Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture de la proposition de résolution sur la création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs, comme à l’écoute des propos de notre collègue Franck Montaugé certaines des idées qui fondent ce texte peuvent paraître séduisantes. Il n’en reste pas moins qu’elles sont potentiellement très dangereuses pour l’avenir de notre agriculture française.
Je partage totalement l’idée qu’il faut arrêter de stigmatiser notre agriculture, car cela ne conduit qu’à monter les gens les uns contre les autres, à mépriser le travail de nos agriculteurs et à créer une véritable psychose chez nos agriculteurs, poussant, trop souvent, certains d’entre eux à commettre l’irréparable.
Nos agriculteurs travaillent plus de soixante-dix heures par semaine, et certains, comme les éleveurs, sept jours sur sept. Dans une société qui perd petit à petit le sens de la valeur travail et le goût de l’effort, ils sont sans cesse critiqués et traités de chasseurs de primes, de pollueurs et d’empoisonneurs. C’est insupportable pour eux !
L’agri-bashing paraît sans limites ; il est poussé par une démagogie verte et s’appuie sur des totems qu’il est urgent d’abattre, comme l’idée selon laquelle il faudrait supprimer le glyphosate, malgré l’absence d’étude préalable et de méthode alternative efficace. Tout cela évoque l’obscurantisme plus que le progrès ! L’identification, par une énième ONG, de prétendues fermes-usines, est une insulte de plus au modèle agricole français.
Or ce modèle a su maintenir une agriculture répartie sur la totalité de notre territoire, même dans des zones où la concurrence mondiale et les handicaps naturels auraient facilement pu la conduire à disparaître. C’est un modèle qui favorise le maintien d’un maximum d’agriculteurs, grâce à une politique forte d’aide à l’installation et de soutien à l’agriculture familiale.
Mes chers collègues, cette démagogie n’est plus tenable. Nous ne pouvons plus continuer à souffler sur les braises. Malheureusement, je crains que cette proposition de résolution ne le fasse pourtant une fois de plus ! En effet, pourquoi chercher à reconnaître des services rendus à l’environnement par l’agriculture, alors que celle-ci y contribue déjà beaucoup ?
M. Franck Montaugé. Pour payer ces services !
M. Laurent Duplomb. Certes, le système alimentaire mondial est responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre. En revanche, la France occupe depuis trois ans la première place du classement de l’index de durabilité des systèmes alimentaires.
Mes chers collègues, contrairement à ce que l’on entend souvent, nous sommes déjà exemplaires !
M. Bruno Sido. Et alors ?
M. Laurent Duplomb. Le risque d’une diminution importante du budget de la PAC se profile, annonçant une possible déstabilisation de la « ferme France ». Pourquoi, dès lors, amplifier ce mouvement par une ponction sur le premier pilier pour financer ces mesures agro-écolo-bobo-environnementales ? (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Franck Montaugé. Ce n’est pas ce que nous demandons !
M. Laurent Duplomb. Pourquoi mettre cette résolution sur la table avant les négociations du budget de la PAC, comme si nous étions pris dans une course effrénée au concours Lépine de l’idée qui lave plus vert que vert ? Ce texte nous placerait-il en meilleure position dans les discussions budgétaires ? Je ne le crois pas.
Bien au contraire, il indiquerait que nous acceptons déjà la subsidiarité, qui nous conduirait vers une Politique agricole commune de moins en moins commune et qui accentuerait encore les écarts de compétitivité entre notre agriculture française et celles des autres pays européens concurrents.
Pourquoi prétendre donner l’exemple avec cette résolution, alors que nous sommes déjà exemplaires ?
Ce texte semble s’adresser une fois de plus à cette minorité d’éternels insatisfaits qui n’a pas assez d’objectivité pour reconnaître les progrès qu’a réalisés notre agriculture. Celle-ci a pourtant su nous fournir une alimentation en qualité et en quantité suffisante, ce que, partout sur la planète, les autres États cherchent inlassablement à réussir.
Méfions-nous, mes chers collègues, l’autonomie alimentaire de la France n’est pas un fait acquis. À cause de condamnations répétées, doublées d’un manque de lucidité politique, nous ne sommes déjà plus autosuffisants pour certaines productions. Nous laissons ainsi la place à des produits d’importation dans nos assiettes, sans que personne – particulièrement pas ces éternels insatisfaits – critique le fait qu’ils ne répondent pas à nos normes de production.
Mes chers collègues, j’en appelle à votre responsabilité et à votre bon sens. Laissons enfin nos agriculteurs tranquilles ! Arrêtons de chercher toujours à leur mettre des boulets aux pieds, tout en leur demandant de courir le cent mètres !
Cette profession, qui me passionne, en a assez de toutes ces normes et de tous ces clichés. Plutôt que de la contraindre sans cesse, laissons-la faire ce qu’elle fait le mieux : cultiver et élever, en tenant compte des vicissitudes de la nature, afin de nourrir dignement son peuple !
Je ne voterai donc pas cette résolution, et je vous appelle à faire de même, car je suis agriculteur, et non jardinier de la nature ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Je ne suis pas d’accord !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour les services environnementaux rendus par les agriculteurs tient compte à la fois du contexte mouvant et instable que subissent chaque jour les agriculteurs, ainsi que de la nécessité de chercher de nouveaux outils au service de la protection environnementale.
Ces paiements récompenseraient donc les externalités positives de notre agriculture en faveur de l’environnement. Celles-ci regroupent les influences directes et positives du travail agricole, au-delà de l’activité agricole en elle-même, notamment la séquestration de C02, l’entretien des écosystèmes ou la protection contre des maladies.
Notre groupe admet l’intérêt du texte soumis au vote par nos collègues du groupe socialiste et républicain. Nous soutenons, par ailleurs, une approche plus large des externalités positives, qui inclut non seulement les points considérés dans cette proposition, mais également l’ensemble des effets positifs de notre agriculture, tels que la création d’emplois ou la contribution à l’attractivité des espaces ruraux et à leur développement.
Nous nous placerions ainsi au croisement de trois problématiques majeures de la politique agricole : le soutien à la transition environnementale, le développement rural, enfin – ce n’est pas le moins important – la garantie de revenus décents issus de l’activité agricole. Il nous faut donc analyser les politiques mises en œuvre jusqu’à présent pour relever les défis actuels et futurs en matière de santé, d’environnement, de lutte contre le changement climatique, de protection de la biodiversité et, plus largement, d’adaptation aux nouvelles attentes sociétales.
Nous devons, enfin, identifier des pistes vers un modèle agricole permettant de mieux prendre en compte les externalités positives d’une agriculture capable de dégager des revenus viables pour tous les agriculteurs.
Nous sommes d’accord, la PAC a atteint ses limites et, malgré un soutien moyen de 30 000 euros par agriculteur, elle ne parvient à endiguer ni la baisse continue du nombre d’exploitants agricoles ni leur appauvrissement. Ainsi, quelque 30 % d’entre eux avaient un revenu inférieur à 350 euros par mois en 2016, selon la mutuelle sociale agricole, la MSA.
Le régime de paiement de base – ou paiement vert – offre un exemple des mesures employées par les pouvoirs publics. Il constitue un outil de poids de la PAC pour assurer un niveau de vie équitable aux agriculteurs et représente 30 % de son budget. Cependant, en mars 2018, la Cour des comptes européenne a conclu, dans un rapport d’évaluation, que, si ce régime fonctionne, il a un trop faible impact.
En juin dernier, le Sénat adoptait une résolution européenne en faveur de la préservation d’une Politique agricole commune forte. Cette résolution « rappelle l’importance de valoriser les externalités positives de l’agriculture, en particulier son potentiel de stockage de carbone, au regard des services rendus, tant à l’égard de la société que de l’environnement, ce qui devrait valoir aux agriculteurs une rémunération mieux conçue et plus simple des biens publics qu’ils produisent ».
Alors même que, au début des négociations, la Commission européenne envisageait une baisse du budget global de la PAC, le ministère de l’agriculture et de l’alimentation s’est engagé à « défendre fermement et sans relâche un budget à la hauteur des défis que l’agriculture européenne doit relever ».
Les attentes environnementales de la part des agriculteurs comme de la population, la volonté des agriculteurs de tirer de meilleurs revenus de leur activité et les souhaits des consommateurs, qui achètent toujours plus d’aliments issus de l’agriculture biologique, nous poussent vers un nouveau modèle économique, social et environnemental qui reste à construire et qui devra favoriser la transition écologique du monde agricole et la durabilité des revenus des agriculteurs.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe La République En Marche portent un regard bienveillant sur cette proposition de résolution. Nous considérons qu’elle pourrait aller plus loin, mais nous voterons en faveur de son adoption. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où commence l’examen de cette proposition de résolution, la question de l’impact de l’activité agricole sur l’environnement est plus que jamais au cœur des débats politiques et sociaux, en France et en Europe.
À cet égard, la nécessité d’une transition agroenvironnementale a été particulièrement soulignée lors des derniers États généraux de l’alimentation, mais aussi lors de la discussion du projet de loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, qui en est issu, au Sénat comme à l’Assemblée nationale.
Ainsi, la sécurité alimentaire, la santé publique, le bien-être animal ou la préservation des milieux naturels et de la ressource en eau sont aujourd’hui des défis que le monde agricole doit relever.
Si la nécessité de transformer en profondeur notre modèle agricole pour une agriculture plus respectueuse de l’environnement est un impératif indiscutable, nous devons toutefois y consacrer les moyens nécessaires. C’est dans ce cadre qu’il faut appréhender les débats sur les paiements pour services environnementaux, très en vue au niveau européen dans le cadre de la négociation de la future PAC et dont il est question dans cette proposition de résolution présentée au nom du groupe socialiste et républicain.
Que contient ce texte ? Sur le modèle de ce qui a été fait, par exemple, au Costa Rica, il vise à inciter les grandes entreprises agroalimentaires à mettre en œuvre le principe « zéro déforestation ».
Dans les faits, il s’agit de rémunérer les agriculteurs qui adopteraient des pratiques favorables à la préservation de l’environnement. Ce dispositif repose sur des contrats pouvant impliquer des acteurs privés, tels que des propriétaires fonciers, des entreprises ou des associations et des acteurs publics. L’intention de départ est donc très bonne.
Notons toutefois qu’il existe déjà un mécanisme pouvant être assimilé à un dispositif de type PSE, en Europe et en France : les mesures agroenvironnementales et climatiques de la politique agricole commune. Franck Montaugé a souligné la possible complémentarité de ces MAEC et du dispositif qu’il propose ; il n’en demeure pas moins que ces mesures offrent déjà des possibilités d’agir.
Dans le cadre des MAEC, l’agriculteur s’engage à respecter des pratiques environnementales précises allant au-delà de la réglementation, en contrepartie de quoi l’administration lui verse un financement public couvrant les coûts supplémentaires entraînés par ces pratiques et les pertes de revenu, ainsi que les coûts de transaction.
Les auteurs de la proposition de résolution entendent faire autrement : il ne s’agirait plus, comme aujourd’hui, de compenser des surcoûts ou des manques à gagner, mais de rémunérer une pratique environnementale à travers un financement public ou privé.
M. Jean-Claude Tissot. Non, ce n’est pas cela !
M. Franck Montaugé. Ce n’est pas du tout cela !
Mme Cécile Cukierman. L’idée est séduisante, et le débat sur les PSE permet d’interroger la notion de bien commun, dans laquelle j’inclus bien évidemment l’environnement ; mais il soulève également des questions sur la notion de propriété foncière : quid de la transmission des contrats en cas de cession d’exploitation ? Bien plus, ce débat pose la question d’un réel accompagnement des agriculteurs dans la transition agroécologique.
Pour séduisants qu’ils soient, les PSE soulèvent des questions qui nous semblent occultées, en tout cas peu traitées, par la présente proposition de résolution. Ainsi, comment éviter les effets d’aubaine ou l’éco-opportunisme ? Les PSE ne sont intéressants que si tout risque de chantage environnemental – si vous ne me payez pas, je détruirai – est écarté et si tous les agriculteurs peuvent potentiellement en bénéficier.
De plus, comme le soulignent certains, la généralisation des PSE pourrait entraîner la disparition de pratiques désintéressées participant à la protection de la nature : dès lors qu’une rémunération peut être envisagée, pourquoi ne pas en profiter ? Peut-être aussi deviendrait-il de plus en plus difficile de mettre en place des normes environnementales, du fait, notamment, du principe de contractualisation, qui s’appliquerait au détriment des normes législatives.
Enfin, il faut être attentif à l’écueil consistant à voir dans la protection de l’environnement, à terme, l’unique justification de l’intervention publique en agriculture.
La correction des défaillances de marchés au fondement des crises économiques agricoles ne serait alors plus légitime, alors qu’elle justifie tout autant une intervention publique. Cette dernière action est d’autant plus nécessaire que les propositions aujourd’hui sur la table des négociations laissent présager une PAC beaucoup moins commune, dans laquelle les budgets seraient fortement réduits et on renoncerait à toute politique environnementale ambitieuse et globale.
Ces contrats PSE peuvent ainsi participer à une remise en cause de la vision publique de l’environnement et à la possibilité d’une privatisation – j’ose le mot – du droit de l’environnement.
Pour toutes ces raisons, la majorité des membres de notre groupe ne votera pas cette proposition de résolution, qui, sans garde-fou, risque de laisser de nombreux agriculteurs en dehors du dispositif.
Nous pensons qu’il faut développer une réflexion alternative, ainsi qu’il a été précédemment évoqué, notamment autour du concept de rémunération des externalités positives, qui prend en compte l’environnement, mais aussi les avantages sociaux, la dimension humaine, l’aménagement du territoire et, finalement, le lien entre territoires ruraux, pratiques agricoles et défis climatiques à venir.
Selon nous, le passage d’un modèle intensif à un modèle vertueux doit être largement soutenu. Pour autant, la majorité d’entre nous pensent que cela ne passe pas par le dispositif proposé, tel qu’il est aujourd’hui conçu. La plupart d’entre nous s’abstiendront donc sur cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour être rentable, une exploitation agricole doit-elle nécessairement être négative pour l’environnement, la qualité nutritionnelle des produits et la santé de celles et ceux qui y travaillent ? Évidemment non !
Par cette proposition de résolution, nous souhaitons faire reconnaître l’action positive que cherchent à mener de nombreux agriculteurs pour la santé, l’environnement et l’aménagement du territoire. À nos yeux, cette reconnaissance doit être double : morale et économique.
On n’a jamais tant parlé d’agriculture, mais on n’en a jamais aussi mal parlé. Les images qui y sont associées dans les médias depuis quelques années ont très souvent une dimension négative : maltraitance animale, pesticides, scandales alimentaires. Le fossé semble se creuser toujours plus entre la population et ceux qui la nourrissent.
Les attentes grandissantes de nos concitoyens en matière de préservation de l’environnement et de sécurité alimentaire sont légitimes. Elles sont même essentielles, car c’est l’opinion publique qui nous pousse à transformer en profondeur notre modèle agricole.
Ce modèle, hérité de l’après-guerre, a été construit pour répondre à une préoccupation unique : produire suffisamment pour nourrir la génération du baby-boum.
Le modèle vers lequel nous devons désormais tendre doit répondre à une exigence qualitative et plus seulement quantitative. En effet, qui peut se satisfaire de la pente qui nous mène toujours plus vers une alimentation à deux vitesses, saine pour les plus fortunés, bas de gamme pour les plus pauvres ? Personne !
De nombreux agriculteurs n’ont pas attendu le législateur pour améliorer l’efficacité agronomique et environnementale de leurs pratiques. Toutefois, ces actions positives restent trop méconnues – j’allais dire : invisibles. Par la création de paiements pour services environnementaux, nous pouvons donner de la visibilité à des pratiques qui ont déjà cours, en complément, comme l’a très bien expliqué M. Franck Montaugé, des aides directes existantes.
Au-delà de cette juste reconnaissance symbolique, il y a une nécessité beaucoup plus terre à terre : améliorer la rémunération des agriculteurs qui font des efforts, parfois des sacrifices, au service de l’intérêt général, et ainsi en inciter d’autres à les rejoindre.
Nous ne pouvons plus laisser nos agriculteurs seuls face à ce dilemme permanent : utiliser des intrants dangereux et polluants, dont ils sont les premières victimes, ou tirer le diable par la queue mois après mois – d’autant que, nous le savons tous, l’un n’empêche pas l’autre… Trop souvent, des agriculteurs qui souhaiteraient sincèrement aller vers des modes de production plus sains en sont dissuadés par les coûts suscités par une telle conversion.
Il existe, bien sûr, quelques outils pour accompagner ces transitions – cela a déjà été souligné. Je pense notamment aux mesures agroenvironnementales et climatiques. Elles vont dans le bon sens, mais restent insuffisantes. Pour inciter durablement à une modification en profondeur des pratiques, nous devons valoriser de manière permanente les effets positifs de l’agriculture sur l’environnement.
Nous savons que la politique agricole commune est à un tournant. Elle sera nécessairement touchée par les conséquences d’un Brexit qui n’en finit pas de se conclure. En tant que grande puissance agricole au sein de l’espace européen, la France a une responsabilité particulière pour orienter la prochaine PAC vers un soutien plus affirmé aux bonnes pratiques. Nous souhaitons que notre pays se rende à la table des négociations avec dans sa besace des propositions concrètes pour aider mieux, si ce n’est plus, le monde agricole.
Ainsi, les PSE représentent plus que jamais une opportunité de concilier différents impératifs. Les agronomes ont d’ores et déjà construit le logiciel du modèle agricole vers lequel nous devons tendre : la rotation des cultures, le travail du sol ou les herbicides naturels sont autant d’alternatives aux produits chimiques qui abîment la terre et les hommes. Ils nous proposent un modèle non seulement plus respectueux de notre planète, mais qui créera aussi plus d’emplois et améliorera les conditions de travail de nos agriculteurs.
En tant que législateurs, nous n’avons pas à inventer le modèle agricole de demain. En revanche, il est de notre devoir de tout faire pour le rendre possible ! La création de paiements pour services environnementaux rendus par les agriculteurs serait un premier pas sur cette voie.
Mes chers collègues, un tel enjeu justifie de dépasser la couverture qui porte le nom des auteurs de la proposition de résolution et de leur groupe, pour se prononcer sur le contenu proposé, sans dogmatisme ni préjugés. Parce que, comme notre collègue Duplomb, je suis agriculteur et pas jardinier de la nature, je vous invite à voter ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative du groupe socialiste de nous soumettre cette proposition de résolution en faveur de la création de paiements pour services environnementaux. À mon sens, cette proposition tombe au bon moment, et cela à plusieurs titres.
Les paiements pour services environnementaux suscitent des attentes fortes de la part de bon nombre d’agriculteurs, ainsi que d’associations environnementales et citoyennes. Ces attentes font suite aussi à l’engagement du Président de la République, que, monsieur le ministre, vous avez tout récemment confirmé, mais dont la mise en œuvre continue d’inspirer des inquiétudes.
Au niveau européen, au vu de l’état actuel des négociations, on peut s’interroger sur l’ambition de la nouvelle programmation, notamment sur le plan de la transition agroécologique.
Au niveau national, la fin du cofinancement de l’aide au maintien en agriculture biologique, qui était pourtant une forme de PSE, a envoyé un très mauvais signal. Il est vrai, monsieur le ministre, que vous n’étiez pas encore en fonction lorsqu’elle a été décidée.
Par ailleurs, l’enveloppe de 150 millions d’euros sur trois ans allouée aux agences de l’eau reste insuffisante, comme le rappellent les auteurs de la proposition de résolution.
Cette proposition est donc une occasion de réaffirmer qu’il est essentiel que la France défende une position forte dans les négociations européennes. Elle est aussi une occasion de rappeler que, si la France veut être crédible dans ces négociations, elle se doit de mettre en œuvre sur son territoire une politique ambitieuse dans ce domaine.
Il me faut encore une fois le rappeler : à l’heure du dérèglement climatique, de l’effondrement de la biodiversité et des atteintes à la qualité de l’eau, de l’air et des sols, mais aussi de la crise des revenus agricoles, la réorientation de notre modèle agricole est urgente !
Les PSE peuvent, et doivent, comme le soulignent les auteurs de la proposition de résolution, constituer la base d’un nouveau contrat entre l’agriculture et la société, en même temps qu’un outil au service du changement des pratiques agricoles. Il faut toutefois donner un contenu précis à ce concept, dont la définition n’est pas encore stabilisée.
J’ai coorganisé, vendredi dernier, au Sénat, un séminaire sur ce sujet, en partenariat avec la plateforme Pour une autre PAC, qui rassemble trente-trois organisations, à la fois des associations et syndicats de producteurs et d’agriculteurs, des associations environnementales, des associations de solidarité internationale et d’autres de citoyens consommateurs.
Leur position sur les PSE recoupe en partie cette proposition de résolution, mais va plus loin : les PSE doivent rémunérer des pratiques concrètes, dont l’effet positif sur l’environnement est avéré ; ils ne doivent pas rémunérer une simple limitation d’impacts négatifs – c’est le rôle des outils d’accompagnement au changement de système, comme les MAEC.
À ce titre il est essentiel, comme le signalent les auteurs de la proposition de résolution, que la mise en place des PSE ne signifie pas une diminution de l’enveloppe budgétaire des outils d’accompagnement à la transition.
Au regard des éléments ressortis, pour moi, de ce séminaire, cette proposition de résolution reste donc incomplète.
Au niveau budgétaire, la proposition de résolution ne s’engage pas sur la part qui devra être consacrée aux PSE : pour la plateforme avec laquelle nous avons travaillé, il faudrait, pour être efficace, mettre de l’ordre de 40 % du premier pilier au service de ce dispositif.
La plateforme propose également qu’une place soit accordée à l’agriculture biologique dans ces PSE. En effet, ce mode de production a des effets positifs avérés sur les écosystèmes. Le texte semble un peu timide sur ce plan.
Je trouve aussi que la proposition de résolution aurait dû avancer des pistes plus concrètes pour définir des pratiques ambitieuses méritant d’être rémunérées. Je pense au captage du carbone via le maintien des prairies permanentes en lien avec l’élevage à l’herbe, à un linéaire de haie bocagère important et aux pratiques de l’agroforesterie, sans oublier le maintien d’un couvert végétal permanent,…
M. Joël Labbé. … sans utilisation de glyphosate, évidemment !
Songeons aussi à l’allongement des rotations de cultures diversifiées. À titre d’exemple, la réglementation appliquée en Suisse, qui nous a été présentée vendredi dernier, rend impossible la monoculture de maïs.
Le paiement pour des pratiques favorables au bien-être animal répondrait également à une attente sociétale forte. Au reste, ces pratiques sont le plus souvent efficaces sur le plan de l’environnement.
Un autre sujet important n’est pas abordé par la proposition de résolution : la nécessaire simplicité du système. Les contrôles PAC sont aujourd’hui une source d’angoisse pour les agriculteurs, qui n’en ont pas besoin. Une politique efficace doit susciter la confiance.
Rappelons aussi, monsieur le ministre, que nombre d’aides PAC n’ont pas encore été payées, notamment les aides bio et les MAEC.
M. Joël Labbé. Il s’agit, là aussi, d’une situation dont vous héritez ; mais il y a urgence à agir !
Malgré les limites que je viens d’exposer, cette proposition de résolution arrive au bon moment pour donner une impulsion sur le sujet. Si elle insiste sur l’importance de la mobilisation des syndicats agricoles, des collectivités territoriales et du Gouvernement, je souhaite ajouter à cette liste les citoyens et les ONG, qui ont un rôle à jouer pour peser sur les nécessaires changements de cap.
Enfin je voudrais rappeler l’idée avancée par Nicolas Hulot, que l’on n’a pas tout à fait oublié : pour réussir une politique agricole et alimentaire aboutie, un copilotage de la PAC entre les ministères de l’agriculture et de la transition écologique et solidaire serait une absolue nécessité.
Pour ma part, je voterai la proposition de résolution. Quant à la majorité des membres de mon groupe, où il y a toujours liberté de vote, ce qui est très respectable, elle prendra position en fonction de nos débats. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)