M. Éric Bocquet. C’est trop long !
M. Gérald Darmanin, ministre. En Italie, les différences de prix sont négligeables ; elles sont en revanche beaucoup plus fortes en Belgique, au Luxembourg et en Allemagne.
L’amendement n° 117 prévoit le doublement des sanctions pour les personnes qui ont recours à ces trafics du quotidien, parce que les dispositifs existants ne sont pas dissuasifs aujourd’hui. Quant à l’amendement n° 116, il tend à limiter la détention de cartouches à des fins personnelles lors du passage d’une frontière au seuil minimal prévu par la directive européenne.
Par conséquent, ces deux amendements ne sont pas laxistes. Ils visent à lutter au contraire, comme vous l’appelez de vos vœux, contre la contrebande et la contrefaçon.
M. Vincent Éblé, président de la commission des finances. Je n’ai pas demandé une explication des amendements ! J’ai demandé que le Parlement puisse faire son travail et examiner ces amendements en amont !
M. le président. Si vous voulez la parole, monsieur le président de la commission des finances, je vous la cède volontiers.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Le ministre a été très complet, presque long diront certains. C’est tout à fait normal, car ma collègue Nathalie Delattre faisait remarquer que ces dispositions permettraient de sanctionner plus sévèrement les « circuits illicites », selon les termes qui figurent dans l’objet de votre amendement n° 116, monsieur le ministre. Cela étant, comme l’a souligné M. le président de la commission des finances, ces amendements ont malheureusement été déposés un peu tardivement.
Je le répète, faute d’expertise dans les délais suffisants, je m’en remets à la sagesse du Sénat sur des mesures sans doute nécessaires. Peut-être cet avis convaincra-t-il mes collègues, Jean-Pierre Grand notamment, de se rallier à ces amendements, au moins à l’amendement concernant l’augmentation des sanctions qui ne soulève aucune difficulté.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Représentant un département frontalier, les Ardennes, je sais que ce problème n’est pas simple. Je rejoins M. le président de la commission des finances concernant le dépôt tardif de ces amendements, mais je comprends aussi les engagements du Gouvernement.
Monsieur le ministre, la commission des finances, dont je remercie le président, le rapporteur et mes collègues qui en sont membres, s’est rendue à Roissy pour effectuer une visite du service de l’administration des douanes. Nous avons beaucoup appris et avons pris conscience de tout le travail accompli par l’administration des douanes qui dépend de votre ministère. Nous avons pu mesurer le combat mené contre la contrefaçon, et la fraude en général. Concernant le trafic de cigarettes, les départements frontaliers sont très affectés.
En conséquence, je suis l’avis du rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je suis embêté. J’approuve les observations qui ont été formulées par le président de la commission des finances. Le Gouvernement doit comprendre que les conditions dans lesquelles nous travaillons au Sénat ne sont pas optimales pour aboutir à de bons textes.
M. Michel Savin. Exactement !
M. Yves Daudigny. Par ailleurs, j’ai, en d’autres circonstances, appelé à mieux maîtriser ou sanctionner le commerce illégal de cigarettes, en particulier les achats transfrontaliers et je ne peux qu’approuver totalement, sur le fond, les deux amendements qu’a déposés le Gouvernement sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Je formulerai quelques considérations plus générales. Moi qui suis du département du Nord, frontalier de la Belgique, je connais cette problématique du commerce illicite du tabac lié aux différences de prix, mais j’ai le sentiment que l’on s’éloigne du sujet de la fraude fiscale, qui porte sur des dizaines de milliards d’euros chaque année. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.) J’aimerais bien qu’on arrête de nous enfumer !
Monsieur le ministre, avec tout le respect que je vous dois, cinq minutes d’explication, cela me paraît démesuré par rapport à cette problématique. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Union Centriste.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 10.
Je mets aux voix l’amendement n° 117.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 10.
Je suis saisi de quatre amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 41 rectifié, présenté par M. Daudigny, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – L’article 414 du code des douanes est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, la première occurrence du mot : « soit » et les mots : « , soit lorsqu’ils sont commis en bande organisée » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Ces faits sont punis de vingt ans de réclusion criminelle et l’amende peut atteindre jusqu’à cent fois la valeur de l’objet de la fraude lorsqu’ils sont commis en bande organisée.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 du code pénal relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. »
II. – Après le 20° de l’article 706-73 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Contrebande de tabac en bande organisée ».
La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Nous l’évoquons depuis un moment, le commerce illicite de tabac, qui nuit gravement à la santé publique – ce n’est pas le sujet aujourd’hui –, représente un manque à gagner considérable pour les recettes de l’État et alimente l’économie grise. À l’échelon mondial, la contrebande et la contrefaçon continuent de représenter une perte fiscale de l’ordre de 10 milliards d’euros.
En 2017, les services douaniers ont saisi 350 tonnes de tabac de contrebande, un niveau record ayant été atteint en 2015 avec 630 tonnes. L’augmentation des saisies douanières ces dix dernières années confirme qu’une intensification des trafics s’opère.
Or plusieurs études ont prouvé que la contrebande de tabac nourrit non seulement la délinquance, mais aussi les mafias, voire le terrorisme. Le rapport de 2015 intitulé Financement du terrorisme : la contrebande et la contrefaçon de cigarettes, publié par le Centre d’analyse du terrorisme, démontre que la contrebande de cigarettes représente plus de 20 % des sources criminelles de financement des organisations terroristes, un phénomène qui prend de l’ampleur depuis l’an 2000.
Ces éléments sont confirmés par le rapport Renforcer la lutte contre la contrebande de cigarettes et les autres formes de commerce illicite de produits du tabac de la Commission européenne qui dispose : « La contrebande de cigarettes constitue une source de revenus pour les groupes criminels organisés d’Europe. »
Enfin, le 26 avril dernier, lors de la Conférence de lutte contre le financement de Daech et d’Al-Qaïda, le commissaire européen au budget lui-même, l’Allemand Günther Oettinger, a indiqué qu’il ne fallait pas seulement limiter la contrebande du tabac aux problématiques de santé publique et de fiscalité, mais qu’il fallait considérer que « la contrebande est devenue une source majeure de revenus pour le crime organisé, et même parfois une source de financement du terrorisme ».
Il est donc proposé d’aggraver les peines encourues pour trafic de cigarettes lorsqu’il est commis en bande organisée, et de permettre l’usage de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée.
M. le président. L’amendement n° 34 rectifié bis, présenté par MM. Grand, Milon, Bizet et Sol, Mmes Lassarade, Deromedi et Delmont-Koropoulis et MM. Lefèvre, Courtial, Frassa, Danesi, Sido, H. Leroy, Chaize, Allizard, Babary, Revet, Bonne, J.M. Boyer, Duplomb, Pillet et Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 414 du code des douanes est ainsi modifié :
1° Au troisième alinéa, la première occurrence du mot : « soit » et les mots : « , soit lorsqu’ils sont commis en bande organisée » sont supprimés ;
2° Sont ajoutés deux alinéas ainsi rédigés :
« Ces faits sont punis de vingt ans de réclusion criminelle et l’amende peut atteindre jusqu’à cent fois la valeur de l’objet de la fraude lorsqu’ils sont commis en bande organisée.
« Les deux premiers alinéas de l’article 132-23 du code pénal relatif à la période de sûreté sont applicables aux infractions prévues par le présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Si vous me le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps les amendements nos 35 rectifié ter et 36 rectifié ter.
M. le président. Je vous en prie, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Grand. Peut-on examiner un texte relatif à la lutte contre la fraude sans évoquer la lutte contre le trafic de tabac qui entraîne de lourdes pertes fiscales pour l’État et de nombreuses fermetures de bureaux de tabac, commerces de proximité essentiels sur nos territoires ?
Lors de la présentation du bilan des douanes, dont je salue ce soir l’action, le travail et les résultats, vous aviez, monsieur le ministre, fait de la lutte contre le trafic de tabac une priorité du quinquennat. Je vous présente donc plusieurs amendements, dont l’adoption permettra, je l’espère, d’améliorer notre arsenal législatif.
L’amendement n° 34 rectifié bis vise à lutter contre le trafic de tabac en renforçant les sanctions contre ses auteurs.
Aujourd’hui, la peine d’emprisonnement est d’une durée de dix ans et l’amende peut aller jusqu’à dix fois la valeur de l’objet de la fraude lorsque les faits de contrebande, d’importation ou d’exportation portent sur des marchandises dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publiques, dont la liste est fixée par arrêté ministériel. Il en est de même lorsque ces faits sont commis en bande organisée : c’est précisément sur ce point que je tiens à insister.
Selon le rapport remis en mars 2015 par le centre d’analyse du terrorisme, « la contrebande […] de cigarettes représent[e] plus de 20 % des sources criminelles de financement des organisations terroristes », et ce phénomène prend de l’ampleur depuis l’an 2000.
Je vous propose donc de durcir les peines encourues pour trafic de cigarettes, lorsque celui-ci est commis en bande organisée, en portant la peine d’emprisonnement à vingt ans de réclusion criminelle et l’amende jusqu’à cent fois la valeur de l’objet de la fraude.
J’en viens aux amendements nos 35 rectifié ter et 36 rectifié ter.
Le commerce illicite de tabac représente un manque à gagner que chacun peut mesurer ; par définition, il échappe complètement aux taxes et alimente l’économie grise.
Avec le paquet neutre et la hausse du prix du tabac, de plus en plus de Français s’approvisionnent à l’étranger ou sur le marché parallèle, au détriment des buralistes, qui sont très fortement touchés.
L’Office européen de lutte antifraude, l’OLAF, précise que la contrebande de tabac entraîne chaque année des pertes importantes pour les budgets des États membres de l’Union européenne et de cette dernière, sous la forme de droits de douane et de taxes éludés.
Les ventes de tabac de contrebande ne respectent aucune règle et représentent un risque considérable pour les consommateurs et les entreprises. Elles nuisent aux campagnes de santé publique et de lutte contre le tabagisme. De surcroît, elles enfreignent les règles strictes que l’Union européenne et les États membres ont fixées quant à la fabrication, à la distribution et à la vente.
Ainsi, la contrebande de cigarettes et des autres produits du tabac est un phénomène mondial, qui, au sein de la seule Union européenne, inflige une perte annuelle de plus de 10 milliards d’euros de recettes fiscales.
Très rentable, facile à mettre en œuvre et peu risqué, le commerce illicite de tabac de contrebande prend sans cesse de l’ampleur. Il constitue un terreau propice à la marginalisation sociale et à la délinquance. Surtout – nous venons de le constater –, il alimente considérablement le terrorisme et le crime organisé, ce qui est tout sauf neutre !
Nous proposons donc de permettre l’usage de la procédure applicable à la criminalité et à la délinquance organisée dans les cas de contrebande de tabac en bande organisée : on étendra ainsi les moyens d’investigation dont disposent les forces de l’ordre.
Dans le même esprit, l’amendement de repli n° 36 rectifié ter tend à exclure de cette procédure les dispositions d’extension de la garde à vue.
M. le président. L’amendement n° 35 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Milon, Bizet et Sol, Mmes Lassarade, Deromedi et Delmont-Koropoulis et MM. Courtial, Frassa, Danesi, Sido, H. Leroy, Chaize, Allizard, Babary, Revet, Bonne, J.M. Boyer, Duplomb, Pillet et Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le 20° de l’article 706-73 du code de procédure pénale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Délits de contrebande de tabac commis en bande organisée prévus à l’article 414 du code des douanes. »
L’amendement n° 36 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Milon, Bizet et Sol, Mmes Lassarade, Deromedi et Delmont-Koropoulis et MM. Courtial, Frassa, Danesi, Sido, H. Leroy, Chaize, Allizard, Babary, Revet, J.M. Boyer, Duplomb, Pillet et Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 706-73-1 du code de procédure pénale est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« …° Délits de contrebande de tabac commis en bande organisée prévus à l’article 414 du code des douanes. »
Ces amendements ont été précédemment défendus.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. J’ai bien peur que nous ne soyons ici face aux mêmes difficultés qu’au sujet de la fraude fiscale.
On peut certes adopter des mesures d’affichage, en durcissant considérablement les peines ; en portant la durée d’emprisonnement de dix à vingt ans ; en prévoyant l’interdiction du territoire français pour toute personne étrangère coupable du délit de contrebande ou de fraude fiscale ; ou en aggravant les sanctions en cas de crime ou de trafic commis en bande organisée.
Mais, dans la pratique, ces sujets seront-ils une priorité pour la justice ? Malheureusement, je crains que non : la loi est déjà dissuasive et, en la durcissant encore, on risque fort d’être plus dans l’affichage que dans la réalité.
En la matière, nous venons de voter un dispositif qui augmente déjà le montant des amendes et renforce la possibilité, pour les douanes, d’effectuer des saisies, notamment sur les produits transportés par les particuliers. Certes, nous ne disposons pas encore de toute l’expertise nécessaire. Toutefois, la commission demande le retrait de ces quatre amendements au profit des dispositions qui viennent d’être adoptées.
Cela étant – je suis un peu en désaccord avec Éric Bocquet –, nous ne nions pas qu’il s’agit là d’un vrai sujet. Ces trafics infligent une concurrence déloyale aux commerçants, aux buralistes qui payent leurs impôts en France, et, bien entendu, leurs auteurs n’acquittent pas les taxes imposées par notre pays. En résulte donc une perte de recettes pour l’État.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. J’entends les arguments de M. Daudigny et de M. Grand. Toutefois, ces dispositions soulèvent, à mon sens, plusieurs difficultés.
Tout d’abord, j’abonde dans le sens de M. le rapporteur : pour ceux qui se livrent à de tels trafics, la peine maximale est aujourd’hui de dix ans et, à ma connaissance, elle n’a jamais été appliquée…
Mme Sophie Taillé-Polian. Il en est de même pour la fraude fiscale !
M. Gérald Darmanin, ministre. C’est un véritable sujet. Dans ces conditions, pourquoi aggraver la peine ?
Ensuite, nous sommes face à un problème d’efficacité : les sanctions prévues à travers ces amendements relèvent de la cour d’assises. S’ils sont confondus, les trafiquants disposeront donc d’un temps infini avant d’être convoqués. Or, à l’heure actuelle, ils peuvent être jugés en comparution immédiate et condamnés assez rapidement.
Par sa force symbolique, notre débat d’aujourd’hui aura peut-être une portée pédagogique. En entendant les arguments forts invoqués par le Sénat et par l’Assemblée nationale, les trafiquants du monde entier, qui pourraient se livrer, en France, au commerce illicite du tabac, comprendront peut-être qu’ils ne doivent pas agir ainsi…
Je songe à l’exemple andorran, qui a été évoqué il y a quelques instants : ceux qui se livrent à la contrebande de tabac transportent parfois les cartouches de cigarettes sur leur dos à travers les montagnes pyrénéennes. Sauf erreur de ma part, ces personnes lisent trop rarement les comptes rendus des débats parlementaires pour se demander s’ils doivent ou non traverser les Pyrénées, et affronter les difficultés que nous connaissons. (Sourires sur les travées du groupe La République En Marche.)
Enfin – permettez-moi de le dire –, rien ne justifie que le trafic de tabac soit plus sévèrement puni que le trafic de drogue : or c’est ce à quoi l’on aboutirait en adoptant ces amendements.
Je demande donc le retrait de ces derniers. À défaut, j’émettrai un avis défavorable. Je rappelle que, par les deux amendements qui viennent d’être adoptés, le Gouvernement multiplie déjà les sanctions par deux.
En revanche, je me permets d’indiquer d’ores et déjà que je serai favorable à l’amendement n° 37 rectifié ter, lequel a pour objet la vente par internet. Certes, sa rédaction n’est pas parfaite ; sans doute n’est-il pas applicable en l’état, mais l’idée qui le sous-tend est la bonne. Nous pourrions modifier le texte de cet amendement à l’Assemblée nationale pour permettre la mise en œuvre de ses dispositions.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Attendons peut-être qu’il soit en discussion…
M. Gérald Darmanin, ministre. Si la Haute Assemblée le permet, peut-être pourrons-nous également dresser, dans six mois, le bilan des dispositions adoptées aujourd’hui et des instructions données par le ministre de l’économie et des finances au directeur général des douanes. Si telle ou telle insuffisance est observée, nous pourrons en tirer les conséquences. De son côté, la justice pourrait nous fournir des éléments d’analyse plus solides quant aux trafics de tabac observés aujourd’hui.
M. le président. Monsieur Grand, les amendements nos 34 rectifié bis, 35 rectifié ter et 36 rectifié ter sont-ils maintenus ?
M. Jean-Pierre Grand. Monsieur le ministre, je suis parfaitement conscient que le Gouvernement se préoccupe de ces questions.
Vous l’avez bien compris, à travers ces amendements, nous traitons du trafic en bande organisée, lequel ne se limite pas au tabac. Gardons à l’esprit que ce trafic alimente les caisses du terrorisme, ce qui conduit nécessairement le Parlement à s’interroger.
Cela étant, j’accède à la demande du Gouvernement et je retire mes trois amendements, monsieur le président.
M. le président. Les amendements nos 34 rectifié bis, 35 rectifié ter et 36 rectifié ter sont retirés.
Monsieur Daudigny, l’amendement n° 41 rectifié est-il maintenu ?
M. Yves Daudigny. J’insiste : il est nécessaire que les sanctions soient adaptées à ces trafics de tabac qui, loin d’être négligeables, alimentent la grande criminalité et le terrorisme.
Monsieur le ministre, je ne sais pas si les sanctions proposées peuvent être dissuasives. À mon sens, les dispositions de cet amendement étaient assez complémentaires de celles que vous avez défendues et que le Sénat a votées.
Toutefois, je retire mon amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 41 rectifié est retiré.
L’amendement n° 40 rectifié bis, présenté par M. Daudigny, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 415 du code des douanes est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’interdiction du territoire français peut être prononcée dans les conditions prévues à l’article 131-30 du code pénal, soit à titre définitif, soit pour une durée maximale de dix ans, à l’encontre de tout étranger coupable de l’une des infractions prévues au présent article. »
La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Avec ces dispositions, nous traitons de nouveau de la lutte contre le commerce illicite de tabac.
Cet amendement a pour objet les dispositifs très ingénieux mis en œuvre par les trafiquants pour rendre la contrebande et la contrefaçon relativement libres d’accès.
Afin de réduire les pertes en cas de détection, les groupes impliqués se livrent de plus en plus à des trafics en petites quantités : ainsi, les cigarettes sont transportées en faibles volumes, mais de manière plus fréquente et régulière, par un ensemble d’itinéraires et de réseaux.
Bien sûr, de tels procédés augmentent potentiellement les coûts du trafic ; mais les quantités transportées atteignent rarement les seuils fixés par les autorités de contrôle. En conséquence, les produits passent sous les radars des forces de l’ordre. Les pertes potentielles s’en trouvent réduites, et les profits dégagés sont améliorés.
S’est ainsi développé le phénomène dit des mules : on désigne par ce terme les passeurs qui multiplient les allers-retours entre les pays, en rapportant à chaque fois de petites quantités de produits à but de contrebande.
Ces trafics cumulés représentent des volumes très importants, dont une grande part provient de l’Algérie.
Les dispositions de cet amendement permettraient aux juridictions répressives de prononcer, à titre principal ou complémentaire, des peines d’interdiction du territoire français en répression de l’infraction de trafic de produits du tabac, pour laquelle elles étaient jusqu’à présent exclues.
Ces peines, comme les précédentes, peuvent sembler élevées. Mais c’est le moyen qui a été trouvé pour mettre un terme aux faits de contrebande précédemment décrits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. Je me suis déjà plus ou moins exprimé sur ce sujet.
Monsieur Daudigny, pensez-vous sérieusement que les tribunaux prononceront, en pareil cas, une peine d’interdiction du territoire français ?
M. Yves Daudigny. Oui, si c’est dans la loi !
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. M. le ministre nous indique que les peines de dix ans ne sont pas mises en œuvre : j’ai donc quelques doutes…
À nos yeux, il n’est pas opportun d’étendre une telle sanction à la contrebande de tabac. J’ajoute que cet amendement relève plutôt de la commission des lois : l’échelle des peines ne relève pas nécessairement de la compétence première de la commission des finances.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérald Darmanin, ministre. Je suis sensible à l’argument de M. Daudigny : il est avéré que des personnes étrangères à notre pays, parfois en situation illégale, se livrent à de tels trafics, quelquefois en étant exploitées et manipulées au titre de la contrebande. Mais je suis également sensible à l’argument de M. le rapporteur : ce n’est pas dans un texte relatif à la lutte contre la fraude que l’on peut modifier la proportionnalité des peines.
L’obligation de quitter le territoire est réservée à ceux qui commettent des crimes et délits graves, notamment un trafic de stupéfiants.
Il y a un instant, j’ai fait le parallèle entre le tabac et les stupéfiants. Gardons en tête que le tabac n’est pas un produit interdit, même si la contrebande est prohibée.
J’entends l’avis défavorable émis par M. le rapporteur. Pour ma part, je m’en remets à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. L’amendement n° 37 rectifié ter, présenté par MM. Grand, Milon, Bizet et Sol, Mmes Lassarade, Deromedi et Delmont-Koropoulis et MM. Courtial, Frassa, Danesi, Sido, H. Leroy, Chaize, Allizard, Babary, Revet, J.M. Boyer, Duplomb, Pillet et Mayet, est ainsi libellé :
Après l’article 10
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le cinquième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° À la première phrase, après le mot : « argent », sont insérés les mots : « et d’achat de tabac » ;
2° À la seconde phrase, après le mot : « jeux », sont insérés les mots : « ou d’achat de tabac ».
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Le marché parallèle du tabac ne cesse de progresser. Il représente désormais plus de 25 % de la consommation en France.
Ce phénomène met en échec les politiques publiques de lutte contre le tabagisme et entraîne la fermeture de très nombreux bureaux de tabac en France.
Le marché parallèle sur internet connaît un essor préoccupant, alors même que la loi interdit la vente et l’achat de tabac en ligne.
Ainsi, le code général des impôts indique que la vente à distance de produits du tabac manufacturé, y compris lorsque l’acquéreur est situé à l’étranger, est interdite en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer. Il en est de même de l’acquisition, de l’introduction en provenance d’un autre État membre de l’Union européenne ou de l’importation en provenance de pays tiers de produits du tabac manufacturé dans le cadre d’une vente à distance.
Sur le modèle de la répression des activités illégales de jeux d’argent, cet amendement tend à imposer aux fournisseurs d’accès à internet de prévoir un dispositif informant de l’illégalité et des risques encourus pour l’achat de tabac sur internet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur. À l’origine, la commission était réservée quant à cet amendement.
Sur le fond, il s’agit évidemment d’un véritable sujet. Il y a quelque temps, j’ai eu l’occasion de me rendre auprès de l’administration des douanes, et notamment au sein du service Cyberdouane. De nombreux sites proposent du tabac à prix discount, c’est-à-dire sans taxe. Il s’agit là d’un phénomène massif, et M. Grand a tout à fait raison : pour lutter contre de telles ventes, il faut sans doute prévenir les clients potentiels de ces sites.
Un dispositif analogue existe d’ailleurs pour les jeux en ligne : très concrètement, les fournisseurs d’accès sont tenus d’informer les utilisateurs des risques qu’ils encourent.
Nous nous demandions simplement si ce dispositif était bien à sa place dans ce projet de loi. À nos yeux, il relève plutôt d’un texte pour la confiance dans l’économie numérique.
Cela étant, j’ai bien entendu les arguments de M. le ministre et de Jean-Pierre Grand, insistant sur le caractère massif de cette fraude. J’émets donc un avis de sagesse plutôt positive.