M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Depuis 2016, un système de rémunération du secteur hospitalier est généralisé qui dépend du respect de certains critères en matière de qualité et de sécurité des soins dispensés. Le même dispositif prévoit aussi une rémunération en fonction de l’équilibre budgétaire obtenu par les cliniques hospitalières, incitant celles-ci à faire des économies.
Le présent article tend non seulement à élargir ce dispositif aux hôpitaux psychiatriques d’ici à trois ans, mais également à mettre en place, à partir de 2020, un système de pénalités pour les centres hospitaliers ne parvenant pas à respecter ces critères, tant budgétaires que de qualité.
Mes chers collègues, la revendication d’un système de santé plus efficient et plus efficace nous est, à toutes et tous, commune. Mais la méthode punitive du Gouvernement ne saurait être la plus efficace.
Si aujourd’hui certains hôpitaux ne peuvent dispenser des soins de qualité, c’est tout simplement parce qu’ils n’en ont pas les moyens, soit que leurs dotations aient baissé, soit qu’ils aient dû faire des choix de restrictions budgétaires. Ainsi, pénaliser pécuniairement les centres de soins qui ne bénéficient pas des fonds nécessaires à la validation de ces critères de qualité ressemble fortement à une double peine inique.
Madame la ministre, au lieu d’aider ces établissements en difficulté, vous proposez de les sanctionner d’une manière particulièrement contre-productive : j’ai bien peur que, avec cette méthode, vous n’obteniez des résultats opposés à ceux que vous escomptez !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, sur l’article.
M. Jean-Louis Tourenne. J’ai pris conscience qu’il y a trois types d’amendements : ceux qui ont le bonheur d’aller vers le succès et l’adhésion de notre assemblée, ceux qui se soldent par un échec et ceux dont le destin est totalement obscur, qui n’accèdent jamais à la lumière, parce qu’ils sont frappés d’irrecevabilité. (M. Philippe Dallier s’exclame.)
C’est d’un amendement de cette troisième catégorie que je souhaite vous parler. Il s’agissait d’autoriser à titre expérimental, dans certaines régions et pour une durée de cinq ans, la création d’infirmières référentes.
Si j’avais pu défendre cet amendement, je vous aurais expliqué que la prise en charge du grand âge prend une importance croissante pour tous les acteurs de santé, plus particulièrement pour les 116 800 infirmières libérales, dont 90 % de l’activité est réalisée à domicile et qui visitent quotidiennement 700 000 patients en situation de dépendance, soit 1 % de la population.
C’est bien le manque d’organisation autour de la personne âgée, souvent atteinte de polypathologies, et les allers-retours entre l’hôpital et le domicile qui sont la principale cause de dépenses, conclut dans ses travaux sur le vieillissement le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie.
Il existe des éléments importants de non-qualité liés au cheminement de ces personnes fragiles : recours inapproprié à l’hôpital, mauvais usage du médicament, manque de réactivité dans l’adaptation des traitements médicamenteux, carences dans l’éducation thérapeutique et la prévention.
Dans ce contexte, il serait très pertinent de mettre en œuvre le concept d’infirmière de famille, ou d’infirmière référente, adopté par tous les États européens et inscrit dans le programme Santé 21 de l’Organisation mondiale de la santé. En France, l’infirmière de famille apparaît comme le chaînon manquant dans le panorama de la santé publique.
Consultation, évaluation de la dépendance, visite de médication, élaboration d’un plan d’aide et de soins, mais aussi coordination sociale et soignante : telles seraient les principales missions de l’infirmière référente.
La recherche de coordination est une vraie constante de toutes les politiques de santé menées au cours des dernières années : je pense au coordonnateur créé en 1982, aux réseaux gérontologiques, aux centres locaux d’information et de coordination, les CLIC, aux maisons pour l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer, les MAIA, et aux programmes Personnes âgées en risque de perte d’autonomie, ou PAERPA, et j’en passe. Le recours systématique aux infirmières de familles identifiées comme référentes apporterait enfin une réponse claire !
M. le président. La parole est à M. Philippe Mouiller, sur l’article.
M. Philippe Mouiller. Malgré les évolutions de l’ONDAM en 2019, les hôpitaux français connaissent une situation de tension extrême, du fait d’un manque criant de moyens, notamment de personnel. Afin de mettre fin à cette situation, des moyens supplémentaires doivent être octroyés aux hôpitaux.
Il est impératif de proposer des réformes de fond, afin de prendre des mesures financières d’urgence pour certains établissements, de donner un coup d’arrêt dès 2019 à la baisse des tarifs de la régulation prix-volume dans un contexte d’activité stable et de restituer les crédits des établissements de santé non consommés, pour ne plus faire de l’hôpital une variable justement.
Il convient aussi de prendre des mesures afin de répondre immédiatement à la situation de crise sans précédent, notamment dans la psychiatrie publique, et de réduire les inégalités territoriales en santé.
Dans le département des Deux-Sèvres, que je représente, le centre hospitalier de Niort pâtit de ce manque de moyens, notamment dans le service de psychiatrie, qui connaît une situation très difficile : les personnels sont en grève pour dénoncer le manque de moyens humains et réclamer des locaux de qualité pour accueillir les patients les plus fragiles. Madame le ministre, ce centre hospitalier témoigne de l’inégalité de traitement constatée entre les territoires, en ce qu’il dispose, comparativement, de moins de moyens financiers que d’autres établissements de même taille.
J’espère que, à la faveur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais aussi des prochains textes qui seront examinés dans le cadre de la réforme de la santé, nous pourrons trouver des solutions rapides. L’équilibre des comptes publics, oui, mais à quel prix ?
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, sur l’article.
Mme Laurence Cohen. Comme l’a très bien expliqué ma collègue Esther Benbassa, l’incitation financière à l’amélioration de la qualité, ou IFAQ, va être étendue à la psychiatrie.
Or, madame la ministre, je veux attirer votre attention sur l’état de la psychiatrie. Nous avons toutes et tous en mémoire l’état des hôpitaux psychiatriques, leurs difficultés et leurs appels au secours. Cette situation s’inscrit dans le contexte des difficultés générales de l’hôpital, mais avec des problèmes particuliers.
Je pense notamment aux personnels de l’établissement du Vinatier, à Bron, qui dénoncent la dégradation des conditions de prise en charge des patients. Je pense également aux personnels du centre hospitalier Alpes-Isère de Saint-Égrève, qui dénoncent la maltraitance institutionnelle, et à ceux de l’hôpital Philippe Pinel d’Amiens, qui ont tout récemment mené une lutte pendant plus de cent jours pour obtenir des postes supplémentaires.
Les luttes qui se développent visent, à chaque fois, à obtenir des postes supplémentaires, tant il est difficile de continuer à prodiguer des soins aux patients avec des moyens restreints.
Je pense aussi à la fusion des établissements psychiatriques parisiens.
L’hôpital psychiatrique est le lieu d’une grande souffrance ; les exemples ne manquent pas. Étendre l’IFAQ à la psychiatrie, non seulement ne résoudra rien, mais, à mon avis, aggravera encore la situation.
La démarche qualité ne mesure que la qualité de la mise en œuvre de protocoles, qui ne permettent au mieux qu’un soin standardisé, centré sur le symptôme, en contradiction, selon moi, avec un soin de qualité centré sur le sujet, impliquant une clinique individualisée. C’est vrai en général, mais beaucoup plus encore en psychiatrie.
Madame la ministre, il est extrêmement regrettable que le projet de loi de financement de la sécurité sociale ne contienne pas vraiment de mesures en faveur de la psychiatrie, hormis cet article, dont je viens d’évoquer les limites.
Comment comptez-vous répondre aux cris d’alerte des soignants en établissements psychiatriques et des patients, qui ont de plus en plus de mal à trouver une place et des soins dans ces structures ? J’en ai moi-même reçu à ma permanence, qui étaient en très grande difficulté. Quelles mesures concrètes êtes-vous en mesure d’annoncer à la représentation nationale en faveur de la santé mentale, afin de faire revivre la psychiatrie humaine et de secteur dont nous avons éminemment besoin ?
M. le président. L’amendement n° 515, présenté par Mmes Cohen, Apourceau-Poly, Lienemann et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly.
Mme Cathy Apourceau-Poly. L’article 27 étend le dispositif de paiement à la qualité des établissements de santé, voté dans le cadre du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.
La qualité et la sécurité des soins du service public hospitalier sont contrôlées par l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. En complément des règles sanitaires existantes, vous proposez d’améliorer la qualité des soins par l’incitation financière à l’amélioration de la qualité, l’IFAQ.
Il s’agit d’attribuer aux établissements entre 15 000 et 500 000 euros, selon les résultats d’indicateurs comme le bon usage des médicaments dans les hôpitaux, la qualité de la lettre de liaison à la sortie et la satisfaction des patients hospitalisés.
Nous sommes évidemment favorables à la prise en compte de l’avis des patients, qui passe notamment par une démocratie sanitaire revalorisant la place des représentants des usagers au sein des hôpitaux. Mais les critères de validation des indicateurs de qualité et de sécurité des soins sont aujourd’hui détournés pour justifier la fermeture des établissements de santé de proximité.
Ces critères ne prennent pas en compte les conséquences des politiques d’austérité en matière de santé menées depuis des décennies et qui ont dégradé la qualité des soins. C’est la double peine pour les hôpitaux : d’une part, ils subissent depuis des années le désinvestissement budgétaire de la sécurité sociale par rapport à l’évolution des besoins ; d’autre part, si cet article est adopté, ils subiront des pénalités pour ne pas avoir réalisé les investissements indispensables à la modernisation des services, alors que la réduction du nombre de personnels diminue nécessairement la qualité des soins.
Étendre l’IFAQ aux activités de psychiatrie à partir de 2020 aggravera encore les difficultés rencontrées par les établissements psychiatriques. Alors non, madame la ministre, la transformation du système de soins que vous proposez ne résoudra pas les difficultés d’accès aux soins et de qualité des soins ; au contraire, elle aggravera les inégalités financières et la mise en concurrence des établissements !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance maladie. La commission est favorable à une plus large prise en compte de la qualité des soins dans le financement des établissements de santé. Le président Alain Milon la préconisait déjà dans son rapport de 2012 sur la tarification à l’activité, la T2A.
L’expérience des patients est déjà prise en compte via l’indicateur e-Satis développé par la Haute Autorité de santé. Bien sûr, on doit toujours être vigilant avec ce type d’indicateurs, de façon à ne pas introduire de biais. Néanmoins, l’article 27 nous semble aller dans le bon sens, et nous sommes défavorables à sa suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Agnès Buzyn, ministre. Je suis évidemment défavorable à la suppression de l’article.
Nous souhaitons faire monter en charge l’incitation financière à la qualité, un dispositif qui encourage les établissements à faire mieux dans leurs organisations au bénéfice des patients. L’entrée en vigueur de ce dispositif est fixée au 1er mars 2019.
Les indicateurs, qui sont en préparation, seront réévalués tous les trois ans par la Haute Autorité de santé, qui vérifiera scientifiquement la capacité des établissements à les recueillir de façon quasiment automatique, pour que la charge de travail de ceux-ci ne soit pas alourdie. La modification des indicateurs tous les trois ans permettra d’éviter les biais qui aboutiraient progressivement à ce que les systèmes s’adaptent et dérivent pour satisfaire à un indicateur au lieu de remplir un objectif de qualité.
Ce travail est effectué sous la responsabilité de la Haute Autorité de santé, dont l’un des services est dédié aux indicateurs, lesquels sont étudiés et évalués sur le terrain généralement pour une année blanche, puis mis en place et déployés de façon générale s’ils s’avèrent robustes.
Aujourd’hui, il existe dix indicateurs au maximum par champ – MCO, médecine chirurgie obstétrique, SSR, soins de suite et de réadaptation, ou HAD, hospitalisation à domicile. Ces indicateurs sont arrêtés par le ministère, après avis de la HAS. L’idée est de faire basculer une partie du financement issu de la T2A vers un financement à la qualité, afin d’inciter les établissements à faire mieux plutôt qu’à produire de plus en plus d’actes.
C’est, je le pense, une philosophie à laquelle vous adhérez. Il n’y a donc pas aujourd’hui d’inquiétude à avoir sur notre volonté d’améliorer les indicateurs pour qu’ils soient davantage axés sur les résultats des pratiques que sur une démarche qualité, comme l’évoquait Mme Cohen.
Les indicateurs de qualité sont réévalués. Ils font d’ailleurs l’objet de travaux internationaux, car nous ne sommes pas le seul pays à développer de tels indicateurs. Ils font l’objet de partages, leurs biais sont examinés… : tout cela va dans le sens d’une amélioration de la qualité au niveau international.
Madame Cohen, vous faisiez part de votre inquiétude quant à l’extension de ces indicateurs à la psychiatrie, au vu de l’état de cette spécialité dans notre pays. Cet état est lié à trois éléments différents.
D’abord, le faible investissement dans les établissements ces dernières années : j’y travaille et j’ai prévu notamment dans le plan « Ma santé 2022 » qu’une partie du financement et de l’investissement aille vers les hôpitaux psychiatriques.
Ensuite, la faible démographie des psychiatres, notamment à l’hôpital : elle s’explique par la rémunération extrêmement avantageuse des psychiatres en ville, liée à la pénurie de ces spécialistes. Il est donc très difficile de recruter des psychiatres hospitaliers. Beaucoup des établissements que vous citez ont en réalité des postes ouverts : le problème est donc non pas financier, mais lié aux difficultés de recrutement.
Enfin, le dernier sujet est plus préoccupant. Les deux précédents sont à ma main : former des psychiatres, c’est mon travail. Avec Frédérique Vidal, nous avons d’ailleurs ouvert dix postes de chefs de clinique en pédopsychiatrie l’année dernière, et j’ai demandé à tous les doyens de médecine d’ouvrir des postes de PU-PH, c’est-à-dire de professeur des universités-praticien hospitalier, en pédopsychiatrie afin de former des internes. Dans huit régions françaises, il n’y a plus de pédopsychiatre ! À mon arrivée, la situation était, dirais-je, assez sinistrée, et il faut le temps de former les personnes. Nous y travaillons d’arrache-pied.
Ce troisième sujet est celui de la dérive des pratiques. Pour avoir longtemps présidé la HAS, j’ai pu prendre connaissance des certifications d’un certain nombre d’hôpitaux psychiatriques. Dans certains d’entre eux subsistent des pratiques d’un autre siècle, pour ne pas dire d’un autre millénaire. Ce que nous leur demandons, c’est de la qualité, c’est-à-dire un changement de leurs pratiques. Parmi les hôpitaux que vous citez, certains – je ne dirai pas lesquels – ont du mal à recruter des psychiatres, parce qu’ils ont maintenu des pratiques du siècle dernier. Plus personne ne veut y travailler !
À un moment donné, il faut mettre le holà. Cela passe par la non-certification d’un certain nombre d’établissements, par la mise en place d’indicateurs de qualité qui leur permettront de faire évoluer leurs pratiques et puis, quand ils ne veulent rien changer à ces dernières parce qu’ils estiment bien faire, par des sanctions financières. Sur ce dernier point, je serai intraitable, parce que ce que j’ai vu dans certains hôpitaux est absolument affligeant.
Je travaille sur ces trois leviers, mais je ne veux pas que nous nous privions de ces indicateurs de qualité dans nos hôpitaux psychiatriques. Il n’y a aucune raison qu’ils échappent à notre devoir d’améliorer la qualité des soins.
M. le président. La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour explication de vote.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Madame la ministre, je n’ai pas bien compris comment faire mieux, surtout lorsqu’il y a moins de moyens et qu’il faut réduire le déficit, ce qui passe par la suppression d’emplois, comme cela a été le cas dans l’EPSM, l’établissement public de santé mentale, de Saint-Venant, que je vous invite à visiter.
Faire mieux, c’est bien, mais je veux tout de même rappeler que les personnels sont submergés de travail, qu’ils prennent beaucoup sur eux-mêmes et que, comme souvent dans ce type d’endroits, ils sont en souffrance. En effet, les restrictions budgétaires et les déficits comblés par des suppressions de personnel font qu’autant les familles que les patients et les personnels sont en souffrance.
Je le redis, je ne vois pas, madame la ministre, comment faire mieux avec moins…
M. le président. La parole est à M. Michel Amiel, pour explication de vote.
M. Michel Amiel. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir pris en charge la question de la pédopsychiatrie, en retenant en particulier la préconisation sur la création de postes de PU-PH qu’Alain Milon et moi-même avions faite dans notre rapport. Sans PU-PH, on ne peut pas former de pédopsychiatres ; sans pédopsychiatre, les services ne peuvent plus être alimentés.
Mais il est vrai que la psychiatrie reste une spécialité sinistrée – le mot est peut-être un peu fort – en France. C’est aussi le fruit de l’histoire : la psychiatrie telle qu’elle existe aujourd’hui découle de certaines pratiques des années 1950 et 1960 – je pense en particulier à la fermeture de lits hospitaliers.
J’en reviens à la pédopsychiatrie – vous savez que ce sujet m’est cher –, qui concerne également les mineurs sous main de justice internés en psychiatrie : elle a besoin de moyens supplémentaires, et pas seulement hospitaliers. C’est le cas des CMP, les centres médico-psychologiques, des CMPP, les centres médico-psycho-pédagogiques, des centres d’action médico-sociale précoce, les CAMSP, bref de toutes ces structures qui s’occupent d’enfants pour lesquels une prise en charge précoce pourrait éviter l’évolution vers une morbidité beaucoup plus importante. Ainsi, même sur le plan financier, on s’y retrouverait.
Nous comptons sur vous pour que cette spécialité, qui est quelque peu délaissée, y compris – vous l’avez dit – par les praticiens eux-mêmes, soit encouragée.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je voudrais réagir aux propos de Mme Apourceau-Poly, qui se demande comment faire mieux avec moins. On ne peut pas dire qu’il y ait moins ! Même si un ONDAM en augmentation de 2,5 % me semble, à titre personnel, insuffisant, cela représente tout de même près de 4 milliards d’euros de dépenses supplémentaires autorisées l’année prochaine… Ce n’est pas rien, même si, je le répète, cela peut paraître insuffisant. C’était le premier point que je souhaitais relever.
Deuxième point, il est vrai que la psychiatrie est en état d’urgence et qu’il existe un véritable problème. Mais je voudrais rappeler que les hôpitaux psychiatriques sont non pas à la T2A, mais à la dotation annuelle de fonctionnement, la DAF. Cette dotation n’est finalement peut-être pas le meilleur système pour permettre aux hôpitaux d’évoluer.
La T2A a quelques défauts, notamment parce qu’elle est peut-être inflationniste. Elle a aussi le défaut de la France : lors de sa création, nous avions mis en place des tarifs, puis on s’est aperçu que les hôpitaux avaient compris qu’ils pouvaient gagner plus en augmentant leur activité. On a alors baissé les tarifs au lieu de jouer le jeu. Nous aurions dû maintenir ces tarifs et dire aux hôpitaux d’augmenter leur activité dans des domaines différents de ceux dans lesquels ils gagnaient beaucoup d’argent.
Quand Jacky Le Menn et moi-même avons fait notre rapport sur la T2A, nous avions établi une comparaison particulièrement intéressante. La T2A a été créée aux États-Unis en 1984 et en France en 2004. Notre rapport date de 2012 : vingt-quatre ans après la mise en place de cette tarification, il y avait aux États-Unis 180 tarifs stables. En France, huit ans après la mise en application de la T2A, il y avait 253 tarifs en diminution annuelle. Cette situation empêche les hôpitaux et les professionnels de santé de travailler dans la stabilité. C’est aussi le cas dans d’autres domaines, puisque l’on constate, lors de la discussion de la loi de finances, que des règles mises en place une année peuvent être, si cela arrange, modifiées un ou deux ans après.
Il ne faut pas modifier les règles. On peut évidemment dire que la T2A et la DAF ne marchent pas, mais ce n’est, à mon sens, pas vrai. Ce qui est vrai en revanche, c’est que l’on modifie les règles tous les ans, et c’est ce qui ne marche pas !
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Nos échanges montrent que, s’agissant de la psychiatrie, il est vraiment nécessaire non seulement d’avoir un débat, mais aussi de le conduire à son terme.
Madame la ministre, vous dites que la pédopsychiatrie est sinistrée et que les pédopsychiatres manquent. Nous l’avons constaté avec Michel Amiel lors du travail qui a été mené ici au Sénat.
Il faut réfléchir à la manière dont sont organisés les prises en charge et les soins. On retrouve la logique des groupements hospitaliers territoriaux dans les CMP. Dans le cadre de notre tour de France des hôpitaux et EHPAD publics, les responsables que j’ai rencontrés m’ont fait part de leur volonté de regrouper les CMP pour les rendre plus proches des populations. C’est complètement contre-productif, puisque les CMP ont été créés dans les quartiers justement pour être au plus près des populations ! Si on les regroupe, certains quartiers seront déshérités. Il faut y réfléchir.
Je suis d’accord avec vous, madame la ministre, il ne faut pas caricaturer les positions : nous ne devons pas caricaturer les vôtres et vice versa. Bien sûr, une réorganisation est nécessaire. Le monde hospitalier n’est pas le pays des Bisounours, où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Certaines pratiques sont effectivement condamnables, comme dans toute profession.
Quand on parle des moyens, il faut aussi évoquer la formation. Dans un certain nombre d’établissements psychiatriques, les personnels dénoncent le recours à la contention – ce n’était pas le cas auparavant –, qui est une façon rapide et immédiate d’intervenir lorsque l’on manque de bras. Cet aspect n’est peut-être pas le seul à devoir être pris en compte, mais il ne faut pas l’oublier. Il faut également aborder la formation des médecins, des infirmiers et des infirmières. C’est un tout !
On voit là que la psychiatrie est quand même le parent pauvre de la médecine. Il faut une loi pour que nous puissions débattre et donner les moyens humains et financiers, et peut-être le cadrage, qui permettront de revivifier la psychiatrie pour en faire une spécialité moderne digne du XXIe siècle. De nombreux malades n’ont pas de place à l’hôpital : on les retrouve malheureusement dans les prisons.
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Actuellement, trois quarts des établissements de santé ont des difficultés financières. Une tarification totale en T2A n’est bien sûr pas totalement satisfaisante, même si, dans un nombre assez important de cas, des directeurs d’établissements sont favorables au maintien d’une partie de celle-ci.
Tout cela peut effectivement entraîner une diminution du personnel et peut-être une dégradation, parce que la T2A n’a pas augmenté la rémunération.
L’article 27, qui vise à étendre le dispositif de rémunération à la qualité aux services de psychiatrie, nous paraît aller totalement dans le bon sens. Dans certains départements, il n’y a aucun lit de pédopsychiatrie, ce qui est extrêmement préjudiciable.
De cet article, je retiendrai que, plutôt que de mettre en place des sanctions, il faudrait, comme vous l’avez indiqué, madame la ministre, proposer des mesures d’accompagnement si le seuil requis n’est pas atteint, après la refonte des critères et des indicateurs, mais, surtout, accompagner les services et les hôpitaux pour parvenir à des soins de qualité.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Buzyn, ministre. Nous avons abordé la question de la psychiatrie en évoquant les indicateurs.
Je souhaite d’abord rappeler ce que sont les indicateurs de qualité. Je veux bien que tout soit lié aux moyens et aux personnels, mais il existe tout de même des fondamentaux en médecine. Un indicateur de qualité, c’est par exemple se laver les mains avant de rentrer dans la chambre d’un malade ou disposer d’une check-list au bloc opératoire avant d’opérer. Ce sont des prérequis indispensables. Qu’il y ait beaucoup de personnel ou non, si l’on ne lave plus les mains, c’est qu’il y a vraiment un problème ! Je tiens à ce que les indicateurs de qualité restent en place.
Monsieur Chasseing, la sanction est vraiment, dans notre idée, une mesure exceptionnelle. C’est le bâton à utiliser si un établissement ne montre pas de volonté de travailler, et il y en a quelques-uns qui n’en ressentent pas le besoin… J’entends votre désir d’accompagnement, nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion d’un amendement de Mme Deroche notamment.
Pour ce qui concerne la psychiatrie, j’ai présenté une feuille de route le 28 juin dernier à l’occasion d’un comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie, que j’ai mis en place et que je préside moi-même, et qui se réunit tous les six mois pour améliorer la situation.
Je l’ai dit, des moyens financiers sont prévus, qui figurent dans le plan « Ma santé 2022 ». Cela ne suffit pas, car la prise en charge sur les territoires pose aussi des problèmes organisationnels. Ainsi, de la même façon qu’une coordination est nécessaire s’agissant des parcours des patients pour les soins somatiques, il faut obliger les territoires à avoir un programme de santé mentale coordonné.
Nous travaillons aujourd’hui avec les ARS et l’ensemble des professionnels de la psychiatrie, qu’elle soit hospitalière ou libérale, à établir des parcours coordonnés. Cela figure dans la feuille de route, tout comme l’engagement que j’ai pris de créer des postes d’infirmières et d’infirmiers de pratique avancée en psychiatrie dès le mois de septembre 2019. J’ouvre les pratiques avancées à la psychiatrie, parce que je pense qu’elles seront très utiles à l’amélioration des prises en charge. Les personnels seront formés pendant deux ans à des pratiques qui évitent la contention des patients agressifs. Je sais bien, comme vous, que cela prend du temps.
Enfin, nous travaillons avec les professionnels à un programme de montée en charge des indicateurs de qualité pour améliorer les pratiques quand elles sont déviantes. Un travail est aussi mené avec les doyens de médecine pour améliorer la couverture territoriale en psychiatres et pédopsychiatres.
Tout cela fait donc l’objet d’une feuille de route et est suivi par un comité stratégique. La loi ne règle pas tout. J’ai fait de la psychiatrie ma priorité en arrivant au ministère, et j’y travaille de façon très concertée avec les acteurs. Vous pouvez être certains, mesdames, messieurs les sénateurs, de mon engagement sur ce sujet.