M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Jean-François Rapin, la question du Brexit et celle du Calaisis ne sont pas à proprement parler liées. Il faut déconnecter ces deux sujets. La situation à la frontière avec le Royaume-Uni est liée à la non-appartenance de celui-ci à l’espace Schengen. Par conséquent, son retrait de l’Union européenne n’aura pas de conséquence directe, en termes de droit, par rapport à la situation actuelle : il n’y a donc pas de spécificité à mettre en œuvre sur les migrations. Le retrait du Royaume-Uni n’emportera pas de conséquence sur ce point.

Comme vous le savez, au mois de janvier dernier, à Sandhurst, lors d’une rencontre à laquelle j’ai eu l’honneur de participer, la France et le Royaume-Uni se sont accordés sur un protocole additionnel aux accords du Touquet, qui prévoit notamment un centre conjoint d’information et de coordination visant à faciliter les échanges d’informations entre les services de police et de renseignement dans la lutte contre les filières d’immigration irrégulières. Par ailleurs a été mis au point un dispositif pour accélérer les transferts vers le Royaume-Uni, en particulier pour les mineurs isolés. Enfin, un accord a été trouvé sur des actions conjointes en direction des pays d’origine et de transit, sur le modèle de ce que nous faisons au Niger.

Ces principes-là seront poursuivis, quelle que soit la décision britannique. Ils sont en effet indépendants du dispositif et de l’accord du mois de juin dernier et des perspectives renforcées du dernier Conseil européen.

Par ailleurs, les modifications des accords du Touquet, qu’il faut mettre en œuvre de manière très concrète, ont été accompagnées d’un versement britannique pour financer la sécurisation des infrastructures de transport, l’hébergement et la prise en charge des personnes vulnérables, ainsi que l’éloignement des migrants en situation irrégulière. La mise en œuvre de ces engagements est réelle : elle progresse à un rythme qui nous paraît satisfaisant, même si l’ensemble de ces dispositifs n’a pas permis de régler l’existence de lieux de campement provisoires et d’attente que vous avez évoqués. Récemment, une intervention policière a eu lieu pour évacuer le camp de Grande-Synthe.

M. le président. La parole est à M. Henri Leroy.

M. Henri Leroy. Monsieur le ministre, depuis la dernière élection présidentielle, le Président de la République et son gouvernement ont pour le moins fait preuve de laxisme en matière d’immigration. Plusieurs raisons, que je ne développerai pas, peuvent motiver ce comportement.

Monsieur le ministre, ma question est précise et appelle une réponse précise.

Lors du Conseil européen du mois de juin dernier, les chefs d’État et de gouvernement ont demandé à la Commission européenne d’étudier la faisabilité de plateformes régionales de débarquement. Celles-ci prendraient la forme de hotspots financés et supervisés par l’Union européenne, et établis dans des pays tiers pour étudier la situation des migrants secourus dans les eaux internationales.

À ce stade, les pays tiers privilégiés par les États membres pour accueillir ces plateformes, tels que la Tunisie, le Maroc et l’Albanie, ont tous catégoriquement refusé une telle coopération dans la gestion du phénomène migratoire.

L’Union européenne va donc devoir engager une négociation compliquée. Il est vrai que vous êtes un spécialiste des négociations compliquées, monsieur le ministre, mais, concrètement, quelles seront les armes dont vous disposerez dans la négociation pour inciter ou contraindre ces pays à coopérer ? Il y a urgence à agir. Les Français attendent de vous des actions concrètes pour endiguer cette immigration incontrôlée et combien préoccupante.

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez mentionné deux concepts.

Il y a d’abord le concept de « centres contrôlés ». Ce n’est pas l’objet de votre intervention, mais il faut quand même le rappeler : nous sommes favorables à ce dispositif, car ces centres, contrairement à des propos qui ont été tenus, permettent d’accélérer les procédures relatives aux demandeurs d’asile.

Ce type de dispositif contribue aussi à favoriser l’intégration des migrants susceptibles de bénéficier du droit d’asile, ce qui est quand même le cas d’un certain nombre d’entre eux. Nous sommes donc favorables à l’existence, dans ces centres contrôlés, d’un traitement en amont de l’ensemble des personnes qui pourraient obtenir le droit d’asile, ou d’un traitement humanitaire de celles ou ceux qui se trouvent en situation irrégulière et qui doivent faire l’objet d’un retour.

Ensuite, et je crois l’avoir évoqué dans mon propos liminaire, le concept de « plateformes de débarquement » ne convient pas, d’abord parce qu’il n’est pas suffisamment explicité et, ensuite, parce qu’il fait l’objet – une réunion s’est tenue à Genève sur le sujet – d’un blocage et d’un refus de l’ensemble des acteurs susceptibles de recevoir des personnes secourues, qui considèrent que ces plateformes constituent un transfert de responsabilité.

Il faut penser à une autre solution. C’est pourquoi j’ai évoqué des « arrangements de débarquement », concept qui doit faire l’objet d’une discussion avec chacun des pays concernés, en relation avec le HCR, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et avec l’OIM, l’Organisation internationale pour les migrations, parce que ce sont ces deux organismes qui ont lancé le concept à l’origine.

Il faut l’adapter en fonction des différents pays et ne pas avoir une posture trop stricte et arrêtée sur le sujet. Nous travaillons à ces dispositions avec chacun des pays concernés et, surtout, avec le HCR et l’OIM qui jouent le rôle de gestionnaires potentiels de ces arrangements de débarquement, et qui ont une relation plus directe avec les autorités étatiques concernées.

M. le président. La parole est à M. Henri Leroy, pour la réplique.

M. Henri Leroy. Monsieur le ministre, si je comprends bien, vous n’irez pas plus loin avec les plateformes régionales de débarquement et vous essayerez de traiter avec chaque pays pour trouver une solution ? (M. le ministre acquiesce.)

Mle président. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Monsieur le ministre, je souhaiterais vous interroger sur la question des mineurs non accompagnés qui, je vous le rappelle, constitue un chantier prioritaire pour les élus départementaux, qui se sont exprimés par la voix de l’Assemblée des départements de France.

En effet, l’augmentation très importante du nombre de mineurs étrangers isolés – on les appelle depuis des mineurs non accompagnés – arrivant dans nos territoires ne peut que nous interpeller.

En France, le nombre de mineurs non accompagnés est passé de 5 590 en 2015 à près de 15 000 en 2017. En conséquence, les départements métropolitains font aujourd’hui part de l’état de saturation de leurs dispositifs de protection de l’enfance. À l’échelle européenne, plus de 31 000 demandeurs d’asile sollicitant une protection internationale dans les États membres de l’Union européenne étaient considérés comme des mineurs non accompagnés en 2017.

Cette situation pèse lourdement sur nos départements, tant d’un point de vue administratif que du point de vue de la gestion sociale et de la charge financière qu’elle représente.

Je rappelle que les mineurs non accompagnés, une fois reconnus comme mineurs isolés par les autorités, sont placés sous la protection de l’aide sociale à l’enfance et ne sont donc plus considérés comme relevant du droit des étrangers.

Nos départements font actuellement face à l’accroissement du phénomène des « faux mineurs », qui n’épargne pas non plus les autres membres de l’Union européenne.

Certes, la Commission européenne a affirmé que la gestion de l’asile et des migrations faisait partie de ses grandes priorités dans le cadre financier pluriannuel 2021-2027, mais je regrette que la question des mineurs non accompagnés et, notamment, des « faux mineurs » non accompagnés soit traitée de façon épisodique, pour ne pas dire parfois anecdotique.

Dès lors, monsieur le ministre, alors que nous sommes toujours en attente du plan d’action national visant à améliorer l’accueil et la prise en charge des mineurs non accompagnés et des personnes se présentant comme tels, mes questions sont les suivantes : l’Europe entend-elle apporter une réponse européenne à cette problématique spécifique ? À quand une harmonisation des pratiques européennes en la matière ?

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Jean-Yves Le Drian, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, je ne vais pas répondre à la partie de votre intervention qui concerne en réalité les relations directes entre un autre ministère que le mien et les collectivités locales.

Cela ne relève en effet pas directement de ma compétence, même si je connais bien le sujet et les préoccupations des présidents de conseil départemental en matière d’accueil des mineurs non accompagnés dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance. Cette question est prise en compte par le Gouvernement, et les ministres concernés sont tout à fait avertis et alertés de l’ampleur du problème.

En réalité, on comptabilise 63 000 demandes d’asile émanant d’enfants isolés en Europe. Ce chiffre est près de cinq fois supérieur à la moyenne annuelle relevée au cours de la période 2008-2013. D’où viennent ces enfants isolés ? Ils sont souvent originaires d’Afghanistan, de Syrie et d’Irak et se trouvent fréquemment dans des situations de détresse.

L’Allemagne a enregistré à elle seule plus de la moitié des demandes d’asile déposées par des mineurs non accompagnés dans les États membres de l’Union européenne, soit 35 000 demandes. L’Italie arrive loin derrière, la France aussi. Cela étant, il s’agit d’une question européenne et nous pensons nécessaire de la poser au niveau européen, y compris dans le cadre financier pluriannuel que vous avez évoqué.

Nous pensons également qu’il est nécessaire d’harmoniser les procédures au niveau européen, s’agissant de l’identification des mineurs, de leur âge, des relations qu’ils ont avec le pays d’accueil, avec l’éventualité d’un regroupement familial pour ceux qui peuvent en bénéficier, ou de l’existence ou non d’un tuteur. Plusieurs pays le souhaitent et je pense que cette harmonisation sera possible dans le cadre de la politique migratoire que j’évoquais.

Conclusion du débat

Mle président. Pour conclure le débat, la parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de ce débat, qui a montré tout son intérêt, je crois que l’on peut retenir quelques lignes de force.

Tout d’abord, les différents intervenants, que je remercie de leur participation à ce débat, se sont fait l’écho des inquiétudes que ressentent nos concitoyens et, d’une manière générale, les populations du continent européen.

Ces inquiétudes sont nombreuses et multiples, que ce soit au niveau des collectivités locales, au niveau des territoires et, d’une façon plus générale, pour l’avenir de notre continent. De telles inquiétudes peuvent évidemment faire l’objet d’une instrumentalisation politique. Comme l’ont rappelé plusieurs de nos collègues, le résultat des élections auxquelles on a assisté, notamment en Italie ou en Suède, et les événements politiques qui se déroulent sous nos yeux en Allemagne montrent bien que la question des migrations et le défi que celles-ci représentent ont maintenant des conséquences sur la vie politique de notre continent, avec tous les dangers que cela peut entraîner.

À partir de là, tout le monde souhaite que cette politique migratoire fasse l’objet d’une régulation. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Cela signifie d’abord qu’il faut réaffirmer le droit d’asile. Il s’agit d’un droit fondamental, d’une tradition très importante, qui a été pratiquée par tous les gouvernements. Peut-être devrions-nous – vous avez avancé un certain nombre d’idées dans ce domaine, monsieur le ministre – faire en sorte de mieux harmoniser ce droit d’asile au sein des pays européens, car tous ne pratiquent pas les mêmes règles.

Nous vous encourageons évidemment à rappeler à leur devoir certains pays européens, qui en prennent à leur aise s’agissant d’un certain nombre de règles, dont celles du droit d’asile. En effet, quand on adhère à l’Union européenne, on en prend les avantages et on en supporte aussi les contraintes.

Au-delà du droit d’asile – là aussi, les interventions l’ont bien montré –, il est ensuite absolument nécessaire de protéger nos frontières, notamment face à l’immigration économique, non pas parce que l’on vise particulièrement cette immigration, mais parce que l’on ne peut pas accueillir, comme cela a été dit bien des fois, toutes les misères du monde.

Sur ce sujet, monsieur le ministre, vous avez évoqué un certain nombre d’instruments : le contrôle aux frontières, les efforts réalisés autour de FRONTEX notamment, et la politique des visas, afin d’instaurer une réciprocité avec les pays concernés.

Toutefois, quelles que soient les mesures de protection que l’on prendra concernant le continent européen, nous avons évidemment le sentiment que l’on ne pourra pas arrêter ces migrations par la seule contrainte.

C’est pourquoi il me semble qu’il y a deux combats à mener, qui relèvent de surcroît de votre autorité, monsieur le ministre.

C’est d’abord le combat pour la paix. Lorsqu’on visite ces camps de réfugiés, comme j’ai eu l’occasion de le faire, comme un certain nombre d’entre vous l’ont fait également, on voit bien que ces pauvres gens n’ont qu’une seule envie, c’est de retourner là où ils habitaient, dans leur maison, dans leurs champs, dans leurs commerces.

Simplement, ils ne peuvent y retourner que si la sécurité est rétablie. Il faut donc que la France prenne toute sa part dans les processus de paix. Je connais les nombreux efforts que vous mettez en œuvre dans ce domaine, mais c’est en tous les cas dans ce sens qu’il faut aller.

C’est ensuite le combat pour l’aide au développement. Nous le disons, nous le redisons : il n’y aura de solution pérenne ou forte que si l’on s’attaque à la pauvreté et au manque d’espérance.

Certains d’entre vous ont cité l’exemple de l’Aquarius. Pour ma part, au Vatican, j’ai entendu le Président de la République rappeler que, à bord de l’Aquarius, il y avait 60 % de personnes originaires d’un grand pays du sud de la Méditerranée, qui nous fait face. Ce pays n’est pas identifié comme étant en guerre. Comme d’autres pays, c’est simplement un pays où il n’y a pas d’espérance. Les jeunes utilisent donc tous les moyens pour fuir, parfois au mépris de leur propre vie. C’est pourquoi il faut absolument conduire une politique volontariste d’aide au développement.

Le Président de la République a annoncé – et nous soutenons cette mesure – la hausse de près de un milliard d’euros des crédits consacrés à l’aide au développement, notamment par une politique de dons. Il faut aider les pays les plus pauvres, c’est vraiment fondamental. Nous pensons véritablement qu’il s’agit de l’une des actions de fond et de l’une des priorités que nous devons poursuivre pour mettre un terme à ces migrations, faute de quoi tous les moyens coercitifs ne permettront certainement pas de maîtriser ce phénomène.

Autant dire, monsieur le ministre, que nos commissions – je salue le travail qui a été fait par le président Jean Bizet et la commission des affaires européennes, ainsi que par la commission que j’ai l’honneur de présider, sur cette problématique concernant les pays européens – continueront à vous accompagner. Ce genre de débat est utile, car il nous sensibilise à ces problématiques et permet de faire connaître au Gouvernement la manière dont nous vivons ces sujets dans nos territoires. Ces phénomènes ont des conséquences dans nos départements et dans nos communes, ce qu’ont bien rappelé les uns et les autres.

Chaque fois qu’il vous faudra prendre des décisions courageuses, dans le cadre de la lutte contre les passeurs par exemple, nous serons là pour vous accompagner et vous inciter à mettre la plus grande ardeur – vous avez cette ardeur, mais nous souhaitons que vous en ayez encore davantage ! – pour faire bouger les lignes. En effet, il y a manifestement des choses qui ne vont pas en Europe.

Espérons que, avec l’action que nous menons tous de façon concertée, la France se trouvera en première ligne pour mener cette belle politique visant à réguler les migrations et à faire en sorte qu’un peu moins de douleur, de souffrance, ne règne dans ces pays et qu’un peu moins de personnes ne soient obligées de quitter leur mère patrie pour en rejoindre une autre, qui n’est pas fatalement celle qui leur accorde la meilleure part de bonheur.

Monsieur le ministre, on vous encouragera, on vous aidera et on vous soutiendra quand il le faudra ! Merci d’avoir accepté ce débat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Mme Hélène Conway-Mouret applaudit également.)

Mle président. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème « La crise migratoire : quelle gestion européenne ? ».

6

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 31 octobre 2018, à quatorze heures trente :

Désignation des vingt-neuf membres de la mission commune d’information sur les politiques publiques de prévention, de détection, d’organisation des signalements et de répression des infractions sexuelles susceptibles d’être commises par des personnes en contact avec des mineurs dans le cadre de l’exercice de leur métier ou de leurs fonctions.

Débat sur le préjudice représenté, pour les entreprises françaises, par la surtransposition du droit européen en droit interne.

Débat sur le financement de l’accompagnement médico-social des personnes handicapées.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)

Direction des comptes rendus

GISÈLE GODARD