compte rendu intégral
Présidence de M. David Assouline
vice-président
Secrétaires :
Mme Jacky Deromedi,
M. Joël Guerriau.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour un rappel au règlement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur les articles 16 et 24 de notre règlement.
Ceux d’entre nous qui étaient présents dans cet hémicycle hier ont connu une séance quelque peu complexe, notamment en fin de journée. Cette séance n’a pas pu aller jusqu’à son terme, même si nous avons siégé jusqu’à minuit. En effet, le groupe majoritaire de notre assemblée étant sous-représenté, les scrutins publics se sont révélés, de son point de vue, nécessaires pour chaque vote. Le débat n’a donc pas pu se dérouler dans de bonnes conditions, ce qui est très regrettable au regard de l’importance du sujet dont nous discutons.
Nous avons repris nos travaux à l’instant ; il est prévu que nous siégions toute la journée. Fort bien ! Il n’empêche – c’est sans doute fatal – que le problème de sous-représentation de la majorité sénatoriale semble toujours vivace.
C’est pourquoi je vous interroge, monsieur le président, sur la nécessité de renvoyer ce texte en commission. (M. Roger Karoutchi s’exclame.)
En effet, l’absence de la majorité sénatoriale semble traduire la difficulté qu’elle éprouve à soutenir ce texte tel qu’il est issu des travaux de la commission des lois.
Mme Catherine Di Folco. Il ne faut pas exagérer !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Si tel n’était le cas, le nombre de nos collègues présents en séance aurait permis qu’ils soient majoritaires par rapport aux effectifs, évidemment bien moins importants, de l’opposition.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est que du blabla ! Je demande la parole.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Il faut donc étudier ce problème raisonnablement et sans esprit polémique. Je constate que notre collègue Roger Karoutchi a immédiatement demandé la parole pour me répondre. Gardons à l’esprit ma demande. Nous verrons comment se dérouleront nos débats au cours de cette matinée. Interrogeons-nous du moins sur le sens politique de ce qui s’est passé hier, sur le sens politique de l’absence de la majorité sénatoriale sur ce texte, qui est pourtant son texte, puisqu’il a été modifié par la commission des lois, où le groupe Les Républicains détient, comme il se doit, la majorité. Or les élus de ce groupe ne sont pas présents ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Il s’agit certes d’un problème interne à la majorité sénatoriale, mais il affecte désormais le Sénat tout entier, puisque nous ne pouvons pas travailler dans des conditions correctes sur ce texte pourtant important.
M. Philippe Pemezec. Le problème, c’est vous, ce n’est pas nous !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour un rappel au règlement fondé sur l’article…
M. Roger Karoutchi. Sur le même article que le précédent rappel au règlement, monsieur le président. (Sourires.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Lequel ?
M. Roger Karoutchi. Celui que vous avez cité, ma chère collègue.
Hier soir, notre assemblée – y compris le groupe Les Républicains, je le reconnais – n’a franchement pas donné un spectacle digne du Sénat. J’ai entendu beaucoup de propos, des comparaisons avec les drames des années trente, des horreurs sur tout et rien ; je ne suis pas convaincu que ceux de nos concitoyens qui d’aventure auraient suivi les débats sénatoriaux d’hier soir se soient dit qu’ils étaient équilibrés et exprimaient la dignité la plus extrême !
J’entends bien Mme de la Gontrie, qui s’insurge et y voit la preuve que le groupe Les Républicains ne soutient pas ce texte, alors qu’il détient la majorité à la commission des lois. Ma chère collègue, nous avons la majorité dans toutes les commissions ! Par conséquent, tous les textes sont nos textes, quand ils arrivent dans l’hémicycle ; celui-ci ne l’est pas plus que d’autres, portant sur d’autres sujets !
Certes, je suis le premier à reconnaître et à regretter – moi, j’étais ici ! – que nous avons connu, hier soir, un phénomène absolument extravagant : une majorité insuffisamment mobilisée et un groupe socialiste plus nombreux qu’elle. D’où une cascade de scrutins publics et une série d’interruptions. Je le regrette infiniment, et nous devrons régler ce problème, de manière interne à notre groupe.
Pardonnez-moi de vous le dire, ma chère collègue, mais cela peut arriver à tous les groupes, à tout moment, et sur n’importe quel texte !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Oui !
M. Roger Karoutchi. Nous avons connu hier un problème que je regrette infiniment, mais avouez, ma chère collègue, que si, comme vous le dites, nous ne sommes pas très nombreux ce matin, vous ne l’êtes pas non plus !
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais vous êtes majoritaires !
M. Roger Karoutchi. Nous le sommes, et nous allons le prouver ! Le règlement du Sénat autorise, que je sache, les scrutins publics, jusqu’à preuve du contraire. Nous ne l’avons pas modifié sur ce point. Par conséquent, aujourd’hui, nous allons siéger sereinement et nous allons continuer le débat. Si nous pouvions, au-delà des polémiques, nous montrer un peu plus dignes, nous concentrer sur la réalité du sujet qui nous occupe, et éviter des comparaisons plus ou moins oiseuses, ce serait mieux pour tout le monde. Franchement, hier soir, au-delà de ces histoires de scrutins publics et d’interruptions, je n’étais pas très à l’aise à l’écoute de certains propos.
En conclusion, monsieur le président, j’estime que nous pouvons parfaitement continuer l’examen de ce texte.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, mon intervention se fonde sur les mêmes articles que celle de notre collègue Marie-Pierre de la Gontrie.
Je ne reviendrai pas sur l’épisode d’hier soir, il a été très bien relaté par ma collègue. Voyez-vous, monsieur Karoutchi, nous respectons tout autant que vous le Sénat et ses débats. En revanche, nous ne cachons pas que nous avons avec vous des désaccords profonds sur un certain nombre de sujets ; nous les exprimons dans l’hémicycle. Convenez quand même que, ce qui nous a retardés, ce n’est pas le débat, c’est la multiplication des scrutins publics !
M. Roger Karoutchi. Et des interventions !
Mme Éliane Assassi. Mon cher collègue, tout comme moi, vous siégez ici depuis un certain nombre d’années. Rappelez-vous que, pour débattre d’un texte d’une telle importance politique, nous disposions auparavant de deux semaines. Or on nous demande à présent d’examiner un texte fondamental en trois jours seulement !
Il existe donc bien un problème par rapport à l’ordre du jour que le Gouvernement propose au Parlement et, en particulier, au Sénat. (M. Roger Karoutchi acquiesce.)
Nous en constaterons les conséquences lors de l’examen du projet de loi de révision constitutionnelle et des projets de loi ordinaire et organique qui lui sont associés.
Nous faisons donc face à un problème politique.
En outre, nous savons très bien que, sur des sujets sensibles comme l’asile, l’immigration et l’intégration, il peut y avoir des divergences politiques au sein de certains groupes. L’impossibilité d’exprimer ces divergences peut expliquer l’absence de certains parlementaires.
Pour notre part, nous sommes relativement homogènes sur ce sujet ; nous n’avons pas de soucis politiques. Nous ne voulons pas de ce texte : telle est la teneur de nos interventions et de nos propositions.
Je veux bien, quant à moi, siéger le soir, la nuit ou le week-end. Notre groupe est, proportionnellement à ses effectifs, bien représenté dans les débats parlementaires. Pour autant, il ne faut pas abuser ! La responsabilité de la situation repose à l’évidence, pour une part, sur la majorité sénatoriale, et, pour une autre part, sur le Gouvernement, dans la mesure où il fixe l’ordre du jour parlementaire.
Si nous devons siéger lundi après-midi, lundi soir, voire dans la nuit de lundi à mardi, je demande que, ce soir, notre débat se termine vers vingt heures ou vingt heures trente, afin qu’il puisse reprendre sereinement lundi après-midi.
M. Roger Karoutchi. Je suis d’accord !
M. le président. Mes chers collègues, Mme de la Gontrie demande le renvoi de ce texte à la commission. Aux termes de l’article 44, alinéa 5, de notre règlement, une motion de renvoi en commission sur l’ensemble du texte doit être déposée avant que soit entamé l’examen des articles. Une demande de renvoi en commission peut porter sur les articles restant en discussion ; dans ce cas, il faut déposer une motion à cette fin. Dans la mesure où il s’agit d’un texte inscrit par priorité à l’ordre du jour sur décision du Gouvernement, la commission doit statuer dans la journée, et même en dix minutes si elle le souhaite…
Voilà pour la requête de Mme de la Gontrie.
Mme Assassi, pour sa part, demande que nous puissions continuer nos travaux normalement.
Franchement, mes chers collègues, la balle est dans votre camp ; je vous ai indiqué la procédure nécessaire. Je n’ai été saisi, pour le moment, d’aucune motion de procédure. Nous allons donc continuer nos travaux. Ils se dérouleront sans doute – ce sera annoncé en temps voulu – suivant le schéma souhaité par Mme Assassi : il faudra probablement ouvrir la possibilité de siéger lundi. Ainsi, nous pourrons continuer sereinement, sans que ce soient toujours les mêmes qui s’épuisent.
M. Roger Karoutchi. Ce seront de toute manière les mêmes ! Voilà le désastre !
M. le président. D’ailleurs, quand on travaille dans la journée seulement, et non nuit après nuit, cela évite les dérapages que provoque la fatigue ; c’est donc selon moi la meilleure solution.
Il n’y a pas d’autres observations ?…
Il en est ainsi décidé et nous reprenons, dans la discussion du texte de la commission, l’examen du chapitre Ier au sein du titre II.
TITRE II (suite)
RENFORCER L’EFFICACITÉ DE LA LUTTE CONTRE L’IMMIGRATION IRRÉGULIÈRE
Chapitre Ier (suite)
Les procédures de non-admission
Article 10 ter (nouveau)
La première phrase du deuxième alinéa de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° Les mots : « ou qui, ayant » sont remplacés par les mots : « ou qui, soit ayant » ;
2° Après la date : « 19 juin 1990, », sont insérés les mots : « soit ayant été contrôlés à l’occasion du franchissement d’une frontière intérieure en cas de réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures prévues au chapitre II du titre III du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l’Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), » ;
3° Les mots : « ne remplissent pas les conditions d’entrée prévues à l’article 5 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) » sont remplacés par les mots : « ne remplissent pas les conditions d’entrée prévues à l’article 6 dudit règlement ».
M. le président. L’amendement n° 449, présenté par MM. Richard, Amiel, Bargeton, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Antoine Karam.
M. Antoine Karam. Nous demandons la suppression de cet article.
En effet, M. le rapporteur a jugé opportun de tirer les conséquences du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures au sein de l’espace Schengen en étendant aux cas de franchissement des frontières internes la possibilité de relever les empreintes digitales.
Cette possibilité est aujourd’hui limitée aux étrangers en situation irrégulière contrôlés à l’occasion du franchissement de la frontière en provenance d’un pays tiers à l’espace Schengen.
Or, le refus d’entrée visant un étranger se situant hors du territoire national, il apparaît dès lors difficile de justifier l’enregistrement de ses données biométriques, d’autant qu’il peut toujours faire l’objet d’un enregistrement dans une application de police ajustée spécifiquement aux zones d’attente et dédiée à la gestion des étrangers non admis.
Il n’est donc pas nécessaire de prévoir un enregistrement complémentaire dans l’AGDREF, l’application de gestion des dossiers des ressortissants étrangers en France. Cette mesure irait même à l’encontre de l’objectif gouvernemental, l’étranger ayant vocation à retourner rapidement dans son pays de départ.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cet amendement tend à supprimer l’article 10 ter, qui avait été introduit dans ce texte par la commission des lois.
En l’état du droit, seuls les étrangers en provenance d’un pays tiers à l’espace Schengen et ne remplissant pas les conditions d’entrée peuvent voir leurs empreintes digitales et leur photographie relevées, mémorisées et soumises à un traitement automatisé.
Votre commission a souhaité prendre en compte les conséquences du rétablissement, depuis la fin de l’année 2015, des contrôles aux frontières intérieures au sein de l’espace Schengen, et sécuriser les prises d’empreintes lors des contrôles aux frontières terrestres de la France.
En effet, plusieurs parquets se sont ouverts du problème auprès de votre serviteur ; ils lui ont expliqué qu’il serait particulièrement utile aux forces de police déployées à la frontière terrestre de pouvoir mieux contrôler les personnes qui y font l’objet de procédures dites de « refus d’entrée ».
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l’article 10 ter résulte de l’adoption par la commission des lois d’un amendement visant à renforcer l’efficacité des contrôles dans le cadre des procédures de non-admission à la frontière.
Cet article donne aux forces de l’ordre la possibilité de relever systématiquement les empreintes digitales aux fins de vérification d’identité et de consultation du fichier des personnes recherchées, dans le cadre, j’y insiste, des procédures de non-admission menées depuis le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures à l’espace Schengen.
Dès lors qu’en stricte conformité avec le code frontières Schengen le rétablissement des contrôles d’entrée et de sortie permet des vérifications approfondies, qui incluent des vérifications des empreintes digitales et des consultations des fichiers, les dispositions de cet article ne nous paraissent pas utiles.
En effet, les personnes placées en zone d’attente à la suite des refus d’entrée sont réputées, à l’évidence, ne pas être entrées sur le territoire français. Elles relèvent donc non pas de l’AGDREF, mais d’une application spécifique aux zones d’attente.
Par conséquent, comme cet ajout est inutile, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Je mets aux voix l’article 10 ter.
(L’article 10 ter est adopté.)
Article 10 quater (nouveau)
À l’article L. 411-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, les mots : « dix-huit mois » sont remplacés par les mots : « vingt-quatre mois ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 257 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 422 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 450 rectifié est présenté par MM. Richard, Amiel, Bargeton, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Mohamed Soilihi, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour défendre l’amendement n° 257 rectifié bis.
M. Jean-Yves Leconte. La commission a décidé d’allonger de dix-huit à vingt-quatre mois le délai à l’issue duquel un étranger peut solliciter le regroupement familial. Nous nous opposons à cette évolution.
En effet, nous considérons que la possibilité de bénéficier d’un regroupement familial est une condition indispensable pour une bonne intégration dans notre pays, dès lors que la personne étrangère en situation régulière doit vivre et s’installer dans notre pays. Nous ne comprenons donc pas cette disposition, qui est à l’évidence contraire aux conditions d’une bonne intégration.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 422.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement a déposé un amendement de suppression de cet article, introduit par la commission des lois, qui durcit les conditions du regroupement familial.
En effet, le Gouvernement ne peut être favorable à l’article 10 quater, qui fait passer de dix-huit à vingt-quatre mois la durée de séjour régulier requise pour déposer une demande de regroupement familial.
La directive du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial prévoit que le demandeur doit pouvoir être rejoint par sa famille au plus tard après deux ans de séjour régulier. L’administration dispose quant à elle d’un délai de six mois pour instruire un dossier de regroupement familial.
Dans ces conditions, le demandeur doit pouvoir être admis à déposer sa demande dès qu’il peut se prévaloir de dix-huit mois de séjour régulier, afin qu’il puisse être rejoint au plus tard après deux ans de séjour régulier, comme l’exige la directive.
Nous vous proposons donc, mesdames, messieurs les sénateurs, de supprimer cet article, qui est manifestement contraire au droit communautaire.
Au demeurant, si les auteurs de cet article ont pour ambition de limiter l’immigration par le biais du regroupement familial, leur démarche, à supposer qu’elle soit possible juridiquement, ne pourrait connaître qu’une efficacité relative. En effet, le regroupement familial ne représentait, en 2017, que 15 000 titres, sur un total de 242 000 titres délivrés.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, pour présenter l’amendement n° 450 rectifié.
M. Antoine Karam. Nous demandons, nous aussi, la suppression de cet article.
Le délai maximal prévu par la directive 2003/86/CE du 23 septembre 2008 pour être rejoint par sa famille est de vingt-quatre mois. Or l’administration a besoin d’un délai de six mois pour l’instruction de la demande.
L’article 8 de cette directive indique que « les États membres peuvent exiger que le regroupant ait séjourné légalement sur leur territoire pendant une période qui ne peut pas dépasser deux ans, avant de se faire rejoindre par les membres de sa famille ».
Introduire une condition de résidence préalable de vingt-quatre mois excède donc les marges d’appréciation laissées à la discrétion des États membres, sans qu’une justification suffisante soit avancée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission s’était montrée favorable à un amendement déposé, notamment, par M. Retailleau sur la thématique du regroupement familial, qui visait à porter de dix-huit à vingt-quatre mois le délai nécessaire pour que ce regroupement soit possible.
La commission souhaitait en effet, sur ce point comme sur l’ensemble des dispositions de ce texte, ne pas surtransposer les directives européennes et en rester à des standards plus rigoureux, de manière à mieux maîtriser les situations.
Concernant la conformité de cet article au droit européen, l’article 8 de la directive du 23 septembre 2003 dispose que « les États membres peuvent exiger que le regroupant ait séjourné légalement sur leur territoire pendant une période qui ne peut pas dépasser deux ans, avant de se faire rejoindre par les membres de sa famille ».
Cette condition de séjour de deux ans était d’ailleurs applicable en France entre 1993 et 1998. Le Conseil constitutionnel l’avait déclarée conforme à la Constitution dans sa décision du 13 août 1993.
De même, le 27 juin 2006, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé que cette condition de séjour de deux ans « n’a pas pour effet d’empêcher tout regroupement familial, mais maintient au profit des États membres une marge d’appréciation limitée en leur permettant de s’assurer que le regroupement familial aura lieu dans de bonnes conditions, après que le regroupant a séjourné dans l’État d’accueil pendant une période suffisamment longue pour présumer une installation stable et un certain niveau d’intégration ».
L’un des enjeux de l’immigration régulière est évidemment de rechercher cette qualité d’intégration nécessaire ; nous souhaitons tous naturellement que cette dernière soit parfaitement réussie.
C’est dans ces conditions que, ne souhaitant pas, je le redis, surtransposer les directives européennes sur l’ensemble de ce texte, la commission a émis un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
M. le président. Je présume, madame la ministre, que le Gouvernement est favorable à ces amendements identiques, puisqu’il a déposé l’un d’entre eux.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 257 rectifié bis, 422 et 450 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 164 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 330 |
Pour l’adoption | 134 |
Contre | 196 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 492 rectifié, présenté par M. Ravier, n’est pas soutenu.
L’amendement n° 158 rectifié, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
L’article L. 411-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 411-1. – Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France peut demander, au titre du regroupement familial, à bénéficier du droit à être réuni à son conjoint, si ce dernier est âgé d’au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. Sauf circonstances exceptionnelles, le regroupement familial s’effectue dans le pays d’origine de l’intéressé. »
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Considérant que le regroupement familial est un droit des hommes à vivre en famille, mais que la France et les Français n’ont aucun devoir d’accueillir l’ensemble des familles des personnes qui souhaitent travailler en France, nous proposons que le regroupement familial se fasse dans le pays d’origine de l’intéressé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’ai bien noté que l’amendement n° 492 rectifié n’était pas soutenu. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 158 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Avis défavorable, naturellement. (M. Jean-Yves Leconte applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. C’est une question importante qui se pose dans les mêmes termes que pour les personnes déboutées : la possibilité de retour pour ceux, qui, au final, constateraient qu’ils n’ont pas d’avenir légal en France. Bien évidemment, je maintiens cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Je vais intervenir avec le discernement dont nous a demandé de faire preuve M. Karoutchi, et en revenant aux chiffres et à la rationalité, tout en essayant de donner un peu de hauteur à ce débat.
M. Roger Karoutchi. C’est bien!
M. Pierre Ouzoulias. Dans l’objet de votre amendement, monsieur Meurant, vous distinguez immigration de travail et immigration de peuplement. J’ai envie de vous poser une simple question. Il y a aujourd’hui 1,8 million de Français à l’étranger, représentés par des sénateurs au sein de la Haute Assemblée. Ce chiffre croît de plus de 5 % par an. De quelle immigration s’agit-il : de travail ou de peuplement ? (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)