Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’État. Cet amendement vise à encourager l’acceptation de la carte bancaire par les commerçants dans les zones rurales où il n’y a pas de distributeur automatique de billets.
Avant tout, je tiens à rappeler que, sur l’initiative des pouvoirs publics et des autorités européennes, le montant des commissions à la charge des commerçants a été substantiellement réduit au cours des dernières années. La commission dite « interchange » est désormais plafonnée par le règlement européen relatif aux commissions d’interchange pour les paiements par carte.
De plus, le minimum de perception, prélèvement forfaitaire quel que soit le montant de l’opération, a été divisé par deux : entre 2016 et 2017, il a été réduit de 10 centimes à 5 centimes, sous l’égide du Comité national des paiements scripturaux, afin de faciliter l’acceptation des paiements par carte à partir d’une somme très faible.
Les dispositions proposées risqueraient d’avoir des effets pervers : en définitive, elles iraient à l’encontre du but visé et pourraient rendre plus aigu le problème de desserte de ces territoires en modes de paiement adéquats. En effet, si l’on supprime les commissions versées aux banques dans le cadre des transactions par carte chez les commerçants, les banques risquent de renoncer à offrir ce service dans les zones ciblées. Le service rendu repose sur une infrastructure dont le coût justifie une rémunération du prestataire.
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido, pour explication de vote.
M. Bruno Sido. Ces dispositions sont tout simplement inapplicables, ce n’est donc pas la peine d’en parler.
Plus généralement – il s’agit là d’une explication de vote sur l’ensemble de la proposition de loi –, on sait bien que, depuis longtemps, tous les gouvernements, quels qu’ils soient, tentent de supprimer l’argent liquide. Raymond Barre, déjà, voulait supprimer le billet de 500 francs. Et je rappelle que, sous l’effet de diverses pressions, bon nombre de commerçants refusent les billets de 100, 200 et 500 euros, alors même qu’ils ont cours légal !
On comprend pourquoi, et l’on peut être tenté de tout payer par carte : on peut même payer de cette manière, jusqu’à 30 euros, sans composer le code secret. Mais, derrière tout cela, à travers l’intelligence artificielle, c’est Big Brother qui se profile. Les organismes assurant la gestion des cartes bancaires savent qui paie quoi, à quelle heure et comment. Le jour venu, nos concitoyens refuseront que Big Brother se saisisse de leur vie privée. Ils réclameront à cor et à cri que l’on remette le liquide en circulation.
Bien entendu, il faut préserver les distributeurs automatiques de billets. C’est pourquoi j’approuve tout à fait cette proposition de loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 13.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 3
I. – Les conséquences financières résultant pour les collectivités territoriales de l’article 1er sont compensées, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
II. – Les conséquences financières résultant pour l’État de l’article 1er et du I du présent article sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans le texte de la commission, modifié.
(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe La République En Marche, du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Bravo !
4
La ruralité, une chance pour la France
Débat organisé à la demande du groupe du RDSE
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur le thème : « La ruralité, une chance pour la France ».
Dans le débat, la parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe auteur de la demande.
M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous venons d’achever l’examen d’un texte à la fois pragmatique, en ce qu’il répond à un manque, et novateur, en ce qu’il propose un mécanisme inédit.
À travers cette initiative transparaît notre ambition d’une meilleure cohésion des territoires. À cette fin, notre proposition de loi s’efforce d’apporter une réponse opérationnelle à une difficulté réelle rencontrée non seulement dans certains territoires ruraux, mais aussi dans certains quartiers de la politique de la ville : le manque de distributeurs automatiques de billets, les DAB.
Je ne vais pas rouvrir les débats consacrés à ce texte. Je relève simplement l’importance pour nous, législateurs, de répondre à ces attentes du quotidien.
Le débat que nous avons choisi d’inscrire dans notre espace réservé a pu, par le passé, être abordé dans cet hémicycle. De plus, le Sénat, par son ADN, porte une attention particulière aux thématiques relevant de nos territoires, et notamment de nos zones rurales.
D’autres le diront après moi : il n’existe évidemment pas un archétype de la ruralité. Les territoires ruraux sont divers et s’inscrivent dans des dynamiques singulières.
Notre débat vise également à sortir des caricatures et des postures. Oui, les gouvernements successifs ont mené des réformes. À cet égard, je salue le retour sur nos travées de Jacques Mézard. Nous connaissons tous la vigueur avec laquelle il a défendu, dans ses fonctions ministérielles, le développement de tous les territoires.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Claude Requier. Je pense non seulement aux villes moyennes, autour du plan national « Action cœur de ville », mais aussi aux zones rurales.
Ces territoires, nous les connaissons, nous en venons, nous y retournons chaque semaine. Et je vois d’ailleurs que les orateurs qui me succéderont sont tous d’excellents connaisseurs des ruralités !
Monsieur le ministre, vous-même disposez d’une expertise certaine en la matière, puisque vous êtes ancien élu rural et chasseur. (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Formidable !
M. Jean-Paul Émorine. Mais est-ce vraiment une qualité ? (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Plus que des espaces ruraux, je veux d’abord parler des gens qui y vivent, qui y sont nés et qui veulent y rester, ou qui s’y installent pour la qualité de vie, malgré les difficultés auxquelles ils se heurtent. Par ce débat, nous entendons aussi nous faire les porte-parole de l’exaspération de ces habitants.
Mes chers collègues, vous m’avez souvent entendu tonner à cette tribune contre la limitation de la vitesse à quatre-vingts kilomètres par heure sur les routes nationales. Je note que cette mesure, dont je doute toujours de l’efficacité, contribue à allonger les trajets quotidiens de millions de personnes. Elle a aussi été perçue comme une incompréhension des réalités vécues.
En effet, pour beaucoup de Français, il n’existe pas, en tout cas pas encore, de moyen de se passer de la voiture individuelle. Cela explique sans aucun doute l’accès de fièvre qui touche actuellement notre pays, lequel voit nombre de nos compatriotes revêtir un gilet jaune.
Monsieur le ministre, la question des mobilités est une dimension majeure de l’aménagement du territoire. Un projet de loi d’orientation, très attendu, devrait être prochainement inscrit à l’ordre du jour du conseil des ministres. Pouvez-vous nous éclairer quant aux dispositions qui s’appliqueront plus spécifiquement aux espaces ruraux ?
Parmi les autres motifs de préoccupation, j’évoquerai tout d’abord l’accès à des soins de proximité et de qualité. En la matière, plusieurs actions ont été engagées ces dernières années, comme la promotion de la création des maisons pluridisciplinaires ou le renforcement des mécanismes incitatifs à l’installation de médecins dans des zones sous-dotées.
Nous avons évidemment porté une grande attention aux mesures du plan « Ma Santé 2022 », présenté en septembre dernier par le Président de la République. Ce plan ambitionne de réviser en profondeur l’organisation territoriale, pour la médecine de ville comme pour le maillage hospitalier. Sans entrer dans les détails, il s’agit de créer un collectif de soins de proximité à l’horizon de 2022.
Certaines de ces dispositions ont déjà pris place dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous avons adopté hier. D’autres constitueront l’architecture du projet de loi Santé, annoncé pour 2019. Même si ces thématiques ne relèvent pas directement de vos attributions, pouvez-vous nous en dire davantage à propos de son impact sur la carte des hôpitaux de proximité ?
L’accès aux services publics est une autre problématique récurrente. En la matière, les maisons de services au public, les fameuses MSAP, ont pu constituer une réponse intéressante en permettant de maintenir, via des formes nouvelles, la présence de services au plus près de nos concitoyens. Comment entendez-vous poursuivre l’effort dans cette direction ?
Je tiens également à dire un mot de l’administration territoriale de l’État. Ces dernières années, nous avons été témoins de vagues de réorganisation qui ont entraîné la fermeture d’implantations. Je pense notamment aux trésoreries et aux gendarmeries. À la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et à la modernisation de l’action publique, la MAP, succède aujourd’hui le plan Action publique 2022, qui suscite certaines inquiétudes. Le Gouvernement doit les entendre, surtout quand un même territoire est touché par des fermetures en cascade sans que les différents services de l’État semblent se concerter.
À ce stade, je souhaite également m’attarder sur la dimension numérique de l’aménagement.
Nous le savons, l’accès à l’internet à très haut débit et la couverture mobile partout en France constituent un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens. Alors que le numérique est présent chaque jour dans nos vies, l’accès à une connexion internet de qualité est devenu aussi important que l’accès à l’eau ou à l’électricité.
Au regard des constantes innovations, nous sommes à l’aube de bouleversements plus grands encore, qui seront permis par ces technologies. Assurer leur développement partout et pour tous relève donc de l’égalité républicaine.
Dans les espaces ruraux, le numérique peut constituer une formidable chance de dépasser certaines contraintes géographiques, à condition, bien sûr, que l’on dispose d’une couverture de qualité. C’est un défi considérable qui nous est collectivement posé, et pour lequel l’État, en partenariat avec les opérateurs de télécommunications et les collectivités territoriales, a décidé d’engager des moyens sans précédent, notamment dans le cadre du plan France très haut débit.
Ce plan connaît ainsi une montée en puissance régulière, même si nos concitoyens trouvent que le mouvement ne va pas assez vite. Entendons leur impatience.
Dans les zones peu denses, l’outil majeur est constitué par la mise en place de réseaux d’initiative publique, les RIP, qui bénéficient d’une enveloppe de subventions de l’État de 3,3 milliards d’euros. Les RIP se déploient dans les départements. Mais, ces derniers mois, s’est posée la question d’un nouvel abondement de l’État et de la réouverture du guichet de subventions. Une quarantaine de départements sont concernés. Pouvez-vous nous donner des informations quant à la réouverture du guichet France très haut débit ?
Pour ce qui concerne, plus spécifiquement, la couverture mobile, pouvez-vous nous dresser un rapport d’étape, quant à la mise en œuvre de l’accord historique de janvier dernier et quant à l’atteinte de l’objectif de généralisation d’une couverture mobile de qualité dès 2020 ?
Les enjeux dont il s’agit sont prégnants, ce qui commande de les inclure dans notre politique d’aménagement. C’est la raison pour laquelle nous avons milité, au début de ce mois de novembre, pour que l’Agence du numérique rejoigne la future agence nationale de la cohésion des territoires, dans le cadre de la proposition de loi que notre assemblée a adoptée. Pouvez-vous nous confirmer l’inscription de ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ?
Vous le savez : nous avons voulu cette agence nationale pour épauler les collectivités territoriales ne disposant pas d’importantes ressources en ingénierie. Celles-ci sont souvent situées dans des zones rurales. Outil au service des territoires, cette agence doit contribuer à ce que l’on sorte d’une logique descendante et à ce que l’on reconnaisse enfin aux élus leur rôle de moteur du développement rural.
Je pourrais poursuivre mon propos en évoquant la nécessaire revitalisation des centres-bourgs, les thématiques de l’habitat ou le soutien à la vie culturelle. Mais, ayant évoqué les difficultés auxquelles font face les territoires ruraux, je ne voudrais pas alimenter le cliché d’une ruralité malheureuse. (M. le ministre acquiesce.)
Si nous avons fait le choix d’inscrire ce débat à l’ordre du jour de cette séance, c’est aussi pour mettre en avant les potentialités de ces territoires, et pour cause : il y a de la vie dans nos campagnes, il y a de l’espoir, il y a des initiatives qui fleurissent, et qui sont menées par des citoyens, des entrepreneurs ou des élus.
Qu’attendent ces forces vives de l’État ? Notre débat d’aujourd’hui ne suffira pas à épuiser la question. Mais, en conclusion, si je devais le résumer en une phrase, je dirais qu’il s’agit de rassurer les ruraux, qui, loin d’être une charge, sont une chance pour la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Mme Michèle Vullien applaudit.)
Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, chers collègues, permettez-moi tout d’abord de reprendre quelques chiffres clefs publiés par l’Association des maires ruraux de France : 21,4 millions de personnes résident aujourd’hui dans une commune rurale, à savoir un Français sur trois ; 85 % de ces habitants sont des actifs potentiellement créateurs d’une activité économique ; notre territoire compte 32 212 communes rurales, et plus de 80 % d’entre elles sont en croissance démographique.
Contrairement aux idées reçues, la ruralité n’est pas nécessairement liée au monde agricole. Elle vit aussi grâce à des PME ou à de grands groupes.
Les territoires ruraux sont une richesse en termes d’espace, de qualité de vie, de développement économique et de vie sociale.
Le monde rural joue un rôle essentiel. Il présente un important potentiel de bâti à restaurer : nous pourrions y accueillir des locataires sans dévorer des terres agricoles et, ainsi, redynamiser les cœurs de village. Nous devons préserver le foncier agricole, même si l’agriculture n’est plus la composante unique de la ruralité.
Avec l’accès à internet, les territoires deviendront attractifs. C’est une condition essentielle à la vie des communes.
Pour le développement économique, la santé, l’école et la formation, le quotidien des habitants qui vivent en milieu rural, il est important de maintenir une véritable offre de services publics. Nous devons, ensemble, réaménager le service au public et en rendre l’accès facile à la population vieillissante.
Les communes ont bien souvent investi pour réaménager des classes, construire des groupements pédagogiques et des cantines. Ces écoles sont des lieux de qualité. L’enfance y est belle.
Il faut favoriser la desserte des villages afin que chacun puisse circuler correctement : les bus scolaires et les magasins ambulants sont autant de liens indispensables pour la population. Une bonne circulation routière, voire ferroviaire, avec la réouverture de petites lignes, favoriserait le développement économique.
Peut-on donc encore légitimement parler d’une opposition entre urbain et rural ? Non, il faut apprendre dorénavant à échanger : l’équité s’impose, c’est la seule voie possible.
Nous devons, enfin, voir la ruralité comme une chance pour notre pays, car elle est plus que vivante. Osons même dire qu’elle se mérite !
En septembre dernier, lors d’un congrès national des maires ruraux, j’ai perçu une profonde inquiétude chez les élus. Certains d’entre eux se posent beaucoup de questions sur l’avenir et se sentent délaissés au profit des grandes agglomérations.
Pourtant, malgré la diminution des compétences des maires, le monde rural avance et se développe. Les projets sont là, mais les dossiers pour obtenir des financements sont plus difficiles à monter. Ce qui relevait du bon sens hier devient un parcours du combattant aujourd’hui, et l’on finit souvent par s’entendre dire au bout du troisième dossier : « Ce n’est pas éligible ! »
M. Bruno Sido. Eh oui !
Mme Évelyne Perrot. Tel est le quotidien des maires ruraux ! Beaucoup se lassent, abandonnent, jettent l’éponge aux élections suivantes, mais une très large majorité poursuit sa mission. C’est une force collective inépuisable qui nous dit : « Appuyez-vous sur nous, pour faire sortir le pays de ses impasses, aidez-nous à nous occuper de nos populations, rendez-nous du pouvoir d’agir, donnez-nous un véritable statut d’élu qui accompagne l’engagement de ces centaines de milliers de bénévoles. » Quoi de plus beau, socialement, que la gestion d’une commune rurale ?
Ne regardons plus la ruralité comme un ensemble de lieux retardés alors qu’elle bouillonne d’idées de bon sens, celles que les ruraux ont toujours eues : il fallait survivre, se serrer les coudes, la terre n’était pas facile.
Aujourd’hui, le monde rural peut apporter beaucoup, à condition qu’il ne se sente pas délaissé ni injustement oublié. Il adresse ainsi un appel formidable aux investisseurs privés pour que ceux-ci s’emparent de son potentiel d’emplois, créent des débouchés aux nouvelles technologies et le regardent comme une aire de déploiement de leurs solutions industrielles et de leurs services. (M. Bruno Sido applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d’abord remercier le groupe du RDSE d’avoir proposé ce débat sur la ruralité. Ce sujet est fondamental actuellement, en particulier pour certains territoires en grande difficulté qu’il faut aider à relever de multiples défis.
L’une des raisons des problèmes qu’ils rencontrent se trouve dans la définition même du « rural », qui doit être plus précise, afin que l’on puisse mettre en place des actions spécifiques, efficaces, propres à chacun des territoires. Le périurbain n’est pas la campagne profonde.
Il faut distinguer deux ruralités : la ruralité périurbaine et l’hyper-ruralité.
La première est proche des villes et des centres d’emploi, elle est dynamique, elle attire notamment les jeunes couples et les retraités qui cherchent une qualité de vie entre ville et campagne, tout en maintenant la proximité des services publics, des activités culturelles et sportives. Dans ces zones, les maisons se vendent, les hameaux sont peuplés, le foncier se porte bien.
Le développement de cette ruralité périurbaine est souhaité par les habitants pour la qualité de vie qu’ils y trouvent. C’est un atout fort de ces territoires, qu’il convient de soutenir davantage au travers de la mise en œuvre de politiques publiques adaptées au niveau des communautés de communes et d’agglomération : aides au désenclavement, à la création d’emplois, programmes de voirie, développement des infrastructures et du numérique, préservation des services publics.
Ces communes périurbaines doivent avoir les moyens de saisir toutes les opportunités liées aux nouvelles façons de vivre des Français, qui cherchent des lieux de vie plus spacieux où s’épanouir. Notre agriculture en bénéficiera également, avec le développement des circuits courts en zone périurbaine ou en ville.
Ces territoires périurbains doivent devenir un lien entre l’hyper-ruralité et les centres urbains.
La seconde ruralité, celle qui me tient à cœur, c’est l’hyper-ruralité, qui concerne 5 % de la population sur 30 % du territoire. Elle se situe plus loin des centres urbains, des bassins d’emploi ou des zones d’activité et reste marquée par l’évolution vers la désertification des territoires, avec une diminution constante de la population, comme dans les zones d’élevage, lesquelles ont connu un exode de leurs agriculteurs, dont le nombre a été divisé par quatre en vingt ans.
C’est un cercle vicieux dont seules des solutions apportées par la puissance publique peuvent permettre de sortir. En effet, un accompagnement fort et volontariste de ces territoires ruraux abandonnés est indispensable pour soutenir les politiques publiques locales comme les initiatives privées et attirer une nouvelle population. Cela est possible si la volonté existe ; malheureusement, depuis plusieurs années, tel n’est pas le cas.
Certains sujets concernent toutes les ruralités : la nécessité d’assurer une couverture en haut débit, les maisons de services au public, le soutien aux agriculteurs, le maintien de blocs de soins, la préservation des dotations pour les petites communes – elles sont deux fois plus faibles par habitant que dans les villes –, la lutte contre la désertification bancaire et pour la présence de distributeurs automatiques de billets, les DAB – c’est très important, ainsi que nous venons de le dire.
Plus spécifiquement, pour faire de cette hyper-ruralité une chance pour la France, d’autres actions doivent être menées. Il faut ainsi identifier dans chaque département les zones d’hyper-ruralité, qui pourraient être définies en fonction de leur niveau d’enclavement, de leur densité de population, de leur distance par rapport aux axes autoroutiers et ferroviaires ou encore de l’éloignement des bassins d’emploi.
Il faudrait également mettre en place un guichet unique sous l’autorité directe du préfet, qui centraliserait les dossiers de créateurs d’entreprises et d’initiatives publiques et les accompagnerait tout au long du processus de création, en bonne coordination avec les acteurs concernés du territoire : région, conseil départemental, agglomérations, communes et chambres consulaires. L’agence nationale de la cohésion des territoires, portée par Jean-Claude Requier, jouera-t-elle ce rôle ?
Des avantages fiscaux et sociaux additionnels permettraient de compenser les inconvénients découlant de l’enclavement : des zones franches – elles n’ont jamais existé – ou des zones de revitalisation rurale, ZRR, offrant l’exonération des charges et apportant des avantages substantiels pour l’installation d’entreprises, de PME, de TPE, de commerces ainsi que pour la rénovation d’équipements touristiques. J’ai notamment à l’esprit des subventions à hauteur de 60 % pour les entreprises ou les collectivités qui réalisent des opérations immobilières destinées aux professionnels et la mise en place de zones artisanales pour un prix de revente très attractif pour les porteurs de projets. C’est indispensable si nous voulons maintenir la vie et les services publics dans ces territoires.
J’ajoute que l’augmentation des prix du gasoil et du fioul est très pénalisante pour ces territoires. S’agissant du chauffage, par exemple, 1 000 litres de fioul, aujourd’hui, coûtent 250 euros de plus qu’en 2017. Les voitures sont, elles, indispensables, car les gens travaillent parfois à trente kilomètres de leur domicile. C’est ainsi, pour maintenir le monde rural, il faut que les gens puissent aller travailler en voiture !
Or nous devons nous mettre en tête qu’il n’est pas possible, financièrement, de changer les chaudières ou les voitures, même avec des aides, parce que, souvent, les retraites tournent autour de 1 000 euros et les salariés sont payés au SMIC. Les entreprises aussi, notamment dans le transport, sont actuellement dans le rouge.
Depuis trop longtemps, l’État ne considère pas l’hyper-ruralité comme une chance pour la France, mais plutôt comme des territoires sans avenir, des zones ignorées, en désertification.
Il faut une ambition politique forte, associant l’ensemble des acteurs concernés – État, région, département ou intercommunalités – pour mettre en place une véritable politique d’aménagement des territoires ruraux, y compris de la ruralité profonde, grande oubliée des pouvoirs publics, afin de lui donner une chance légitime de maintenir simplement la vie.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Genest. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jacques Genest. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, « La ruralité : une chance pour la France », voilà un beau sujet pour le grand oral de l’ENA, qui aurait ainsi l’occasion, pour une fois, d’évoquer cette autre France !
Bien entendu, ces territoires, peuplés par des autochtones d’un autre siècle, qui « fument des clopes et roulent au diesel », ont des atouts dans leurs mains ; à condition, toutefois, que l’État ne joue pas au poker menteur. C’est en partant de nos handicaps que nous trouverons les voies de notre développement.
Cette volonté de partir des réalités pour imaginer l’avenir préside aux réflexions du groupe de travail consacré à la ruralité que j’anime avec mes collègues Daniel Laurent et Jean-Marc Boyer au sein du groupe Les Républicains du Sénat, qui s’articulent autour de trois axes incontournables : le développement économique, les services au public et l’organisation territoriale.
Elles s’inscrivent dans la continuité logique du précédent groupe de travail que j’avais eu l’honneur d’animer en 2016 et qui avait conduit à l’adoption de la proposition de loi visant à relancer la construction en milieu rural. Le Gouvernement n’a jamais jugé utile de l’inscrire à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale, mais le Sénat a obtenu des avancées en enrichissant la loi portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, ou ÉLAN, des dispositions qu’il avait votées.
La répétition étant un outil pédagogique favorisant la mémorisation, je vais reprendre devant le Gouvernement – que vous représentez, monsieur le ministre – les propos que je tenais lors de l’examen de notre proposition de loi : « À quoi aspirent nos compatriotes qui vivent dans les bourgs et les villages ? À travailler au pays, à y disposer de services, notamment médicaux, et à habiter dans un logement qui corresponde à leurs besoins, leur culture et, surtout, leur façon de vivre. »
Avons-nous, depuis lors, beaucoup avancé sur ces attentes aussi légitimes qu’essentielles ? Comme beaucoup d’entre nous, j’en doute.
Pour renforcer l’attractivité de nos territoires, qui offrent un cadre et une qualité de vie incomparables, la priorité reste l’emploi et donc le développement économique, qui nécessite un désenclavement routier, ferroviaire et numérique. Les citoyens, les entrepreneurs, les élus ruraux réclament moins de contraintes et de normes, mais davantage de marges de manœuvre pour conduire des initiatives privées adaptées à leurs réalités.
La proposition de loi sénatoriale portant Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs a été un premier pas important, mais il en faudra beaucoup d’autres pour réparer des décennies d’ouvertures d’hypermarchés aux conséquences ravageuses.
La relance du Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce, le FISAC, que propose le Sénat dans le cadre du budget pour 2019, est une excellente chose, à condition de l’utiliser conformément à sa vocation : au profit des artisans et commerces de proximité.
Pour créer ce nouveau souffle, il faut également une démographie plus dynamique, qui est indissociable du développement des services publics, évidemment, mais aussi des services à la personne, notamment dans le domaine médical.
Ce dernier aspect est crucial : qui pourrait souhaiter s’établir avec sa famille dans un désert médical ? Il faudra bien un jour poser sans tabou la question de l’installation des médecins, en renonçant aux solutions qui ont systématiquement échoué !
L’organisation de notre République – décentralisée, paraît-il ! – est un levier important dans le combat pour la ruralité. Adaptons-la aux réalités géographiques, plutôt que l’inverse ! Dans le nouveau jardin à la française des intercommunalités « XXXL », il faut redonner aux communes les capacités d’agir, car elles sont l’échelon de base de la démocratie et font battre le cœur de nos territoires.
Les premiers acteurs de cette vitalité que nous appelons de nos vœux sont les élus locaux. Monsieur le ministre, si, à l’occasion de la réforme des institutions, le nombre de sénateurs qui les représentent baisse jusqu’à devenir anecdotique, les régions rurales et leurs habitants, faute de défenseurs, sombreront définitivement dans l’oubli et dans le déni démocratique.
Pour conclure, je rappelle que, pour tirer la France rurale vers le haut, nous demandons le soutien de l’État et non un discours de compassion porté par ses représentants. En 2015, 21 % de la population habitait dans une commune rurale de moins de 3 500 âmes ; il ne s’agit donc pas d’une frange marginale, mais d’un Français sur cinq.
Les ruraux aiment et défendent les agriculteurs et l’environnement, mais ils veulent pouvoir tirer parti de leurs ressources sans vivre parqués dans des réserves à la population vieillissante et déclinante.
Alors, réveillons nos territoires ! Offrons à nos concitoyens la possibilité d’exprimer le dynamisme dont ils sont capables ! Faisons confiance à leur aptitude à penser leur futur qui, loin de l’image figée du passé, projettera un avenir qu’ils auront eux-mêmes imaginé.
Au nom des ruraux, je termine par un appel. Monsieur le Président de la République, mesdames, messieurs les ministres, cessez de nous ignorer et de nous mépriser, mais écoutez-nous, entendez-nous et tenez compte de la grogne qui monte des champs et des villages. C’est la cohésion et l’union de la France qui sont en jeu ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – M. Jean-Noël Guérini applaudit également.)