre II du livre II de la première partie du code du travail sont assimilés à des périodes de présence effective ;
3° Son versement est réalisé entre le 11 décembre 2018 et le 31 mars 2019 ;
4° Elle ne peut se substituer à des augmentations de rémunération ni à des primes prévues par un accord salarial, le contrat de travail ou les usages en vigueur dans l’entreprise. Elle ne peut non plus se substituer à aucun des éléments de rémunération, au sens de l’article L. 242-1 du code de la sécurité sociale, versés par l’employeur ou qui deviennent obligatoires en vertu de règles légales, contractuelles ou d’usage.
III. – Le montant de la prime ainsi que, le cas échéant, le plafond mentionné au second alinéa du I et la modulation de son niveau entre les bénéficiaires dans les conditions prévues au 2° du II font l’objet d’un accord d’entreprise ou de groupe conclu selon les modalités énumérées à l’article L. 3312-5 du code du travail. Toutefois, ces modalités peuvent être arrêtées au plus tard le 31 janvier 2019 par décision unilatérale du chef d’entreprise. En cas de décision unilatérale, l’employeur en informe, au plus tard le 31 mars 2019, le comité social et économique, le comité d’entreprise, les délégués du personnel ou la délégation unique du personnel, s’ils existent.
IV. – La prime attribuée dans les conditions prévues aux I à III est exonérée d’impôt sur le revenu, de toutes les cotisations et contributions sociales d’origine légale ou conventionnelle ainsi que des participations, taxes et contributions prévues aux articles 235 bis, 1599 ter A et 1609 quinvicies du code général des impôts ainsi qu’aux articles L. 6131-1, L. 6331-2, L. 6331-9 et L. 6322-37 du code du travail dans leur rédaction en vigueur à la date de son versement. Elle est exclue des ressources prises en compte pour le calcul de la prime d’activité mentionnée à l’article L. 841-1 du code de la sécurité sociale.
V. – Pour l’application du présent article à Mayotte et à Saint-Pierre-et-Miquelon, les références au code de la sécurité sociale sont remplacées par les références aux dispositions applicables localement ayant le même objet.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, sur l’article.
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames les ministres, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les exonérations prévues à l’article 1er ne concernent que les seules primes versées aux salariés dont la rémunération est inférieure à trois fois le SMIC. L’instauration d’un tel plafond est susceptible de faire naître un effet de seuil. De plus, cette prime exceptionnelle restant à la discrétion de l’employeur, il est certain qu’elle sera créatrice d’inégalités entre salariés. François Asselin, président de la CPME, la Confédération des petites et moyennes entreprises, a insisté sur le fait que « beaucoup d’entreprises ne pourront pas verser ces primes ».
Pouvant être versée depuis le 11 décembre dernier et jusqu’au 31 mars 2019, cette prime exceptionnelle est source de questionnements pour les plus petites structures, qui, même dans le cas où elles disposent des fonds nécessaires, ne peuvent s’appuyer sur un service des ressources humaines pour lever les doutes concernant son versement et pour la mettre en œuvre rapidement.
Nous voyons fleurir depuis quelques jours un palmarès des entreprises qui jouent le jeu et de celles qui ne se sont pas prononcées. Si les grandes entreprises ont vite fait connaître leurs intentions, les TPE-PME sont en difficulté. Par ailleurs, les fonctionnaires sont exclus du bénéfice de la prime, alors que ceux de catégorie C peuvent être éligibles à la prime d’activité.
Sans remettre en cause la bonne intention qui sous-tend le dispositif, nous pensons qu’il aurait été préférable de s’assurer que celui-ci atteigne véritablement sa cible. Nous voterons bien évidemment l’article, mais nous regrettons l’impréparation de cette mesure ; le Gouvernement devra assumer les disparités dans son application et les inégalités qui en découleront.
M. le président. La parole est à M. Vincent Delahaye, sur l’article.
M. Vincent Delahaye. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous sommes satisfaits d’être réunis aujourd’hui, à la veille de la trêve des confiseurs. Cela montre que le Sénat travaille jusqu’au bout, mais nous ressentons un certain malaise d’être mis en quelque sorte au garde-à-vous, de nous trouver pieds et poings liés, soumis à une contrainte présidentielle majeure. Je l’avoue, cela me met très mal à l’aise.
Nous sommes dans un régime présidentiel : on ne peut pas dire que le Président de la République n’a pas de pouvoirs, mais voilà qu’il s’arroge en plus celui de dicter au Parlement, au travers de sa déclaration du 10 décembre dernier, dont il n’avait visiblement pas informé au préalable l’ensemble du Gouvernement, des dispositions devant être mises en œuvre au 1er janvier prochain. C’est tout de même très négatif pour la démocratie, en particulier la démocratie parlementaire. Anticipant sur les vœux de Nouvel An, je forme celui que cette procédure reste vraiment très exceptionnelle et qu’il n’y soit plus recouru au cours du présent quinquennat.
Concernant l’article 1er du projet de loi, on peut effectivement craindre, comme l’a relevé mon collègue Longeot, que le bénéfice de cette prime exceptionnelle ne soit finalement réservé à un nombre limité de salariés, notamment ceux des banques, des compagnies d’assurances, des grandes entreprises auxquelles l’État est en mesure d’en imposer le versement. De surcroît, instaurer cette prime revient à créer une nouvelle niche, ce à quoi nous sommes tous opposés par principe. Cela étant, puisqu’elle est provisoire, le dispositif devant s’éteindre le 31 mars, nous voterons l’article 1er.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, après plusieurs semaines de mouvements sociaux d’une virulence rarement égalée au cours de ces dernières années, l’exécutif s’est enfin décidé à agir. Sa réponse, préparée dans l’urgence, n’est, hélas ! pas à la hauteur des attentes d’une partie de la population précarisée, légitimement au bord de l’implosion. Les solutions proposées, peu abouties, peu réfléchies et non budgétisées, l’illustrent parfaitement.
Ainsi, l’article 1er de ce projet de loi appelle les entreprises à verser une prime exceptionnelle de fin d’année. L’intention est louable, mais quelle est l’efficacité économique d’un vœu pieux ? Il n’entre pas dans les conceptions des libéraux d’astreindre les employeurs au versement d’une telle prime. Tout au plus un mécanisme incitatif, à savoir une exonération de cotisations sociales pour les entreprises, est-il prévu afin de favoriser la mise en œuvre de cette mesure. La carotte est maigre et l’on porte au passage un énième coup de rabot au financement de la sécurité sociale.
Certes, dans le contexte de crise majeure que nous connaissons, je ne peux me résoudre à voter contre une mesure qui pourrait accroître le pouvoir d’achat de certains travailleurs. On peut cependant regretter le caractère non coercitif du dispositif. En laissant l’application de cette mesure au bon vouloir des employeurs, le Gouvernement prend un pari risqué. Au mieux, madame la ministre, vous faites preuve de naïveté en pensant que le patronat fera droit à votre demande. Au pire, vous faites preuve d’insincérité, en promettant beaucoup sans escompter de résultats probants, tout en misant sur l’essoufflement de la grogne sociale. Soyez sûre que nous serons particulièrement attentifs à la mise en place de cette mesure et que nous tâcherons d’en juger l’efficacité avec rigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)