M. le président. L’amendement n° 238, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 1 et 2
Rédiger ainsi ces alinéas :
I. – Après l’article 80-4 du code de procédure pénale, il est inséré un article 80-5 ainsi rédigé :
« Art. 80-5. – Lorsqu’il requiert l’ouverture d’une information, le procureur de la République peut, si la recherche de la manifestation de la vérité nécessite que les investigations en cours ne fassent l’objet d’aucune interruption, autoriser les officiers et agents de police judiciaire des services ou unités de police judiciaire qui étaient chargés de l’enquête à poursuivre les opérations prévues aux articles 60-4, 77-1-4, 230-32 à 230-35, 706-80, 706-81, 706-95-1, 706-95-4, 706-96 et 706-102-1 pendant une durée ne pouvant ni dépasser de plus de quarante-huit heures le terme légal autorisé dans le cadre de l’enquête ni excéder une semaine à compter de la délivrance du réquisitoire introductif. Cette autorisation fait l’objet d’une décision écrite, spéciale et motivée, qui mentionne les actes dont la poursuite a été autorisée.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, cet amendement vise à rétablir la possibilité, qui a été supprimée par votre commission des lois, de poursuivre certains actes d’enquête, tels que les interceptions, les géolocalisations, les techniques spéciales d’enquête en cas d’ouverture d’une information pour toute infraction punie d’au moins trois ans d’emprisonnement. Un tel « sas » ne doit pas être limité à la seule délinquance et criminalité organisée, comme le souhaite la commission des lois.
En effet, ce sas, cette période, se justifie, non pas en raison de la nature de l’infraction, mais, au contraire, au regard de la nécessité d’éviter une discontinuité dans le déroulement des investigations. En cas d’ouverture d’une information, ce sas permet ainsi d’assurer la poursuite sans interruption de l’interception téléphonique, de la géolocalisation, de la sonorisation ou de toute autre technique spéciale d’enquête.
Mesdames, messieurs les sénateurs, imaginons une enquête qui serait ouverte à la suite de la soustraction d’un enfant par un parent, qui aurait donné lieu à une écoute autorisée par le juge des libertés et de la détention. Au bout d’un mois d’enquête infructueuse, il serait décidé d’ouvrir une information judiciaire : faut-il permettre que l’écoute lancée au moment de l’enquête cesse le temps que l’information soit ouverte avant que cette même écoute soit de nouveau ordonnée par le juge d’instruction ? Il y a là une discontinuité qui ne nous paraît pas utile et qui semble préjudiciable aux informations recueillies.
Le mécanisme que je vous propose ne porte en rien atteinte aux prérogatives du juge d’instruction, puisque celui-ci pourra à tout moment décider de mettre fin aux mesures en cours. Il me semble donc que le sas est particulièrement utile et doit être rétabli.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. L’amendement du Gouvernement vise à remettre en cause le texte de la commission des lois. Par conséquent, nous y sommes défavorables.
Je rappelle que le Gouvernement considère qu’une telle disposition, qui permet de prolonger des techniques spéciales d’enquête ou des interceptions sans contrôle du juge du siège, est une mesure de simplification du travail du juge d’instruction, qui ne sera pas obligé de prononcer ces mesures en urgence.
Néanmoins, si ces mesures sont urgentes et nécessaires, il semble tout de même logique que le magistrat chargé de l’enquête, à savoir le juge instruction, les prononce. Nous pensons que l’extension au droit commun d’un dispositif qui était jusqu’à ce jour réservé au terrorisme peut, à certains égards, risquer de porter atteinte aux libertés individuelles. C’est la raison pour laquelle la commission des lois a mis en place le dispositif que comporte son texte.
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Pardonnez-moi, monsieur le rapporteur, mais je ne vois pas en quoi l’amendement pourrait porter atteinte aux libertés individuelles. Il s’agit d’une simple question de discontinuité : le juge d’instruction, à tout moment, au moment même où il est saisi, peut décider d’arrêter ces mécanismes d’interception ou d’écoute. Il s’agit là d’une mesure de bon sens qui permet d’éviter la discontinuité, la rupture entre deux périodes juridiquement distinctes. Je trouve dommage de s’en priver.
M. le président. La parole est à M. le corapporteur.
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Je veux juste préciser à la Haute Assemblée que, en matière de terrorisme, cette possibilité est prévue pour une durée de quarante-huit heures alors que, dans le cas qui nous importe, ce serait pour une semaine. Voilà la différence !
M. le président. L’amendement n° 151, présenté par MM. J. Bigot et Sueur, Mme de la Gontrie, MM. Kanner, Durain, Leconte, Kerrouche, Fichet et Houllegatte, Mmes Préville, Meunier, Lubin, Jasmin et Blondin, MM. Jeansannetas, Cabanel et Montaugé, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 5 à 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Le cantonnement du droit à se constituer partie civile prévu par l’article 34 du projet de loi est non seulement superflu, mais constitue aussi une mesure déshumanisante et incompréhensible pour la victime qui se voit limitée dans l’accès au juge pénal.
Aujourd’hui, en toute hypothèse, il est possible de déposer plainte avec constitution de partie civile, même sans avoir exercé de recours hiérarchique auprès du procureur général, contre la décision de classement sans suite prise par le procureur de la République.
En outre, le juge d’instruction est tenu d’instruire une plainte avec constitution de partie civile, alors même que la totalité des investigations utiles à la manifestation de la vérité a déjà été réalisée par le parquet et que la partie civile aurait pu directement citer le prévenu devant un tribunal correctionnel.
Or l’article 34 du projet de loi durcit considérablement les conditions d’exercice de la plainte avec constitution de partie civile dans les dossiers correctionnels en portant de trois à six mois le délai permettant au procureur de la République de répondre à une plainte simple avant que la victime ne puisse saisir le juge, et en ouvrant la possibilité au juge d’instruction de refuser l’ouverture d’une information judiciaire, lorsque celle-ci est inutile et qu’une citation directe de la victime est possible.
Cependant, une condition prévue initialement a disparu depuis l’examen du texte en commission : l’exigence d’un recours hiérarchique devant le procureur général en cas de classement sans suite. Cette condition a été supprimée par la commission des lois et le Gouvernement a pris l’engagement de ne pas remettre en cause cette suppression.
Il ne paraît pas déraisonnable de vouloir lutter contre les abus en matière de constitution de partie civile lorsque celle-ci paraît disproportionnée par rapport à l’intérêt public qu’elle représente, mais le droit en vigueur prévoit déjà des conditions strictes, directement inspirées par la volonté de réduire la charge occasionnée par certaines plaintes peu sérieuses.
Une telle mesure est sans fondement et doit être rejetée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. La commission est défavorable à la suppression de l’allongement du délai de trois à six mois pour les plaintes avec constitution de partie civile.
Sincèrement, nous ne pouvons pas nier qu’il y a eu des abus en matière de constitution de partie civile. Il faut rappeler que les deux tiers des instructions ouvertes sur constitution de partie civile et clôturées en 2016 l’ont été par un non-lieu. Ce n’est quand même pas négligeable.
L’allongement de trois à six mois du délai, qui permettra au procureur de la République de répondre à une plainte simple avant que la victime ne puisse saisir le juge, ne semble pas excessif à la commission des lois.
De même, l’ordonnance de non-lieu à informer nous paraît utile en cas de mesures alternatives aux poursuites qui ne conviennent pas aux victimes.
Enfin, je rappelle que le texte de la commission a supprimé le recours préalable devant le procureur général.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Même avis défavorable. Là encore, le Gouvernement a repris ce que nous proposait la commission des lois en supprimant l’avis du procureur général.
M. le président. Je mets aux voix l’article 34.
(L’article 34 est adopté.)
Article additionnel après l’article 34
M. le président. L’amendement n° 71 rectifié, présenté par MM. Reichardt, Henno, Daubresse et Pellevat, Mme N. Goulet, MM. Longeot, Charon et Lefèvre, Mmes Lassarade et Billon, MM. Kern, Bazin et Mandelli, Mme M. Mercier, MM. Kennel et Milon, Mmes Deromedi et Gruny, MM. Grand, Huré, Courtial et Moga, Mme Imbert, MM. Laménie et Sido, Mmes A.M. Bertrand et Lamure et M. Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 34
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 802 du code de procédure pénale est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le grief ne peut pas être présumé et doit être démontré, en fait et en droit, par la partie qui l’invoque. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Cet amendement a pour objet de redonner son sens et son efficacité au principe selon lequel il n’y a pas de nullité sans grief.
Comme vous le savez, en principe, une juridiction ne peut prononcer la nullité que lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. Mais, par une construction jurisprudentielle contra legem, la Cour de cassation a établi de très nombreuses présomptions de grief. Elle considère ainsi que tout manquement à la règle de droit est, en lui-même, une cause de nullité de la procédure.
Cette jurisprudence mérite à mon sens d’être infléchie en ce qu’elle va à l’encontre de l’esprit de la loi, qu’elle contredit l’objectif d’efficacité des procédures et qu’elle heurte le bon sens, avec parfois des remises en liberté de détenus totalement incompréhensibles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, corapporteur. Il faut bien admettre que la question des nullités procédurales a donné lieu à une jurisprudence extrêmement abondante de la Cour de cassation qui, si elle s’avère particulièrement complexe, est aussi une garantie contre tous les abus de pouvoir.
La jurisprudence établie par la Cour répond notamment aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme – c’est une chose –, et ne semble pas appeler aujourd’hui de modifications législatives particulières. Je rappelle que, aux termes des dispositions de l’article 802 du code de procédure pénale, il y a nullité seulement lorsque celle-ci a eu pour effet de porter atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne.
Ce point est important. L’obligation d’une démonstration systématique de toutes les nullités, même les plus évidentes, qui devrait en principe être relevée de plein droit par les juridictions de jugement, entraînerait des débats évidemment extrêmement fastidieux et un affaiblissement des garanties du justiciable.
Imagine-t-on devoir démontrer la nullité d’une interception non autorisée par un juge ? Imagine-t-on devoir démontrer la nullité d’une autorisation de perquisition signée sept jours après la perquisition ? Naturellement, la réponse est non. C’est la raison pour laquelle la commission des lois émet un avis défavorable sur l’amendement n° 71 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Comme vient de le rappeler le rapporteur, cet amendement vise à préciser que le grief porté aux intérêts des parties et exigé en matière de nullité doit toujours être démontré et qu’il ne peut être présumé.
L’objet de cet amendement est de contrecarrer la jurisprudence de la Cour de cassation, qui aurait établi de très nombreuses présomptions de grief. En réalité, il ne semble pas que cette modification changera l’état du droit, dès lors que la Cour de cassation ne pose pas de présomption de grief contra legem, mais constate que la violation de certaines formalités porte atteinte aux droits de la défense.
De plus, si le Gouvernement entend effectivement simplifier la procédure pénale pour supprimer des formalismes inutiles, susceptibles d’entraîner actuellement des nullités, il ne souhaite pas envoyer comme message aux praticiens, notamment aux enquêteurs, que le non-respect des règles de procédure n’aurait plus de conséquences sur la régularité de celle-ci.
Ce serait en effet une forme d’incitation à ne plus respecter la loi et nous ne voulons pas aller dans ce sens-là. C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Mes chers collègues, nous avons examiné 99 amendements au cours de la journée ; il en reste 150.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
6
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 11 octobre 2018, à dix heures trente :
Deux conventions internationales examinées selon la procédure d’examen simplifié :
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation du protocole entre le Gouvernement de la République française et le Conseil des ministres de Bosnie-Herzégovine portant sur l’application de l’accord du 18 septembre 2007 entre la Communauté européenne et la Bosnie-Herzégovine concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier (n° 615, 2017-2018) ;
Rapport de M. Jean-Noël Guérini, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 4, 2018-2019) ;
Texte de la commission (n° 5, 2018-2019).
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’adhésion au protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté à New York le 31 mai 2001 (n° 645, 2017-2018) ;
Rapport de M. Olivier Cadic, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 6, 2018-2019).
Texte de la commission (n° 7, 2018-2019).
- Suite du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (procédure accélérée) (n° 463, 2017-2018) et projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (procédure accélérée) (n° 462, 2017-2018) ;
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze :
Suite du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (procédure accélérée) (n° 463, 2017-2018) et projet de loi organique relatif au renforcement de l’organisation des juridictions (procédure accélérée) (n° 462, 2017-2018).
Rapport n° 11 (2018-2019) de MM. François-Noël Buffet et Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois ;
Textes de la commission (nos 12 et 13, 2018-2019).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
nomination de membres de commissions spéciales
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai prévu d’une heure par l’article 8 du règlement, les listes des candidatures préalablement publiées sont ratifiées.
Commission spéciale sur le projet de loi portant suppression des surtranspositions des directives en droit français
M. Pascal Allizard, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Joël Bigot, Jean Bizet, Yves Bouloux, Henri Cabanel, Olivier Cadic, Mme Marta de Cidrac, MM. René Danesi, Jean-Pierre Decool, Mme Catherine di Folco, MM. Daniel Dubois, André Gattolin, Guillaume Gontard, Daniel Gremillet, Mmes Véronique Guillotin, Laurence Harribey, Corinne Imbert, M. Guy‑Dominique Kennel, Mme Élisabeth Lamure, MM. Jean-Pierre Leleux, Didier Mandelli, Didier Marie, Franck Menonville, Jean-Marie Mizzon, Franck Montaugé, Pierre Ouzoulias, Cyril Pellevat, Mme Angèle Préville, M. Jean-Paul Prince, Mme Sonia de La Provôté, MM. André Reichardt, Alain Richard, Mme Sylvie Robert, M. Rachid Temal et Mme Catherine Troendlé.
Commission spéciale sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne
M. Jean Bizet, Mme Maryvonne Blondin, MM. Éric Bocquet, François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mme Agnès Canayer, MM. Gilbert-Luc Devinaz, Laurent Duplomb, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Gattolin, Charles Guené, Jean-Noël Guérini, Olivier Henno, Jean-Michel Houllegatte, Benoît Huré, Mmes Gisèle Jourda, Fabienne Keller, M. Claude Kern, Mme Françoise Laborde, MM. Pierre Laurent, Ronan Le Gleut, Mmes Claudine Lepage, Anne-Catherine Loisier, MM. Didier Marie, Jean Louis Masson, Pierre Médevielle, Mme Colette Mélot, MM. Philippe Nachbar, Louis-Jean de Nicolaÿ, Olivier Paccaud, Ladislas Poniatowski, Jean-François Rapin, Hugues Saury, Bruno Sido, Simon Sutour, Jean-Marc Todeschini et Richard Yung.
Commission spéciale sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises
M. Philippe Adnot, Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Viviane Artigalas, MM. Serge Babary, Arnaud Bazin, Martial Bourquin, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Emmanuel Capus, Mme Anne Chain-Larché, MM. Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Jérôme Durain, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, Catherine Fournier, MM. Jean-Marc Gabouty, Fabien Gay, Jacques Genest, Mme Pascale Gruny, MM. Jean-Raymond Hugonet, Jean-François Husson, Bernard Lalande, Mmes Élisabeth Lamure, Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Georges Patient, Mme Sophie Primas, M. Vincent Segouin, Mme Nelly Tocqueville, MM. Jean-Louis Tourenne, Michel Vaspart, Jean Pierre Vogel et Richard Yung.
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD