M. le président. La parole est à Mme la rapporteur pour avis.
Mme Maryse Carrère, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, pour le programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, lors de sa réunion du 21 novembre dernier, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » du projet de loi de finances pour 2019.
La commission des lois a été sensible à l’effort consenti en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse, dont les crédits augmentent de 2,8 %, pour atteindre 875 millions d’euros en 2019. Ces moyens supplémentaires permettront la création d’une cinquantaine de postes, principalement des emplois d’éducateur, mais aussi de psychologue et d’assistante sociale, et ils financeront des travaux de rénovation et d’entretien des locaux trop longtemps différés.
Il faut aussi souligner l’effort consenti en faveur du secteur associatif habilité, dont les crédits vont être revalorisés afin de lui permettre de réaliser un plus grand nombre de mesures d’investigation.
Une partie non négligeable des crédits supplémentaires alloués à la protection judiciaire de la jeunesse sera affectée à la construction de nouveaux centres éducatifs fermés, ou CEF. Le Gouvernement prévoit 1,8 million d’euros pour commencer les opérations nécessaires à l’ouverture de deux centres dans le secteur public et 2,3 millions d’euros pour faciliter le lancement de cinq CEF associatifs.
Les auditions et les déplacements auxquels j’ai procédé n’ont pas levé toutes les interrogations concernant la construction de ces nouveaux CEF. J’ai entendu formuler de nombreuses questions concernant l’évaluation des besoins qui justifie l’ouverture de 240 places supplémentaires, alors que les cinquante-deux CEF aujourd’hui en activité sont loin d’être saturés.
Les professionnels s’inquiètent de la concentration des moyens humains et financiers sur ce programme de construction. Je sais que vous êtes convaincue, madame la ministre, de la nécessité de préserver une palette diversifiée de modes de prise en charge, afin que les juges des enfants puissent trouver une solution adaptée à chaque jeune. Mais aurez-vous les moyens, dans les années qui viennent, de financer l’ouverture de vingt nouveaux CEF sans pénaliser les autres dispositifs de la protection judiciaire de la jeunesse ? Peut-être pourrez-vous nous préciser vos intentions dans la suite de ce débat.
Pour conclure mon propos, j’évoquerai la réforme de l’ordonnance de 1945. La commission des lois y est favorable, cette ordonnance étant devenue peu lisible au fil de ses modifications successives et devant être adaptée à l’évolution de la délinquance juvénile. Cependant, nous ne pouvons que déplorer le choix du Gouvernement et de la majorité à l’Assemblée nationale de recourir à une ordonnance pour y procéder. Qui plus est, la demande d’habilitation a été introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale lors de la discussion du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, que nous avons examiné en procédure accélérée au mois d’octobre.
Je sais que vous prévoyez d’associer des parlementaires à l’élaboration de l’ordonnance, mais nous sommes nombreux à penser qu’une réforme d’un dispositif de cette importance mériterait un débat plus approfondi devant la représentation nationale.
M. le président. Mes chers collègues, je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.
Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de 20 minutes pour intervenir.
Si les temps de parole sont respectés, cette discussion générale devrait s’achever vers treize heures.
Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Jean-Louis Lagourgue.
M. Jean-Louis Lagourgue. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la mission « Justice » progresse de près de 4,5 %, pour atteindre 7,291 milliards d’euros en crédits de paiement.
Même si le budget pour 2019 s’inscrit dans le mouvement de hausse quasiment continue des ressources votées, la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice – une hausse de 23,5 % en cinq ans, pour atteindre 8,3 milliards d’euros – est en réalité bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat, à savoir une augmentation de 33,8 % en cinq ans, pour atteindre 9 milliards d’euros. Elle est insuffisante pour assurer le redressement du service public de la justice par une action puissante et durable de rattrapage des retards accumulés dans le passé.
Oui, cette progression de près de 4,5 % apparaît bien modeste au regard des efforts nécessaires au redressement de la justice, qui se trouve aujourd’hui dans une situation critique, en termes tant de délais que de moyens ! Ce constat, le groupe Les Indépendants – République et Territoires l’avait déjà fait il y a un an à cette même tribune.
Le rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, qui a été récemment publié, vient confirmer, hélas ! ce diagnostic : quand l’Allemagne dépense 122 euros par habitant pour sa justice, la France n’y consacre que 66 euros par habitant, soit deux fois moins. La France se situe en queue du peloton européen et, malheureusement, le projet de budget pour 2019 ne permettra pas d’y remédier.
Je formulerai maintenant des observations spécifiques sur deux des trois programmes de la mission « Justice ».
Concernant tout d’abord les crédits consacrés à la justice judiciaire et à l’accès au droit, si le projet de loi de finances pour 2019 comporte plusieurs mesures positives, celles-ci doivent toutefois être accueillies avec prudence et ne doivent pas occulter une situation qui demeure extrêmement dégradée dans les juridictions.
Cette année encore, nous déplorons la pénurie chronique de magistrats et de fonctionnaires de greffe. Cette situation se traduit par un délai moyen de traitement des procédures en augmentation, toutes juridictions confondues.
De même, le système de l’aide juridictionnelle est à bout de souffle. À cet égard, le Sénat avait proposé le rétablissement de la contribution pour l’aide juridique en première instance, modulable de 20 à 50 euros, et l’instauration de l’obligation de consultation préalable d’un avocat avant toute demande d’aide juridictionnelle.
Concernant les crédits du programme « Administration pénitentiaire », je déplore l’hypocrisie de l’annonce du programme « 15 000 places », lequel repose essentiellement sur des constructions engagées par des gouvernements précédents. Ici, le constat est clair : le plan de construction de 15 000 places supplémentaires de prison d’ici à 2022 dont la mise en œuvre figurait parmi les engagements de campagne du Président de la République a été abandonné. Les ambitions du Gouvernement ont été ramenées, pour l’essentiel, à la création de 2 130 places en structures d’accompagnement vers la sortie d’ici à 2022. Aucun chantier n’étant engagé à ce jour, tous les terrains n’ayant pas été identifiés, même cet objectif plus modeste risque fort de ne pas être atteint.
Je souhaite également dénoncer l’insuffisance des crédits consacrés à la réinsertion, alors même que le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit de renforcer l’efficacité de l’exécution des peines.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Indépendants – République et Territoires ne votera pas les crédits de la mission « Justice » du projet de loi de finances pour 2019.
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, vous nous présentez, madame la ministre, un budget pour la justice qui connaît une nouvelle progression de ses crédits. Après une hausse significative de 3,9 % en 2018, les crédits de la mission « Justice » augmentent à nouveau, de 4,5 %, soit 313 millions d’euros supplémentaires.
Certes, ce budget ne permettra pas à la France de remonter en haut du classement des pays selon le critère des moyens qu’ils consacrent à leur système judiciaire établi par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice du Conseil de l’Europe, mais je tiens à souligner le volontarisme budgétaire du Gouvernement dans un contexte de redressement des finances publiques. Cela marque de façon évidente une volonté non feinte de placer la justice au rang des priorités gouvernementales.
Cet effort financier notable vous permettra, madame la garde des sceaux, de mettre en œuvre un engagement présidentiel important, inscrit dans le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice, à savoir faire progresser de 24 % les crédits du ministère et créer 1 200 emplois d’ici à la fin du quinquennat.
Ce budget vous permettra de mener à bien les quatre chantiers prioritaires que vous vous êtes fixés : l’amélioration de la justice du quotidien ; le renforcement du sens et de l’efficacité des peines ; la diversification des modes de prise en charge des mineurs délinquants ; le renforcement de l’accès au droit et de l’aide aux victimes.
Ces moyens permettront, entre autres choses, la mise en œuvre du plan pénitentiaire que vous aviez présenté en septembre dernier et qui prévoit une évolution du parc pénitentiaire de notre pays, le renforcement de la sécurité des établissements pénitentiaires et la réinsertion des détenus. Ces mesures permettront d’améliorer les conditions de détention de ces derniers et les conditions de travail des personnels pénitentiaires. Comme le disait Albert Camus, une société se juge à l’état de ses prisons.
Je profite d’ailleurs du temps qui m’est imparti pour attirer votre attention sur la situation des établissements pénitentiaires dans les outre-mer.
En dépit d’améliorations récentes et en cours et de la création de nouvelles infrastructures, comme à Saint-Laurent-du-Maroni, l’état des prisons reste globalement déplorable dans ces territoires éloignés et présente des spécificités qui sont insuffisamment prises en compte, notamment s’agissant de la réinsertion des détenus. J’aurai l’occasion de revenir sur cette question lors de l’examen des crédits de la mission « Outre-mer », puisque j’ai souhaité en faire le fil directeur de mon avis.
Madame la garde des sceaux, avec ce budget, vous ambitionnez également d’améliorer la justice au quotidien. Cette amélioration s’appuiera notamment sur une programmation immobilière ambitieuse pour accompagner la réorganisation des juridictions prévue par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, dont l’examen s’achève à l’Assemblée nationale.
Là encore, même si je vous sais attentive à ces questions, je souhaite insister sur la situation des 73 juridictions qui rendent la justice en outre-mer, notamment sur celle de la chambre détachée de la cour d’appel de Saint-Denis à Mayotte. N’y a-t-il pas là une occasion de repenser l’organisation judiciaire au sein de ce département en difficulté et de le doter d’une cour d’appel de plein exercice ? Outre la reconnaissance supplémentaire de l’ancrage de Mayotte dans le droit commun des départements que cela induirait, il s’agit de permettre aux Mahorais d’accéder au service public de la justice comme tous les citoyens français.
Enfin, l’amélioration de la justice au quotidien passe par la transformation numérique de l’institution judiciaire – un sujet qui vous tient à cœur, madame la ministre –, qui profitera aux justiciables. Je pense par exemple à la consultation en ligne de l’état d’avancement de leur procédure sur le portail du Service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ. Cette transformation profitera également aux professionnels du droit, avec le développement du passage à la fibre optique ou le déploiement d’ordinateurs portables et de smartphones. À cet égard, l’importance des ressources dégagées en faveur du plan de transformation numérique – 97 millions d’euros et 80 emplois créés – mérite évidemment d’être soulignée.
En conclusion, ce projet de budget de la justice pour 2019 est en adéquation avec les enjeux des réformes que vous souhaitez mener. Le groupe La République En Marche a déposé des amendements d’appel relatifs à l’aide juridictionnelle afin de faire avancer ce dossier sensible. Vous l’aurez compris, notre groupe votera en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Justice ».
Je restitue une minute et quarante et une secondes de temps de parole, monsieur le président ! (Sourires.)
M. le président. Si tout le monde, y compris le Gouvernement, consent le même effort, nous pourrons peut-être achever l’examen des crédits de cette mission avant la suspension du déjeuner.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un peu plus d’un mois après l’examen de la réforme de la justice, nous sommes aujourd’hui appelés à nous prononcer sur les crédits de la justice inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019.
Sur les chiffres, je serai brève : la progression globale des crédits de 4,5 %, à 7,29 milliards d’euros, va à l’évidence dans le bon sens, bien qu’elle demeure insuffisante, eu égard au retard qu’a accumulé notre pays, pour assurer le redressement du service public de la justice.
Les augmentations décidées année après année portent sur un budget historiquement si faible que le retard structurel n’est en effet jamais rattrapé, comme l’a d’ailleurs signalé la Commission européenne pour l’efficacité de la justice dans son rapport du 4 octobre 2018.
Rappelons que la France dépense moins de 66 euros par an et par habitant pour son système judiciaire, contre 122 euros pour l’Allemagne et 107 euros pour l’Autriche. Le nombre de juges et de procureurs français apparaît dérisoire, notre pays en comptant deux fois moins que la moyenne européenne.
Or la progression des crédits proposée ne permettra pas de renforcer les services judiciaires français, plus de la moitié du budget revenant, comme chaque année, au programme « Administration pénitentiaire ».
Au-delà des chiffres, nous nous interrogeons bien évidemment sur les orientations politiques que viendront servir ces crédits.
Ainsi, nous constatons – sur ce point, le projet de loi de programmation et de réforme pour la justice nous avait déjà alertés – le maintien du projet de construction de places de prison, que la droite sénatoriale juge trop modeste, et nous au contraire bien trop important.
Quand allons-nous donc enfin avancer sur le sujet de la politique carcérale à mener dans notre pays, en confrontant décroissance carcérale et baisse de la délinquance et de la récidive, comme l’ont fait avec succès nos voisins d’Europe du Nord ? C’est là une question de pragmatisme. Le blocage serait-il idéologique ?
Les économies réalisées ne se combinent pas avec une réflexion sur notre société et le sens de la peine. Elles se font sur le dos des justiciables : que les plus fortunés se défendent en payant un avocat ; quant aux autres, qu’ils commencent par prouver qu’ils ont besoin de l’aide juridictionnelle en recourant un avocat, comme le propose la majorité sénatoriale, puis qu’ils se déplacent jusqu’à un lieu de justice encore ouvert, sachant que les tribunaux d’instance sont en passe d’être rayés de la carte judiciaire.
Au moment où l’on encourage la libération de la parole des victimes et où l’on insiste sur la nécessité que justice soit faite, peut-être faudrait-il s’assurer des conditions de sa bonne mise en œuvre… Or la dématérialisation échevelée des procédures, leur déjudiciarisation, le recul de la proximité et l’accès rendu plus difficile des justiciables aux lieux de justice sont à nos yeux autant d’atteintes à la mission de service public de la justice.
Quant au programme « Protection judiciaire de la jeunesse », sur lequel je souhaite insister, il demeure toujours aussi insuffisamment doté.
Sur le fond, je dois vous exprimer, madame la garde des sceaux, la surprise et l’inquiétude que vous avez suscitées dans nos rangs lorsque vous avez annoncé, à l’Assemblée nationale, la réforme de la justice pénale des mineurs par voie d’ordonnances, en demandant l’habilitation par un amendement au projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Comment pouvez-vous employer une telle méthode ? Pour nous, c’est inacceptable.
La justice des mineurs doit bien sûr être réformée, mais veillons à ce que les grands principes posés par l’ordonnance du 2 février 1945 soient préservés, en matière tant d’atténuation de la responsabilité en fonction de l’âge que de recherche de réponses éducatives et de recours à des juridictions spécialisées.
Or la philosophie de ce projet de budget nous inquiète au plus haut point : pour l’essentiel, les nouveaux crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » sont absorbés par la construction de vingt nouveaux centres éducatifs fermés, alors même que le constat d’échec des cinquante-deux structures déjà existantes est établi, comme l’a récemment signifié une mission d’information sénatoriale sur la réinsertion des mineurs enfermés. Le caractère exceptionnel de l’enfermement des mineurs est pourtant déjà prévu par l’ordonnance de 1945.
S’agissant de mineurs, la justice doit aller de pair avec l’éducation. L’enfermement devrait être relégué aux oubliettes de l’histoire. Nous connaissons déjà ses effets délétères sur les adultes, pourquoi persister à se fourvoyer en enfermant des mineurs ?
Vous l’aurez compris, la progression des crédits de cette mission, qui fait de la Chancellerie un ministère prioritaire pour Bercy, ne saurait nous convaincre. Elle est trop faible pour permettre de rattraper le retard accumulé. Surtout, la ventilation des crédits augmentés est au service d’un projet de société et d’une vision de la justice qui ne sont pas les nôtres. Le cap d’une politique carcérale renforcée est maintenu, celui d’un éloignement et d’un affaiblissement du pouvoir judiciaire aussi. C’est pourquoi le groupe CRCE votera contre ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame le garde des sceaux, votre budget augmente de 4,5 % ; nous nous devons de le noter. Le budget de la justice progresse d’ailleurs depuis quinze ans, mais cela n’a pas toujours été à ce rythme. À cet égard, l’effort consenti par Jean-Jacques Urvoas pour l’augmenter significativement, durant l’année qu’il avait passée à la Chancellerie, doit être souligné.
Comme cela a déjà été dit, l’augmentation proposée cette année est insuffisante, au regard de l’effort qu’il faut absolument fournir. À cet égard, le Sénat a voté une trajectoire budgétaire plus ambitieuse, avec une hausse des crédits de la justice de 33,8 % sur la période 2018-2022, contre 23,5 % seulement dans celle dessinée par le Gouvernement.
Chacun sait que la France compte quatre fois moins de procureurs, trois fois moins de juges et deux fois moins de greffiers que la moyenne des pays européens. Ce n’est pas votre faute, madame la ministre : ce retard est dû à tous les gouvernements qui se sont succédé. On n’a jamais pris la mesure de l’effort à accomplir, que la commission des lois du Sénat a mis en exergue dans son rapport et sa programmation.
Les crédits de la juridiction judiciaire sont ceux qui augmentent le moins, à hauteur de 0,87 % seulement. Sur les 6 500 nouveaux emplois annoncés pour les cinq prochaines années, il n’y en aura que 400 de magistrat et 183 de greffier. Or nous constatons dans toutes les juridictions de France un manque de greffiers très important, qui rend également très difficile le travail des magistrats.
Concernant l’administration pénitentiaire, dans ce domaine aussi, madame la ministre, l’héritage est très lourd. Vous héritez, en particulier, des partenariats public-privé décidés avant votre arrivée, dont les effets néfastes sont désormais reconnus.
Il est clair que seules 7 000 places de prison seront construites sur les 15 000 annoncées, mais ce qui m’inquiète le plus, c’est l’absence de moyens pour réhabiliter les prisons existantes. (M. Jacques Mézard approuve.) Il est en effet indiqué, dans le rapport pour avis de la commission des lois, que, « en raison de la surpopulation carcérale, les détenus souffrent d’une grande promiscuité, de conditions d’hygiène déplorables et de difficultés d’accès aux soins ainsi qu’au travail ou à la formation, ce qui exacerbe les violences, nuit à la réinsertion des personnes condamnées et explique, au moins en partie, le manque d’attractivité de la profession de surveillant pénitentiaire ». Vous connaissez, madame la ministre, le drame que constitue la cohabitation, dans une cellule de 11 ou 12 mètres carrés, de trois personnes, dont un prévenu et deux condamnés, par exemple. De telles conditions de détention sont vraiment impossibles.
C’est pourquoi nous regrettons également que davantage de moyens ne soient pas consacrés aux alternatives à la détention. Il est évident qu’il faut multiplier les peines de travail d’intérêt général, les placements sous bracelets électroniques, les libérations sous probation, etc. Il faut aussi qu’il y ait moins de prévenus emprisonnés, et pour des durées moins longues.
Vous comprendrez, madame la ministre, que, pour ces raisons, le groupe socialiste et républicain ne pourra pas voter les crédits de la mission « Justice ».
M. le président. La parole est à Mme Sophie Joissains.
Mme Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, depuis 2002, la mission « Justice » est devenue mission prioritaire du budget général de l’État.
Dans le présent projet de loi de finances, un effort important, correspondant aux souhaits du Sénat, a été fait pour les crédits de la mission « Justice », à l’exception toutefois de ceux du programme « Administration pénitentiaire ». J’y reviendrai.
La moyenne d’augmentation générale des autres programmes est satisfaisante. Seul le programme « Justice judiciaire » connaît une progression très inférieure. Du point de vue des financements accordés au fonctionnement des juridictions judiciaires, la France occupe en Europe un rang très médiocre : la dépense par habitant s’élève à 65,90 euros par an, contre 122 euros en Allemagne, 119,20 euros aux Pays-Bas ou 75 euros en Italie. Notre rapporteur pour avis Yves Détraigne craint fort que, compte tenu de l’inflation, l’augmentation budgétaire de ce programme ne soit finalement que résiduelle… Il recouvre pourtant l’ensemble des dépenses des juridictions judiciaires, le budget de l’École nationale des greffes – les greffiers sont les grands oubliés de la réforme –, la subvention versée à l’École nationale de la magistrature et le personnel affecté au sein du réseau judiciaire de proximité…
La proximité est, elle aussi, passée en grande partie par pertes et profits. Certaines des juridictions transformées en chambres seront inévitablement fermées à l’avenir, madame la garde des sceaux, et ce sont encore les habitants des territoires ruraux qui en feront les frais.
La question des moyens et de leur affectation est essentielle pour offrir à nos concitoyens une justice de qualité, une justice accessible offrant protection et garanties d’impartialité. Elle ne saurait en aucun cas trouver une solution dans de simples réorganisations, qui se révéleront à terme mortifères : suppression de tribunaux d’instance, déjudiciarisation ou encore dématérialisation débridée des procédures.
Comme les rapporteurs de la commission des lois, je constate que la trajectoire budgétaire retenue par le Gouvernement dans le projet de loi de programmation 2018-2022 est bien moins ambitieuse que celle proposée par le Sénat. Sera-t-elle suffisante pour redresser le service public de la justice ? Non, sauf à réduire drastiquement son rôle auprès des citoyens. Cela semble être le chemin pris : déjudiciarisations coûteuses pour le contribuable, règlements amiables en ligne non sécurisés des litiges, disparition progressive des audiences de conciliation, disparition programmée des jurés, et ne parlons même plus du juge de paix, passé aux oubliettes… La liste est longue !
Je constate également que certaines ambitions du Gouvernement, reprenant les engagements de la campagne présidentielle, sont au mieux revues à la baisse, au pire abandonnées.
Je veux bien sûr parler ici de notre politique pénitentiaire. Nous avons voté dès 2009 le principe de l’encellulement individuel. Près de dix ans plus tard, l’échec est patent. Les détenus sont parfois quatre par cellule, sans que l’administration ait même toujours la possibilité de les grouper par catégorie de faits commis. La douche des détenus entassés est loin d’être quotidienne, et je n’évoque pas les soins psychiatriques… Inutile de souligner combien la réinsertion devient hasardeuse dans ces conditions !
La situation des bâtiments est elle aussi profondément préoccupante. De nombreux établissements sont à la limite de l’insalubrité et leur sûreté n’est pas toujours garantie.
Il avait été annoncé 15 000 places de prison supplémentaires en cinq ans ; le Gouvernement avance aujourd’hui l’objectif de 7 000 places livrées à l’horizon 2022. C’est insuffisant, et l’on peut se demander si cet objectif pourra même être tenu.
Le personnel des prisons françaises souffre de sous-équipement, de sous-effectif chronique et d’agressions quotidiennes, au moins verbales. Quelles mesures d’accompagnement et de protection ont été prévues à leur endroit ?
Sur ce programme, la commission des lois a émis un avis défavorable.
J’évoquerai maintenant l’aide juridictionnelle, un sujet qui me tient à cœur et sur lequel Jacques Mézard et moi-même avons été corapporteurs d’une mission d’information en 2014.
Les moyens mobilisés devraient augmenter de 7 %, pour atteindre 507 millions d’euros. C’est une excellente chose, mais, au regard des contraintes pesant sur le budget de l’État, il sera vraisemblablement nécessaire de conforter ces financements. Nous avons cosigné deux amendements en ce sens, dont l’un vise à instaurer une contribution sur la protection juridique des contrats d’assurance, une mesure que nous préconisions déjà dans notre rapport d’information adopté à l’unanimité de la commission des lois en 2014. Il faudra envisager une véritable réforme de l’aide juridictionnelle, madame la ministre.
Au-delà de ces aspects budgétaires, il est impossible de ne pas dire quelques mots sur la réforme de la justice, que j’évoquais à l’instant.
Pour la discussion de cette réforme, essentielle pour notre République et les droits de nos concitoyens, il a été recouru à la procédure accélérée, alors que les propositions des deux chambres auraient dû faire l’objet d’un examen minutieux et approfondi. La forme est bien souvent le reflet du fond… L’objectif de l’Assemblée nationale, ou plutôt des députés de la majorité, a été de revenir purement et simplement au projet du Gouvernement, en faisant fi des propositions du Sénat.
Il est pratique de bénéficier d’une majorité large et facile de se passer du concours de la deuxième chambre ; c’est aussi éminemment dangereux. Contre-pouvoirs et corps intermédiaires sont à la base de nos principes démocratiques. Ce texte est une catastrophe. On ne peut ignorer l’indignation unanime des professionnels du droit. Avocats et magistrats se sont mobilisés jeudi dernier pour une journée « justice morte ». Sinistre présage…
Syndicats, bâtonniers et avocats continuent d’être très actifs auprès de nous et, à titre personnel, je partage sans réserve leur profonde inquiétude. Il vous faut écouter, il vous faut entendre, madame la ministre !
Le groupe Union Centriste votera évidemment l’augmentation des crédits de la mission « Justice », avec l’ensemble des réserves que je viens d’exprimer. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)