M. Charles Revet. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, le triptyque que j’ai évoqué tout à l’heure vaut pour toutes les situations, qu’il s’agisse d’anticiper des crises ou des fragilités potentielles.
Je ne porterai pas de jugement sur la situation algérienne. J’ai reçu hier soir mon collègue algérien pour faire le point sur notre coopération économique, comme nous le faisons depuis plusieurs années. Nous entretenons des relations confiantes avec ce pays majeur pour nous.
Vous avez évoqué la Turquie et la Grèce. Il y a un accord entre l’Union européenne et la Turquie, qui accueille aujourd’hui 3,6 millions de réfugiés, en provenance essentiellement du Moyen-Orient. Cet accord doit être respecté. Pour cela, nous avons un dispositif financier : la facilité en faveur des réfugiés en Turquie. La première tranche, soit 3 milliards d’euros, a déjà été mobilisée. La deuxième tranche va l’être également ; la décision a été prise au conseil européen du mois de juin. Je reconnais qu’il y a eu un moment de flottement.
Je me suis rendu en Grèce pour évoquer les difficultés des cinq hotspots des îles grecques ; c’est plus compliqué à gérer qu’ailleurs. J’ai pu constater un niveau de saturation très préoccupant. Je pense qu’il faut apporter un soutien significatif aujourd’hui à la Grèce dans le cadre européen pour aider à la relocalisation et au « traitement » des personnes présentes dans ces hotspots, dont l’effectif dépasse largement le nombre de places disponibles, qu’il serait souhaitable de respecter.
Il peut y avoir des risques de migration entre la Turquie et la Grèce, voire directement entre les côtes syriennes et la Grèce. Il faut faire preuve de vigilance. Cela passe par le respect de la parole donnée et de nos engagements. Mais il y a eu des améliorations par rapport à la situation que vous évoquiez.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour la réplique.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, je me doute bien que la parole de la France et de l’Europe est crédible et respectée. Mais la parole de certains, autour de la Méditerranée, ne varie-t-elle pas en fonction des circonstances et de leurs intérêts ? Oui, il faut une Europe forte pour savoir négocier, discuter et planifier ! Mais il faut aussi une Europe forte pour dire à ces pays qu’un accord est un accord et doit être respecté de part et d’autre !
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, vous avez indiqué tout à l’heure que les flux migratoires irréguliers avaient baissé depuis 2015, et de manière substantielle. C’est exact.
Pour autant, les flux migratoires continuent d’arriver en Europe, et la voie nouvelle est celle de l’Espagne. Depuis deux ans, les passages par Ceuta et Melilla augmentent fortement. Très récemment, plus de 200 personnes ont mené une attaque sur la frontière établie à Ceuta, qui sépare l’Espagne du Maroc. On a cru comprendre que le gouvernement espagnol voulait modifier l’organisation de cette frontière ; des déclarations ont été faites pendant l’été.
En prenant ses fonctions, le ministre français de l’intérieur a indiqué que 50 000 personnes étaient arrivées sur le territoire espagnol depuis le début de l’année. On a un peu le sentiment que l’Espagne veut gérer ou préserver ses relations bilatérales avec le Maroc et ne souhaite pas trop voir l’Europe présente dans ses discussions et sa gestion de la migration. Mais l’Afrique de l’Ouest francophone en réalité souhaite venir sur notre territoire national ; nos policiers à la frontière franco-espagnole le savent. Il y a des passages importants.
Comment la France continue-t-elle d’exercer son influence au sein de l’Europe pour que l’Espagne ne reste pas seule dans la gestion des flux migratoires aboutissant à la frontière franco-espagnole, soit en passant par Ceuta ou Melilla, soit en débarquant directement sur les plages d’Andalousie ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, vous avez raison de souligner l’évolution des flux migratoires. À côté des voies orientale et centrale, la voie occidentale se renforce considérablement ; aujourd’hui, 43 % des flux migratoires en proviennent. C’est une nouveauté, peut-être indirectement liée au fait que les autres voies sont mieux maîtrisées. Le mouvement est très important, et nous sommes en relation étroite avec les Espagnols.
M. le ministre de l’intérieur serait sans doute plus compétent que moi pour évoquer ses discussions avec son homologue espagnol. Mais, en ce qui concerne les affaires étrangères, nous sommes en contact permanent, y compris sur la manière d’articuler nos relations avec le Maroc. L’enjeu est d’avoir un partenariat offensif avec ce pays pour l’aider à sécuriser ses propres frontières, faire en sorte que les flux migratoires en provenance d’autres pays ne perturbent pas son fonctionnement et lui permettre de disposer de l’accompagnement technique et financier nécessaire pour maîtriser les flux migratoires.
Je rencontrerai demain mon homologue marocain, en bonne articulation avec les autorités espagnoles. Le défi est plus compliqué pour cette frontière, en raison des enclaves de Ceuta et de Melilla, avec un phénomène que nous n’avions pas perçu avec autant de force s’agissant des voies orientale et centrale, à savoir le nombre de mineurs, non accompagnés et à la dérive, qui viennent par la voix espagnole.
M. Bruno Sido. Et ce sont les départements qui les récupèrent !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En effet, monsieur le sénateur ; cela relève de la responsabilité sociale des conseils départementaux.
C’est un sujet important. Les ministres français concernés par cette jeunesse particulière vont prendre des mesures face à une telle situation, qui devient indigne et dangereuse. C’est une partie de la problématique des flux migratoires passant par l’Espagne.
Je vous remercie de vos observations, monsieur le sénateur. Nous sommes face à une nouvelle donne qu’il faut maîtriser, avec beaucoup de concertation. C’est ce à quoi nous nous employons.
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour la réplique.
M. François-Noël Buffet. Monsieur le ministre, je vous remercie de vos propos. Je souhaite que l’Union européenne et, singulièrement, la France interviennent fortement auprès de l’Espagne face à une telle situation ; nous le savons, les relations hispano-marocaines sont particulières. Il est absolument nécessaire de soutenir l’Espagne dans la politique de fermeté qui a été la sienne voilà quelques années ; il semble qu’elle soit en train d’en changer… C’est un enjeu pour l’Europe, mais aussi pour la France.
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Depuis la fin de l’opération Mare Nostrum en 2014 et son remplacement par l’opération Triton de FRONTEX, l’aide humanitaire aux migrants en mer est passée au second plan, derrière la volonté de fermer les frontières.
Le sommet européen du mois de juin 2018 s’est ainsi terminé sur une décision aussi baroque qu’incroyable pour tout humaniste : désormais, les Libyens sont responsables de la recherche et du sauvetage dans les eaux comprises entre leur pays et l’Italie ! La gestion humanitaire est donc déléguée à un pays qui ne respecte pas les droits humains ; ceux qui le fuient disent préférer « mourir en mer que vivre en Libye ».
Faute de mieux, des associations ont pris le relais du sauvetage en mer depuis 2014, dont SOS Méditerranée et son navire, l’Aquarius. Ils patrouillent, dans le respect du droit maritime, sur la mer devenue cimetière pour des dizaines de milliers d’êtres humains qui fuient les guerres et les persécutions. Dernièrement encore, 2 583 disparus en 2017, et déjà 1 565 morts en 2018. Cette association a permis de sauver 15 078 personnes en mer en 2017.
Au lieu de saluer et de remercier infiniment ces bénévoles pour leur bravoure, leur héroïsme et leur générosité qui honorent l’humanité entière et mettent en pratique les valeurs de notre République, on bloque le bateau à Marseille !
Depuis hier, à vingt-trois heures cinquante-neuf, la décision du Panama, prise sous la pression des nationaux populistes européens, de retirer son pavillon à l’Aquarius entrerait définitivement en vigueur. Pouvez-vous nous le confirmer ?
Je ne méconnais pas les règles du droit maritime français, comme celle selon laquelle le bateau serait trop vieux pour que le pavillon de notre pays lui soit accordé. Mais la solution est aussi politique, au sens noble du terme. Monsieur le ministre, la France est-elle prête à accorder son pavillon à l’Aquarius ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. J’ai un désaccord de fond avec vous, monsieur Assouline : être humanitaire, ce n’est pas encourager des migrations irrégulières ! (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.) Il ne s’agit pas de dire aux migrants irréguliers d’aller voir les passeurs, qui leur permettront d’avoir un bateau en caoutchouc, en vue d’être un jour récupérés par des humanitaires, dont je respecte tout à fait les motivations ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. David Assouline. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Monsieur Assouline, je suis allé voir les camps en Libye. Le problème, ce sont les trafiquants. Vous comptez les morts en Méditerranée ? Il faut aussi compter les morts du Sahara ! Ce sont ces trafiquants que nous combattons avec l’Union africaine. Nous avons engagé des retours dans le pays d’origine de plusieurs milliers d’Africains qui étaient dans des camps gérés et dirigés par les passeurs, les mêmes qui allaient ensuite les envoyer en bordure de Méditerranée. Voilà la réalité de la situation !
Cela ne signifie pas que je condamne les associations humanitaires, y compris celle qui pilote l’Aquarius. Je dis que ce n’est pas la solution. La solution passe par le partenariat ; je l’ai évoqué tout à l’heure.
Je conçois que vous vous souciiez de l’Aquarius ; nous n’avons pas eu de demande de sa part.
M. David Assouline. Si !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Non ! Je sais qu’il y a des demandes qui ont été faites ailleurs. Vous aurez peut-être une réponse dans quelques heures pour savoir quel pays veut bien accorder son pavillon à l’Aquarius.
Pour nous, il y a des règles. Les règles du pavillon bis, c’est un certain nombre de dispositions sur les équipages et la structure du bateau. Cela fait partie des règles de sécurité que nous imposons à notre propre pavillon. Pour l’instant, à ma connaissance, il n’y a pas eu de demande de l’Aquarius. Et s’il y en avait une, il faudrait respecter ces règles.
Il serait tout de même stupéfiant, monsieur Assouline, que les règles de sécurité que nous imposons à nos flottes fassent l’objet d’une dérogation, précisément pour une action sécuritaire ! Ce serait une contradiction totale !
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. Roger Karoutchi. Pourquoi ? Il a déjà utilisé tout son temps de parole !
M. David Assouline. Je suis dans mon droit ! (M. Roger Karoutchi le conteste.) Ce n’est pas vous qui présidez, monsieur Karoutchi !
M. le président. M. David Assouline dispose de trente secondes !
M. Roger Karoutchi. Par dérogation !
M. le président. Un peu de calme, je vous prie, monsieur Karoutchi.
Veuillez poursuivre, monsieur Assouline, pour trente secondes.
M. David Assouline. Monsieur le ministre, je suis très déçu. Dans la première partie de votre réponse, vous me faites dire ce que je n’ai pas dit, comme si j’étais contre toute règle ou partisan de laisser les trafiquants agir à leur guise ! Ce n’est pas ma question !
L’aide humanitaire en mer a été confiée aux Libyens, qui ne respectent pas les principes fondamentaux de l’Union européenne en matière de droits de l’homme. Et on dit à un tel pays qu’il a la charge de récupérer des réfugiés qui le fuient précisément parce qu’il ne respecte pas les droits humains ?... (Vives marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Assouline. (M. David Assouline se rassied.)
M. Jean-Marie Bockel. C’est vrai que cela nous aurait manqué de ne pas entendre cela… (Sourires sur les travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère. La politique migratoire nécessite une vision d’ensemble : le traitement de la situation dans les pays d’origine, dans les pays de transfert, la gestion des frontières au sein de l’espace Schengen, Dublin III, la question des centres dits « contrôlés » ou des plateformes de débarquement, la gestion des demandes d’asile, les mesures d’éloignement pour les personnes ayant une réponse négative ou l’intégration pour ceux qui méritent protection… autant de sujets qu’il est peu crédible de traiter en deux minutes.
Ma question se concentrera donc sur le droit d’asile et la nécessité d’éviter les mouvements dits « secondaires ».
Pourquoi y a-t-il de telles difficultés pour harmoniser le traitement du droit d’asile en Europe tant sur la forme que sur le fond ? Je ne méconnais pas les difficultés de négociations à vingt-huit, même si, à ma connaissance, il faut une majorité qualifiée sur le droit d’asile. Mais pourquoi notre pays n’arrive-t-il pas à trouver des accords bilatéraux, plus faciles à négocier, de reconnaissance mutuelle, par exemple avec l’Allemagne ou les pays du Benelux ? (M. Jean-Marie Bockel applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur, l’un n’empêche pas l’autre ! Nous sommes aujourd’hui en discussion avec l’Allemagne pour que nous soyons complètement harmonisés dans nos procédures, indépendamment de l’action que nous menons ensemble pour aboutir à un résultat le plus rapide possible sur la modification du règlement de Dublin.
Simplement, avec l’Allemagne, il y a une différence que nous devons essayer de lever. Alors que, chez nous, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, est indépendant, en Allemagne, c’est le ministère de l’intérieur qui traite le droit d’asile. Cela limite les possibilités d’harmonisation complète de la gestion des demandes d’asile.
Mais notre objectif est de parvenir à aligner les transpositions entre Berlin et Paris sur l’asile, comme sur l’ensemble des problématiques européennes relatives à l’immigration. Cela contribuera au rapprochement de nos systèmes juridiques. Nous avons une occasion d’avancer sur ce dossier.
L’harmonisation des procédures d’asile fait partie des propositions qu’a formulées le Président de la République, lorsqu’il a plaidé pour un office européen de l’asile. Cela avance, parce qu’il est moralement inacceptable que les chances d’obtenir une protection soient sensiblement différentes selon l’endroit où l’on se trouve en Europe. Cela conduit aux mouvements secondaires que vous avez identifiés, monsieur le sénateur, et qui sont difficilement gérables. Voilà qui explique la difficulté du processus et celle d’aboutir à un résultat rapidement.
Reste qu’il ne faut pas désespérer. Comme je le disais, nous sommes déterminés et optimistes sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour la réplique.
M. Philippe Bonnecarrère. L’un n’empêche pas l’autre, monsieur le ministre ! (Sourires.)
Je suis très sensible à cette réponse et souhaite que ces négociations puissent aller à leur terme, ne serait-ce que pour être certain que nous n’aurons pas de difficultés constitutionnelles soit du côté français, soit du côté allemand, point sur lequel j’ai encore un doute.
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le ministre, depuis notre dernier débat sur la question migratoire, le 9 mai dernier, et deux Conseils européens plus tard, force est de constater qu’une gestion européenne de la crise migratoire peine à se mettre en place.
Certes, les discours expriment une prise de conscience. Une approche globale des migrations, incluant les contrôles aux frontières extérieures de l’Union européenne et une coopération avec les pays d’origine et de transit, ainsi qu’une nécessaire solidarité entre les États membres dans la prise en charge des flux constituent les bases d’une politique migratoire européenne intéressante et efficace.
Tous les États membres s’accordent aujourd’hui sur la nécessité d’agir en amont, en faisant d’abord porter l’effort sur la lutte contre les passeurs opérant en particulier à partir de la Libye, afin de décourager les trafics et d’éviter les voyages périlleux entrepris par les clandestins.
Or les activités illicites de l’Aquarius – chacun comprendra ici que je ne partage pas la position de David Assouline –,…
M. Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères. Ah !
M. Dominique de Legge. … dont les sauvetages médiatisés surfent sur l’émotion,…
M. David Assouline. Quelle honte ! Ce sont 15 000 personnes qui sont mortes !
M. Dominique de Legge. … illustrent bien notre impuissance. Naviguant au plus près des côtes libyennes, ce bateau sans pavillon suscite les départs, jouant ainsi le jeu des passeurs, et met paradoxalement en péril la vie de malheureux, dont, rappelons-le, plus de 730 ont déjà péri en mer cette année.
Aussi ma question porte-t-elle sur la pénalisation de ces filières clandestines hors-la-loi et sur leur éradication. Au-delà même de la politique européenne, l’article 3 du protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée est entré en vigueur en 2004, c’est-à-dire il y a plus de quatorze ans. Des investigations permettent-elles aujourd’hui de connaître l’origine du financement de ces filières et de déférer les coupables à la justice ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Dominique de Legge, il y a plusieurs questions dans vos observations.
La lutte contre les passeurs est une nécessité absolue. On n’en parle pas assez, parce que cela n’attire pas automatiquement les médias, mais c’est essentiel, en Libye comme pour tous les flux, en particulier dans le Sahel. Il faut lutter contre les passeurs qui provoquent des embarquements, mais aussi contre les passeurs qui font des accompagnements à travers le Sahara.
M. Philippe Bonnecarrère. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J’ai évoqué dans mon propos inaugural l’initiative que nous avons prise au Niger. À Agadez, nous essayons d’identifier les passeurs du Sahara, car beaucoup de ceux qui ont traversé le désert sont morts sans pouvoir atteindre la Libye.
Cette action que nous menons a constitué une grande première : sur notre initiative, le comité des sanctions du Conseil de sécurité des Nations unies a identifié six passeurs, contre lesquels nous menons une véritable guerre, avec les moyens que cela implique, y compris des dispositifs d’intervention des services de renseignement, et qui font maintenant l’objet d’une pénalisation internationale. Nous devons avoir un régime de sanctions transversales à l’échelon européen, je l’ai déjà évoqué.
Monsieur le sénateur, je ne partage pas votre avis sur les ONG, pas plus que celui de M. Assouline ; il ne s’agit pas pour autant d’une position médiane. Je ne pense pas qu’il faille pénaliser les ONG en les assimilant à des organisations mafieuses ; je n’ai jamais dit cela et ce n’est pas du tout mon propos.
M. Dominique de Legge. Ce n’est pas non plus ce que j’ai dit !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En revanche, je tiens à dire qu’elles doivent respecter le droit de la mer.
M. David Assouline. Oui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Or, monsieur Assouline, le dispositif SAR, Search And Rescue, convention internationale qui date de 1979 et est antérieure à la convention de Montego Bay, définit le droit en matière de sauvetage. Dans les zones identifiées dans le cadre de cette convention, les zones de gestion disposent toutes d’un centre de coordination et de recherche opérationnelle. Il y en a un à Tripoli. C’est pourquoi la Libye doit assumer ses responsabilités et les bateaux qui circulent dans la zone concernée doivent répondre aux ordres de ce centre. Cela fait partie du droit de la mer, auquel nous sommes extrêmement attachés.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. En revanche, quand une association ou une ONG ne respecte pas le droit de la mer, il faut la poursuivre. C’est ce qui s’est passé pour le capitaine du Lifeline, qui est accusé par les autorités de Malte, où existe également une zone de contrôle, d’avoir agi contre les lois internationales et ignoré les directives des autorités. Le droit de la mer s’applique à tout le monde.
M. David Assouline. Et le droit humanitaire ?
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge, pour la réplique.
M. Dominique de Legge. Une fois n’est pas coutume, comme le ministre a dépassé son temps de parole, je lui offre bien volontiers les quelques minutes qui me restaient.
M. David Assouline. Alors qu’à moi, vous avez voulu les enlever !
M. le président. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Monsieur le ministre, si les sommets européens se succèdent, les pays européens sont jusqu’à présent restés incapables d’adopter une position commune face aux flux migratoires. Pourtant, l’immigration devrait être synonyme d’opportunités et de défis à relever pour l’Europe.
Depuis le début de cette crise, les négociations butent sur le niveau de solidarité que les uns et les autres sont prêts à mettre en œuvre à l’égard des réfugiés entrés sur le territoire européen.
Ainsi, la crise des migrants a mis en lumière les faiblesses du système d’asile européen. Pis, le poison du nationalisme se propage insidieusement dans l’Union européenne. De plus en plus, les partis hostiles à l’immigration gagnent du terrain et sèment la confusion.
Cependant, le phénomène de migration n’est pas nouveau : ce qui l’est, c’est l’écho des mouvements nationaux populistes qui agitent les peurs. En Europe, ce sont « 50 nuances de brun », selon la ministre chargée des affaires européennes.
Ces dernières années, la France a dû faire face à l’arrivée de plusieurs centaines de milliers de migrants. Notre pays a fait de son mieux pour donner des conditions de vie décentes à ces personnes et il faut remercier particulièrement tous les maires et les associations qui ont répondu présent à l’appel des pouvoirs publics.
Je tiens à saluer l’Agence du service civique, qui a établi un programme permettant à au moins mille jeunes volontaires d’effectuer un service civique sur l’accompagnement des réfugiés, en complément de l’action des travailleurs sociaux, soit auprès d’une collectivité engagée dans l’accueil de réfugiés, soit auprès d’associations spécialisées et d’établissements publics. Il est, en effet, apparu nécessaire d’accompagner les réfugiés dès leur arrivée sur notre territoire et indispensable de les aider dans leurs démarches administratives.
Monsieur le ministre, les besoins sont immenses et, afin de remplir notre mission d’accueil et de solidarité, il importe de compléter le dispositif existant, avec un système d’asile plus juste, plus simple et plus efficace : quelles solutions et quels moyens proposez-vous pour accélérer la prise en charge des dossiers des migrants ? Comment l’Europe peut-elle y participer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des affaires étrangères. Monsieur le sénateur Jacques-Bernard Magner, je commencerai par une observation un peu politique, mais je ne voudrais pas que vous la preniez de manière agressive. Vous avez tenu deux propos qui me paraissent contradictoires : l’Europe n’a pas avancé, d’une part ; il faut se méfier de ceux qui agitent les peurs, d’autre part. Plus on répète que l’Europe n’a pas avancé, alors que ce n’est pas vrai, plus on aide ceux qui agitent les peurs.
En réalité, les choses ont avancé sur l’ensemble du paquet lié aux migrations ; ce qui bloque, c’est uniquement la modification du règlement de Dublin. Je pense au projet de renforcement du bureau européen d’appui en matière d’asile, qui n’est pas véritablement une agence – si c’était le cas, il faudrait en harmoniser totalement les règles – : les travaux préparatoires sont terminés et le projet va s’appliquer. Il en est de même du règlement Eurodac et des directives Qualification, Réinstallation et Accueil.
Par conséquent, de nombreux progrès ont été accomplis. Il faut le dire, tout en restant exigeant sur le reste. Autrement, M. Salvini pourra dire que cela n’avance pas et qu’il faut agir seul. Or ce n’est pas la logique que nous défendons.
Sur le droit d’asile, je partage votre sentiment, monsieur le sénateur : la rapidité du traitement est essentielle. C’est la raison pour laquelle les moyens de l’OFPRA ont été considérablement renforcés : l’office a vu ses moyens doubler depuis 2013 pour permettre un raccourcissement des délais, ceux-ci passant, ces dix-huit derniers mois, de huit mois à cent jours. Il est tout à fait essentiel que cela aille vite.
La création de centres « contrôlés » a aussi pour but de permettre aux offices de migration de remplir leurs missions et d’accélérer le dispositif. La maîtrise des délais est aussi une condition du respect du droit d’asile.
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin.
M. Jean-François Rapin. Monsieur le ministre, le 3 octobre dernier, Theresa May annonçait avoir présenté un projet de loi visant à mettre fin à la libre circulation des Européens au Royaume-Uni, s’engageant résolument vers une immigration choisie. Qu’en est-il des migrants non européens ?
À titre de rappel, Theresa May s’était engagée, dans le programme présenté pour les élections législatives de 2017, à réduire le solde migratoire à moins de 100 000 personnes par an, contre 273 000 en 2016.
Cette annonce alimente la question des négociations entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur la gestion de la crise migratoire dans le cadre du Brexit. Par ailleurs, elle fait écho à la question de la frontière territoriale entre le continent et le Royaume-Uni, qui représente un coût non négligeable pour les parties prenantes, notamment pour la région des Hauts-de-France.
Aujourd’hui, nous sommes toujours en attente d’un accord sur le Brexit, avec le risque d’une absence d’accord qui s’accroît chaque jour.
Parallèlement, récemment, nos forces de l’ordre ont de nouveau été contraintes de démanteler le camp de Grande-Synthe, afin d’enrayer les réseaux de passeurs qui organisent illégalement des traversées de migrants vers le Royaume-Uni.
Je vous rappelle que, au mois de janvier dernier, Emmanuel Macron, en visite à Calais, a annoncé que les intérêts de la région seraient pleinement pris en considération dans le cadre des discussions et des négociations que la France mènera.
Dans une interview accordée la semaine dernière sur la question du Brexit, Mme Loiseau déclarait que tout avait été exploré d’un point de vue technique. Néanmoins, elle ajoutait, s’agissant des consultations citoyennes sur l’Europe, que le sujet des migrations n’était pas au cœur des préoccupations des Français. Permettez-moi d’être sceptique quant à l’avis des habitants des Hauts-de-France sur le sujet.
Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous assurer une fois encore, même si vous avez répondu partiellement à cette question au cours du débat, que les négociations portant sur le Brexit intègrent le volet sur la gestion de la crise migratoire entre la France et l’Angleterre ? Quelle est votre position sur les accords du Touquet ?
Pouvez-vous nous détailler les mesures concrètes qui sont actuellement évoquées et sur lesquelles la France se fait entendre, concernant cette gestion de la crise migratoire ?