M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Vallini, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, pour le programme « Diplomatie culturelle et d’influence ». Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants extracommunautaires, une augmentation à la fois brutale et considérable. Certes, le Premier ministre a annoncé en contrepartie une hausse du nombre de bourses, mais cela ne fera que compenser la diminution régulière des crédits, qui ont été divisés par deux en douze ans. Cette mesure aura en tout cas un effet très négatif sur les étudiants originaires du continent africain. Ils sont à la fois les plus nombreux et les plus fragiles économiquement. Or, contrairement à un cliché trop souvent répandu, ils sont bien loin d’être tous issus des classes favorisées.
Au moment où se dessine un mouvement de restitution aux pays africains de biens mal acquis sur l’initiative du Président de la République, au moment de l’amorce d’un processus d’inventaire de la colonisation, notamment de la colonisation de l’Algérie, cette hausse brutale du montant d’inscription constitue un très mauvais signal. En renonçant à accueillir une majorité d’étudiants africains, la France renonce à toute relation privilégiée avec les cadres africains de demain. Or ces futurs cadres sont convoités par de nouveaux acteurs, comme la Chine, l’Inde et la Russie.
En 2018, les étudiants africains inscrits en Chine devraient atteindre le chiffre de 80 000. Ils y bénéficient de la scolarisation et du logement gratuits ainsi que de bourses de 400 euros mensuels. Si l’Europe et la France restent leur priorité, nous perdons du terrain, notamment au profit de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis ou de la Turquie, qui proposent des bourses dans des universités islamiques. L’Arabie saoudite est ainsi passée de la trentième à la treizième place dans la liste des pays pourvoyeurs de bourse, et la Turquie est passée de la vingt-septième à la onzième place.
Le désengagement de la France auprès de la jeunesse africaine est un renoncement. On abandonne à d’autres pays le soin de former les cadres de demain. Ce renoncement va aggraver la perte d’influence de la France sur le continent africain, la déception, le dépit et, demain, le rejet de notre pays par la jeunesse du continent le plus jeune du monde.
Les réactions en Afrique, notamment à Dakar, mais pas seulement, relatées ces derniers jours par la presse, la manifestation de samedi ou des tribunes dans le journal Le Monde doivent vous alerter, monsieur le ministre. Il faut absolument revoir cette décision funeste pour le rayonnement culturel et économique de la France, mais aussi pour la francophonie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Claude Kern, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits destinés à notre diplomatie culturelle et d’influence ont été les grands sacrifiés du quinquennat de François Hollande : de plus de 750 millions d’euros en 2012, ils sont tombés à moins de 685 millions d’euros cinq ans plus tard, soit une baisse inédite de près de 10 % !
En cette deuxième année du quinquennat d’Emmanuel Macron, nous voyons déjà ce que sera la marque de fabrique du nouveau Président de la République : de grandes envolées, de beaux discours, des intentions louables, trente-trois mesures dans le plan Langue française et plurilinguisme… Qui d’entre nous ne serait pas derrière le Président de la République pour « donner un nouvel élan à notre diplomatie culturelle », comme il s’y est engagé ? Personne ! Mais, derrière les beaux discours, derrière les grandes envolées lyriques, quand on regarde dans le détail le budget, qui est le reflet de la véritable politique menée par le Gouvernement, que voit-on ? Des crédits durablement maintenus au niveau bas atteint en 2017, comme une confirmation, une acceptation, de la politique menée durant le précédent quinquennat ! Et les années à venir risquent d’être particulièrement douloureuses, le Gouvernement ayant annoncé dans le cadre du plan Action publique 2022 la réduction de 10 % de la masse salariale de l’ensemble des réseaux de l’État à l’étranger d’ici à 2022 !
Dans ces conditions, si l’on regarde les opérateurs de notre diplomatie culturelle, comment mettre en œuvre dix-sept des trente-trois mesures du plan Langue française et plurilinguisme avec seulement 2 millions d’euros supplémentaires non reconductibles et aucun emploi pour l’Institut français ? Comment doubler le nombre d’étudiants internationaux accueillis en France avec un budget inchangé pour Campus France ? Surtout, comment doubler le nombre d’élèves scolarisés dans notre réseau à l’étranger, avec un budget également inchangé pour l’AEFE ? Atteindre les 700 000 élèves dans le réseau en 2030, comme l’a annoncé le Président de la République, c’est l’équivalent de l’ouverture de quarante-huit établissements tous les ans pendant treize ans. Est-ce un objectif vraiment raisonnable ?
Je m’interroge aussi sur le devenir de la Fondation Alliance française, qui, si elle a échappé à la disparition, est néanmoins profondément dévitalisée dans l’opération de rapprochement avec l’Institut français. Notre pays a encore la chance d’avoir deux beaux réseaux d’influence dans le monde : les instituts français et les alliances françaises. Il faut absolument rétablir la confiance. Nous avons besoin d’un « travailler ensemble » serein et apaisé entre ces deux réseaux. Ce sont des pépites pour notre pays. Mais pour combien de temps encore, au regard des coupes budgétaires drastiques dont fait l’objet notre réseau à l’étranger ?
Mes chers collègues, vous le voyez, ma frustration est grande et mes réserves sont immenses. La commission de la culture, sans enthousiasme aucun, mais au vu de la stabilité de ce programme, a néanmoins choisi d’émettre un avis favorable à l’adoption des crédits destinés à notre diplomatie culturelle au sein de la mission « Action extérieure de l’État ».
M. Vincent Delahaye, rapporteur spécial. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, quoi de plus essentiel en vérité, malgré leur modestie, que les crédits du Quai d’Orsay ? Ce budget porte en effet l’action diplomatique de la France dans le monde. Or la voix de la France est aujourd’hui absolument primordiale. Le monde est confronté à une forme de « chaos » géopolitique.
D’un côté, il y a l’aggravation des menaces. Menaces de la force, on le voit ces jours-ci en mer d’Azov, comme hier en Crimée, mais aussi en mer de Chine, dans les îles Éparses et jusqu’en Méditerranée. Menaces de la faiblesse, celle des États faillis, qui nourrissent le terrorisme djihadiste. Menaces hybrides, créant des situations « troubles », dans la zone grise entre guerre et paix, via l’utilisation de milices ou la désinformation massive. Nouveaux espaces de conflictualité : face au cyberespace, il faut aussi désormais l’espace extra-atmosphérique.
De l’autre côté, les outils de régulation des crises internationales issus de la Seconde Guerre mondiale sont contestés : le Conseil de sécurité de l’ONU est bloqué sur la Syrie, sur le Yémen, sur le conflit israélo-palestinien. Le droit international est bafoué, la liberté de circulation des mers est contestée, les traités de maîtrise de la prolifération chimique et nucléaire sont fragilisés. Nos alliances les plus solides, comme la relation transatlantique, vacillent. L’Europe elle-même est frappée en plein cœur par la montée des populismes et la sortie de sa troisième puissance économique, le Royaume-Uni.
Pourquoi, dans ce contexte, les crédits du Quai d’Orsay sont-ils si importants ? Parce que la France a, par sa diplomatie universelle, un rôle particulier à jouer sur la scène internationale.
Membre permanent du Conseil de sécurité de l’ONU, puissance militaire parmi les seules au monde à se projeter au-delà de ses frontières, nation qui « parle à tous », indépendante, dotée d’armées disposant d’une autonomie stratégique basée sur une capacité d’appréciation propre, la France est l’une des seules puissances mondiales à ne pas avoir « d’agenda caché » dans la gestion des crises. La France, pour résumer, ne vise qu’à « produire de la sécurité » et à se battre pour la paix.
Néanmoins, si nous soutenons l’objectif de mieux intégrer les « 3 D » – diplomatie, défense et développement –, nous ne partageons pas toutes les orientations prises pour y parvenir.
Nous l’avons indiqué précédemment, l’aide au développement ne nous semble pas assez fermement pilotée du point de vue des priorités politiques. Nous l’avons dit samedi, notre confiance dans la bonne exécution de la loi de programmation militaire est désormais entamée : la défense a dû financer 400 millions de surcoûts des OPEX, qui auraient dû être pris sur la solidarité interministérielle.
Venons-en à la diplomatie.
Sur plusieurs sujets, la France n’est pas toujours au rendez-vous de son rôle historique. La vision un peu trop angélique qu’a l’exécutif du multilatéralisme ne nous permet pas de peser vraiment sur le cours des choses. Je déplore que nous soyons quasiment sortis des radars au Moyen-Orient, une région dont nous connaissons si bien les complexités. Il convient aussi de réinvestir l’Afrique, où notre leadership est sévèrement contesté.
Sur l’Europe, enfin, la vision très ambitieuse portée par le discours de la Sorbonne est quand même assez loin de la réalité. Prenons l’exemple du couple franco-allemand, qui – il faut bien le dire – ne pèse pas du même poids des deux côtés du Rhin !
Monsieur le ministre, à l’instar de Ladislas Poniatowski, je souhaite entendre votre réaction sur cette étonnante proposition allemande de mutualiser notre siège de membre permanent au Conseil de sécurité.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis. Ce serait scandaleux !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. De mon point de vue, c’est une faute de la part de nos amis Allemands, non seulement parce que cela affaiblit la légitimité française au sein du Conseil de sécurité, mais aussi parce que cela joue contre une réforme plus globale défendue par la France : faire entrer l’Allemagne au Conseil de sécurité, mais également élargir ce dernier au « nouveau monde » qui a émergé, avec le Brésil, l’Inde, le Japon et des pays africains.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis. Exactement !
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Cette proposition joue aussi contre l’intérêt de l’Union européenne, qui est d’avoir plusieurs sièges au sein du Conseil de sécurité. J’espère que vous aurez l’occasion de le dire haut et fort à votre collègue allemand, dont les déclarations ne sont pas acceptables pour nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Fouché applaudit également.)
Revenons à ce budget si modeste, mais si crucial. Je voudrais insister sur deux inquiétudes que nos rapporteurs ont bien mises en lumière.
On se réjouit que les dépenses contraintes baissent ? C’est en fait le reflet de notre recul au classement économique international. Est-ce donc le moment d’amputer en plus cet outil d’influence qu’est le réseau diplomatique ? À l’heure où l’Allemagne et le Royaume-Uni augmentent leurs budgets et leurs effectifs, la réforme précipitée du Gouvernement est un non-sens. Pour économiser 110 millions d’euros, soit une demi-journée de dépenses de l’assurance maladie, on risque de se priver de leviers d’actions essentiels : amputer la diplomatie économique, alors que notre balance commerciale est décevante ; rogner sur l’action culturelle, alors qu’on lutte contre l’obscurantisme partout dans le monde ; saper notre capacité diplomatique, alors que le monde est à feu et à sang ! N’est-ce pas là un contresens ?
Nous serons évidemment très attentifs aux effets de cette réforme et à la répartition des efforts d’économies entre les différents ministères.
Le modèle de gestion immobilière du Quai d’Orsay nous paraît à bout de souffle. L’entretien courant des bâtiments provient des cessions d’immeubles, qui financent aussi la moitié de la rénovation des sites parisiens du ministère ! L’entretien lourd du patrimoine à l’étranger est doté de 12 millions d’euros, pour des besoins réels qui se situent entre 25 millions et 80 millions d’euros. Pis, la sécurisation de nos emprises à l’étranger n’est pas financée par des crédits budgétaires, mais par des cessions ! Car c’est bien à cela que mène le dispositif d’avance que Bercy vous a proposé pour 100 millions d’euros sur deux ans ! La commission le dit haut et fort : il faut mettre un terme à l’érosion du patrimoine qui découle de cette politique mortifère !
Monsieur le ministre, je veux vous donner acte que, depuis votre arrivée au ministère, cette politique a cessé.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Je souhaite que nous poursuivions dans cette voie.
Au-delà de toutes ces observations, nous sommes évidemment à vos côtés. La commission a massivement voté vos crédits pour faire en sorte de défendre l’action diplomatique de la France. J’en suis persuadé, malgré les difficultés intérieures que nous vivons actuellement – elles risquent malheureusement de porter atteinte au rayonnement de notre pays –, nos diplomates, qui font un travail absolument extraordinaire et auquel je souhaite rendre hommage ici, méritent qu’on les soutienne, qu’on les encourage et qu’on les aide à agir pour le bien et le rayonnement de la France et pour la paix. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et du groupe socialiste et républicain.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur pour avis. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt minutes pour intervenir.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous en convenons tous ici, il n’y a aucun doute sur le potentiel de la France en matière d’action extérieure de l’État, mais cela a un prix et nécessite un investissement. À ce titre, nous regrettons que la diplomatie économique soit considérée comme le levier majeur de notre diplomatie. Ce choix stratégique nous semble contestable.
Il existe toujours malgré tout un reliquat de colonialisme dans notre pratique des échanges commerciaux avec certains pays, notamment d’Afrique. Ainsi, sous couvert d’aide au développement de ces pays, l’enjeu est aussi d’assurer un avenir international à nos entreprises. Sauf que le focus mis sur la diplomatie économique a conduit, par exemple, à une diplomatie politique des ventes d’armes, à propos desquelles vous connaissez notre opposition. Ces ventes massives d’armes n’ont pas développé d’emplois en France, puisque le secteur de l’industrie de l’armement a vu disparaître 44 000 emplois en dix ans.
Dans le cadre de cette discussion budgétaire, je tiens aussi à intervenir sur un sujet dont on ne parle pas trop souvent, même si nous avons déjà abordé ce point avec vous, monsieur le ministre, à savoir le franc CFA, c’est-à-dire le franc des anciennes colonies d’Afrique.
Le maintien d’une zone franc après la décolonisation grève fondamentalement les capacités d’investissement des États et nuit à leur indépendance monétaire. Le franc CFA a le mérite de limiter l’inflation et d’apporter de la stabilité aux économies nationales, mais son indexation sur l’euro, une monnaie forte, freine de nombreuses PME africaines et encourage la fuite des capitaux.
Le fait d’aborder la problématique du franc CFA dans le cadre de cette mission vous surprendra peut-être, mes chers collègues, mais il me semble que ce point n’est pas sans lien avec nos objectifs dans le domaine des actions extérieures de la France. Si le franc CFA permet de maintenir un pré carré pour la France, il est aussi de plus en plus un motif de rejet de notre pays dans les pays concernés. Il faudra bien qu’on s’attelle un jour à ce problème.
J’aborde maintenant un autre point : la nécessité de réinvestir massivement dans notre diplomatie culturelle.
La situation de la diplomatie culturelle aujourd’hui est très délicate. C’est le domaine d’action qui présente le plus gros déficit entre les moyens mis en œuvre et les besoins auxquels ils sont censés répondre. À ce titre, monsieur le ministre, vous m’aviez dit en commission que la fermeture de l’institut français de Naplouse n’était pas figée et que les discussions restaient ouvertes. Qu’en est-il désormais ? La situation a-t-elle changé ? Plus largement, nous nous interrogeons sur la fusion des alliances françaises et des instituts français comme sur leur financement. Le désinvestissement de l’État, au motif d’encourager l’autofinancement, est contradictoire avec une ambition forte de politique étrangère.
Cette ambition se fracture également avec l’exemple des étudiants étrangers. On ne peut que condamner la décision du Gouvernement d’augmenter drastiquement les frais d’inscription des étudiants étrangers à l’université. Dire qu’il s’agit d’une mesure visant à compenser ce que ces étudiants coûtent, c’est remettre en cause le sens même d’un service public ! Certes le principe du service public repose sur le caractère contributif de son fonctionnement, mais un étudiant étranger crée lui aussi de la richesse puisque, en travaillant, il consomme et paie des impôts indirects.
Avec cette décision, vous ôtez tout espoir aux étudiants modestes de venir étudier en France, alors même qu’il existe déjà une barrière à l’entrée par le biais des revenus minimaux exigés. Doit-on considérer que les 620 euros demandés ne sont pas suffisants pour vivre en France ?
Cette sélection par l’argent se couple à l’absence de critères sociaux dans l’attribution de bourses du Gouvernement, comme vient de le souligner l’un de mes collègues. Au-delà de leur accessibilité directe, cela empêche chaque année un certain nombre de jeunes étrangers de postuler dans l’une de nos universités. Alors que la France est le quatrième pays d’accueil d’étudiants étrangers, cette situation risque d’entraîner un recul de notre pays en la matière.
Je terminerai en évoquant l’un des piliers les plus importants de notre action extérieure : notre réseau consulaire. La baisse des effectifs au sein des représentations françaises à l’étranger inquiète. Alors que le Quai d’Orsay a perdu 53 % de ses effectifs en trente ans et un tiers depuis 2008, le Gouvernement a encore annoncé la suppression de 10 % des effectifs. Aujourd’hui, on décompte seulement 13 800 agents pour 2 millions d’expatriés, sans tenir compte des touristes. J’y reviendrai lors de l’examen des amendements, mais le schéma « fermeture des accueils et dématérialisation des procédures » conduit à un certain recul.
M. le président. Veuillez conclure, chère collègue !
Mme Christine Prunaud. Au vu de ces éléments, il nous est impossible de voter des crédits en baisse qui affaiblissent plus encore l’action extérieure de la France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’action extérieure de l’État, on le sait, est l’un des principaux instruments du rayonnement de la France dans le monde. À ce titre, il est important de préserver les moyens de la mission que nous examinons, ce maintien étant le gage de la diffusion des valeurs universelles qui nous sont chères.
Avec une dotation de 2,9 milliards d’euros pour 2019 en autorisations d’engagement et en crédits de paiement, j’observe, à périmètre constant, une diminution de 2,2 % des crédits par rapport à 2018. Cependant, même si en matière de chiffres les jeux d’écriture restent toujours possibles, vous avez affirmé, monsieur le ministre, que cette baisse était toute relative, puisque les dépenses de sécurisation des implantations à l’étranger relèvent d’un programme extérieur à la présente mission.
Dans un monde multipolaire fragilisé, d’un côté, par la faiblesse des États faillis et, de l’autre, par les nouvelles stratégies de puissance, le projet kantien de paix perpétuelle demeure un idéal. Aussi, nous avons besoin d’un outil diplomatique efficace pour conserver à la France ses capacités d’influence et de pleine participation à la résolution des conflits. Cette influence, nous devons continuer à la déployer sur tous les fronts de l’action extérieure, que ce soit celui de la diplomatie culturelle, celui de notre emprise consulaire et, bien sûr, celui de notre implication dans les grandes organisations internationales.
S’agissant de la diffusion de notre culture, la promotion de la langue française reste une composante majeure de notre diplomatie. Je me félicite donc de la sanctuarisation des crédits du programme 185. Toutefois, sans un soutien plus affirmé, il me semble que l’objectif de 700 millions de locuteurs au milieu de ce siècle, au lieu de 274 millions aujourd’hui, sera difficile à atteindre. Dans ces conditions, l’effort en direction du réseau des lycées français à l’étranger doit être conforté. N’hésitons pas aussi à nous appuyer davantage sur nos outre-mer pour mieux diffuser la francophonie.
Pour ce qui concerne le réseau consulaire, je m’inquiète des conséquences que pourrait avoir la poursuite à marche forcée de la rationalisation qui affecte le programme 105. Je pense, en particulier, à la réduction de la masse salariale amorcée dans ce budget pour coller à l’objectif d’une diminution de 10 % des effectifs d’ici à 2022. Il s’agit d’une nouvelle saignée, alors que les réseaux consulaires sont déjà fortement contraints dans l’actuel schéma pluriannuel d’emploi, comme l’a souligné M. le président de la commission des affaires étrangères.
Pour autant, je ne conteste pas le chantier de la mutualisation des fonctions supports de l’ensemble des ministères et opérateurs de l’État à l’étranger opéré dans le cadre du plan Action publique 2022. Je partage l’idée que cela contribuera à faire de chaque ambassade une véritable agence de l’État. Mais attention à ne pas effectuer ces réformes dans la brutalité, au risque d’affaiblir un réseau dont l’universalité en fait le troisième au monde ! Tout comme le président de la commission des affaires étrangères, j’espère que nous nous maintiendrons à cette place.
Enfin, au-delà du maillage des continents par nos ambassades, nos lycées et nos alliances françaises, c’est également au sein des grandes organisations internationales que la France expose son point de vue pour répondre aux défis du monde actuel. À cet égard, je salue l’initiative du Président de la République d’installer annuellement un Forum de la paix – preuve qu’il m’arrive parfois d’être d’accord avec lui ! Cette enceinte permettra, parmi d’autres, de promouvoir l’action multilatérale de la France. C’est aussi, on peut le dire, une façon de conforter notre rôle dans la résolution des conflits.
Reste que nous devons être vigilants, car, sans être ouvertement contestée, notre place peut parfois être discutée. Je pense à notre partenaire allemand qui souhaite – Ladislas Poniatowski l’a rappelé – que la France abandonne son siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies au profit de l’Europe. Or rappelons à nos amis Allemands qu’il faudrait au préalable que l’Union européenne ait une politique étrangère unique pour qu’elle ait un siège unique.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. Jean-Noël Guérini. Nous n’en sommes pas là ! J’ajouterai que ce n’est pas forcément avec des excédents budgétaires exemplaires que l’on répond aux défis stratégiques…
L’engagement des militaires français sur les théâtres extérieurs est parmi les plus importants, ce qui justifie la place centrale de la France dans les instances multilatérales et sa légitimité à parler à tous.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Bien sûr !
M. Jean-Noël Guérini. Sans prétendre à l’arrogance, nous devons préserver la place qui est la nôtre, car, au-delà de l’attractivité de notre pays, il s’agit de lui conserver son autonomie. J’entends bien sûr par autonomie celle qui nous permet de contrôler nos intérêts tout en continuant à nous ouvrir au monde, comme l’a très justement rappelé le Président de la République au Forum de la paix.
Le cycle mémoriel de la Grande Guerre, qui vient de s’achever, a ouvert des instants de commémoration rappelant que la paix d’hier avait été chèrement payée, et que celle d’aujourd’hui n’était pas éternellement acquise.
M. le président. Veuillez conclure, cher collègue !
M. Jean-Noël Guérini. Je vous encourage donc, monsieur le ministre, à poursuivre dans la voie de la consolidation de tous les outils diplomatiques qui se mettent au service des libertés humaines.
Malgré tout, le groupe du RDSE votera ce budget. (M. Jean-Claude Requier applaudit.)
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’action de la France dans le monde est plus que jamais attendue et nécessaire. Dans un contexte international dégradé, dangereux, instable, comme le montrent une fois encore les conditions du G20 ce week-end, le monde a besoin de plus de diplomatie et de plus de dialogue.
Jean-Pierre Raffarin, qui a été un grand président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, comme l’est aujourd’hui Christian Cambon, avait l’habitude d’affirmer devant cette assemblée que le grand rôle de notre pays au XXIe siècle serait double : à la fois défendre inlassablement la paix entre les nations et promouvoir farouchement le multilatéralisme. L’actualité internationale lui donne chaque jour un peu plus raison.
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Tout à fait !
M. Alain Fouché. Avec le troisième réseau diplomatique et consulaire, avec l’un des meilleurs corps diplomatiques au monde, avec des relais d’influence culturels, stratégiques et politiques anciens sur tous les continents, la France a toutes les cartes en main pour demeurer une grande puissance de diplomatie et de paix. Néanmoins, nous devons veiller à ne pas prendre pour acquise cette position unique sur la scène internationale. L’histoire nous montre que, lorsque nous cessons d’investir dans notre diplomatie et notre action extérieure, notre connaissance du monde s’amoindrit, notre voix s’affaiblit.
À ce titre, l’affaiblissement continu du Quai d’Orsay et des réseaux culturels français depuis plusieurs années est inquiétant. II faut cesser de considérer notre action extérieure comme une variable d’ajustement. De l’aveu même de nombreux diplomates, le Quai d’Orsay est aujourd’hui à l’os. Je le dis aujourd’hui avec force : notre diplomatie est un actif précieux pour la France et un atout pour l’avenir ! Or vous semblez, monsieur le ministre, poursuivre dans cette logique de rabot progressif sur les crédits dédiés à cette mission, une fois corrigées les mesures de périmètre.
Si nous croyons souhaitable la rationalisation du système de prime des agents diplomatiques, si des économies de fonctionnement sont encore possibles, nous estimons que la logique d’économies structurelles arrive à son terme, à moins de revoir drastiquement notre stature diplomatique. Cette stature, pour l’avenir, doit reposer sur trois piliers dans lesquels nous devrons investir des moyens financiers et humains importants.
Le premier est la diplomatie d’influence, le fameux soft power. D’autres pays affichent des efforts colossaux dans ce domaine : la Chine, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, par exemple, investissent massivement dans leur réseau culturel à l’étranger et occupent les espaces que nous délaissons. Notre propre réseau, atomisé et en perte de puissance, gagnerait à être rationalisé pour répondre à ce défi. Il pourrait s’appuyer sur une ambition renouvelée.
Le deuxième pilier est notre présence dans les institutions multilatérales. Elle doit être renforcée et pilotée au plus haut niveau politique. La France, comme l’ont rappelé le président de la commission des affaires étrangères et d’autres collègues, est un membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, et elle occupe ce rôle avec dynamisme et esprit d’initiative. Elle ne doit naturellement pas renoncer à ce privilège, comme je l’ai récemment entendu dire par nos amis Allemands. Face au retrait des États-Unis, face aux blocages persistants de la Russie, la France a une responsabilité accrue pour maintenir vivantes et efficaces les enceintes du multilatéralisme.
Le troisième pilier est l’Europe. Elle est l’horizon naturel de notre action extérieure qu’elle a vocation à amplifier et à catalyser. Nous devrons œuvrer à la construction d’une véritable politique extérieure commune – nous en parlons depuis tellement d’années ! – sur les grands sujets qui touchent à notre sécurité commune, aux crises dans notre voisinage et aux biens communs de l’humanité.
Monsieur le ministre, ces points de vigilance ayant été rappelés, le groupe Les Indépendants – République et Territoires s’abstiendra sur ces crédits qui ne nous semblent pas à la hauteur des enjeux que doit affronter notre diplomatie.