M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, sur l’article.
M. Xavier Iacovelli. Je profiterai de la discussion de cet article pour aborder une problématique malheureusement absente de votre projet de loi, monsieur le ministre d’État – une de plus. Je veux parler de la formation linguistique du demandeur d’asile.
Nous le savons, l’apprentissage du français est un vecteur essentiel d’autonomie pour le demandeur d’asile. La langue constitue une barrière ; elle rend les demandeurs d’asile dépendants des structures et des intervenants sociaux qui les accueillent. Au-delà des cours de français stricto sensu, la formation linguistique peut passer par des ateliers culturels, par exemple du théâtre, par le sport et par l’éducation. Il s’agit d’une demande des associations qui œuvrent au quotidien pour l’autonomie des demandeurs d’asile.
La culture, l’éducation et le sport sont des vecteurs importants d’intégration et d’émancipation pour les nouveaux arrivants. Ils permettent de créer du lien social et d’apprendre la langue et la culture françaises dans un environnement diversifié et mixte.
C’est pourquoi j’avais déposé, avec mes collègues du groupe socialiste et républicain, un amendement en ce sens. Jugé irrecevable au regard de l’article 40 de la Constitution, il visait à faire bénéficier les demandeurs d’asile d’une formation linguistique dès l’instruction de leur demande, pour favoriser leur intégration. J’espère que, lors de la réforme constitutionnelle, nous débattrons de cet article 40, qui prive allègrement les parlementaires d’initiatives…
Je trouve dommageable que cette disposition soit absente du projet de loi. Cela démontre une nouvelle fois la vision du Gouvernement en la matière : accueillir mal, pour accueillir moins.
Les conditions matérielles faites aux demandeurs d’asile leur permettent d’être dignes sur le territoire français pour défendre leur demande. On voit bien, monsieur le ministre d’État, que votre projet de loi ne va pas dans ce sens.
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, sur l’article.
M. Yvon Collin. L’article 9 du projet de loi réforme les conditions matérielles d’accueil des demandeurs d’asile, comprenant les dispositifs d’hébergement et l’allocation pour demandeur d’asile.
Pour cela, il rend plus directif le schéma national d’accueil des demandeurs, qui déterminera désormais la part des demandeurs d’asile accueillis dans chaque région. Il soumet également l’octroi des conditions matérielles d’accueil à des conditions plus restrictives, telles que la résidence effective dans la région vers laquelle le demandeur a été orienté, ainsi que la bonne coopération avec les autorités françaises durant la procédure d’asile.
Aujourd’hui, quelque 60 % des demandeurs d’asile sont concentrés dans quatre régions métropolitaines : l’Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, les Hauts-de-France et le Grand Est. Aussi cet article ambitionne-t-il de mieux répartir l’effort d’accueil sur l’ensemble du territoire national, ce qui paraît normal.
Il s’agit, d’une part, de désengorger les centres d’hébergement, et, d’autre part, d’éviter la concentration spatiale des demandeurs d’asile. Une concentration dont nous connaissons tous les effets négatifs, notamment le développement de campements insalubres se caractérisant par des conditions de vie précaires, qui ne manquent pas d’inquiéter les riverains.
En conséquence, il serait souhaitable que la mise en œuvre de l’hébergement directif se fasse vers des structures permettant un accompagnement effectif, décent et adapté à la vie privée et familiale de chacun. Il s’agit ici, tout simplement, de garantir aux demandeurs d’asile le respect de leur dignité.
Toutefois, ces questions dépassent notre cadre national, car c’est l’Europe entière qui est touchée par la crise migratoire. Mardi dernier, à Berlin, le conseil des ministres franco-allemand, réunissant Emmanuel Macron et Angela Merkel, a mis en lumière la nécessité d’une réponse européenne commune à la question migratoire, afin que chacun assume, sur son territoire, sa part de l’accueil des demandeurs d’asile.
Mes chers collègues, que ce soit au niveau national ou au niveau européen, nous le voyons bien : une réelle solidarité est nécessaire, afin que l’accueil soit plus justement partagé. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – M. François Patriat applaudit également.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Didier Guillaume. Excellent !
M. le président. L’amendement n° 10, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Je le répète, le présent article comporte des dispositions très problématiques.
La dernière réforme du droit d’asile de juillet 2015 avait déjà introduit des dispositions relatives à l’hébergement dans le CESEDA. Ainsi, le demandeur d’asile est déjà tenu d’accepter l’hébergement qui lui est proposé, sous peine d’être privé du bénéfice de l’ensemble des conditions matérielles d’accueil.
Pourtant, le Gouvernement entend renforcer ce caractère directif et coercitif, dans la mesure où le demandeur d’asile serait désormais orienté vers une région précise, où il serait obligé de résider. Plus grave encore, la circulaire Collomb du 12 décembre 2017 entrerait dans le champ législatif. Je tiens à le répéter, le fichage des exilés pose, cela va sans dire, un grave problème éthique.
Pour ces raisons, les auteurs de l’amendement souhaitent la suppression de l’article 9, qui contrevient de manière évidente au droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence des exilés en détresse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à supprimer un article que la commission des lois soutient.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Gérard Collomb, ministre d’État. Je veux dire quelques mots à Mme Benbassa. En comptant les 7 800 places qui seront créées en 2018 et en 2019, nous aurons doublé les capacités du DNA, le dispositif national d’asile, telles qu’elles étaient en 2012. Quant à l’hébergement d’urgence, nous disposons actuellement de 138 000 places. Là encore, nous avons doublé le nombre des places disponibles entre 2012 et aujourd’hui.
On peut évidemment augmenter les capacités d’accueil de manière infinie, mais, à un moment donné, un certain nombre de nos concitoyens ne comprendront plus et refuseront tout !
C’est la raison pour laquelle nous essayons de trouver un équilibre dans les propositions que nous formulons : nous essayons de mieux accueillir et d’accueillir davantage de réfugiés et, en même temps, nous tentons de résoudre une situation qui, on le voit bien, est totalement insoutenable.
Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre d’État, vous savez bien que c’est vous qui formez l’opinion publique ! Quand je dis « vous », ce n’est pas vous personnellement, mais le manque de pédagogie du Gouvernement, auquel se joint, bien sûr, une partie des médias !
Vous êtes vous-même agrégé d’histoire. Vous êtes un homme de culture et savez parfaitement comment les opinions se forment ! Elles ne naissent pas toutes seules. Il est très facile de dire que l’opinion publique ne comprendrait pas : il s’agit d’un alibi, monsieur le ministre d’État. (M. le ministre d’État proteste.)
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. L’article 9, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, était encore plus contraignant que celui que nous examinons aujourd’hui.
À cet égard, je crois que l’on peut se féliciter que la commission, grâce à notre insistance, mais tout de même avec l’accord de M. le rapporteur, ait réintroduit la garantie d’un hébergement pour les demandeurs d’asile, dans le cadre du dispositif d’orientation directive.
Le Gouvernement veut conserver l’orientation nationale des demandeurs d’asile, ce qui est une bonne chose, mais il supprime la garantie d’un hébergement. Cela revient à assumer l’idée que l’on enverra des demandeurs d’asile dans des régions qu’ils ne connaissent pas et où ils n’ont aucun contact, sans leur garantir un hébergement au bout.
Il faut avoir à l’esprit, de surcroît, que le respect de cette orientation conditionne l’octroi des aides matérielles aux demandeurs d’asile. Il s’agit donc d’une question fondamentale. Imaginez un demandeur d’asile à qui l’on demanderait d’aller en Normandie, par exemple, et de se débrouiller pour trouver à s’héberger. S’il refusait, il n’aurait en définitive plus droit aux aides matérielles.
Tout le dispositif proposé par le Gouvernement – l’orientation directive sans garantie d’hébergement, l’accord préalable de l’OFII pour sortir de la région, la multiplication des cas de retrait automatique des aides, etc. – revient in fine à parquer les demandeurs d’asile et à faire peser sur eux la menace constante d’une suppression de toute aide matérielle.
Non seulement l’hébergement doit rester la contrepartie de l’orientation directive, mais les schémas régionaux d’accueil doivent prendre en compte les situations personnelles et la vulnérabilité des personnes. Les conditions matérielles doivent pouvoir être sollicitées tout au long de la procédure et des prestations sociales et administratives minimales doivent être assurées dans tous les hébergements !
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Je crois que M. le ministre d’État a dit une chose qui se trouve au cœur de notre débat et qu’il faut entendre.
Monsieur le ministre d’État, en fait, vous prenez un pari. Vous pointez une évolution possible de l’opinion publique pour justifier des mesures qui permettraient de l’enrayer. C’est votre mode de raisonnement. Pour être clair, vous nous dites qu’il ne faut pas que les populistes arrivent au pouvoir et qu’il faut donc mettre en place une politique qui freinera leur ascension.
M. Roger Karoutchi. Le ministre d’État a raison !
M. Bernard Jomier. Non, monsieur Karoutchi ! Rogner les droits fondamentaux n’est pas une bonne méthode. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le Défenseur des droits, dont vous connaissez le parcours politique.
L’histoire nous le montre aussi. Mme Benbassa a raison : M. le ministre d’État est un homme de culture, qui connaît, comme nous, cette histoire. Il n’est jamais payant d’aller dans cette direction pour empêcher des populistes d’arriver au pouvoir. C’est l’échec assuré !
M. Roger Karoutchi. Vous avez tort !
M. Bernard Jomier. De plus, le prix à payer est très lourd. On parle en effet de restreindre des droits fondamentaux, qui faisaient pourtant l’objet d’un large accord dans notre société et qui marquent le caractère social de notre République.
En réalité, monsieur le ministre d’État, vous tentez un pari, très risqué, qui pèse lourd dans la balance. Vous mettez notre identité commune – j’insiste sur le pluriel, pour ne pas faire de mauvais procès à qui que ce soit – dans la balance. Cette identité commune est maintenant en danger, et je prends le pari devant vous que votre politique ne freinera en rien la montée du populisme. En rien ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’article 9, tout comme les autres articles, est important et porte sur un sujet extrêmement sensible, puisqu’il concerne le volet humain du texte.
Je fais naturellement confiance à nos collègues de la commission des lois, qui s’investissent beaucoup sur ces sujets particulièrement délicats. Dans nos départements respectifs, on est souvent confronté à ces problématiques d’accueil des réfugiés.
Je rejoins l’un des précédents intervenants : la question du lien social est absolument fondamentale, et il faut rendre hommage à tous les bénévoles qui se dévouent pour assurer l’accueil de ces personnes. La question de l’apprentissage de la culture, de la lecture, de l’écrit, de la langue est également prioritaire.
Je ne voterai pas l’amendement tendant à supprimer l’article et je me rallierai à la position de la commission. Cela étant, je crois que les messages envoyés sont vraiment importants. Je pense notamment à la difficulté et la complexité des procédures : même si je puis comprendre qu’il faille être rigoureux dans l’examen des demandes, ces procédures sont particulièrement complexes, y compris pour des individus qui ont à la fois un emploi et un logement, et qu’il conviendrait d’accueillir.
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour explication de vote.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, depuis le début des débats, je vous écoute, sinon religieusement, en tout cas avec une attention toute républicaine !
Mme Esther Benbassa. Alors ça !
M. Stéphane Ravier. Vous avez fait preuve, chers collègues, et vous ferez encore preuve dans les jours qui viennent d’une grande technicité.
On sent bien que vous maîtrisez l’historique des lois relatives à l’immigration, et pour cause : hier, vous étiez sans doute déjà sénateurs ou occupiez des fonctions qui vous ont conduits à élaborer les textes de cette politique, cette folle politique d’immigration ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Vous êtes donc tous responsables, peu ou prou, de la situation vécue et subie par nos compatriotes !
D’autres jouent et rejoueront la commedia dell’arte (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.), essayant de faire pleurer Margot sur le sort des réfugiés,…
M. Didier Guillaume. Il cite Georges Brassens !
M. Stéphane Ravier. … un sort auquel je ne puis rester insensible, moi non plus.
J’ai tout entendu : l’orgueil d’être un pays attractif, la tradition d’accueil de la France, l’humanisme, les droits de l’homme, l’éthique,…
M. Patrick Kanner. Hé oui !
M. Stéphane Ravier. … la nécessaire écoute, la prise en compte des persécutions, des souffrances – de toutes les souffrances. Je les ai toutes entendues ces souffrances, sauf une. Il existe une souffrance dont personne ne parle ici, c’est la souffrance du peuple français ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Le peuple français souffre de cette folle politique d’immigration, qui se traduit, chaque jour un peu plus, par une immigration non plus de peuplement, mais de remplacement, voire de grand remplacement dans certaines villes et régions ! (Protestations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Je parle de ce peuple français que vous refusez d’interroger, que vous refusez d’écouter, et qui s’est exprimé par voie de sondage à propos de L’Aquarius : quelque 57 % des Français refusent que de nouveaux bateaux puissent accoster dans notre pays. Vous refusez de l’entendre !
L’opinion publique, chère collègue Benbassa, se forge, non pas sur le fondement des discours ou des manœuvres du Gouvernement, mais en fonction de la réalité qu’elle subit ! Cette réalité conduit à vous dire que les Français n’en peuvent plus de votre politique d’immigration, et je suis là pour le faire savoir ! (Mme Claudine Kauffmann applaudit.)
Mme Cécile Cukierman. C’est pour cela qu’ils ne vous ont pas élus au second tour de l’élection présidentielle !
M. le président. La parole est à M. Rachid Temal, pour explication de vote.
M. Rachid Temal. Je me permets de réagir aux propos qui viennent d’être tenus. On comprend mieux ce qu’évoquait tout à l’heure mon collègue Bernard Jomier : courir derrière ne permettra jamais d’arrêter la « bête immonde », pour reprendre les paroles d’un chanteur célèbre.
On le voit bien, ce n’est jamais assez… (M. Stéphane Ravier s’exclame.) Je vous ai écouté, cher collègue, permettez-moi de m’exprimer à mon tour, même si je vous le dis, vos propos résonnent encore douloureusement à nos oreilles.
La stratégie consistant à toujours courir derrière ne sert à rien, parce que l’extrême droite a sa propre théorie. Nous l’avons entendu ici comme dans d’autres pays européens. Les propos sur le « grand remplacement » sont extrêmement choquants, parce qu’ils ne reflètent nullement la réalité de ce que vit notre pays, parce que ce dont nous débattons aujourd’hui, mes chers collègues, c’est de l’avenir d’hommes, de femmes, d’enfants qui sont dans l’obligation de quitter leur pays au risque de leur vie.
Mon cher collègue, vos théories nauséabondes, d’un autre temps, n’ont pas leur place aujourd’hui face à ce drame humain ! Ce que vous venez dire est intéressant, car cela démontre encore une fois – on a d’ailleurs pu voir ce qu’ont voté vos collègues de l’Assemblée nationale, notamment à l’article 5 – que vos propos sont inacceptables.
Nous sommes là pour perpétuer ce qui constitue la tradition de la France, sa capacité d’accueil, non pour suivre votre proposition de rejoindre « l’axe » sécuritaire, que certains ministres de l’intérieur essaient de promouvoir aujourd’hui en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard, pour explication de vote.
M. Guillaume Gontard. Monsieur le ministre d’État, avec cette intervention, on vient d’avoir la démonstration de l’absurdité de votre politique. On vient surtout de comprendre après quoi l’on court. Quelle sera la prochaine étape ? L’Italie, les États-Unis ?…
On voit bien que cette politique est complètement absurde. Cela fait vingt ou trente ans que l’on applique la même politique, qui ne fonctionne pas et qui coûte cher, alors qu’une autre politique serait possible, me semble-t-il, celle de l’accueil. (M. Stéphane Ravier s’esclaffe.) Bien sûr, mes propos vous font rire, et vous me répondrez que je suis bien gentil avec ma politique d’accueil.
Pourtant, je vais vous donner un exemple. Je vais m’adresser à ce monsieur, qui se situe en face de moi dans l’hémicycle : il a parlé au nom du peuple français. Moi aussi, je puis parler en son nom !
Je suis élu d’un territoire de montagne, qui a connu l’immigration. Celle des protestants, des Italiens, des Algériens. Dans ce territoire de 10 000 habitants, situé dans les montagnes, on a accueilli 80 réfugiés. Or 80 personnes pour 10 000 habitants, cela représente 0,8 % de la population ; cela représenterait 600 000 demandeurs d’asile à l’échelle de la France. Et cela se passe bien ! La population est heureuse. Il existe un vrai lien social, et les élus se battent pour continuer à garantir cet accueil.
À quel moment changera-t-on de politique ? Quand se montrera-t-on un peu plus pragmatique ? J’entends toujours parler de pragmatisme. Or on voit bien que la politique que vous mettez en place, monsieur le ministre d’État, ne fonctionne pas ! Aussi, changeons de politique, soyons pragmatiques et mettons en place une politique de l’accueil qui fonctionne et qu’attendent, j’en suis sûr, nos concitoyens ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, ainsi que sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. L’intervention de M. Ravier devrait au moins servir de sonnette d’alarme et nous faire sortir de la logique et de l’état de tétanie dans lequel nous nous trouvons. Cela fait tout de même plusieurs décennies que le Front national explique, avec une certaine cohérence, que le problème, c’est l’immigration, parce que celle-ci créerait une souffrance insupportable chez les Français.
Le problème, ce ne serait pas les insuffisances d’une politique ne permettant pas aux Français d’accéder à l’emploi ou à un logement décent, de vivre en harmonie les uns avec les autres et dans un bien-être qui ne leur ferait pas chercher ailleurs les raisons de leur malheur. Après tout, c’est vieux comme le monde : le problème, c’est l’autre ! L’extrême droite le dit et le matraque.
À une certaine époque, nous avons connu une forte résistance à ce discours, qui dépassait les frontières de tel ou tel parti politique. Ce n’était pas une problématique de gauche, c’était l’affaire de l’ensemble des républicains. Dans cet hémicycle, en particulier, c’était un autre discours que l’on entendait sur l’ensemble des travées. On défendait une autre logique, consistant à dire que l’immigration n’était pas le problème.
M. Ravier parle de grand remplacement, mais j’ai entendu d’autres intervenants, qui ne sont pourtant pas membres du Front national, parler de « submersion » ! Et j’entends la même chose depuis plusieurs heures et le début de nos débats : il faudrait prendre garde, car, si on laisse les choses en l’état, la situation deviendra tellement insupportable que les Français iront vers les thèses du Front national.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Hé oui !
M. David Assouline. Mais non ! Voyez, chers collègues, nous avons durci les lois en matière d’immigration sous Nicolas Sarkozy. Les textes ont été durcis sans arrêt – tous les deux ans. Est-ce que, pour autant, le Front national a baissé ? Non, cela leur a donné raison !
M. Stéphane Ravier. Vous avez raison !
M. David Assouline. Cela a eu pour effet de faire croire à l’opinion publique que l’immigration était le problème !
Or la souffrance des Français n’est pas celle-là ! Nous sommes 66 millions d’habitants. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.) Si l’accueil des demandeurs d’asile était organisé et planifié dans la dignité,…
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Le temps de parole est épuisé, monsieur le président !
M. David Assouline. … grâce à des projets d’intégration répartis sur l’ensemble du territoire, assurant son maillage, que ce soit dans les campagnes ou les villes, dans les villes moyennes comme les grandes villes, la situation serait acceptable !
M. Stéphane Ravier. Les choses sont claires, désormais : c’est la submersion que vous souhaitez, monsieur Assouline !
Mme Cécile Cukierman. Il n’y a pas de submersion, il faut arrêter !
M. le président. Je vous prie de rester calmes, mes chers collègues !
La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, nous discutons de la politique de l’immigration et de l’asile, et il est parfaitement naturel que les points de vue s’opposent, parfois avec enthousiasme, parfois aussi avec une certaine véhémence, car ce sujet nous engage les uns et les autres, à la fois intellectuellement et en vertu de convictions profondes.
Néanmoins, il me semble – je vais essayer de le dire avec tact, avec retenue, avec réserve, sans chercher à faire pression sur aucun d’entre vous – que, lorsque les choses ont été dites une fois, il peut être utile de les dire une seconde fois, mais les répéter dix ou quinze fois, et systématiquement pendant deux minutes et demie, c’est beaucoup !
Mme Esther Benbassa. C’est l’art de la pédagogie ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Ce n’est pas de la pédagogie !
M. Stéphane Ravier. Au moins, les Français sauront !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Naturellement, c’est un droit dont dispose chacune et chacun d’entre nous, mais nous avons aussi l’obligation de faire aboutir ce débat et, après avoir discuté, de voter et de décider.
Or, telles que les choses sont engagées depuis plusieurs jours maintenant, nous n’arriverons pas au terme de cette discussion si nous n’assumons pas, en notre âme et conscience, la responsabilité de contenir ce débat, pour ce qui concerne le temps que nous lui consacrons, dans des limites raisonnables, et à condition, évidemment, que tout soit dit et que tout puisse être dit, sans nécessairement avoir à le répéter.
Nous savons aussi, les uns et les autres, que l’important sera de nous déterminer en fonction de nos convictions, de façon utile et en donnant de notre délibération la meilleure image possible. En effet, nombre de Français s’attendent à ce que la chambre de la réflexion, que représente le Sénat dans notre République, accomplisse son travail sans emportement. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – Mme Josiane Costes applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 10.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 149 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 234 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Les conditions matérielles d’accueil sont également proposées au demandeur d’asile de bonne foi qui en fait la demande. » ;
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Je tâcherai d’être rapide, afin que vous puissiez suspendre la séance à l’heure prévue, monsieur le président.
Cet amendement vise à étendre les périodes pendant lesquelles le demandeur d’asile peut demander à bénéficier des conditions matérielles d’accueil auxquelles il a droit. Aujourd’hui, il n’y a accès qu’en début de procédure. Or la situation des demandeurs d’asile peut évidemment évoluer : vous pouvez être accueilli au début, avant que votre situation ne se dégrade et que, finalement, vous n’ayez besoin d’un accès aux conditions matérielles d’accueil en cours de procédure. Aujourd’hui, une telle possibilité n’est pas prévue par le texte.
Dès lors, évidemment, que le demandeur d’asile est de bonne foi, cet amendement tend à proposer que ces conditions d’accueil matérielles lui soient accessibles.