M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Prunaud, vous mettez le doigt sur un sujet majeur. Nous avons tous le souvenir des images que nous avons vues sur les traitements subis par les migrants détenus, maltraités en Libye.
L’action sur la Libye prend plusieurs formes. Elle passe, d’abord, par la tentative de stabilisation de ce pays. On ne peut pas espérer y faire respecter les droits de l’homme alors qu’il n’y a pas, à l’heure actuelle, d’État en Libye. C’est pourquoi le Président de la République a convié, à plusieurs reprises, les parties libyennes à Paris pour tenter d’accélérer un processus de règlement politique qui permettrait d’avoir des interlocuteurs responsables et le retour d’un État dans ce pays.
Entre-temps, nous travaillons avec le Haut-Commissariat des Nations unies aux réfugiés, le HCR, qui intervient en Libye à la fois pour gérer des rassemblements de migrants dans des conditions respectueuses des droits de l’homme, et pour permettre à des migrants de ressortir via le Niger, où nous les interviewons et où nous avons réinstallé des demandeurs d’asile qui étaient sortis de Libye, revenus au Niger et qui sont venus ensuite directement en France, sans avoir à traverser ni la Libye ni la Méditerranée, parce qu’ils étaient en besoin manifeste de protection.
Nous devrons aussi développer les actions de PSDC de l’Union européenne au Mali et au Niger, ces pays nous aidant à lutter contre les réseaux de trafiquants qui, en réalité, gangrènent une partie importante du Sahel.
Nous avons aussi, pour la première fois il y a une quinzaine de jours, sur l’initiative de la France, adopté au Conseil de sécurité des Nations unies une résolution visant nommément des passeurs travaillant en Libye afin de les soumettre à des sanctions individuelles.
C’est donc un ensemble de dispositions qui sont mises en place à la fois pour mieux protéger les personnes et pour mieux cibler les trafiquants.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que la Grande-Bretagne, avec le Brexit, est en train de faire la démonstration par l’absurde que d’essayer de quitter l’Union européenne est un jeu perdant-perdant, celle-ci apparaît plus fragile que jamais.
Nombreux sont ceux qui se demandent ce que nous avons raté avec les élargissements de 2004 et 2007. Qu’avons-nous raté par rapport à cette perspective de réunification du continent, par rapport à cette formidable libération de 1989 et ce que cela semblait pouvoir apporter à l’ensemble de l’Union européenne ?
Pour avoir habité vingt ans en Europe centrale, je dirais que peut-être nous ne nous sommes pas compris. Seuls les vieux pays européens avaient cinquante ans de pratique du Traité de Rome ; les autres, tout aussi européens, avaient d’autres perspectives, d’autres attentes. Finalement, ils ne se sont jamais vraiment retrouvés. Pendant quelques années, on a fait comme si. Aujourd’hui, cela nous revient en pleine figure, et l’Europe apparaît fragilisée.
Pourtant, rien n’est inéluctable. Les choses peuvent être reconstruites dans la mesure où tous les pays européens restent fondamentalement attachés, chacun à leur manière, aux valeurs européennes. Simplement, cela ne peut se faire que dans le dialogue, en essayant de se comprendre, et non en s’envoyant les uns et les autres à la figure les valeurs européennes.
Personne n’a de solution, mais le dialogue est plus que jamais nécessaire entre les pays membres de l’Union européenne.
Si nous en sommes arrivés là, c’est aussi parce que la magie nous a quittés pendant les négociations d’adhésion, avant 2004 et avant 2007. C’est la raison pour laquelle je veux tirer la sonnette d’alarme s’agissant des autres pays européens qui sont aujourd’hui engagés dans un processus de négociation.
Je pense en particulier à la République de Macédoine du Nord, en cette semaine où un accord a été conclu entre la Grèce et ce pays candidat, à qui il faut permettre d’entrer dans le processus de négociation de manière plus concrète. Je pense aussi aux autres pays candidats.
Il n’est pas possible d’arrêter cette négociation, de faire qu’aujourd’hui les négociations d’élargissement soient non plus un processus avec une fin potentielle, mais un état dont on ne saurait pas quand on sortirait.
M. le président. Merci de conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Sinon, nous engendrerions d’autres malentendus. On le voit aujourd’hui avec les pays d’Europe centrale, mais ces malentendus pourraient aussi se produire dans les Balkans, dont nous savons – l’histoire nous l’a montré – combien ils sont essentiels à la stabilité européenne. Il faut y faire très attention.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Leconte, ne reproduisons pas les erreurs des élargissements passés ! Alors que nous étions aujourd’hui en train de travailler sur la question de l’État de droit, la Pologne a eu beau jeu de nous dire que nous n’avions pas critiqué, au moment de son entrée dans l’Union européenne, un certain nombre de mesures que nous critiquons aujourd’hui.
À l’époque, sous la pression de certains de nos grands partenaires, nous avions commencé par les chapitres les plus faciles, remettant à plus tard les sujets relatifs à l’État de droit. Et puis, emportés par notre envie d’accueillir les grands leaders de l’époque de l’Europe de l’Est, nous n’avons pas regardé d’assez près ce qui se passait en matière d’État de droit, pensant que ces grands leaders seraient éternels. Aujourd’hui, nous n’avons pas les mêmes interlocuteurs, mais nous avons toujours des législations qui datent souvent de la période antérieure à l’entrée de ces pays dans l’Union européenne.
Alors, pour les Balkans, souvenons-nous-en ! Aidons ces pays en les accompagnant, en ayant sur les réformes – non seulement celles qui sont adoptées, mais aussi celles qui sont véritablement mises en œuvre – une vraie exigence en matière d’État de droit, de lutte contre la corruption et de lutte contre la criminalité organisée.
Depuis que ces pays ont une perspective européenne, ils ont progressé. C’est le cas de la Macédoine, qui a réussi à se mettre d’accord sur son nom avec la Grèce dans un accord historique conclu il y a quelques jours. Mais n’allons pas trop vite en besogne, ne considérons pas que le compte y est tant qu’il n’y est pas. Nous ne rendrions pas service aux démocrates de ces pays. Accompagnons-les, soyons à leurs côtés, ayons conscience que leur destin et le nôtre sont liés, mais ne fermons pas les yeux sur ce qui manque encore.
La candidature à l’Union européenne, c’est une exigence, et il ne faut pas la brader !
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Très juste !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a tout juste un an jour pour jour, la Commission européenne attribuait une amende historique de 2,43 milliards d’euros à Google pour abus de position dominante sur son comparateur de prix Google Shopping, l’entreprise favorisant ses propres produits parmi les résultats de recherche.
Saluons le courage de la commissaire européenne à la concurrence Margrethe Vestager sur ce sujet. Mais notons aussi que, depuis, il ne s’est rien passé. Cela signifie que condamner ne suffit pas.
Madame la ministre, on ne peut plus laisser les entreprises françaises et européennes désarmées, condamnées à subir des pratiques d’éviction du marché dans un secteur, qui plus est, en évolution constante, tel que le numérique, sans avoir d’autre solution que d’attendre que les procédures contentieuses arrivent à leur terme. Je rappelle qu’il a fallu sept années d’enquête et de procédure pour aboutir à la décision du 27 juin de l’année dernière.
Les géants de l’internet le savent bien ; d’ailleurs, ils se jouent non seulement des divergences d’appréciation entre États membres sur ces questions de souveraineté pour mieux asseoir leurs intérêts sur ce marché de 500 millions d’individus que constitue l’Europe, mais plus encore de notre passivité, voire de notre complaisance.
Or ces distorsions de concurrence actuelles sont autant de menaces à la survie de nos entreprises. Face à cela, j’ai déposé une proposition de résolution européenne, qui est devenue depuis proposition du Sénat, pour réformer le cadre juridique des mesures provisoires afin de les rendre plus vite applicables par la Commission européenne et interrompre rapidement toute pratique constitutive d’un abus de position dominante.
Ne voyant rien venir ces derniers mois, à la veille du dernier Conseil européen, j’ai tenu à alerter le Président de la République et la Chancelière allemande sur la nécessité d’inscrire cet impératif de réforme à l’ordre du jour. Or seul le cabinet de la Chancelière a pris soin de me répondre. Réactif, je dois bien le dire, le gouvernement allemand a même créé une commission d’experts sur le droit de la concurrence 4.0 et m’a invitée à participer à ses travaux.
Aussi, face à cette situation, madame la ministre, je m’interroge sur cette absence de réponse du côté français. Je m’étonne d’ailleurs du peu d’intérêt que porte le Gouvernement aux travaux du Parlement, qui pourtant sont assez importants et peuvent constituer autant d’accompagnement et d’aide à l’action gouvernementale.
Sur cette question, madame la ministre, avez-vous des éléments de réponse ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la sénatrice Morin-Desailly, vous avez parfaitement raison, l’Europe doit être davantage présente en termes de régulation du numérique, comme elle l’a été avec le règlement général sur la protection des données et comme elle l’est quand la commissaire Vestager utilise les armes à sa disposition pour rétablir le droit, que ce soit vis-à-vis de Google ou d’Amazon.
Plus largement, il faut que l’Union européenne progresse en matière de régulation des plateformes et de rapport entre plateformes et entreprises traditionnelles, en veillant à la loyauté des plateformes, à leur responsabilité et en mettant en place un arsenal juridique qui aujourd’hui manque encore.
Vous avez raison, les grandes plateformes connaissent toutes nos lacunes et, jusqu’à présent, elles en jouent. C’est tout le but des états généraux du numérique confié par le Président de la République à Mounir Mahjoubi, qui a entamé sa réflexion avec un certain nombre d’acteurs. J’ai d’ailleurs commencé à travailler avec lui.
Je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’adresser le courrier que vous aviez envoyé au Président de la République. Je m’engage, conjointement avec mon collègue Mounir Mahjoubi, à y répondre et, surtout, à vous associer à notre réflexion et à ces états généraux.
M. le président. La parole est à M. René Danesi.
M. René Danesi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Conseil européen essaiera de sauver le soldat Angela Merkel, qui s’est chargée en 2015 d’ouvrir les portes à l’immigration de masse, au nom de la mauvaise conscience allemande depuis 1945, mais sans demander l’avis de ses voisins.
Elle l’a fait sous les applaudissements de la Commission européenne, qui ne manque pas une occasion de provoquer l’incompréhension, voire la colère, des peuples. Je pense en particulier aux peuples d’Europe centrale et orientale, lesquels n’ont pu survivre à leurs voisins envahisseurs que par leur combat multiséculaire pour leur identité et pour leur nation.
Ajoutons à cela que ni les Polonais, ni les Tchèques, ni les Slovaques, ni les Hongrois n’ont colonisé l’Afrique et l’Asie. Ils n’ont donc aucune raison de partager la mauvaise conscience des élites de l’Europe de l’Ouest à l’égard des migrants.
En méconnaissance totale de l’histoire particulièrement douloureuse de ces peuples, la Commission européenne veut les sanctionner en diminuant très fortement leurs subventions. Le prétexte est qu’ils ne respecteraient pas l’État de droit, ce qui ne permettrait donc pas une saine gestion des fonds publics européens.
On peut s’interroger sur cette soudaine volonté de contrôle, alors même que l’Union européenne n’a jamais voulu voir la corruption, le népotisme et l’évasion fiscale qui ont amené la Grèce à la quasi-faillite. Mais comme l’a dit si bien Costa-Gavras en présentant son autobiographie : « Ils ont laissé le pays aller à la catastrophe, mais cela arrangeait les Allemands, les Français et les autres de vendre leurs produits aux Grecs à crédit. »
Pendant que la Commission européenne prétend mettre les pays d’Europe au pas, la Chine tisse ses routes de la soie. Le 27 novembre dernier, le Premier ministre chinois était l’invité vedette d’une réunion à Budapest, qui rassemblait seize pays de l’Europe balkanique, centrale et orientale. Il a annoncé des mises à disposition de crédits. Certes, il n’y a pas encore là de quoi charpenter un cheval de Troie, mais on y arrivera rapidement si l’Union européenne continue à vouloir mettre tous les pays sous la même toise, au lieu d’accepter la diversité historique des pays et des peuples qui la composent.
Je souhaite, madame la ministre, que notre pays et son Président prennent conscience du fait que l’intransigeance de l’Union européenne déroule les routes de la soie dans l’Europe centrale et orientale. Qu’en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Monsieur le sénateur Danesi, l’Union européenne est beaucoup plus qu’un marché unique et qu’un carnet de chèques : c’est une union de valeurs.
Lorsqu’on rejoint l’Union européenne, c’est qu’on croit à la liberté, à la démocratie, à l’État de droit, à la séparation des pouvoirs. On s’engage à respecter l’ensemble de ces notions qui sont contenues dans les traités. Ceux qui ont rejoint l’Union européenne y croyaient !
Aujourd’hui, certains de ces pays sont trahis par leurs dirigeants, qui mettent à mal l’indépendance de la justice et qui parfois vont jusqu’à détourner des fonds européens et être mis en examen pour cela.
Les fonds européens, ce ne sont pas des fonds qui tombent du ciel ou qui viennent de Bruxelles ; c’est notre argent, celui des contribuables européens, notamment celui des contribuables français, notre pays étant le deuxième contributeur net au budget de l’Union européenne.
Nous devons à nos compatriotes un contrôle et une saine gestion de ces fonds. Il n’y a aucune raison de penser que parce que l’on aurait un passé agité, il serait normal que se développent la corruption et un manque d’indépendance de la justice. Ce serait porter bien peu de considération aux citoyens de ces pays qui, lorsque je m’y rends, comme je le fais souvent, et que je dialogue aussi bien avec les autorités qu’avec les personnes de la société civile, me reprochent la trop grande magnanimité de l’Union européenne, et parfois sa cécité. Ils me disent qu’ils deviendraient eurosceptiques si nous n’étions pas plus exigeants sur l’utilisation des fonds qui sont versés par dizaines de milliards d’euros à cette partie de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à M. Claude Raynal.
M. Claude Raynal. Madame la ministre, j’ai écouté votre réponse à la fin de la discussion générale ; elle ne m’a pas totalement convaincu. Vous le savez, je suis membre de la commission des finances et, quand j’entends parler d’un cadre financier pluriannuel, je raisonne en financier.
Lorsque j’entends un diplomate parler de cadre financier pluriannuel, j’ai une traduction un peu difficile. Je voudrais vous poser la question peut-être de manière assez directe, et vous me direz si vous pouvez y répondre. J’ai quelques difficultés à comprendre la position française. Sans reprendre les propos d’un commissaire européen qui vous ont précédemment irritée, il n’en est pas moins vrai que nous avons une difficulté de compréhension sur quelques points.
Premier point, on a, d’un côté, très clairement une diminution des ressources avec le Brexit et, de l’autre, une demande d’augmentation de crédits dans de nombreux domaines – sécurité, migrations, recherche, technologies, numérique, et j’en passe. J’ai regardé toutes ces listes : diminution des recettes, augmentation des dépenses. Je constate que, sur la PAC, des demandes de stabilité sont formulées, et je les partage.
Je fais des additions, des soustractions et des totaux et je n’arrive toujours pas à comprendre quelle est la position française. Sommes-nous prêts à lâcher ou, en tout cas, à admettre certaines concessions en matière de politique de cohésion, dans laquelle notre pays est finalement peu impliqué ? Sommes-nous prêts à remettre au pot, à ajouter des recettes supplémentaires ? Je ne parviens pas à saisir la position d’entrée dans cette équation.
Comme dirait quelqu’un que j’ai bien connu,…
M. le président. Il est temps de conclure, mon cher collègue.
M. Claude Raynal. … lorsque c’est flou, c’est qu’il y a un loup ! Madame la ministre, j’aimerais connaître votre position sur ce point.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Je vous remercie, monsieur le sénateur Raynal, de m’aider à dissiper le flou. Je vous adresserai avec beaucoup de plaisir la note des autorités françaises envoyée aux institutions européennes. Je peux vous garantir que ce midi, le commissaire Oettinger n’avait pas l’impression que mon discours était flou.
Nous l’avons dit d’entrée de jeu, nous sommes prêts à un budget en expansion pour l’Union européenne, compte tenu des priorités, dont je ne dirais pas qu’il y a les nouvelles et les anciennes, qui sont celles de l’Union.
Nous sommes donc prêts à faire un effort sur le volume du budget. Nous considérons aussi que la proposition de la Commission manque d’ambition en matière de suppression immédiate des rabais, puisqu’un certain nombre de contributeurs nets ont négocié au fil du temps ce qui ressemblait au chèque britannique. Maintenant que celui-ci disparaît, que les rabais disparaissent aussi vite ! Nous sommes aujourd’hui le premier contributeur au rabais des autres. (M. le président de la commission des affaires européennes opine.) C’est une gloire dont nous nous passerions volontiers.
Nous demandons aussi que l’on explore avec plus d’imagination et d’ambition de nouvelles ressources propres. La Commission a parlé de l’ETS, et nous la soutenons ; elle a aussi évoqué une « taxe plastique », nous attendons des précisions parce que, pour le moment, pour le coup, c’est flou !
Nous considérons également que la mise en place d’une taxe numérique rapporterait au budget de l’Union européenne 5 milliards d’euros par an, c’est-à-dire la moitié de ce que nous perdons avec le départ du Royaume-Uni.
Nous souhaitons aussi que l’on revienne sur la mise en place d’une taxe financière européenne.
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.
M. Marc Laménie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est aussi l’occasion d’apprendre beaucoup. On dit toujours qu’on apprend tous les jours…
De multiples sujets d’importance ont été évoqués. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, notre pays participe financièrement, dans la loi de finances via le prélèvement sur recettes, à hauteur de quelque 20 milliards d’euros. Cette solidarité financière particulièrement importante est redistribuée.
On a souvent parlé de la complexité des dossiers à caractère financier. On sait que les services de l’État, et maintenant aussi les grandes régions, peuvent aider les demandeurs d’aides européennes. On a toujours évoqué la complexité administrative des dossiers. En termes d’enjeu pour le monde agricole et les agriculteurs, ce n’est pas simple. Il en va de même pour le monde économique et les entreprises.
Je voudrais aussi vous poser une question complémentaire pour le financement des projets portés par les collectivités territoriales, que ce soit des communes, en particulier du monde rural, des villes ou des intercommunalités.
Des mesures d’assouplissement sont-elles prévues pour trouver les bons interlocuteurs, améliorer la lisibilité et, surtout, alléger les contraintes ? Telles sont mes modestes questions.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. La question de la complexité de l’accès aux fonds européens – je vous en remercie, monsieur le sénateur Laménie – m’est souvent posée à l’occasion des consultations citoyennes sur l’Europe.
Ces fonds sont aujourd’hui sous la responsabilité des régions, autorités de gestion des fonds européens que nous encourageons à être des accompagnateurs plutôt que des « complicateurs » de projets. Cela nécessite d’avoir des équipes qui connaissent bien les financements européens et qui puissent conseiller les entreprises, les associations, les collectivités locales dans la manière dont on monte un dossier. Nous avons donc notre part à prendre, y compris avec, à l’échelon national, la simplification – on a parfois complexifié davantage le versement des fonds européens que nos voisins –, et, en ce moment, nous faisons ce travail d’harmonisation des conditions nationales demandées pour le versement des fonds européens.
Nous demandons aussi à la Commission européenne de simplifier autant que possible les procédures, sans oublier la nécessité des contrôles, puisque, là encore, il s’agit d’argent public, et on ne peut laisser utiliser l’argent européen sans contrôle et sans lutte efficace contre la fraude. Toutefois, pendant trop longtemps, en raison de ce motif tout à fait honorable de lutte contre la fraude, on a découragé les porteurs de projets de solliciter des fonds européens. Cela ne doit plus arriver aujourd’hui.
C’est moins vrai, cela dit, avec le plan Juncker, qui a été une vraie réussite. La France est d’ailleurs le premier bénéficiaire des fonds de ce plan, notamment environ 100 000 PME, parce que l’instrument a été simple à utiliser et que les intermédiaires ont su s’en emparer.
Il n’y a donc pas de fatalité, mais il y a une véritable nécessité de simplification, je partage votre point de vue.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly.
M. Patrice Joly. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la prochaine programmation financière pluriannuelle de l’Union européenne.
Pour équilibrer les budgets à venir, qui seront confrontés aux contraintes liées au Brexit et à des charges nouvelles à assumer – sécurité, numérique et bien d’autres –, les arbitrages semblent se porter sur les crédits dédiés jusque-là aux territoires les plus ruraux. On a évoqué la PAC, dont le budget diminuerait de 5 % en euros courants, soit plutôt 12 % en euros constants, en particulier pour ce qui concerne les aides directes du premier pilier. L’effet de la baisse sur le deuxième pilier sera encore plus élevé, alors qu’il s’agit de crédits nécessaires au développement local.
Si l’on tient compte en outre des crédits dédiés à la politique de cohésion, même si l’enveloppe de cette politique a été plus ou moins préservée, on voit que l’élargissement des territoires éligibles entraînera une diminution des fonds. Si l’on ajoute à cela l’augmentation des taux de cofinancement, on constate un véritable risque pour les territoires les plus fragiles, qui ne disposent ni de l’ingénierie nécessaire pour monter les dossiers ni des financements permettant de boucler les budgets. Cette perspective est dommageable au regard des besoins et des attentes des territoires ruraux.
Ma question est donc simple : pensez-vous, madame la ministre, qu’il soit encore possible de rééquilibrer, de revoir, ces arbitrages au profit des territoires ruraux, ou abandonne-t-on cette partie particulière de la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Pour ce qui concerne les crédits de la PAC, nous l’avons dit très clairement, la proposition de la Commission n’est pas acceptable, et nous ne l’accepterons donc pas.
Nous sommes au début de la négociation. La Commission nous presse de boucler celle-ci avant les élections européennes de l’année prochaine, mais je reprendrai, avec une certaine distance, ce que mon homologue polonais disait tout à l’heure à la Commission : il est tout de même assez paradoxal de nous demander d’aller vite alors que le projet de budget est aussi mauvais. (Sourires.) C’est parfois l’avantage avec les Polonais ; ils disent les choses avec une certaine brutalité, ce qui permet, ensuite, de dire la même chose avec le sourire. (Nouveaux sourires.)
Cela étant, en réalité, c’est là toute la question ; pour le moment, il n’est pas possible de trouver un compromis en partant d’une hypothèse relative à la politique agricole commune qui ne correspond absolument pas à ce que nous souhaitons. Nous avons veillé à discuter avec nos partenaires, et vingt pays membres de l’Union européenne disent « non » aux coupes telles qu’elles se présentent dans le projet de la Commission. Il est évidemment essentiel de maintenir le premier pilier, les aides directes et, naturellement, de veiller, plus largement, au développement rural au travers du deuxième pilier.
Pour ce qui concerne la politique de cohésion, vous avez peut-être vu les simulations pour la France ; honnêtement, ce n’est pas sur ce point que nous sommes le plus en alerte. Nous sommes attentifs, notamment, au sort fait aux régions ultrapériphériques, dont nous sommes des porte-parole très motivés, mais ce n’est pas sur la politique de cohésion que nous avons de véritables soucis à nous faire, c’est sur la PAC.
Sur le reste du budget, sur les priorités en matière de défense par exemple, nous considérons que nous avons des retours possibles intéressants, il faut le dire. Nous sommes évidemment favorables également à l’augmentation des crédits de recherche. Donc il y a aussi dans le projet de cadre financier pluriannuel des aspects qui nous intéressent.
Je conclus en signalant la proposition que nous avons faite et qui est reprise par la Commission, consistant à cibler des fonds européens vers les collectivités qui accueillent et qui intègrent des migrants ; c’est une manière de rééquilibrer géographiquement l’attribution de certains fonds à l’intérieur de l’Union européenne.
M. le président. La parole est à Mme Victoire Jasmin.
Mme Victoire Jasmin. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur l’incidence tragique pour l’agriculture en outre-mer de la baisse annoncée du budget de la PAC. Vous en avez parlé, mais je veux insister sur la déclinaison de cette diminution pour le Programme d’options spécifiques à l’éloignement et à l’insularité, le POSEI. Ce programme est un outil indispensable qui accompagne financièrement les producteurs des filières agricoles des régions ultrapériphériques, ou RUP, de l’Union européenne.
Toute réduction budgétaire se traduira mécaniquement par une diminution importante de la production locale dans les différentes filières. Dès lors, le projet de la Commission européenne, présenté le 1er juin dernier, qui prévoit une réduction de 5 % des crédits alloués au POSEI par rapport au budget actuel, est inquiétant pour l’économie de nos territoires d’outre-mer.
Face à cette menace, qui contredit d’ailleurs les déclarations du président Juncker lors de la conférence des présidents des RUP en octobre 2017 en Guyane, la mobilisation des acteurs et des élus locaux a été unanime, et désormais, c’est au gouvernement français qu’il appartient de soutenir clairement notre agriculture en outre-mer. La balle est dans votre camp, madame la ministre, puisque, aujourd’hui même, 180 socioprofessionnels de l’industrie agroalimentaire des outre-mer se sont déplacés à Bruxelles, et ils ont obtenu l’engagement de M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, de ne pas toucher au POSEI si la Commission reçoit le soutien du Parlement européen et des trois pays membres des RUP, l’Espagne, le Portugal et la France.
Aussi, pouvez-vous, madame la ministre, nous assurer de la volonté de votre gouvernement, lors du Conseil européen des 28 et 29 juin prochains, de sanctuariser, au moins jusqu’en 2027, l’enveloppe budgétaire consacrée à l’agriculture en outre-mer ?