M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Rambaud, vous avez tout à fait raison d’évoquer l’acceptabilité des énergies renouvelables. D’ailleurs, cette question se pose pour toute forme d’énergie : personne n’a jamais vu d’un bon œil des centrales thermiques ou des pylônes fleurir à côté de son lieu d’habitation. Il en va de même des centrales nucléaires.
Cette question se pose donc partout. Pour ce qui concerne, plus particulièrement, les énergies renouvelables, on a beaucoup progressé, notamment parce que les procédures sont devenues très transparentes. J’ajoute que, dans le même temps, elles sont devenues très longues, et qu’il a fallu revenir au sens des réalités pour que les investissements puissent se concrétiser dans des conditions correctes. Mais l’information du public reste très large, et aujourd’hui tout le monde y participe – les collectivités territoriales, les agences de l’État, dont l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, etc.
De nombreux outils permettent que tout soit clair en la matière, et, beaucoup en sont convaincus, les énergies renouvelables sont une chance pour le développement local : elles ont l’avantage de concerner l’ensemble du territoire. Comme je le dis souvent, ce sont des énergies made in France. Utilisons et valorisons les potentiels du territoire français, que ce soit dans l’Hexagone ou en outre-mer !
J’en viens à la méthanisation, ou, comme on l’appelle parfois, au biogaz. Cette voie doit être développée. Dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, nous avons d’ailleurs fixé comme objectif que ce biogaz représente 10 % du gaz produit.
Il faut le reconnaître, aujourd’hui, les coûts de production du biogaz sont plus élevés que les prix du marché. Cette énergie fait donc l’objet d’un soutien. Sans doute faut-il favoriser les filières reposant sur des circuits courts, entre la ressource – déchets agricoles, déchets urbains et, plus généralement, décrets collectés par les collectivités locales – et son utilisation. Ces circuits doivent être les plus courts possible, notamment pour les véhicules et, en particulier, pour les bus ; c’est déjà le cas dans beaucoup de réseaux de transports urbains qui ont adopté les bus roulant au gaz et qui, dès lors, ont besoin d’une ressource mobilisable localement.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. La programmation pluriannuelle de l’énergie, ou PPE, dont nous aurons à débattre, s’inscrit dans un contexte de déréglementation accélérée des secteurs de l’énergie, des transports et des systèmes productifs qui limite considérablement les leviers d’actions des pouvoirs publics ; et les propositions législatives européennes en préparation viendront encore réduire la marge de manœuvre des États. Ces derniers devront abandonner une partie de leurs prérogatives au moment même où le pilotage national semble le plus opportun.
En effet, alors que le renouveau de notre mix énergétique et le déploiement des énergies renouvelables sont des priorités aujourd’hui incontestables, le mouvement de déstructuration du secteur énergétique français se poursuit, sous l’impulsion européenne, certes, mais aussi par un entêtement à ne pas voir que la concurrence libre et non faussée ne peut être appliquée en matière énergétique.
Nous l’avons maintes fois répété : l’énergie est non pas une marchandise, mais un bien commun de l’humanité.
La privatisation de Total, le bradage de l’entreprise stratégique Alstom Énergie à General Electric, la séparation de GDF et d’EDF, le découpage d’EDF en plusieurs entités et la volonté de privatisation de l’hydroélectricité ont fragilisé le secteur énergétique français et ne permettent pas un développement cohérent des énergies renouvelables, ou ENR.
Les ENR ne peuvent continuer à apparaître comme des niches profitables à des acteurs privés aidés par des subventions et par des garanties de prix de rachat payées surtout par les ménages. Cela étant, une maîtrise publique est nécessaire pour assurer la cohérence de leur développement et leur acceptation sociale, car la transition énergétique ne se fera qu’avec les citoyens.
Il convient également d’investir massivement dans la recherche, pour trouver des solutions aux questions de consommation, de transport et de stockage, car l’énergie de demain signera – nous l’espérons – la fin des combustibles fossiles.
Dès lors, monsieur le ministre d’État, quels moyens seront mis en place afin de permettre un développement des ENR qui assure non seulement de véritables filières industrielles, pourvoyeuses d’emplois durables, des garanties collectives de haut niveau, mais aussi un prix de l’énergie accessible à toutes et tous ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Martine Filleul applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Gay, la question que vous soulevez est presque idéologique (M. Fabien Gay s’exclame.), et c’est tout à fait respectable : le débat idéologique fait partie du débat politique.
En l’occurrence, deux approches se font face.
Selon vous, mieux vaut un secteur étatisé, où règne le monopole, plutôt qu’un secteur présentant une diversité d’acteurs, y compris des acteurs privés – même si, en France, l’acteur public en matière d’énergie, à savoir EDF, domine encore très largement le marché : il contrôle 85 % du marché de l’électricité.
Vous l’avez compris, cette idéologie étatique et monopolistique n’est pas la mienne. Je fais le constat pragmatique que, dans le secteur de l’énergie comme dans d’autres domaines, la diversité des acteurs, donc une forme de concurrence, est bénéfique. Elle encourage, par de nouvelles technologies, de nouvelles pratiques et de nouveaux services, à maîtriser les consommations : on ne peut pas dire que l’opérateur historique ait beaucoup incité les Français à maîtriser leur consommation – c’est même un peu l’inverse… Bref, cette diversité permet d’avoir un secteur de l’énergie dynamique.
Cela signifie-t-il que l’on abandonne la programmation et le pilotage politique ? Sûrement pas ! J’ai fait référence à la loi relative à transition énergétique pour la croissance verte, votée en 2015 : c’était alors la première fois que le Parlement français examinait, puis adoptait un texte fixant clairement la stratégie en matière d’énergie.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. François de Rugy, ministre d’État. Ensuite, nous voulons mobiliser les investisseurs privés. À nos yeux, il est absolument nécessaire de procéder ainsi pour développer de nouvelles formes d’énergie.
De même – nous y reviendrons –, nous aurons à traiter de la situation d’EDF qui, compte tenu notamment de l’endettement de l’opérateur, est assez préoccupante.
En la matière, les collectivités territoriales doivent être mobilisées – beaucoup le sont déjà –, ainsi que les citoyens. Vous le savez, dans le domaine des énergies renouvelables, des coopératives de citoyens existent. En Allemagne, c’est même la moitié du secteur éolien qui est géré par des coopératives citoyennes. Ces structures doivent se développer en France.
Enfin, au sujet du made in France, j’évoquai les filières industrielles : aujourd’hui, notre filière éolienne est forte, et il faut absolument la développer.
Mme Cécile Cukierman. Et le nucléaire ?
M. François de Rugy, ministre d’État. Elle exporte chez nos voisins. Je pense en particulier à une usine, située près de Saint-Nazaire, qui exporte 100 % de sa production d’énergie éolienne.
Mme Cécile Cukierman. Heureusement qu’il y a l’opérateur historique pour lutter contre la précarité énergétique !
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.
M. Fabien Gay. Monsieur le ministre d’État, c’est tout de même cocasse : quand nous parlons, nous sommes toujours empreints d’idéologie ; mais, quand vous parlez, vous n’êtes jamais empreint de l’idéologie libérale (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.), qui – votre prédécesseur l’a dit – est contraire à la transition écologique elle-même.
Nous débattrons des acteurs privés, notamment d’Engie, lors de l’examen du projet de loi PACTE et de la PPE. En effet, que s’est-il passé depuis que l’on a déréglementé le secteur du gaz ? Les consommateurs ont connu une dégradation du service – le prix du gaz a augmenté de 70 % –, les salariés ont subi une dégradation de leurs conditions de travail, et, en revanche, on a vu exploser le montant des dividendes versés aux actionnaires… Si c’est de l’idéologie, ce n’est pas la nôtre !
Mme Cécile Cukierman. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre d’État, face au dérèglement climatique, Nicolas Hulot s’interrogeait : « Nous faisons des petits pas, mais est-ce que les petits pas suffisent ? »
Notre regard se tourne donc vers la PPE et, plus particulièrement, vers le secteur du bâtiment qui représente 25 % des émissions de gaz à effet de serre et 45 % de la consommation d’énergie finale. Or, dans ce domaine comme dans d’autres, la France a pris du retard par rapport à ses engagements.
Tout d’abord, j’observe que, dans ce secteur, plus de 8 millions de logements consomment plus de 330 kilowattheures par mètre carré et par an, et que près de 3 millions d’entre eux sont occupés par des personnes en situation de précarité.
Ensuite, j’insiste sur le poids que la fiscalité écologique exerce sur les ménages les plus précaires, via notamment la taxe carbone et son incidence sur le pouvoir d’achat. La transition écologique doit être socialement inclusive ; or, dans ce cas précis, elle ne l’est pas.
Je pense aux personnes en situation de précarité vivant, de surcroît, dans des logements passoires, ou encore aux membres des classes moyennes qui dépendent, voire sont captifs des dépenses en énergies fossiles, par exemple pour le chauffage, ou pour qui l’automobile est incontournable pour se rendre au travail. Ces personnes ont déjà le sentiment d’être pénalisées et de supporter, plus que d’autres, le coût de la transition énergétique, d’autant que les dispositifs actuels de compensation ne sont pas à la hauteur face à la hausse de la fiscalité et du prix de l’énergie. Le chèque énergie est insuffisant, et la prime à la conversion pour les véhicules thermiques ne concerne qu’un très faible nombre de véhicules.
Que prévoyez-vous pour que la transition énergétique soit socialement inclusive, pour qu’elle n’aggrave pas la fracture sociale ? Il est question de supprimer le crédit d’impôt pour la transition énergétique, le CITE, et de le remplacer par une prime : qu’en sera-t-il dans le projet de loi de finances pour 2019 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Courteau, la question énergétique est, bien sûr, un enjeu aussi écologique que social, économique et même humain : il faut commencer par mobiliser les êtres humains que nous sommes pour conduire un certain nombre de changements.
Il me semble que, en la matière, vous ne défendez pas le statu quo, dans un esprit de conservatisme. (M. Roland Courteau le confirme.) D’ailleurs, vous l’avez dit avec raison : malheureusement, nos objectifs ne sont pas aujourd’hui tenus, pour ce qui concerne la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Vous avez également mentionné la question du logement et, en particulier, celle des passoires énergétiques. Le Président de la République et la majorité des députés, lorsqu’ils étaient candidats, ont pris l’engagement d’exclure du marché toutes ces passoires énergétiques d’ici à 2025.
C’est un engagement très ambitieux, qui – il faut le reconnaître – est difficile à mettre en œuvre. Mais nous allons nous donner un certain nombre de moyens d’accompagnement, assortis de mesures contraignantes : on ne peut pas se contenter de mesures d’incitation pour éradiquer les passoires énergétiques.
Il s’agit là d’un enjeu écologique et social, peut-être même d’abord social. Les locataires concernés payent des factures de chauffage qui leur sont, en quelque sorte, imposées. Outre le gaspillage d’énergie, cette dépense représente un trou dans leur porte-monnaie, dans leur budget mensuel. Il en est de même pour les propriétaires qui occupent de tels logements.
Il faut donc à la fois mobiliser l’investissement privé des propriétaires et l’amortir dans la durée, grâce aux gains de consommation d’énergie. Dans le même temps, on assurera des améliorations de confort.
Quant au chèque énergie, il est prévu – vous le savez sans doute – de l’augmenter de 50 euros au titre du prochain budget.
M. Roland Courteau. Ce n’est pas assez !
M. François de Rugy, ministre d’État. Enfin, la prime à la conversion automobile rencontre un grand succès : à la fin de l’année, ce seront peut-être, en tout, 200 000 véhicules qui auront été achetés grâce à ce mécanisme, et 70 % des bénéficiaires de ce dispositif sont des ménages non imposables.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, pour la réplique.
M. Roland Courteau. Monsieur le ministre d’État, les passoires énergétiques constituent certes un enjeu climatique ; mais elles représentent aussi une question de santé. Selon l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, 1 euro investi dans la rénovation énergétique entraîne 0,42 euro d’économies en dépenses de santé.
Enfin, j’y insiste : il ne faut pas que la transition énergétique soit vécue comme un luxe inaccessible, ou réservée à certaines catégories sociales. Prenons garde !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. L’hydrogène, dont nous connaissons les qualités pour l’industrie, doit être regardé comme un carburant du futur et comme un moyen efficace de stockage de l’énergie, en complément à l’intermittence des énergies renouvelables. Le « power to gas » permettra ainsi de convertir l’électricité produite et d’injecter directement l’hydrogène dans le réseau de gaz.
Nous en sommes convaincus : l’hydrogène vert contribuera à l’indépendance énergétique de notre pays. Une étude publiée en avril dernier estime qu’il sera en mesure de répondre à un cinquième de la demande d’énergie finale en 2050, soit l’équivalent d’une réduction de 55 millions de tonnes de CO2.
Monsieur le ministre d’État, reprenant l’expression de votre prédécesseur, les élus de mon groupe ont toujours considéré l’hydrogène comme le « couteau suisse de la transition énergétique ».
Des initiatives jusque-là diffuses ont vu le jour et connaissent une accélération grâce à la baisse des coûts des électrolyseurs et à l’arrivée à maturité des technologies. La France doit saisir cette chance au plus vite, comme l’ont fait l’Allemagne, le Japon ou les États-Unis ; elle dispose de compétences solides et d’entreprises prêtes à relever le défi.
Il a fallu attendre le plan de déploiement présenté le 1er juin dernier par le Gouvernement pour qu’une véritable stratégie soit enfin élaborée. Il était temps ! Mais cette stratégie reste en deçà de nos attentes sur plusieurs points : faiblesse des moyens dédiés – seulement 100 millions d’euros ; manque d’ambition de l’objectif de 100 stations de distribution en 2023 – l’Allemagne en prévoit 400 à la même échéance. Tout cela n’est pas très incitatif pour les constructeurs automobiles français…
Aussi, monsieur le ministre d’État, pourriez-vous nous indiquer quelle place occupera l’hydrogène dans la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie et quels financements seront affectés à son développement à moyen et long termes ? Il ne peut y avoir de stratégie sans visibilité !
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison d’insister sur le rôle que peut jouer l’hydrogène. Toutefois, soyons clairs : pas plus hier qu’aujourd’hui ou demain, il n’existe d’énergie miracle.
M. Jean-Claude Requier. Certes !
M. François de Rugy, ministre d’État. Pour ma part, je crois à la diversification ; et, dans la diversification, il y a évidemment une place pour l’hydrogène. Le Gouvernement en est d’ailleurs convaincu, et il a décidé de débloquer un programme de 100 millions d’euros, destiné essentiellement au financement de recherches.
Il faut le reconnaître : aujourd’hui, l’hydrogène utilisé en France dans l’industrie, soit, tout de même, un million de tonnes, est à 95 % issu d’énergies fossiles. Il faut donc transformer complètement la production d’hydrogène et relever nos objectifs d’hydrogène propre, d’hydrogène renouvelable. (M. Jean-Claude Requier le concède.)
L’hydrogène peut servir de carburant, même s’il faut tenir compte de certaines particularités – les réservoirs d’hydrogène imposent beaucoup plus de contraintes que les réservoirs de carburants classiques. Il peut également constituer un moyen de stockage et, ainsi, se substituer aux batteries, notamment pour les énergies renouvelables. De même, l’hydroélectricité sert de stockage à certains moments. Il faut saisir tous les moyens de diversifier l’utilisation des énergies décarbonées – lorsqu’il est issu de l’électrolyse, l’hydrogène est totalement décarboné.
Hier encore, nous avons parlé de ces questions avec les constructeurs automobiles. Le Président de la République est, lui aussi, très engagé pour que l’on développe la recherche au sujet de cette énergie et les usages qui en sont faits. D’ailleurs, au-delà des laboratoires, il existe déjà des démonstrateurs, notamment dans le domaine des transports : il s’agit là de perspectives tout à fait intéressantes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour la réplique.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le ministre d’État, vous connaissez peu notre groupe, et pour cause, vous êtes issu de l’Assemblée nationale, où le groupe du RDSE n’a pas d’équivalent ! (M. le ministre d’État sourit.) Mais vous allez nous connaître, et vous pourrez voir que, au RDSE, nous sommes très attachés au nucléaire.
M. Ronan Dantec. Pas tous ! Pas tous ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Requier. Nous sommes pro-nucléaires – en tout cas, une grande partie du groupe : l’un d’entre nous, présent derrière moi, est arrivé ensuite… (Nouveaux sourires.)
Nous sommes attachés au nucléaire (M. Ronan Dantec fait des gestes de dénégation.),…
Mme Sophie Primas. Il faut choisir son groupe, camarade ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Requier. … en majorité, mais, comme vous le voyez, nous n’en sommes pas moins très ouverts aux énergies renouvelables. (M. Daniel Chasseing applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche.
M. Jean-Claude Luche. Comme l’an dernier, le Gouvernement a décidé d’augmenter les taxes sur l’essence, et plus fortement encore sur le diesel. Cette taxation frappe directement le pouvoir d’achat des ménages périurbains et ruraux, qui, pour se déplacer, n’ont d’autre choix que la voiture : ils n’ont chez eux ni le RER ni le métro.
Monsieur le ministre d’État, cette taxation pèsera aussi sur les résultats des entreprises, notamment celles du bâtiment et des travaux publics.
Or la pollution qu’émettent les voitures des Français ne représente pas grand-chose, si on la compare au trafic des marchandises et du transport aérien. Ainsi, le plus gros porte-conteneurs français, inauguré il y a un mois par vos collègues ministres des transports et de l’économie, pollue autant que 50 millions de voitures !
M. Jean-François Husson. C’est juste !
M. Jean-Claude Luche. Pourtant, les transports maritime et aérien ne sont pas inclus dans l’accord de Paris sur le climat, et personne ne semble se soucier de ces transports extrêmement polluants.
Votre gouvernement a choisi de viser le diesel. Mais de nombreux emplois sont liés à cette filière, qui est mise en difficulté aujourd’hui. Par exemple, dans le territoire dont je suis l’élu, l’entreprise Bosch fabrique des éléments de moteurs diesel. Il s’agit de l’employeur le plus important de l’Aveyron, avec 1 600 emplois directs et 10 000 emplois indirects. Imaginez le traumatisme économique que risque de subir mon département !
Je souhaite que vous preniez conscience de cette réalité, car, aujourd’hui, du fait de cette politique, dans nos territoires, des entreprises et des emplois sont menacés soit de disparition, soit de délocalisation.
Pour pallier ces difficultés, quels moyens l’État compte-t-il engager ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Luche. Il faut assurer la reconversion de la filière diesel, laquelle est très sérieusement mise à mal.
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Luche, tout d’abord, le chiffre que vous avez donné, au sujet de la consommation énergétique du dernier porte-conteneurs, ne me paraît pas fondé.
M. Jean-François Husson. Pourtant, il l’est !
M. François de Rugy, ministre d’État. Vous affirmez que cette consommation équivaut à celle de 50 millions de voitures. Or un tel navire représente 1 million de tonnes de CO2 par an : c’est beaucoup, mais ce n’est tout de même pas du même ordre.
Nous sommes tout à fait conscients de l’enjeu que représente le transport maritime. Même si, par tonne transportée, celui-ci consomme beaucoup moins d’énergie que le transport aérien, le transport routier, ou même le transport ferroviaire, il doit faire des progrès très importants en matière de pollution. Je pense, notamment, à la pollution de l’air. Une récente étude montre au demeurant que le transport maritime est l’une des sources de pollution de la ville de Marseille. J’ajoute que nous développons, aujourd’hui, le gaz naturel comme carburant de substitution dans la marine marchande.
J’en viens aux voitures diesel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai déjà mentionné la prime à la conversion des véhicules. Nous avons souhaité qu’elle bénéficie aux ménages, non seulement pour les véhicules neufs, mais aussi pour les véhicules d’occasion, et c’est là une première.
On le sait bien, même avec des aides publiques, un ménage modeste qui possède une vieille voiture ne pourra pas acheter une voiture neuve. Or, grâce à cette prime, 80 % des véhicules envoyés à la casse sont de vieux diesel, et – je le répète – 70 % des ménages bénéficiaires de ce dispositif reçoivent une prime de 2 000 euros, étant donné qu’ils sont non imposables. Enfin – ce dernier chiffre intéressera sans doute les élus que vous êtes –, 95 % des bénéficiaires de la prime à la conversion résident en dehors de l’Île-de-France.
Pour ce qui concerne les entreprises spécialisées dans le diesel, nous avons souhaité prendre en compte cette réalité : les fabricants français n’avaient pas suffisamment anticipé la chute du marché. Tout ne dépend pas des politiques publiques : un certain nombre de facteurs, notamment le dieselgate, ont entraîné, en la matière, une chute du marché. Aujourd’hui, les véhicules diesel représentent moins de 40 % des ventes de véhicules neufs en France. Il y a dix ans à peine, leur part était de 75 %.
Cette chute n’a pas été assez anticipée ; voilà pourquoi le Gouvernement a décidé de développer un projet « innovation et diversification d’entreprises spécialisées dans le diesel », doté de 18 millions d’euros, pour accompagner les reconversions.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Bignon.
M. Jérôme Bignon. Ce débat est opportunément inscrit à l’ordre du jour du Sénat quinze jours après qu’a été présenté le rapport du débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie.
Monsieur le ministre d’État, il y a quelques instants, vous avez répondu à M. Requier que vous étiez favorable à la diversification énergétique : je m’en réjouis et, dans cette perspective, je souhaite mettre sur la table le sujet de l’énergie marémotrice.
Des entreprises privées ont évalué le potentiel de tels projets en France, et une récente étude a démontré la faisabilité de la création d’un parc de cinq lagons marémoteurs sur les côtes picardes, dans les Hauts-de-France, et sur la côte ouest de la Normandie. Ce sont là les seules zones françaises de fort marnage dans des eaux peu profondes.
La capacité potentielle d’un tel projet, évaluée à 15 gigawatts zéro carbone, permettrait de couvrir près de 5 % des besoins électriques de la France.
En outre, ce projet pourrait contribuer à développer, à l’intérieur des lagons, diverses initiatives en faveur de l’économie bleue : infrastructures portuaires, installations consacrées à l’aquaculture, aménagements pour le tourisme, etc.
Ces lagons marémoteurs permettraient également de renforcer la biodiversité, par la création et la restauration des zones humides, le développement d’habitats pour les oiseaux et les animaux marins, des récifs artificiels ou des mares d’estran.
Enfin, les digues qui ferment ces lagons pourraient fonctionner comme une barrière contre les aléas climatiques – tempêtes, grandes marées, etc. Elles protègeraient les écosystèmes côtiers, qui sont de plus en plus exposés au risque d’inondation et à l’érosion du trait de côte.
Monsieur le ministre d’État, ne serait-il pas opportun de développer une filière marémotrice en France, plus de cinquante ans après la création de l’usine de la Rance ? Quelle place souhaitez-vous donner à ce nouveau type d’énergie dans le cadre de la PPE, et comment envisagez-vous le développement des lagons marémoteurs dans le mix énergétique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.
M. François de Rugy, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Bignon, au sujet des énergies renouvelables marines, nous avons été conduits à faire des choix, avant que je n’entre au Gouvernement.
Pour ce qui concerne l’éolien offshore, nous avons obtenu des révisions de tarifs qui permettent de dégager de grosses économies : au cours des vingt prochaines années, celles-ci s’élèveront à 15 milliards d’euros. La baisse du coût des énergies renouvelables est donc bien une réalité.
Au titre du prochain projet offshore, qui devrait se développer près de Dunkerque, le coût de l’énergie produite est estimé entre 50 et 60 euros du mégawattheure, c’est-à-dire au prix de marché.
L’éolien flottant est encore une filière industrielle à construire, mais, en la matière, plusieurs industriels français disposent d’un savoir-faire, issu, d’ailleurs, des plateformes pétrolières.
S’y ajoutent les hydroliennes. Notre pays ne dispose pas, à ce titre, d’une filière industrielle à grande échelle, mais certaines niches existent d’ores et déjà : je pense à un démonstrateur, qui, à la pointe de la Bretagne, sur un site que je connais bien, entre Molène et Ouessant, poursuit son activité dans le cadre d’une PME. Il investit, et il assume lui-même le risque.
J’en viens à l’énergie marémotrice. L’usine de la Rance est, à ce jour, un cas unique. Sa puissance est de 250 mégawatts, mais elle fait face à des enjeux environnementaux assez délicats, liés à l’envasement. Pour assurer le bon fonctionnement d’une usine marémotrice, il est indispensable de contrôler ce phénomène, ce qui n’est pas facile dans l’estuaire de la Rance. Le Gouvernement, l’État, mais aussi EDF continueront d’accompagner les acteurs locaux, en particulier les collectivités territoriales, pour résoudre ces problèmes.
J’ai déjà entendu parler des projets consistant à développer, ailleurs, la technologie dont il s’agit : je ne demande qu’à les travailler. Mais il faut bien étudier leur acceptabilité : nous avons déjà mentionné cet enjeu. Vous le savez, dans la baie de Somme – c’est peut-être à ce site que vous pensez –, il n’est pas toujours facile de mener de tels chantiers.
Il faut également tenir compte de la compétitivité de telles structures, du prix de l’électricité ainsi produite. Cela étant, je suis prêt à travailler ces sujets avec vous, si vous le souhaitez.