Sommaire
Présidence de Mme Catherine Troendlé
Secrétaires :
M. Yves Daudigny, Mme Mireille Jouve.
Question n° 315 de M. Bernard Jomier. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; M. Bernard Jomier.
réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux
Question n° 329 de Mme Laure Darcos. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; Mme Laure Darcos.
développement des pôles universitaires délocalisés
Question n° 272 de Mme Josiane Costes. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; Mme Josiane Costes.
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
cursus d’études de médecine en milieu rural
Question n° 287 de Mme Nadia Sollogoub. – Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées ; Mme Nadia Sollogoub.
politique de délocalisation d’engie vers des prestataires hors de france
Question n° 256 de M. Fabien Gay. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; M. Fabien Gay.
taxes sur le carburant et services départementaux d’incendie et de secours
Question n° 358 de Mme Catherine Troendlé. – M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics ; Mme Catherine Troendlé.
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
travaux de réfection du commissariat de narbonne
Question n° 354 de M. Roland Courteau. – Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées ; M. Roland Courteau.
départ de l’onera du site de meudon
Question n° 340 de M. Hervé Marseille. – Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées ; M. Hervé Marseille.
encouragement des langues minoritaires
Question n° 335 de M. Jean-Pierre Decool. – Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées ; M. Jean-Pierre Decool.
Question n° 334 de M. Philippe Madrelle. – Mme Laura Flessel, ministre des sports ; M. Philippe Madrelle.
Question n° 264 de Mme Laurence Cohen. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Laurence Cohen.
Question n° 276 de M. Jacques-Bernard Magner. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Jacques-Bernard Magner.
société commerciale médecindirect
Question n° 290 de Mme Florence Lassarade. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Florence Lassarade.
dépistage néonatal de la drépanocytose
Question n° 337 de M. Georges Patient. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Georges Patient.
Question n° 353 de M. Dominique Watrin. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; M. Dominique Watrin.
rupture d’approvisionnement et de stock dans les pharmacies d’officine
Question n° 363 de Mme Corinne Imbert. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Corinne Imbert.
conditions d’accueil dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
Question n° 382 de Mme Christine Herzog. – Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé ; Mme Christine Herzog.
compteurs linky et maîtrise de la consommation d’énergie
Question n° 311 de Mme Frédérique Espagnac. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Frédérique Espagnac.
situation des chômeurs seniors
Question n° 298 de M. Yves Détraigne. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Yves Détraigne.
pollution dans le golfe de fos-sur-mer
Question n° 263 de Mme Mireille Jouve. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Mireille Jouve.
conséquences de la restructuration de météo-france dans le rhône
Question n° 297 de Mme Élisabeth Lamure. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Élisabeth Lamure.
réglementation relative au travail en hauteur
Question n° 268 de M. Cédric Perrin. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Cédric Perrin.
désengorgement de l’axe autoroutier entre bordeaux et biriatou
Question n° 159 de M. Max Brisson. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Max Brisson.
lignes à grande vitesse en occitanie
Question n° 227 de Mme Marie-Thérèse Bruguière. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Marie-Thérèse Bruguière.
Question n° 213 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; M. Guillaume Chevrollier.
équipement en caméras thermiques pour les lieutenants de louveterie
Question n° 366 de Mme Patricia Morhet-Richaud. – Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire ; Mme Patricia Morhet-Richaud.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Convocation du Parlement en session extraordinaire
4. Convocation du Parlement en Congrès
5. Immigration, droit d’asile et intégration. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture
Motion n° 2 de Mme Éliane Assassi. – Mme Éliane Assassi ; M. Jean-François Rapin ; M. François-Noël Buffet, rapporteur ; Mme Jacqueline Gourault, ministre ; M. Éric Bocquet ; Mme Marie-Pierre de la Gontrie. – Rejet par scrutin public n° 129.
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
Mme Jacqueline Gourault, ministre
Clôture de la discussion générale.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 177 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 153 rectifié de M. Sébastien Meurant. – Retrait.
Amendement n° 167 de Mme Catherine Di Folco. – Adoption.
Amendement n° 168 de Mme Catherine Di Folco. – Adoption.
Amendement n° 169 de Mme Catherine Di Folco. – Adoption.
Amendement n° 179 rectifié ter de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Amendement n° 180 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Amendement n° 178 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Amendement n° 496 de M. Stéphane Ravier. – Non soutenu.
Amendement n° 497 de M. Stéphane Ravier. – Non soutenu.
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
Amendement n° 182 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 132, de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 1er A
Amendement n° 404 rectifié de M. David Assouline. – Rejet.
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
Amendement n° 5 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 184 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 172 rectifié de M. Richard Yung. – Retrait.
L’article demeure supprimé.
Articles additionnels après l’article 1er
Amendement n° 186 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 188 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 452 rectifié de Mme Jacqueline Eustache-Brinio. – Adoption.
Amendement n° 190 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Devenu sans objet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
6. Communication relative à une commission mixte paritaire
7. Immigration, droit d’asile et intégration. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendement n° 375 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rectification.
Amendement n° 375 rectifié bis de M. Jean-Pierre Sueur. – Adoption.
Amendement n° 192 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Amendement n° 191 rectifié bis de M. Didier Marie. – Rejet par scrutin public n° 134.
Adoption, par scrutin public n° 135, de l’article modifié.
Article additionnel avant l’article 4
Amendement n° 119 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Devenu sans objet.
Amendement n° 517 rectifié de M. Guillaume Arnell. – Rejet par scrutin public n° 136.
M. Patrick Kanner ; M. le président.
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 35 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Retrait.
Amendement n° 194 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public n° 137.
Amendement n° 85 de M. Claude Malhuret. – Retrait.
Amendement n° 156 rectifié de M. Sébastien Meurant. – Retrait.
Amendement n° 195 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet par scrutin public n° 138.
Amendement n° 196 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° 86 de M. Claude Malhuret. – Retrait.
Amendement n° 197 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 36 de Mme Éliane Assassi. – Retrait.
Amendement n° 578 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 198 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 6 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 43 rectifié bis de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 411 rectifié ter de Mme Laurence Rossignol
Suspension et reprise de la séance
Amendement n° 411 rectifié ter de Mme Laurence Rossignol (suite). – Rejet par scrutin public n° 139.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Secrétaires :
M. Yves Daudigny,
Mme Mireille Jouve.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 14 juin 2018 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Questions orales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
accessibilité du métro parisien dans le cadre de l’organisation des jeux olympiques et paralympiques 2024
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, auteur de la question n° 315, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
M. Bernard Jomier. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’été 2024, la France aura l’honneur d’accueillir les jeux Olympiques d’été, mais également, à leur suite, les jeux Paralympiques. Cet événement sportif majeur constituera un moment de joie collective. Chacun doit pouvoir y participer. Nous devons être donc en capacité de permettre à toutes et à tous de se déplacer dans de bonnes conditions.
Madame la secrétaire d’État, vous le savez, seulement 3 % des stations du réseau métropolitain parisien sont aujourd’hui accessibles aux personnes à mobilité réduite. Or, pour le moment, rien n’est prévu pour modifier réellement cette situation.
Bien sûr, je n’ignore pas les efforts réalisés par la RATP, en particulier pour la signalisation à destination des déficients visuels et l’accompagnement des personnes en situation de handicap mental, tout comme je me réjouis qu’aujourd’hui, enfin, la quasi-totalité des stations de RER soient accessibles et que le réseau de surface – bus, tramway – soit aménagé.
De la même manière, la garantie que chaque nouvelle station, en prolongement des lignes existantes ou dans le cadre du Grand Paris Express, soit accessible est à saluer, mais on ne peut en rester là. Il faut aller plus loin et agir sur le réseau métropolitain historique.
J’entends, bien entendu, les contraintes techniques, et même financières, estimées à plusieurs milliards d’euros, que pourraient engendrer des travaux d’une telle envergure. Nous ne pouvons pas réclamer l’impossible, mais nous ne pouvons pas non plus justifier d’exclure une partie de la population de notre réseau de transports en commun souterrain, dont nous faisons, à juste titre, une fierté nationale pour son efficacité et sa rapidité.
Inspirons-nous de l’exemple de Londres, qui va investir plus de 200 millions de livres pour l’accessibilité de son métro ; profitons de l’accueil des jeux Olympiques et Paralympiques pour accélérer le mouvement, développer une cohérence de transports et travailler sur les nœuds intermodaux. Il serait inacceptable que nous ne nous donnions pas collectivement les moyens de faire de l’égalité une réalité dans notre capitale, à l’heure où le monde entier aura les yeux braqués sur nous.
Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle est votre ambition en la matière ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour atteindre cet objectif collectif et combler enfin le tragique retard dont souffre notre pays en matière d’accessibilité des personnes en situation de handicap au réseau de transports en commun ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, monsieur le sénateur Jomier, le réseau de transports en commun francilien est, fort heureusement, d’ores et déjà largement accessible aux personnes à mobilité réduite. Vous l’avez rappelé, la majorité des bus parisiens le sont, tout comme 200 lignes franciliennes, soit plus de 70 % du réseau des bus de banlieue, l’ensemble des lignes de tramway et 63 gares RER. Enfin, la moitié des 375 gares SNCF franciliennes, représentant 95 % du trafic total, sont ou seront accessibles en 2024.
Pour autant, vous avez totalement raison, en dehors des stations de métro récentes, toutes accessibles, celles du métro historique ne le sont pas. Elles présentent en effet une série de difficultés techniques qui ont conduit le législateur de 2005 à les exempter largement de l’obligation de mise en accessibilité, à condition que des transports de substitution soient mis en place.
C’est sur cette base qu’Île-de-France Mobilités, au conseil d’administration duquel siègent plusieurs de vos collègues conseillers parisiens, a concentré ses efforts sur le réseau de bus parisien, qui a été rendu accessible en totalité et fait office de réseau de substitution.
À la veille d’accueillir dans notre capitale une manifestation mondiale d’un aussi haut relief que les jeux Olympiques et Paralympiques, il reste possible de faire preuve collectivement de plus d’agilité pour progresser sur l’accessibilité d’un réseau centenaire, comme Londres a su le faire en 2012. Je reviens justement de la capitale britannique, avec Élisabeth Borne, après plusieurs autres déplacements, pour étudier les solutions trouvées.
C’est pourquoi l’article 23 de la loi du 26 mars 2018 relative à l’organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 prévoit que les autorités organisatrices des transports concernées, dont Île-de-France Mobilités, devront élaborer un rapport dans un délai de dix-huit mois contenant « de nouvelles propositions pour développer l’accessibilité universelle des modes de transports nécessaires pour rejoindre les sites liés à l’organisation et au déroulement des jeux » - accessibilité « universelle », monsieur le sénateur.
Avec Élisabeth Borne, nous avons saisi conjointement la présidente d’Île-de-France Mobilités pour lui faire part de la totale disponibilité des services de l’État pour avancer sur ce rapport.
Je compte sur ce document pour identifier les pistes d’amélioration de l’accessibilité des transports à tous les types de handicaps, qui pourraient notamment amener à compléter ou accélérer les aménagements prévus dans les schémas directeurs d’accessibilité dans des délais compatibles avec la tenue des Jeux en 2024.
Je suis, pour ma part, favorable à ce que toute proposition d’évolution du cadre réglementaire soit explorée pour faciliter la mise en accessibilité du métro parisien. Ainsi, la possibilité juridique et pratique d’une mise en accessibilité de stations stratégiques, et non de l’ensemble d’une ligne, devra être examinée, tout comme devront être aussi examinées de nouvelles modalités d’évacuation, qui devront être conformes aux dispositions du règlement de sécurité contre les risques d’incendie et de panique dans les établissements recevant du public.
Vous l’avez très bien dit, l’accessibilité des sites olympiques pour toutes les personnes handicapées, au travers notamment du métro parisien, représente un enjeu essentiel pour la réussite des jeux de 2024, pour la participation de tous à tout.
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Jomier, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Bernard Jomier. Madame la secrétaire d’État, ma réponse sera brève. Je prends acte du programme volontariste que vous avez décliné, mais je veux souligner que, s’agissant du réseau historique du métro, il est possible d’aller beaucoup plus vite et plus loin pour l’ensemble des handicaps.
En ce qui concerne les fauteuils roulants, je suis d’accord avec vous, la mise en accessibilité de 100 % des stations ne sera pas réalisable. Reste qu’un programme prenant en compte les trajets de substitution, les nœuds intermodaux et toutes les mesures de nature à permettre aux personnes en situation de handicap d’utiliser le réseau dans de meilleures conditions qu’actuellement nécessite pour sa réalisation des engagements financiers malgré tout importants. Soyez assurée que nous serons à vos côtés et proactifs à cet égard.
Nous aurons une idée plus précise, à la lecture du rapport qui nous sera bientôt remis, et que prévoyait la loi que nous avons votée au printemps dernier, de l’ampleur des investissements nécessaires pour être effectivement à la hauteur de l’enjeu, afin que les personnes en situation de handicap participent dans les meilleures conditions aux jeux Olympiques et Paralympiques.
réforme de la tarification des établissements et services médico-sociaux
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, auteur de la question n° 329, adressée à Mme la secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées.
Mme Laure Darcos. Madame la secrétaire d’État, 158 000 enfants et 332 000 adultes handicapés sont accompagnés par 15 000 établissements et services médico-sociaux dans notre pays.
Le gouvernement précédent avait décidé de lancer une procédure de révision de la tarification de l’ensemble de ces établissements et services.
L’actuel gouvernement poursuit cette démarche et la feuille de route du projet SERAFIN-Personnes Handicapées a été validée pour 2018. Il a notamment acté le lancement d’une étude nationale des coûts destinée à « appréhender les relations entre les besoins, les accompagnements, les modes d’accueil, les caractéristiques des personnes et le coût des prises en charge ».
Cette réforme, vous le savez, madame la secrétaire d’État, inquiète au plus haut point les familles, les associations, mais aussi les élus. Nombre d’entre eux, en Essonne, m’ont fait part de leur profonde préoccupation quant à la perspective de fermeture de leur institut médico-éducatif, de leur foyer d’accueil médicalisé ou encore de leur maison d’accueil spécialisée.
Ils sont inquiets, parce qu’ils mesurent combien ces établissements sont indispensables pour leurs administrés. Ils sont inquiets, parce qu’ils savent que ces unités de vie offrent aux enfants handicapés non seulement un accueil et un accompagnement remarquables, mais aussi une socialisation nécessaire à leur épanouissement.
L’élaboration du référentiel tarifaire pour l’allocation des ressources aux établissements et services constitue le principal motif d’insatisfaction des familles et des équipes pluridisciplinaires accompagnant les enfants handicapés.
La perspective d’une réforme fondée sur la seule baisse des charges structurelles au détriment des besoins réels des personnes handicapées et des projets éducatifs personnalisés est rejetée avec force.
Dans le contexte anxiogène qui caractérise toute réforme, et celle-ci en particulier, pouvez-vous m’assurer, madame la secrétaire d’État, que la prise en charge globale des personnes handicapées dans des établissements adaptés à leur handicap et à leur projet de vie ne sera pas remise en cause ?
Pouvez-vous m’assurer que la réforme favorisera des parcours de vie sans rupture pour les personnes handicapées ni diminution de la qualité de l’accompagnement dont elles bénéficient aujourd’hui ?
Enfin, pouvez-vous m’assurer que l’allocation des ressources aux établissements et services sociaux et médico-sociaux sera équitable et permettra à ces derniers de disposer des moyens nécessaires pour répondre à leur mission première ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la sénatrice Darcos, vous m’interrogez sur la réforme de la tarification des quelque 15 000 établissements et services médico-sociaux, qui accompagnent près de 500 000 enfants et adultes en situation de handicap.
Je souhaite en premier lieu le rappeler, la transformation de ce financement est indispensable.
Le constat sans concession dressé dans leur rapport par Mme Jeannet et M. Vachey en octobre 2012 reste largement d’actualité. Le niveau des dotations des établissements et services, qui représentent au total un peu plus de 16,5 milliards d’euros, est le fruit de l’histoire, et se traduit par de fortes iniquités entre établissements similaires. Il est donc impératif de revoir ces budgets, car il n’existe aucun lien objectif entre les modalités de l’accompagnement proposé par l’établissement ou le service, le public accueilli et le niveau du budget alloué.
Je souhaite aussi vous éclairer sur le sens de ces travaux, que j’ai confirmés et que j’ai confiés à l’équipe « projet » lors de ma prise de fonction. Tout le travail de refonte de la tarification doit soutenir l’objectif politique prioritaire d’une réponse adaptée aux attentes des personnes en situation de handicap. Le financement des établissements et services doit être fondé sur l’objectivation et la liaison entre les besoins des personnes qui sont accueillies et les réponses qui leur sont apportées.
Cette orientation est plus que jamais nécessaire dans le cadre de la démarche « Une réponse accompagnée pour tous », généralisée depuis le 1er janvier 2018. Au travers de cette démarche est engagée une évolution systémique de l’organisation de la réponse aux personnes handicapées afin de mieux soutenir le parcours de vie en milieu ordinaire, pour les personnes qui le souhaitent, et garantir des réponses adaptées pour tous au sein des établissements pour les autres. Le dispositif de financement rénové doit précisément apporter la souplesse nécessaire pour adapter le financement des établissements et services à la complexité de certaines situations individuelles.
Je souhaite enfin vous rassurer et, à travers vous, les établissements et services, ainsi que les personnes handicapées, sur notre méthode de travail.
Le projet SERAFIN-PH, comme l’ensemble des grands chantiers de réforme tarifaire du champ sanitaire, social ou médico-social, est un chantier de long terme. J’ai présidé, le 27 avril dernier, son comité de pilotage, qui a permis d’arrêter la feuille de route de l’année et le calendrier de réalisation des différents travaux d’étude sur les modèles tarifaires ou les évolutions de financement envisageables. Nous prendrons le temps de ces travaux pour disposer de données robustes et consensuelles, comme le sont les nomenclatures arrêtées dans le cadre de la première étape de ces travaux.
À ce stade, aucun choix n’a été prédéfini ni arrêté. La méthode de travail concertée et coconstruite du projet SERAFIN-PH ne vise en aucune manière à menacer la qualité des accompagnements des personnes, enfants ou adultes ; au contraire, il doit la faire progresser. Vous pouvez compter sur ma détermination, car c’est l’ADN de ma mission que de partir des personnes et de leurs besoins pour coconstruire une politique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laure Darcos, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laure Darcos. Madame la secrétaire d’État, je ne doute absolument pas de votre bonne volonté et de votre bonne foi. J’ai des échos très favorables sur votre action et je puis vous assurer de notre soutien pour mener à bien cette réforme.
Ce que craignent les associations de familles, c’est un traitement global du sujet. Vous avez parlé de prendre le temps ; je peux vous dire que c’est important pour ces familles de savoir que vous aurez le temps de regarder au cas par cas. Je suis sûre qu’en effet il y a des meilleurs modes de fonctionnement à trouver pour certains.
Je vous invite d’ores et déjà à l’institut médico-éducatif de Saint-Germain-lès-Arpajon, chez moi, en Essonne. Les équipes y font un travail remarquable ; il n’est qu’à voir le sourire de ces enfants handicapés, qui sont tellement bien dans cet établissement. Ce n’est qu’un exemple, mais il peut – pourquoi pas ? – vous éclairer dans la mise en œuvre de cette réforme.
développement des pôles universitaires délocalisés
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, auteur de la question n° 272, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Josiane Costes. Madame la secrétaire d’État, la présence de campus universitaires délocalisés dans les villes moyennes est vitale pour le dynamisme de nos territoires, particulièrement pour ceux qui sont éloignés des grandes métropoles régionales.
Les formations universitaires proposées sont indispensables pour maintenir et attirer la jeunesse et la matière grise dans des villes ou des départements fragilisés par le vieillissement de la population et la déprise démographique.
De plus, les cursus mis en place répondent généralement à des demandes de formation exprimées par les entreprises locales qui éprouvent des difficultés de recrutement, ce qui permet d’assurer des emplois aux jeunes diplômés.
Dans le Cantal, par exemple, les 1 300 étudiants post-bac présents à Aurillac sont une bouffée d’oxygène pour l’agglomération et le département, qui soutiennent financièrement, et de façon substantielle, la délocalisation universitaire.
Les collectivités concernées souhaitent développer l’offre des formations proposées afin de mieux s’adapter encore aux demandes du tissu économique local, qui ne cessent d’évoluer, avec l’objectif d’ancrer plus fortement la présence universitaire dans leur territoire.
Consciente des budgets contraints des universités, je souhaiterais, madame la secrétaire d’État, connaître la position du Gouvernement dans ce domaine, et savoir si des mesures sont envisagées pour maintenir et développer ces antennes universitaires hors des métropoles régionales, car elles sont vitales pour nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, vous voudrez bien excuser ma collègue Frédérique Vidal, retenue par ailleurs, qui m’a chargée de répondre à la question de Mme Costes.
Madame la sénatrice Costes, vous avez raison de rappeler que l’enseignement supérieur n’est pas déconnecté de la vie locale, y compris dans les territoires ruraux.
Le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation travaille à développer la visibilité des externalités positives générées par la présence d’établissements d’enseignement supérieur dans leur environnement territorial sur les plans tant social qu’économique.
L’université Clermont-Auvergne est ainsi présente sur six sites différents dans la région Auvergne, ce qui permet à cette université de rayonner et de participer à l’animation économique, sociale et culturelle de l’ensemble du territoire régional.
Vous citez Aurillac, mais c’est également le cas de Vichy, dans laquelle le ministère soutient l’ouverture, à la rentrée prochaine, d’un département Information-communication, option journalisme, qui sera doté de 9 postes.
Le ministère soutient également le développement de l’offre d’enseignement supérieur au-delà du périmètre universitaire en Auvergne, avec l’ouverture d’une classe préparatoire B/L au sein du lycée Ambroise-Brugière de Clermont-Ferrand pour la rentrée 2018.
J’espère vous avoir rassurée sur l’enjeu du rayonnement territorial, qui est une vraie source d’innovation pour l’ensemble du territoire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Costes, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Josiane Costes. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de ces propos rassurants. Vous comprenez qu’il s’agit d’une question vitale pour nos territoires et leur aménagement. Dans le Cantal, nous sommes éloignés des métropoles et nous avons besoin de ces pôles universitaires, qui apportent de la matière grise et de la jeunesse, répondant ainsi aux besoins des entreprises locales.
Nous craignons toujours de servir de variable d’ajustement en cas de restriction de moyens, ce que nous ne pouvons pas accepter. Je vous remercie donc une nouvelle fois de votre réponse rassurante.
cursus d’études de médecine en milieu rural
Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, auteur de la question n° 287, adressée à Mme la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation.
Mme Nadia Sollogoub. Madame la secrétaire d’État, je suis élue dans la Nièvre, département particulièrement et dramatiquement concerné par la baisse de démographie médicale et où les patients rencontrent désormais les plus grandes difficultés pour se faire soigner.
Pour mémoire, la densité de médecins généralistes y est de 82 pour 100 000 habitants, alors qu’elle est de 96 en Bourgogne-Franche-Comté et de 104 en France. La perte de chance des patients en situation d’urgence vitale y est la plus élevée de la région Bourgogne-Franche-Comté, alors que, parallèlement, l’avenir de certains services est menacé faute, semble-t-il, de personnel soignant. Ainsi, l’absence d’urgentiste est la raison invoquée pour la fermeture éventuelle des urgences de nuit à l’hôpital de Clamecy, et l’absence de pédiatre pour la fermeture de la maternité de Cosne-sur-Loire.
Face à cette situation, il est bien évident que les habitants et les élus de la Nièvre ne pourront pas se contenter de prendre leur mal en patience et de serrer les dents, les doigts croisés, en attendant l’arrivée promise en 2025 de médecins, espérons-le, en nombre suffisant, encore que l’accroissement du nombre n’offre aucune garantie de répartition territoriale. Outre l’ouverture d’une antenne de PACES de proximité à Nevers pour permettre à des étudiants de la Nièvre de se former à la médecine, ce qui est un besoin pressant, plusieurs mesures immédiates pourraient être mises en œuvre.
Tout d’abord, il paraît indispensable d’ouvrir des stages de médecine générale dans la Nièvre à des étudiants des facultés de médecine de Clermont-Ferrand, de Tours et surtout de Paris, qui ne sont qu’à 200 kilomètres chacune et qui sont très fréquentées par les étudiants nivernais pour d’évidentes raisons d’accès, en transport ferroviaire notamment.
Il faut ensuite permettre à des étudiants de la faculté de médecine de Dijon de suivre une partie de leur cursus à l’hôpital de Nevers, selon l’ancien modèle des hôpitaux périphériques, qui a permis à de nombreux jeunes étudiants de s’ancrer dans un territoire rural, où ils sont restés par la suite.
Il importe enfin de faciliter la labellisation de deux à trois sites pluridisciplinaires comme « maisons de santé universitaires » dans le département, au sens où le prévoit l’arrêté du 18 octobre 2017, ce qui faciliterait grandement la réalisation de stages en médecine ambulatoire en milieu rural profond.
Je vous demande, en conséquence, madame la secrétaire d’État, de bien vouloir m’indiquer si le Gouvernement entend faire explorer ces pistes d’évolution concrètes ou, à défaut, de me préciser les orientations qu’il entend privilégier.
(M. David Assouline remplace Mme Catherine Troendlé au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée des personnes handicapées.
Mme Sophie Cluzel, secrétaire d’État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice Nadia Sollogoub, votre question pose le sujet du lien entre la carte des formations en santé et la lutte contre les déserts médicaux.
Vous l’avez rappelé, il n’existe pas de dispositif indiscutable permettant de fixer les professionnels de la santé dans la région dans laquelle ils ont été formés. Cette problématique appelle bien évidemment une démarche globale, qui doit être menée conjointement par l’État et les collectivités territoriales concernées. À cette fin, et s’agissant du volet « formation », plusieurs dispositifs sont mis en œuvre.
Dans l’état actuel de l’organisation de la PACES - première année commune aux études de santé - une antenne délocalisée de la PACES de Dijon à Nevers apparaît difficile, notamment du fait de la difficulté d’y assurer un tutorat, élément essentiel d’égalité des chances de réussite.
La réflexion en cours dans le cadre de la stratégie de transformation du système de santé inclut une réflexion sur l’admission dans les études de santé, et nous aurons la préoccupation qu’une offre de proximité soit proposée à tous les lycéens pour leur permettre d’accéder à ces études quel que soit leur territoire d’origine.
S’agissant des stages de médecine générale, il apparaît qu’ils sont actuellement rattachés à une faculté de médecine, en fonction du découpage territorial. Cela permet l’inclusion des maîtres de stage de médecine générale dans la dynamique pédagogique de l’université, ainsi que la gestion de la répartition des étudiants par les ARS, les agences régionales de santé.
Néanmoins, les élus de plusieurs territoires, situés plus loin de leur ville universitaire de rattachement que d’une autre ville ayant une faculté de médecine, ont fait part des difficultés que cela engendre pour développer des stages de médecine générale. Un travail est donc en cours avec le ministère des solidarités et de la santé pour voir comment la règle pourrait être assouplie sans pour autant complexifier l’ensemble du dispositif.
S’agissant du modèle des hôpitaux périphériques, cette disposition existe toujours pour les stages d’interne. L’évolution de la formation de second cycle permet d’accroître les temps de stage hors des CHU, qu’ils soient effectués en hôpital périphérique ou en médecine générale. L’accent est également mis sur la nécessité que le service sanitaire qui se met en place atteigne prioritairement les territoires en difficulté d’accès à la prévention.
En lien avec les collectivités territoriales, nous souhaitons orienter l’ensemble de la formation des professionnels de santé, notamment des médecins, vers une plus grande part d’activité hors CHU, et construire les conditions permettant de découvrir et d’adopter des modes d’exercice répondant aux besoins de la population.
Des initiatives comme le dispositif Ambition PACES en région Centre, comme les antennes délocalisées de Pau ou du Havre, comme les internats ruraux développés en Aveyron, comme le recrutement de maîtres de stage en Mayenne, montrent que c’est possible. Nous avons l’ambition que les réformes à venir, tant de l’entrée dans les études de santé que du second cycle, facilitent ces dispositifs.
Les services du ministère de l’enseignement supérieur, ainsi que ceux du ministère des solidarités et de la santé, sont à la disposition des élus, à votre disposition, donc, pour examiner les projets existants ou en gestation dans votre territoire.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Nadia Sollogoub. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de nous avoir présenté tous ces dispositifs. Bien évidemment, nous espérons pouvoir en bénéficier dans la Nièvre, car ils nous semblent tout à fait adaptés à notre particularisme. En effet, la Nièvre est séparée de la faculté de Dijon par la barrière du Morvan, qui représente une difficulté géographique d’accès. C’est donc compliqué pour les étudiants de la Nièvre d’aller faire médecine à la faculté de Dijon. C’est pourquoi nous insistons pour avoir une PACES dans notre département.
Quant à l’argument du tutorat dans le cursus des études, il est pour nous difficilement recevable, comparé à la nécessité pour les jeunes d’avoir de bonnes conditions d’accès à une faculté. C’est incomparablement plus important que la possibilité de bénéficier d’un tutorat dans leur cursus…
Je le répète, les jeunes originaires de la Nièvre vont faire leurs études de médecine à Paris, à Clermont-Ferrand ou à Tours, mais il faut qu’on leur donne la possibilité de faire leur stage de médecine dans la Nièvre, sinon ils s’ancrent dans d’autres départements et ne reviennent jamais. Vous le voyez, il s’agit bien d’une problématique particulière.
Je voudrais insister sur le fait que, dans des territoires comme le nôtre, avec une faible ressource de professionnels de santé, nous sommes source de proposition. Je vous rappelle que c’est dans la Nièvre qu’a ouvert la première maison de santé pluridisciplinaire. Nos propositions doivent donc être entendues comme constructives ; nous tentons simplement de nous organiser face à une difficulté matérielle concrète.
Je me permets donc d’insister sur la PACES. S’agissant des stages, la possibilité juridique de conventionner existe déjà, comme me l’ont confirmé hier des professionnels de santé.
politique de délocalisation d’engie vers des prestataires hors de france
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, auteur de la question n° 256, adressée à M. le ministre de l’économie et des finances.
M. Fabien Gay. Monsieur le secrétaire d’État, je suis désolé, car j’ai une extinction de voix depuis trois jours. J’espère néanmoins pouvoir parler clair.
Vous avez devant vous, monsieur le secrétaire d’État, un élu en colère ; en colère, parce que, partout, les plans de licenciement se succèdent : Ford, Pages jaunes, Carrefour. À côté de cela, on a des scandales financiers, des dividendes versés aux actionnaires à des taux record ; c’est aussi le PDG de Carrefour qui part avec 16 millions d’euros.
À chaque fois, l’État nous dit que l’on ne peut rien faire, car c’est le privé.
Ce matin, je suis venu évoquer un problème sur lequel vous pouvez avoir prise, monsieur le secrétaire d’État ; il concerne Engie, entreprise dans laquelle l’État est actionnaire à hauteur de 24 %.
Engie, c’est cette grande entreprise française, ex-GDF, puis GDF-Suez. Eh oui, l’ouverture à la concurrence et la libéralisation du secteur de l’énergie sont passées par là. D’ailleurs, je le répète, il faudra un jour faire le bilan de cette évolution. Force est de constater qu’elle n’a pas été un « plus » pour les consommateurs, le prix du gaz ayant augmenté de 80 %, et pas davantage un « plus » pour les salariés.
Cela n’a été un « plus » pour personne, à part pour les profits.
Et là, Engie est aujourd’hui recordman, puisque l’entreprise occupe la deuxième place, derrière Arcelor-Mittal, pour ce qui est du taux de profit : 27,55 milliards d’euros versés aux actionnaires !
Nous sommes passés d’un service public qui répondait à un besoin d’humanité, à une entreprise privée qui répond au profit.
J’ai été alerté par l’intersyndicale de cette entreprise. À ce propos, nous devrions plus respecter les syndicats et les corps intermédiaires dans ce pays, parce qu’ils nous alertent.
Que nous disent-ils ? Après avoir externalisé la relation clientèle hors de l’entreprise, en France, pour améliorer le profit, l’entreprise Engie délocalise ou « offshorise » dorénavant à l’extérieur du pays.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
M. Fabien Gay. Après le Portugal et le Maroc, ses dirigeants viennent de lancer un nouvel appel d’offres pour le Cameroun et le Sénégal. C’est une véritable course au dumping social. Quelque 1 200 emplois ont déjà été sacrifiés sur l’autel du profit et 3 000 sont menacés. Dans le même temps, Acticall, à Toul, a fermé, laissant 200 salariés sur le carreau.
Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple : l’État va-t-il laisser se poursuivre cette course au profit et au rendement ou va-t-il, en tant qu’actionnaire pouvant agir, s’opposer au dumping social de cette entreprise ?
M. Roland Courteau. Très bonne question !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Monsieur le sénateur Fabien Gay, je vous rassure, votre extinction de voix ne vous empêche pas de vous faire entendre, c’est le moins que l’on puisse dire. (Sourires.)
Bruno Le Maire, retenu, m’a demandé de bien vouloir répondre à sa place à la question que vous posez sur l’externalisation des activités de « service clients » par le groupe Engie, dont l’État est actionnaire de référence, comme vous l’avez rappelé.
Avant de vous répondre sur le fond, je veux d’abord vous faire savoir que l’État est attentif à la dimension sociale de la transformation en cours du groupe Engie. Il faut signaler à cet égard que le groupe a signé, en avril 2016, avec trois fédérations syndicales européennes, et conformément au dialogue social que vous appelez de vos vœux, un accord impliquant qu’une offre d’emploi au sein du groupe soit proposée à tout salarié concerné par des réorganisations. Cet accord prévoit aussi un important effort de formation pour adapter les compétences des salariés aux nouveaux besoins de l’entreprise.
Sur le fond, la décision d’Engie d’externaliser une partie de son « service clients » résulte d’une intensification de la concurrence sur ces marchés, en lien avec la dérégulation des marchés de l’énergie.
La perception du CICE en 2014 et en 2015, dont Engie a bénéficié – vous l’avez rappelé dans votre question –, ne doit pas faire oublier la situation difficile qu’a traversée le groupe jusqu’en 2016, à l’image de l’ensemble des énergéticiens de l’Union européenne. Pour y faire face, le groupe a engagé un plan de transformation ambitieux qui intègre un effort significatif de productivité.
Concernant le cas spécifique des centres d’appels, ils sont confrontés à une exigence de plus en plus élevée de la part de la clientèle. Pour satisfaire à cette exigence, ils intègrent l’apport de nouveaux outils technologiques tels que l’intelligence artificielle. Par ailleurs, les réseaux et services de communication ont atteint un niveau de performance tel qu’il augmente considérablement la pression concurrentielle sur la filière même des centres d’appels chez Engie, et, malheureusement, ailleurs aussi.
Dans ce contexte, les professionnels concernés et le Gouvernement travaillent au renforcement des atouts de nos entreprises et, plus généralement, à l’attractivité de notre pays. S’agissant en particulier des centres d’appels, cela se traduit notamment par le déploiement de réseaux et de services de télécommunications à très haut débit sur tout le territoire.
Le Gouvernement attache, en outre, un intérêt particulier à ce que le dialogue entre les centres d’appels et les donneurs d’ordres comme Engie se développe pour renforcer les atouts de notre système économique national et permettre à ces centres de répondre efficacement aux besoins des entreprises et des usagers.
Je reviens sur les cas particuliers que vous avez évoqués, telle l’externalisation d’un certain nombre de centres d’appels, qui provoquerait une réorganisation des emplois. L’objectif du dialogue qui se poursuit entre le ministre de l’économie et des finances et le groupe Engie est de faire en sorte que l’accord signé avec les trois fédérations syndicales européennes mentionnées soit respecté et que des propositions de reclassement acceptables, de bon niveau, soient faites à l’ensemble des salariés concernés.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour répondre à M. le secrétaire d’État.
M. Fabien Gay. Merci, monsieur le secrétaire d’État, pour votre réponse, qui est, permettez-moi de vous le dire, une réponse technocratique. Moi, je vous parle de la vie des gens. Or ils seront 3 000 à rester sur le carreau ! Et l’État ne doit pas « veiller » ! Il est encore actionnaire de cette entreprise et il peut donc prendre des décisions. La loi dite PACTE, plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, n’est pas encore votée. Vous allez liquider tous les actifs. Vous allez tout vendre et privatiser entièrement Engie.
Souvenons-nous ce qui s’est passé pour GDF. En 2004, quand on a transformé en société anonyme l’établissement public industriel et commercial, l’EPIC, M. Sarkozy, alors ministre de l’économie, avait juré devant l’Assemblée nationale, « les yeux dans les yeux », comme dirait certain, que, jamais, au grand jamais, on ne céderait un seul titre et que, jamais, on ne privatiserait GDF ! Quinze après, voilà, on y est !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Fabien Gay. Et je le rappelle à tout le monde, le débat que nous avons eu, la semaine dernière, sur la SNCF se reposera très bientôt !
Vous me dites que l’entreprise va mal et qu’elle a traversé des soubresauts. Je le redis : 27,55 milliards d’euros de dividendes versés à ses actionnaires. Même quand les bénéfices ont été négatifs, on a continué à pratiquer la reversion. Et à quel taux ? Faut-il, là encore, vous le rappeler ? Il s’élevait à 333 % pour les actionnaires, contre 1 % seulement pour les salariés ! Voilà la réalité !
Donc, je ne peux pas admettre votre réponse, monsieur le secrétaire d’État ! C’est un dumping social organisé par une entreprise dont l’État est actionnaire ! Alors que 1 200 emplois sont déjà sur le carreau, il va s’en rajouter 3 000 supplémentaires ! Si la relation clientèle par téléphone ne représente pas l’avenir, alors, pourquoi la délocaliser ? Cela ne présente aucun intérêt, sinon la rentabilité et le profit, qui ont été chiffrés à 5 millions d’euros ! Parce qu’une entreprise privée ne laisse rien, même pas les miettes, ils vont aller jusqu’au bout pour liquider l’affaire et l’emploi, et vous en serez donc complices ! (M. Roland Courteau applaudit.)
taxes sur le carburant et services départementaux d’incendie et de secours
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la question n° 358, adressée à M. le ministre de l’action et des comptes publics.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaite attirer votre attention sur la volonté croissante de voir supprimer ou diminuer la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, la TICPE, sur le carburant consommé par les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, dans le cadre de leurs missions.
Je vous avais déjà interrogé, monsieur le secrétaire d’État, le 6 mars dernier, sur le sujet et vous m’aviez répondu qu’il n’était « pas possible au Gouvernement de répondre favorablement à ma demande d’exonération », car cette mesure serait prévue par une directive européenne.
Vous n’aviez donc pas répondu au problème sur le fond. Et je vous avais rappelé, dans ma réplique, qu’il « suffi[rai]t d’une volonté gouvernementale » pour faire évoluer le droit européen en la matière.
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, il suffirait que le Gouvernement auquel vous appartenez demande à Bruxelles de permettre cette exonération pour les SDIS, comme c’est aujourd’hui le cas pour certaines catégories, tels les transports publics locaux de passagers – y compris les taxis –, la collecte des déchets, les forces armées, l’administration publique, les personnes handicapées et les ambulanciers.
En effet, l’article 5 de la « directive 2003/96/CE restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité » prévoit ces dispositions.
Si cela est possible pour les forces armées et l’administration publique, pourquoi une demande pour les sapeurs-pompiers dans le cadre de leurs interventions serait-elle refusée par l’Union européenne ? Cette demande est justifiée.
Monsieur le secrétaire d’État, l’article 19 de la directive permet d’autoriser un État membre à introduire des exonérations ou des réductions supplémentaires pour des raisons de politique spécifiques. Selon moi, votre réponse du 6 mars dernier n’est donc pas satisfaisante.
Aussi, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, si le Gouvernement entend avoir enfin la volonté politique de demander à Bruxelles d’introduire une exonération de la TICPE sur le carburant consommé par les sapeurs-pompiers dans le cadre de leurs missions.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d’État auprès du ministre de l’action et des comptes publics. Madame la présidente Troendlé, il faut, tout d’abord, souligner que le Gouvernement partage l’objectif d’alléger autant que possible les charges qui pèsent de manière générale sur les services départementaux d’incendie et de secours, compte tenu de leur apport fondamental à l’intérêt général et à la solidarité nationale. C’est dans ce sens que travaille le ministre d’État, ministre de l’intérieur, en prenant notamment des mesures spécifiques en direction de la filière des sapeurs-pompiers, volontaires et professionnels, et pour pourvoir au financement des SDIS.
Vous me posez une question relative au régime d’imposition à la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques telle qu’elle est fixée par la directive du 27 octobre 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité, texte qui restreint les marges de manœuvre des États. Peut-être votre question va-t-elle me permettre de préciser la réponse que je vous avais faite le 6 mars dernier.
Au titre de cette directive, d’une part, l’article 5 permet uniquement d’appliquer un tarif réduit de taxes aux administrations publiques ou aux forces armées, sans pouvoir aller jusqu’à une exonération. D’autre part, l’article 19 de ce même texte, que vous avez cité, permet aux États membres d’introduire auprès de la Commission une demande particulière pour abaisser les tarifs de l’accise ou obtenir une exonération à certaines conditions : d’abord, que cette demande s’inscrive dans le cadre d’une politique spécifique ; ensuite, que la Commission fasse une proposition au Conseil – ce que vous n’avez pas rappelé ; enfin, que le Conseil l’adopte à l’unanimité, et nous savons, les uns et les autres, l’immense difficulté qu’il y a à obtenir l’unanimité sur des considérations fiscales. En outre, il s’agit d’une procédure très longue, qui ne permettrait d’obtenir qu’une dérogation temporaire.
C’est pour ces raisons que la France a fait le choix de ne pas transposer, depuis 2003, la faculté prévue à l’article 5 ni d’actionner la procédure prévue à l’article 19.
Il s’ensuit qu’aucune structure publique, quelle que soit l’importance de sa contribution à la solidarité nationale, ne peut bénéficier, aujourd’hui, d’un régime particulier au regard de la TICPE. Sans méconnaître l’importance et la difficulté des missions dont les SDIS ont la charge, le recours à un tarif réduit de TICPE pour les consommations de ces seuls services ne serait pas justifié au regard du régime de TICPE des consommations de l’ensemble des autres administrations publiques supportant ces impôts, y compris les forces de police et les forces armées. Votre proposition serait en effet dérogatoire par rapport à ce dispositif déjà réduit dont les uns et les autres disposent.
J’ajoute encore que la recette de TICPE est en partie affectée aux départements et qu’il ne paraît pas opportun, de manière au moins conjoncturelle, alors qu’une réflexion globale est en cours sur le financement des collectivités territoriales, d’introduire une exonération ciblée supplémentaire qui ne manquerait pas d’appeler de nombreuses demandes similaires, au risque de perturber le modèle de financement des collectivités.
En outre, nous souhaitons que le financement des SDIS puisse être abordé sous l’angle de l’appréciation des ressources qui leur sont allouées – cela renvoie à mes premiers mots. Je pense notamment au plan que le ministre d’État, ministre de l’intérieur met en place pour mieux financer et soutenir les SDIS. Cela renvoie aussi aux discussions que le Gouvernement mène actuellement avec l’Assemblée des départements de France pour faire en sorte de permettre aux départements de mieux faire face aux besoins dans ce domaine, comme dans d’autres.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour répondre à M. le secrétaire d’État.
Mme Catherine Troendlé. Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien écouté votre argumentaire. Pour ma part, j’ai envie de résumer mon intervention en vous disant que le courage politique, c’est de tenter l’impossible. Vous avez décliné à mon intention toutes les difficultés auxquelles serait confrontée la Commission pour traiter la demande du gouvernement français. Elle devrait, me dites-vous, mener une réflexion et soumettre sa réponse à une délibération. Monsieur le secrétaire d’État, je vous rétorque que rien n’est impossible ! Rien, aujourd’hui, ne nous permet d’assurer que la Commission ne suivra pas. L’intervention de nos sapeurs-pompiers et la part importante de la sécurité civile, c’est d’ailleurs un sujet majeur dans tous les pays européens.
Monsieur le secrétaire d’État, vous m’avez également parlé de la part du financement des conseils départementaux. Eh bien, je crois que la réforme fiscale comporte des éléments très inquiétants, notamment la perspective probable d’une réduction des droits de mutation. L’impossibilité dans laquelle se trouveront les conseils départementaux de faire face à l’ensemble de leurs engagements, dont ceux qui ont été pris vis-à-vis des SDIS, m’inquiète énormément.
Je le répète : si le Gouvernement veut faire avancer ce dossier, il peut le faire, même si c’est long ! On commence aujourd’hui et on se donne les moyens de suivre ce dossier au plus haut niveau à Bruxelles, et je suis sûre qu’on peut y arriver tous ensemble !
travaux de réfection du commissariat de narbonne
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 354, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Roland Courteau. Madame la secrétaire d’État, voilà un an, j’attirais l’attention du ministre d’État, ministre de l’intérieur sur l’urgente nécessité de procéder à des travaux de réfection, de réaménagement et de mise en sécurité des locaux du commissariat de Narbonne. J’insistais également sur l’insuffisance des effectifs de ce même commissariat.
En retour et pour seule réponse, le ministre d’État, ministre de l’intérieur m’indiquait qu’il demandait à la direction générale de la police nationale de faire un point précis sur la situation signalée. Et depuis un an, plus rien, plus de nouvelles sur ce dossier.
Quelle est donc la situation de ce commissariat ? En 2015, il comptait 96 membres du corps d’encadrement et d’application actifs, CEA, et 16 adjoints de sécurité. En 2018, on ne compte plus que 91 membres du CEA et 11 adjoints de sécurité. Bilan : 10 effectifs en moins ! Or dans le même temps, ou presque, le territoire de compétence du commissariat a été élargi considérablement à d’autres quartiers, comme Baliste, Malvézy, Amarats, Crabit et aux zones La Nautique et Cap de Pla… Toujours dans le même temps, la même zone de police voyait sa démographie augmenter de près de 2 500 habitants. Et toujours dans le même temps, la délinquance de plus en plus violente était en hausse, comme l’atteste le classement par l’administration de cette zone de police en secteur très difficile.
Or à la baisse des effectifs s’ajoutent également l’exiguïté et l’insalubrité des locaux. Plus grave, ces locaux ne sont même pas sécurisés, ce qui explique qu’un Narbonnais, en avril dernier, alors que sa garde à vue prenait fin, se soit défenestré depuis le troisième étage. Il est mort sur le coup !
J’en viens à ma question, madame la secrétaire d’État : que sont devenus les 900 000 euros annoncés par le préfet en 2016 ? Qu’attend-on pour les débloquer ? Seraient-ils partis ailleurs ? Qu’en pense le Secrétariat général pour l’administration du ministère à Marseille qui a, semble-t-il, le dossier complet en main ? Que compte dire M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur à la direction de l’évaluation de la performance et des affaires financières et immobilières ? Ces fonds ont été annoncés, madame la secrétaire d’État. L’État doit donc assumer. Les Narbonnais ne doivent plus avoir honte de leur commissariat !
(Mme Catherine Troendlé remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Troendlé
vice-présidente
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, je réponds pour M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur, qui ne pouvait être là ce matin.
Les policiers travaillent au quotidien avec courage et un sens élevé de l’intérêt général, vous l’avez dit. Dans un contexte de plus en plus difficile et violent, ils sont là pour faire appliquer les lois et protéger les Français. Leurs conditions de travail sont, bien sûr, un sujet essentiel pour le ministre de l’intérieur, comme plus largement la nécessité de leur garantir les moyens d’accomplir leurs missions dans les meilleures conditions d’efficacité et de sécurité.
Cette priorité se traduit concrètement. En effet, a été présentée le 24 janvier dernier une programmation immobilière ambitieuse pour la police nationale et pour la gendarmerie nationale, qui s’appuie sur des budgets accrus.
La police nationale est ainsi dotée d’un budget « immobilier » de 196 millions d’euros par an au titre de la programmation triennale, soit 5 % de plus par rapport à 2017.
Autre paramètre important, en 2018, 45 millions d’euros de crédits – au titre des crédits TATE, travaux d’aménagement et d’entretien – sont déconcentrés aux responsables locaux pour des travaux d’aménagement et d’entretien courant, contre 19 millions d’euros en 2016. Il traduit un choix de confiance et d’efficacité. Ces initiatives portées localement permettront de mettre en œuvre ces moyens.
Les besoins immobiliers sont cependant très nombreux et malgré des efforts budgétaires, tout ne peut être accompli de façon immédiate.
S’agissant du commissariat de Narbonne, des avancées ont été enregistrées. L’immeuble exigu et en effet peu fonctionnel a déjà fait l’objet en 2012 d’une extension de 800 mètres carrés.
Divers travaux ont été réalisés en 2016, en 2017, et se poursuivent cette année encore : travaux d’éclairage, acquisitions diverses et film de protection visuelle, en particulier.
Bien sûr, il y a encore à faire. D’importants projets sont programmés, notamment la restructuration des locaux du rez-de-chaussée et l’optimisation de surfaces afin de pallier des problèmes d’insalubrité, de confidentialité et de sécurité.
Des crédits nécessaires à la réalisation d’études ont été engagés. C’est à partir de la finalisation de ces études, prévue pour les mois prochains ou les semaines à venir, que seront envisagés les financements de la phase des travaux qui doit suivre. Les mesures envisagées au vu des résultats des études seront portées à votre connaissance.
Enfin, s’agissant des effectifs, la circonscription de sécurité publique de Narbonne dispose aujourd’hui de 128 agents, selon les données au 30 avril 2018, contre 126 à la fin de l’année 2017 et 121 à la fin de 2016.
M. Roland Courteau. Je n’ai pas les mêmes chiffres !
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État. Cet effectif devrait rester stable dans les mois à venir. L’effectif prévu au 31 octobre 2018 s’établit en effet à 128.
Je tiens à ajouter que cette circonscription de police bénéficie d’un nombre de gradés et de gardiens de la paix, qui représente, vous le savez, l’essentiel des policiers présents sur la voie publique, conforme et même légèrement supérieur à son effectif de référence.
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Roland Courteau. Merci, madame la secrétaire d’État, pour votre réponse, qui me laisse tout de même sur ma faim !
Vous avancez des crédits pour des études en cours, mais vous ne répondez pas à ma question : que sont devenus les 900 000 euros qui nous ont été annoncés en 2016 ?
Je le répète : la situation ne cesse d’empirer.
Concernant les effectifs, je ne comprends pas non plus. Vous faites état de 128 agents, alors que les syndicats m’indiquent qu’ils ne sont que 91, dont quatre ou cinq absents de longue durée, pour des raisons de santé. Il y a un sacré écart entre vos chiffres et ceux dont je dispose !
Des explications me paraissent nécessaires et je me demande d’ailleurs si je ne vais pas prendre directement rendez-vous avec M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
Enfin, je vous demanderai, madame la secrétaire d’État, de transmettre à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur la proposition avancée par un syndicat visant la mise en place d’un système dit « de vacation forte », avec l’octroi d’un week-end sur deux pour les fonctionnaires intervenant sur la voie publique en police secours, au lieu de 1 pour 6 actuellement.
Il paraît que ce système permet de cumuler plusieurs groupes qui se chevauchent sur un temps donné, chose qui a été refusée par le ministère de l’intérieur pour Narbonne, alors qu’il fonctionne notamment à Perpignan, à Toulouse et à Nîmes.
départ de l’onera du site de meudon
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille, auteur de la question n° 340, adressée à Mme la ministre des armées.
M. Hervé Marseille. Ma question s’adresse à Mme la ministre des armées et concerne l’Office national d’études et de recherches aérospatiales, l’ONERA, implanté à Meudon et Châtillon.
Je veux rendre hommage au travail des personnels de cette grande entreprise, qui constitue véritablement un pôle d’excellence pour la recherche française.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Hervé Marseille. L’ONERA à Meudon, c’est une surface de douze hectares. L’enjeu est donc extrêmement important pour la commune.
Voilà plus de vingt ans que l’ONERA annonce son déménagement ! Voilà plus de vingt ans que des études sont faites année après année, chaque fois qu’un président est nommé – tous les quatre ans ! Voilà plus de vingt ans qu’on attend une décision !
L’ONERA semble constituer un sujet permanent de discussion entre le ministère de la défense, la Direction générale de l’armement, la mission de réalisation des actifs immobiliers, ou MRAI, la direction départementale des finances publiques, qui ont réinventé, en la circonstance, le mouvement perpétuel !
La Direction départementale des finances publiques, la DDFiP, découvre, après plus de vingt ans, qu’il peut y avoir un problème de propriété des terrains, qu’il faut sans doute réévaluer les coûts, etc. Au moment où, madame la secrétaire d’État, on recherche des financements – ils sont indispensables, ne serait-ce que pour l’ONERA et son déménagement –, au moment où le Gouvernement, après d’autres, annonce vouloir rechercher du foncier en région parisienne pour construire, toutes les conditions sont réunies afin qu’une décision soit prise.
Ma question est simple, madame la secrétaire d’État : pouvez-vous me confirmer le déménagement de l’ONERA ? Pouvez-vous en préciser le calendrier et nous dire à quel moment nous pouvons attendre une décision venant du Gouvernement et annonçant le départ, pour mettre un terme aux inquiétudes des personnels de l’ONERA, de ses dirigeants et des élus, qui sont dans l’expectative ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le président Marseille, vous posez une question sur l’ONERA, Office national d’études et de recherches aérospatiales. Le contrat d’objectifs et de performance, le COP, de l’ONERA a été signé le 14 décembre 2016. L’ONERA est actuellement implanté sur huit sites en métropole.
En ce qui concerne l’Île-de-France, le COP prévoit effectivement la cession des deux emprises de Meudon et Châtillon en vue de regrouper tous les services de l’Office sur le site de Palaiseau.
Les sites actuels d’Île-de-France, situés à Meudon, Châtillon et Palaiseau, comptent environ 1 200 personnes, soit plus de 60 % des personnels de l’Office.
Ce regroupement à Palaiseau doit notamment permettre à la fois un fonctionnement intégré des différents départements de l’ONERA et, bien sûr, des économies de fonctionnement. Il est aussi prévu une implantation de l’ONERA à proximité directe du nouveau bâtiment « Pôle de mécanique » de l’École polytechnique et de l’École nationale supérieure de techniques avancées, l’ENSTA, laquelle s’inscrit dans l’objectif de renforcer les liens entre l’ONERA et ces écoles.
Plus globalement, la logique de ce regroupement à Palaiseau procède aussi de la proximité du potentiel scientifique unique en France qui se trouve autour du plateau de Saclay. On peut comprendre la complémentarité entre l’ONERA et ce potentiel scientifique.
L’opération de regroupement doit être financée, pour l’essentiel, par le produit de cession des emprises de Châtillon et Meudon.
Un plan de financement est actuellement à l’étude, fondé, en particulier, sur un prêt de la Banque européenne d’investissement, la BEI, afin de pouvoir lancer ce projet sans faire appel à la mobilisation de crédits budgétaires. L’opération devra ensuite être validée par les instances requises, notamment en conseil d’administration.
Une fois lancée, la durée totale de l’opération de regroupement est estimée à cinq ans.
Je comprends bien que cette durée, qui est une estimation pour la mise en œuvre de cette opération de regroupement, puisse vous paraître longue, mais il me semble que nous sommes plutôt dans la phase d’aboutissement de ce projet. Vous le savez bien, tout projet demande un temps un peu long.
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Marseille, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Hervé Marseille. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie pour les précisions que vous m’avez apportées. Toutefois, elles ne constituent que la confirmation de l’analyse faite par l’ONERA depuis vingt ans.
Le produit des ventes est fonction de la constructibilité des terrains. Et on connaît parfaitement le coût estimé de chacun d’entre eux.
L’emprunt de la BEI devait être discuté courant juin, lors du conseil d’administration de l’ONERA. Or Bercy a subitement demandé le report de cette discussion, au motif qu’il voulait évaluer, analyser le dossier concerné. On connaît tout cela. Ce qui est attendu maintenant, madame la secrétaire d’État, c’est une décision. Le jour où une décision intervient, l’ONERA s’adaptera, les administrations aussi.
Pour ce qui est de Meudon, je peux vous dire le coût estimé, car voilà des années qu’on le connaît. Il s’établit en fonction de la constructibilité du terrain, lequel fait une dizaine d’hectares On peut disposer d’environ 60 000 mètres carrés en fonction du taux d’habitat social qui sera décidé par le préfet, on sait que cela vaut entre 55 millions et 60 millions d’euros.
Ce qui est attendu, c’est surtout une décision, qui mette un terme aux tergiversations des diverses administrations concernées. Le lieu d’implantation, Palaiseau, est connu depuis déjà pas mal d’années et les données du dossier sont connues de tous.
Je sais, madame la secrétaire d’État, que vous êtes attentive à ce dossier. Je vous remercie, à ce titre, de bien vouloir examiner avec Mme la ministre des armées les conditions dans lesquelles une décision peut intervenir afin de permettre à la Ville de prendre possession des terrains, quitte à ce que l’ONERA reste sur place pendant quelques années et que, en temps masqué, on puisse prévoir un aménagement.
encouragement des langues minoritaires
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, auteur de la question n° 335, adressée à M. le ministre de l’éducation nationale
M. Jean-Pierre Decool. Madame la secrétaire d’État, dans la lettre adressée, le 31 mars 2017, à certaines associations, notamment de défense du flamand occidental, Emmanuel Macron, candidat à l’élection présidentielle, s’était engagé à relancer l’adoption de la Charte européenne des langues minoritaires et régionales.
Certes, la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999 considère que ce texte était inconstitutionnel parce qu’il portait atteinte aux articles 1er et 2 de la Constitution, disposant que la République est indivisible et que sa langue est le français. Ces principes interdisent qu’il soit reconnu des droits, par exemple, linguistiques, à un groupe humain identifié et distinct du corps national indivisible. Il ne peut exister des droits propres à certaines communautés.
Toutefois, je fais le constat que l’enseignement bilingue existe au pays basque, en Bretagne, en Corse, en Occitanie, en Alsace, au pays catalan et en outre-mer.
L’enseignement du flamand occidental a pris du retard, selon ses défenseurs. Ces derniers ont lancé des actions afin de déclencher, de la part des pouvoirs publics, un certain nombre d’initiatives.
En 2007, une expérimentation de l’enseignement du flamand occidental a été lancée dans six écoles de la région Hauts-de-France, mais l’initiative ne s’est pas étendue. Or, selon le code de l’éducation, la durée maximale d’une telle initiative est de cinq ans.
En réalité, le flamand occidental ne serait pas inscrit au registre des langues régionales du ministère de l’éducation nationale, considérant que cette langue serait assimilée au néerlandais.
Néanmoins, je précise avec satisfaction que les élus de la région Hauts-de-France ont accepté de créer un office public du flamand occidental, à l’instar du breton et de l’alsacien. Ainsi, 70 000 euros seront accordés afin « d’accompagner les associations à la préfiguration de cet office ».
Le but est de créer une structure adaptée au développement de cette langue régionale dans le domaine de la culture, de l’emploi et de l’enseignement.
Toutefois, cet effort n’est qu’une étape aux yeux des intéressés, qui souhaitent institutionnaliser l’enseignement de cette langue dans les écoles publiques.
S’il ne s’agit pas de revendiquer une langue co-officielle, je demande si, culturellement, madame la secrétaire d’État, vous entendez encourager l’apprentissage d’une langue locale, qui n’est en rien une menace à l’unité ou à l’indivisibilité de la République, mais une démarche culturelle régionale sans être une revendication régionaliste.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d’État auprès de la ministre des armées. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, qui m’a chargée de vous apporter une réponse ce matin.
La préservation et la transmission des diverses formes du patrimoine des régions françaises, linguistique et culturel, sont importantes et font l’objet de la plus grande attention de la part du ministère de l’éducation nationale.
C’est dans cet esprit qu’est examinée la situation du flamand occidental, qui peut trouver une place à l’école.
En effet, l’article L. 312–11 du code de l’éducation dispose que les enseignants des premier et second degrés « sont autorisés à recourir aux langues régionales, dès lors qu’ils en tirent profit pour leur enseignement. Ils peuvent également s’appuyer sur des éléments de la culture régionale pour favoriser l’acquisition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des programmes scolaires ».
En outre, l’enseignement du néerlandais dont vous avez parlé, qui est une langue de communication avec la région flamande de Belgique et les Pays-Bas, est une priorité pour l’académie de Lille, notamment pour le département du Nord, aussi bien pour l’enseignement primaire que pour le collège et le lycée.
L’apprentissage de cette langue répond notamment à de forts enjeux économiques et d’employabilité. De fait, c’est la connaissance de la langue néerlandaise qui permet aux élèves de la zone frontalière de trouver des débouchés professionnels de l’autre côté de la frontière, ce qui n’exclut pas, bien sûr, une connaissance de ses variations dialectales.
Ainsi, la proximité linguistique de la langue régionale flamande avec la langue néerlandaise peut être avantageusement mise à profit lors des séances consacrées à l’apprentissage de cette dernière ; un travail peut être mené sur les nuances dialectales et sur les réalités culturelles – coutumes, expressions, art – de l’espace linguistique du franco-flamand.
Signalons aussi qu’un enseignement de la variante française du flamand occidental est présent dans trois écoles primaires publiques, dans le cadre d’une expérimentation. La poursuite de cette expérimentation dépendra des conclusions de l’évaluation qui sera conduite par les services de l’académie de Lille.
Enfin, à l’école primaire, la sensibilisation au flamand occidental et à la culture qu’il porte peut aussi faire l’objet d’activités éducatives et culturelles complémentaires conduites durant le temps périscolaire – temps important ! –, en lien, par exemple, avec les associations locales bénéficiant d’un agrément pour intervenir en milieu scolaire.
Au total, nous sommes attentifs à ce que cet apprentissage culturel perdure dans cette région.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Jean-Pierre Decool. J’ai bien entendu votre réponse, madame la secrétaire d’État, et je vous en remercie, mais vous comprendrez qu’elle ne peut totalement satisfaire les défenseurs du flamand occidental. Dois-je rappeler que le flamand est antérieur au néerlandais ? En outre, je comprends mal que le traitement réservé au flamand se distingue de celui qui est octroyé aux autres langues régionales.
Toutefois, permettez-moi de me consoler en vous citant les propos tenus par Stéphane Bern, à l’occasion de l’émission Le Village préféré des Français, au sujet de la candidature de Cassel : « J’ai un tropisme belgo-luxembourgeois qui fait que je me sens naturellement chez moi en Flandre. C’est un coin pour lequel j’ai une tendresse toute particulière. Ici, dès mon arrivée, j’ai été en admiration face aux bâtiments de la place, remarquablement bien entretenus. Il y a également toutes ces traditions flamandes, notamment la sympathique danse des Reuze – les géants de notre Flandre – avec cet air entraînant et cette rythmique qui fait qu’on ne peut s’empêcher de danser. Je trouve qu’il y a un charme inouï à Cassel. Vraiment. J’espère que tous les Français tomberont sous le charme de cette cité flamande comme je l’ai été. » (M. Jacques-Bernard Magner s’exclame.)
financement du sport
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, auteur de la question n° 334, adressée à Mme la ministre des sports.
M. Philippe Madrelle. Madame la ministre, je voudrais d’abord vous saluer avec admiration : nous nous souvenons de votre exploit !
Avec bon nombre de mes collègues, nous avons été très nombreux à vous alerter sur les conséquences de la diminution draconienne des crédits alloués par le Centre national pour le développement du sport, ou CNDS, au cours de l’exercice budgétaire 2018.
Vous me permettrez, madame la ministre, de me faire dans cet hémicycle le porte-parole de nombreux responsables du mouvement sportif, et notamment de ceux qui travaillent au sein des clubs locaux. L’incompréhension et l’inquiétude sont grandes au sein des clubs des 12 départements de la Nouvelle-Aquitaine, qui doivent faire face à une diminution de près de 50 % de leurs ressources.
En outre, le caractère arbitraire d’une telle décision, annoncée sans concertation, accentue l’incompréhension légitime de l’ensemble des responsables et des dirigeants du mouvement sportif. La saison sportive est déjà bien amorcée et l’on peut se demander avec quels moyens les associations, qui ont déjà été durement impactées par la réduction des contrats aidés, vont pouvoir mener à bien les politiques déjà engagées pour l’année en cours.
Madame la ministre, vous déclarez vouloir mener une politique sportive ambitieuse, qui nous ferait passer d’une nation de sportifs à une nation sportive. Quoi de meilleur et de plus logique dans la perspective des Jeux olympiques de 2024 !
Pourriez-vous toutefois nous préciser comment vous entendez réussir ce projet ambitieux, alors que les nouvelles orientations du CNDS et les modifications du financement de sa part territoriale risquent d’exclure de nombreux territoires, tout en imposant une injuste sélectivité des projets soutenus par les associations locales, ainsi qu’une absence de reconnaissance du bénévolat ?
Comment, face à de telles diminutions de moyens, parvenir à maintenir la mobilisation du mouvement sportif et assurer le maintien de la vie associative ?
La décision récente de dégager 5,6 millions d’euros en faveur des clubs sportifs en difficulté n’est pas de nature à apaiser la colère des responsables du mouvement sportif, tant à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine qu’à celle du département de la Gironde.
Pourriez-vous, madame la ministre, nous préciser les mesures que vous comptez prendre de manière à rassurer les responsables du comité régional olympique et sportif de la Nouvelle-Aquitaine et leurs collègues du comité olympique de la Gironde, afin qu’ils puissent remplir les missions qui leur sont confiées et auxquelles ils n’ont jamais failli ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des sports.
Mme Laura Flessel, ministre des sports. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Madrelle, dès 2018, j’ai souhaité clarifier les interventions menées par le ministère des sports et le CNDS. Notre action publique a besoin de cohérence et de lisibilité.
Le CNDS a donc été recentré sur son cœur de métier : il doit, d’une part, appuyer les collectivités territoriales et le mouvement sportif afin de développer le sport pour tous, et, d’autre part, encourager le développement de l’expertise sur l’innovation sociale grâce au sport.
Pour garantir l’efficacité de l’intervention du CNDS, la part territoriale de son action doit être plus sélective. Éviter le saupoudrage et concentrer les moyens sur la résorption des inégalités territoriales, voilà l’objectif ! Je le crois juste et surtout nécessaire aujourd’hui, quand on sait qu’il y a encore des quartiers qui, comme pour la téléphonie mobile, n’ont aucune infrastructure sportive.
Toutefois, monsieur le sénateur, j’ai entendu les difficultés que rencontrent certains petits clubs, difficultés dont les élus se sont fait le relais.
C’est pourquoi une enveloppe exceptionnelle de 5,6 millions d’euros, dégagée grâce à la bonne gestion des crédits du CNDS et de la direction des sports, va être allouée dès ce mois de juin par le CNDS aux clubs en difficulté.
Il appartiendra aux directeurs régionaux de la jeunesse, des sports et de la cohésion sociale, en qualité de délégués territoriaux du CNDS, de cibler les clubs qui en ont le plus besoin, dans le cadre des commissions territoriales.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, je n’oublie pas les pratiquants et les territoires. Le Président de la République et le Premier ministre m’ont fixé comme objectif d’aller chercher 3 millions de nouveaux licenciés et pratiquants, et je compte bien y parvenir, main dans la main avec les collectivités et le mouvement sportif.
Vous n’êtes pas sans savoir que nous avons lancé, dès le mois de novembre dernier, un nouveau plan de gouvernance du sport, qui regroupe tous les acteurs concernés : les collectivités territoriales, le mouvement sportif et l’État, ainsi que les acteurs économiques. Notre idée est de travailler à une refondation qui nous permettra d’aboutir, tous ensemble, à une lecture commune, et d’essayer ainsi de résorber les inégalités dans la pratique sportive.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Madrelle, pour répondre à Mme la ministre.
M. Philippe Madrelle. Je vous remercie, madame la ministre, pour vos propos encourageants : je vous fais confiance.
statut des psychologues
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, auteur de la question n° 264, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Laurence Cohen. Madame la ministre, comme vous le savez, deux expérimentations sont en cours dans plusieurs de nos départements pour évaluer la possibilité d’un remboursement par l’assurance maladie des suivis psychologiques hors des centres médico-psychologiques, ou CMP.
L’une de ces initiatives, appelée « Écout’Émoi », permet la prise en charge de consultations psychologiques offertes aux enfants et adolescents de 11 à 21 ans. L’autre a pour objet la prise en charge des thérapies non médicamenteuses des troubles en santé mentale d’intensité légère à modérée chez l’adulte de 18 à 60 ans. Ce dispositif, prévu pour quatre ans, devrait permettre aux pouvoirs publics d’évaluer l’intérêt et la faisabilité d’une prise en charge par la sécurité sociale des actes des psychologues libéraux.
Si je ne peux que partager cet objectif, permettez-moi, d’une part, de regretter fortement que les professionnels concernés, à savoir les psychologues, n’aient pas été associés à ces démarches et ne le soient toujours pas, malgré la lettre ouverte qu’ils vous ont adressée en janvier dernier, et, d’autre part, de ne pas partager les raisons qui vous poussent à soumettre ces professionnels de santé à un pilotage médical qui détermine, prescrit et contrôle les actes mêmes des psychologues.
Mes remarques font écho à celles des psychologues eux-mêmes. En effet, ce procédé choque à juste titre la profession, qui y voit un acte de mépris, un manque de reconnaissance, voire une mise sous tutelle médicale. Les psychologues ne seraient-ils donc pas assez légitimes pour évaluer par eux-mêmes la souffrance psychique et proposer des solutions ?
Cette situation apparaît en contradiction avec le code de la santé publique : son article L. 3221–1, issu de la récente loi de modernisation de notre système de santé, reconnaît clairement la place des psychologues.
Enfin, autre problème, vous conviendrez que le taux de remboursement proposé pour ces consultations, entre 22 et 32 euros, est bien trop bas au regard du prix d’une consultation et ne peut permettre à ces professionnels d’exercer correctement leur métier.
C’est pourquoi je voudrais savoir, madame la ministre, comment vous comptez, d’une part, associer les psychologues à ces expérimentations de façon à sortir d’une vision médico-centrée de la prise en charge psychologique et, d’autre part, écouter les craintes et les demandes qu’ils ont notamment exprimées dans une pétition qui a recueilli plus de 9 000 signatures.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Cohen, effectivement, l’assurance maladie ne rembourse actuellement que les consultations chez un médecin psychiatre, sur prescription médicale. Nous innovons aujourd’hui en expérimentant d’autres modalités de prise en charge.
L’expérimentation Écout’Émoi vise à diminuer l’éventuelle souffrance psychique de jeunes âgés de 11 à 21 ans et à faciliter leur parcours de santé mentale en améliorant la coordination et la collaboration entre les professionnels qui interviennent auprès des jeunes. Ainsi, on pourra améliorer l’information générale des jeunes et de leur entourage en matière de santé mentale, repérer plus précocement les troubles et évaluer la souffrance psychique pour prescrire, si besoin est, des consultations chez des psychologues cliniciens libéraux à des jeunes en situation de mal-être ne présentant pas de troubles sévères. Ces consultations seront prises en charge par l’assurance maladie dans le cadre de l’expérimentation.
Pour des troubles plus importants, les psychiatres resteront en première ligne. Tous les professionnels au contact des jeunes seront impliqués dans ces expérimentations, qu’il s’agisse des professionnels de santé, des professionnels de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, ou des maisons des adolescents, qui coordonneront le dispositif sur le terrain. Cette expérimentation sera menée en Île-de-France, dans le Grand Est et dans les Pays de la Loire.
Une seconde expérimentation est portée par l’assurance maladie en Haute-Garonne, dans le Morbihan et dans les Bouches-du-Rhône. Elle porte sur la prise en charge des thérapies non médicamenteuses en médecine de ville pour les troubles en santé mentale d’intensité légère à modérée. Elle s’adresse aux adultes de 18 à 60 ans souffrant de trouble dépressif ou anxieux, de trouble de l’adaptation, d’intensité légère à modérée, ou de syndrome médical inexpliqué.
Cette expérimentation propose aux patients de mener, après évaluation par un médecin, des séances de psychothérapie avec un psychologue clinicien ou un psychothérapeute ; ces séances seront prises en charge par l’assurance maladie dans le cadre du dispositif expérimental.
Ces deux dispositifs expérimentaux vont faire l’objet d’évaluations scientifiques avec l’ensemble des acteurs impliqués ; les résultats de ces évaluations permettront d’élaborer des recommandations en cas de généralisation.
En conclusion, l’article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 permet également, dans un cadre expérimental, d’impliquer des actes de psychologues au sein des parcours de santé des patients, avec des tarifications adaptées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour répondre à Mme la ministre.
Mme Laurence Cohen. Je vous remercie, madame la ministre, d’avoir détaillé les expérimentations en cours, ce qui est toujours utile pour celles et ceux qui ne les connaissaient pas.
Je veux cependant attirer votre attention sur les revendications des psychologues : malheureusement, ils ne se sentent pas associés à ces expérimentations et à ces démarches. Je vous demande simplement de les recevoir : il faut que les évaluations scientifiques et les collectifs qui pourront être mis sur pied associent les professionnels concernés. Bien trop souvent, beaucoup d’entre eux se sentent rejetés des commissions d’experts réunis par le ministère de la santé.
Je veux en outre rappeler que la profession de psychologue n’est pas reconnue à sa juste valeur, et ce à tous les niveaux. Une très grande majorité des 36 000 psychologues qui exercent en France sont des femmes, et leurs statuts sont très précaires. Je le répète : il faut que cette profession soit reconnue et soit associée au diagnostic, sans être placée sous une tutelle médicale.
Plus largement, les psychologues, dont les CMP et les hôpitaux manquent cruellement, ont besoin d’une revalorisation de leur métier, c’est-à-dire non seulement de leur salaire, mais aussi de leur statut. Ils attendent et demandent cette reconnaissance.
Je profite enfin de cette occasion, madame la ministre, pour vous appeler à rester attentive et à progresser vers la titularisation urgente de ces professionnels afin de valoriser ce métier, qui en a fortement besoin ; je vous en remercie par avance.
situation dans les établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes du département du puy-de-dôme
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, auteur de la question n° 276, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Jacques-Bernard Magner. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des établissements publics d’hébergement pour personnes âgées dépendantes du département du Puy-de-Dôme.
Ces EHPAD publics sont malheureusement confrontés à des difficultés récurrentes. Ils accueillent aujourd’hui des personnes âgées qui, auparavant, étaient accueillies par l’hôpital public, en long séjour ou dans le secteur gériatrique. On constate que l’âge des personnes entrant en EHPAD recule régulièrement, tout comme leur autonomie, d’ailleurs. Aujourd’hui, l’âge moyen d’entrée en établissement est de 87,16 ans, ce qui amène inévitablement une dépendance marquée des résidents et une hausse nécessaire du temps qu’il faut consacrer à chacun d’eux.
Madame la ministre, afin d’assurer la bientraitance de nos aînés, il faut des moyens importants en personnel et en équipement. Or les budgets des EHPAD sont sans cesse affectés par les baisses des dotations octroyées par l’Agence régionale de santé, l’ARS, du fait de la nouvelle réforme de la tarification, et ce alors que les budgets de fonctionnement sont déjà réduits au strict nécessaire.
En conséquence, les besoins des résidents ne peuvent être correctement satisfaits et les structures ne peuvent être entretenues comme elles le devraient.
De plus, vous n’ignorez pas que la récente diminution par l’État du nombre des contrats aidés a accru les difficultés dans les EHPAD.
Enfin, on rencontre des difficultés pour le recrutement de directeurs dans les EHPAD publics autonomes, dont le personnel relève de la fonction publique hospitalière. Cela découle des conditions réglementaires nécessaires pour occuper un tel poste : le niveau de connaissances et d’aptitude requis est tel que les candidats, une fois admis et formés, sélectionnent des postes dans des établissements de taille importante et en zone urbaine, délaissant malheureusement ceux, de taille modeste, qui sont implantés dans les zones rurales.
Face à cette absence de moyens, les personnels des EHPAD se sont mis en grève à deux reprises, le 30 janvier et le 15 mars derniers. En réponse, madame la ministre, vous avez annoncé, au mois d’avril, vouloir aboutir d’ici à l’automne à un ajustement de la réforme controversée du financement des EHPAD. Vous avez également confirmé une mesure financière : la neutralisation, pour les années 2018 et 2019, des effets de baisse de recettes au titre de la dépendance.
Madame la ministre, pouvez-vous me préciser quelle est votre solution pour qu’aucun EHPAD ne se retrouve perdant du fait de la nouvelle tarification ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Magner, la réforme des tarifs « soins » et « dépendance » des EHPAD, à laquelle vous faites allusion dans votre question, a effectivement provoqué des inquiétudes ; je me suis donc engagée à ce que les ressources financières de ces établissements soient maintenues pour les années 2018 et 2019.
Comme vous le savez, cette réforme de la tarification avait été engagée avant mon arrivée au ministère ; j’ai rapidement nommé un médiateur, M. Pierre Ricordeau, pour examiner précisément la situation.
Des travaux vont désormais s’engager, avec les fédérations représentant les EHPAD et l’Assemblée des départements de France, pour permettre aux départements de fixer un tarif « dépendance » plus adapté aux besoins des EHPAD de leur territoire.
La montée en charge de la réforme de la tarification des soins dans les EHPAD, issue de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, réforme qui permet d’augmenter, en moyenne, les financements alloués aux soins, était prévue jusqu’en 2023.
Afin de renforcer plus rapidement la présence de personnels soignants au sein des EHPAD, j’ai demandé à ce que l’ensemble des établissements atteignent leurs nouveaux tarifs cibles beaucoup plus rapidement, d’ici à la fin de l’année 2021. Cela représente un effort supplémentaire de 143 millions d’euros, qui s’ajoutent aux 217 millions d’euros qui étaient déjà prévus sur cette période pour le recrutement de personnels soignants dans ces établissements.
Dans le Puy-de-Dôme, comme cela a été indiqué dans l’instruction budgétaire nationale du 15 mai 2018, un mécanisme a été instauré cette année pour neutraliser, en crédits non reconductibles, les convergences négatives tant pour la dépendance que pour les soins. L’Agence de santé Auvergne-Rhône-Alpes s’est vu notifier une enveloppe dédiée de 3,8 millions d’euros pour procéder à cette double neutralisation. Toutes les convergences négatives sur la part « soins », qui concernent 11 EHPAD, seront intégralement compensées cette année en crédits non reconductibles ; quant aux convergences négatives « dépendance », l’ARS va notifier, en plus des crédits non reconductibles pour tous les EHPAD du Puy-de-Dôme, 248 795 euros pour les 32 établissements concernés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner, pour répondre à Mme la ministre.
M. Jacques-Bernard Magner. Je vous remercie, madame la ministre, de vos réponses, qui sont encourageantes et montrent que vous envisagez le problème dans sa difficulté d’aujourd’hui.
Il y a quand même une question à laquelle vous n’avez pas apporté de réponse : la formation des responsables des EHPAD. Je peux néanmoins vous comprendre, parce que cela ne dépend pas directement d’une décision immédiate et financière, mais que c’est un peu plus compliqué. Une fois leur formation reçue, ces personnes – un peu comme les grands footballeurs, hormis l’ampleur de leur rémunération (M. Roland Courteau rit.) – vont exercer leur spécialité dans des endroits plus rémunérateurs que les zones rurales. Or beaucoup d’EHPAD sont justement localisés dans ces zones rurales, notamment dans le Puy-de-Dôme, département lui-même rural.
Ce problème de management de direction devient de plus en plus grave, parce qu’on ne parvient pas à attirer dans ces lieux des gens qui veulent bien se consacrer à la direction d’établissements qui en ont pourtant bien besoin.
société commerciale médecindirect
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, auteur de la question n° 290, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, ma question porte sur le fonctionnement de la société commerciale MédecinDirect.
La télémédecine s’implante dans le paysage médical français, ce qui est une très bonne chose. Toutefois, le fonctionnement de la société MédecinDirect m’a alertée. Cette société revendique 1 600 téléconsultations par mois. Des médecins y sont joignables par mail ou par téléphone 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour effectuer un diagnostic et rédiger une ordonnance.
L’article R. 4127–19 du code de la santé publique dispose que la médecine ne doit pas être pratiquée comme un commerce.
D’autre part, la téléconsultation médicale figure à l’article R. 6316–1 de ce même code, qui précise que la téléconsultation « a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient ». Selon la loi, une téléconsultation est donc une consultation à distance qui permet au professionnel de santé médical requis de réaliser une évaluation globale du patient, en vue de définir la conduite à tenir à la suite de cette téléconsultation.
Or, avec MédecinDirect, le patient et le médecin s’écrivent ou se parlent, mais ils ne se voient jamais.
La question se pose donc de savoir si cette société commerciale est un établissement de santé soumis à l’autorisation de l’Agence régionale de santé, ou ARS, compétente.
Le cas échéant, madame la ministre, je souhaiterais savoir si une ARS est en mesure d’autoriser une société commerciale relevant du code de commerce à prodiguer des actes médicaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Lassarade, la société MédecinDirect a signé un contrat de télémédecine avec l’Agence régionale de santé d’Île-de-France le 14 décembre 2015 ; ce contrat a été renouvelé le 14 décembre dernier. Ses activités de télémédecine n’ont débuté qu’en septembre 2016, après l’obtention de l’autorisation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. MédecinDirect est une plateforme qui permet la mise en relation d’un patient, par écrit, téléphone ou vidéotransmission, suivant son choix, avec un médecin pour un conseil personnalisé ou une téléconsultation.
Ses principaux clients sont des assureurs complémentaires santé et des mutuelles, qui offrent ce service à leurs adhérents ou bénéficiaires. Il n’y a donc pas, pour le patient, de reste à charge directement lié à la consultation.
La délivrance d’un conseil ou d’une information, même assortie d’une prescription, n’entre pas dans le champ d’application de la télémédecine. Le contrat signé avec l’Agence régionale de santé a seulement pour objet de déterminer les objectifs et les modalités de réalisation des téléconsultations de MédecinDirect.
Ce contrat permet la déclinaison des orientations régionales fixées dans le projet régional de santé : améliorer l’accessibilité de tous à des soins de qualité sur l’ensemble du territoire, consolider la permanence de soins, renforcer la prise en charge des maladies chroniques et viser au développement des usages de la téléconsultation en garantissant la qualité et la sécurité des soins.
L’article 54 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 précise que « les actes de téléconsultations remboursés par l’assurance maladie sont effectués par vidéotransmission ».
A contrario, la vidéotransmission n’est pas une obligation dans une téléconsultation qui n’est pas prise en charge par l’assurance maladie.
Je vous confirme, enfin, que les téléconsultations de médecins directs constituent une pratique médicale soumise aux règles de l’exercice de la médecine en France, qui imposent notamment l’inscription auprès d’un conseil ordinal.
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour répondre à Mme la ministre.
Mme Florence Lassarade. Madame la ministre, je vous remercie pour votre réponse détaillée. Néanmoins, prenons garde de ne pas préférer, à l’excellence de la téléexpertise à laquelle les Français auraient droit, la marchandisation de la santé, avec tous les excès que cela peut impliquer !
dépistage néonatal de la drépanocytose
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, auteur de la question n° 337, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Georges Patient. Madame la ministre, c’est aujourd’hui la journée mondiale de la drépanocytose, la maladie génétique la plus répandue dans le monde. L’ONU en a fait sa quatrième priorité de santé publique. L’OMS estime à 50 millions le nombre de personnes souffrant de cette maladie dans le monde. En France, environ 26 000 personnes en souffrent, auxquelles il faut ajouter plus de 150 000 porteurs sains. On peut donc difficilement parler de maladie rare.
La drépanocytose a longtemps été qualifiée de « maladie des noirs », car elle a été identifiée et caractérisée en premier lieu au sein de la population afro-américaine aux États-Unis. Il est aujourd’hui admis que la mutation s’est renforcée dans les populations occupant les régions du globe soumises à une forte prévalence du paludisme. C’est pourquoi la drépanocytose, surtout présente en Afrique subsaharienne, l’est également sur le pourtour méditerranéen et en Inde, mais également, héritage du commerce triangulaire et de l’esclavagisme, sur le continent américain.
Les outre-mer sont particulièrement touchés : on compte 2 000 malades en Guyane, autant en Martinique et 1 500 en Guadeloupe. On estime à environ 40 000 le nombre de porteurs sains dans chacun des DROM, les départements et régions d’outre-mer. Cette maladie affecte donc jusqu’à 10 % de la population concernée.
Il n’existe à ce jour pas de traitement curatif. Des traitements à l’efficacité aléatoire existent pour prévenir les crises et certains symptômes.
C’est pourquoi, madame la ministre, pour une bonne prévention, pour l’éducation à la maladie, et pour qu’en cas de crise le diagnostic soit immédiatement posé, le dépistage néonatal est indispensable. En l’an 2000, la France instaurait un dépistage de la drépanocytose à la naissance sur tout son territoire. Systématique dans les outre-mer, il est ciblé dans l’Hexagone en fonction de l’origine des parents.
Malheureusement, des enfants drépanocytaires naissent encore aujourd’hui sans être dépistés. Ils sont soignés et, parfois, hospitalisés plusieurs fois avant que le diagnostic soit posé. Comment pouvons-nous tolérer de laisser ces enfants dans d’immenses souffrances alors que nous disposons des moyens techniques et financiers nécessaires ?
En juillet 2009, Mme Roselyne Bachelot, alors ministre de la santé, présentait son plan Santé outre-mer. Elle déclarait alors : « Bien qu’étant la maladie génétique la plus fréquente en France, la drépanocytose n’a pas bénéficié de la même attention que d’autres maladies génétiques. Il est temps de mettre fin à cette situation en rétablissant la qualité des soins et l’égalité de tous devant la maladie. »
Madame la ministre, vous êtes médecin hématologue, vous connaissez donc mieux que quiconque dans cet hémicycle cette maladie, vous savez mieux que quiconque ici la souffrance des drépanocytaires.
Madame la ministre, faites de la drépanocytose une grande cause nationale ! Systématisez le dépistage néonatal de la drépanocytose sur tout le territoire national en l’intégrant au test de Guthrie !
Madame la ministre, je ne saurais terminer mon propos sans évoquer la situation particulière de l’hôpital de Cayenne et, surtout, de ses urgentistes. Je crois savoir que se tiendra demain une réunion très importante sur une sortie de crise. J’apprécierais que toute votre attention soit portée sur cette sortie de crise.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Georges Patient, vous avez raison, la drépanocytose est une maladie que je connais particulièrement bien et qui est grave pour les patients. Je suis heureuse de pouvoir vous rappeler toutes les actions menées aujourd’hui pour faire reculer cette maladie.
La drépanocytose regroupe un ensemble de maladies génétiques qui affectent l’hémoglobine. Elle est la maladie génétique la plus fréquente en France, même si elle rentre dans la définition de ce que l’on appelle les maladies rares. Un centre de référence et de compétence lui est dédié, financé par l’État ; il participe au renforcement de l’expertise.
Malgré les progrès réguliers de la prise en charge, aussi bien préventive avec la vaccination contre le pneumocoque par exemple, que symptomatique, notamment grâce aux transfusions sanguines, les conséquences de la maladie pour les jeunes adultes restent très lourdes.
Monsieur le sénateur, je vous rejoins sur ce point : la lutte contre la maladie doit passer par un dépistage le plus précoce possible, afin d’éviter au maximum les complications et séquelles ainsi que l’altération de la qualité de vie des personnes.
La drépanocytose fait partie aujourd’hui des cinq maladies inscrites au programme national de dépistage néonatal.
En France, le dépistage de cette maladie est généralisé chez tous les nouveau-nés depuis 1989 dans les départements et régions d’outre-mer.
En métropole, il n’est réalisé que depuis 1995 et seulement chez les nouveau-nés présentant un risque particulier de développer la maladie en fonction de l’origine des parents.
La question de l’efficacité du dépistage néonatal ciblé de la drépanocytose en métropole n’est pas nouvelle. En 2014, la direction générale de la santé avait souhaité que la Haute Autorité de santé examine la question de l’élargissement éventuel du dépistage à l’ensemble de la population, quelle que soit l’origine des parents. Dans son rapport, cette dernière n’avait pas relevé de signaux clairs d’un manque d’efficacité de la stratégie du dépistage néonatal ciblé.
Entre-temps, des études ont été publiées, notamment par une équipe de l’hôpital Necker. En outre, comme vous l’avez mentionné, monsieur le sénateur, le Défenseur des droits, dans sa décision n° 2018-206, a préconisé de mettre en place, à titre expérimental, un dépistage généralisé dans une région de métropole où la prévalence de la drépanocytose est élevée, par exemple l’Île-de-France, avant d’envisager une généralisation dans toute la France métropolitaine.
Cette préconisation a retenu toute mon attention. C’est pourquoi j’ai décidé, notamment au regard des données médicales récentes qui m’ont été apportées, de saisir de nouveau la Haute Autorité de santé, afin qu’elle puisse indiquer si les données disponibles peuvent conduire à une révision de son avis de 2014. Il s’agira également de définir, si tel était le cas, les modalités pertinentes d’une généralisation de ce dépistage néonatal sur tout le territoire métropolitain.
Quant à la situation de l’hôpital de Cayenne, elle appelle toute notre vigilance, afin qu’une issue favorable soit trouvée. Nous suivons attentivement ce dossier.
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient, pour répondre à Mme la ministre.
M. Georges Patient. Madame la ministre, je sais pouvoir compter sur vous, puisque, en tant qu’hématologue, vous connaissez parfaitement cette maladie, et je n’ignore pas l’attention que vous lui portez.
J’en appelle encore une fois à votre vigilance sur la grande réunion qui se tiendra demain, afin qu’une sortie de crise puisse être trouvée pour l’hôpital de Cayenne.
pénurie de médicaments
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, auteur de la question n° 353, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
M. Dominique Watrin. Madame la ministre, on constate des difficultés croissantes dans l’approvisionnement des pharmacies, y compris celles des centres hospitaliers, quand il ne s’agit pas tout simplement de ruptures de stock, pendant parfois plusieurs mois. Cette pénurie frappe aussi les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, avec une hausse des difficultés d’année en année : selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, 391 cas de ruptures de stock ont été dénombrés en 2015, 405 en 2016 et 530 en 2017 !
Parmi les causes de ces difficultés, on compte bien sûr l’explosion de la demande mondiale dans un contexte où les grands laboratoires fusionnent jusqu’à se trouver en situation de quasi-monopole : dès lors, les possibilités de recours et les capacités de production baissent. De même, la dépendance au marché mondial a des effets sur la fourniture en matières premières pour les médicaments qui ne sont pratiquement plus fabriqués en France.
Dans cette situation de pénurie, le laboratoire Mylan par exemple, qui produit l’antibiotique Augmentin®, d’utilisation courante à l’hôpital, a annoncé qu’il cesserait sa production à destination de la France pour se tourner vers l’export d’ici à la fin de cette année, mais qu’il resterait possible de lui acheter des antibiotiques au prix de l’export, c’est-à-dire pour un montant cinq à six fois supérieur.
Un autre cas existe, celui des médicaments dérivés du sang, dont les immunoglobulines polyvalentes. L’insuffisance du stock des laboratoires LFB et CSL Behring a obligé parfois à retarder l’instauration de cures, l’ANSM demandant aux prescripteurs de hiérarchiser les indications, afin d’utiliser les stocks restants pour les indications les plus prioritaires.
Cette situation conduit aussi les instances à autoriser des spécialités équivalentes destinées initialement aux marchés turc et brésilien, avec des notices qui ne sont pas en français et sans étiquette de traçabilité. Les vaccins sont également fortement concernés, et cela avant même l’élargissement des obligations vaccinales que vous avez mis en place, madame la ministre.
Dans ces conditions, c’est toute la chaîne du médicament qu’il faut repenser, non seulement pour faire en sorte que les laboratoires respectent leurs engagements, mais également pour limiter les surcoûts pour nos hôpitaux.
Nous vous demandons donc, madame la ministre, s’il n’est pas envisageable de confier la production des médicaments stratégiques au secteur public, dans un premier temps autour de l’Agence générale des équipements et produits de santé, l’AGEPS, et de son laboratoire de Nanterre, et, à plus long terme, en constituant un véritable service public du médicament.
Il me semble que nous devrions réfléchir à une indépendance sanitaire, comme nous réfléchissons à notre indépendance énergétique et alimentaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur Dominique Watrin, l’approvisionnement en médicaments est un objectif de santé publique majeur, en particulier pour les médicaments d’intérêt thérapeutique. Dans certains cas, l’indisponibilité est susceptible d’entraîner un problème de santé publique, avec mise en jeu du pronostic vital et des pertes de chance importantes pour les patients ; je pense notamment à certains médicaments anticancéreux.
Afin de répondre à ces difficultés, vous m’interrogez sur la possibilité, dans un premier temps, de confier la production des médicaments stratégiques au secteur public et, à plus long terme, de constituer un service public du médicament.
L’Agence générale des équipements et produits de santé, l’AGEPS, que vous mentionniez, met aujourd’hui en œuvre la politique de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris en matière d’équipements et de produits de santé. Cet établissement se compose de plusieurs pôles, dont le pôle Établissement pharmaceutique de l’assistance publique des hôpitaux de Paris. Ce dernier joue un rôle essentiel dans la recherche, le développement, la production et la mise à disposition des patients des médicaments indispensables, qui répondent à des situations rares ou à des indications orphelines.
Il s’agit de situations non prises en charge par l’industrie pharmaceutique ou de médicaments nécessitant une adaptation galénique pour répondre aux besoins de populations particulières, comme les enfants et les personnes âgées.
Toutefois, cet établissement pharmaceutique public n’a pas pour mission de produire des médicaments en grande quantité destinés à couvrir le marché français. Conformément à l’article R. 5124-69 du code de la santé publique, l’AGEPS ne peut fabriquer des médicaments qui disposent déjà d’une autorisation de mise sur le marché exploitée dans le secteur concurrentiel. Dès lors, l’Agence n’a pas pour mission de suppléer les laboratoires du secteur privé en cas de rupture d’approvisionnement en médicaments produits par ces derniers.
Par ailleurs, la production de médicaments d’intérêt thérapeutique majeur par un établissement public ne garantirait pas des ruptures liées en particulier à un problème d’approvisionnement en matières premières qui se situe le plus souvent à l’échelon mondial. Ainsi, un anticoagulant est fabriqué à partir de saumons pêchés dans la zone de Fukushima ; la zone de pêche ayant été interdite pendant des années après l’accident survenu à la centrale nucléaire, ce fait a eu une incidence sur l’ensemble de la production mondiale. C’est aussi le cas des médicaments dérivés du sang, notamment les immunoglobulines polyvalentes.
Monsieur le sénateur, votre proposition ne résoudrait pas les problèmes d’approvisionnement en matières premières. Elle ne résoudrait pas non plus les difficultés liées aux problèmes de chaîne de production qui peuvent aussi se produire au sein d’un établissement pharmaceutique public, notamment quand il y a contamination ou arrêt d’une chaîne. En d’autres termes, elle ne répondrait pas à la totalité des problématiques rencontrées aujourd’hui.
Mme la présidente. La parole est à M. Dominique Watrin, pour répondre à Mme la ministre.
M. Dominique Watrin. Madame la ministre, si vous avez reconnu qu’il s’agissait d’un sujet grave, il n’en reste pas moins que je demeure un peu sur ma faim en ce qui concerne les propositions.
Certes, on peut contester celle que nous venons d’avancer, mais, face aux pénuries d’approvisionnement, tout de même assez fortes, entraînées par le système, ne faudrait-il pas, par exemple, revenir tout simplement aux règles élémentaires du code des marchés publics selon lesquelles un laboratoire n’arrivant pas à honorer ses engagements assume financièrement la charge du surcoût entraîné, ce qui n’est plus le cas dans le cadre d’un contingentement décidé par l’ANSM ? Voilà une première mesure que l’on pourrait prendre !
Une autre question subsiste ; elle vise les mesures pour relocaliser en France et en Europe la fabrication des matières premières. Je concède que vous n’êtes certainement pas la seule ministre concernée par ce sujet. À tout le moins, l’ANSM ne pourrait-elle pas imposer aux laboratoires étrangers les normes drastiques qu’elle impose aux laboratoires français ?
Enfin, madame la ministre, la colère monte sur ce sujet et je pense que vous en êtes consciente. Voici les propos d’un médecin rapportés dans Le Quotidien du médecin, lequel exprimait son ras-le-bol face aux pénuries – je vous fais grâce des noms des médicaments qu’il cite parce qu’ils sont imprononçables pour le néophyte que je suis : « Chaque jour, un nouveau médicament [est] en rupture, c’est la gabegie totale et les labos ne nous informent pas. On se fait engueuler par les patients qui ne trouvent pas leur traitement. Ils nous reprochent de ne pas être au courant. »
Sur ce sujet particulièrement délicat et – vous l’avez reconnu, madame la ministre – qui peut être grave, il me semble qu’il va falloir travailler à de tout autres mesures.
rupture d’approvisionnement et de stock dans les pharmacies d’officine
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, auteur de la question n° 363, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, ma question porte sur le même sujet que celui que vient d’évoquer Dominique Watrin – nous ne nous sommes pourtant pas concertés… (Sourires) –, à savoir les ruptures de stock et d’approvisionnement en médicaments dans les pharmacies d’officine et dans les établissements de santé.
Depuis une dizaine d’années, on note une augmentation de cette tendance, qui a des conséquences importantes en matière de santé publique, vous l’avez rappelé, madame la ministre.
Concrètement, cela signifie qu’une pharmacie est dans l’incapacité de fournir un médicament à un malade dans les soixante-douze heures suivant la présentation d’une prescription. En 2015, 391 médicaments étaient indisponibles ou en rupture de stock, contre 530 pour l’année 2017. Selon un sondage récent, la moitié des Français a déjà été confrontée à une rupture de stock ou d’approvisionnement en médicament. Dans un cas sur cinq, ces pénuries concernent un vaccin.
Ces ruptures visent également des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur – pour certains, vous l’avez rappelé, le pronostic vital peut être engagé : médicaments anticancéreux, médicaments pour des pathologies liées au système nerveux, notamment l’épilepsie ou la maladie de Parkinson. La France se retrouve aujourd’hui confrontée à des dysfonctionnements sans précédent, qui, chaque jour, ont une incidence sur toute la chaîne de production, la chaîne de distribution, les répartiteurs, les officines et, surtout, au final, les patients.
Ce problème n’est pas nouveau, mais il a pris une ampleur considérable. Dès 2015, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé alertait sur des orientations dans l’organisation de la production qui pourraient conduire à une explosion du nombre de pénuries. Elle ne s’était pas trompée : les pénuries ont augmenté de 30 % en un an. Dans le département de la Charente-Maritime, environ 4 % des médicaments sont en rupture de stock ou d’approvisionnement. Cette moyenne départementale est quasi équivalente à la moyenne nationale, qui se situe à 5 %. Nous sommes donc bien loin des ruptures anecdotiques occasionnelles du siècle dernier.
Les explications sont plurielles. Au-delà d’un problème toujours possible sur une chaîne de production – vous l’avez évoqué dans votre réponse précédente, madame la ministre – ou d’un problème qualitatif, la France est surtout dépendante de l’approvisionnement en matières premières et de la production de nombreux médicaments sur le continent asiatique. Par ailleurs, la logique de production en flux tendus est en partie responsable de cette situation. Enfin, la France est, avec le Portugal, l’un des deux pays européens où le prix des médicaments est le moins cher, ce qui incite certains laboratoires à faire le choix de distribuer leurs médicaments dans des pays étrangers.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre, je souhaite connaître les actions que le Gouvernement entend mener, afin d’endiguer ces ruptures de stock et ces difficultés d’approvisionnement.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Corinne Imbert, votre question me permet de compléter la réponse que je viens de fournir au sénateur Dominique Watrin.
Vous avez raison, le circuit de distribution des médicaments français est régulièrement touché par des dysfonctionnements, qui entraînent de nombreuses ruptures d’approvisionnement en médicaments.
En France, le nombre de ruptures et de risques de rupture de médicaments s’est accru de manière significative depuis 2008. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, l’ANSM, indique que les ruptures de stock ont touché près de 530 médicaments d’intérêt thérapeutique majeur à l’échelon national en 2017, soit une augmentation de plus de 30 % en un an. À titre de comparaison, en 2008, on dénombrait seulement 44 de ces médicaments en situation de rupture, soit plus de dix fois moins.
Néanmoins, ces difficultés récurrentes ne sont pas propres au système de santé français – elles ne sont donc pas liées au fait que la France pratique les prix parmi les plus bas – et touchent un très grand nombre de pays. Les causes des ruptures de stock sont multiples : elles peuvent résulter de difficultés relatives à l’approvisionnement en matières premières – je ne reprends pas l’exemple de Fukushima que j’ai cité tout à l’heure –, de défauts de qualité – s’il n’existe qu’une seule chaîne de production à l’échelon mondial, en cas d’arrêt, la rupture est mondiale –, ou encore de modifications des autorisations de mise sur le marché qui peuvent d’un moment à l’autre conduire à augmenter les besoins en médicaments, si les indications progressent considérablement.
En réponse à ces difficultés, la France a mis en œuvre des mesures de prévention des ruptures.
Le mécanisme juridique élaboré, depuis 2016, permet normalement de lutter contre les ruptures d’approvisionnement à l’échelle nationale et de garantir l’accès de tous les patients à leur traitement. Ces dispositions imposent notamment aux titulaires d’autorisation de mise sur le marché et aux exploitants des médicaments d’élaborer et de mettre en œuvre des plans de gestion des pénuries pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur – je pense notamment aux médicaments anticancéreux – et de les soumettre à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
En complément, deux arrêtés des 26 et 27 juillet 2016 ont fixé la liste respectivement des vaccins et des classes thérapeutiques contenant des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur devant faire l’objet de plans de gestion des pénuries. Les services de mon ministère évaluent actuellement ces différents dispositifs et porteront une attention particulière aux plans de gestion des pénuries obligatoires, mis en œuvre depuis le 22 janvier 2017.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Imbert, pour répondre à Mme la ministre.
Mme Corinne Imbert. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Je sais bien que vous ne prenez pas ce problème à la légère. Comment pourrait-il en être autrement, d’ailleurs ?
J’entends bien les dispositions que vous mentionnez, par exemple l’obligation de plans de gestion, notamment pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Au quotidien, chez les répartiteurs comme dans les pharmacies d’officine, nous n’en ressentons pas les effets : nous rencontrons des difficultés pour obtenir des informations de la part des laboratoires, notamment sur les dates de retour de mise à disposition des médicaments. Or il nous faut apporter des réponses précises à la fois aux médecins prescripteurs et aux patients.
Il y a quelques années, les ruptures un petit peu durables qui surgissaient concernaient des nouveaux médicaments, qui venaient d’obtenir une autorisation de mise sur le marché et qui étaient soumis à quota ; en fin d’année, nous nous retrouvions alors dans l’impossibilité d’obtenir ces médicaments. Aujourd’hui, ces situations sont quotidiennes, non seulement pour les laboratoires, mais surtout pour les répartiteurs et pour les pharmacies d’officine. C’est pourquoi nous nous sentons un peu dépourvus.
conditions d’accueil dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog, auteur de la question n° 382, adressée à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christine Herzog. Madame la ministre des solidarités et de la santé, les conditions d’accueil des personnes âgées dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, se dégradent de jour en jour. C’est la conséquence, d’une part, de l’insuffisance des moyens financiers, matériels et en personnel mis à la disposition des EHPAD et, d’autre part, du fait que ces établissements accueillent un nombre croissant de personnes très âgées, souvent grabataires et réclamant de ce fait des soins beaucoup plus importants.
Or, si la France est aujourd’hui un pays développé, c’est grâce au travail des générations qui nous ont précédés. À l’époque, on travaillait beaucoup plus que 35 heures par semaine, il n’y avait pas de RTT ni cinq semaines de congés payés. Notre société a de ce fait l’obligation morale de faire tout son possible pour que les personnes âgées auxquelles nous sommes globalement tous redevables soient accueillies et accompagnées dans des conditions matérielles et humaines satisfaisantes. Hélas, ce n’est pas le cas : les gouvernements successifs n’ont pas débloqué les moyens nécessaires.
Dans le département de la Moselle, la situation est d’autant plus préoccupante que, outre l’aspect qualitatif de l’accueil, le nombre de places disponibles est insuffisant. En effet, à l’époque de la sidérurgie et des houillères, ce département comptait une population jeune, laquelle est aujourd’hui entrée dans le troisième âge. Ayant moins de besoins par le passé, la Moselle avait créé moins de places en EHPAD par rapport au ratio démographique. Le vieillissement accéléré de la population mosellane doit maintenant être pris en compte par un effort de rattrapage.
Madame la ministre, comment envisagez-vous de répondre aux besoins qualitatifs qui existent partout en France et aux besoins quantitatifs propres à certains départements comme la Moselle ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre des solidarités et de la santé.
Mme Agnès Buzyn, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice Christine Herzog, je suis d’accord avec votre constat : les gouvernements successifs n’ont pas débloqué les moyens nécessaires.
Ma conviction, depuis maintenant un an, est que notre pays n’a pas encore su trouver un véritable modèle de prise en charge de la perte d’autonomie. L’attente de la société est pourtant légitime. Le vieillissement doit être anticipé et c’est le rôle des pouvoirs publics, au sens large, de préparer l’avenir, d’impulser le changement, de donner un cap. J’ai présenté voilà trois semaines une nouvelle feuille de route et annoncé des moyens supplémentaires.
Ainsi, 15 millions d’euros seront alloués en 2018 au financement de plans de prévention en EHPAD. Ces moyens seront portés à 30 millions d’euros à partir de 2019 pour la prévention de perte d’autonomie.
En outre, en 2019 et 2020, 100 millions d’euros seront consacrés à la refonte du mode de financement de l’aide à domicile.
Par ailleurs, les EHPAD recevront 360 millions d’euros supplémentaires de 2019 à 2021 pour recruter des personnels soignants.
Qui plus est, 1 000 places d’hébergement temporaire en EHPAD pour les personnes sortant d’hospitalisation seront financées à hauteur de 15 millions d’euros par l’assurance maladie dès 2019, l’objectif étant de réduire les durées d’hospitalisation et de faciliter le retour à domicile des personnes.
Enfin, un effort financier de 40 millions d’euros permettra de généraliser l’accès à la télémédecine en EHPAD.
À cela s’ajoute le recrutement d’infirmières de nuit pour couvrir l’ensemble des EHPAD d’ici à 2020.
S’agissant plus particulièrement du département de la Moselle, l’agence régionale de santé, conjointement avec le département, a engagé une démarche de rattrapage. Dans le cadre des restructurations hospitalières, un projet médico-social pour la Moselle-Est a été arrêté et a permis de créer 455 places sur les territoires du bassin houiller et de Sarreguemines, dont 163 places en EHPAD et 69 places de services de soins infirmiers à domicile.
Dans le secteur de Thionville, le programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie 2017-2021 prévoit également la création de 275 places en EHPAD.
Je vous confirme donc que la démarche de réajustement en termes d’équipement dans le département de la Moselle se poursuit, tout comme l’évolution et la transformation de l’offre, notamment par le biais des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens.
Mme la présidente. La parole est à Mme Christine Herzog, pour répondre à Mme la ministre.
Mme Christine Herzog. Madame la ministre, je vous remercie de cette réponse.
Au mois de septembre dernier, dans le cadre d’un rapport parlementaire sur la problématique des EHPAD, plusieurs propositions ont été émises, notamment sur une nécessaire adaptation et évolution du tarif des EHPAD, ainsi que sur l’évolution du métier d’aide-soignant et des autres personnels pour adapter ces métiers et les revaloriser. Je souhaite vivement que ces différentes propositions soient prises en compte.
compteurs linky et maîtrise de la consommation d’énergie
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, auteur de la question n° 311, adressée à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la secrétaire d’État, j’appelle l’attention du ministre d’État sur le déploiement des compteurs Linky en France et, plus précisément, sur les problématiques relatives aux objectifs de maîtrise de consommation d’énergie auxquels ces derniers étaient censés répondre.
Alors que, dans son rapport annuel publié au mois de février dernier, la Cour des comptes rappelle que le coût du déploiement des compteurs Linky est couvert dans « des conditions avantageuses pour Enedis » par les consommateurs, les magistrats relèvent également les insuffisances techniques du compteur. Ils rejoignent en cela les conclusions de l’association de consommateurs UFC-Que Choisir, laquelle avait déjà alerté sur le fait que les informations auxquelles auront accès les utilisateurs n’étaient ni assez nombreuses ni suffisamment accessibles pour faire du compteur Linky un véritable outil de maîtrise de consommation.
En effet, l’affichage déporté, permettant une information en temps réel plus complète et lisible, est limité aux seuls ménages précaires et les portails internet du distributeur et des fournisseurs ne permettent pas une information détaillée et circonstanciée. Comme le mentionnent pourtant les magistrats, « la connaissance par l’usager de sa consommation d’électricité à un [laps] de temps suffisamment court […] constitue un prérequis à la mise en place de toute action de MDE [maîtrise de la consommation d’énergie] à un niveau individuel. »
Cela étant, dès 2010, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, demandait déjà que le compteur dispose d’un afficheur déporté, solution d’information en temps réel en kilowattheures et en euros, comme cela a pu se faire ailleurs en Europe, notamment au Royaume-Uni. Le Médiateur national de l’énergie a également plaidé pour la généralisation d’un tel dispositif, réclamé par plus de 150 000 citoyens, qui ont signé une pétition en ce sens.
Aussi, madame la secrétaire d’État, je souhaite connaître les dispositions que le Gouvernement compte prendre afin de faciliter réellement l’accès des consommateurs au suivi en temps réel de leur consommation d’énergie et les améliorations qu’il entend apporter au dispositif.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Frédérique Espagnac, les compteurs Linky constituent un outil au service de la transition énergétique. À la fin du mois d’avril dernier, environ 10,6 millions de compteurs de ce type avaient été installés par Enedis. Aujourd’hui, un consommateur sur trois est donc équipé d’un tel compteur et la contribution de ce dernier aux enjeux de maîtrise de la consommation que vous évoquez prend toute son importance.
Il convient de souligner de nouveau les bénéfices du compteur communicant. Il permet des opérations à distance, comme la relève des données de consommation. Il permet aussi d’éviter les facturations estimées, qui donnent parfois lieu à des rattrapages importants. Il favorise surtout le développement des énergies renouvelables, l’autoconsommation et améliore la gestion du réseau.
En matière de consommation, le compteur Linky peut permettre à chaque consommateur d’avoir une meilleure connaissance de sa consommation électrique, donc de participer à l’objectif de maîtrise de la consommation d’énergie. Ce sont des éléments indispensables pour accélérer la transition énergétique.
Afin de participer aux efforts de maîtrise de la demande, chaque consommateur peut accéder à ses historiques de consommation sur le site internet d’Enedis.
Il est vrai que des efforts de communication et d’accompagnement additionnels pourraient être mis en œuvre par Enedis.
Les informations disponibles sur le site d’Enedis sont, par exemple, données en énergie consommée et non en euros, ce qui est généralement peu lisible pour les consommateurs. Seuls les fournisseurs sont en mesure de faire part de consommations en euros, alors que ces dernières sont plus directement utilisables par le consommateur. Les fournisseurs d’énergie devraient être plus impliqués.
Comme vous l’indiquez, madame la sénatrice, les afficheurs déportés peuvent également contribuer de manière importante à la maîtrise de la consommation.
Plusieurs fournisseurs proposent déjà des offres associant de tels dispositifs et des entreprises indépendantes commencent également à commercialiser de tels produits.
Nous le constatons, un mouvement dans la bonne direction est engagé.
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la secrétaire d’État, je tiens à saluer l’honnêteté de votre réponse. Ce n’est pas si fréquent…
Néanmoins, vous le savez, 35 millions de compteurs Linky vont être installés, ce qui constitue une indéniable source de bénéfices pour le principal opérateur, comme l’a souligné la Cour des comptes. À ce titre, l’opérateur a des devoirs vis-à-vis du consommateur. C’est en cela que nous avons besoin de vous aujourd’hui : nous sommes un certain nombre d’élus dans cette enceinte en contact régulier avec les maires qui se sont opposés à l’installation – j’en ai moi-même soutenu et je l’assume complètement. Nous connaissons les problématiques de santé, qui, certes, à ce jour, ne sont pas confirmées, mais qui conduisent de nombreux citoyens à s’interroger. Par exemple, mon père est cardiaque et porte un pacemaker. Aujourd’hui, certains professeurs nous alertent.
Le Gouvernement doit faire respecter l’engagement premier d’Enedis. Or, madame secrétaire d’État, vous le savez, le mode opératoire d’installation de ces compteurs n’a pas toujours respecté les droits des citoyens : les compteurs ont souvent été installés de force ou en l’absence des abonnés.
En ce sens, l’État doit veiller à ce que soient respectés les droits et devoirs de chacun.
Par ma question, je lance un appel au ministre d’État, à vos services et donc à vous-même, madame la secrétaire d’État. Il faut qu’Enedis respecte sa parole et que, comme l’a souligné la Cour des comptes et puisque nous partageons tous la volonté de réaliser des économies d’énergie, cette société fasse en sorte que chaque citoyen puisse être alerté sur sa consommation. Ainsi, nos concitoyens pourront faire attention à leur facture d’électricité, mais aussi consommer de façon responsable. En effet, malheureusement, comme vous le savez, un certain nombre d’entre eux n’a pas toujours les moyens de consommer en grande quantité.
situation des chômeurs seniors
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, auteur de la question n° 298, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Yves Détraigne. Madame la secrétaire d’État, je souhaite appeler l’attention de Mme la ministre du travail sur la dispense de recherche d’emploi dont bénéficiaient certains demandeurs d’emploi âgés de 57 ans et plus jusqu’au 1er janvier 2012.
Le gouvernement actuel, comme le précédent, considère qu’il faut favoriser le retour à l’emploi des seniors, ce que doit permettre le plan senior, lancé à l’occasion de la grande conférence sociale de juillet 2014.
Or, pour ma part, j’ai reçu de nombreux témoignages de seniors, qui, sortis de l’emploi et malgré une recherche active, ne trouvent pas d’employeurs prêts à les embaucher à un ou deux ans de la retraite. Ils deviennent alors la « cible » de Pôle emploi, qui leur demande de prospecter dans d’autres domaines que celui de leurs compétences, de baisser leurs prétentions salariales, ou encore de suivre des formations pour ne pas être radiés des fichiers.
À quelques mois de leur retraite, il n’est ni réaliste ni socialement justifié de leur imposer des actions de recherche active d’emploi ou la participation à une formation inutile et souvent coûteuse.
Il conviendrait donc de rétablir la dispense de recherche d’emploi ou, du moins, d’étudier un aménagement de ce dispositif pour les chômeurs seniors proches de la retraite et de permettre, ainsi, à Pôle emploi de concentrer ses forces sur d’autres catégories de demandeurs d’emploi.
Par conséquent, je demande au Gouvernement s’il envisage de remettre en place ce dispositif de dispense de recherche d’emploi lors de l’examen du projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Yves Détraigne, Muriel Pénicaud, qui n’a malheureusement pas pu être présente ici ce matin, m’a chargée de répondre à sa place à votre question.
L’accès, le retour à l’emploi et le maintien dans l’emploi sont un objectif majeur pour le Gouvernement. Pour nous, il est essentiel de ne laisser personne au bord du chemin. Nous devons donc rendre la croissance non seulement riche en emplois, mais aussi inclusive. C’est pour cela que nous menons une politique volontariste, qui vise à favoriser le développement de l’emploi, notamment l’emploi des seniors, en renforçant les droits des salariés et des demandeurs d’emploi.
C’est le sens de la rénovation profonde de notre modèle social que nous avons engagée avec les ordonnances pour le renforcement du dialogue social. La ministre du travail, Muriel Pénicaud, la poursuit à présent avec le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, dont le vote en première lecture à l’Assemblée nationale aura lieu cet après-midi.
L’ambition est de créer, pour la première fois, une véritable sécurité professionnelle, universelle, simple et efficace, qui accompagnera chacun tout au long de son parcours professionnel. Dans un monde où 50 % des emplois seront profondément transformés dans les dix années à venir, cela passe par un accès facilité à l’atout majeur du XXIe siècle : les compétences.
C’est pourquoi, en complément de l’effort sans précédent de 15 milliards d’euros consenti dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences, nous transformons le système de la formation professionnelle pour le rendre plus réactif face aux mutations, plus lisible et plus juste.
S’agissant spécifiquement de l’assurance chômage, nous expérimenterons un dispositif de « journal de bord ». Il doit permettre de rendre les démarches de candidatures plus efficaces, de prévenir le découragement et de mieux préparer les entretiens avec les conseillers.
C’est par des moyens pragmatiques, qui remettent nos concitoyens au cœur des dispositifs, que nous poursuivrons l’amélioration de l’emploi des seniors, et non par le rétablissement d’une dispense de recherche d’emploi, qui ne ferait qu’accélérer leur retrait du marché du travail.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Yves Détraigne. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse. Vous avez la foi. J’espère que cette foi se confirmera dans les résultats et le retour à l’emploi des seniors. Mais veillons à ne pas oublier les plus jeunes d’entre eux, dirais-je, ceux à qui il reste deux années avant la retraite et qui risquent de dépenser beaucoup d’énergie pour des résultats, je le crains, peu probants. Cela étant, il n’est pas interdit d’espérer, encore moins de réussir !
pollution dans le golfe de fos-sur-mer
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve, auteur de la question n° 263, adressée à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Mireille Jouve. Madame la secrétaire d’État, les conséquences sanitaires de la forte concentration d’industries lourdes dans le golfe de Fos, situé entre le delta du Rhône et l’étang de Berre, doivent retenir toute notre attention. Les élus et les populations concernés entreprennent depuis de nombreuses années d’interpeller l’État à ce sujet.
Le bassin industrialo-portuaire de Fos s’étend sur 10 000 hectares et regroupe près de 40 000 salariés au sein de 200 entreprises. On y recense pas moins d’une trentaine de sites classés Seveso. Depuis maintenant quatre décennies, 100 000 habitants sont exposés aux dangers sanitaires qu’une telle activité est susceptible de faire courir.
Le 20 mars dernier, l’ARS PACA, l’agence régionale de santé Provence-Alpes-Côte d’Azur, a reconnu que les habitants de Fos-sur-Mer connaissent « un état de santé fragilisé, dans une zone fragilisée par la pollution environnementale ». Dioxines, benzène, plomb, de récentes études entreprises par le milieu associatif relèvent une surimprégnation des personnes exposées quotidiennement.
Élus locaux et parlementaires des Bouches-du-Rhône sont conviés dans une semaine, à Istres, pour la restitution du rapport réalisé par le Conseil général de l’environnement et du développement durable sur la pollution de l’air dans ce secteur.
Madame la secrétaire d’État, le Gouvernement peut-il s’engager à poursuivre ce travail d’évaluation, en liaison étroite avec la population, afin de faire valoir l’inégalité environnementale et sanitaire existante et de prendre les mesures pour limiter les effets de celle-ci ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Mireille Jouve, vous avez interrogé Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, qui, retenu aujourd’hui en Allemagne, m’a chargée de vous répondre.
Comme vous le mentionnez à juste titre, la zone de Fos-étang de Berre est l’une des plus importantes concentrations industrielles en France et les pollutions d’origine industrielle, résidentielle ou liées aux transports s’y cumulent.
Je tiens à vous assurer de la grande vigilance du Gouvernement sur la situation de Fos-sur-Mer. J’ai moi-même eu plusieurs échanges avec le préfet à ce sujet. Le Conseil général de l’environnement et du développement durable a d’ailleurs été saisi et rendra son rapport dans le courant de l’été.
Malgré la réduction des émissions industrielles ces dix dernières années, les efforts doivent absolument être poursuivis. C’est pourquoi nous avons demandé au préfet d’établir, en liaison avec les industriels concernés, un plan de réduction des émissions industrielles.
Par ailleurs, comme vous le savez, l’Association de défense et de protection du littoral du golfe de Fos a réalisé une étude sur les produits AOC du département, à partir de prélèvements effectués entre 2009 et 2015. Elle conclut dans son rapport que des polluants sont détectés dans les denrées alimentaires d’origine animale produites à proximité de la zone industrielle du golfe de Fos et que les résultats obtenus sont imputables à l’activité industrielle présente. Il y a donc un lien avéré.
Mais sur l’ensemble des échantillons prélevés et analysés, seuls deux résultats dépassent les teneurs maximales réglementaires. Par ailleurs, les services du ministère de l’agriculture ont réalisé en 2017, dans le cadre des plans de surveillance et des plans de contrôle, quarante prélèvements de recherche dans des denrées alimentaires. Tous les résultats obtenus se sont révélés conformes aux teneurs maximales pour certains contaminants dans les denrées alimentaires.
Néanmoins, aucun risque à l’égard de ces populations ne doit être négligé, nous en sommes bien conscients, madame la sénatrice. Une nouvelle campagne de prélèvements et d’analyses sera donc réalisée à proximité des installations industrielles du golfe de Fos. À cet effet, nous avons saisi l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, pour définir la méthodologie de prélèvement de cette campagne.
Vous le voyez, madame la sénatrice, nous sommes comme vous, ce dont je vous félicite, très vigilants sur cette question, qui, il est vrai, traîne depuis des décennies maintenant.
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Mireille Jouve. Je vous remercie de ces précisions, madame la secrétaire d’État. Je serai, bien entendu, présente à Istres mardi prochain. Nous devons tous véritablement redoubler de vigilance et ne pas attendre que les seuils soient dépassés.
conséquences de la restructuration de météo-france dans le rhône
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, auteur de la question n° 297, adressée à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la secrétaire d’État, dans le cadre du plan Action publique 2022, l’État envisage la fermeture de plusieurs centres Météo-France en région Auvergne-Rhône-Alpes, ce qui se traduirait à l’échelle de la France par 500 postes supprimés et une baisse de 2 % du budget. Cela ne sera pas sans effet sur les centres ouverts restants, comme celui de Lyon-Bron, qui devra non seulement endosser les missions et l’activité des établissements fermés, mais aussi le faire avec un budget et des effectifs en baisse. Les personnels du centre de Lyon-Bron sont inquiets de devoir, à l’avenir, concentrer toute l’activité météorologique régionale. Seront-ils en capacité de remplir leur mission ? Le plan Action publique 2022 ne va-t-il pas limiter encore davantage les services publics dans les territoires ?
Ce ne sera profitable ni aux salariés, en termes de conditions de travail, ni aux départements, qui vont perdre un service de qualité. Il faut rappeler que les analyses produites par Météo-France sont des données très utilisées par les différents acteurs locaux : agriculteurs, entreprises, collectivités.
Madame la secrétaire d’État, à la lumière de l’exemple lyonnais, pouvez-vous nous préciser les intentions du Gouvernement concernant le devenir de Météo-France et, plus généralement, les orientations qu’il souhaite donner au plan Action publique 2022 ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Élisabeth Lamure, le Gouvernement est très attaché et attentif à la qualité des services rendus par Météo-France dans le cadre de ses missions de service public. Chacun le sait, cet organisme fait un travail absolument essentiel, auquel nous tenons profondément.
Notre objectif est d’obtenir une qualité croissante des prévisions météorologiques. Cela impose d’intégrer les progrès technologiques et scientifiques accomplis au cours des dernières années. Parallèlement, il faut aussi maîtriser les dépenses publiques, en optimisant les moyens des administrations et des opérateurs de l’État. C’est tout l’objet du programme Action publique 2022, que vous avez mentionné.
C’est pourquoi le Gouvernement a demandé au président-directeur général de Météo-France d’élaborer un projet global concernant l’établissement.
Par ailleurs, les progrès en matière de modélisation numérique du temps doivent permettre de consolider la finesse des prévisions météorologiques et climatiques, notamment pour ce qui concerne les zones de relief. Pour permettre leur intégration dans la prévision opérationnelle, il est donc prévu de conforter les moyens de calcul de haute performance de l’établissement, ce qui s’est également traduit budgétairement. Cela permettra notamment une meilleure anticipation des risques sur les territoires de montagne.
Le contrat d’objectifs et de performance 2017-2021 de l’établissement confirme d’ailleurs cette orientation. Il propose, pour les activités de sécurité des personnes et des biens et de prévision généraliste, une structuration du réseau territorial de Météo-France en métropole autour de sept centres météorologiques interrégionaux.
Ainsi, les activités de climatologie et de prévision sur le Cantal, la Drôme et le Puy-de-Dôme seront progressivement reprises à l’échelle interdépartementale, et les ressources de Météo-France à terme concentrées au sein du centre interrégional de Lyon-Bron.
Nous veillerons à la poursuite, par Météo-France, de la conduite des évolutions du réseau territorial lui permettant de remplir ses missions en conservant une qualité de service optimale, tout en tenant compte de l’évolution de ses effectifs, de ses besoins et des moyens technologiques. Telle est l’équation que nous voulons résoudre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Élisabeth Lamure. Madame la secrétaire d’État, si votre réponse est de nature à rassurer les personnels de Météo-France dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, je veux vous rappeler que le Sénat n’a eu de cesse d’appeler l’attention du Gouvernement sur la dégradation de la cohésion des territoires. J’espère que ce dernier saura s’en souvenir lorsqu’il mettra en place le plan Action publique 2022.
réglementation relative au travail en hauteur
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, auteur de la question n° 268, adressée à Mme la ministre du travail.
M. Cédric Perrin. Madame la secrétaire d’État, si je vous pose une question si technique aujourd’hui, c’est parce que je n’ai pas réussi – et Dieu sait si j’ai essayé ! – à obtenir jusqu’à présent une réponse par un autre procédé.
À mon courrier cosigné avec Michel Raison, mon collègue sénateur de la Haute-Saône, et adressé au cabinet de la ministre du travail, je n’ai pas obtenu de réponse. À mes questions écrites, pas de réponse non plus. C’est pourquoi j’attends de vous aujourd’hui une réponse précise.
La caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Bourgogne-Franche-Comté impose aux maîtres d’ouvrage de bâtiments et à leur maître d’œuvre l’installation de garde-corps permanents et non rabattables au niveau des accès et périphéries de la totalité des toitures planes.
Or le code du travail prévoit que la prévention des chutes de hauteur est assurée soit « par des garde-corps intégrés ou fixés de manière sûre, rigides et d’une résistance appropriée », soit « par tout autre moyen assurant une sécurité équivalente. » Il n’existe donc aucune obligation légale d’installer des garde-corps permanents et non rabattables, comme l’exige la caisse régionale. La Cour de cassation l’a d’ailleurs rappelé récemment dans une jurisprudence claire.
Pourtant, les acteurs du bâtiment qui utilisent des garde-corps rabattables se voient opposer un refus catégorique et systématique de la part de la CARSAT ou, plus précisément, de l’un de ses agents, sans doute trop zélé. Ils sont alors soumis à une procédure de majoration de leur taux de cotisation, qui peut s’élever jusqu’à 200 %, et à d’autres sanctions financières insupportables, notamment pour les collectivités.
Madame la secrétaire d’État, vous comprendrez donc tout l’enjeu de ma question. Je vous remercie de bien vouloir m’indiquer précisément si le recours à des garde-corps rabattables, ou à tout autre dispositif de sécurité équivalent, est conforme ou non à la réglementation relative au travail en hauteur. Si le Gouvernement l’estime ainsi, comme l’a jugé la Cour de cassation, comment peut-il intervenir auprès de la CARSAT Bourgogne-France-Comté pour lui rappeler la réalité de la réglementation, car, de notre côté, nous n’y parvenons pas ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Cédric Perrin, je vous réponds en lieu et place de Muriel Pénicaud, qui ne peut malheureusement être présente ici ce matin.
Je vous remercie de cette question, qui touche à un sujet important pour la santé et la sécurité au travail, celui de la prévention des risques liés au travail en hauteur. Celui-ci est la troisième cause d’accidents du travail mortels, responsable de 13 % des décès sur les 514 accidents du travail mortels recensés en 2016.
Comme vous le savez, les risques de chutes de hauteur font l’objet d’une attention toute particulière, parce qu’ils font partie des risques prioritaires dans le cadre du troisième plan santé au travail. L’objectif est clairement de faire progresser la prévention des chutes, en faisant évoluer les pratiques des acteurs de l’entreprise et de la construction, pour réduire le nombre et la part des accidents du travail dus aux chutes.
Concernant les moyens d’intervention des caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, le code de la sécurité sociale prévoit qu’elles peuvent « inviter tout employeur à prendre toutes mesures justifiées de prévention ». Par ces dispositions, le réseau des CARSAT se voit conférer un large pouvoir de recommandation et d’injonction, sans le support d’aucune prescription réglementaire puisqu’il peut donc prescrire des mesures ne figurant pas expressément dans le code du travail à partir du moment où elles contribuent à la prévention, comme l’a précisé le Conseil d’État voilà plus de vingt ans.
En l’espèce, la CARSAT régionale est fondée à imposer aux acteurs de la construction les mesures de prévention qu’elle a jugées appropriées. Car les dispositions du code du travail relatives à la prévention des chutes de hauteur donnent justement une marge d’appréciation aux employeurs et préventeurs, pour leur permettre de réfléchir aux moyens de prévention les plus adaptés en fonction de la situation réelle sur le terrain.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Perrin, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Cédric Perrin. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État, même si elle ne me satisfait pas. Est ainsi finalement donnée toute latitude à la CARSAT et à ses agents, dont certains frisent l’intégrisme en la matière, pour interpréter à leur guise les dispositions réglementaires ou législatives et les appliquer différemment d’un département à l’autre.
Cela pose de véritables problèmes. Des architectes qui viennent travailler dans mon département se voient soumis à un certain nombre d’obligations, auxquelles ils ne sont pas contraints dans le département d’à côté. D’où une instabilité juridique évidente et des conséquences financières absolument dramatiques pour un certain nombre de collectivités.
Je rappelle en effet que la CARSAT intervient non pas au moment du dépôt du permis de construire, mais après que tout a déjà été instruit et que les budgets ont été élaborés. Certaines personnes font alors preuve d’un grand zèle et appliquent les textes de façon beaucoup plus restrictive que nécessaire.
Je vais vous donner un exemple très simple. Un architecte qui construit un bâtiment avec un toit plat se voit contraint de poser une barrière permanente, voire une seconde lorsqu’est ajouté un acrotère juste au-dessous. Je vous laisse imaginer les conséquences sur l’aspect esthétique d’un tel bâtiment.
Ce problème pourrait parfaitement être réglé en acceptant que ces barrières soient rabattables et déployées seulement au moment, c’est-à-dire une fois tous les dix ans, où l’on doit intervenir sur ce bâtiment. Il a aujourd’hui de nombreuses conséquences négatives sur le plan financier pour nos collectivités, ainsi que pour nos entreprises privées.
Madame la secrétaire d’État, tout cela est uniquement lié au fait qu’une personne, à un moment donné, a tout pouvoir pour décider et imposer aux maîtres d’ouvrage un certain nombre de restrictions. Je suis évidemment complètement d’accord avec vous : il est nécessaire de réglementer ce travail en hauteur, pour éviter au maximum les accidents, mais il est à mon sens possible de procéder différemment. J’espère donc que nous arriverons à trouver une solution. Sinon, nous irons évidemment devant les tribunaux.
désengorgement de l’axe autoroutier entre bordeaux et biriatou
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, auteur de la question n° 159, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Max Brisson. Madame la secrétaire d’État, ma question porte sur le désengorgement de l’axe autoroutier A63, qui relie Bordeaux à la frontière espagnole. À Biriatou, cet axe supporte le passage de près de 40 000 véhicules par jour, dont 9 000 poids lourds, et ce dans un secteur hautement urbanisé avec un risque accidentogène extrêmement préoccupant.
Des solutions de remplacement doivent être explorées.
Je pense aux autoroutes de la mer, comme celle entre Gijón et Nantes. Labellisée en 2015, cette dernière ne voit passer que trois ou quatre liaisons par semaine, sans aucun rapport avec l’ampleur du trafic entre la France et l’Espagne.
Je pense également au ferroutage et vous interroge sur les suites et le calendrier de l’appel à manifestation d’intérêt public, lancé en avril 2018.
Je pense enfin à la réouverture de la ligne ferroviaire Pau-Canfranc-Saragosse, cheval de bataille du président Alain Rousset.
Pour autant, ces solutions, si pertinentes soient-elles, ne dévieront qu’une part réduite du trafic de l’A63. C’est pourquoi je souhaite insister de nouveau sur la nécessité de solutions alternatives routières transpyrénéennes.
Un axe potentiel existe à l’est du département des Pyrénées-Atlantiques. En effet, le pôle Pau-Oloron-Sainte-Marie, alors qu’il fait preuve d’un dynamisme économique avéré, est isolé, car sans raccordement digne de ce nom à l’Espagne, notamment à la région de Saragosse.
Au contraire, l’Espagne a construit un réseau routier : il relie Saragosse au Somport, mais débouche malheureusement, côté français, sur la route nationale 134, qui n’est pas à la hauteur des trafics actuels et encore moins de ceux à venir.
Il y a donc urgence à moderniser la route nationale 134, à réaliser l’évitement des bourgs et l’élargissement de certains tronçons. Cela permettrait d’ouvrir un itinéraire vers le centre de la France, en direction de Limoges, délestant à terme le trafic supporté sur l’axe Hendaye-Bordeaux.
Cette sécurisation de la route nationale 134, en particulier les déviations de villages, doit être envisagée à un horizon raisonnable. Cela n’exclut pas la réalisation, à plus long terme, d’une voie rapide entre Pau, le bassin industriel d’Oloron et le tunnel du Somport en direction de Saragosse.
Madame la secrétaire d’État, je souhaite donc connaître la position du Gouvernement sur le développement des autoroutes de la mer et du ferroutage, sur la réouverture de la ligne ferroviaire Pau-Oloron-Canfranc, ainsi que sur la sécurisation de la route nationale 134 et l’évitement des villages qu’elle traverse.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur Max Brisson, Élisabeth Borne ne pouvant être présente ce matin, elle m’a chargée de vous répondre.
L’État est conscient des enjeux de sécurité et d’environnement liés au trafic routier. C’est pour cela qu’il s’efforce d’adapter et de moderniser le réseau au sud de Bordeaux. La section centrale de l’A63 et la section entre Ondres et Biarritz ont notamment été aménagées, mises à deux fois trois voies et aux normes autoroutières. De plus, la section entre Biarritz et Biriatou est actuellement en travaux, pour une mise en service effective prévue au cours du second semestre de cette année.
Par ailleurs, la modulation des tarifs de péage autoroutiers, en fonction de la norme euro des véhicules, appliquée sur la section centrale de l’A63 constitue une incitation supplémentaire à la modernisation des flottes de poids lourds.
Au-delà, vous savez que la France est engagée, aux côtés de l’Espagne, pour limiter les trafics de poids lourds sur les axes routiers pyrénéens. Un accord a d’ailleurs été conclu en 2009 pour développer deux services d’autoroute de la mer sur la façade atlantique. La France et l’Espagne collaborent aussi depuis 2015 en vue d’instaurer des services d’autoroute ferroviaire sur les versants atlantique et méditerranéen des Pyrénées.
Pour finir, monsieur le sénateur, je rappelle qu’un appel à manifestation d’intérêt auprès des constructeurs de matériel roulant a eu lieu en 2017. Et pour optimiser les conditions de développement de nouveaux services de ce type, un appel à manifestation d’intérêt commun avec l’Espagne, notamment sur l’axe atlantique, est en cours. Les réponses sont attendues pour la fin du mois de juillet, donc très prochainement.
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Max Brisson. Madame la secrétaire d’État, je vous remercie de ces réponses. Les travaux menés actuellement sur l’A63 sont en effet importants. Mais je crains que la course ne soit perdue d’avance, car la mise à deux fois trois voies ne répond pas finalement, à terme, à l’augmentation très forte du trafic, essentiellement routier.
Dans vos propos, je reconnais la volonté du Gouvernement de développer le ferroutage. J’avais moi-même mentionné cet appel à manifestation d’intérêt et les autoroutes de la mer, même si je pense que peut être développée davantage encore cette branche de l’alternative au transport routier.
J’ai en revanche des réticences par rapport à ce que vous avez dit sur la volonté de ne pas développer d’autres axes routiers transpyrénéens.
Il y a un axe qui peut se dessiner pour éviter la façade atlantique, pour éviter Bordeaux-Biriatou : passant par Limoges, celui-ci trouverait un débouché vers Saragosse, à condition que soit enfin sécurisée la route nationale 134. Il y va de la responsabilité du Gouvernement. Tout au long de cette route nationale, grande est l’inquiétude des maires parce que les déviations ne sont toujours pas prévues, comme est grande l’inquiétude du président du conseil départemental concerné, compte tenu de ce que j’appellerai la « capillarisation » du trafic sur des routes départementales, celles-ci n’étant pas conçues pour recevoir autant de véhicules.
On n’évitera pas, à côté des autoroutes de la mer et du ferroutage, la nécessité de sécuriser la route nationale 134 et de penser vraiment à une liaison entre Pau, Oloron et Le Somport, susceptible de préfigurer une prolongation vers le centre de la France et Limoges.
lignes à grande vitesse en occitanie
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, auteur de la question n° 227, adressée à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Madame la secrétaire d’État, je tiens à attirer votre attention sur la mise en place des lignes à grande vitesse, ou LGV, en région Occitanie, dans le cadre des conclusions du Conseil d’orientation des infrastructures, le COI, rendues en février dernier.
Alors qu’un certain nombre de projets sont reportés sine die, le COI confirme dans son rapport l’utilité et la nécessité des infrastructures structurantes que sont les LGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Béziers-Perpignan.
À présent, l’enjeu est leur réalisation dans des délais qui répondent aux besoins et à l’attente de nos concitoyens. Les pistes de financements nouveaux, portées par les collectivités concernées auprès du Gouvernement, sont en grande partie reprises dans les préconisations du COI. L’équation est maintenant non plus technique ou financière, mais bien politique, ce qui renvoie aux choix que devront faire dans les prochaines semaines le Gouvernement et les parlementaires dans le cadre du futur projet de loi d’orientation sur les mobilités.
La LGV Bordeaux-Toulouse comme la ligne nouvelle Montpellier-Perpignan doivent s’inscrire dans le scénario 3, le plus volontariste, figurant dans le rapport. Alors que le COI appelle à un aménagement du territoire équilibré et à une plus grande équité, je souhaite que ces choix politiques prennent en compte les grandes difficultés de déplacement des 6 millions d’habitants de l’Occitanie, région la plus dynamique de France en termes d’emplois et d’habitants. Je souhaite également connaître les intentions du Gouvernement pour mettre fin à cette situation vieille de vingt-cinq ans.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Bruguière, comme je l’ai déjà indiqué, Élisabeth Borne ne pouvant être présente ce matin, elle m’a chargée de vous répondre.
Je ne peux que me ranger à votre avis. La ligne Bordeaux-Toulouse est un projet essentiel pour répondre durablement aux besoins de mobilité des Français. Priorité doit être donnée aux aménagements des nœuds ferroviaires de Bordeaux et de Toulouse, qui constituent un préalable indispensable à la réalisation de la ligne nouvelle. Cela permettra aussi de redonner de la régularité au transport du quotidien, qui est, vous le savez, une priorité de ce gouvernement.
Le projet de ligne nouvelle Montpellier-Perpignan doit, quant à lui, répondre à la demande croissante de mobilité et aux problèmes de congestion qui en découlent sur l’axe ferroviaire du Languedoc-Roussillon. Il permettra aussi de créer un service à haute fréquence et d’assurer, à terme, la continuité de la grande vitesse ferroviaire entre la France et l’Espagne.
Comme vous le savez, madame la sénatrice, le principe d’une réalisation phasée de la ligne nouvelle a été reconnu. La première étape sera la liaison mixte, fret et voyageurs, entre Montpellier et Béziers. Ces lignes nouvelles, Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Béziers, représentent un investissement total de près de 8 milliards d’euros.
Dans son rapport, le COI préconise d’engager ces opérations dans la période 2018-2022 et la première phase Toulouse-Agen dans la période 2028-2032. Ce calendrier devrait être mis en regard avec des ressources qui pourraient être mobilisées en tenant compte des besoins de remise à niveau des réseaux existants.
Ces projets seront donc inscrits dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités qui sera présenté cet été et dont vous aurez l’occasion de débattre ici même.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Bruguière, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Marie-Thérèse Bruguière. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, de votre réponse. Je suis ravie de constater que le Gouvernement est d’accord avec nos préconisations et celles de tous nos concitoyens. Je rappelle toutefois que la métropole de Montpellier enregistre une augmentation de 1 500 habitants supplémentaires par mois !
Je ne dis pas que la ligne Toulouse-Bordeaux n’est pas prioritaire ou nécessaire, mais je pense qu’il est très urgent de s’occuper rapidement de la ligne Montpellier-Perpignan, alors que l’Espagne est à côté et que Barcelone est une ville attractive. L’attractivité doit fonctionner dans les deux sens : Montpellier aussi est une ville attractive.
désenclavement du grand ouest
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 213, transmise à Mme la ministre auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, chargée des transports.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la secrétaire d’État, l’enjeu principal pour développer un territoire et attirer de la main-d’œuvre, c’est la mobilité grâce au développement des axes de transport. C’est particulièrement vrai dans les territoires ruraux.
Dans les Pays de la Loire, plusieurs projets structurants ont été mis soit au tapis, soit à l’arrêt. L’abandon par l’État de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes a été une douche froide. L’attractivité du Grand Ouest reposait entre autres sur ce grand projet d’aéroport. Nous sommes désormais invités à repenser notre stratégie.
J’évoquerai aujourd’hui le projet de parc de développement économique Laval-Mayenne, dans le département de la Mayenne, lancé en 2006 par Laval agglomération et par le département de la Mayenne, afin de renforcer la compétitivité et l’attractivité du territoire, notamment dans le secteur de la logistique.
Situé sur les communes d’Argentré et de Bonchamps-lès-Laval, ce parc comporte trois axes majeurs : la création d’une zone d’activités, un accès direct à l’autoroute A81 et un embranchement ferré. Il s’agit d’un projet d’envergure industrielle et d’aménagement du territoire. Il prévoit en effet une desserte assurée par un nouveau point d’échange sur l’autoroute A81. La création de cette nouvelle infrastructure est primordiale pour la réussite du parc.
L’échangeur a été retenu dans le plan d’investissement autoroutier décidé en 2016 par le Président de la République. Cette inscription prenait acte d’une participation financière de l’État à hauteur de 1,4 million d’euros, sur un total de 9,6 millions d’euros. L’État a consulté l’ARAFER, l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, qui a émis un avis réservé le 14 juin 2017. Depuis un an déjà, les porteurs du projet sont donc dans l’attente de la décision de l’État. S’engager avec fermeté et responsabilité sur des projets locaux comme celui-ci permet de désenclaver les territoires ruraux comme le mien.
Ma question est la suivante : l’État soutient-il le projet de parc de développement mayennais, avec sa connexion directe au réseau autoroutier ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le sénateur, je le répète, Élisabeth Borne ne pouvant être présente ce matin, elle m’a chargée de vous répondre.
Dans le cadre du projet de loi d’orientation sur les mobilités qu’Élisabeth Borne présentera ici cet été, soyez assuré que le Gouvernement veillera à proposer des solutions de mobilité adaptées à tous les territoires, en particulier à ceux qui ont besoin d’être désenclavés et d’être reliés au réseau principal.
S’agissant du réseau routier national non concédé desservant les territoires ruraux, les moyens consacrés dans l’actuel contrat de plan État-région aux axes desservant les villes moyennes et les territoires ruraux doivent être maintenus. Le montant exact de ces programmes sera proposé par le Gouvernement à la suite des conclusions du Conseil d’orientation des infrastructures dans le projet de loi d’orientation sur les mobilités.
Sur le réseau ferroviaire, les travaux du COI ont mis en évidence la nécessité de faire porter en priorité les efforts sur la remise à niveau du réseau et sur la désaturation des nœuds ferroviaires.
Par ailleurs, le Gouvernement s’est engagé à ne pas suivre les recommandations du rapport Spinetta sur le sujet dit des « petites lignes ». L’État demeurera aux côtés des collectivités pour maintenir ce réseau. Quant aux engagements qu’il a pris au titre des contrats de plan État-région, ils seront tenus.
Concernant les projets du Grand Ouest, à la suite de la décision prise par le Premier ministre sur le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le Gouvernement a lancé une concertation avec les élus des territoires concernés.
Une mission est actuellement conduite par M. Francis Rol-Tanguy, visant à faire émerger un pacte d’accessibilité pour la Bretagne et un contrat d’avenir pour les Pays de la Loire. M. Rol-Tanguy remettra son rapport dans les prochains jours et, sur cette base, Élisabeth Borne formulera des propositions pour la programmation des grandes infrastructures de transport du Grand Ouest.
Vous voyez que nous sommes actifs sur cette question et que de nombreuses décisions seront prises prochainement. D’autres seront débattues ici.
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la secrétaire d’État, votre réponse est générale, alors que ma question portait précisément sur la décision de l’État concernant la connexion du parc d’activités de développement économique Laval-Mayenne au réseau autoroutier sur l’A81.
J’insiste sur l’utilité de ce projet et, plus généralement, sur la nécessité pour les territoires ruraux, pour un département comme la Mayenne, d’être connectés aux autoroutes qui traversent le territoire et d’avoir un réseau routier de qualité, comme nous le verrons lors de l’examen du projet de loi d’orientation sur les mobilités.
Ainsi, si la route nationale 162 ne fait pas partie des priorités de l’État, son amélioration est prioritaire pour notre territoire. L’enjeu est la départementalisation de cette route nationale. Nous attendons une réponse du Gouvernement.
Si le territoire est connecté aux routes, aux autoroutes, il l’est aussi au réseau ferroviaire. Il est pour nous particulièrement important que les lignes à grande vitesse s’arrêtent dans les villes moyennes comme Laval.
Dernier point : un territoire doit être situé à proximité d’un aéroport. À la suite de l’arrêt du projet de Notre-Dame-des-Landes, une alternative est-elle prévue pour permettre aux Mayennais d’accéder dans les meilleures conditions à un aéroport, que ce soit pour prendre des vols nationaux ou internationaux ?
C’est ainsi qu’on améliore l’attractivité des territoires ruraux, comme mon département de la Mayenne. Nous comptons donc sur l’engagement de l’État.
équipement en caméras thermiques pour les lieutenants de louveterie
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, auteur de la question n° 366, transmise à M. le ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, mes chers collègues, ma question sur l’équipement en caméras thermiques des lieutenants de louveterie était adressée à M. le ministre de l’agriculture et de l’alimentation. Je vous remercie, madame la secrétaire d’État, d’y répondre.
Alors que les troupeaux rejoignent les alpages, notamment dans les Alpes du Sud, je souhaite avoir des précisions sur le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage qui prévoit la mise en place d’une série de mesures visant à contenir la population lupine dans le but de préserver l’activité d’élevage et le pastoralisme.
C’est la raison pour laquelle, dans les départements concernés par les dommages causés par le loup, comme dans celui des Hautes-Alpes, une équipe de louvetiers est requise. Ces lieutenants de louveterie, nommés par le préfet, sont placés sous son autorité pour réaliser des missions d’ordre public relatives à la gestion de la faune sauvage. Leur rôle est essentiel dans la mise en œuvre des tirs de défense renforcée et des tirs de prélèvement. Pourtant, malgré les compétences techniques incontestables de ces fonctionnaires bénévoles, l’efficacité de leurs interventions n’est pas en rapport avec leur implication. Dans les territoires, en particulier en montagne, on ne peut que déplorer leur manque de moyens matériels.
Madame la secrétaire d’État, vous n’êtes pas sans savoir que, pour être efficaces, les tirs doivent être effectués la nuit, avec du matériel adapté, par exemple des caméras thermiques. Aussi, afin de soutenir l’action des louvetiers, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m’indiquer si des crédits seront mis à disposition des préfets. Dans l’affirmative, je vous remercie également de bien vouloir me préciser sur quelle enveloppe ils seront mobilisés.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Madame la sénatrice Patricia Morhet-Richaud, je vous réponds à la place du ministre de l’agriculture et de l’alimentation et du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire, aucun d’entre eux n’ayant pu être présent aujourd’hui, ce qu’ils regrettent.
Vous abordez un sujet essentiel. Le nouveau plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage, qui a été publié en février dernier, prévoit plusieurs axes. Son objectif fondamental est de concilier préservation de l’espèce et maintien du pastoralisme. C’est un équilibre difficile.
Un programme de soutien du pastoralisme vise donc à améliorer la protection des troupeaux et à faciliter leur défense en cas d’attaques.
Les mesures de protection seront financées à 80 % et un observatoire pour le suivi de leur mise en œuvre sera créé. Des expérimentations seront mises en place dans les territoires volontaires et un réseau technique « chiens de protection » sera développé.
Le Gouvernement vient d’ouvrir les crédits nécessaires aux premières expérimentations de bergers mobiles dans des parcs nationaux.
Face à la persistance de la prédation dans certaines zones, malgré le déploiement des mesures de protection, la politique d’intervention sur les loups a été modifiée pour faciliter la défense des troupeaux. Les tirs de défense réalisés à proximité des troupeaux peuvent être effectués toute l’année, par la brigade nationale « loup ».
Le Gouvernement a décidé de reconduire les contrats des onze jeunes de cette brigade, dont l’expérience reste ainsi mise à profit au service des éleveurs pour les opérations de tirs de défense renforcée.
Le plan prévoit par ailleurs une action spécifique pour accompagner les actions des louvetiers auprès des éleveurs, tant pour les tirs de défense que pour les tirs de prélèvement.
Les louvetiers sont amenés à effectuer de nombreux déplacements pour soutenir des bergers et des éleveurs confrontés à des attaques. Ils sont tous bénévoles et travaillent donc sans percevoir de rémunération. Cependant, je vous confirme qu’un budget de 142 000 euros vient d’être mis à disposition afin de leur verser des indemnités kilométriques et de leur fournir un matériel adapté, tel que des caméras thermiques, pour remplir leur mission, notamment la nuit.
Le Gouvernement a ainsi mis en place une dynamique qui permettra de soutenir les éleveurs confrontés à la prédation et d’optimiser l’action des différents acteurs présents sur le terrain, qu’il s’agisse des bergers ou des lieutenants de louveterie.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud, pour répondre à Mme la secrétaire d’État.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. J’ai bien noté qu’une enveloppe de 142 000 euros a été débloquée afin d’indemniser les lieutenants de louveterie de leurs frais kilométriques et de leur permettre d’acquérir du matériel, comme les caméras thermiques. Néanmoins, j’aurais aimé connaître l’origine de ces crédits et savoir sur quelle enveloppe ils étaient pris.
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
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Convocation du Parlement en session extraordinaire
M. le président. J’ai reçu de M. le Premier ministre communication du décret de M. le Président de la République en date du 18 juin 2018 portant convocation du Parlement en session extraordinaire à compter du 3 juillet 2018.
Le décret vous a été communiqué.
La conférence des présidents, qui se réunira demain à dix-neuf heures trente, établira le programme de la session extraordinaire.
Acte est donné de cette communication.
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Convocation du Parlement en congrès
M. le président. J’ai reçu de M. le Président de la République une lettre m’informant de sa décision de s’adresser, en application du deuxième alinéa de l’article 18 de la Constitution, aux membres du Parlement réunis à cet effet en Congrès le lundi 9 juillet prochain.
Le décret réunissant le Congrès a été publié au Journal officiel de ce jour et vous a également été communiqué.
Acte est donné de cette communication.
5
Immigration, droit d’asile et intégration
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (projet n° 464, texte de la commission n° 553, rapport n° 552, tomes I et II, avis n° 527).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, avant d’entamer mon propos, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre d’État, ministre de l’intérieur, en ouverture de cette séance publique. Elle s’explique naturellement puisque ce dernier est retenu avec le Président de la République à Berlin, où se tient un conseil des ministres franco-allemand, à l’ordre du jour duquel figure le défi migratoire.
Le contexte politique sur notre continent étant actuellement très instable, pour ne pas dire critique – le risque pour l’Union européenne est de se disloquer autour de la question des migrations –, vous comprendrez que la présence de Gérard Collomb à cette réunion de haute importance était indispensable et qu’il m’ait demandé de le représenter ici aujourd’hui. Il participera néanmoins à ce débat dès demain et sera présent pour la suite des travaux parlementaires au sein de votre assemblée.
Cela dit, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie qui vous est soumis est donc un texte très important.
Ce texte est très important, car il s’agit de permettre à toutes celles et à tous ceux qui fuient la guerre et la persécution d’être mieux accueillis en France, de voir leurs démarches facilitées et de commencer plus tôt leur parcours pour s’insérer dans la société française.
Ce texte est très important, car les mesures que nous allons examiner visent aussi à lutter contre l’immigration illégale, ce qui correspond, vous le mesurez dans vos territoires, à une aspiration forte exprimée par nos concitoyens, aspiration à laquelle nous devons répondre si nous ne voulons pas que, demain, tous les populismes grandissent encore dans notre pays.
Mme Françoise Gatel. C’est vrai !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Sur ces questions sensibles, je crois que nous serons tous d’accord, au sein de la Haute Assemblée, pour souligner qu’on ne saurait se soumettre au diktat de l’image et de la peur. Oui, pour penser des solutions pertinentes au défi migratoire, il convient de se fonder sur une analyse objective de la situation.
Aussi commencerai-je ce discours en vous livrant quelques données précises, tout d’abord sur la situation européenne.
Après avoir atteint des sommets historiques, les demandes d’asile sur le continent européen, dont le nombre était de 1,3 million en 2015 et de 1,2 million en 2016, ont diminué de moitié l’année dernière pour s’établir à 600 000.
Les franchissements illégaux des frontières extérieures de l’espace Schengen s’établissent, eux, à un niveau certes élevé – on en a dénombré 205 000 en 2017 selon l’agence FRONTEX –, mais sans commune mesure avec les chiffres constatés il y a encore quelque temps – 1,8 million de franchissements ont été recensés en 2015.
Toutefois, il convient de demeurer vigilant, car on constate depuis quelques mois une forte recrudescence des flux migratoires sur la route orientale et sur la route occidentale. Par ailleurs, un épisode comme celui que nous avons vécu la semaine dernière avec l’Aquarius a révélé que la route migratoire de Méditerranée centrale, si elle est moins empruntée qu’auparavant, demeure très active.
La crise migratoire en Europe est donc loin d’être terminée.
En France, la situation est encore plus préoccupante, car on observe une évolution à contre-courant de celle que je viens de décrire.
Le nombre de demandes d’asile dans notre pays était de 100 000 en 2017, en hausse de 17 % par rapport à l’année précédente. Pour mémoire, il était de 50 000 en 2010.
Notre territoire est de plus en plus exposé à des flux secondaires de dizaines de milliers de personnes qui, s’étant vu refuser l’asile dans un autre pays européen, viennent tenter leur chance sur notre sol. Les conséquences de cette situation, vous les vivez au quotidien dans vos territoires.
Notre dispositif national d’accueil des demandeurs d’asile est saturé, alors même que le nombre de places disponibles a doublé en quelques années, passant de 44 000 en 2012 à 80 000 aujourd’hui. En parallèle, le système d’hébergement d’urgence, dont la capacité a elle aussi doublé, passant de 80 000 à 138 000 places, ne permet pas d’absorber la demande.
Résultat : au cœur de nos villes, grandes et moyennes, se multiplient des campements de fortune où, pour les migrants, les conditions de vie sont très difficiles, et qui, pour les riverains, sont hélas générateurs d’importantes nuisances, voire de troubles à l’ordre public,
Telle est la réalité, mesdames, messieurs les sénateurs, telle que la vivent nos concitoyens. Il nous faut avoir le courage de la décrire, de la regarder en face, car il n’est possible d’agir qu’à partir de ce constat objectif.
Agir, c’est ce que le Président de la République et le Gouvernement ont fait depuis un an en travaillant en Afrique, auprès des pays d’origine des migrations. Le Président de la République a ainsi pris des initiatives fortes pour contribuer à stabiliser le continent africain et pour éviter que n’y naissent de nouveaux conflits qui seraient nécessairement porteurs de nouvelles migrations.
La France et l’Union européenne s’engagent pour donner un avenir à la jeunesse africaine, notamment au travers de l’aide au développement – telle était la teneur du discours du Président de la République à Ouagadougou.
Nous sommes également en pointe pour lutter contre les réseaux de passeurs. Il ne faut pas croire en effet que les migrations sont exclusivement des mouvements spontanés. Elles sont aussi le fruit de l’action de trafiquants d’êtres humains, souvent liés au crime, au commerce des armes, voire au terrorisme, qui dépouillent les migrants de tous leurs biens, les font passer par des routes dangereuses au cœur du désert, les placent dans des camps en Libye, avant de leur faire tenter une traversée plus que périlleuse de la Méditerranée. Contre cela, oui, nous nous devons de lutter, et nous luttons.
La France est par ailleurs très active aux portes de l’Union européenne, grâce à l’action résolue conduite par le ministre d’État, ministre de l’intérieur, pour faire en sorte que les ressortissants de pays comme l’Albanie qui bénéficient d’une exemption de visa ne détournent pas cette facilité pour demander l’asile en Europe, alors même que leur taux de protection est extrêmement faible, aux alentours de 5 %. Nous avons obtenu de premiers résultats puisque la demande albanaise a baissé d’un tiers entre les premiers mois de 2017 et les premiers mois de 2018.
Enfin, nous travaillons aussi avec nos partenaires européens, même si le récent contexte politique complexifie notre action, afin que se développe une véritable solidarité européenne en matière d’accueil des demandeurs d’asile.
Il convient donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d’agir à l’échelon international, car la réponse au défi migratoire est et sera nécessairement globale.
Mais si la France est aujourd’hui à contre-courant des autres nations européennes, avec une demande en hausse quand celle-ci baisse partout ailleurs, c’est parce que notre système d’asile et d’immigration est perfectible.
Depuis un an, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures fortes pour améliorer ce dernier. Je rappelle que le renforcement des moyens des services des étrangers des préfectures, la création dans chaque grande région de centres d’accueil et d’examen des situations, les CAES, les efforts consentis par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, et la Cour nationale du droit d’asile, la CNDA, ont d’ores et déjà permis de réduire de quatorze mois à onze mois le délai moyen d’instruction de la demande d’asile.
La mobilisation des équipes préfectorales a permis d’augmenter de 9 % par rapport à l’an dernier le nombre d’éloignements. Quant à l’adoption de la proposition de loi Warsmann, elle a permis de sécuriser le cadre juridique des transferts « Dublin », lesquels sont en hausse de 60 %.
Toutefois, il faut aujourd’hui aller plus loin.
Lors de la campagne présidentielle, le Président de la République avait pris l’engagement fort de réduire à six mois en moyenne le délai d’instruction de la demande d’asile. Il voulait, soulignait-il, permettre à ceux qui obtiendront une protection de commencer rapidement leur parcours d’intégration dans la société française et, en même temps, faire en sorte que les personnes déboutées puissent être éloignées du territoire sans avoir perdu leurs liens avec leur pays d’origine.
Tels sont les objectifs du Gouvernement en présentant ce texte.
Le présent projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie a fait l’objet d’une large adoption par les députés le 22 avril dernier. À l’issue de débats qui se sont tenus pendant près d’une semaine, les députés sont parvenus à l’adoption d’un texte que nous considérons comme équilibré.
Le projet de loi a ensuite été largement amendé lors de son examen le 6 juin par la commission des lois sénatoriale, dont je veux saluer le rapporteur, François-Noël Buffet.
Certains enrichissements vont dans le bon sens, et le Gouvernement proposera qu’ils soient conservés.
Il est en revanche des mesures qui, de nature à remettre en cause l’équilibre du texte entre humanité et efficacité, recevront de notre part un avis défavorable. Sur les points les plus symboliques, le Gouvernement a déposé des amendements qui tendent soit à revenir à l’esprit du texte initial, soit à supprimer certaines dispositions avec lesquelles il ne peut être en accord. Nous ne désespérons pas, à l’occasion de l’examen de ce texte en séance publique cette semaine, de vous convaincre, mesdames, messieurs les sénateurs.
La commission des lois a, par exemple, souhaité supprimer les dispositions portant d’un à quatre ans la durée de validité des titres de séjour délivrés aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides et revenir sur la possibilité pour les frères et les sœurs d’un réfugié mineur – je parle bien d’un réfugié reconnu comme tel au titre de l’asile – de le rejoindre.
Un procès nous a été fait à ce sujet à l’Assemblée nationale, aussi je voudrais préciser que cette mesure ne concernera que les mineurs réfugiés, c’est-à-dire quelques centaines de mineurs par an, et rappeler qu’il ne faut pas confondre ce public avec les mineurs non accompagnés, pris en charge par les conseils départementaux au titre de l’aide sociale à l’enfance. La portée de cette disposition ne doit donc pas être surestimée.
Le Gouvernement ne peut évidemment accepter sa suppression, car c’est la grandeur de la France que de proposer de telles mesures, qui ciblent les personnes les plus vulnérables et sont conformes à la grande tradition d’accueil de notre pays.
Mme Esther Benbassa. Alors là !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le texte de la commission contient ensuite des mesures dont la portée opérationnelle ne me semble absolument pas garantie et qui emportent plus d’inconvénients juridiques que d’avantages. C’est le cas, par exemple, de la disposition selon laquelle le rejet de la demande d’asile vaudrait obligation de quitter le territoire français, ou OQTF. Celle-ci me semble entraîner une certaine confusion entre, d’une part, la portée de la décision prise par l’OFPRA ou la CNDA et, d’autre part, les prérogatives de l’autorité administrative.
M. Roger Karoutchi. Cette distinction ne sert à rien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai également à l’esprit l’instauration de quotas, qui ne furent pas mis en œuvre sous de précédentes législatures, alors même que les occasions n’auraient pas manqué de le faire lors des nombreuses modifications du droit des étrangers dont le Parlement avait été saisi.
Comment le Gouvernement pourrait-il accepter une telle évolution ? La limitation du droit au regroupement familial que la mise en place de quotas occasionnerait est directement contraire à la Convention européenne des droits de l’homme, en particulier à son article 8, qui reconnaît le droit à une vie familiale normale.
De même, vous proposez de supprimer l’aide médicale de l’État et de la remplacer par une aide médicale d’urgence, dont le panier de soins serait plus réduit. Sur ce sujet également, le Gouvernement ne saurait admettre une telle régression des droits des personnes qui aurait pour conséquence, en réduisant les soins accordés aux étrangers, fussent-ils en situation irrégulière, d’accroître les risques pour la santé publique en général.
Sur ces points, le Gouvernement marquera son opposition de manière ferme et déterminée.
Enfin, mesdames, messieurs les sénateurs, des mesures ont été adoptées par votre commission qui auraient pour conséquence d’allonger les délais d’instruction du droit d’asile et d’amoindrir l’efficacité des politiques d’éloignement, à l’inverse donc de deux objectifs que nous partageons pourtant avec la majorité sénatoriale.
J’ai à l’esprit, par exemple, le maintien à un mois du délai de recours devant la CNDA, que le Gouvernement souhaite faire passer à quinze jours. On ne peut à la fois chercher à réduire les délais d’instruction du droit d’asile – comme c’est votre cas, il me semble ! – et refuser cette mesure, qui a été très encadrée par l’Assemblée nationale.
La suppression de la possibilité de demander l’aide au retour pour les personnes en rétention est un autre sujet de désaccord. Il me paraît encore que l’on ne peut rejeter cette mesure, qui est de nature à augmenter significativement le taux d’exécution des obligations de quitter le territoire français, si l’on souhaite améliorer l’efficacité des politiques d’éloignement.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’enjeu qui nous réunit aujourd’hui est tout à fait décisif pour la France et pour les Français, bien sûr, pour lesquels la question migratoire est une des préoccupations principales, mais, plus largement, pour l’avenir de l’Europe.
On voit quelles positions sont en présence.
Il y a d’abord ceux qui souhaitent accueillir tous ceux qui veulent venir et nient jusqu’à l’existence même des frontières. C’est là, chacun le comprend, une impasse, car l’Europe ne pourra jamais faire face, par exemple, au doublement de la population de l’Afrique.
Il y a ensuite ceux – ils sont de plus en plus nombreux en Europe et en France – qui rejettent tout accueil, y compris celui de personnes qui fuient la guerre et la persécution. Cela est en tout point contraire à l’histoire européenne et jamais nous n’accepterons que le droit d’asile soit remis en question.
La responsabilité de la France est de porter une ligne empreinte de fermeté et de justice, d’efficacité et d’humanité, fidèle aux valeurs de la République, fidèle aux valeurs de l’Europe, qui en a besoin.
Voilà l’enjeu à la hauteur duquel nous devons nous hisser. Nous sommes observés par les Français, par nos partenaires, par les peuples européens. Je suis convaincue, mesdames, messieurs les sénateurs, que nos débats seront à la mesure de cette responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, ce n’est pas la première fois que je monte à cette tribune pour parler d’asile et d’immigration.
M. David Assouline. C’est certain !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce texte est le vingt-neuvième qui est présenté devant le Parlement sur cette thématique, dont seize projets de loi majeurs, les derniers datant de 2015 et de 2016.
M. David Assouline. C’est incroyable !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. À ce jour, nous n’avons pas encore pu mesurer les effets de ce qui avait alors été voté.
Dans son avis, le Conseil d’État a d’ailleurs affirmé que les conditions dans lesquelles ce texte arrivait n’étaient pas idéales : il est accompagné d’une étude d’impact incomplète et dépourvue d’une évaluation suffisante des textes précédents. J’ajoute que, pour la commission des lois, il est incomplet et technique, dénué de ligne politique suivie.
La préparation de ce projet de loi offrait pourtant l’occasion de prendre un peu de temps pour étudier dans le même mouvement l’asile et l’immigration, qui font pour la première fois l’objet d’un texte unique. Nous aurions pu également prendre un peu de temps pour tenir compte de l’intégration, par exemple. Cela n’a pas été le cas.
Les mesures relatives à l’asile se résument à une longue succession d’ajustements techniques et procéduraux ; celles qui concernent la lutte contre l’immigration irrégulière contiennent quelques adaptations bienvenues, visant notamment la vidéo-audience, que nous conservons.
En revanche, le volet « intégration » est réduit au minimum et nous semble se résumer à de l’affichage. La politique en la matière dépendra du sort que le Gouvernement compte réserver au rapport confié au député Aurélien Taché.
Sur le fond, les enjeux européens et internationaux des politiques migratoires sont totalement ignorés. Aucune mesure n’est prévue pour faire pression sur certains de nos partenaires, notamment pour l’obtention de laissez-passer consulaires ou pour encourager la participation de la France au mécanisme de solidarité européen. Enfin, la dimension migratoire de nos territoires ultramarins, de Mayotte en particulier, est éludée.
Les mineurs étrangers sont les grands absents du texte, qui ne contient aucune disposition susceptible de répondre aux problématiques posées par la crise de la prise en charge des mineurs non accompagnés, alors que les départements sont en première ligne et qu’ils ont besoin d’une action forte de l’État.
De même, ni le Gouvernement ni les parlementaires de la majorité à l’Assemblée nationale n’ont eu le courage de traiter la situation des mineurs placés en centre de rétention avec leur famille, ouvrant même la possibilité de les retenir trois mois, dans des lieux totalement inadaptés.
L’intégration est donc le parent pauvre de ce texte. La formation linguistique à destination des étrangers en situation régulière est en moyenne de 148 heures, contre 242 heures en 2012. Même si le Gouvernement doublait le nombre d’heures de français, nous serions très loin de l’Allemagne, qui dispense 600 heures de formation linguistique aux étrangers primo-arrivants et jusqu’à 900 heures aux réfugiés.
Enfin, le nombre de visites médicales effectuées par l’Office français de l’immigration et de l’intégration, l’OFII, a baissé de plus de 76 % entre 2016 et 2017, ce qui soulève un grave problème de santé publique, notamment dans les universités.
Je ne saurais continuer sans rappeler le contexte dans lequel nous nous trouvons. L’Europe a connu depuis 2015 une vague d’arrivées sur son territoire d’une ampleur inédite depuis la Seconde Guerre mondiale et le conflit de l’ex-Yougoslavie : un million et demi de personnes sont entrées en Europe en 2015 par la voie maritime, en Méditerranée. Depuis 2016, la pression migratoire s’est atténuée et le nombre de migrants a diminué d’un facteur cinq, grâce, notamment, aux opérations coordonnées par FRONTEX en Méditerranée, à l’entrée en vigueur de l’accord entre l’Union européenne et la Turquie du 18 mars 2016, à la mise en place de hotspots et au programme temporaire de relocalisation destiné à soulager l’Italie et la Grèce.
À l’échelle de l’Europe, la demande de protection internationale subit une baisse comparable et s’est établie en 2017 à 706 000 demandes d’asile, une diminution de 43 % par rapport à 2016. Cette évolution numérique s’accompagne d’une reconfiguration géographique des principales routes de migration vers l’Europe. Les flux en Méditerranée centrale ont connu une diminution notable – moins 32 % entre 2016 et 2017. Il en va de même en Méditerranée orientale. En revanche, le flux passant par la Méditerranée occidentale est en nette augmentation.
Fortement exposée par sa situation géographique aux flux dits « secondaires » ou « de rebond » internes à l’Union européenne, la France connaît désormais une demande d’asile à la hausse, alors même que celle-ci tend à se stabiliser chez ses voisins : 100 412 demandes en 2017, soit une augmentation de 17,1 % depuis 2016. De même, la délivrance de premiers titres de séjour a connu une hausse ininterrompue depuis 2012, particulièrement forte en 2016 et en 2017.
En conséquence, nos structures d’accueil connaissent une tension extrêmement forte. Seuls 60 % des demandeurs d’asile sont accueillis dans des structures dédiées, des dispositifs qui se sont d’ailleurs empilés, parfois sans cohérence ni lisibilité. L’OFII est débordé par ses nouvelles missions en matière d’asile qui fragilisent sa fonction historique d’intégration des primo-arrivants.
En matière d’asile, les procédures sont encore insatisfaisantes et toujours trop longues, mais des efforts doivent être relevés. L’OFPRA a réussi à réduire quelque peu les délais d’instruction de ses dossiers et nous pouvons espérer que les objectifs fixés seront bientôt atteints. La situation de la Cour nationale du droit d’asile est plus préoccupante, avec l’augmentation de 34 % des recours et de 29 % des affaires en attente entre 2016 et 2017. La CNDA a besoin d’un peu de temps pour se mettre à niveau, si je puis me permettre cette expression.
En matière d’éloignement, nos systèmes sont en surchauffe et nos dispositifs sont sursollicités : le taux d’occupation des centres de rétention s’établit cette année à 81 % et s’accompagne d’une gestion des escortes et des transferts à flux tendus. Faut-il rappeler en outre que le financement est en baisse ? Il est positif d’afficher un objectif de renvoi et de traitement de l’immigration irrégulière, mais il serait préférable d’y consacrer les moyens nécessaires, alors que le budget correspondant est en diminution de 7 % en 2018 par rapport à 2017.
Au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, la commission des lois du Sénat a essayé d’apporter une certaine ligne directrice marquée, tout d’abord, par une volonté très ferme en matière de traitement de l’immigration irrégulière, mais aussi par le souhait affiché de préserver les droits accordés en matière d’asile et de respecter les procédures. Nous avons également conforté le secteur de l’intégration, qui n’était pas traité, et nous avons ajouté des éléments concernant le traitement des mineurs, mais aussi la situation de Mayotte, en particulier. Les débats permettront d’aborder les détails de ces mesures.
S’agissant de l’immigration irrégulière, je veux rappeler que la commission des lois a décidé de nouveau d’organiser un débat au Parlement chaque année ; de resserrer les conditions du regroupement familial ; de transformer – oui ! – l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence et de mieux identifier les secteurs économiques en manque de main-d’œuvre. En ce qui concerne les réfugiés, elle a également souhaité maintenir le délai d’appel à un mois et ne pas le réduire à quinze jours, car une telle évolution n’offrirait en réalité aucun gain en termes de rapidité et d’efficacité de traitement de l’immigration. Ce serait un leurre, selon moi. Enfin, la commission a voulu compléter la définition des pays d’origine sûrs et mieux protéger les mineurs, en particulier ceux qui risquent de subir des mutilations sexuelles.
J’insiste aussi sur le fait que nous avons ramené les collectivités locales dans le débat. Celles-ci sont sollicitées à travers les schémas d’hébergement régionaux et il est utile, par ailleurs, qu’elles soient désormais représentées au sein de l’OFII, compte tenu de l’évolution des compétences.
Concernant l’intégration, il faut certainement moins accueillir, mais se donner les moyens de mieux accueillir. Pour cela, il importe de redonner du sens au contrat d’intégration républicain, en associant Pôle emploi au dispositif et en certifiant le niveau de français obtenu par les étrangers à la fin de la procédure. Il est également important de réaffirmer la compétence de l’OFII en matière de visites médicales des étudiants étrangers.
Je terminerai par la lutte contre l’immigration irrégulière. Sur ce sujet, on nous reproche d’avoir durci le texte. C’est vrai, nous en avons fait le choix. On ne peut pas avoir une immigration régulière et traiter les demandes d’asile dans de bonnes conditions, au profit de ceux qui doivent en bénéficier, si l’on n’est pas capable de tenir un discours ferme à l’encontre de ceux qui entrent irrégulièrement sur le territoire et qui entendent y rester.
C’est la raison pour laquelle nous avons prévu que le refus définitif d’une demande d’asile vaudra obligation de quitter le territoire national. C’est pourquoi nous demandons que le Gouvernement négocie avec les pays sources le nombre de visas long séjour en fonction des laissez-passer consulaires qui nous sont accordés. Tout le monde sait dans cette enceinte que si ce n’est pas le cas, les mesures d’éloignement seront dénuées d’efficacité.
Il est indispensable de réorganiser le séquençage de la rétention administrative plutôt que sa durée. L’intervention du juge des libertés et de la détention, le JLD, à cinq jours me paraît donc absolument nécessaire.
Enfin, nous avons complété le texte en sanctionnant plus sévèrement les étrangers délinquants, mais, surtout, nous avons refusé d’affaiblir le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier sur le territoire, ainsi que cela avait été fait à l’Assemblée nationale.
S’agissant des mineurs étrangers, nous interdisons explicitement le placement en rétention de mineurs isolés et nous limitons à cinq jours la durée de rétention des mineurs accompagnants. Je rappelle qu’une famille peut être placée en rétention avec ses enfants pour la durée de la rétention théorique, soit 45 jours aujourd’hui et 90 jours, peut-être, demain. Cela n’est pas acceptable et nous avons choisi de limiter cette mesure à cinq jours au maximum. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
Nous souhaitons également la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par un département. Tout le monde reconnaît que la situation est extrêmement compliquée. Les départements ont besoin de ce fichier, afin d’éviter les difficultés posées par les demandes multiples. C’est essentiel !
Deux points me laissent des regrets. Tout d’abord, je déplore l’absence de l’Europe dans ce débat, alors qu’il s’agit d’un sujet fondamental. Ensuite, les relations internationales, au-delà de l’Europe, me semblent peu abordées, je l’ai évoqué au sujet des accords bilatéraux en matière d’obtention de laissez-passer consulaire. Il s’agit, bien sûr, de Mayotte, et nous apporterons une solution au problème à l’occasion de la discussion des amendements déposés par notre collègue Thani Mohamed Soilihi.
Pour terminer, les projets les plus magnifiques ne sont réussis qu’à condition que de l’argent leur soit consacré. Ce texte ne prévoit pas de moyens budgétaires. Je crains que l’efficacité ne soit pas au rendez-vous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, sur l’initiative de sa présidente, Mme Catherine Morin-Desailly, le bureau de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a décidé de rendre un avis sur ce texte transmis au fond à la commission des lois, mais dont quelques dispositions intéressent tout particulièrement notre commission, dans ses compétences relatives à l’éducation, à la jeunesse, à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la culture.
Il s’agit de quatre articles du projet de loi tel qu’il nous avait été transmis par l’Assemblée nationale. L’article 20 est relatif au passeport talent, à la mobilité des chercheurs étrangers et à la concurrence entre les États à ce sujet. Dans le cadre de l’article 21, relatif à la mobilité des étudiants étrangers et à l’autorisation provisoire de séjour qui leur permet aujourd’hui de rester douze mois supplémentaires sur le territoire après l’obtention de leur diplôme pour chercher un emploi ou créer une entreprise, nous souhaitions clarifier la compétence de l’OFII en matière de visite médicale des étudiants étrangers. L’article 22 concerne la mobilité des jeunes au pair avec un engagement réciproque portant des droits, des devoirs et des obligations. Enfin, l’article 33 quater traite d’une question liée à la scolarisation obligatoire et confère aux préfets, plutôt qu’aux directeurs académiques des services de l’éducation nationale, ou DASEN, la responsabilité de l’exercice des prérogatives que leur confère la loi.
En 2015, lors de nos travaux sur le projet de loi relatif au droit des étrangers en France, la commission de la culture avait marqué son attachement aux dispositifs d’immigration choisie, lesquels permettent d’attirer en France des talents étrangers qui contribuent ensuite à faire rayonner notre pays à l’international.
La France peut s’enorgueillir d’accueillir plus de 73 000 étudiants étrangers chaque année, ce qui la place au quatrième rang mondial et au premier rang des pays non anglophones. Nous sommes également bien placés en matière d’accueil des chercheurs étrangers hors Union européenne, avec près de 12 500 personnes accueillies dans ce cadre, ce qui nous situe au deuxième rang européen derrière le Royaume-Uni.
En 2015, nous avions toutefois émis une réserve. Nous craignions que les différents dispositifs d’immigration choisie ne constituent un aspirateur à talents qui viendrait encore appauvrir des pays pauvres et en développement. C’est un véritable risque, madame le ministre, et des mesures doivent être prises pour garantir un codéveloppement des talents internationaux.
Permettez-moi enfin d’attirer votre attention sur le fait que le développement des dispositifs d’immigration légale choisie doit se faire avec rigueur. En ces temps de pression migratoire forte sur les pays de l’Union européenne, les risques de détournement des dispositifs doivent être bien appréciés, et l’immigration légale doit être également contenue.
Il y a bientôt trois semaines, la commission de la culture a examiné le projet de loi et adopté huit amendements, qui ont tous été intégrés dans le texte de la commission des lois que nous examinons aujourd’hui. Je tiens à en remercier son rapporteur, M. François-Noël Buffet, et son président, M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Nous passons à la discussion des deux motions déposées sur ce texte.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2018-2019).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la migration est un phénomène aussi ancien que l’humanité. Nous n’empêcherons pas les femmes et les hommes de migrer, d’autant moins que les conflits internationaux, l’ordre économique libéral établi et les bouleversements climatiques font de notre monde un monde de réfugiés. Renforcer les opérations de police aux frontières et la politique d’expulsion ne changera rien à cet état de fait. Ces femmes et ces hommes qui migrent ne le font sûrement pas pour bénéficier de telle ou telle aide sociale, qu’ils compareraient selon les pays.
M. Jean-François Rapin. Il n’y a donc rien à faire ! (Sourires.)
M. François Bonhomme. Il faut laisser faire, que voulez-vous !
Mme Éliane Assassi. Madame la ministre, lorsque l’on essaie de fuir la violence, la torture, la guerre, la famine, les catastrophes écologiques, quitter son pays, ses amis, et sa famille parfois, représente une vraie souffrance. Pourtant, rien ne décourage ces femmes et ces hommes qui cherchent simplement à vivre ailleurs, car ils y sont contraints, rien, pas même la violence des frontières qui se ferment devant eux.
La fonte des neiges dans les Alpes nous l’a récemment rappelé, en révélant les dépouilles de corps de migrants contraints d’emprunter des détours en pleine montagne ; ces mêmes migrants que certains extrémistes nationalistes chassaient fièrement à bord d’hélicoptères il y a peu ; ces mêmes migrants que d’autres citoyens, plus fidèles aux valeurs de notre République, aident en toute fraternité, avant d’être traînés devant les tribunaux !
Votre conception de la politique migratoire s’inscrit dans un projet plus global : vous vous attaquez à la solidarité des Français envers les étrangers comme vous montez les Français les uns contre les autres, pour servir les intérêts d’une politique de libéralisation et de casse des valeurs républicaines, droit d’asile compris.
L’attitude de la France et de l’Europe met en danger les migrants et laisse les citoyens et les associations gérer l’urgence humanitaire. C’est ainsi que ces 629 femmes et hommes rescapés, repêchés en mer par l’Aquarius, n’ont trouvé d’accueil ni en Italie ni en France ; 629 femmes et hommes qui « ne sont rien » et qui méritent sans doute d’être « responsabilisés », mis au pas, comme le sont les Français sous le régime de La République En Marche.
De son côté, le Conseil européen devra, à la fin du mois, prendre acte une nouvelle fois de l’échec de sa politique migratoire et repenser ses orientations, qui ne sont pas suivies d’effets. Rappelons que la France s’était engagée en 2015 à accueillir 30 750 personnes jusqu’en 2017, alors que, aujourd’hui, seules 4 278 personnes ont été relocalisées.
Pour le moment, l’heure n’est pas à l’apaisement, comme l’a déclaré Emmanuel Macron, puisque, juste après sa rencontre avec le chef du gouvernement italien, Rome refusait une nouvelle fois l’accès de ses ports à des bateaux d’ONG.
Aujourd’hui, madame la ministre, l’émotion et la colère sont d’autant plus fortes et légitimes que votre texte enfreint un certain nombre de principes fondamentaux, à commencer par le droit d’asile, qui fait partie intégrante de l’histoire démocratique française.
La Constitution du 24 juin 1793 proclamait déjà que le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. - Il le refuse aux tyrans. » C’est l’acte fondateur du droit d’asile, élément constitutif des grands principes de la Révolution française et du siècle des Lumières.
M. Mathieu Darnaud. Quel tralala !
Mme Éliane Assassi. Faut-il rappeler ces mots de Voltaire dans son Traité de la tolérance ? « Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »
Le droit d’asile est désormais consacré par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, forgée par la Résistance : « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République. »
C’est en se fondant sur ce texte que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 13 août 1993, a qualifié le droit d’asile d’« exigence constitutionnelle ». Peu après cette décision, la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, nécessaire à la pleine application par la France de la convention de Schengen, a inscrit dans la Constitution un article 53-1 aux termes duquel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif. »
Loin des faux bons sentiments, la logique de pénalisation et de sanction des demandeurs d’asile que développe ce projet de loi enfreint cette tradition d’asile du droit français.
Il est porté atteinte au droit d’asile dans la phase administrative de la demande comme dans sa phase contentieuse.
Premièrement, le texte, en son article 5, entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs d’asile quant au sort qui leur est réservé.
Deuxièmement, l’article 6 porte gravement atteinte au droit au recours effectif des demandeurs d’asile en réduisant le délai pour exercer un recours devant la CNDA, le Gouvernement souhaitant rétablir par voie d’amendement la réduction, supprimée par la commission des lois, de ce délai à quinze jours. Cette réduction excessive des délais conduit à une justice expéditive.
Pourtant, le 2 février 2012, la Cour européenne des droits de l’homme rendait un arrêt de condamnation à l’encontre de la France, considérant que la procédure prioritaire alors prévue pour l’examen de certaines demandes d’asile n’était pas conforme au droit au recours effectif tel que garanti par l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Troisièmement, l’article 8 du présent projet de loi met fin au caractère suspensif de certains recours devant la CNDA. Celui-ci était pourtant consacré par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 13 août 1993 : « Considérant que le respect du droit d’asile, principe de valeur constitutionnelle, implique d’une manière générale que l’étranger qui se réclame de ce droit soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande. »
Quatrièmement, il sera possible d’imposer au demandeur d’asile tout au long de la procédure une langue qui n’est pas la sienne, sans que soient respectés ni les garanties procédurales européennes ni le droit de tout justiciable à être entendu dans une langue maîtrisée.
Cinquièmement, en plus d’entraver davantage la procédure d’examen de la demande avec la fin de la notification des convocations et décisions par lettre recommandée, le texte prévoyant que cette notification puisse se faire « par tout moyen », le Gouvernement ne respecte pas le principe de confidentialité que le Conseil constitutionnel a érigé au rang de « garantie essentielle du droit d’asile », principe de valeur constitutionnelle.
Sixièmement, le projet de loi supprime le caractère facultatif de la visioconférence en l’imposant aux justiciables. Une telle généralisation est encore une fois parfaitement contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Saisis notamment de la question du recours à la visioconférence pour les audiences de prolongation de rétention administrative, les sages ont jugé, dans une décision du 20 novembre 2003, qu’un tel recours était conforme à la Constitution à la condition qu’il soit subordonné au consentement de l’étranger. Or c’est exactement ce que le texte supprime.
Toutes ces dispositions anticonstitutionnelles illustrent la dangerosité d’un tel texte pour notre démocratie, d’autant plus qu’elles sont contraires aux normes supranationales, qu’il s’agisse de la convention de Genève ou de la convention internationale des droits de l’enfant.
En effet, sur ce dernier point, conformément aux obligations de la France relatives à l’intérêt supérieur des mineurs rappelées à plusieurs reprises par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, la Cour européenne des droits de l’homme, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le Comité consultatif national d’éthique et l’Académie nationale de médecine, ce projet de loi aurait dû supprimer toute possibilité de maintenir des mineurs en zone d’attente ou en centre de rétention administrative quelle que soit leur nationalité, afin qu’ils soient admis dignement sur notre territoire et mis sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.
Je l’affirme avec force : un mineur, même étranger, n’est pas un migrant. C’est un enfant, et ce jusqu’à l’âge de sa majorité. Nous lui devons donc aide et protection, et le Sénat s’honorerait en supprimant l’article 15 quater relatif à la durée de placement en rétention pour cinq jours des familles, car qui dit famille dit enfants.
Les mesures d’enfermement pour les majeurs posent également question, comme la facilitation de la rétention administrative, notamment des « dublinés » qui n’ont commis aucun délit, alors même que la France a déjà été condamnée à six reprises par la Cour européenne des droits de l’homme à cause de ses conditions de rétention.
Autre atteinte excessive aux droits fondamentaux des demandeurs d’asile, le droit inconditionnel à l’accueil et au maintien en hébergement d’urgence de toutes les personnes au regard du seul critère de la détresse, auquel contrevient l’article 9 du présent projet de loi qui légalise la circulaire Collomb de décembre 2017 tant décriée.
Hélas, la liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi est encore longue – nous y reviendrons au cours du débat. Nous ne nous faisons pas d’illusions, mes chers collègues, quant au sort qui sera réservé à la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Elle sera rejetée, mais nous souhaitions attirer votre attention et celle du Conseil constitutionnel sur ces points.
Nous participerons au débat, en insistant notamment sur le caractère universel du principe constitutionnel d’égalité qui ne saurait tolérer la moindre distinction entre ressortissants nationaux et ressortissants étrangers s’agissant de la garantie des droits fondamentaux attachés à la personne. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Rapin, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Rapin. Madame la présidente Assasi, vous avez souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité en raison des graves difficultés constitutionnelles que comporterait le présent texte. Vous l’aurez compris, nous ne partageons pas votre analyse, et je vais m’en expliquer.
Mme Éliane Assassi. C’est étonnant !
M. Jean-François Rapin. La commission des lois du Sénat, après un examen minutieux du texte, propose un projet de loi amélioré, détaillé et argumenté qui, en tout état de cause, respecte le droit d’asile auquel nous sommes foncièrement attachés.
En effet, le rapporteur a trouvé un juste équilibre entre l’amélioration du traitement des demandes d’asile et les conditions réalistes du droit de recours devant la Cour nationale du droit d’asile, dont l’activité ne cesse de croître ces dernières années.
Le Gouvernement – je souhaite le rappeler – a voulu réduire le délai de recours des demandeurs d’asile de trente à quinze jours. Notre rapporteur a décidé de supprimer cette diminution drastique jugée attentatoire aux droits des demandeurs d’asile, et qui plus est inefficace pour lutter contre l’immigration irrégulière. La réduction à quinze jours semble d’autant plus inenvisageable que l’organisation actuelle de la Cour nationale du droit d’asile n’est pas optimale et mérite d’évoluer.
Je souhaite également attirer votre attention sur un point particulier des apports de la commission qui me tient à cœur, celui des mineurs isolés. Je tiens à féliciter la commission pour sa prise de position sur ce sujet. L’interdiction de placement en rétention des mineurs isolés est une avancée majeure, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté l’avait d’ailleurs appelée de ses vœux.
L’encadrement du placement en rétention des mineurs accompagnant leurs familles, réduit à cinq jours alors que, aujourd’hui, ces familles peuvent être placées en rétention jusqu’à trente jours, est également une avancée majeure en termes d’humanité.
Ces décisions courageuses étaient nécessaires pour protéger les plus vulnérables, et je tiens à en féliciter notre rapporteur.
Pour ces différents motifs, mon groupe ne considère pas que ce texte soulève des difficultés constitutionnelles, et votera donc contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Plus largement, je veux revenir sur les nombreux débats qui ont eu lieu autour de ce texte, et plus généralement, concernant la réforme de notre politique migratoire. Les termes « dignité » et « respect des droits fondamentaux » sont souvent évoqués.
Pourtant, n’est-ce pas dans le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes que nous souhaitons mieux maîtriser les flux migratoires, afin de mieux intégrer ces femmes et ces hommes qui fuient leur pays ?
N’est-ce pas dans cette même optique que nous avons soutenu l’État lors du démantèlement de la lande de Calais qui a permis, je le rappelle, de mettre à l’abri des milliers de personnes dans des centres d’hébergement offrant des conditions d’accueil dignes ?
N’est-ce pas dans cette même optique encore que la petite commune de Merlimont – dont j’ai été maire –, située à quatre-vingts kilomètres de Calais, a accueilli à deux reprises, comme d’autres collectivités du territoire, des mineurs qui ont été extraits des camps de fortune où les conditions de vie étaient inacceptables ?
Je me suis rendu plusieurs fois sur le terrain, tout comme certains collègues ici présents – je salue d’ailleurs le travail de François-Noël Buffet, avec qui je suis allé à Calais et à Grande-Synthe. Ces visites nous ont permis de mieux appréhender la problématique migratoire sur le territoire : la situation humanitaire, la présence et le mode de fonctionnement des associations, les actions des activistes, tout comme l’organisation des passeurs.
Lors de ces déplacements, j’ai pu échanger avec les élus des communes concernées, souvent désemparés devant l’ampleur de la crise, avec les riverains, partagés entre incompréhension, sollicitude et résignation parfois, avec les services de l’État présents pour conseiller les migrants, avec les associations qui leur viennent en aide, avec les forces de l’ordre qui font un travail remarquable sur le terrain.
À chaque fois, j’en suis ressorti différent, bien évidemment marqué par la situation humanitaire et la détresse dans laquelle se trouvent ces personnes qui ont quitté leur pays, pour certaines leur famille, leurs attaches, la plupart pour rejoindre l’Angleterre à tout prix, parfois même au péril de leur vie.
Comment, madame Assassi, ne pas être bouleversé quand vous voyez ces femmes, ces hommes, pis, ces enfants attendre un passage inespéré vers l’Angleterre, ce pays dont on leur a tant vanté les mérites ?
En ce sens, la loi en vigueur sur laquelle nous, parlementaires, ne cessons de travailler pour la faire évoluer ne répond pas à la réalité actuelle du terrain. Le projet de loi présenté par le Gouvernement et le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale n’y répondent pas complètement non plus.
Notre pays doit avoir le courage de fixer clairement une politique migratoire crédible et cohérente, afin de mieux accueillir et de mieux intégrer les demandeurs d’asile, le tout, monsieur le rapporteur, madame la ministre, dans un cadre européen clarifié, apaisé et solidaire.
Je rejoins donc mes collègues de la commission des lois qui ont effectué un travail important en proposant un contre-projet fourni et argumenté. Le projet de loi proposé par le Gouvernement et voté par l’Assemblée nationale ne permet pas toutes les avancées dont notre pays a tant besoin, alors qu’un tel texte doit permettre à la France d’assumer une politique migratoire ambitieuse.
À ce titre, la commission des lois a adopté plusieurs mesures primordiales que je ne citerai pas en totalité – mes collègues les ont déjà développées pour la plupart, ou les développeront au cours du débat. Je pense, bien évidemment, à l’organisation au Parlement d’un débat annuel sur la gestion des flux migratoires, à la transformation de l’aide médicale de l’État en aide médicale d’urgence centrée sur les maladies graves, la grossesse, ainsi bien sûr que la médecine préventive.
Je pense aussi aux collectivités territoriales. Les élus locaux directement concernés me disent souvent se sentir démunis face à cette crise migratoire. Leur voix n’est malheureusement que trop peu entendue, alors que leur place dans les réflexions à mener est tout à fait légitime.
Les sanctions à l’encontre de ceux qui enfreignent nos règles doivent être renforcées, et les mesures d’éloignement envers les déboutés doivent être plus efficaces. En ce sens, toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile doit valoir obligation de quitter le territoire français.
Je salue également la décision de réduire le nombre de visas accordés aux pays les moins coopératifs pour délivrer les laissez-passer consulaires indispensables à l’éloignement des personnes en situation irrégulière.
En tant que sénateur du Pas-de-Calais, je souhaite également revenir sur la situation particulière de mon département, point de chute de centaines, voire de milliers – il en fut – de personnes fuyant leur pays.
Depuis le démantèlement de la lande, la situation calaisienne a certes évolué. La preuve en est qu’il y a quelques jours a été inauguré le site naturel des Deux Mers en lieu et place de l’ancienne lande. Cette renaturation montre qu’une page s’est tournée sur ce site, qui a malheureusement attiré les yeux du monde entier.
Toutefois, ne nous leurrons pas, la problématique migratoire n’a pas totalement disparu pour autant : en témoignent la mobilisation des forces de l’ordre sur le terrain et les incidents récurrents.
J’ai, par exemple, été interpellé par les transporteurs routiers de marchandises qui effectuent du transport transmanche. Ces professionnels subissent toujours les conséquences de la présence migratoire à Calais. Les intrusions sur les sites des entreprises et la dégradation des matériels ou des marchandises transportées n’ont absolument pas cessé.
Cette situation crée un réel sentiment d’insécurité chez les chauffeurs routiers.
De plus, elle entraîne des coûts financiers importants pour les entreprises qui voient leur matériel ou leurs marchandises dégradés, sans compter les amendes infligées en cas de découverte d’un ou plusieurs migrants dans un camion contrôlé en France par les forces de l’ordre britanniques.
Enfin, les conséquences financières et économiques sur ce territoire continuent à se faire ressentir. L’État affirme œuvrer afin qu’aucun point de fixation ne se crée. Toutefois, je m’interroge, madame la ministre, sur la vision à long terme du Gouvernement pour le Calaisis.
Comme je l’ai affirmé il y a plus d’un an, si nous ne pouvons fermer la porte aux personnes demandant légitimement l’asile, il me semble primordial de redéfinir notre politique migratoire dans un cadre européen propice pour que cette zone géographique, territoire stratégique et économique, ne devienne pas le mur de la Manche après avoir porté une grande partie du mur de l’Atlantique. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je ne serai pas plus long, si ce n’est pour rappeler que la commission a souhaité établir un contre-projet dans le respect à la fois des règles constitutionnelles – cela est évident – et de tous les accords internationaux et européens auxquels nous sommes partie.
Permettez-moi de rappeler, pour mémoire, quelques-uns des apports de la commission : le maintien du délai de recours devant la CNDA à trente jours, la protection des mineurs en rétention, ainsi que la nécessité dans les politiques de fermeté et d’éloignement de garantir à l’ensemble des justiciables les voies de recours nécessaires et de permettre éventuellement aux magistrats de revenir sur les dispositions que le Sénat a remises en place – je pense en particulier à la peine d’interdiction du territoire, qui est renforcée sous contrôle du juge.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le groupe CRCE critique le présent projet de loi au motif qu’il serait inconstitutionnel et contraire aux droits des personnes, en particulier des demandeurs d’asile. Ce n’est pas très sérieux.
Mme Éliane Assassi. Dites-le aux associations mobilisées contre ce texte, madame la ministre !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Conseil d’État, fréquemment invoqué pour critiquer le texte du Gouvernement, a validé la constitutionnalité et la conventionnalité du projet de loi. Chacune des mesures que vous évoquez a été soigneusement pesée pour s’assurer de sa pleine conformité avec l’ensemble des droits de la défense constitutionnellement et conventionnellement garantis.
Mme Éliane Assassi. Vous n’allez pas dire le contraire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est d’ailleurs frappant de constater que chacune des mesures dont vous contestez la conformité aux normes supérieures existe de façon équivalente chez bon nombre de nos voisins européens.
Vous critiquez par exemple, madame la sénatrice, une disposition qui instaurerait une justice expéditive. Or il ne faut pas confondre le délai pour saisir la justice, qui est de quinze jours dans une dizaine de pays européens, et le délai pour juger, qui est le seul sur la base duquel on pourrait critiquer une justice expéditive.
Mme Éliane Assassi. Voilà un raisonnement extraordinaire !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Quant à la prise en compte des vulnérabilités particulières des demandeurs d’asile, et plus largement des étrangers, je ne peux que rappeler la mobilisation du Gouvernement à ce sujet.
Ainsi, nous menons une action qui vise à la fois à concentrer nos efforts sur les publics les plus vulnérables et à prendre en compte la vulnérabilité des personnes à toutes les étapes de la procédure.
Pour ce qui concerne les publics les plus vulnérables, nous portons une attention particulière aux femmes, notamment aux femmes victimes de violences. Comme vous le savez, le texte contient plusieurs dispositions sur ce sujet, mais au-delà, nous allons développer des structures d’hébergement spécialisées pour leur prise en charge, particulièrement pour leur soutien psychologique. En 2018, sept structures seront ainsi créées. Par ailleurs, ces dispositifs seront également étendus aux membres de la communauté LGBT.
Notre action envers les personnes les plus vulnérables s’étend aussi au-delà de notre territoire à travers la réinstallation des réfugiés en fort besoin de protection. Vous savez que l’objectif est d’en accueillir 10 000 d’ici à 2019. Il s’agit, par exemple, de réfugiés soudanais du Darfour victimes de persécutions, mais aussi de personnes, notamment des femmes, victimes d’exactions en Libye.
Au-delà de ces différents dispositifs, je suis particulièrement attachée à ce que la vulnérabilité des personnes soit prise en compte à toutes les étapes de la procédure d’asile.
Ainsi, dès le premier accueil au moment de l’enregistrement de la demande d’asile, le repérage de la vulnérabilité est au cœur du dispositif des CAES que nous déployons sur le territoire. Ces informations sont précieuses pour l’enregistrement des demandes auprès du guichet unique pour demandeurs d’asile, ou GUDA.
Par ailleurs, l’orientation directive des demandeurs dans le dispositif national d’asile prendra en compte la vulnérabilité des personnes. Comme je l’indiquais précédemment, les publics les plus vulnérables seront en priorité orientés vers les structures assurant une prise en charge spécifique de leur vulnérabilité. En outre, nous allons prochainement lancer un appel à projets visant à développer la prise en charge psychologique et sanitaire des migrants.
Enfin, la vulnérabilité fait l’objet d’une prise en compte spécifique lors de l’instruction des demandes par l’OFPRA et la CNDA. Ainsi les personnels qui instruisent ces dossiers disposent de formations spécifiques pour déceler la vulnérabilité psychologique, et des groupes de travail thématiques ont été mis en place à l’OFPRA depuis 2013.
Comme vous le voyez, la mobilisation du Gouvernement est totale pour que la maîtrise de l’immigration se fasse dans un cadre respectueux de la dignité et des droits de chacun.
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour explication de vote.
M. Éric Bocquet. Le rejet de principe par la majorité de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est selon nous assez inquiétant.
Aucune réponse sérieuse et audible pour les différentes associations mobilisées aux arguments constitutionnels avancés n’a été véritablement apportée. La liste des principes fondamentaux remis en cause par ce projet de loi était pourtant encore longue : du droit au procès équitable bafoué au principe d’unité familiale amoindri – plus encore par la commission des lois du Sénat –, en passant par la rupture d’égalité de traitement des citoyens, avec une justice au rabais institutionnalisée outre-mer et à Mayotte en particulier, notre démocratie ne sortira pas grandie de cette prévalence de la suspicion et de la répression quant au respect et à l’effectivité des droits et des principes fondamentaux de la République.
M. Macron a poursuivi un bien triste chemin depuis le sommet européen qui s’est tenu il y a un an à quelques jours près, à l’issue duquel, tenant une conférence de presse avec Mme Merkel il déclarait : « Nous devons accueillir des réfugiés, c’est notre devoir et notre honneur. »
Lorsque l’Aquarius est passé à sept kilomètres de nos côtes, chassé d’Italie par un ministre de l’intérieur néofasciste, le chef de l’État avait semble-t-il oublié ces belles paroles.
On dit souvent que le Président de la République fait ce qu’il dit, ce qu’il a promis.
Si certaines dispositions avaient été annoncées, rien ne permettait de prévoir la violence de la politique menée par ce gouvernement ainsi que la violence de certains propos tenus en certaines circonstances.
Un avant-goût amer de ce projet de loi avait été annoncé par vos circulaires de décembre relatives au recensement administratif dans les centres d’hébergement et à la demande faite aux préfets d’accroître les reconduites à la frontière. Avec ces textes, vous avez donné le la.
L’historien Patrick Weil a déclaré à ce sujet : « Aucun gouvernement depuis la Deuxième Guerre mondiale n’avait osé aller jusque-là ». Évoquant le futur projet de loi, il poursuivait : « Si le projet [de loi] s’inscrit dans cette lignée, ce sera une régression dramatique. »
Nous sommes aujourd’hui face à cette régression dramatique contraire à nos principes fondamentaux et à la tradition républicaine de notre pays que dénonce fortement M. Jacques Toubon, garde des sceaux sous la présidence de la République de Jacques Chirac, aujourd’hui Défenseur des droits.
Madame la ministre, mes chers collègues, l’Europe est sur une pente dangereuse. Un vent mauvais souffle sur le monde. Nationalisme et xénophobie se répandent. Nous ne devons pas céder à cette facilité dangereuse, qui tend à dresser les peuples les uns contre les autres dans un débat démocratique.
Que vous l’admettiez ou non, vous jouez sur la peur de l’autre, sur l’individualisme, comme d’autres l’ont fait bien mieux auparavant. Nous appelons à voter en faveur de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, afin de réaffirmer le choix de la France de rester fidèle à ses valeurs fondamentales. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. L’examen de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité se déroule dans un moment singulier pour la vie de notre assemblée et pour la vie de notre pays.
Pour la vie de notre assemblée, parce que nous sommes en pleine réflexion sur la réforme constitutionnelle. Monsieur le président, permettez-moi de saluer votre volonté de présider vous-même cette séance publique consacrée à un texte très important. Avec les collègues de mon groupe, je regrette que le ministre chargé de présenter ce projet de loi ne soit pas présent, alors que de très nombreux sénateurs le sont, preuve s’il en est que le Sénat est vraiment une institution indispensable à la vie démocratique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, du groupe Les Indépendants – République et Territoires, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
Comme je le disais, nous sommes également dans une période singulière pour la vie de notre pays. Nous avons vécu la tragédie de l’Aquarius, avec les prises de position quelque peu improbables, voire absentes du Gouvernement. Nous sommes également confrontés aux attitudes du président des États-Unis et aux images terrifiantes d’enfants enfermés qui nous parviennent d’outre-Atlantique. La Constitution – j’en reviens à la réforme constitutionnelle – ainsi que les conventions internationales protègent pourtant les migrants, madame la ministre.
Le groupe socialiste et républicain votera la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité pour trois raisons.
La première est l’atteinte au droit au recours effectif. Mme la ministre a tenté tout à l’heure d’expliquer que ledit droit, prévu par la Convention européenne des droits de l’homme, n’était pas menacé. C’est pourtant bien le cas, tant le raccourcissement des délais de procédure amène à s’interroger.
La deuxième raison a trait à la durée de rétention. Selon un scénario assez complexe, celle-ci, qui était déjà de 45 jours, alors que chacun sait qu’au-delà de douze jours elle n’a plus d’utilité, avait été doublée dans le projet de loi gouvernemental, pour des raisons que nous avons comprises lorsque le ministre Collomb a dit qu’il redoutait le benchmarking des migrants, pour finalement être réduite de nouveau à 45 jours par la commission des lois, mais augmentée à six mois pour certains étrangers.
Nous considérons qu’il n’est pas possible, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, de retenir ces personnes pendant une telle durée.
La troisième et dernière raison est la rétention des enfants. Depuis 2012, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à six reprises pour non-respect de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’est pas possible de retenir des enfants, a fortiori pour la durée excessive qui a été fixée par le projet de loi gouvernemental.
Pour l’ensemble de ces raisons, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voterons en faveur de la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
(M. David Assouline remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :
Nombre de votants | 346 |
Nombre de suffrages exprimés | 346 |
Pour l’adoption | 92 |
Contre | 254 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Sueur, Leconte et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, d’une motion n° 1 rectifié bis.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 553, 2017-2018).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour la motion.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est donc à vous, madame la ministre, chère Jacqueline Gourault, qu’échoit cette besogne… (Murmures.) Nous eussions pu comprendre que le choix eût été fait pour vous de représenter la France en Allemagne. Las, M. le ministre de l’intérieur n’est pas là, pour l’examen d’un texte aussi important pour le Sénat comme pour notre pays.
Madame la ministre, il y aurait de nombreuses raisons pour que vous retiriez purement et simplement ce projet de loi.
Parce que, d’abord, il n’aura pas d’efficacité – vous le savez – au regard des objectifs qu’on lui assigne.
Parce que, ensuite, il est totalement négatif et répressif.
Parce que, aussi, les migrations seront demain – vous ne l’ignorez pas non plus – plus nombreuses qu’aujourd’hui.
Le monde, en effet, appelle ces changements : du Soudan à l’Afghanistan, des êtres humains, innombrables, sont victimes des crimes et des persécutions, et le défi de la misère est toujours là, alors que 1,5 milliard de personnes vivent dans des bidonvilles et que des peuples entiers s’enfoncent dans la famine. Sans oublier le défi climatique. S’il n’est pas relevé, des îles et des rivages s’enfonceront dans la mer et il y aura, demain, des réfugiés auxquels nous ne pensons pas aujourd’hui.
Parce que, madame la ministre, la première loi de l’humanité est celle de l’humanité.
Parce que Christiane Taubira a très bien écrit les choses. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Je me réjouis, mes chers collègues, que son texte nous ait tous marqués. Elle a évoqué ces boat people que nous avons accueillis généreusement, sans compter, parce qu’il fallait le faire, et tant d’autres tragédies de l’histoire où la loi essentielle et première est celle de l’humanité.
Je songe à ce dessin de Plantu dans Le Monde où l’on voit un bateau au milieu de la Méditerranée et, sur ce bateau, un fonctionnaire qui fait son travail : les affamés, leur dit-il, levez le doigt ! De manière qu’on puisse distinguer ceux qui crèvent de faim et ceux qui ont la légitimité pour être accueillis… Je comprends ce discours, mes chers collègues, mais je perçois ce qu’il a de tragique.
La réalité, c’est que la mer Méditerranée, où est née la civilisation, est devenue un cimetière à ciel ouvert. Voilà, mes chers collègues, ce qui devrait nous mobiliser en priorité absolue ! Or, de cela, pas un mot dans le projet de loi…
Michel Rocard a dit qu’on ne pouvait accueillir toute la misère du monde, et il a eu raison ; il a dit, en plus, qu’il fallait que la France en prenne toute sa part, et il a eu raison aussi.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte. Parce que ce qui nous a marqués ces derniers temps, ce sont l’odyssée de l’Aquarius, déjà citée, et ces deux jours de triste silence de la France, avant de tardifs efforts diplomatiques. Fallait-il tout ce temps pour comprendre que la Corse est plus proche de la Sardaigne que de l’Espagne ? Ce qui s’est passé là nous a marqués, tous.
Je ne vous apprendrai pas que la seule utilité de ce texte est, une fois encore, de tenter de rassurer ce qu’on appelle l’opinion contre l’ancestrale peur de l’étranger.
Madame la ministre, vous devriez retirer ce texte aussi parce qu’il ne consacre pas une seule phrase à la question européenne – pas même un mot, comme M. le rapporteur l’a expliqué. Il nous faut pourtant mener un combat commun, un combat de la France, contre l’Europe de la fermeture, de l’exclusion et de la xénophobie qui progresse à grands pas.
Nous devons promouvoir une autre philosophie européenne, une autre conception de l’Europe : une Europe qui lutte plus efficacement contre les passeurs, pour la maîtrise des frontières et pour une vraie coopération avec les pays d’origine. Renouer les liens avec l’Afrique, reconstruire l’Euroméditerranée : il y a tant à faire ! Mais votre texte, madame la ministre, n’en dit pas un mot…
Même au regard de vos objectifs, je ne crois pas qu’augmenter la durée de rétention et raccourcir les délais de recours change quoi que ce soit au fait que, aujourd’hui, 13 % des OQTF donnent lieu à exécution et que 5 % des déboutés du droit d’asile sont reconduits chez eux. Au reste, cette situation est source d’un profond malaise, d’une désespérance même, parmi les fonctionnaires des préfectures qui se demandent parfois quelle est l’utilité de ce qu’ils font.
En même temps, votre texte, madame la ministre, n’est pas assorti des moyens qu’on pourrait attendre. Rien dans la loi de finances, vraiment rien – ou dites-moi quoi –, pour financer les mesures que vous annoncez. Pas même les moyens qui seraient tellement nécessaires pour que l’attente soit moins longue dans les préfectures, cette attente par laquelle commencent des délais beaucoup trop longs.
Comment aussi ne pas entendre, madame la ministre, l’avis extrêmement précis du Conseil d’État, qui vous demande : pourquoi ne pas avoir évalué l’effet des lois de 2015 et 2016 avant que de faire cette nouvelle loi ? Le Conseil d’État ne trouve pas dans le contenu de ce texte le reflet d’une stratégie prenant en compte l’immigration et les faits migratoires tels qu’ils sont aujourd’hui et tels qu’ils se dérouleront demain. Il parle de la sédimentation des dispositions et de la sophistication inefficace du projet de loi…
Madame la ministre, pourquoi défendez-vous un tel texte aujourd’hui ? En quoi aura-t-il quelque effet positif que ce soit ?
Pourquoi exercerait-on demain – je le demande à vous aussi, monsieur le rapporteur – des chantages du reste bien difficiles ? Expliquera-t-on aux étudiants du Maghreb ou d’autres parties de l’Afrique qu’ils ne peuvent accéder aux universités françaises parce que leur pays ne donne pas les visas de retour, que nous sommes, au demeurant, en droit d’attendre ?
M. Philippe Dallier. Que faut-il donc faire, d’après vous ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je sais, madame la ministre, que vous le savez profondément : sur cette terre, on a besoin de tout le monde. Et il arrive en effet que des sans-papiers, que l’on eût vilipendés, expulsés, sauvent des enfants de cinq ans : cette image a été vue, perçue, approuvée et admirée par toute la France et bien au-delà.
Madame la ministre, ce texte, vous le savez mieux que nous, manque de souffle, de clarté et d’efficacité ; il n’est pas utile ; il manque de perspective, de prospective et de vision.
Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai tâché d’imaginer ce qu’aurait dit l’un de nos grands ancêtres, ici au Sénat et à la Chambre des pairs, Victor Hugo, s’il avait dû décrire ce qui se passe aujourd’hui en mer Méditerranée. Je n’ai pas de doute, car il suffit de lire les dizaines de milliers de ses vers. Permettez-moi, pour conclure, de vous donner lecture des cinq que voici ; ils sont tirés d’Aux proscrits :
« Le sort est un abîme, et ses flots sont amers […]
« Chacun de nous contient le chêne République ;
« Chacun de nous contient le chêne Vérité […]
« Nous sommes la poignée obscure des semences
« Du sombre champ de l’avenir. »
(Applaudissements prolongés sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio, contre la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au nom des sénateurs du groupe Les Républicains, permettez-moi de détailler les raisons pour lesquelles nous estimons qu’il est nécessaire que le Sénat délibère sur ce projet de loi.
D’abord, il est évident que ce texte ne constitue pas la solution à toutes les problématiques relatives à l’asile et à l’immigration en France, tant s’en faut.
Toutefois, grâce aux nombreuses heures de travail consacrées à son examen par la commission des lois et son rapporteur, notre collègue François-Noël Buffet, dont je salue l’investissement et la détermination,…
M. Charles Revet. En effet, il a beaucoup travaillé !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. … ce projet de loi, qui n’était à l’origine que le résultat d’un compromis bancal entre la jambe droite et la jambe gauche de la majorité présidentielle, est devenu un outil plus efficace, plus concret et plus solide, que nous entendons faire servir à la maîtrise de l’immigration en France, notamment à la lutte contre l’immigration irrégulière.
Partons d’un constat que nul ne peut contester, pour peu qu’il fasse preuve de clairvoyance et de bonne foi : nos compatriotes n’acceptent plus de voir l’État baisser les bras face aux flux migratoires sous le poids desquels croulent nos services chargés du traitement des demandes d’asile et du contrôle de l’immigration.
En deux ans, en 2015 et 2016, 2,3 millions de migrants sont entrés illégalement dans l’espace Schengen, contre 100 000 en moyenne les années précédentes. Cette pression migratoire est toujours extrêmement soutenue en France, et les flux à l’échelon européen se réorganisent sans se tarir, en raison de la montée des conflits armés, de la pauvreté persistante dans les pays en développement et des conséquences environnementales du réchauffement climatique.
Sommes-nous prêts, mes chers collègues, à affronter un tel défi ? De toute évidence, non. Il est donc de notre devoir de nous y préparer en renforçant nos exigences et nos critères d’admission en France, afin que nos enfants et petits-enfants puissent vivre dans un pays disposant toujours de la maîtrise de son propre destin. (M. Rachid Temal s’exclame.)
En 2017, la France a admis 260 000 nouveaux immigrés réguliers, le record des quarante dernières années. En parallèle, dans le cadre de la loi de finances pour 2018, le budget de la lutte contre l’immigration irrégulière a diminué de 7 %. Les fonds consacrés à l’aide médicale de l’État, eux, ont augmenté dans le même temps de 13 %, flirtant avec le milliard d’euros et profitant à plus de 300 000 personnes, contre 150 000 en 2000.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Il y a donc réellement urgence à agir ! Or, comme sur de nombreux sujets, la montagne gouvernementale a accouché d’une souris.
En effet, face aux enjeux majeurs que je viens d’évoquer, le texte proposé par le Gouvernement et adopté par sa majorité à l’Assemblée nationale est une bien faible réponse. Sacrifiant toute fermeté et tout pragmatisme à la nécessité de ne pas heurter son aile gauche, le Gouvernement présente un texte technique qui n’apporte en réalité aucune solution crédible aux problèmes d’aujourd’hui, encore moins à ceux de demain.
Demain, c’est l’horizon qu’il nous faut regarder, si nous voulons mener une réforme véritablement efficace pour les générations futures. Hélas, le Gouvernement n’a pas souhaité traiter ces problèmes en profondeur.
Ce texte, focalisé sur le droit d’asile, dont la nécessité ne fait absolument aucun débat, ne changera rien au véritable problème de fond : la faiblesse des moyens financiers et humains alloués à la lutte contre l’immigration irrégulière.
En 2015, seuls quatre immigrés en situation irrégulière sur cent ont été effectivement reconduits à la frontière. Pendant ce temps, des milliers de demandeurs d’asile sont accueillis par l’État, parfois dans des gymnases, dans l’attente de l’examen de leur situation administrative.
Enfin, le texte gouvernemental s’avère extrêmement permissif en ce qui concerne la réunification familiale à l’égard des frères et sœurs des réfugiés mineurs. Une disposition que nous avons bien sûr supprimée au sein de la commission des lois, tant elle sème les germes de drames à venir sur le plan humanitaire : combien de mineurs seront-ils envoyés seuls, au mépris des risques, dans les mains des passeurs, sur les routes et par-delà les mers, dans l’espoir d’atteindre la France, d’où ils pourront faire venir leurs frères et sœurs ?
Prenons conscience tous ensemble, pour l’accepter, de la réalité des lourdes charges financières qui incombent aux départements en matière de prise en charge des mineurs non accompagnés. Pour citer un exemple que je connais bien, en 2010, le département du Val-d’Oise prenait en charge 80 mineurs isolés, pour un coût de 3 millions d’euros ; en 2018, il en accueille 640, pour un montant de 43 millions d’euros.
La commission des lois s’est donc pleinement saisie de ce texte et l’a profondément modifié, à la suite des très nombreuses auditions des responsables associatifs et des représentants des services de l’État que nous avons menées.
Ainsi, nous proposons au Sénat de refuser le statut de réfugié à ceux qui constitueraient une menace grave pour la sûreté de l’État ; de refuser l’extension de la réunification familiale aux frères et sœurs des réfugiés mineurs ; de créer un fichier national des mineurs ; de donner à toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile valeur d’obligation de quitter le territoire.
Non, ces dispositions ne suffiront pas à régler définitivement la question de l’immigration en France. Mais, oui, face au manque de volonté du Gouvernement, elles permettront de pallier un certain nombre de défaillances de notre système d’asile et d’immigration et d’affirmer la détermination du Sénat à agir.
Ce projet de loi, largement amendé par notre assemblée, constituera notre appel en faveur d’une véritable politique migratoire en France. C’est pourquoi le groupe Les Républicains vous appelle, mes chers collègues, à ne pas voter en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a profondément modifié le texte transmis par l’Assemblée nationale, et de nombreux amendements ont été déposés, par l’ensemble des groupes. Il importe maintenant que le débat ait lieu. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le groupe socialiste et républicain conteste la nécessité du projet de loi, qui serait une énième modification du droit des étrangers, opérée sans qu’on ait pu évaluer l’efficacité des modifications législatives antérieures.
Il est vrai que le gouvernement précédent, que Jean-Pierre Sueur soutenait, a fait adopter deux lois en matière d’immigration, en 2015 et 2016. Naturellement, c’est avec une grande attention que j’ai pris part aux débats sur ces textes – je pense que de nombreux sénateurs socialistes s’en souviennent. Il serait bon, je crois, qu’ils participent aujourd’hui au débat sur ce projet de loi, même si le gouvernement a changé.
La situation migratoire, que j’ai exposée il y a quelques instants, est marquée par un fort contraste entre la baisse des migrations à l’échelon européen et une hausse qui reste soutenue en France – elle s’est élevée à 17 % l’année dernière, les demandes d’asile atteignant le nombre de 100 000.
Nous n’avons pu que le constater, le système ne fonctionne pas très bien ; je dirais même qu’il fonctionne assez mal. En effet, la procédure d’asile est trop longue, la politique d’éloignement inefficace et les mesures d’intégration sont très insuffisantes par rapport aux besoins.
On peut considérer que tout cela est apparu il y a un an ; on peut aussi considérer que cette situation s’est lentement installée et dégradée, et qu’il faut aujourd’hui y répondre.
Ce sont ces constats qui justifient le projet de loi qui vous est soumis. Les grands objectifs du Gouvernement sont de traiter les demandes d’asile en six mois et de tirer toutes les conséquences en matière d’éloignement pour renforcer effectivement l’efficacité de la lutte contre l’immigration irrégulière, mais aussi de mieux intégrer les personnes qui ont vocation à rester sur le territoire – je crois que nous sommes tous d’accord avec cela.
Ces objectifs sont, contrairement à ce que vous affirmez, à la hauteur des défis auxquels nous faisons face ; ils visent à permettre une réelle maîtrise de l’immigration, dans le respect des droits des personnes.
Face au constat du durcissement des politiques migratoires à l’échelle européenne – vous n’êtes pas sans savoir ce qui se passe dans un certain nombre de pays, dont l’Italie, qui vient de changer de gouvernement –, les orientations du Gouvernement sont claires, équilibrées et conformes à nos valeurs.
On a soutenu il y a quelques instants qu’il n’y aurait pas de moyens supplémentaires, en faisant référence aux personnels des préfectures. Si le projet de loi ne prévoit pas de moyens supplémentaires, c’est parce que c’est déjà fait ! En effet, nous avons renforcé d’environ 150 équivalents temps plein les services des étrangers des préfectures.
J’aime beaucoup, moi aussi, la citation de Michel Rocard : on ne peut pas, disait-il, accueillir toute la misère du monde, mais nous devons en prendre notre part.
Mme Esther Benbassa. Une citation sortie de son contexte !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement souscrit tout à fait à cette idée ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur Sueur, vous avez tout à fait raison : l’avis du Conseil d’État sur ce projet de loi n’a pas été suivi par le Gouvernement.
M. Bruno Sido. Ce n’est pas une obligation !
Mme Éliane Assassi. Depuis 1980, le Parlement a discuté d’environ vingt-neuf textes de loi relatifs à l’immigration. Le présent projet de loi est inutile, tant les mesures qu’il comporte sont dans la droite ligne des textes antérieurs. C’est une autre conception de la politique migratoire qui est attendue et qui devrait être maintenant adoptée !
Je ne reviendrai pas en détail sur les lois de 2015 et 2016, qui nous ont pourtant longuement occupés dans cet hémicycle. Je dois d’ailleurs dire que mon groupe a alors vécu de grands moments de solitude… Mais sachez que l’expérience quotidienne des professionnels et des bénévoles au contact des demandeurs d’asile et des étrangers nous livre déjà un état des lieux loin d’être réjouissant.
Et pour cause : en matière de délais d’examen des demandes d’asile, si nous nous plaignons aujourd’hui des réductions drastiques, souvenons-nous que c’est la loi de 2015 relative à la réforme du droit d’asile qui a instauré la procédure accélérée, l’OFPRA se voyant imposer pour traiter la demande un délai de quinze jours incompatible, à l’époque déjà, avec l’examen sérieux et approfondi du dossier.
En outre, alors que la législation demeurait silencieuse sur la rétention des mineurs étrangers, la loi que le gouvernement de l’époque a fait adopter en 2016 a consacré au niveau législatif l’interdiction de placer en rétention les parents accompagnés de mineurs. Toutefois, comme le Défenseur des droits l’a souligné, les dérogations prévues à cette interdiction sont telles que l’intervention législative de 2016 a tendu davantage à légaliser la rétention administrative des mineurs qu’à la prohiber…
S’agissant des étrangers malades, c’est la loi de 2016, encore elle, qui a transféré le dispositif d’évaluation médicale des étrangers des médecins des agences régionales de santé, sous la tutelle du ministère de la santé, à l’OFII, sous la tutelle du ministère de l’intérieur.
Vous l’aurez compris : nous sommes opposés à la logique dont le texte gouvernemental est porteur, parce qu’elle contrevient aux valeurs et principes fondamentaux de notre démocratie – j’en ai fait la démonstration précédemment.
Pour autant, nous nous interrogeons sur la cohérence de cette motion tendant à opposer la question préalable : si vous souhaitez, chers collègues du groupe socialiste et républicain, être des défenseurs de la juste cause des migrants, il faudrait porter un jugement plus sévère sur votre action passée, en particulier sur les lois de 2015 et 2016 !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Requier. Mon groupe vote par principe contre toutes les motions tendant à opposer la question préalable. Il s’agit là d’une position constante : nous avons récemment voté contre une telle motion déposée par le groupe Les Républicains et contre une autre déposée par le groupe communiste républicain citoyen et écologiste ; cet après-midi, ce sera contre une motion déposée par le groupe socialiste et républicain.
Nous sommes en effet pour le débat, pour la discussion, pour la séance, fidèles à l’héritage de la Gauche démocratique et de la tradition radicale-socialiste du Sénat. (Exclamations amusées sur plusieurs travées.)
Voilà pourquoi nous ne voterons pas la présente motion, ce qui, bien entendu, ne préjuge en aucune façon notre vote final. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. – Applaudissements amusés sur des travées du groupe Les Républicains, du groupe Union Centriste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifié bis, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 130 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 329 |
Pour l’adoption | 77 |
Contre | 252 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, à peine trois ans ont passé depuis la dernière réforme de l’asile et la dernière refonte du droit des étrangers, toutes deux menées par l’ancienne majorité ; trois années qui n’auront permis ni de faire un bilan précis de l’efficacité des mesures votées ni d’élaborer une véritable politique migratoire, ambitieuse et rationnelle.
Le texte que nous examinons en procédure accélérée est au moins le vingt-neuvième depuis la fin des années quatre-vingt. Notre législation tourne à vide. Elle ne semble avoir qu’une boussole : le Rassemblement national. Or ce n’est pas en s’alignant sur les thèmes du RN, ex-FN, que l’on réussira à faire reculer les votes en sa faveur, dixit Jacques Toubon lui-même.
On nous promettait un nouveau monde. Le candidat Macron rappelait, en janvier 2017 à Berlin : « On ne peut pas revoir nos valeurs à l’aune des risques du monde ». Fumée que cela ! De ce texte comme des autres, le demandeur d’asile sortira perdant.
Par son intitulé, ce projet de loi se veut rassurant. Mais il n’a qu’un but : décourager un peu plus ceux qui cherchent refuge chez nous ; ceux à propos desquels Mme la ministre Loiseau et M. le ministre d’État Collomb parlent avec cynisme de « submersion », de « shopping de l’asile » et de « benchmarking ».
Pour nos dirigeants, les exilés ne sont que des encombrants, un flux à gérer, un chiffre à réduire. Chacun sait que la prise en charge équitable des exilés par les pays de l’Union européenne est la seule issue. Mais ce n’est pas parce qu’il est urgent de mettre en œuvre une vraie politique européenne que la France doit tout s’autoriser.
Lisez le rapport 2018 de la Contrôleur général des lieux de privation de liberté, sur ce qui se passe à Menton : « La prise en charge quotidienne de personnes étrangères s’effectue dans des conditions indignes et irrespectueuses de leurs droits. »
Lisez le rapport d’Oxfam de ce mois sur la situation des exilés à la frontière franco-italienne. Il est aussi accablant pour la France que pour l’Italie.
M. François Bonhomme. Mais c’est le rapport Duflot !
Mme Esther Benbassa. Heureusement, notre pays a ses délinquants solidaires, ses associatifs, ses citoyens de bonne volonté qui, contre une opinion publique remontée, portent secours à ces sans-rien que d’aucuns rêveraient de voir tout simplement disparaître sous leur talon.
Une majorité de nos compatriotes était contre l’accueil de l’Aquarius dans l’un de nos ports. Et alors ? Faut-il les en féliciter ?
M. François Bonhomme. Faut-il les accabler ?
Mme Esther Benbassa. Ou faut-il féliciter le peuple espagnol d’avoir épaulé son gouvernement, plus de 1 000 bénévoles s’étant dévoués pour accueillir les rescapés ?
M. François Bonhomme. De belles âmes !
Mme Esther Benbassa. Quel contraste avec notre commission des lois, qui a même trouvé le moyen de supprimer le petit assouplissement que l’Assemblée nationale avait apporté en faveur des aidants au transport, en limitant à la marge notre définition du délit de solidarité !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Un encouragement à la fraude et aux filières ! (Marques d’approbation sur des travées du groupe Les Républicains – M. Pierre Charon applaudit.)
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président de la commission, je sais tout de même lire, un peu…
M. François Bonhomme. Alors, admettez-le vous aussi !
Mme Esther Benbassa. Décidément, rien ne doit brider l’œuvre de maltraitance de ce gouvernement. (Protestations sur des travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
À l’intention de sa droite, de la droite dure et même de l’extrême droite, l’exécutif fait miroiter un durcissement législatif susceptible de favoriser une augmentation des expulsions de migrants économiques et de déboutés du droit d’asile.
M. Bruno Sido. Tout en nuances…
Mme Esther Benbassa. En général, vous faites aussi dans la nuance, cher collègue ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – M. Éric Bocquet rit.)
Or les législateurs que nous sommes ne peuvent ignorer que le budget voté il y a quelques mois ne prévoit pas de moyens supplémentaires en matière de reconduite à la frontière : nous sommes donc face à un simple affichage.
Ces derniers mois, je me suis rendue à Calais, à Ouistreham, à Menton, dans les camps parisiens, dans maints lieux d’enfermement des étrangers, à la rencontre de ceux qui ne sont plus, dans le langage courant, que des « migrants ».
Ce glissement lexical contribue à semer la confusion entre immigration économique et accueil des réfugiés. Il revient à faire oublier les conventions internationales que nous avons signées.
Les « migrants », ceux de l’Aquarius et de tous les bateaux affrontant une Méditerranée meurtrière ; les « migrants » dont on retrouve le corps sans vie dans les Alpes après la fonte des neiges ; ces mêmes « migrants » de Calais et de la porte de la Chapelle sont des hommes, des femmes et des enfants, nos semblables !
Je terminerai en citant Danièle Lochak, professeur émérite de droit public. Peut-être ses propos sont-ils susceptibles d’éclairer le débat qui suivra : « Les analogies sont décidément troublantes entre l’attitude des États à l’égard des Juifs dans les années 1930… (Protestations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. C’est honteux !
M. François Bonhomme. C’est une insulte ! Calomnie !
Mme Esther Benbassa. … et celle qu’ils adoptent aujourd’hui à l’égard des réfugiés. » Je précise : bateaux refoulés inclus. (Mouvements divers.)
Chers collègues, c’est bien simple, à vous entendre, tout le monde ment, sauf vous !
Souvenons-nous du Saint-Louis, du Struma et d’autres. Contrairement à ce que l’on dit, l’histoire a la mauvaise habitude de se répéter – pour le pire. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, j’invite chacune et chacun d’entre vous à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les sénateurs centristes abordent ce débat avec deux convictions. Premièrement, le sujet brûlant des migrations et du droit d’asile est européen ; le bon niveau de solution est, en conséquence, l’échelle européenne. Deuxièmement, ce sujet doit être traité sans angélisme et sans surenchère ; il est politique et non technique.
L’Europe est, selon nous, le seul niveau auquel nous pouvons agir avec pertinence. Sur une échelle virtuelle, l’enjeu européen est de niveau 10, là où le débat franco-français serait de niveau 1. À cet égard – je ne vous le cache pas –, je m’étonne de l’intensité des débats à l’Assemblée nationale et de la passion qu’a inspirée le soutien, par ailleurs légitime, à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité dont nous venons de débattre.
Comment expliquer cette appétence française illimitée pour les débats idéologiques, alors que les enjeux sont ailleurs ? Chers collègues, pensez-vous vraiment que la Nation puisse se diviser au sujet des mouvements migratoires, dans un contexte démocratique européen pour le moins délicat ?
La question des frontières est bel et bien européenne.
Schengen ; FRONTEX ; la définition européenne du droit d’asile ; le dispositif de reconnaissance mutuelle des jugements statuant sur les demandes d’asile qui pouvait être espéré entre les États ; l’aide au développement qui été précédemment évoquée ; le prépositionnement de centres d’examen dans les pays d’origine ; la négociation avec les différentes autorités consulaires pour les laissez-passer ; le financement sur budget propre de l’Union européenne et, dans l’affirmative, selon des modalités à déterminer ; mais aussi la révision du règlement Dublin III, avec la responsabilité des pays de première arrivée ; le mécanisme, qui reste à travailler, de réallocation ; les règles évolutives – pardonnez-moi ces termes techniques – suivant le niveau d’urgence ou de flux : tous ces éléments constituent les véritables clefs de notre débat.
Au lendemain de l’affaire de l’Aquarius, dois-je vraiment insister sur cette dimension européenne ? Sans discourtoisie envers quiconque, notre regard doit probablement être plus tourné vers le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains que vers notre débat législatif en tant que tel.
Vous le savez, la souveraineté des États européens est collective. Elle est partagée pour ce qui concerne les enjeux migratoires et le droit d’asile. La question de l’État de droit, évoquée sur plusieurs travées, est redevenue cruciale en Europe, et pas seulement en Europe de l’Est. Enfin – vous le savez également –, l’Europe est attaquée dans sa souveraineté, dans sa capacité d’action politique et économique, par des pays adeptes des rapports de force, voir par des États historiquement amis.
C’est dire que nous ne pouvons pas nous permettre un désaccord de plus, sur le sujet migratoire.
C’est dire aussi que le combat développé par le Président de la République dans son discours de la Sorbonne, à Athènes, à Strasbourg, ou encore à Aix-la-Chapelle, que ce combat qu’il poursuit, et que les centristes mènent, pour leur part, de manière historique, pour redonner sens et efficacité à la construction européenne est, à nos yeux, le vrai combat de notre pays, celui dont dépend notre débat législatif.
Vous avez écouté notre rapporteur. Tel est aussi, en creux, l’enseignement des vingt-huit réformes du droit des étrangers que notre pays a adoptées depuis les années quatre-vingt et qui, selon nous de manière assez logique, n’ont pas donné satisfaction.
Cette question doit être traitée sans angélisme ni surenchère – je serais même tenté d’ajouter : ni instrumentalisation.
Madame la ministre, nous exprimerons une position assez proche de la vôtre. Nous avons entendu l’idée selon laquelle notre législation est largement perfectible, et nous en convenons. Toutefois, nous vous le répétons, les règles procédurales détaillées ne sont pas à la mesure des réalités que vous avez décrites.
Qui peut penser que des changements de procédure et des modifications de délais suffisent à constituer une politique d’ensemble ?
Ce projet de loi n’aborde pratiquement pas le droit de l’éloignement. Or ce droit provoque l’embolie de nos juridictions administratives. Il demande à être simplifié, au-delà de la question, également évoquée sur plusieurs de nos travées, des moyens humains et budgétaires.
À titre d’exemple, il existe à l’heure présente neuf régimes pour les obligations de quitter le territoire français, les OQTF ; et chacun de ces régimes comprend des sous-régimes et des exceptions.
À l’instar de M. le rapporteur, nous exprimons des réserves quant au volet « intégration » du présent texte : il est manifestement insuffisant. Notre pays n’assume pas sa responsabilité ou ne fait pas en sorte que les choses se passent si efficacement que l’on pourrait le souhaiter, pour les personnes que nous avons accepté d’accueillir sur le territoire et qui bénéficient du droit d’asile.
Chers collègues, nous ne suivrons pas les amendements de surenchère, par exemple pour ce qui concerne l’aide médicale de l’État, l’AME, ou le délit de solidarité. Nous ne suivrons pas davantage les amendements tendant à affaiblir l’efficacité nécessaire des moyens de régulation.
J’en viens aux trois sujets qui, selon notre analyse, seront les plus débattus.
Pour ce qui concerne l’extension du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours, nous suivrons le Gouvernement et la commission. En effet, ce que l’on appelle le séquençage a été simplifié. Le nombre de phases a été porté de cinq à trois, ce qui aura des conséquences pratiques, notamment la réduction des escortes.
En la matière, le contrôle sera exercé par le juge des libertés et de la détention.
Nous prenons en compte le besoin, exprimé par le Gouvernement, de pouvoir négocier avec les États des laissez-passer consulaires et de disposer de davantage de temps à cette fin.
Pour ce qui concerne la rétention limitée à cinq jours pour les mineurs accompagnants, nous vous suivrons également, même si, nous en convenons, il s’agit là d’un sujet complexe.
Autant nous apprécions l’inscription, dans le projet de loi, de l’interdiction de rétention pour les mineurs dits « isolés », autant nous pensons que la question des mineurs dits « accompagnants » est spécifique et que l’on ne peut pas créer une immunité à l’éloignement, dans le cas où les familles seraient séparées. Cela étant, il faut bien entendu disposer de logements dits « adaptés » pour respecter les prescriptions de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH.
Pour ce qui concerne la réduction de 30 à 15 jours du délai de recours devant la CNDA, nous serons attentifs aux débats de la Haute Assemblée.
Madame la ministre, nous sommes quelque peu réservés à cet égard. Selon nous, le gain qu’assurerait cette réduction n’est pas vraiment perceptible. Voilà pourquoi nous fondrons notre appréciation sur l’issue de nos discussions.
Enfin, nous serons attentifs au traitement des migrations en Guyane et à Mayotte. Comme l’a souligné notre collègue Thani Mohamed Soilihi, ce sujet exige des dispositifs tout à fait spécifiques. Peut-être la révision constitutionnelle traitera-t-elle de cette question ; encore faut-il qu’elle aboutisse…
Chers collègues, je vous remercie de votre attention, et je signale à M. le président que j’ai bien respecté mon temps de parole ! (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste. – M. le président de la commission des lois applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à formuler quelques remarques, sur ce projet de loi et sur le contexte dans lequel il s’inscrit.
Premièrement – je le souligne à mon tour –, le présent texte prolonge une frénésie législative : en la matière, vingt-huit lois ont été adoptées depuis les années quatre-vingt. Le Conseil d’État a dénoncé le manque d’évaluation qu’ont subi les derniers textes votés. Or – on le sait bien –, aujourd’hui, la priorité est de donner à l’OFPRA, à la CNDA et aux préfectures les moyens de mettre en œuvre la politique définie par les lois en vigueur.
Deuxièmement, nous sommes face à un amalgame. D’un côté, il y a l’asile, qui est constitutif de notre identité depuis 1793 : le peuple français « donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté. – Il le refuse aux tyrans. » Le droit d’asile est également inscrit dans la convention de Genève de 1951. Il s’agit là d’un engagement par lequel la France a tiré les conséquences des drames de la Seconde Guerre mondiale. Mais le présent texte traite également de la gestion de l’immigration, ce qui nous empêche de travailler tranquillement à l’attractivité de notre pays, pour attirer les talents, notamment les étudiants, et de travailler correctement sur les questions d’intégration. À cet égard, ce projet de loi marquera même un recul.
Troisièmement, nous sommes face à une tromperie : l’architecture de ce texte, comme le discours qui l’accompagne, est fondée sur la lutte contre la fraude ; comme si toutes les personnes qui viennent demander l’asile étaient de faux demandeurs d’asile ! Comme si toutes les personnes qui veulent venir en France ne devraient pas le faire !
Pourtant, depuis 2011, le nombre de demandes admises par l’OFPRA et par la CNDA a augmenté, en valeur absolue comme en valeur relative. Chaque année, de plus en plus de demandes sont reconnues par ces deux structures comme étant légitimes. Ainsi, la question numéro un n’est pas : comment lutter contre la France ?, mais : comment réussir l’intégration de ceux que nous accueillons et comment mieux accueillir ? Ce projet de loi fait tout le contraire.
J’ajoute à l’intention de Mme Assassi que ce texte est en rupture avec la loi Cazeneuve. Cette dernière faisait le pari que l’on pouvait développer les droits, en particulier par la présence des tiers lors des entretiens de l’OFPRA et par la garantie d’un recours suspensif devant la CNDA. Elle faisait le pari qu’en développant les droits, l’on accroîtrait l’efficacité. Ce projet de loi fait tout le contraire.
Emmanuel Macron tient, à longueur de journée, un discours de solidarité européenne. Mais la politique qu’il mène depuis quelques semaines en matière de migrations fait tomber le masque : M. Macron n’est qu’un Viktor Orbán en bas de soie ! (Protestations sur les travées du groupe La République En Marche et du groupe Les Républicains.)
M. Alain Richard. Quelle pitrerie !
M. Roger Karoutchi. Même moi, je n’aurais pas osé… (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Yves Leconte. Chers collègues, les migrations – je le relève à mon tour – sont aussi vieilles que l’humanité. La Banque mondiale considère que, en 2050, la mobilité climatique touchera, à elle seule, plus de 140 millions de personnes.
En 2016, plus de 66 millions de personnes ont quitté leur pays. Où sont-elles allées ? Pour 30 %, elles ont gagné l’Afrique subsaharienne ; pour 26 %, l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient ; pour 11 %, l’Asie ; pour 17 %, l’Europe, et pour 16 %, l’Amérique.
Finalement, nous ne gérons que 17 % de cette mobilité ; et, parmi les 1,2 million de primo-arrivants qu’a dénombrés l’Europe en 2016, 77 000 ont gagné la France. Sur les 650 000 primo-arrivants de 2017, 91 000 sont venus en France. Voilà ! Nous disons avoir beaucoup de difficultés ; mais finalement, relativisons-les, par rapport à celles qu’éprouvent nos voisins.
Madame la ministre, le texte que vous défendez marquera une vraie rupture pour ce qui concerne les droits des demandeurs d’asile.
La procédure normale devant l’OFPRA sera réduite de 120 à 90 jours.
Vous auriez souhaité limiter à 15 jours le délai de recours devant la CNDA, mais M. le rapporteur est revenu sur cette disposition.
En cas de procédure accélérée, le recours devant la CNDA ne sera plus suspensif : la personne sera donc susceptible de ne plus être là lorsqu’elle sera convoquée à la CNDA !
Et que dire des vidéo-audiences ? Elles sont sans garanties ! Il n’y a pas davantage de garanties pour les langues. Au titre de l’orientation directive, on pourra envoyer quelqu’un dans une région sans lui assurer un hébergement. Ce sont autant de violations du droit d’asile qui s’ajoutent les unes aux autres et qui sont dans ce projet de loi.
Vous pourrez nous dire qu’il s’agit de rationaliser les dispositifs en vigueur. Mais ce n’est pas sérieux ! Nous parlons de personnes qui viennent de subir des traumatismes. Que ce soit à leur point de départ ou au cours de leur voyage, elles ont énormément souffert : nous avons vu les témoignages des passagers de l’Aquarius. De plus, ces personnes ne connaissent pas les règles en vigueur chez nous. On ne peut pas réformer les dispositifs de cette manière.
L’allongement du délai maximal de rétention de 45 à 90 jours participe de cette politique d’affichage.
Cela étant, je tiens à saluer M. le rapporteur, qui a revu quelques dispositions de ce projet de loi.
Ainsi, le délai de recours devant la CNDA restera de 30 jours ; pour les enfants, le séjour en centre de rétention a été limité à 5 jours – bien sûr, nous combattrons cette mesure, mais nous préférons encore ce délai à celui de 90 jours.
De plus, monsieur le rapporteur, vous avez rétabli l’hébergement directif, et nous vous en remercions.
Toutefois, avec cette réforme, on observe également les réflexes habituels de la majorité sénatoriale. Je pense notamment à la politique de quotas ;…
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. Jean-Yves Leconte. … aux OQTF automatiques après une décision négative de la CNDA ; à la suppression de l’aide médicale de l’État ; à la liaison entre les laissez-passer consulaires et les délivrances de visas chez nos partenaires. Les élus du groupe socialiste et républicain s’opposeront à toutes ces mesures.
Nous défendrons l’abrogation du délit de solidarité, en réécrivant le délit d’exploitation de la misère humaine.
Nous proposerons la création d’un délit d’entrave au droit d’asile, car, face aux milices privées qui s’approprient la défense ou la pseudo-défense, nous devons appliquer la tolérance zéro. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Nous lutterons contre l’interdiction de territoire français pour les personnes en besoin de protection.
Nous défendrons un usage solidaire des dispositions actuelles de Dublin, pour que l’ensemble des personnes qui n’ont pas fait, préalablement, une demande d’asile, puissent la déposer en France.
M. Jean-Yves Leconte. Nous défendrons une protection de l’enfant plus efficace, en interdisant l’enfermement des enfants.
Enfin, nous défendrons un droit à l’autonomie des demandeurs d’asile en affirmant un droit à la formation linguistique et au travail, dès que les directives européennes le permettront.
En Europe, l’axe anti-immigration qui se profile, entre Munich et Rome, est très dangereux.
Jean-François Rapin a décrit toutes les conséquences que pouvait entraîner la question des frontières de l’Europe ; il a détaillé les problèmes humanitaires et la dégradation des droits qui pouvaient en résulter. Nous ne pouvons pas accepter cette évolution.
Or, pendant que se dessine cet axe, nous assistons au naufrage moral de l’Europe, avec l’affaire de l’Aquarius.
En l’espèce, la France ne peut pas rester en position d’observatrice. Nos textes contiennent cette obligation constitutionnelle : faire respecter le droit d’asile, lequel est constitutif de notre identité.
Il y a quelques années, nous avons renforcé le mandat de FRONTEX pour consolider les frontières de l’Union européenne. Dès lors, nous devons, en même temps, obtenir une réforme de l’asile, qui passe par un assouplissement du règlement de Dublin, par un renforcement de la solidarité entre les pays européens.
Il faut faire converger les procédures de demande d’asile entre les pays européens et dédramatiser ce qui concerne le pays de premier accueil et d’étude de la demande d’asile. À cette fin, il faut donner à toute personne bénéficiant de la protection un droit égal à celui dont dispose tout citoyen européen pour sa circulation sur l’ensemble du territoire.
La France ne peut pas se féliciter des progrès de la francophonie, la démographie africaine permettant de porter à 800 millions le nombre de locuteurs français d’ici à quelques décennies, et, en même temps, fermer la porte à l’Afrique. Une telle attitude est tout simplement irresponsable.
Nous avons une responsabilité particulière en la matière. Nous devons favoriser des mobilités construites et organisées ; détruire les mythes qui poussent tant d’hommes et de femmes à prendre le chemin de l’exil et, ce faisant, permettre à chacun d’avoir sa chance, de connaître ce qu’est l’Europe et de retourner dans son pays. Mais, à cet égard, il ne faut certainement pas lier les laissez-passer consulaires à la délivrance des visas !
Il n’est pas sérieux d’imaginer que nos relations bilatérales soient totalement liées à la manière dont tel ou tel pays, par exemple le Mali, le Maroc ou l’Algérie, délivre des laissez-passer consulaires : ce n’est tout simplement pas sérieux. Une telle mesure ne résiste pas à l’analyse, d’autant que nous avons d’autres priorités avec ces pays.
Pour ce qui concerne l’Europe dans son ensemble, il faut en être bien conscient : faute de disposer d’une opinion publique résiliente, acceptant le principe d’un accueil minimal, nous présentons aujourd’hui une immense faiblesse par rapport à nos voisins.
Voyez l’évolution qu’a suivie la Turquie depuis deux ans ; c’est pourtant ce pays qui, depuis 2016, a permis de réduire le nombre de personnes qui sont arrivées en Europe. Voulez-vous vraiment, parce que nous ne sommes pas résilients, affaiblir tous nos voisins, les faire évoluer vers des systèmes qui ne sont pas conformes à nos valeurs ?
Ce débat est essentiel. Il est essentiel pour l’avenir de l’Europe. Il est essentiel pour la manière dont nous allons construire nos relations avec l’ensemble de nos partenaires dans le monde.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Cette discussion porte sur les valeurs. N’ayons pas peur. Ne doutons pas de leur puissance de conviction, si nous savons les faire vivre, si nous savons convaincre qu’elles sont toujours actuelles : tout dépend de notre comportement.
M. Roger Karoutchi. C’est fini !
M. le président. Monsieur Leconte, je vous demande de conclure.
M. Jean-Yves Leconte. J’espère que, avec ce débat, nous pourrons faire vivre et la liberté, et l’égalité, et la fraternité (Exclamations sur diverses travées.), bref, que nous pourrons faire vivre notre devise républicaine ! (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la crise des migrants est un drame européen.
Le présent texte, à lui seul, ne permettra pas de résoudre une question qui est véritablement existentielle pour l’Union européenne. On pourra l’utiliser à des fins politiques, l’accuser d’être laxiste, ou encore d’être trop dur. Mais il faut garder à l’esprit que l’essentiel se joue ailleurs ; l’essentiel se joue à Bruxelles.
Hélas, la politique commune de l’asile et de l’immigration a jusque-là été un échec patent. Construite pour des flux faibles, elle n’a pas résisté à un afflux massif de réfugiés politiques et économiques. Le système Dublin III, adopté dans l’urgence, s’est révélé impuissant à enrayer le phénomène.
J’insiste, l’Union européenne est aujourd’hui placée face à un dilemme existentiel : se réformer efficacement ou voir la solidarité des États membres se déliter jour après jour. Le Conseil européen des 28 et 29 juin devra prendre des positions claires.
Cette crise, effectivement, est aussi une crise de solidarité des États membres. Les populistes de tous bords surfent sur la vague migratoire pour remettre en question le projet européen. L’exemple dramatique de l’Aquarius illustre ce cynisme destructeur, qui met en péril la cohésion des Européens.
J’ajoute, mes chers collègues, que l’échelle européenne est également la plus pertinente pour définir une politique commune d’attraction des talents, à la mesure de celle qui se pratique, par exemple aux États-Unis, avec la green card, ou au Canada. L’extension du passeport talent, prévue dans le projet de loi, est une bonne chose.
Nous devons nous donner les moyens d’attirer les scientifiques, les artistes, les chefs d’entreprise les plus talentueux du monde pour faire rayonner notre pays et notre continent. L’Union européenne ne deviendra pas « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », pour reprendre les termes de la stratégie de Lisbonne, sans s’ouvrir aux compétences du monde entier.
Madame la ministre, mes chers collègues, que ceux qui réclament moins d’Europe et, en même temps, le règlement de la crise des migrants regardent la vérité en face : la solution au problème des migrations et de l’asile sera politique, elle sera européenne, elle sera collaborative ou elle ne sera pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires et sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, que des groupes ayant un temps de parole de dix minutes le dépassent de trente secondes, soit ! Mais quand un groupe divise son temps de parole en trois interventions de deux minutes et le dépasse, à chaque fois, de trente secondes, il l’accroît très nettement. J’en appelle à votre vigilance.
La parole est à M. Guillaume Arnell. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’actualité fait une fois de plus écho à nos débats. L’intervention de l’Aquarius a permis d’éviter un nouveau drame en Méditerranée : 629 vies ont été sauvées !
Bien qu’il ne concerne qu’une partie très minoritaire de la population en France, le droit des étrangers a été très régulièrement modifié depuis les années quatre-vingt, avec pas moins de vingt-neuf textes sur le sujet. Comment expliquer cette surreprésentation législative ?
La première raison que l’on peut avancer est l’inadaptation de la méthode retenue.
L’arrivée d’étrangers sur le territoire national continue d’être abordée comme un phénomène conjoncturel, une crise passagère, alors que, compte tenu de l’évolution structurelle des flux migratoires et de la permanence des conflits suscitant l’exil – Irak, Syrie, Afghanistan, pour ne citer que ces pays –, il est indispensable d’adopter une démarche plus prospective.
Il faut totalement repenser notre système d’accueil et d’intégration, de l’hébergement d’urgence à l’exécution des décisions administratives.
Partout en Europe, le populisme gagne du terrain en se nourrissant de la question migratoire. Une approche globale est donc absolument nécessaire, si l’on veut que les Français ne perçoivent pas notre politique d’accueil et d’intégration comme une charge déraisonnable et contraire à leurs intérêts.
Il faut avoir présent à l’esprit que cette vision négative est liée au sentiment de déclassement éprouvé par certains de nos concitoyens et au renforcement des inégalités.
À ce titre, nous sommes nombreux à penser que ce débat se serait déroulé dans un contexte plus satisfaisant s’il s’était inscrit dans la continuité de mesures destinées à restaurer la justice sociale dans l’ensemble des territoires de la République. En effet, chaque réforme du droit des étrangers et des demandeurs d’asile est essentiellement politique et ne peut être présentée comme une simple réponse à une crise ou une mise en conformité avec le droit européen ou international.
Malgré les textes à valeur supralégislative, l’accueil de réfugiés, la reconnaissance d’un droit au séjour ou l’attribution de la nationalité française restent des décisions unilatérales. Chaque modification de ces droits est un miroir tendu vers notre société, une invitation à redéfinir collectivement ce que nous sommes.
Dans cet effort de définition, notre histoire devrait nous guider autant que les défis contemporains qui surgissent.
Dans un passé pas si lointain, réfugiés et immigrés étaient perçus comme des vecteurs de rayonnement de la France dans le monde.
Cela me conduit à la seconde cause de la multiplication des lois relatives aux droits des étrangers : l’interdépendance de nos sociétés contemporaines. Lorsque l’on se place dans une logique de régulation des flux migratoires, et non plus seulement d’accueil ou d’intégration, la coopération avec l’ensemble des États devient une nécessité absolue.
Malgré notre impuissance à imposer à nos partenaires la généralisation de pièces d’identité, ce qui faciliterait considérablement la gestion de la politique migratoire, il faut se garder de vouloir apporter des solutions législatives affectant les libertés fondamentales sans s’assurer au préalable de leur efficacité.
Je pense tout particulièrement au problème des laissez-passer consulaires. L’étude d’impact produite par le Gouvernement est muette sur ce point-là. La solution législative proposée par le rapporteur, consistant à conditionner la délivrance de visas individuels à la propension des États à délivrer des laissez-passer, bien qu’intéressante, nous paraît trop contraignante pour nos services diplomatiques.
L’interdépendance de nos sociétés nous impose également de dresser un état des lieux approfondi de notre politique de codéveloppement et de nous départir d’idées préconçues. Les trajectoires de certains États, comme le Kenya, où l’immigration a été considérablement réduite, doivent être examinées de plus près, afin d’inspirer des solutions durables.
Madame la ministre, mes chers collègues, après ces constats, vous l’aurez compris, le texte amendé et singulièrement durci par la commission des lois n’obtiendra pas l’adhésion du groupe du RDSE.
Même en reconnaissant les différentes pressions migratoires existant d’un territoire à un autre, le projet de loi n’y apporte pas de réponse.
En particulier, la situation des outre-mer est largement sous-estimée. Je pense notamment à Mayotte et à la Guyane, mais également à mon territoire, Saint-Martin, qui doivent faire face à un afflux important de migrants au regard de leur taille ou de leur population, fragilisant fortement les équilibres locaux.
Un seul article est consacré au schéma national d’orientation et ne permettra pas de pallier les difficultés chroniques dans les services publics régaliens ou de garantir des solutions d’hébergement d’urgence effectives.
De même, l’absence de dispositions contraignantes relatives à la question des futurs réfugiés climatiques, tout comme le nombre limité des mesures relatives à l’intégration sont symptomatiques de la faiblesse de la démarche prospective que j’évoquais précédemment.
Ce texte ne présente pas davantage de solutions pour lutter contre la traite d’êtres humains à laquelle se livrent les passeurs.
Nous proposerons donc une série d’amendements, visant plusieurs objectifs.
L’amélioration de la protection des mineurs, même accompagnés. Une réflexion pourrait s’ouvrir sur les moyens d’offrir un accueil plus adapté aux mineurs isolés étrangers et sur les possibilités de recourir, pour eux, à l’adoption.
La facilitation du codéveloppement. Le but serait de faire émerger des alternatives politiques partout où les États vacillent.
D’autres amendements, inspirés de nos visites et de nos auditions, tendront à garantir une plus grande qualité d’interprétariat et à mieux répartir les différents publics en centre de rétention administrative.
Enfin, nous proposerons de confier un rôle plus important aux élus locaux dans la procédure de régularisation administrative, eux qui sont souvent les premiers témoins de la volonté d’intégration de chacun. À titre d’illustration, je suggère la création d’un office des migrations à Saint-Martin, pour mieux coordonner la délivrance des titres de séjour et de travail.
Mes chers collègues, je reste convaincu que notre pays, sixième puissance économique mondiale, dispose des ressources intellectuelles et matérielles pour mieux répondre aux défis posés par ce siècle, pour entraîner avec lui ses partenaires européens et influer sur le reste du monde.
Dans sa forme actuelle, le groupe du RDSE s’opposera unanimement à l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat sur ce projet de loi sera un échange de visions politiques. Pour notre part, nous soutiendrons celle qui est portée dans ce texte, avec un double objectif : rester fermement engagés pour l’accueil des réfugiés politiques et renforcer notre capacité à maîtriser l’immigration économique.
Nous entendons – nous l’avons entendu ici – l’expression d’un secteur de l’opinion qui réfute cette distinction, préférant employer le terme nouveau d’« exilés », précisément pour confondre ensemble réfugiés politiques et immigrés économiques.
Cette distinction est pourtant nécessaire et équitable. Faute de la formuler avec clarté, on facilite l’excès contraire, le choix des populistes xénophobes qui, eux, veulent refuser tous les réfugiés et tous les immigrés. C’est l’opinion exprimée aujourd’hui, souvent avec brutalité, par plusieurs gouvernements de l’Union européenne.
J’en viens justement au sujet de l’Europe, car l’une des esquives – pardonnez-moi cette expression – qui risquent d’être employées dans ce débat consistera à tout renvoyer vers l’Union européenne, pour s’abstenir de légiférer.
Ayons pourtant claire à l’esprit une réalité déplaisante. Les traités fondant la construction européenne, telle qu’elle est, traités conclus entre vingt-huit démocraties, ne donnent pas compétence à l’Union européenne pour statuer sur le droit pour les étrangers d’entrer sur le sol européen. C’est une matière de souveraineté nationale et nous ne pourrons progresser vers une action harmonisée que par de nouveaux accords, qui exigeront le consentement de vingt-sept gouvernements et de vingt-sept parlements exprimant aujourd’hui des approches très différentes.
L’agence européenne de l’asile et du séjour proposée par le président Emmanuel Macron exigera un effort, que nous devons soutenir sans nous bercer d’illusions. Pour conclure des accords nouveaux, on en passera nécessairement par des compromis difficiles et sans doute partiels, unissant une partie, seulement, de l’Union européenne.
Cela ne peut par conséquent pas nous dispenser, aujourd’hui, de débattre et de décider pour notre propre droit.
Donc oui, il faut adopter les nouvelles dispositions proposées, qui statuent sur la situation réelle !
Il faut prévoir des outils améliorés, pour accélérer l’attribution du titre de réfugié à toute personne apportant la justification des persécutions qu’elle encourt du fait d’une crise ou d’un conflit dans sa région d’origine. Cette reconnaissance, et le projet de loi le permet, doit se faire en donnant à chacun toutes les garanties du droit pour plaider sa cause dans un processus équitable.
À ce titre d’ailleurs, je souhaite rendre hommage – c’est une position largement partagée, je crois – aux personnels et membres de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et aux magistrats de la Cour nationale du droit d’asile. Ils s’acquittent, de manière remarquable, d’un travail particulièrement contraignant.
Ce projet de loi doit aussi donner à l’autorité publique les moyens d’éloigner du territoire les personnes jugées comme n’étant pas dans une situation de réfugié politique – le sujet est alors le même que celui de l’immigration irrégulière. Laisser cette question irrésolue, ce qui me semble être la tentation d’une partie des adversaires du texte, équivaut – j’y insiste – à dénaturer le droit d’asile, qui appartient à notre tradition protectrice issue des Lumières et de la Révolution française.
L’ouverture de notre sol à l’immigration se manifeste essentiellement par le droit à la réunion des membres de la famille, dès lors qu’une personne, au moins, est déjà sur le sol français. Ce droit concerne la très nette majorité des entrées régulières et c’est là, essentiellement, que se déploie l’effort d’intégration.
Accepter une ouverture non maîtrisée à une immigration économique, dans notre contexte démographique et social, c’est en réalité se résigner à des situations de marginalité sociale et d’économie grise, qui porteraient – et portent déjà – gravement atteinte à notre cohésion sociale. Je ne parle même pas du rôle des filières mafieuses et meurtrières qui s’enrichissent dans ces trafics…
Cette action dans le sens de la maîtrise suppose un dialogue organisé avec les pays d’origine des flux migratoires, appartenant essentiellement, pour la France, à l’Afrique francophone. Le Président de la République et le Gouvernement en font, à juste titre, un axe majeur de notre politique d’aide au développement. Mais permettez-moi cette réflexion, monsieur le rapporteur : des actions géopolitiques de cette nature ne peuvent être menées au travers de la loi ; elles dépendent de l’action du pays à l’international.
En outre – c’est un perfectionnement souhaitable du projet de loi, madame la ministre, et nous plaiderons en sa faveur –, il faut traiter les situations les plus critiques de certains de nos départements d’outre-mer. Nous appuierons donc fortement l’amendement de notre collègue Thani Mohamed Soilihi relatif au droit de la nationalité spécifique à Mayotte.
Notre débat sera par conséquent un test de volonté politique face au réel, même si nous avons à approfondir les modalités au cours du débat des articles.
Adopter un texte d’équilibre et de clarification de nos règles, en soutenant une politique européenne et internationale de rééquilibrage et de maîtrise des mouvements migratoires, c’est une prise de responsabilité. Mon groupe l’assume avec détermination ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, qui représentons-nous ? Qui sommes-nous ? Nous sommes le Sénat de la République – pour le moment en tout cas, madame la ministre. (Sourires.) Nous sommes, au travers des collectivités territoriales, les représentants des Français.
J’aimerais pouvoir dire la même chose que nos philosophes positivistes. Oui, ils l’avaient dit, le XXe siècle serait le siècle de la prospérité pour la Terre entière ; il a été le siècle des massacres et des guerres !
Le XXIe siècle, mes chers collègues, ne sera pas forcément non plus celui de la prospérité générale… Effectivement, c’est le vingt-neuvième texte sur l’immigration et le droit d’asile. Pourtant nous ne pourrons pas faire en sorte que tout le monde vive dans un pays prospère et en paix !
Je le dis, il n’y a pas dans cet hémicycle, d’un côté, les généreux et, de l’autre, les égoïstes ! En réalité, une question se pose : que peut-on faire ? Qu’est-on capable de faire ?
Pendant des années, à la commission des finances, j’ai été le rapporteur spécial du budget sur la mission relative à l’immigration et au droit d’asile. Pendant des années, en vain, j’ai alerté gouvernements de gauche et de droite confondus – ce sera peut-être le cas, bientôt, avec le gouvernement En Marche Ce n’est pas possible ! Comme dirait l’autre, il faut du pognon ! (Nouveaux sourires.) Or, il n’y en a pas, pas plus pour l’intégration ou le raccompagnement aux frontières que pour le reste !
Nous pouvons élaborer des textes merveilleux, des textes incantatoires. Sans budget, le résultat est néant !
Or la réalité – je m’adresse à tout le monde –, c’est que nous ne sommes plus la France des trente glorieuses. La France sans déficit, sans dette. La France du plein emploi, qui construisait des logements et incitait les gens à venir : « Venez, nous vous offrirons un emploi, nous vous trouverons un logement ».
Depuis trente ans, c’est le chômage de masse ! Depuis trente ans, c’est le déficit ! Depuis trente ans, c’est la dette ! Mais nous continuons à tenir les mêmes discours et à affirmer que nous sommes en situation d’accueillir. Ce n’est pas vrai !
Que l’on ne vienne pas me dire que l’on assure cet accueil aujourd’hui ! Dans toute l’Île-de-France et dans nombre de nos grandes villes, des campements de migrants naissent ; on nous explique qu’on va mettre ces migrants en sécurité, ce qui consiste à aller les chercher pour les installer provisoirement dans un gymnase ; trois mois après, il faut évacuer le gymnase et on les réinstalle ailleurs, dans un autre gymnase.
On a beau avoir construit des places d’accueil – et je reconnais que le gouvernement de François Hollande en a construit pas mal –, c’est encore loin d’être suffisant. Quand on passe de 50 000 à 100 000 demandeurs d’asile en cinq ans, on ne peut pas suivre ! Comment voulez-vous être en situation d’absorber un tel flux migratoire en provenance de l’Est et de la Méditerranée, en l’absence d’argent et de moyens, alors que sévit un chômage de masse ?
Dans la France fracturée d’aujourd’hui, il faut donc prendre des mesures, sans pour autant envisager une fermeture complète.
Car le mouvement naturel de générosité, c’est d’abord le droit d’asile, un droit d’asile qui ne date pas de la Révolution, madame la ministre, mais qui existait déjà du temps de la monarchie. Les règles régissant le royaume de France le reconnaissaient et, aujourd’hui, ce droit d’asile doit être préservé.
Pour autant, on le sait, que ce soit par l’OFPRA ou par la CNDA, sur les 100 000 demandeurs d’asile, 25 000 à 30 000 personnes obtiennent une réponse positive, alors que, par le passé, le taux avoisinait 20 %. Cela signifie que le droit d’asile est systématiquement détourné pour servir une filière d’immigration économique, qui, par ce biais, essaie d’entrer sur le territoire.
On sait aussi – de nombreux orateurs l’ont dit – qu’il n’y a malheureusement pas de raccompagnements aux frontières. C’est bien de l’écrire dans les textes de loi, madame la ministre, mais c’est mieux de prévoir le budget qui va avec !
Quand l’argent, les moyens de transport, les effectifs policiers pour effectuer ces raccompagnements viennent à manquer, vous finissez par créer, au sein de la société française, un sentiment absolument insupportable : qu’ils soient en situation régulière ou en situation irrégulière, les gens sont là !
Peu importe qu’ils aient passé les étapes pour obtenir le droit d’asile, la régularisation ; peu importe qu’ils aient appris à parler le français ou participé à ces cours d’éducation civique qu’il faut renforcer, comme je ne cesse de le dire à l’OFII. Aucune intégration sur le territoire de la République ne pourra se faire si l’on ne veille pas à ce que les personnes présentes sur ce territoire parlent français, connaissent la société française et en respectent les règles !
Nous, parlementaires français, avons à définir ce qui est possible. Je ne prétends pas que ce soit glorieux ni merveilleux. Je dis simplement : au vu de ce que nous avons en notre possession et de ce qui est notre responsabilité à l’égard de l’ensemble des Français, pouvons-nous courir le risque de fracturer encore plus la société française, en accueillant massivement, sans avoir la capacité – matérielle, financière, ni même morale – d’intégrer ?
Que voulons-nous ? Voulons-nous être le suivant sur la liste, après la Hongrie, la Slovaquie, l’Italie, l’Autriche ?…
Oui, il faut un texte, madame la ministre. Mais pas le vôtre, auquel je préfère celui de la commission !
Certains de nos amendements seraient de la surenchère… Surenchère par rapport à quoi, mes chers collègues ?
J’entendais tout à l’heure l’oratrice du groupe CRCE, pour qui j’ai beaucoup d’estime, dire que c’était comparable aux années 1930. Non ! Ce ne le serait que si nous étions défaillants. Ce ne le serait que si nous ne pouvions pas dire : la France généreuse a d’abord conscience de ce qu’elle doit à son peuple ; elle ouvre, oui, mais en fonction de ses capacités.
Elle ouvre aux demandeurs d’asile, à ceux qui y ont droit parce qu’ils sont martyrisés dans leur pays ou victimes de la guerre. Pour ce qui concerne l’immigration économique, elle ouvre en fonction de sa capacité, et aujourd’hui, avec le chômage de masse, on sait que celle-ci est faible.
Mes chers collègues, nous sommes en premier lieu responsables devant le peuple français dans toute sa diversité – diversité des situations sociales, diversité des origines. Ne vous faites pas d’illusions ! Les fractures sociales seront d’autant plus nettes que nous ne serons pas maîtres de la situation et capables de nous imposer. Et je ne veux pas que la France soit l’Autriche ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je ne vais pas convoquer le positivisme et Auguste Comte, cher à Roger Karoutchi. Mon propos sera simple, comme l’était, d’ailleurs, le reste de son discours.
Au vu des difficultés majeures que notre pays rencontre en raison des flux migratoires, nous aurions aimé trouver, dans le projet de loi initial pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, la traduction d’une stratégie, d’une vision, d’une politique s’appuyant sur le constat, lucide et éclairé, des défis à relever.
Car ce ne sont pas de simples mesures d’ajustement, de petits aménagements procéduraux ou encore de dispositions purement techniques dont la France a besoin !
La commission des lois du Sénat l’a bien compris, puisqu’elle a proposé un contre-projet réaliste, reposant sur un équilibre entre fermeté et humanité. Je tiens donc à saluer le travail de réécriture qui a été effectué.
Parmi les nombreuses dispositions adoptées, apportant des réponses cohérentes à des difficultés majeures, je veux en souligner quelques-unes, comme le remplacement de l’aide médicale de l’État par une aide médicale d’urgence, le renforcement des conditions du regroupement familial ou la réintroduction de la visite médicale des étudiants étrangers, afin de répondre à un grave enjeu de santé publique.
La commission des lois a également interdit le placement en rétention des mineurs isolés et encadré rigoureusement celui des mineurs accompagnant leur famille.
Elle a supprimé la circulaire Valls, précisant les conditions d’admission au séjour des étrangers en situation irrégulière, qui avait permis, sur la période 2012 à 2017, la régularisation de plus de 180 000 ressortissants étrangers séjournant illégalement en France. Or, si l’acquisition de la nationalité française vient couronner un processus d’intégration et d’assimilation, en aucun cas elle ne doit être un droit automatique !
Enfin, je me félicite que la commission ait souhaité l’accompagnement et le soutien des collectivités territoriales, avec la création d’un fichier national biométrique des personnes déclarées majeures à l’issue de leur évaluation par le département et l’insertion des places d’hébergement des demandeurs d’asile dans le décompte des logements sociaux de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU.
Madame la ministre, mes chers collègues, il est grand temps d’adopter des mesures à la hauteur de la gravité de la situation – nationale et internationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Charon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Pierre Charon. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’immigration est un sujet dont nous parlons beaucoup, mais sur lequel nous faisons encore assez peu.
Pourtant, l’actualité est là, sous nos yeux : des frontières allégrement franchies, des navires traversant la Méditerranée, des pays débordés et des opinions publiques inquiètes, à qui l’on répond parfois avec condescendance ou mépris !
Ne soyons pas idylliques à propos de ces flux migratoires. Je sais qu’il existe des situations de détresse, qui peuvent émouvoir, mais il y a aussi des passeurs et des réseaux qui exploitent ces trafics sans la moindre vergogne. Il n’y a pas que des gens qui veulent tenter leur chance ; il y a aussi des mafias et des trafiquants de drogue. L’immigration sauvage intéresse aussi les profiteurs, voire les terroristes.
Un pays qui maîtrise ses flux migratoires accueillera mieux ceux qui veulent s’intégrer. La France n’est pas une terre à prendre, mais un pays à aimer ! N’ayons pas honte d’être fermes et exigeants ! Notre pays a toujours accueilli les bonnes volontés, dont certaines ont même accepté de mourir pour lui. Ce sont curieusement ceux dont on entend le moins parler, parce qu’ils ont l’humilité de ne pas prendre nos bonnes consciences en otage.
Il y a aussi la cohorte de ceux qui abusent, parce que la France apparaît comme un pays qui offre une protection sociale et des allocations. Mon pays n’est pas un numéro de sécurité sociale ou un distributeur de prestations qu’il suffirait d’obtenir en cochant la case d’un formulaire !
Parce que le « en même temps » donne des solutions boiteuses et floues, pour ne pas dire communautaristes, en matière d’immigration, le projet de loi soumis au Sénat était inquiétant.
À cet égard, je voudrais saluer le travail du président de la commission des lois, Philippe Bas, et du rapporteur François-Noël Buffet, qui n’ont pas hésité à apporter les corrections nécessaires à un texte dans lequel figuraient parfois des dispositifs irresponsables.
Notre philosophie est celle de la responsabilité, non celle de l’angélisme. L’instauration d’un débat sur la politique migratoire, tout comme l’identification de nos besoins, est une mesure de bon sens. Les conditions du regroupement familial ont été restreintes via l’augmentation de la durée de séjour, portée à vingt-quatre mois au lieu des douze mois actuels.
En ce qui concerne les réfugiés, la réunification familiale ne saurait être étendue aux frères et aux sœurs. Ce problème des mineurs pénalise les départements, même Paris. Justement, les collectivités locales doivent être associées au traitement des questions relatives à l’asile : je me réjouis que la commission des lois ait prévu de les consulter pour l’élaboration des schémas régionaux d’accueil des demandeurs d’asile. Combien de fois des élus se sont-ils vu imposer des centres d’accueil par l’État, au grand dam des habitants et des riverains ?
M. Charles Revet. Eh oui !
M. François Patriat. Ça a bien marché !
M. Pierre Charon. Enfin, s’agissant de l’éloignement des étrangers, la commission des lois a demandé que toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile soit considérée comme une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF !
Sur les questions d’immigration, nous devons être francs dans le choix des mots et éviter les contorsions qui démontrent que, même dans les esprits, on se censure !
On parle de migrants au lieu de parler de clandestins. Il est symptomatique d’employer l’expression de « délit de solidarité », alors qu’il n’y a rien d’autre qu’une violation de la loi, le soutien à une installation illégale sur le sol français. C’est de la délinquance, et rien d’autre !
Les termes existent, utilisons-les : on doit nommer le délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier tel quel, et non utiliser une métaphore. Il est surprenant de voir que ceux qui s’insurgent contre l’existence de cette infraction pénale veulent à tout prix pénaliser ceux qui appellent au respect de nos frontières.
Aider les clandestins, ce serait bien, mais alerter sur la porosité de nos frontières, ce serait mal ! C’est le comble de la confusion dans un pays où le terrorisme intellectuel a beaucoup sévi dans les esprits !
Notre tâche est lourde : il faut rassurer les Français qui sont inquiets sur ce sujet. Ceux-ci attendent de nous un message et craignent qu’il ne soit trop tard. Ils réclament des mesures fortes. Et tant mieux si c’est le Sénat qui peut leur donner cet espoir : il est le gardien de la République, mais aussi de la France et de son identité. La défense de l’une ne va pas sans l’autre !
Parce qu’il va dans le bon sens et parce qu’il apporte des corrections substantielles, je voterai le texte tel qu’il sera modifié par les amendements du groupe Les Républicains. J’invite tous mes collègues à agir ainsi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si nous ne devions retenir qu’un enjeu lié à ce projet de loi, c’est celui de la recherche d’un équilibre entre responsabilité et humanisme, entre répression et laxisme.
Cet équilibre est au cœur de l’approche française du fait migratoire depuis trente ans.
Ceux qui veulent modifier cet équilibre au profit de l’un ou de l’autre risquent de dénaturer notre modèle d’intégration. Trop de laxisme, d’une part, c’est faillir à l’objectif légitime de lutte contre l’immigration irrégulière. C’est aussi saturer nos services qui font un travail formidable dans des conditions déplorables. C’est enfin se rapprocher des limites de ce que la société française peut intégrer.
Trop de répression, d’autre part, c’est méconnaître la tradition française issue des Lumières. C’est se priver de talents qui souhaitent travailler et vivre en France, et c’est risquer de bafouer les droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
Cet équilibre n’est pas simple à trouver. Il nécessite une approche mesurée.
D’un côté, il faut rendre les mesures d’éloignement plus effectives et prendre en compte la dangerosité des candidats à l’asile.
De l’autre, il faut accélérer les procédures et moderniser le droit des étrangers. Sur ce dernier point, nous croyons que le droit au travail est un vecteur particulièrement efficace d’intégration et nous vous proposerons des amendements pour en faire une réalité concrète.
Enfin, nous croyons que l’enjeu des migrations dépasse ces mesures techniques. L’avenir en la matière est certes européen, notre collègue Colette Mélot l’a rappelé, mais il se joue aussi dans les pays sources.
Pour traiter ce problème à la racine, nous vous proposerons un amendement visant à intégrer la lutte contre les causes des migrations aux objectifs de l’aide française au développement, comme c’est déjà le cas au niveau européen. Seule une approche structurelle de la question migratoire nous permettra de répondre à la crise que nous connaissons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je voudrais remercier tous les orateurs pour leurs interventions. Je ne répondrai évidemment pas dans le détail à chacun d’entre eux, mais je vais essayer de revenir sur deux ou trois points, notamment ceux qu’a évoqués le rapporteur François-Noël Buffet.
Nous savons tous que la question des mineurs non accompagnés – les MNA – est une préoccupation importante et partagée entre l’État et les départements, du fait notamment de l’augmentation très significative des flux. Ainsi, en 2017, sur plus de 54 000 personnes ayant fait l’objet d’une évaluation, 15 000 ont été considérées comme mineures. Ce chiffre a triplé depuis 2014.
Cette hausse entraîne automatiquement des difficultés considérables pour les départements, responsables du versement de l’aide sociale à l’enfance ainsi, évidemment, que des difficultés d’ordre matériel et financier.
Il s’agit d’un sujet complexe sur lequel le Gouvernement est très impliqué. Le Premier ministre a entretenu un dialogue nourri avec l’Assemblée des départements de France sur la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Le Gouvernement souhaite que la protection de l’enfance bénéficie à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les mineurs eux-mêmes. C’est cette approche en faveur de la protection de l’enfant qui justifie que ce sujet complexe et délicat des mineurs non accompagnés n’ait pas vocation à être abordé dans le cadre de ce texte. En la matière, nous espérons que l’État et l’Assemblée des départements de France pourront se mettre d’accord rapidement. Je crois que tel sera le cas, si mes informations sont bonnes.
S’agissant de la coopération consulaire, question que vous avez soulevée à juste titre, il faut savoir que le Gouvernement est aussi très actif et très engagé. Il mène une double stratégie, à la fois bilatérale et européenne.
Notre stratégie est bilatérale, dans la mesure où nous menons des discussions avec de nombreux pays, afin d’augmenter le taux de réadmission des étrangers en situation irrégulière. La démarche que nous négocions avec ces pays repose sur un équilibre entre des incitations négatives, c’est-à-dire des restrictions de visas, et des incitations positives, comme les projets de coopération. En réalité, nous mettons en équilibre les visas et les laissez-passer consulaires.
Nous avons d’ailleurs renforcé le pilotage des demandes et du suivi de la délivrance des laissez-passer consulaires par la mise en place d’une task force au sein de la direction générale des étrangers en France, la DGEF, du ministère de l’intérieur. Cette task force réunit à la fois des agents de la DGEF et de la DCPAF, c’est-à-dire la direction centrale de la police aux frontières. Son rôle consiste à harmoniser les procédures de saisine des consulats par nos préfectures et à appuyer ces dernières dans leurs démarches.
Nous avons déjà passé des accords avec le Maroc, la Tunisie, la Guinée, le Mali, la Côte-d’Ivoire et le Sénégal. Les résultats de cette mobilisation sont déjà perceptibles pour plusieurs pays, en particulier après que nous avons utilisé le dispositif de restriction des visas ou lorsqu’un accord de réadmission a été conclu par l’Union européenne.
Notre stratégie est également européenne.
Une réunion des ministres européens de l’intérieur s’est tenue à Luxembourg la semaine dernière. Deux sujets étaient à l’ordre du jour : le premier concernait justement le lien entre visas et laissez-passer consulaires. Nous avons défendu cette idée qu’il faudrait traiter cette question au niveau européen ; le deuxième sujet avait trait au règlement dit « de Dublin », qui constitue certes une garantie pour les demandeurs d’asile, mais dont nous connaissons les imperfections, avec notamment des demandes secondaires beaucoup trop nombreuses. Notre volonté est d’améliorer ce règlement de Dublin.
Je terminerai en rappelant, comme l’a excellemment dit le sénateur Alain Richard, qu’il faut travailler à la fois au niveau national et au niveau européen. C’est la raison pour laquelle le ministre d’État, ministre de l’intérieur, devait absolument être à Berlin aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance pour quelques instants ; nous la poursuivrons ensuite jusqu’à vingt heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie
Article 1er A (nouveau)
L’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 111-10. – Les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement.
« Le Parlement prend alors connaissance d’un rapport du Gouvernement qui indique et commente, pour les dix années précédentes :
« a) Le nombre des différents visas accordés et celui des demandes rejetées ;
« b) Le nombre des différents titres de séjour accordés et celui des demandes rejetées et des renouvellements refusés ;
« c) Le nombre d’étrangers admis au titre du regroupement familial et des autres formes de rapprochement familial ;
« d) Le nombre d’étrangers admis aux fins d’immigration de travail ;
« e) Le nombre d’étrangers ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que celui des demandes rejetées ;
« f) Le nombre d’attestations d’accueil présentées pour validation et le nombre d’attestations d’accueil validées ;
« g) Le nombre d’étrangers ayant fait l’objet de mesures d’éloignement effectives comparé à celui des décisions prononcées ;
« h) Les procédures et les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers ;
« i) Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère ;
« j) Les actions entreprises avec les pays d’origine pour mettre en œuvre une politique de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ;
« k) Les actions entreprises pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;
« l) Le nombre des acquisitions de la nationalité française, pour chacune des procédures ;
« m) Des indicateurs permettant d’estimer le nombre d’étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.
« Le Gouvernement présente, en outre, les conditions démographiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles dans lesquelles s’inscrit la politique nationale d’immigration et d’intégration. Il précise les capacités d’accueil de la France. Il rend compte des actions qu’il mène pour que la politique européenne d’immigration et d’intégration soit conforme à l’intérêt national.
« Sont jointes au rapport du Gouvernement les observations de :
« 1° L’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
« 2° L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui indique l’évolution de la situation dans les pays considérés comme des pays d’origine sûrs.
« Le Sénat est consulté sur les actions conduites par les collectivités territoriales compte tenu de la politique nationale d’immigration et d’intégration.
« Le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. »
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l’article.
M. Pierre Laurent. Cet article, introduit en commission, est tout un symbole.
Nous devrions entamer un tel texte par la proclamation de grands principes censés définir notre politique d’accueil et de gestion des migrations, et voilà un article qui, d’emblée, s’attache à un seul objectif : définir pour les trois années à venir « le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, compte tenu de l’intérêt national ».
En fait, cela revient à définir des quotas et le seuil à partir duquel sera déclenchée, quoi qu’il en coûte, et quelle que soit la situation, la machine à expulser, à renvoyer et à ignorer les vies ainsi brisées !
Nous sommes là au cœur du problème : les auteurs du présent projet de loi se refusent à regarder en face l’un des enjeux majeurs de l’histoire de l’humanité, celui des migrations. Cet enjeu est partie intégrante de la construction de notre nation et prend une importance décuplée, à l’heure de la mondialisation, des dérèglements climatiques et de l’explosion des inégalités.
Les humains ont toujours migré pour vivre ou survivre, pour fuir les conditions de vie indignes, pour en chercher de meilleures. Ils migrent aussi pour fuir les persécutions religieuses ou politiques, les guerres, les génocides. Le rapport statistique annuel de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés estime à 65 millions le nombre de personnes déracinées à travers le monde à la fin de l’année 2016, du fait de conflits et de persécutions, la plupart de ces migrations se faisant d’ailleurs du Sud vers le Sud.
De tout cela, vous ne voulez rien entendre ! Vous voulez la libre circulation des capitaux, ça oui ! Vous voulez la concurrence à outrance au niveau mondial, ça oui ! Vous voulez bien le pillage économique et le dumping social, ça oui ! Vous voulez bien la domination des grandes puissances. En revanche, vous ne voulez pas entendre parler du droit à circuler, du droit de tous à vivre dignement, des responsabilités singulières que la France devrait prendre pour accueillir dignement les réfugiés et changer les règles de ce monde injuste et inégal !
Vous essayez de faire peur avec des chiffres auxquels vous vous accrochez comme à des mirages jamais atteints : vous parlez d’invasion, d’appel d’air, quand nous accueillons un peu plus de 200 000 personnes en moyenne chaque année, soit 0,3 % de notre population !
Vous oubliez également de dire la vérité : 4 200 personnes ont été relocalisées en France à ce jour au titre du mécanisme de relocalisation adopté par le Conseil de l’Union européenne.
À nos yeux, il est indigne – car ce n’est pas à la hauteur de nos responsabilités – d’ouvrir la discussion par un article comme celui-ci et par une liste d’indicateurs qui ne visent qu’à justifier un contournement organisé des droits humains les plus fondamentaux.
Allez-vous enfin accepter de changer de logique ? Vous risquez sinon d’aboutir à une négation de nos principes et, au-delà, de mener la France et l’Europe dans une grave impasse, tournant le dos à un monde qui appelle, au contraire, plus que jamais, à la coopération, à la générosité, à la justice et au partage. Voilà le vrai prix, aujourd’hui, de la paix pour les décennies à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Après 1915, fuyant le génocide perpétré par l’État turc, 200 000 Arméniens ont été accueillis par notre pays. Nombre d’entre eux furent aussi de ceux qui défendirent la liberté de la France et tombèrent pour elle.
À la suite d’un accord entre les gouvernements français et polonais, plus de 700 000 Polonais sont venus apporter leurs bras à une industrie française qui en manquait terriblement.
Chassés par le fascisme, 600 000 Espagnols, défenseurs de la deuxième république espagnole, que nous avons abandonnée, ont traversé les Pyrénées durant l’hiver de 1939 pour trouver refuge en France.
Je pourrais aussi évoquer les Belges, les Italiens, les Portugais, les Algériens, toutes ces populations qui ont contribué à faire de notre pays ce qu’il est aujourd’hui : une République de citoyennes et de citoyens unis dans la démocratie par les règles communes qu’ils se sont données.
Je passe sous silence les migrations passées, comme celles qu’évoque le décor de la salle des conférences avec les Germains de sainte Geneviève et de Clovis, ou celles qui ont fait presque totalement disparaître les premiers habitants des îles des Antilles, ainsi que tous les échanges récents qui font que, aujourd’hui, un Français sur quatre a un parent d’origine étrangère.
L’identité de la France n’est à chercher ni dans un roman des origines ni dans un discours historique national qui exclut, mais dans cette dynamique perpétuelle qui mêle les populations et les unit dans la défense de valeurs républicaines qui les dépassent.
Le philosophe allemand Hegel explique très bien comment, dès qu’une chose est figée, elle est morte et remplacée par autre chose. Ce qui compte le plus dans notre République n’est pas d’où nous venons, mais où nous souhaitons aller ensemble. L’historien italien Massimo Montanari dit que « l’identité n’existe pas à l’origine, mais au terme du parcours ».
Ma conscience républicaine est blessée quand vous présentez, comme vous le faites avec ce texte, l’immigration comme un mal dont il faudrait se prémunir, une maladie qu’il serait nécessaire de réduire et d’endiguer.
Je suis triste pour celles et ceux qui, venus d’ailleurs, ont tant apporté à la France, quand je lis qu’il faudrait définir une politique nationale d’immigration et d’intégration « conforme à l’intérêt national ». L’intérêt de la Nation est justement dans cette recomposition permanente du corps civique, dans cet amalgame infini des différentes cultures ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Ce nouvel article, adopté par la commission des lois, vise à réintroduire en France les quotas migratoires. Au fond, c’est le recyclage d’une des propositions du candidat Fillon,…
M. Roger Karoutchi. C’est bien !
M. Richard Yung. … qui souhaitait déterminer tous les trois ans le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France.
À mon avis, il s’agit d’une proposition politiquement inopportune et juridiquement contestable.
Puisque nous en sommes aux belles citations, monsieur Karoutchi, permettez-moi de citer un rapport fait en 2008 par M. Mazeaud,…
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Richard Yung. … que l’on ne saurait suspecter d’être dangereux : « Une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, inefficace contre l’immigration irrégulière et, s’agissant des autres flux, incompatible avec nos principes constitutionnels et nos engagements européens et internationaux. » Voilà ce que disait M. Mazeaud il y a dix ans.
En réalité, il suffit de réfléchir deux minutes aux flux entrants. L’immigration familiale est bordée de tous les côtés. S’agissant de l’immigration professionnelle, qui peut dire trois ans à l’avance ce que devront être les quotas en la matière ? On ne sait pas ce que sera l’économie à une telle échéance. Enfin, il est plutôt de notre intérêt d’avoir le plus grand nombre possible d’étudiants de tous les pays du monde en France.
Le vrai problème, c’est l’immigration irrégulière, que cet article 1er A ne traite pas. Pour toutes ces raisons, que je ne développe pas davantage, nous ne voterons pas cet article.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Vous m’excuserez de prendre la parole sur l’article, mais je souhaitais insister sur un point avant que nous n’examinions le texte dans le détail.
Les flux migratoires exceptionnels auxquels la France est confrontée ne se limitent pas, j’y insiste régulièrement dans cet hémicycle, au continent européen, et particulièrement à la Méditerranée.
Il est plus que temps de prendre en compte les pressions migratoires extraordinaires qui s’exercent depuis de nombreuses années en Guyane, qui, je le rappelle, est en Amérique du Sud, et à Mayotte, qui, je le rappelle également, est dans l’océan Indien, poussant le système d’accueil et d’intégration au bord de l’asphyxie. Ce système est impossible à gérer aujourd’hui.
Voilà quelques mois, lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais alerté notre assemblée sur l’ampleur du phénomène en Guyane en rappelant quelques chiffres.
En trois ans, 11 000 demandes d’asile ont été enregistrées par l’OFPRA. Je le répète pour mieux le souligner : 11 000 demandes en trois ans en Guyane, c’est comme si la France comptabilisait chaque année près d’un million de demandes d’asile sur son seul territoire hexagonal.
Parce que seuls de tels chiffres nous permettent de prendre la mesure des événements, nous proposerons que le rapport prévu par cet article 1er A intègre une information exhaustive sur la politique d’immigration et d’intégration outre-mer.
Vous le savez, ce texte prévoit par ailleurs un certain nombre de dispositions spécifiques à Mayotte et à la Guyane. Pour cette dernière, un décret spécial vise également à expérimenter un traitement accéléré des dossiers.
Aussi, tout au long de notre débat, je m’efforcerai de partager avec vous une image juste et mesurée de nos réalités. Si l’asile est un droit qu’il ne faut pas remettre en question, il est aussi un bien précieux que nous devons protéger lorsque celui-ci est dévoyé.
Par exemple, il y a moins d’une semaine, en Guyane, un réseau lié à la République Dominicaine a été démantelé à Cayenne, avec l’interpellation d’une personne dont les coordonnées ressortaient dans 118 demandes d’asile ou titres de séjour.
Dans ce contexte, l’accélération du traitement des dossiers n’est pas une solution miracle, mais elle contribuera à la fluidité d’une procédure, qui, par le passé, pouvait prendre de 12 mois à 24 mois avant une réponse définitive.
Pour autant, et j’y reviendrai, accélérer ne veut pas dire négliger. Il me semble donc indispensable d’améliorer en parallèle les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Guyane.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voulais m’élever, monsieur le président, contre la loterie que devient l’application de l’article 45 de la Constitution. Nous avions déjà les charmes de l’article 40, les beautés de l’article 41, et, maintenant, voici l’article 45.
Aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er A, « les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement. » Cette disposition n’a aucun caractère législatif. Il est évident que l’on peut faire des débats au Parlement. Nous sommes là pour cela, et nous avons tout le loisir de faire inscrire un débat à l’ordre du jour, tout comme le Gouvernement. Pourquoi le dire dans une loi et pourquoi les foudres de l’article 45 ne s’abattent-elles pas sur cette disposition adoptée par la commission ?
En ce qui me concerne, avec M. Iacovelli, Mme Lienemann, MM. Marie et Tissot, Mmes Taillé-Polian et Jourda, j’avais déposé un amendement introductif tendant à inscrire au début de la loi les orientations suivantes : « Pour des raisons liées aux demandes d’asile, à la misère économique et sociale et aux changements climatiques, les migrations sont appelées à se développer dans les prochaines décennies. La présente législation prend en compte ce mouvement irréversible et vise à y apporter des solutions respectueuses de l’ensemble des êtres humains concernés dans le cadre d’un projet européen qui devra être à la mesure de l’enjeu, et en concertation avec les pays d’origine et les pays d’accueil. La politique migratoire ne saurait être dissociée des politiques de coopération ». Mais, dans ce cas, l’article 45 balaie tout !
Monsieur le président, je ne voudrais pas que, par ces dispositions et ces pratiques aléatoires eu égard à l’article 45, des textes de même nature apparaissent tantôt hors sujet, tantôt pleinement dans le sujet.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai vécu des temps, à l’Assemblée nationale et au Sénat, où l’on ne s’embarrassait pas de cet article 45. Ce n’était pas si mal…
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Notre collègue vient de préciser la portée normative de cet article 1er A, considération qui avait probablement un peu échappé à la sagacité de la commission des lois, à tout le moins en ce qui concerne ses premiers alinéas.
Pour ma part, je souhaiterais m’exprimer sur la partie relative aux quotas, dont les dispositions sont plus normatives : « Le Parlement détermine pour les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. » Encore heureux que l’on respecte le droit relatif à l’immigration familiale et que l’on n’instaure pas de quotas en matière d’asile !
Toutefois, monsieur Karoutchi, puisque vous êtes à l’origine de cette disposition, je voudrais vous signaler que nous n’avons pas énormément de primo-arrivants. Nous en avions 240 000 en 2017.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est déjà pas mal !
M. Jean-Yves Leconte. Sur ces 240 000 personnes, 87 000 venaient en France pour des raisons familiales, dont 50 000 pour rejoindre un conjoint français, et 35 000 pour des raisons humanitaires, c’est-à-dire, en grande partie, pour bénéficier de l’asile. Le reste est constitué par l’immigration économique et l’immigration étudiante. Or, compte tenu de la rédaction de cet article, nous ne disposerons de marges de manœuvre que pour ces deux catégories.
Monsieur le sénateur, c’est quand même idiot de demander au Parlement de limiter le nombre de talents étrangers qui voudraient venir en France ; c’est quand même idiot de limiter l’attractivité des universités françaises en laissant le Parlement limiter le nombre d’étudiants venant en France. Je le répète, il n’y a pas énormément de titres délivrés tous les ans dans notre pays : 240 000, monsieur Karoutchi, c’est trois fois moins que ce que délivre la Pologne !
M. Roger Karoutchi. 267 000 !
M. Jean-Yves Leconte. Non, 240 000 selon les chiffres du ministère de l’intérieur du 12 juin dernier.
Il est clair que prétendre établir une politique de quotas est un trompe-l’œil, un mensonge, à moins que cela ne témoigne d’une volonté délibérée de faire en sorte que notre pays ne soit plus capable d’attirer des talents, des étudiants…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. … bref, de faire venir ceux dont nous avons besoin pour faire fonctionner notre économie.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, sur l’article. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Je suis vraiment admiratif. (M. Richard Yung s’exclame.)
C’est hallucinant de s’entendre reprocher d’empêcher les talents d’entrer en France. Dieu est grand, mais ce n’est pas exactement le problème aujourd’hui.
Sincèrement, on ne doit pas vivre dans le même pays ni dans le même monde.
M. Pierre Laurent. Pas dans le même département, c’est sûr !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Laurent, je ne partage pas l’avis des communistes, mais je les respecte. Chacun sa vie !
Mme Éliane Assassi. C’est sûr que vous n’accueillez pas beaucoup de réfugiés dans les Hauts-de-Seine…
M. Roger Karoutchi. Je vous en prie, ma chère collègue.
Que se passe-t-il en vérité ? Si ce n’est pas le Parlement qui décide, c’est le Gouvernement. Si le Parlement n’est pas en mesure de dire, à un moment donné, ce qu’il veut comme politique migratoire, cela revient à laisser les mains libres au Gouvernement. Et si, demain, le Gouvernement décide, vu la situation économique et politique en France et en Europe, et pour ne pas perdre les élections, de tout fermer, le Parlement n’aura pas son mot à dire.
C’est quand même incroyable ! Je veux juste faire en sorte que le Parlement prenne le pouvoir en matière migratoire en respectant le droit d’asile. En effet, pour ce dernier, on ne peut pas disposer de chiffres à l’avance. En cas de conflit, on étudie au cas par cas hors quotas et hors système. Pour le reste, si vous ne prenez pas le pouvoir, c’est le Gouvernement qui le prend.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. On ne sait pas ce qui peut se passer avec le Gouvernement. Chez certains de nos voisins, les nouveaux gouvernements en ont surpris plus d’un. Et si, un jour, nous avons un gouvernement populiste en France, vous croyez qu’il va demander au Parlement ce qu’il faut faire en matière migratoire ? Je préfère que le Parlement, en fonction de chiffres fournis par le Gouvernement, dise sa manière de voir les choses, plutôt que de laisser complètement la main à l’exécutif.
Qui vous dit, d’ailleurs, que le Parlement serait beaucoup plus réducteur que le Gouvernement en la matière ? Après tout, vous êtes parlementaires, et vous serez là pour dire ce que vous pensez et ce que vous souhaitez. On voudrait un Sénat puissant, mais on laisse tout décider par le Gouvernement. Eh bien non, je pense que c’est au Parlement de prendre la décision après en avoir parlé avec le Gouvernement, et pas l’inverse. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 23 rectifié est présenté par Mmes Assassi et Benbassa, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin.
L’amendement n° 502 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 23 rectifié.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur Karoutchi, vous ne m’aurez pas convaincue. Cet article 1er A a quand même tous les défauts que l’on pouvait attendre d’un article tendant à définir des indicateurs précis de la présence des étrangers dans notre pays.
Il s’agit en fait de conforter des a priori improuvés et improuvables dans leur lapidaire expression, ce qui permet d’ailleurs à quelques-uns de réduire l’immigration à du benchmarking ou, comme on l’a entendu, à du shopping de l’asile.
Le problème, mes chers collègues, outre quelques oublis – où sont passés les étudiants venant de pays situés hors de l’Union européenne en vertu d’accords de coopération universitaire ? –, c’est que, manifestement, ici, on appelle étrangers tous ceux qui demandent à entrer en France, alors même qu’un grand nombre de ces entrées concernent des Français nés hors de la métropole et, parfois, leurs conjoints et leurs enfants. N’oublions pas que la France pratique en la matière à la fois le droit du sol et le droit du sang.
Une étude relativement récente de l’INSEE sur les flux migratoires observés de 2006 à 2013 nous révèle, entre autres informations, que nous avons enregistré pas moins de 2,466 millions d’entrées sur notre territoire, dont 1,633 million d’immigrés, et, de fait, 833 000 Français nés en France ou à l’étranger. Le tiers des entrées sur le territoire national concerne donc des ressortissants hexagonaux.
Sur la même période, 2,068 millions de sorties du territoire national ont été constatées, dont plus de 500 000 personnes de nationalité étrangère.
Le solde migratoire est passé de 113 000 personnes en positif en 2006 à seulement 33 000 aujourd’hui.
De fait, un nombre croissant de jeunes Françaises et Français, faute de trouver un emploi à la mesure de leurs qualifications dans leur propre pays, vont travailler ailleurs, là où l’on sait reconnaître la qualité de la formation scolaire et universitaire hexagonale.
Ainsi, on évalue en 2013 à près de 855 000 le nombre de Françaises et de Français âgés de 25 ans à 34 ans résidant à l’étranger, ce qui représente 4 % de notre population active ou plus de 5 % de l’emploi privé.
Vous le voyez donc, mes chers collègues, les données ne sont pas aussi simples.
Monsieur Karoutchi, vous dites avoir voulu cet article 1er A au nom de la défense du travail du Parlement, mais je crois qu’il faut aussi que vous assumiez les sous-entendus de cet article,…
M. Roger Karoutchi. Gardez vos sous-entendus pour vous ! Ce ne sont pas mes mots !
Mme Cécile Cukierman. … ainsi que ceux de votre politique migratoire, qui n’est pas celle voulue par une majorité de Français. (M. Roger Karoutchi proteste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 502.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’article 1er A, introduit par la commission des lois, réécrit l’article du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le CESEDA, définissant le contenu du rapport annuel au Parlement.
Les différents éléments mentionnés dans l’amendement voté en commission des lois, dont ceux relatifs à la politique européenne d’immigration et d’intégration, figurent déjà dans ce rapport.
Cet article introduit également des quotas, votés par le Parlement, pour déterminer sur les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile. Cette disposition ne résiste pas à l’examen de faisabilité. Elle n’avait d’ailleurs pas été mise en œuvre par les gouvernements précédents. Je ne citerai pas Pierre Mazeaud, puisque M. Yung l’a fait tout à l’heure, mais il avait conclu au caractère irréalisable de ces quotas.
Le Gouvernement n’est pas favorable à ce qu’une telle politique soit mise en œuvre. En effet, l’immigration familiale résulte en grande partie des principes figurant dans la Constitution – le droit à mener une vie familiale normale ou la liberté de mariage – et, bien sûr, dans les conventions internationales.
En ce qui concerne l’immigration professionnelle, notre droit encadre l’emploi des nouveaux immigrés par la délivrance des autorisations de travail en fonction de la situation du marché du travail.
S’agissant des talents internationaux et des étudiants étrangers, dont il a été question à l’instant, le Gouvernement a fait le choix de développer l’attractivité du territoire national pour ces publics, compte tenu de leur apport à notre économie et au rayonnement de la France.
Enfin, les actions conduites par les collectivités territoriales peuvent être déjà ajoutées au rapport en tant que de besoin, sans qu’il soit nécessaire de modifier la loi.
Pour toutes ces raisons, il est donc proposé de supprimer cet article.
M. François Patriat. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements de suppression ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable à l’adoption de ces deux amendements, puisqu’elle avait accepté l’amendement déposé par M. Karoutchi.
Je voudrais simplement rappeler quelques éléments.
Le Sénat s’est déjà prononcé en 2006 pour réclamer un débat au Parlement sur les politiques migratoires. Nous pensons qu’il est effectivement nécessaire d’avoir une vision globale qui soit non pas confisquée – le terme est peut-être un peu fort – par l’exécutif, mais qui puisse être partagée par la représentation nationale.
De surcroît, il est intéressant de connaître les capacités d’accueil que nous pouvons proposer dans le cadre de ces politiques. À cet égard, nous sommes en parfaite coordination avec l’objectif fixé par le texte, à savoir la maîtrise de l’immigration.
Sur les chiffres eux-mêmes, la notion de quota peut être assez large ; elle n’est pas forcément absolument rigide. Elle peut porter naturellement sur les titres de séjour, et non pas sur les pays sources.
Par ailleurs, s’il est un élément sur lequel nous avons rarement des informations, c’est celui des régularisations. Nous les avons au terme du bilan, et encore en partie. Si nous les connaissions avant, nous pourrions avoir un débat sur le sujet.
Enfin, sur l’immigration de travail, nous aimerions aussi avoir des éléments. Je me permets de rappeler que, depuis 2008, nous n’avons plus aucune information sur les métiers que l’on considère en tension.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Le groupe socialiste et républicain votera ces deux amendements aux origines opposées, mais à l’objectif similaire, dans la mesure où nous ne pouvons pas accepter une politique de quotas.
M. Karoutchi pense que l’objet de ce débat est simplement de savoir si les quotas sont fixés par le Gouvernement ou par le Parlement. Nous répondons : ni l’un ni l’autre ! Nous répondons : « critères objectifs ».
M. Roger Karoutchi. Ça n’existe pas !
M. Jean-Yves Leconte. Critères objectifs pour les étudiants ; critères objectifs pour les talents, qui sont tous intéressants. C’est ce que nous souhaitons et, de fait, nous refusons fermement toute politique de quotas.
J’ajoute que le taux de primo-arrivants, qu’ils soient étudiants ou immigrés économiques, restant sur le territoire pour une longue période n’est pas très important. Toutes catégories confondues, il n’y a pas plus de 40 % des primo-arrivants qui restent, et, sur les catégories économiques et étudiantes, le taux est très faible. Cela n’a rien à voir avec une « submersion ».
Je le répète, nous ne voulons pas de quotas sur ces deux types d’immigration. Nous sommes pour des critères objectifs, ce qui est la meilleure solution pour que la politique d’immigration soit comprise.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour explication de vote.
Mme Michelle Gréaume. Au-delà de la position du Gouvernement, que l’on peut comprendre pour des raisons de positionnement global, la vraie question que nous pose cet article 1er A est la suivante : quelles sont les intentions de ceux qui estiment nécessaire de fixer chaque année un quota d’immigration ?
Nous avons souligné, dans la discussion générale, que l’effet réel de l’entrée de personnes de nationalité étrangère sur le territoire français était bien moindre que ce que le discours accompagnant cette réalité de notre temps voudrait bien nous faire croire. Et nous avons découvert que, sous certains aspects, notre pays était aussi un pays d’émigration, non pas parce que nous aurions une fiscalité insupportable, ce que croient ou tentent de faire croire quelques beaux esprits noyés dans l’idéologie dominante, mais tout simplement parce qu’en l’état actuel des choses, l’économie et les entreprises de notre pays sont parfaitement incapables de tirer parti de l’élévation continue du niveau de formation générale, scientifique et technologique de nos jeunes diplômés, pour en faire le puissant levier de croissance durable qui nous manque. Le problème récurrent que pose la grande appétence des actionnaires de nos entreprises, de la PME au groupe transnational, pour le retour le plus rapide sur investissement sous forme de généreux dividendes n’est sans doute pas étranger à ce constat.
Néanmoins, malgré ces handicaps, force est de constater que notre pays demeure l’une des plus riches économies du monde. Aussi, nous pouvons penser qu’il a une capacité assez large d’accueil des populations venues d’ailleurs, a fortiori quand nous avons eu, dans un passé plus ou moins récent, la volonté d’en faire nos colonies et, de ce fait, des pays francophones.
L’immigration n’a jamais été véritablement un phénomène de masse en France, sauf en certaines circonstances exceptionnelles, lorsque la saignée de forces vives causée par un conflit prolongé avait mené à l’arrivée massive de travailleurs étrangers et de leurs familles.
Pour ne prendre qu’un exemple, dans un pays comme le Mali, dont la population a quadruplé depuis l’indépendance, qui frise désormais les 20 millions d’habitants, où le fait de partir pour l’étranger est, dans certaines régions, une forme de passage obligé dans l’existence, les ressortissants qui migrent vers les pays les plus proches sont autrement plus nombreux que ceux qui vivent en France.
La diaspora malienne dans notre pays, c’est entre 120 000 titulaires de cartes de séjour et 500 000 Maliens d’origine, en partie naturalisés français – puisque c’est d’actualité, regardez le nom des joueurs de l’équipe de France de football engagée dans la Coupe du monde cette année –,…
Mme Brigitte Micouleau. Et alors ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Michelle Gréaume. … et qui, pour une grande part, assurent bien des tâches dans des activités économiques marquées par la pénibilité (Manifestations d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.), par exemple le nettoyage de nos gares et de nos stations de métro.
Nous voterons cet amendement de suppression.
M. le président. Mes chers collègues, nous ne sommes qu’au début de ce débat, qui risque d’être long. Vous pouvez faire autant d’explications de vote que vous le voulez ; c’est le droit. En revanche, je vous demande de respecter votre temps de parole, sinon chacun prendra exemple sur l’autre pour s’autoriser un dépassement.
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Mme Cukierman voyait des sous-entendus dans ma liste tout à l’heure. Ma chère collègue, sachez qu’il s’agit non pas de ma liste, mais de celle du CESEDA. Intéressez-vous à la manière dont les pouvoirs publics font les listes. Pour ma part, je n’ai pas le sentiment d’avoir inventé quoi que ce soit.
Cela étant dit, j’ajoute que je trouve ce débat vraiment surréaliste. Pardon, monsieur Leconte, mais « des critères objectifs », cela ne veut rien dire.
M. Michel Savin. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. Si vous pouvez définir des critères objectifs sur le droit d’asile – qui a le droit d’entrer en fonction de sa provenance, des conflits, des persécutions –, les critères objectifs que vous appelez de vos vœux, par exemple, pour l’immigration économique ne sont ni plus ni moins que des quotas. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Éliane Assassi. Non, cela ne signifie pas quotas !
M. Roger Karoutchi. Non, je ne vois pas ce que vous voulez dire. Cela n’a pas de sens ! Il y a des critères définis par le Gouvernement, que l’on applique. Pour ma part, je préfère que le Parlement, dans sa sagesse et sa diversité, définisse un certain nombre de lignes directrices,…
M. Charles Revet. C’est la démocratie !
M. Roger Karoutchi. … plutôt que de voir le Gouvernement ou d’autres, sous la pression de l’émotion, définir de nouveaux critères, que l’on n’acceptera peut-être pas.
Je ne vois pas en quoi le fait de pouvoir parler au Parlement, comme on l’a fait en 2006, des lignes directrices de la politique migratoire en France serait attentatoire à nos principes démocratiques. Après tout – qui sait ? –, peut-être nous dirons-nous que le Gouvernement est trop peureux et qu’il faudrait davantage ouvrir nos frontières. Le Parlement peut le faire. Pourquoi serions-nous forcément plus réducteurs que le Gouvernement ? C’est nous faire très peu confiance, globalement, dans notre diversité.
Madame la ministre, j’estime que cet article n’enlève rien au Gouvernement. J’ai bien compris que vous préfériez conserver la main. Après tout, c’est le jeu de l’exécutif. Néanmoins, partager le pouvoir de déterminer avec le Parlement qui rentre et qui ne rentre pas ne me semble pas déshonorant, réducteur ou infamant.
M. le président. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Mon intervention sera très courte. Je ne vois pas pourquoi il serait interdit au Parlement de se prononcer sur la politique d’immigration, sur la base de critères dont la liste est fixée dans la loi.
Lorsque M. Karoutchi dit que c’est soit au Parlement, soit au Gouvernement de le faire, on lui oppose une troisième possibilité, à savoir les critères objectifs. Je dirai simplement que c’est une politique qui va à vau-l’eau, et qui révèle l’absence totale de volonté de maîtrise de l’immigration.
Il me semble quand même que, compte tenu des possibilités offertes par la France aux personnes qui veulent s’installer chez nous dans des conditions de dignité, il faut maîtriser l’immigration.
Eh bien, face à l’absence de maîtrise à laquelle semblent aspirer M. Leconte et celles et ceux qui s’apprêtent à voter ces deux amendements, la seule alternative, c’est précisément que le Parlement fixe lui-même une politique de maîtrise de cette immigration.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous le voyons bien, M. Karoutchi et son collègue de droite cherchent à noyer le poisson ! Le débat n’est pas de savoir si le Parlement doit avoir plus de pouvoirs. Quand viendra en discussion la réforme à venir, nous verrons alors qui est au rendez-vous pour défendre les droits du Parlement ! Ce n’est donc pas à nous qu’il faut venir expliquer à quel point il est important de renforcer les droits du Parlement !
Vous noyez le poisson ! Vous savez très bien que, à travers le débat sur cet article, nous abordons la philosophie de notre politique d’immigration et de notre politique d’accueil. Et c’est sur ce point qu’il y a en effet une différence sérieuse entre nous ! Vous souhaitez une politique extrêmement restrictive, que vous ambitionnez d’encadrer dans des chiffres définis pour trois ans. Pour notre part, nous pensons qu’il faut, au contraire, traiter cette question en prenant la mesure de l’enjeu mondial, national, européen que constituent ces migrations. Notre vision va bien au-delà de cette politique restrictive qui est votre seule manière d’envisager les choses. Tel est l’enjeu du débat sur l’ajout de l’article 1er A, qui ne concerne nullement les droits du Parlement.
Donc, ne noyez pas le poisson, assumez votre choix politique et nous voterons sur cette question !
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour explication de vote.
M. Jean-Michel Houllegatte. Cette façon d’aborder le débat, en fixant des quotas, me semble tout à fait symptomatique de la façon dont les choses se déroulent en ce moment.
Je crains que les quotas, qui sont peut-être de nature à rassurer, ne soient, en réalité, dictés par la peur. Or il faut reconnaître que la peur n’est jamais bonne conseillère. Elle conduit parfois à des renoncements et parfois à des reniements.
Je ne voudrais pas faire de procès d’intention, mais la façon dont a été gérée la problématique de l’accueil de l’Aquarius me paraît avoir été dictée tout simplement par la peur de la réaction de la partie la plus extrémiste de notre population. Cette gestion conduit, d’une certaine façon, à renier la perception que l’on a de la France à l’étranger, voire à celle qu’elle doit avoir d’elle-même, c’est-à-dire un pays ouvert sur l’extérieur.
Je rejoins ce qui a été dit. Inscrire en tête de la loi un tel article, qui fixe des quotas, ne me semble pas de nature à susciter une certaine forme d’enthousiasme !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 23 rectifié et 502.
J’ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Les Républicains, l’autre, du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 131 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 135 |
Contre | 208 |
Le Sénat n’a pas adopté.
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 177 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Rédiger ainsi ces alinéas:
« Art. L. 111-10. – Chaque année, avant le 30 juin, le Gouvernement dépose devant le Parlement un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration.
« Ce rapport indique et commente les données quantitatives relatives aux cinq années précédentes, à savoir :
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise plusieurs objectifs. D’abord, il supprime la mention selon laquelle le rapport du Gouvernement peut faire l’objet d’un débat annuel au Parlement. Cela a été dit, il est évident que ce n’est pas la peine de l’inscrire dans la loi. Ensuite, il précise la date de remise de ce rapport. Enfin, il ajoute les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration afin que le rapport demandé soit complet.
M. le président. L’amendement n° 153 rectifié, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
peuvent faire
par le mot :
font
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Il s’agit juste de remplacer les mots « peuvent faire » par « font ». L’objectif est de faire en sorte que, dans cette matière essentielle, le Gouvernement fasse les choses !
M. le président. L’amendement n° 167, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot :
Gouvernement
insérer les mots :
, rendu avant le 1er juin de chaque année,
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. La commission des lois a prévu l’organisation d’un débat annuel sur la politique migratoire et la remise, au préalable, d’un rapport sur la situation des étrangers en France.
Le Gouvernement publie déjà un tel rapport, mais il le fait, la plupart du temps, avec un certain retard. Le rapport actuellement disponible a été publié en février 2017 et il porte sur les données de 2015 !
Le manque de transparence des données relatives à l’asile et à l’immigration est plus que préoccupant.
En conséquence, il est proposé d’imposer au Gouvernement de rendre son rapport avant le 1er juin de chaque année.
À l’article 33 bis du projet de loi, l’Assemblée nationale avait prévu la remise d’un rapport avant le 1er octobre, date beaucoup trop tardive pour le prendre en compte lors de la préparation du projet de loi de finances.
M. le président. Les amendements nos 60 rectifié, 181 rectifié ter et 515 rectifié bis sont identiques.
L’amendement n° 60 rectifié est présenté par MM. Mohamed Soilihi, Hassani, Karam, Patient et Dennemont.
L’amendement n° 181 rectifié ter est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 515 rectifié bis est présenté par M. Arnell, Mmes Costes et M. Carrère, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Gabouty et Guérini, Mmes Guillotin, Jouve et Laborde et MM. Menonville, Vall et Gold.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Compléter cet alinéa par les mots :
, en métropole et dans les outre-mer
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 60 rectifié.
M. Thani Mohamed Soilihi. M. le rapporteur l’a précisé tout à l’heure, les outre-mer ont été les grands oubliés de ce projet de loi. Or, vous le savez, les outre-mer totalisent à eux seuls plus de la moitié des reconduites à la frontière menées depuis le territoire français.
Les chiffres contenus dans le rapport du Gouvernement sur les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration sont destinés à éclairer le Parlement et à lui permettre de contrôler que les politiques migratoires conduites sont proportionnées à l’ampleur des entrées illégales dans notre pays.
Or, dans les départements de Mayotte et de Guyane, il est évident que la lutte contre l’immigration clandestine menée jusqu’à présent est loin d’être à la hauteur de l’ampleur des entrées irrégulières qui ont lieu quotidiennement dans ces territoires. À Mayotte, par exemple, 20 000 personnes sont renvoyées chaque année vers l’archipel comorien, alors que l’on dénombre 26 000 éloignements depuis la France en 2017.
Cet amendement vise à inclure dans ce rapport une information exhaustive sur les chiffres de l’outre-mer, spécialement de Mayotte et de la Guyane.
Par ailleurs, mais cela fera l’objet de discussions au sujet d’autres amendements, le dernier rapport gouvernemental consacré aux orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration porte sur les données de l’année 2015. Il me paraît, à ce titre, fondamental de prévoir que ce rapport soit rendu chaque année avant une date qui aura été jugée à la fois réaliste par le Gouvernement et satisfaisante pour la prise en compte de ces données lors de la préparation du projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 181 rectifié ter.
M. Jean-Yves Leconte. Il est défendu, l’orateur précédent ayant parfaitement exposé l’objet de notre amendement.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour présenter l’amendement n° 515 rectifié bis.
M. Guillaume Arnell. Je l’ai dit lors de la discussion générale, les difficultés que rencontrent de nombreux territoires ultramarins ont largement été occultées par les auteurs de ce projet de loi.
C’est la raison pour laquelle, comme mes autres collègues, je souhaite, avec le présent amendement, inciter fortement le Gouvernement à se doter de moyens propres à estimer le nombre d’étrangers présents dans les territoires d’outre-mer, plus exposés encore à la pression migratoire que le territoire national métropolitain.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je donne, au nom de la commission, un avis défavorable à l’amendement n° 177 rectifié bis de M. Leconte, qui est un amendement de suppression. Chacun aura bien compris que nous souhaitons ce débat, en tout cas, la commission le souhaite.
J’en viens à l’amendement n° 153 rectifié et je demande à M. Meurant de m’accorder la faveur de le retirer. Le problème n’est pas que sa proposition soit inintéressante sur le fond. La difficulté vient du fait qu’elle est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de novembre 2003 concernant l’établissement de l’ordre du jour des assemblées parlementaires. Plutôt que d’émettre un avis défavorable, je préférerais que l’auteur de cet amendement le retire.
En revanche, j’émets un avis favorable sur l’amendement n° 167 de Mme Di Folco, qui fixe une date précise de remise du rapport.
M. André Reichardt. Très bien !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Pour l’information de l’ensemble des collègues, nous avons eu, en juin 2018, communication d’un rapport qui concernait la période de 2015. C’est dire que l’amendement de Mme Di Folco est parfaitement utile !
En ce qui concerne les amendements nos 60 rectifié de notre collègue Mohamed Soilihi, 181 rectifié ter de M. Leconte et 515 rectifié bis de M. Arnell, qui précisent que les outre-mer ne doivent pas être les oubliés du rapport, la commission émet évidemment un avis favorable. (M. Charles Revet s’exclame.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement émet évidemment un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, puisqu’il est défavorable à l’article !
Peut-être faut-il préciser que paraît chaque année, une publication qui s’appelle Les étrangers en France. (Mme la ministre montre le document.) La dernière date de 2016 ; je dis bien 2016, pas 2015 ! Elle comporte naturellement tout un chapitre sur l’outre-mer, un chapitre important, qui décrit la situation de chaque territoire ultramarin, que le Gouvernement prend bien sûr en considération !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je ferai une observation rapide : le document que Mme le ministre nous a présenté est un rapport de 2016, qui cite des chiffres de 2015. Or nous sommes en 2018.
Quant à la partie ultramarine, je crois qu’elle comporte deux pages.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell, pour explication de vote.
M. Guillaume Arnell. Je veux bien vous croire, madame la ministre, mais si le rapport est bien arrivé sur nos bureaux, nous l’avons reçu seulement hier. Nous aurions souhaité le recevoir en amont des discussions.
De plus, il me semble que la non-prise en compte des données ultramarines est une question récurrente. Plusieurs organismes ont interpellé les gouvernements successifs sur ce sujet. Les autorités françaises ont été alertées à de multiples reprises par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, par le Comité des droits de l’homme, mais aussi par le Haut-Commissariat aux réfugiés et par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe.
Il me semble donc que nos demandes en la matière sont fondées.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 177 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Monsieur Meurant, l’amendement n° 153 rectifié est-il maintenu ?
M. Sébastien Meurant. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 153 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 167.
(L’amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 60 rectifié, 181 rectifié ter et 515 rectifié bis.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 168, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après le mot :
accordés
insérer les mots :
ou retirés
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Le droit en vigueur prévoit plusieurs motifs de retrait du titre de séjour, notamment lorsque l’étranger a transmis des informations frauduleuses ou a commis l’un des crimes et délits mentionnés à l’article L. 313-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
En outre, le déploiement des titres de séjour pluriannuels demande une grande vigilance : lorsque les motifs de délivrance du titre ne sont plus respectés, la préfecture doit le retirer et procéder à l’éloignement de l’intéressé.
Pour plus de clarté, nous proposons, par cet amendement, que le rapport sur la situation des étrangers en France précise le nombre de titres de séjour retirés par les préfectures, en complément des données sur le nombre de titres de séjour délivrés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 169, présenté par Mmes Di Folco, Berthet, Deromedi et Eustache-Brinio, MM. Frassa, Karoutchi et Meurant, Mme Morhet-Richaud, M. Morisset, Mme Puissat et MM. Revet et H. Leroy, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre de mineurs isolés étrangers pris en charge par l’aide sociale à l’enfance, et les conditions de leur prise en charge ;
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Le Gouvernement et les députés ont souhaité exclure du projet de loi la thématique des mineurs isolés, qui représente pourtant un véritable enjeu, notamment pour les départements.
À l’inverse, la commission des lois du Sénat a utilement prévu la création d’un fichier national biométrique des étrangers déclarés majeurs à l’issue de leur évaluation par un département.
Dans la continuité du travail de la commission, cet amendement a pour objet d’inclure la thématique des mineurs isolés dans le rapport annuel sur la situation des étrangers en France.
Une transparence accrue est indispensable pour mieux traiter cette problématique !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Clairement favorable ! Le Sénat, qui s’est emparé de la question des mineurs, trouve important de la faire figurer dans le rapport.
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. J’ai fait une longue explication sur les mineurs non accompagnés, exposant les raisons pour lesquelles les dispositions les concernant ne figurent pas dans ce texte. Telle est la raison pour laquelle j’émets, au nom du Gouvernement, un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 179 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, M. Temal, Mme Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre d’autorisations de travail accordées ou refusées ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le débat sur l’accès au marché du travail des demandeurs d’asile aura lieu plus tard. Il est prévu, dans certaines conditions, par les directives européennes que nous devons respecter.
Il semble toutefois important, dans une perspective de clarification, que les chiffres relatifs au nombre des demandes d’autorisations de travail et au nombre d’autorisations réellement délivrées fassent partie des informations figurant dans le rapport.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est d’autant plus favorable que cet amendement a été rectifié conformément à la demande faite en commission !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 180 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …) Le nombre d’étrangers mineurs ayant fait l’objet d’un placement en rétention et la durée de celui-ci ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai également l’amendement n° 178 rectifié bis.
M. le président. Bien volontiers, mon cher collègue !
J’appelle donc en discussion l’amendement n° 178 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Alinéa 14
Rédiger ainsi cet alinéa :
« k) Le nombre de contrats souscrits en application des articles L. 311-9 et L. 311-9-1 ainsi que les actions entreprises au niveau national pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;
Veuillez poursuivre, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. L’amendement n° 180 rectifié bis vise à compléter le rapport remis par le Gouvernement en indiquant le nombre de mineurs ayant fait l’objet d’un placement en rétention. La durée des placements en rétention des étrangers mineurs devra également être mentionnée.
S’agissant de l’amendement n° 178 rectifié bis, nous demandons que le rapport indique le nombre de contrats d’intégration républicaine qui ont été souscrits.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est favorable à l’amendement n° 180 rectifié bis. Nous aurons plus tard, lorsque nous aborderons l’article 15 ter, une discussion sur les mineurs.
L’avis est également favorable sur l’amendement n° 178 rectifié bis. Nous reviendrons sur le contrat d’accueil d’intégration républicaine à l’article 26 bis A. En la circonstance, l’avis est favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Toujours défavorable ! On inscrit dans la loi des choses qui figurent déjà dans les rapports. J’entends souvent dire qu’il ne faut pas que les lois soient bavardes ; ce soir, on réussit bien ! (Sourires.)
M. François-Noël Buffet, rapporteur. De bavardes, on passera à utiles ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Les amendements nos 496 et 497, présentés par M. Ravier, ne sont pas soutenus.
(M. Thani Mohamed Soilihi remplace M. David Assouline au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. L’amendement n° 182 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 22
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Sans refaire l’ensemble du débat sur la politique des quotas proposée par la majorité sénatoriale – avec, en première ligne, M. Karoutchi –, nous vous proposons, une dernière fois, de renoncer à une politique qui ne peut pas être raisonnable.
Nous faisons en effet énormément d’efforts pour attirer des étudiants et les faire venir dans les universités françaises. Comment peut-on l’envisager sous forme de quotas ?
Quant aux talents, c’est la même chose ! Ce n’est ni au Parlement ni au Gouvernement de décider des besoins des entreprises en termes de talents ! Si des personnes veulent créer en France de l’innovation et de la richesse, pourquoi nous en priverions-nous par décision du Parlement ou du Gouvernement ?
Nous vous proposons donc de vous prononcer, une dernière fois et avant le vote de cet article, contre la politique des quotas défendue par la majorité sénatoriale !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. On ne va pas rouvrir le débat : avis défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je veux m’adresser à M. Leconte en toute sincérité. Pour ma part, je me suis longtemps occupé des transferts d’étudiants. En toute franchise, le problème de l’arrivée en France des étudiants est plus lié à leurs conditions d’accueil dans les universités, au niveau de ces dernières, parfois au coût des études – et pour Paris, pardon, monsieur Assouline, les choses sont souvent liées à la cherté du logement et de la vie dans la capitale. À vous entendre, le Parlement s’apprêterait à réduire brutalement la capacité d’accueil offerte par la France aux étudiants. Notre problème n’est pas là ! Il est d’avoir des universités attractives.
Monsieur Leconte, je suis tout prêt, dans l’avenir, si jamais ces quotas étaient adoptés, à voir, avec l’ensemble des groupes, comment faire en sorte d’augmenter le nombre des étudiants qu’il est possible d’accueillir en France.
Ce qui bloque aujourd’hui, ce n’est pas le système éventuel des quotas ! Il y a beaucoup d’autres difficultés et, surtout, un problème d’attractivité. En effet, les universités américaines et anglo-saxonnes mènent, dans les différents pays, une politique de pression attractive que nous ne pratiquons pas. Le problème se pose non en termes de quotas, mais en termes d’attractivité et de capacité de nos autorités publiques à intervenir à l’étranger.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Une fois n’est pas coutume, je suis d’accord avec vous, monsieur Karoutchi ! (Sourires.) Voilà ! On arrive au moins à aborder le sujet au fond !
Peut-être faudrait-il poursuivre la réflexion pour voir comment donner à nos universités les moyens de mieux attirer les étudiants. Il faut se poser toutes les questions, même celles qui sont taboues ! Interrogeons-nous sur l’attractivité pour réussir à accueillir un maximum d’étudiants étrangers parce que c’est bon pour nous. Du moins concédez-vous que si le quota ne vise que cette fin, il ne sert à rien !
Quoi qu’il en soit, la discussion a avancé et je vous invite ici à voter cet amendement !
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 182 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er A, modifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 132 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 209 |
Contre | 134 |
Le Sénat a adopté.
Article additionnel après l’article 1er A
M. le président. L’amendement n° 404 rectifié, présenté par M. Assouline, Mme de la Gontrie, M. Féraud, Mme Lienemann, M. Jomier, Mmes Préville, Conway-Mouret et Conconne, MM. Cabanel et Antiste, Mme Ghali, MM. Temal et Tourenne, Mme Lubin, M. Vallini, Mme Lepage, MM. Manable, Houllegatte et Daudigny, Mmes Jasmin et Artigalas, M. Tissot, Mme Espagnac, MM. Dagbert, Iacovelli, Magner et Courteau, Mme Meunier, M. Durain et Mme Taillé-Polian, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 1er A
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - La République garantit à toute personne résidant sur son territoire, quelles que soient sa nationalité et sa situation au regard du droit au séjour, les droits suivants :
1° Le droit à la prise en charge des soins, dans le cadre de l’aide médicale de l’État mentionnée à l’article L. 251-1 du code de l’action sociale et des familles et de la prise en charge des soins urgents prévue par l’article L. 254-1 du même code ;
2° Le droit à l’hébergement d’urgence pour toute personne sans abri en situation de détresse médicale, psychique ou sociale, dans les conditions prévues par l’article L. 345-2-2 du même code ;
3° Le droit aux prestations de l’aide sociale à l’enfance prévues par le titre II du livre II du même code, lorsque la situation de l’enfant l’exige ;
4° Le droit à l’éducation, mentionné au titre Ier du livre Ier de la première partie du code de l’éducation ;
5° Le droit à l’aide juridique, dans les conditions prévues par la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique ;
6° Le droit de se marier, dans les conditions définies au titre V du livre Ier du code civil.
II. - Les personnes assurant la mise en œuvre de ces droits ne peuvent être tenues de prêter leur concours à l’éloignement des étrangers en situation irrégulière. Les données à caractère personnel relatives aux étrangers en situation irrégulière collectées dans le cadre de la mise en œuvre de ces droits ne peuvent être traitées ou communiquées dans le but de faciliter l’éloignement de ces étrangers.
III. – L’État assure à l’étranger la connaissance de ces droits.
B. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Droits inconditionnels des étrangers résidant sur le territoire
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Je veux, à travers cet amendement, m’adresser à l’ensemble de mes collègues pour qu’ils mesurent, à ce moment de notre discussion sur ce projet de loi, l’état du monde et notre responsabilité.
Nous vivons un moment où, sur les questions liées à l’immigration, des politiques dangereuses sont menées : que ce soit aux États-Unis, où les enfants sont séparés de leurs parents et enfermés dans des cages, en Italie, ou dans toute l’Europe de l’Est, cela sent très mauvais !
Alors, par rapport à ce danger raciste et populiste qui déferle, semble tout submerger et nous rappelle des moments sombres, on peut faire le choix qui s’exprime dans ce projet de loi. Telle est la position du Gouvernement, telle est la position de la droite de cet hémicycle, qui va encore plus loin, mais c’est vous tous, mes chers collègues, que je veux interpeller : face à ce danger, être plus ferme, est-ce le rempart ?
Pour nous protéger, il faudrait accepter de verser dans ce flot d’explications selon lesquelles ces migrations, ces réfugiés représenteraient un danger. Cela fait vingt ans qu’on fait la même chose : presque tous les deux ans, on vote une nouvelle loi parce qu’on nous dit que, pour empêcher la montée du Front national, il faut fermer ! Or il continue de monter, et notre législation ne cesse de se durcir.
Alors, mes chers collègues, je vous interpelle tous, car nous avons une responsabilité très importante. Nous savons que nous entrons dans un moment où tout peut basculer. Or quand l’Espagne fait ce qu’elle a fait cette semaine, elle allume une bougie, elle met un rayon de soleil dans cette Europe qui peut sombrer dans la nuit !
C’est pourquoi, à l’inverse de tous les propos que j’ai pu entendre, je veux défendre cet amendement, qui vise au contraire à consacrer, en un article additionnel, les droits fondamentaux inaliénables des migrants et des réfugiés accueillis dans notre pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Objectivement, il est clair que cet amendement est inspiré par de bonnes intentions. Toutefois, les droits qui y sont visés existent déjà ; de surcroît, leur liste ne saurait être exhaustive.
Dès lors, en l’absence de caractère normatif du dispositif, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement. Je préférerais que notre collègue le retire, puisque la présentation qu’il en a faite nous a permis de bien comprendre ses intentions. Il n’en reste pas moins que, sur le fond et d’un point de vue strictement juridique, notre avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est lui aussi défavorable à votre amendement, monsieur le sénateur. En effet, comme vient de l’expliquer M. le rapporteur, si votre démarche envers les personnes visées est à l’évidence tout à fait louable, elle ne relève en revanche pas exclusivement de la politique de l’immigration et donc de ce projet de loi.
En effet, elle concerne toutes les personnes vivant en France, quelle que soit leur nationalité, y compris par conséquent les Français. Il serait donc contre-productif d’établir ainsi une liste de droits qui relèveraient d’autres domaines que du seul droit des étrangers, et qui pourraient être modifiés dans le futur. Ainsi, les dispositions portant garantie des droits en matière d’hébergement d’urgence ont leur place dans le code de l’action sociale et des familles, et non dans le CESEDA.
Le Gouvernement n’étant pas favorable à l’introduction dans un code dédié aux étrangers de dispositions législatives de caractère général concernant d’autres politiques et un public plus large que les étrangers, il émet par conséquent un avis défavorable sur cet amendement. J’estime pour ma part qu’il serait bon, monsieur le sénateur, que vous le retiriez.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. C’est paradoxal : les amendements exprimant de bonnes intentions, ou des intentions humanistes, mériteraient d’être retirés !
Lors de nos débats sur l’avenir de la SNCF, j’ai pu entendre qu’il n’était pas du tout question, dans le texte en question, de remettre en cause le caractère public de cette entreprise. Néanmoins, en fin de compte, comme il y avait des doutes, ce caractère public a été inscrit dans la loi.
Nous sommes ici dans une situation identique. Il existe un socle de droits fondamentaux, inaliénables pour tous ceux qui vivent sur notre territoire, qu’ils soient étrangers ou Français. Je les ai répertoriés dans cet amendement, car il est bon de les rappeler. On peut certes débattre de cette liste, mais le respect de la dignité humaine de tout être humain qui vit sur le territoire de la République, quelle que soit sa nationalité, est essentiel. Ce socle existe aujourd’hui dans différents textes ; il n’est pas inutile, selon moi, de le ramasser à un seul endroit pour affirmer que, quelles que soient les discussions que nous aurons aux autres articles sur le reste des enjeux, ce socle demeure comme l’expression de la dignité humaine que la République reconnaît à tous ses habitants.
Cela est d’autant plus utile que, comme je l’ai rappelé dans ma présentation de l’amendement, nous ne sommes pas à un moment anodin. Or ma démarche exprime pleinement la position traditionnellement prise par la France dans le monde quand il s’agit d’enjeux aussi importants pour l’humanité.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Notre groupe partage assez volontiers le point de départ de l’exposé de notre collègue David Assouline et, notamment, sa présentation dramatique de la situation en Europe.
Nous affrontons des problèmes qu’aucun d’entre nous n’aurait imaginés : pour certains pays de notre Europe, les règles démocratiques ne sont plus une évidence. Les théories dites de la « démocratie illibérale » y fleurissent ; certains gouvernements parviennent à convaincre leurs citoyens qu’il est acceptable, en fin de compte, de réduire leurs libertés si l’on améliore leur protection.
Nous comprenons donc, mon cher collègue, le point de départ de votre raisonnement, de la même manière que nous ne pouvons pas nous satisfaire des fractures qui existent, non pas seulement entre l’Est et l’Ouest, mais aussi entre l’Europe du Sud et l’Europe du Nord.
La réponse à apporter à ces problèmes est bien politique, elle n’est pas technique : pour moi, ainsi que pour mes collègues centristes, il s’agit de maintenir l’État de droit dans notre pays. Or j’estime que le travail qui nous est présenté aujourd’hui par le Gouvernement et la commission va bien dans ce sens.
Parallèlement, il est tout aussi nécessaire de travailler à une convergence entre les pays d’Europe, parce que nous ne pouvons pas nous satisfaire de l’éclatement dramatique, que l’on constate aujourd’hui, des risques de repli sur soi et de montée des nationalismes. Nous devons relever un défi collectif : réussir le Conseil européen des 26 et 27 juin prochains.
C’est pourquoi, mon cher collègue, autant nous avons vocation à vous suivre sur les valeurs démocratiques et la protection de nos États démocratiques, autant il nous faut le faire dans le respect des préoccupations de nos concitoyens et, surtout, avec le souci de garder le contact avec les autres pays d’Europe pour parvenir à une forme de dénominateur commun. Certes, l’exercice est d’une particulière complexité, mais c’est toute la responsabilité du Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 404 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(M. David Assouline remplace M. Thani Mohamed Soilihi au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. David Assouline
vice-président
TITRE Ier
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre Ier
Le séjour des bénéficiaires de la protection internationale
Article 1er
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 313-11 est ainsi modifié :
a) Le 10° est abrogé ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger résidant habituellement en France, dont la décision fixant le pays de renvoi a fait l’objet d’une annulation ou lorsque l’autorité compétente n’a pas exécuté la mesure d’éloignement depuis deux ans à la condition que cette impossibilité ne résulte pas de l’obstruction volontaire de l’étranger. » ;
2° L’article L. 313-13 est abrogé ;
3° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
4° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« Le délai pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile est fixé par décret en Conseil d’État.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement vise à rétablir l’article 1er du projet de loi, qui figurait dans le texte transmis au Sénat par l’Assemblée nationale, mais que notre commission des lois a supprimé.
Cet article représentait, selon notre groupe, l’un des rares points positifs de ce texte. Il créait deux nouvelles cartes de séjour pluriannuelles, d’une durée de quatre ans, au profit des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides, ainsi que de leurs familles. Ces nouveaux titres se substituaient aux cartes de séjour « vie privée et familiale » d’un an qui leur sont aujourd’hui délivrées.
Nous sommes convaincus du bien-fondé de cette mesure. Elle permet en effet, comme l’indique l’exposé des motifs du Gouvernement, d’atteindre deux objectifs louables.
En premier lieu, on sécurise le droit au séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire en facilitant leur intégration et leurs démarches administratives. Il est d’ailleurs intéressant de souligner à cet égard, à titre de comparaison, que treize pays européens accordent des titres de séjour de trois à cinq ans à cette catégorie de population.
En second lieu, cette mesure permettra de diminuer le nombre de recours devant la CNDA contre les décisions de l’OFPRA ; en effet, de plus en plus de protégés subsidiaires engagent une telle procédure pour obtenir le statut, plus protecteur, de réfugié.
Nous souhaitons, par ailleurs, au travers du 1° de notre amendement, améliorer le dispositif proposé par le Gouvernement en permettant aux personnes de nationalité étrangère qui sont dans l’impossibilité de quitter le territoire français de bénéficier, après deux ans, d’une carte de séjour temporaire d’un an « vie privée et familiale ».
Il s’agirait, là aussi, d’assurer une intégration digne et de faciliter les démarches administratives.
M. le président. L’amendement n° 184 rectifié, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
3° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« 6° À ses collatéraux au deuxième degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 6° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« La carte de séjour pluriannuelle est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« 6° À ses collatéraux au second degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 6° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« La carte de séjour pluriannuelle est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la décision d’octroi du statut d’apatride par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Cet amendement vise, comme le précédent, à rétablir l’article 1er du projet de loi, qui a malheureusement été supprimé par la commission des lois.
Cet article prévoit la délivrance d’une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides.
C’est l’une des rares mesures positives de ce projet de loi ; il convient donc de la conserver, d’autant que les arguments tendant à justifier sa suppression nous semblent infondés.
S’il est exact que les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides ont fait l’objet d’une réforme il y a moins de trois ans, réforme que le Gouvernement n’a pas encore évaluée, il en va ainsi de l’essentiel des dispositions de ce projet de loi, sans que notre rapporteur ait pour autant décidé de supprimer sous ce prétexte chacune d’entre elles. C’est d’ailleurs l’un des arguments que nous avions avancés pour démontrer que ce projet de loi était à la fois prématuré et, surtout, inutile en l’état.
Par ailleurs, cet article 1er ne se situe pas en contradiction avec la loi du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile, mais il en prolonge la logique en donnant toute sa portée au titre pluriannuel.
C’est dans cette même logique que nous proposons le rétablissement de cet article, sous réserve de deux modifications.
D’une part, nous entendons étendre le bénéfice de la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle aux frères et sœurs des étrangers mineurs bénéficiaires de la protection subsidiaire et du statut d’apatride. Sans cette disposition, les frères et sœurs d’un étranger mineur non marié qui auraient bénéficié de la réunification familiale se trouveraient sans titre de séjour à compter de leur majorité. Il convient de régler cette difficulté.
D’autre part, nous souhaitons encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour pluriannuelle au bénéficiaire de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride. En effet, la réduction des délais doit aussi se faire au bénéfice des demandeurs d’asile, a fortiori quand leur demande de protection a été approuvée.
M. le président. Les amendements nos 416, 435 rectifié et 516 rectifié sont identiques.
L’amendement n° 416 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 435 rectifié est présenté par MM. Bargeton, Amiel, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung, Richard, Patriat et les membres du groupe La République En Marche.
L’amendement n° 516 rectifié est présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Dantec, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mmes Guillotin et Jouve, M. Labbé, Mme Laborde et MM. Menonville, Vall et Gold.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
3° La section 3 est complétée par des sous-sections 5 et 6 ainsi rédigées :
« Sous-section 5
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-25. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire de la protection subsidiaire”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire”.
« Le délai pour la délivrance de la carte de séjour pluriannuelle à compter de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile est fixé par décret en Conseil d’État.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle.
« Sous-section 6
« La carte de séjour pluriannuelle délivrée aux bénéficiaires du statut d’apatride et aux membres de leur famille
« Art. L. 313-26. – Une carte de séjour pluriannuelle d’une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour :
« 1° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ;
« 2° À son conjoint, au partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou à son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« 3° À son conjoint ou au partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« 4° À ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« 5° À ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié.
« La carte délivrée en application du 1° du présent article porte la mention “bénéficiaire du statut d’apatride”. La carte délivrée en application des 2° à 5° porte la mention “membre de la famille d’un bénéficiaire du statut d’apatride”.
« Cette carte donne droit à l’exercice d’une activité professionnelle. »
La parole est à Mme la ministre, pour présenter l’amendement n° 416.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Comme cela vient d’être rappelé, la commission a décidé de supprimer l’article 1er ; nous souhaitons donc le rétablir, par cet amendement, dans la rédaction du Gouvernement.
En effet, les dispositions de cet article constituent l’une des mesures phares de ce texte en matière d’amélioration de la situation des personnes qui se voient reconnaître la protection subsidiaire ou la qualité d’apatride, ainsi que des membres de leur famille. Il s’agit, comme vous le savez, d’allonger à quatre ans la durée de leurs titres de séjour. Cela représente à l’évidence une simplification et une sécurisation de leur droit au séjour.
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 435 rectifié.
M. Julien Bargeton. Accorder aux personnes qui bénéficient de la protection subsidiaire ou qui sont apatrides des titres de séjour de quatre ans plutôt que d’un an constitue pour elles un meilleur facteur d’intégration : en effet, une durée plus longue leur donne une meilleure chance de s’intégrer.
Par ailleurs, on nous reprochera peut-être qu’une telle mesure puisse susciter un appel d’air. Je n’y crois pas. En effet, ces deux statuts répondent à des critères extrêmement précis. En particulier, la protection subsidiaire relève de la convention de Genève : il faut, pour en bénéficier, être pourchassé, risquer la torture ou la peine de mort. Son attribution se fait toujours à l’issue d’un examen au cas par cas.
En outre, la situation qui donne lieu à l’octroi de cette protection ne change généralement pas en un an, elle a plutôt tendance à durer. Cela justifie une protection de quatre ans, qui me semble plus cohérente avec la durée des menaces qui peuvent peser sur ces personnes.
Enfin, il faut souligner – cela n’a pas été assez dit – qu’un tel système sera également beaucoup plus simple pour les services administratifs et les préfectures. En effet, il permettra à l’évidence de traiter des dossiers plus rapidement et d’éviter leur réexamen annuel, tout en évitant les reconductions automatiques.
Pour toutes ces raisons, je pense qu’il est raisonnable de revenir, pour ces titres de séjour, à une durée de quatre ans plutôt que d’un an comme le préconise la commission.
M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère, pour présenter l’amendement n° 516 rectifié.
Mme Maryse Carrère. Je veux seulement souligner que l’article que nous souhaitons rétablir par cet amendement est l’une des rares dispositions de ce texte qui renforce effectivement l’accueil de certains demandeurs d’asile, à savoir ceux dont la demande a été admise au titre de la protection subsidiaire.
En effet, le droit en vigueur introduit une différenciation de traitement non justifiée entre réfugiés et personnes admises à la protection subsidiaire : les premiers obtiennent une carte de séjour pluriannuelle, tandis que les seconds doivent se contenter de cartes annuelles. Cela place les personnes protégées subsidiairement dans une situation d’insécurité juridique importante. Malgré les efforts considérables réalisés par l’OFPRA pour réduire les délais d’examen, il arrive que la durée de protection accordée soit inférieure à la durée totale de la procédure de demande de protection.
Mes chers collègues, je souhaite également vous convaincre de la pertinence de cette mesure du point de vue de la régulation de l’activité contentieuse.
En effet, le maintien de deux régimes administratifs distincts pose un réel problème. L’espacement dans le temps des demandes de renouvellement de la protection subsidiaire est également une évolution de nature à désengorger l’OFPRA et la CNDA.
En conclusion, il n’est pas cohérent, selon moi, de chercher à réduire l’engorgement des services chargés de l’examen des demandes d’asile tout en se refusant à accorder des cartes de séjour pluriannuelles à des personnes qui ont effectivement besoin d’une protection.
M. le président. L’amendement n° 172 rectifié, présenté par M. Yung et Mme Schillinger, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le chapitre III du titre Ier du livre III du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 10° de l’article L. 313-11 et l’article L. 313-13 sont abrogés ;
2° À la fin de la première phrase du 2° de l’article L. 313-18, les mots : « ainsi qu’à l’article L. 313-13 » sont supprimés ;
II. – L’article L. 314-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
a) Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride en application du titre Ier bis du livre VIII ainsi qu’à :
« a) Son conjoint, son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale en application de l’article L. 812-5 ;
« b) Son conjoint ou son partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande du statut d’apatride, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« c) Ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« d) Ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le statut d’apatride est un mineur non marié ; »
b) Après le 11°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l’article L. 712-1 ainsi qu’à :
« a) Son conjoint, son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou son concubin, s’il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues à l’article L. 752-1 ;
« b) Son conjoint ou son partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d’au moins dix-huit ans, si le mariage ou l’union civile est postérieur à la date d’introduction de sa demande d’asile, à condition que le mariage ou l’union civile ait été célébré depuis au moins un an et sous réserve d’une communauté de vie effective entre époux ou partenaires ;
« c) Ses enfants dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3 ;
« d) Ses ascendants directs au premier degré si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.
« La carte de résident est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision d’octroi de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Je retire mon amendement au profit de celui du Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 172 rectifié est retiré.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements restant en discussion ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces amendements ont tous pour objet les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides. Ils visent à revenir au texte adopté par l’Assemblée nationale, à trois exceptions près.
Tout d’abord, l’amendement n° 5, défendu par M. Savoldelli, tend à régulariser des étrangers ayant fait l’objet d’une mesure d’éloignement qui n’aurait pas été exécutée après deux ans. Chacun comprend bien que, au vu du nombre limité d’éloignements, l’adoption de cet amendement permettrait de nombreuses régularisations.
L’amendement n° 172 rectifié vient d’être retiré ; je n’en parlerai donc pas.
L’amendement n° 184 rectifié présenté par M. Marie vise quant à lui à assurer la délivrance de ces cartes de séjour dans un délai d’un mois, par cohérence avec le dispositif que la commission a adopté pour les réfugiés.
Sur les autres amendements, je tiens à rappeler que le Gouvernement propose d’octroyer une carte de séjour pluriannuelle de quatre ans aux apatrides et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire dès leur première admission au séjour. Ils bénéficieraient ensuite, au terme de ces quatre ans, d’une carte de résident.
Sur ce point, la commission a préféré en rester au droit en vigueur. Le bénéficiaire de la protection subsidiaire recevrait, par exemple, une carte de séjour d’un an, puis une carte pluriannuelle de deux ans. La position de la commission se fonde sur quatre arguments.
Premièrement, les titres de séjour des bénéficiaires de la protection subsidiaire et des apatrides ont fait l’objet d’une réforme il y a moins de trois ans, et nous ne disposons à ce jour d’aucune évaluation de cette réforme.
Deuxièmement, le droit en vigueur est conforme à l’article 24 de la directive Qualification.
Troisièmement, l’article 16 de cette directive prévoit que la protection subsidiaire n’est pas permanente : elle est conditionnée à l’évolution de la situation personnelle des bénéficiaires et, plus largement, des conflits ayant justifié leur protection. En cas de risque permanent, ce n’est pas le statut de protection subsidiaire, mais celui de réfugié, qui doit primer.
Enfin, le dispositif proposé par le Gouvernement est moins protecteur pour les apatrides. Ces derniers bénéficieraient d’une carte de résident après quatre ans de présence en France, contre trois ans aujourd’hui. La France protège environ 1 500 apatrides, qui sont souvent – il faut bien le dire – les oubliés des politiques publiques. La commission a d’ailleurs facilité leur accès au service civique.
En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Bien évidemment, je demande le retrait des amendements nos 5 et 184 rectifié, puisque nous préférons l’amendement du Gouvernement.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Pour quelle raison ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Quant aux amendements nos 435 rectifié et 516 rectifié, ils sont identiques à celui du Gouvernement et nous leur sommes donc favorables.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote sur l’amendement n° 184 rectifié.
M. Didier Marie. Nous maintenons notre amendement. En effet, nous jugeons son dispositif plus complet que celui du Gouvernement : nous souhaitons notamment que ces cartes de séjour soient délivrées dans un délai d’un mois.
Quant aux arguments de M. le rapporteur, il est évident que sa position conduira en fin de compte à fragiliser les bénéficiaires de ces statuts. Nous considérons pour notre part que leur allouer une protection pour quatre ans contribuera à leur intégration et leur permettra de mener une vie familiale bien meilleure que si on leur octroie un temps plus réduit.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 416, 435 rectifié et 516 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’article 1er demeure supprimé.
Articles additionnels après l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 185 rectifié ter, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 10° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte de séjour est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision reconnaissant le statut d’apatride par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Par cet amendement de repli, nous entendons répondre au maintien de la suppression de l’article 1er.
Cet amendement vise à permettre la délivrance de la carte de séjour dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision reconnaissant le statut d’apatride. L’amendement n° 187 rectifié bis a le même objet, mais pour les bénéficiaires de la protection subsidiaire.
Ces amendements visent donc tous deux à encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour temporaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Favorable.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Fichtre !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est défavorable. En effet, outre le fait que l’encadrement souhaité par les auteurs de cet amendement relève du domaine réglementaire, son adoption conduirait à introduire un délai dérogatoire au droit commun pour la délivrance des titres de séjour aux apatrides.
Dans l’état actuel du droit, une décision implicite de rejet naît après un délai de quatre mois à compter de l’introduction d’une demande de titre de séjour, quel qu’il soit ; le dispositif proposé dérogerait donc à ce principe.
Au-delà, un tel dispositif présente un intérêt limité, puisque la personne concernée reçoit un récépissé, qui est remis dans l’attente de la délivrance de la carte de séjour et qui permet aux apatrides d’accéder aux mêmes droits que lorsqu’ils sont titulaires de cette carte.
Cet amendement est donc inutile, d’autant que la disposition prévue est d’ordre réglementaire.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
L’amendement n° 187 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 1° de l’article L. 313-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par une phrase ainsi rédigée : « La carte de séjour est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision accordant le bénéfice de la protection subsidiaire par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Dans la mesure où l’article 1er est supprimé, cet amendement vise à encadrer dans la loi le délai de délivrance de la carte de séjour temporaire pour le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En effet, la réduction des délais doit aussi se faire au bénéfice des demandeurs d’asile, a fortiori quand leur demande de protection a été approuvée.
On m’oppose que cela relève du domaine réglementaire. Puisque de nombreux délais ont été prévus dans ce texte, on peut aussi en ajouter un peu au bénéfice des protégés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. M. Leconte étend cette disposition au bénéfice de la protection subsidiaire, ce que nous avons évidemment fait en commission, en fixant le délai d’un mois sur décision de l’OFPRA.
Par conséquent, la commission émet un avis favorable sur cet amendement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 1er.
Article 2
L’article L. 314-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Le 8° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La condition de régularité du séjour mentionnée au premier alinéa du présent article n’est pas applicable aux cas prévus aux b et d ; »
2° et 3° (Supprimés)
4° (nouveau) Le quatorzième alinéa est ainsi rédigé :
« La carte de résident est délivrée dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision de reconnaissance de la qualité de réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d’asile. »
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le début de l’après-midi, nous discutons d’un projet de loi dont le titre sonne comme une incantation : « immigration maîtrisée », « droit d’asile effectif », « intégration réussie ». Pour autant, le texte proposé par le Gouvernement, adopté par l’Assemblée nationale et remanié par la majorité sénatoriale, durcit le dispositif régissant l’entrée, le séjour et l’éloignement des étrangers. La Commission nationale consultative des droits de l’homme ne s’y est pas trompée dans son avis sur ce projet de loi, dénonçant son grand danger.
En effet, l’esprit est bien loin de la lettre, surtout lorsque ce texte porte sur les populations migratoires les plus fragiles et les plus vulnérables que sont les enfants. Les dispositions s’attachant à la privation de liberté pour ces populations sont choquantes et contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les enfants enfermés ici ou là choquent nos concitoyens. Leur enfermement choque dans le monde entier.
Voilà le témoignage du reliquat d’humanité de nos sociétés, de nos civilisations rendues folles par le besoin de réguler les allées et venues des plus faibles !
Les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain se mobiliseront contre l’enfermement des mineurs et contre d’autres dispositions, afin que les enfants continuent d’être protégés et que leurs droits deviennent effectifs.
Ainsi, à l’article 2, nous proposons que la reconnaissance du statut de réfugié accordé à un enfant mineur bénéficie également à ses frères et sœurs : ces derniers obtiendraient ainsi une carte de résident et éviteraient d’être privés du droit de séjour à leur majorité. Il s’agit d’attribuer les mêmes droits à tous les membres d’une cellule familiale et de garantir, conformément à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, le droit au respect de la vie privée et familiale.
M. le président. L’amendement n° 186 rectifié, présenté par M. Leconte, Mmes Meunier et de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le d du 8°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …) Ses collatéraux du deuxième degré dans l’année qui suit leur dix-huitième anniversaire ou entrant dans les prévisions de l’article L. 311-3, si l’étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié. » ;
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Il s’agit d’étendre le bénéfice de la carte de résident aux frères et sœurs d’un étranger mineur qui a obtenu le statut de réfugié. En effet, ce projet de loi offre à un mineur isolé la possibilité d’être rejoint par ses frères ou sœurs au titre de la réunification familiale. En revanche, il ne prévoit rien pour ceux-ci à compter de leur majorité. Il s’agit donc de les rendre éligibles de plein droit à une carte de résident à leur majorité. Faute de quoi, ils se trouveraient sans titre de séjour à leurs 18 ans et seraient donc amenés à devoir quitter la France, alors qu’ils y ont été scolarisés, éduqués et insérés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur cet amendement. Elle a adopté deux amendements, respectivement de Mme Eustache-Brinio et de M. Karoutchi, tendant à supprimer les dispositions prévues par le Gouvernement.
Je souhaite rappeler les problèmes de fond auxquels nous sommes confrontés. Il est évident que la question est délicate sur le plan humain, nous en sommes tous d’accord. Reste que le droit en vigueur, tel qu’il existe aujourd’hui, est parfaitement conforme à la directive Qualification. Par conséquent, nous la respectons.
En outre, les frères et sœurs de celui qui est protégé ont toujours la possibilité de déposer eux-mêmes une demande d’asile auprès des autorités françaises ou de bénéficier d’un « visa asile » auprès de l’ambassade ou du consulat.
Enfin, un certain nombre de ces mesures inquiètent, dans la mesure où cela pourrait constituer, pour les réseaux, une forme d’effet d’aubaine, les mineurs devenant des objets utilisés pour favoriser l’immigration irrégulière. Nous le savons tous, même s’il n’est pas facile de le dire – c’est même très délicat. C’est pourtant la vérité.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je suis un peu étonné de l’avis du rapporteur.
Les directives européennes ont prévu un certain nombre de dispositions, mais, si nous constatons que des frères ou sœurs d’enfants mineurs protégés perdent la possibilité de rester sur le territoire en devenant majeurs, rien ne nous empêche d’essayer de corriger la situation. Tel est bien l’objet de cet amendement.
Quelles que soient les dispositions des directives européennes, nous considérons qu’une personne qui a eu un titre de séjour avant ses 18 ans, parce qu’elle était le frère ou la sœur d’enfants protégés, doit pouvoir rester sur le territoire lorsqu’elle devient majeure.
Certes, monsieur le rapporteur, vous pouvez toujours prétendre qu’il y a des risques, mais il y a des risques sur tout !
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, au cours des dernières années, nous avons constaté que le nombre de personnes considérées comme demandant légitimement une protection a plutôt augmenté, proportionnellement ou globalement. Cela signifie que nous rencontrons de plus en plus de difficultés non en raison de la fraude, mais de la manière d’intégrer. Comment intégrer des gens que l’on a fait venir et à qui l’on dit, le jour de leur majorité, qu’ils n’ont plus la possibilité de rester sur le territoire ?
C’est un problème qu’il faut régler et c’est ce que nous proposons de faire par cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Je comprends bien le fond de l’amendement. Cependant, M. Leconte voudra bien reconnaître que, par moments, il nous demande de respecter les directives européennes et, quand nous le faisons, il prétend que ce n’est pas assez et que l’on peut aller nettement au-delà ! (M. Jean-Yves Leconte s’exclame.)
Il faut savoir si, oui ou non, nous essayons de définir une politique européenne en matière de droit d’asile et en matière migratoire ou si nous changeons les données, quand cela ne nous convient pas.
Interrogez les responsables départementaux ! Ils vous diront tous que, en l’espace de trois ou quatre ans, la charge liée à l’accueil des mineurs isolés – puisque ce sont les départements qui l’assument – a été multipliée par cinq ou dix selon les départements.
Je partage tout à fait les propos du rapporteur : nous savons que les filières et les passeurs utilisent aujourd’hui les mineurs… (M. Jean-Yves Leconte s’exclame de nouveau.) C’est ainsi, monsieur Leconte ! J’en suis bien désolé. Luttons plus efficacement contre les passeurs et les filières, je suis d’accord avec vous. Reste que la réalité est celle-là.
Vous affirmez que l’on a davantage accordé le statut de réfugié ou le statut de protection subsidiaire que par le passé, c’est tout simplement – et c’est bien ainsi – parce que, durant les trois dernières années, les demandeurs d’asile venaient le plus souvent de zones de guerre. Il était normal que la France leur accorde le droit d’asile.
Je crois qu’en la matière – et vous le dites vous-même – nous avons accordé davantage de statuts de réfugié et de droits d’asile. C’est bien la preuve que nous ne menons pas une politique restrictive.
M. Jean-Yves Leconte. Ce n’est pas le sujet !
M. Roger Karoutchi. Suivons la directive européenne.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements nos 417 et 437 sont identiques.
L’amendement n° 417 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 437 est présenté par MM. Richard, Mohamed Soilihi, Bargeton, Cazeau, de Belenet, Dennemont, Gattolin, Hassani, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, M. Théophile et les membres du groupe La République En Marche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 4 à 6
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
2° Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-26 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France ; »
3° Après le 11°, il est inséré un 12° ainsi rédigé :
« 12° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-25 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France. »
L’amendement n° 188 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rétablir les 2° et 3° dans la rédaction suivante :
2° Le 9° est ainsi rédigé :
« 9° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-26 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France ; »
3° Après le 11°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° À l’étranger titulaire de la carte de séjour pluriannuelle prévue à l’article L. 313-25 et justifiant de quatre années de résidence régulière en France. » ;
Madame la ministre, mes chers collègues, il s’agit de trois amendements de conséquence d’amendements visant à rétablir l’article 1er du projet de loi. Or, cet article n’ayant pas été rétabli, ces amendements n’ont donc plus d’objet. Par conséquent, il me semble plus opportun que leurs auteurs les retirent.
Madame la ministre, l’amendement n° 417 est-il maintenu ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Non, je le retire, monsieur le président. Je suis d’accord avec votre analyse.
M. le président. L’amendement n° 417 est retiré.
Monsieur Bargeton, l’amendement n° 437 est-il maintenu ?
M. Julien Bargeton. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 437 est retiré.
Monsieur Yung, l’amendement n° 188 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Richard Yung. Non, je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 188 rectifié bis est retiré.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je regrette non l’intervention de M. Karoutchi sur le fond, mais le moment où elle a été prononcée. En effet, de quoi parlions-nous avec l’amendement précédent ? Pas des mineurs isolés ! Nous parlions de la manière dont resteraient ou non en situation régulière sur le territoire des frères et des sœurs de mineurs protégés, entrés en France parce qu’ils étaient mineurs, une fois leurs 18 ans passés.
Dans la mesure où vous avez fait dévier la discussion sur les mineurs isolés, nous n’avons pas voté sur le fond de l’amendement. Malheureusement, nous allons créer des situations où des personnes, après avoir pu entrer sur le territoire de manière régulière, se trouveront en situation irrégulière à leur majorité. C’est assez dommage.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
I. – Le chapitre II du titre V du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 752-1 est ainsi modifié :
a) (Supprimé)
b) À l’avant-dernier alinéa du II, après le mot : « demandeur », sont insérés les mots : « ou le bénéficiaire » ;
2° L’article L. 752-3 est ainsi modifié :
a) (nouveau) À la première phrase du premier alinéa, après les mots : « mutilation sexuelle », sont insérés les mots : « ou à un mineur de sexe masculin invoquant un tel risque de nature à altérer ses fonctions reproductrices » et les mots : « l’intéressée est mineure » sont remplacés par les mots : « l’intéressé est mineur » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l’office sans délai par le médecin qui l’a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. » ;
c) (nouveau) À la première phrase du deuxième alinéa, les mots : « à la mineure » sont remplacés par les mots : « au mineur ».
II. – L’article L. 723-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la protection au titre de l’asile est sollicitée par une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle ou par un mineur de sexe masculin invoquant un tel risque de nature à altérer ses fonctions reproductrices, le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l’office sans délai par le médecin qui l’a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. »
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Je déplore la suppression par la commission des lois de la disposition visant à étendre la procédure de réunification familiale aux frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs des mineurs bénéficiant d’une protection internationale.
Nous avons bien entendu les arguments de M. Karoutchi ; ils ne convainquent pas : les enfants sont là, on ne va pas les mettre dans des cages (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), comme font d’autres pays prétendument civilisés ! Il faut donc traiter le problème.
Les dispositions actuellement en vigueur sont bien sûr conformes à la directive européenne Qualification. Cependant, le droit de l’Union européenne n’interdit pas aux États membres d’adopter des dispositions nationales plus généreuses et contribuant à mieux garantir le droit de mener une vie familiale normale. Cela repose, d’une part, sur l’article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, d’autre part, sur le préambule de la Constitution de 1946.
L’extension de la réunification familiale constituerait une véritable avancée et permettrait de mettre fin à la séparation des familles du fait de l’exil. C’est pourquoi je souhaite le rétablissement de ces dispositions.
M. le président. L’amendement n° 452 rectifié, présenté par Mme Eustache-Brinio, M. Bazin, Mme Delmont-Koropoulis, M. Karoutchi, Mme Lanfranchi Dorgal, M. H. Leroy, Mme Puissat, M. Sol, Mme Gruny, MM. Kennel, Cardoux, Sido, Laménie et Paccaud, Mme Lassarade, M. Meurant et Mme Lamure, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au 3° du I, le mot : « dix-neuf » est remplacé par le mot : « dix-huit » ;
La parole est à Mme Jacqueline Eustache-Brinio.
Mme Jacqueline Eustache-Brinio. Un mineur devenu majeur est en mesure de déposer une demande d’attribution de la protection subsidiaire ou du statut d’apatride indépendamment de ses parents. Il s’agit donc de ne plus permettre la réunification que pour les seuls mineurs, en supprimant la phase intermédiaire entre 18 ans et 19 ans durant laquelle de jeunes majeurs peuvent encore rejoindre leurs parents.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Aujourd’hui, les bénéficiaires d’une protection internationale peuvent être rejoints par leurs enfants jusqu’à la veille de leur dix-neuvième anniversaire. Il s’agit en réalité d’une disposition assez classique en droit des étrangers, visant à laisser le temps aux mineurs de réaliser leurs démarches administratives.
Cependant, cet amendement vise à permettre cette réunification familiale uniquement pour les mineurs, c’est-à-dire à supprimer la phase intermédiaire entre 18 ans et 19 ans.
La commission a vérifié si l’acceptation de cet amendement n’aurait pas d’autres conséquences ou d’autres impacts sur d’autres pans du droit des étrangers. Il n’y en a pas. C’est la raison pour laquelle elle émet un avis favorable sur cet amendement.
Mme Éliane Assassi. On s’attaque aux mineurs !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. L’extension de la réunification familiale aux enfants de réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire jusqu’à leurs 19 ans a été inscrite dans la législation par la loi relative à réforme de l’asile de 2015. Le Gouvernement souhaite maintenir ces dispositions protectrices, garantes de l’unité familiale et conformes à la directive Qualification.
Au-delà, le Gouvernement ne souscrit pas à l’objectif d’exclure les enfants mineurs de la réunification familiale, tandis que les majeurs pourraient y prétendre. Par conséquent, il émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme Éliane Assassi. Vous ne pouvez pas accepter cela, mes chers collègues !
M. Pierre Laurent. C’est une honte !
Mme Éliane Assassi. Aucun sens humain !
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 34 est présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 128 rectifié est présenté par M. Poadja, Mme Billon et M. Henno.
L’amendement n° 189 rectifié bis est présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain.
L’amendement n° 512 rectifié est présenté par MM. Richard, de Belenet, Amiel, Bargeton, Cazeau, Dennemont, Gattolin, Haut, Karam, Lévrier, Marchand, Navarro, Patient, Patriat et Rambaud, Mmes Rauscent et Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe La République En Marche.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 3
Rétablir le a dans la rédaction suivante :
a) L’avant-dernier alinéa du I est complété par les mots : « , accompagnés le cas échéant par leurs enfants mineurs non mariés dont ils ont la charge effective » ;
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 34.
Mme Michelle Gréaume. L’article 3 a trait à la réunification familiale. Il s’agit de l’un des seuls éléments favorables de ce projet de loi qui constituent une avancée concrète pour le droit des réfugiés.
Je rappelle que la réunification familiale, qui permet aux réfugiés et aux bénéficiaires de la protection subsidiaire et aux apatrides de demander à être rejoints en France par les membres de leur famille, n’est pas le regroupement familial, lequel répond à d’autres logiques, puisqu’il s’applique aux étrangers ne bénéficiant pas d’une protection internationale.
Cette procédure spécifique de réunification familiale est fondée sur le principe de « l’unité de la famille », reconnu par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et par l’article 23 de la directive européenne Qualification du 13 décembre 2011.
Initialement, il s’agissait, par cet article, d’élargir le droit à la réunification familiale aux frères, sœurs, demi-frères et demi-sœurs d’un réfugié, d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire ou d’un apatride, lorsque celui-ci est un mineur non marié.
Sur l’initiative de M. Karoutchi, cette possibilité a été supprimée par la commission, avec l’accord du rapporteur.
Ainsi, vous avez considéré que cette mesure pouvait créer « un appel d’air » – je vous cite – pour des flux migratoires, jugés toujours plus importants. Vous avez également argué que les frères et sœurs ont toujours la possibilité « de déposer eux-mêmes une demande d’asile ou de bénéficier d’un visa asile ». Quelle ironie, lorsque l’on sait que l’on parle bien d’enfants mineurs, pour qui ces démarches sont peut-être un peu difficiles à mettre en œuvre !
Là où vous évoquez un appel d’air, nous voyons un geste d’humanité. Le fondement même de ce dispositif repose en effet sur les dangers pour la famille restée au pays, notamment les frères et sœurs.
Nous demandons donc le rétablissement de cette mesure qui permettra de protéger un certain nombre d’enfants.
Mme Esther Benbassa. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 128 rectifié n’est pas soutenu.
La parole est à M. Didier Marie, pour présenter l’amendement n° 189 rectifié bis.
M. Didier Marie. Cet amendement a pour objet de rétablir la disposition qui permettra aux mineurs isolés ayant obtenu le statut de réfugié de faire venir leurs frères et sœurs en France.
Cette disposition a été supprimée par un amendement au motif que « l’extension du regroupement familial aux frères et sœurs mineurs constituerait un appel d’air pour des flux migratoires toujours plus importants », ce qui illustre à plusieurs titres la confusion entretenue sur ce sujet.
D’une part, l’article 3 ne concerne pas le regroupement familial, mais la réunification familiale, laquelle concerne les personnes bénéficiaires d’une protection internationale et leur permet d’être rejoints en France par leur conjoint ou leurs enfants mineurs. D’autre part, en 2016, la réunification familiale a concerné 4 319 personnes, ce qui chiffre l’« appel d’air » évoqué tout à l’heure par M. Karoutchi à 0,006 % de la population française. C’est dire si cet appel d’air est faible !
M. le président. La parole est à M. Julien Bargeton, pour présenter l’amendement n° 512 rectifié.
M. Julien Bargeton. Richard Yung a dit regretter l’évolution de cet article et la suppression de la réunification familiale. Cet amendement du groupe La République En Marche la rétablit, ce qui est assez logique.
Je ne vois pas comment on peut défendre le principe de la protection, de la préservation du droit d’asile et, en même temps, refuser son extension à la famille puisqu’un mineur ne peut se construire que dans le cadre familial. C’est assez paradoxal. Cela me paraît même assez étrange.
Je partage les propos qui viennent d’être tenus : au regard de la réalité de ce phénomène, on ne peut pas du tout parler d’appel d’air. Comme cela a été rappelé, il ne faut pas confondre regroupement familial et réunification familiale, cette dernière étant bien l’objet de cet article. C’est la raison pour laquelle nous proposons un amendement visant à rétablir l’article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
Je note que l’amendement n° 128 rectifié n’est pas soutenu. J’ai déjà donné des explications lors de l’examen de l’amendement n° 186 rectifié, à l’article 2, je n’y reviens donc pas.
Les amendements en discussion visent les flux, mais on oublie que, aujourd’hui, potentiellement 2 700 personnes qui bénéficient de la protection seraient susceptibles de bénéficier aussi des dispositions prévues par ces amendements. Il faut donc tenir compte à la fois des flux et des personnes déjà présentes.
M. Pierre Laurent. On est loin d’une invasion !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. J’entends le mot « invasion » et des tas d’autres choses.
Je voudrais redire que, dans les politiques migratoires, même si on peut comprendre la générosité des positions de certains, le risque existe de mettre des enfants entre les mains de passeurs… (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
C’est la réalité ! Je vous invite à interroger nos services et à vous rendre sur place pour voir comment cela se passe.
Mme Éliane Assassi. À ce titre, on ne les accepte pas ?
M. Jean-Yves Leconte. Et à la place, qu’est-ce qu’on fait ?
Mme Esther Benbassa. Ils n’ont qu’à traverser seuls, alors !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement partage naturellement l’objectif de rétablir les dispositions supprimées en commission, qui sont relatives à la possibilité offerte aux ascendants de mineurs protégés de rejoindre leur enfant au titre de la réunification familiale, en étant accompagnés de leurs autres enfants mineurs non mariés. Il s’agit en effet de préserver l’unité de la famille pour les quelques cas rencontrés chaque année – il n’y en a pas énormément – et l’OFPRA accorde la protection à des mineurs qui bénéficient ensuite du rapprochement familial de leurs parents.
Il ne faut pas placer des parents devant le dilemme de devoir rester avec une partie de la fratrie en France ou avec une autre au pays. Certains prétendent que cette disposition crée un appel d’air et brandissent la menace d’un afflux migratoire massif. C’est jouer sur des peurs injustifiées. En effet, cette disposition concernera peu de monde : en 2017, seuls 357 mineurs ont reçu la protection de l’OFPRA.
Ceux qui brandissent la menace d’un appel d’air mélangent volontairement aussi deux phénomènes – je n’accuse personne ici ! (Mme Éliane Assassi rit.) – : le cas des mineurs isolés qui demandent l’asile, lesquels sont peu nombreux – 591 demandes en 2017 – et les mineurs non accompagnés, qui demandent la protection de l’enfance – 54 000 demandes en 2017 adressées aux conseils départementaux.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. En outre, je tiens à rappeler que la réunification familiale pour les réfugiés est une procédure absolument spécifique et très encadrée. Seules 2 380 personnes sont venues en France à ce titre en 2017. Elle ne doit pas être confondue avec l’ensemble de l’admission au séjour pour les étrangers du fait de la vie privée et familiale, ce que l’on appelle le regroupement familial, mais qui est plus large encore, et dont le chiffre s’élève à 83 478 entrées pour motif familial.
Dans ces conditions, le Gouvernement émet bien sûr un avis favorable sur ces amendements.
Mme Esther Benbassa. C’est dit !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, permettez-moi de revenir quelques instants sur la sémantique et les métaphores météorologiques convoquées : nous avons eu droit à la submersion, au raz de marée, à l’inondation, au déferlement, au tsunami et, maintenant, à l’appel d’air.
Mme Esther Benbassa. Il est tout petit !
M. Jean-Pierre Sueur. Ces images sont dérisoires, lorsque l’on considère les chiffres cités par Mme la ministre ou Didier Marie tout à l’heure.
Par ailleurs, il s’agit d’êtres humains. Il s’agit à chaque fois d’un être humain : ce n’est pas une substance compacte à caractère liquide ou gazeux !
La sémantique, c’est de la politique et le fait d’employer toujours ces mots a, bien sûr, un effet, et un effet très négatif.
De deux choses l’une : ou il y a un droit ou il n’y en a pas. Le droit s’applique à chaque être humain. Nous sommes ici pour essayer de construire le meilleur droit possible. Il faut y veiller.
De la même façon – vous connaissant, madame la ministre, je pense que vous avez eu l’occasion d’en parler avec votre ministre « de tutelle », si l’on peut dire –, le ministre de l’intérieur a expliqué devant la commission des lois que les pauvres personnes qui traversent la Méditerranée sur des rafiots qui menacent à tout moment de faire naufrage font du benchmarking…
Mme Esther Benbassa. Du shopping !
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Jean-Pierre Sueur. … et étudient le régime juridique de l’immigration dans un certain nombre de pays d’Europe de manière à trouver le meilleur.
Cher Roger Karoutchi, vous voyez bien que tout cela ne tient pas !
Mme Michèle Vullien. Ce sont les passeurs qui le font !
M. Jean-Pierre Sueur. Ma chère collègue, vous avez bien raison de parler des passeurs. Ce qui est absolument indispensable, c’est que l’Europe, dans sa totalité, se dote d’organismes beaucoup plus puissants et de moyens beaucoup plus adaptés, de manière à mettre fin au trafic des passeurs.
On peut le faire, mais FRONTEX a des moyens insuffisants. Il faut le faire aux rives de la Libye, de la Tunisie, aux îles Kerkennah, etc. C’est beaucoup plus utile que de déblatérer sur les êtres humains en termes de météorologie !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Monsieur Sueur, dans un débat, il faut respecter ce que les autres disent et ne pas travestir leurs propos.
M. Jean-Pierre Sueur. Bien sûr !
M. Roger Karoutchi. Pour ma part, je n’ai jamais utilisé les termes de submersion, de raz de marée ou de je ne sais quoi. Je suis bien conscient que l’on parle d’êtres humains.
Reste qu’il y a le droit, il y a la loi et il y a la politique qui est souhaitée par les États.
Pour ma part, comme vous sans doute, je suis allé voir des campements de migrants dans Paris. Eh bien, j’aimerais bien savoir en quoi ils sont traités comme des êtres humains dans ces lieux ! En la matière, les choses doivent être dites ; c’est ce que le rapporteur a fait.
Selon vous, il suffit que l’Europe se décide à lutter contre les passeurs.
Mme Éliane Assassi. Ah !
M. Roger Karoutchi. C’est ce que tout le monde attend depuis des années. Pour le moment, quelques renforcements de FRONTEX ont été prévus, mais cela reste relativement limité. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison !
M. Roger Karoutchi. Laissez-moi vous donner un chiffre, histoire que chacun comprenne un peu de quoi l’on parle. Savez-vous que les passeurs libyens, ceux qui organisent l’envoi des bateaux, ont un revenu supérieur au revenu pétrolier de la Libye ?
Mme Esther Benbassa. Oh !
M. Roger Karoutchi. En clair, les types gagnent un pognon fou…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Un « pognon de dingue » !
M. Roger Karoutchi. Je sais bien que le revenu pétrolier de la Libye a diminué, la production étant en baisse, mais le fait est que les types gagnent un pognon fou avec ce trafic. Il faut reconnaître ce problème et lutter d’abord contre les passeurs.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Nous nous félicitions, monsieur Karoutchi, que les mots que l’on a très souvent entendus à propos du présent projet de loi dans les commentaires politiques – tsunami, raz de marée, et j’en passe – et qui ont été beaucoup employés par la famille politique dont vous venez de parler, et par d’autres, n’aient pas été prononcés dans cet hémicycle depuis le début de notre débat.
Peut-être le drame de l’Aquarius est-il d’ailleurs pour quelque chose dans le climat un peu apaisé dans lequel se déroulent nos travaux, mais cela ne change rien sur le fond aux dispositions figurant dans le projet de loi que nous examinons ce soir.
Pour terminer, la seule manière de lutter efficacement contre les passeurs serait de réorienter notre action et de créer des voies légales de passage pour les migrants. De l’ONU aux ONG, tous ceux qui, dans le monde, travaillent sur ces questions expliquent que, en l’absence de voies légales et sécurisées de migration, s’il n’existe que des dispositifs répressifs, des murs ou autres, les passeurs font florès.
Je le répète : pour lutter contre le trafic des passeurs, il faut des voies de migration légales et sécurisées internationalement.
Mme Éliane Assassi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je ne reviendrai pas sur les arguments qui ont été avancés.
Monsieur Karoutchi, vous n’avez jamais utilisé ces termes dans l’hémicycle, mais l’amendement dont nous discutons vise à rétablir une disposition qui a été supprimée à la suite de l’adoption d’un amendement que vous avez déposé et que vous justifiez ainsi dans son objet : « Ce dispositif va entraîner une explosion de l’immigration, jetant sur les routes de la mort de nombreux mineurs non accompagnés qui, une fois en France, pourront faire venir légalement non seulement leurs parents, mais également toute leur fratrie. »
M. Roger Karoutchi. Et alors ?
M. Jean-Yves Leconte. Au lieu de déplorer la présence de mineurs non accompagnés en France et de propager des fake news de cette nature,…
M. Roger Karoutchi. C’est la vérité !
M. Jean-Yves Leconte. … il serait plus raisonnable…
M. Roger Karoutchi. Quel rapport ?
M. Jean-Yves Leconte. … d’adopter cet amendement, qui vise à permettre que ces mineurs, lorsqu’ils sont protégés, soient accompagnés, ce qui serait une bonne chose.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Notre débat est tout à fait passionnant, mais je tiens à signaler que la France a jusqu’à ce jour rempli ses engagements internationaux en matière d’asile sans avoir eu à recourir à la nouvelle procédure introduite par l’Assemblée nationale. La raison en est très simple, c’est que l’on peut supposer que les motifs pour lesquels un mineur étranger a obtenu l’asile valent aussi pour ses frères et sœurs. Il n’y a donc pas de raison de les dispenser de la procédure de reconnaissance de leur qualité de réfugié, d’autant moins qu’on peut supposer qu’ils obtiendront satisfaction. Pourquoi est-ce que ce qui nous permettait jusqu’alors d’honorer intégralement notre devoir deviendrait aujourd’hui insuffisant ?
À vrai dire, je pense que la mesure qui a été introduite par l’Assemblée nationale, et que personne ne réclamait, ne présente aucune espèce d’utilité dès lors que ces mineurs étrangers seront reconnus comme réfugiés sans aucun problème.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 34, 189 rectifié bis et 512 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 133 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 135 |
Contre | 208 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, je vous propose maintenant de suspendre la séance, sauf si vous vous engagez à procéder à l’examen des trois amendements suivants en discussion commune en cinq minutes, afin que nous puissions suspendre nos travaux à vingt heures. (Vives protestations sur diverses travées.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On continue !
M. le président. On continue !
Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les amendements nos 58 rectifié et 84 sont identiques.
L’amendement n° 58 rectifié bis est présenté par M. Karoutchi, Mme Canayer, MM. Poniatowski et Cambon, Mme Lavarde, M. Kennel, Mme Garriaud-Maylam, M. Mayet, Mme Procaccia, MM. Bizet, Brisson et Duplomb, Mmes Deroche et Micouleau, M. Daubresse, Mme Berthet, MM. Courtial, Morisset et Savary, Mme Dumas, MM. Revet, Longuet, Danesi et Ginesta, Mme Thomas, M. Schmitz, Mme Lanfranchi Dorgal, MM. Genest, Joyandet, Piednoir, Charon et Dallier, Mme Deseyne, M. B. Fournier, Mme Bonfanti-Dossat, MM. Bonhomme et Bouchet, Mme Boulay-Espéronnier, M. J.M. Boyer, Mmes Chain-Larché et Delmont-Koropoulis, MM. P. Dominati, Gilles, Gremillet, Mandelli, Milon, Pierre, Sido, Vogel et Cardoux et Mme Lamure.
L’amendement n° 84 est présenté par M. Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Le dernier alinéa du I est ainsi rédigé :
« L’âge de l’enfant demandeur d’asile ou rejoignant le demandeur d’asile est apprécié à la date à laquelle le demandeur d’asile au titre de la réunification familiale obtient une réponse de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. » ;
La parole est à M. Roger Karoutchi, pour présenter l’amendement n° 58 rectifié bis.
M. Roger Karoutchi. Cet amendement vise à prévoir que l’âge de l’enfant demandeur d’asile est apprécié en prenant en compte la date à laquelle l’OFPRA donne sa réponse et non celle à laquelle l’intéressé fait sa demande.
Je précise que cette demande émane de l’OFPRA, qui souhaite ainsi résoudre des problèmes techniques.
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour présenter l’amendement n° 84.
M. Dany Wattebled. Même objet.
M. le président. L’amendement n° 190 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au dernier alinéa du I, les mots : « de réunification familiale » sont remplacés par les mots : « d’asile » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement vise tout le contraire ! (Rires.) Je pense que vous êtes incohérents. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Charles Revet. Parlez plus aimablement !
M. Roger Karoutchi. Parlez pour vous !
M. Jean-Yves Leconte. Ceux d’entre vous qui ont eu des enfants ne les ont pas mis à la porte du jour au lendemain lorsqu’ils ont atteint leurs 18 ans ! Vous savez qu’ils ont besoin d’accompagnement. Vous savez aussi que l’âge des mineurs est très difficile à apprécier.
Alors, oui, théoriquement, les jeunes majeurs sont autonomes, mais en réalité, ce n’est pas vraiment le cas. Ils ont besoin d’accompagnement. D’ailleurs, on le voit, nombre de personnes en difficulté et de SDF sont passées par l’aide sociale à l’enfance.
Il est donc important que l’âge des demandeurs ayant tout juste atteint 18 ans soit apprécié au moment où la demande d’asile est déposée, non au moment où l’OFPRA donne sa réponse. Le critère de majorité et de minorité est ainsi conservé, mais on ne fait pas dépendre la réunification familiale du délai d’étude du dossier.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Aujourd’hui, l’âge des enfants de réfugiés admis à la réunification familiale est apprécié à la date de la demande de réunification.
Deux propositions contraires nous sont soumises.
Les amendements nos 58 rectifié bis de M. Karoutchi et 84 de M. Wattebled visent à apprécier l’âge de l’enfant plusieurs mois après, au moment de l’autorisation de la réunification familiale.
À l’inverse, l’amendement n° 190 rectifié bis de M. Leconte tend à apprécier l’âge de l’enfant plusieurs mois avant, au moment de la demande d’asile, ce qui conduirait d’ailleurs à admettre à la réunification familiale les enfants devenus majeurs.
En conséquence, la commission des lois a émis un avis favorable sur les amendements identiques nos 58 rectifié bis et 84 et un avis défavorable sur l’amendement n° 190 rectifié bis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 58 rectifié bis et 84.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 190 rectifié bis n’a plus d’objet.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Thani Mohamed Soilihi.)
PRÉSIDENCE DE M. Thani Mohamed Soilihi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
7
Immigration, droit d’asile et intégration
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.
Dans la discussion du texte de la commission, nous poursuivons, au sein du chapitre Ier du titre Ier, l’examen de l’article 3.
TITRE Ier (suite)
ACCÉLÉRER LE TRAITEMENT DES DEMANDES D’ASILE ET AMÉLIORER LES CONDITIONS D’ACCUEIL
Chapitre Ier (suite)
Le séjour des bénéficiaires de la protection internationale
Article 3 (suite)
M. le président. L’amendement n° 375 rectifié, présenté par MM. Sueur, Assouline et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner et Kerrouche, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes G. Jourda, Lepage, Lienemann et S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, M. Temal, Mme Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…) Après le troisième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité administrative informe les membres de la famille d’un réfugié ou d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire, sollicitant un visa d’entrée pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, des modes de preuves auxquels ils peuvent recourir pour établir les liens de filiation. » ;
…) Le quatrième alinéa du II est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le doute sur authenticité des documents étrangers bénéficie au demandeur. » ;
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Cet amendement est de bon aloi, car il a été proposé par Jacques Toubon, Défenseur des droits, que vous connaissez très bien, monsieur Karoutchi.
Il vise à renforcer le droit des réfugiés ou bénéficiaires de la protection subsidiaire en leur permettant d’être informés des modes de preuve auquel ils peuvent recourir pour établir des liens de filiation dans la perspective d’une réunification familiale.
La délivrance, par les autorités administratives, diplomatiques et consulaires, d’informations sur les critères de filiation permettrait de renforcer la transparence à l’égard des étrangers souhaitant venir en France au titre de la réunification familiale.
Par ailleurs, selon un principe désormais bien établi, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, estime que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent les membres de la famille d’un réfugié ou d’un bénéficiaire d’un titre de séjour, « il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles-ci ».
La CEDH, j’y insiste, monsieur le président, a raison de dire qu’il faut accorder le bénéfice du doute au demandeur.
La CEDH et M. Toubon étant de notre côté, je ne doute pas du sort qui sera réservé à cet amendement par notre commission et par le Gouvernement !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Cet amendement a deux objets. Le premier est de prévoir dans la loi une information de la famille des réfugiés sollicitant la réunification familiale. Le second est de préciser que, en cas de doute sur l’authenticité des documents, le doute bénéficie au demandeur de la réunification familiale. Ce dernier point est évidemment très discutable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
D’abord, la définition des liens de filiation est très complexe. Il convient de laisser aux services le soin de l’apprécier.
En outre, il faut rappeler que les consulats peuvent également consulter le registre d’état civil du pays d’origine et demander des informations à l’OFPRA. C’est évidemment prévu dans le CESEDA.
Par ailleurs, le droit des étrangers est bâti sur des filiations « légalement établies », conformément aux dispositions importantes de l’article L. 314-11 du CESEDA. Il n’apparaît pas donc pas opportun de modifier ces principes.
Je le répète : l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Permettez-moi de vous donner lecture de l’article 47 du code civil : « Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »
Dans ces conditions, et compte tenu de la fraude rencontrée massivement – je dis bien : massivement – dans certains pays d’origine, le Gouvernement est défavorable au fait d’ériger en principe une présomption, même simple, de sincérité donnée à des documents douteux.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous félicite d’avoir lu le code civil, madame la ministre.
M. Jean-Pierre Sueur. Seulement, ce qu’a dit la Cour européenne des droits de l’homme à cinq reprises devrait tout de même nous inciter à la réflexion.
Permettez-moi de profiter de cette explication de vote pour vous faire une proposition, monsieur le rapporteur. Si cet amendement était rectifié et qu’il ne visait plus qu’à insérer l’alinéa commençant par : « L’autorité administrative informe les membres de la famille… », serait-il susceptible de recevoir un avis favorable de votre part ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. À la première lecture de la rectification que propose notre collègue Sueur, je suis d’accord.
M. Jean-Pierre Sueur. Je vous remercie de cet avis, monsieur le rapporteur. Avec l’accord de mes collègues, je rectifie donc l’amendement dans le sens que je viens d’indiquer.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 375 rectifié bis, présenté par MM. Sueur, Assouline et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, J. Bigot, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner et Kerrouche, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes G. Jourda, Lepage, Lienemann et S. Robert, M. Roger, Mmes Rossignol et Taillé-Polian, M. Temal, Mme Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Après le troisième alinéa du II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité administrative informe les membres de la famille d’un réfugié ou d’un bénéficiaire de la protection subsidiaire, sollicitant un visa d’entrée pour un séjour d’une durée supérieure à trois mois, des modes de preuves auxquels ils peuvent recourir pour établir les liens de filiation. »
La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote.
Mme Michelle Meunier. Je prends la parole, même si je regrette la décision de l’auteur de cet amendement que j’avais cosigné.
Il me semblait totalement cohérent avec les dispositions que nous avons votées ici en 2016 concernant la protection de l’enfant et la prise en compte de sa parole d’accorder le bénéfice du doute aux demandeurs, en particulier aux mineurs non accompagnés. On a redéfini différents critères.
Je prends acte de cette rectification, mais je regrette que l’amendement ne prévoie plus d’accorder le bénéfice du doute au demandeur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ainsi rectifié ?
M. le président. L’amendement n° 192 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
… – Le premier alinéa de l’article L. 723-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par les mots : « portant sur les signes de persécutions ou d’atteintes graves qu’il aurait subies ».
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. L’article L. 723-5 du CESEDA prévoit que l’OFPRA peut demander à une personne sollicitant l’asile de se soumettre à un examen médical.
Par cet amendement, nous souhaitons préciser que cet examen porte exclusivement sur les signes de persécutions ou d’atteintes graves que le demandeur aurait subies. Il s’agit d’assurer que l’examen médical ait un lien direct avec la demande de protection.
Cette garantie est fidèle à l’article 18 de la directive du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, dite « directive Procédures », laquelle dispose que les États membres prennent les mesures nécessaires, sous réserve du consentement du demandeur, pour que celui-ci soit soumis à un examen médical portant sur des signes de persécutions ou d’atteintes graves qu’il aurait subies dans le passé.
Il doit y avoir un lien direct entre la demande de protection et l’examen médical.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement, s’il était adopté, conduirait à demander au législateur de se substituer au médecin. Il vise en effet à inscrire dans la loi un certain nombre de contrôles médicaux alors qu’une bonne partie d’entre nous – c’est mon cas – ne dispose pas de la compétence nécessaire pour en apprécier la pertinence.
Il est si difficile de définir le contenu exact des examens médicaux qu’il me semble préférable de laisser cela aux médecins, non au législateur. Avis défavorable.
J’ajoute qu’un peu de souplesse dans le dispositif ne ferait pas de mal.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Lorsque l’OFPRA demande au demandeur d’asile de réaliser un examen médical, c’est parce qu’il lui est nécessaire pour mener à bien sa mission de protection. Par exemple, lorsque cet examen concerne une jeune fille protégée contre un risque d’excision – elle n’est donc pas excisée –, il est contre-productif de demander qu’il ne porte que sur les atteintes subies par la personne. Cela priverait la protection de sa portée.
Un examen médical peut en effet être indispensable afin de mieux évaluer, de mieux identifier les craintes de persécutions et d’atteintes graves de ces personnes à la lumière des éléments de la demande d’asile.
Il ne s’agit en aucun cas de demander un examen à des fins autres que celles de protection ou d’exercer un quelconque contrôle.
À cet égard, la précision que vous souhaitez apporter ne nous paraît absolument pas utile.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. L’idée sous-jacente à cet amendement est que le demandeur puisse faire valoir les persécutions qu’il estime avoir subies et que son libre arbitre soit reconnu. Il n’est pas nécessaire de pratiquer des examens médicaux invasifs, qui pourraient éventuellement aller bien au-delà de ce que souhaite le demandeur.
C’est la raison pour laquelle je maintiens cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 192 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.) (Marques de satisfaction et applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. L’amendement n° 191 rectifié bis, présenté par MM. Marie et Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 9
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…- Après le premier alinéa de l’article L. 723-5 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Si aucun examen médical n’est réalisé conformément au premier alinéa, l’office informe le demandeur qu’il peut, de sa propre initiative et à ses frais, prendre les mesures nécessaires pour se soumettre à un examen médical portant sur les signes de persécutions ou d’atteintes qu’il aurait subies. »
La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Je pense que M. Karoutchi votera cet amendement, lui qui préconisait tout à l’heure de ne pas aller au-delà de ce que prévoit la directive.
Cet amendement vise à nous mettre en conformité avec le droit européen. Selon l’article 18 de la directive Procédures du 26 juin 2013, que j’ai citée précédemment, les États membres prennent « les mesures nécessaires pour que le demandeur soit soumis à un examen médical portant sur les signes de persécutions ou d’atteintes graves qu’il aurait subies dans le passé ». À défaut d’examen médical, l’alinéa 2 du même article prévoit que l’État informe le demandeur qu’il peut, « de sa propre initiative et à ses frais », prendre les mesures nécessaires pour se soumettre à un examen médical.
L’État n’ayant pas assumé sa responsabilité et n’ayant pas proposé et financé l’examen médical, il lui revient – cela peut s’entendre – a minima de prévenir le demandeur qu’il peut réaliser un tel examen, d’autant plus que le certificat médical, en cas de séquelles physiques, mais aussi psychologiques, peut se révéler être une pièce essentielle du dossier, en ce qu’il atteste que l’état de santé du demandeur d’asile corrobore son récit, celui de ses persécutions, de sa fuite et de l’exil qui en découle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’objet de cet amendement est contraire à la position défendue par la commission, qui émet donc un avis défavorable.
En 2015, nous avons adopté la possibilité, pour l’OFPRA, de diligenter des examens médicaux, notamment pour les mineurs menacés de mutilations sexuelles. À cette époque, d’ailleurs pas si lointaine, cela n’a pas été facile : le Défenseur des droits trouvait d’ailleurs cette mesure trop intrusive pour la vie privée des demandeurs d’asile.
L’adoption de l’amendement n° 191 rectifié bis permettrait à un demandeur d’asile d’organiser, à ses frais, son propre examen médical. Or il paraît à la commission beaucoup plus pertinent de laisser l’organisation de cette procédure à l’OFPRA. De plus, il semblerait surprenant que l’OFPRA refuse d’organiser un tel examen médical quand il s’avère nécessaire. Je crois que nous pouvons faire confiance à cette institution de ce point de vue.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur le sénateur Marie, le demandeur a déjà la possibilité de demander un certificat médical après s’être soumis à un examen à ses frais. Préciser qu’il peut être informé d’une telle possibilité, outre le fait que cela ne relève pas du domaine de la loi, ne paraît donc pas nécessaire. Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. Autrement, l’avis sera défavorable.
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. Il est difficilement compréhensible que l’on nous demande, à de nombreuses reprises, de nous conformer au droit européen, en l’occurrence à une directive, mais que l’on nous refuse de le faire en la circonstance, alors que j’ai cité les termes précis de la directive concernée.
Au-delà des termes évoqués, cette question est importante. Il est toujours envisageable, même si, bien évidemment, l’OFPRA fait parfaitement son travail, qu’à un moment ou à un autre un examen médical n’ait pas été mené pour corroborer l’un des problèmes soulevés par le demandeur, ne serait-ce que parce que celui-ci, nous y reviendrons tout à l’heure, ne s’est pas exprimé dans la langue qu’il maîtrise le mieux.
Dans ces conditions, il paraît opportun que le demandeur puisse à son tour, conformément à la directive, demander qu’un examen complémentaire soit réalisé, même si c’est effectivement à lui de le financer.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 191 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 134 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 229 |
Le Sénat n’a pas adopté.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article 3.
M. Jean-Yves Leconte. Bien entendu, nous voterons contre cet article, compte tenu des modifications apportées au texte à la suite de l’adoption d’amendements déposés par le groupe Les Républicains avant la suspension du dîner. Celles-ci nous semblent particulièrement préjudiciables au droit à la réunification familiale et au respect de la capacité d’une famille de prendre en charge un enfant jusqu’à ce que j’appelle « la frontière » de ses 18 ans.
Il n’est pas raisonnable de considérer, sous le prétexte qu’il faut tenir compte du délai d’étude de la demande d’asile et du délai de la demande de réunification familiale, que ceux qui deviennent majeurs avant la fin de la procédure ne puissent pas bénéficier de la réunification familiale. Une telle modification va à l’encontre du droit d’asile et du droit à vivre dans une famille réunifiée.
Par conséquent, nous ne pouvons faire autrement que de voter contre l’article 3.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 135 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 343 |
Pour l’adoption | 208 |
Contre | 135 |
Le Sénat a adopté.
Chapitre II
Les conditions d’octroi de l’asile et la procédure devant l’Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile
Article additionnel avant l’article 4
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 193 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article L. 711-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après le mot : « au », sont insérés les mots « sexe, à l’identité de ».
La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Cet amendement vise à intégrer les aspects liés au sexe dans les motifs de persécution permettant une protection. Cela devrait aller de soi, mais ni la convention de Genève ni la directive Qualification ne les mentionnent expressément.
La convention de Genève évoque, dans son article 1er, les persécutions « du fait de [la] race, de [la] religion, de [la] nationalité, de [l’] appartenance à un certain groupe social ou [des] opinions politiques ». La directive Qualification, quant à elle, mentionne, dans son article 10, au titre des motifs de persécution, « la caractéristique liée à la race, à la religion, à la nationalité, à l’appartenance à un certain groupe social ou aux opinions politiques ».
Par conséquent, les aspects liés au sexe, pourtant essentiels, sont pris en compte au titre du groupe social. Or, on le sait, le simple fait pour une femme d’être une femme justifie souvent les violences de tous ordres. D’où notre volonté, par cet amendement, de préciser noir sur blanc la mention liée au sexe.
M. le président. L’amendement n° 119 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Avant l’article 4
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l’article L. 711-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après le mot : « genre », sont insérés les mots : « , à l’identité de genre ».
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement vise à modifier l’article L. 711-2 du CESEDA, qui précise : « S’agissant des motifs de persécution, les aspects liés au genre et à l’orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe. »
L’amendement que nous défendons a pour objet de préciser la liste des traits pouvant faire l’objet de persécutions, en y ajoutant la question de l’identité de genre.
En effet, nous ne pouvons ignorer la question de la transidentité et les difficultés qui sont celles des personnes transgenres dans certains États menant une politique de répression à leur égard. Nous ne pouvons pas non plus ignorer la difficulté qui est la leur au sein de nos centres d’accueil et de rétention administrative, où elles n’ont parfois pas accès à leurs médicaments lorsqu’elles sont en cours de transition, ou lorsqu’elles se font mégenrer dans le traitement de leurs dossiers.
Alors que la question du genre n’est évoquée ni dans le droit international ni dans le droit européen, autrement dit ni dans la convention de Genève ni dans la directive 2011/95/UE traitant des conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour bénéficier de la protection internationale ou subsidiaire, la France pourrait jouer un rôle précurseur en matière d’accueil des personnes transgenres. Mes chers collègues, saisissons l’occasion d’avoir un droit d’asile progressiste.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission demande le retrait de l’amendement n° 193 rectifié bis. À défaut, elle y sera défavorable.
Cet amendement tend à intégrer les aspects liés au sexe dans la définition des motifs de persécution. Or ceux-ci sont déjà pris en compte dans le droit en vigueur, au sein des dispositions de l’article L. 711-2 du CESEDA, qui renvoie à la convention de Genève et à la directive 2011/95/UE, dite directive Qualification.
La notion d’appartenance à un groupe social, tel que la prévoit la convention de Genève en son article 1er, constitue l’un des motifs de persécution susceptibles d’être pris en compte pour l’octroi du statut de réfugié.
L’article 10 de la directive Qualification précise notamment, s’agissant du groupe social, qu’il réunit des membres partageant « une caractéristique innée ou une histoire commune qui ne peut être modifiée », formant un groupe ayant une « identité propre […] parce qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante ».
Ainsi, le droit actuel prend très clairement en compte la notion de sexe dans la détermination de l’appartenance à un groupe social.
J’en viens à l’amendement n° 119 rectifié. Celui-ci tend à intégrer, au sein des motifs de persécution, les aspects liés à la transidentité, en ajoutant la notion d’identité de genre à celle de genre, qui est déjà prévue dans les dispositions de l’article L. 711-2 du CESEDA.
Cet amendement me paraît par conséquent d’ores et déjà satisfait par le droit en vigueur, qui prévoit que « les aspects liés au genre et à l’orientation sexuelle sont dûment pris en considération aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe ». Cette précision reprend d’ailleurs les termes de la directive Qualification de 2011.
C’est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 119 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable, exactement pour les mêmes raisons que celles qui ont été exposées par le rapporteur. En effet, la loi répond déjà aux préoccupations exprimées au travers de ces deux amendements.
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier, pour explication de vote sur l’amendement n° 193 rectifié bis.
Mme Michelle Meunier. J’ai entendu les arguments du rapporteur, que j’ai du mal à partager. Personne ne m’a jamais demandé à quel groupe social j’appartiens. En revanche, je suis jugée par le seul fait d’être une femme, pas un homme. Les aspects liés au sexe entrent tout de suite en ligne de compte. Ce qui est valable pour les uns l’est aussi pour les autres. Je maintiens donc l’amendement. (M. Rachid Temal applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 193 rectifié bis.
(L’amendement est adopté.) (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 4, et l’amendement n° 119 rectifié n’a plus d’objet.
Article 4
I. – Le titre Ier du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° L’article L. 711-6 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Au premier alinéa, les deux occurrences des mots : « peut être » sont remplacées par le mot : « est » ;
b) (nouveau) Au 1°, le mot : « grave » est remplacé par les mots : « pour la sécurité publique ou » ;
c) Au 2°, après le mot : « France », sont insérés les mots : « ou dans un État membre de l’Union européenne » et, après le mot : « terrorisme », la fin de la phrase est ainsi rédigée : « , soit pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace pour la société française. » ;
d) (nouveau) Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort dans un État tiers figurant sur la liste, fixée par décret en Conseil d’État, des États démocratiques garantissant l’indépendance des juridictions répressives, soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme, soit pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace pour la société française. » ;
2° L’article L. 713-5 est complété par les mots : « ou d’un refus ou d’une fin de protection en application de l’article L. 711-6 du présent code ».
II. – Le titre Ier du livre VI du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complété par un article L. 611-13 ainsi rédigé :
« Art. L. 611-13. – Les décisions administratives de délivrance, de renouvellement ou de retrait d’un titre ou d’une autorisation de séjour sur le fondement des articles L. 121-4, L. 122-1, L. 311-12, L. 313-3, L. 314-3 et L. 316-1-1 ou des stipulations équivalentes des conventions internationales, peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques intéressées n’est pas incompatible avec le maintien sur le territoire.
« Ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation de traitements de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à l’exception des fichiers d’identification.
« Il peut également être procédé aux mêmes enquêtes pour l’application des articles L. 411-6, L. 711-6, L. 712-2 et L. 712-3 du présent code.
« Un décret détermine les modalités d’application du présent article. Il précise notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées sont informées de la consultation de traitements de données à caractère personnel. »
III. (nouveau) – Le titre Ier du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers en France est ainsi modifié :
1° L’article L. 711-4 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « peut mettre » sont remplacés par le mot : « met » ;
b) Au deuxième alinéa, les mots : « peut également mettre » sont remplacés par les mots : « met également » ;
2° L’article L. 712-2 est ainsi modifié :
a) Au d, le mot : « grave » est supprimé ;
b) L’avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Le présent article s’applique également aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices de ces crimes ou agissements ou qui y sont personnellement impliquées. » ;
c) Au dernier alinéa, les mots : « peut être » sont remplacés par le mot : « est » ;
3° L’article L. 712-3 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « peut mettre » sont remplacés par le mot : « met » ;
b) Au troisième alinéa, les mots : « peut également mettre » sont remplacés par les mots : « met également ».
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. L’article 4 du projet de loi vise à étendre, dans deux séries d’hypothèses où il existe des motifs sérieux de sécurité, les possibilités pour l’Office français de protection des réfugiés et apatrides de refuser ou retirer le statut de réfugié. Il vise également à renforcer l’obligation faite à l’autorité judiciaire de communiquer à l’OFPRA toute information susceptible de justifier une telle décision et, en parallèle, à permettre de procéder à des enquêtes administratives pouvant conduire au refus ou au retrait d’un titre de séjour ou d’une protection internationale.
Ici encore, il est proposé de revenir sur les dispositions figurant à l’article L. 711-6 du CESEDA, dont la création remonte à moins de trois ans, et ce naturellement pour les durcir, notre commission des lois ayant même souhaité étendre le champ des comportements susceptibles de fonder un refus ou un retrait du statut de réfugié.
Des milliers de personnes meurent de vouloir rejoindre le continent européen. Le Parlement et l’exécutif préfèrent au fait d’assurer un accueil digne envoyer un message plutôt sécuritaire. Rien de surprenant peut-être, mes chers collègues, mais il y a quelque chose de terrifiant à voir des thèses et des idées insidieuses, habituellement réservées à l’extrême droite, aujourd’hui utilisées par presque tous les bords politiques.
Faire penser aux citoyens, qui pourraient être à raison choqués de voir comment la supposée patrie des droits humains traite les exilés, que, parmi ces derniers, se cachent sans doute des terroristes : voilà ce contre quoi nous nous battons.
Les procédures existent pour refuser ou retirer le statut de réfugié. C’est tout à fait légitime. Mais les durcir nous paraît pour le moins inutile et relever d’une vision uniquement sécuritaire et dissuasive de la question migratoire, vision qui me semble parfaitement vaine.
M. le président. L’amendement n° 517 rectifié, présenté par M. Arnell, Mmes Costes, M. Carrère et N. Delattre, MM. Requier, Artano, A. Bertrand, Castelli, Collin, Corbisez, Gabouty, Guérini et Guillaume, Mme Laborde et MM. Menonville, Vall et Gold, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Au 1° de l’article L. 711-6, le mot : « grave » est remplacé par les mots : « pour la sécurité publique ou » ;
2° Le titre Ier du livre VI est complété par un article L. 611-… ainsi rédigé :
« Art. L. 611-… – Les décisions administratives de délivrance, de renouvellement ou de retrait d’un titre ou d’une autorisation de séjour sur le fondement des articles L. 121-4, L. 122-1, L. 311-12, L. 313-3, L. 314-3 et L. 316-1-1 ou des stipulations équivalentes des conventions internationales, peuvent être précédées d’enquêtes administratives destinées à vérifier que le comportement des personnes physiques intéressées n’est pas incompatible avec le maintien sur le territoire.
« Ces enquêtes peuvent donner lieu à la consultation de traitements de données à caractère personnel relevant de l’article 26 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, à l’exception des fichiers d’identification.
« Il peut également être procédé aux mêmes enquêtes pour l’application des articles L. 411-6, L. 711-6, L. 712-2 et L. 712-3 du présent code.
« Un décret détermine les modalités d’application du présent article. Il précise notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées sont informées de la consultation de traitements de données à caractère personnel. »
La parole est à M. Guillaume Arnell.
M. Guillaume Arnell. Pour des raisons évidentes, la lutte contre le terrorisme fait actuellement l’objet d’une préoccupation transversale et impacte un grand nombre de politiques publiques.
L’article 4, considérablement modifié en commission des lois, propose dans sa version actuelle de réduire substantiellement les marges d’appréciation de l’OFPRA et de le contraindre à retirer ou à rejeter systématiquement la protection à une personne condamnée à l’étranger pour terrorisme ou pour une infraction punie de plus de dix ans d’emprisonnement.
Si l’objectif recherché nous paraît légitime, la rédaction proposée par le rapporteur ne nous semble pas satisfaisante, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, l’article L. 711-6 du CESEDA offre déjà un fondement à l’OFPRA pour rejeter une demande d’asile ou y mettre fin, quand la présence de la personne sur le sol français représente une menace grave pour la sûreté de l’État ou lorsque celle-ci a déjà été condamnée pour un crime ou délit puni de plus de dix ans d’emprisonnement. L’automaticité ainsi introduite n’est pas souhaitable.
Ensuite, la nouvelle rédaction proposée tend à transformer le rôle assigné à l’OFPRA, en l’insérant dans le dispositif de lutte contre le terrorisme. Cela pourrait nuire à son indépendance, consacrée par l’article 7 de la loi sur l’asile de 2015, qui dispose en effet que l’Office « exerce en toute impartialité » ses missions « et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction ». Il serait préférable de renforcer à cette fin le contrôle effectué en préfecture, où le personnel est plus familier des questions de sécurité et d’ordre public, et ce dès la phase initiale de la demande d’asile.
Enfin, la rédaction proposée est insatisfaisante, dès lors qu’elle renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation d’une liste des États démocratiques garantissant l’indépendance des juridictions répressives soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme, soit pour un délit puni de dix ans d’emprisonnement. Une telle qualification est éminemment politique, comme l’a montré la récente condamnation de Mélina Boughedir en Irak.
Cet amendement vise donc à modifier l’article L. 711-6 du CESEDA, afin d’élargir le fondement d’un rejet ou d’un retrait d’une protection à une personne représentant une menace, en conservant toutefois une marge d’appréciation pour l’OFPRA. Nous avons également eu le souci de conférer à cet office des moyens utiles dans son appréciation et souhaité maintenir la possibilité, pour les officiers de protection, de consulter certains fichiers administratifs.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 517 rectifié, qui vise à réécrire l’intégralité de l’article 4. Y est notamment proposé de supprimer la prise en compte d’une condamnation dans un État de l’Union européenne ou dans un État tiers pour le refus ou le retrait du statut de réfugié, ce qui pose tout de même une difficulté assez sérieuse.
L’amendement tend également à supprimer plusieurs autres apports de la commission, notamment sur la compétence liée de l’OFPRA pour le retrait de la protection subsidiaire. Lorsque l’OFPRA, après analyse de l’ensemble des faits dont il est saisi, décide que la protection ne peut pas être accordée, il en découle qu’il a évidemment non plus la faculté, mais l’obligation de refuser le statut en la circonstance.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis sera défavorable. La loi actuelle transpose exactement la directive sans qu’il soit nécessaire, au regard du droit européen, d’y ajouter d’autres éléments.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 517 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mes chers collègues, j’entends vos protestations, mais je vous rappelle que toute demande de scrutin public dûment remplie ne peut qu’être acceptée.
Mme Éliane Assassi. Nous protestons contre les raisons sous-tendant la demande de scrutin public !
M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 136 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 99 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, pour un rappel au règlement.
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous avons consulté l’article 29 ter du règlement de notre assemblée, relatif à l’organisation des débats. Nous risquons de perdre des heures à enchaîner les scrutins publics et nous avons donc réfléchi à la situation.
J’ai demandé à mes collègues du groupe socialiste et républicain de bien vouloir quitter l’hémicycle pour que vous puissiez être majoritaire, chers collègues de la majorité (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), mais ils refusent de le faire.
Nous pouvons retarder les échéances, parce que, malheureusement pour vous, vous n’avez pas réussi à mobiliser autant que vous l’auriez souhaité sur un texte aussi important.
M. Patrick Kanner. Nous avons estimé, pour ce qui nous concerne, que ce texte méritait la mobilisation de notre groupe.
M. Roger Karoutchi. Nous sommes admiratifs !
M. Patrick Kanner. Nous constatons toutefois une forme de blocage dans la fluidité de nos débats.
En conséquence, monsieur le président, je sollicite de votre part une suspension de séance, afin que nos collègues puissent remplir leurs travées et retrouver leur rang de majorité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement.
Nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants afin d’observer l’évolution de la situation.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures vingt, est reprise à vingt-deux heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
L’amendement n° 35 rectifié, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la première phrase de l’article L. 711-1, après le mot : « liberté », sont insérés les mots : « et de l’égalité » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le présent amendement vise à modifier l’article L. 711-1 du CESEDA, qui dispose que « la qualité de réfugié est reconnue à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ».
Nous souhaitons préciser que les militants en faveur de l’égalité devraient également se voir attribuer le statut de réfugié, lorsque leur lutte politique engendre une persécution dans leurs pays d’origine.
Valeur cardinale, fondatrice et inaliénable de notre République, l’égalité ne saurait être ignorée dans l’attribution du statut de réfugié. Il y va du respect de nos valeurs comme du droit international et européen.
En effet, tant la convention de Genève que la directive 2011/95 de l’Union européenne traitant des conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour bénéficier de la protection internationale ou subsidiaire considèrent que l’opinion politique et donc, de ce fait, la lutte pour les droits civiques et pour l’égalité légitiment une demande de droit d’asile et l’octroi du statut de réfugié, afin de mettre les militants politiques à l’abri des persécutions qu’ils pourraient subir dans leurs pays d’origine.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le présent amendement vise à modifier l’article L. 711-1 du CESEDA qui dispose que la qualité de réfugié est accordée à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté, en ajoutant qu’elle l’est également si son action est en faveur de l’égalité.
Il s’agit ici de modifier l’asile constitutionnel prévu à l’article 53-1 de la Constitution selon lequel « les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif ».
Cette rédaction me semble suffisamment large et l’amendement satisfait par le droit en vigueur.
Je vous propose donc de retirer cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Madame Benbassa, l’amendement n° 35 rectifié est-il maintenu ?
Mme Esther Benbassa. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 35 rectifié est retiré.
L’amendement n° 194 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cet amendement vise à revenir à la rédaction actuelle du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui a été modifiée par la commission.
Le CESEDA dispose aujourd’hui que : « Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque :
« 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ;
« 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société. »
La commission propose de remplacer « peut » par « est ». Elle considère donc que l’OFPRA doit dans tous les cas, une fois qu’il aura constaté les faits indiqués, refuser la protection.
Nous pensons au contraire qu’il est important de défendre la marge de manœuvre de l’OFPRA en la matière et de lui faire confiance. Sa décision pourra, dans tous les cas, être contestée devant la CNDA.
Il nous semble donc aberrant de privilégier une situation dans laquelle on refuserait à l’OFPRA toute marge de manœuvre alors que la personne qui recevrait une réponse obligatoirement négative en raison de la loi pourrait contester cette décision devant la CNDA.
Outre le manque de confiance que cela dénote envers l’OFPRA, une telle mesure conduirait à encombrer la CNDA, dont je rappelle qu’elle est un des points chauds du dispositif aujourd’hui, et qu’elle a besoin de moyens pour pouvoir travailler dans de bonnes conditions.
Cela ne sert à rien, mieux vaut faire confiance à l’OFPRA et lui laisser une marge de manœuvre. C’est la raison pour laquelle nous proposons de maintenir la rédaction actuelle du CESEDA sur ce point.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement qui tend à supprimer la compétence liée de l’OFPRA pour prononcer le refus ou le retrait du statut de réfugié en application de l’article L. 711-6 du CESEDA.
Il s’agit de distinguer la qualification des faits, pour laquelle l’OFPRA a toute latitude dans le cadre de l’instruction des dossiers – sous le contrôle du juge – et la conséquence de cette qualification, qui doit lier l’autorité administrative.
L’OFPRA doit ainsi apprécier, premièrement, si le demandeur constitue une menace pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État – c’est donc bien l’OFPRA qui qualifie les faits –, ou, deuxièmement, si le demandeur a été condamné pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, si sa présence constitue une menace pour la société française.
Les deux conditions sont cumulatives, l’étranger devant nécessairement avoir été condamné définitivement et, de surcroît, constituer une menace grave pour la société.
Il n’y a donc aucun caractère d’automaticité en présence d’une condamnation pour les infractions mentionnées au 2° de l’article L. 711-6 du CESEDA.
Dès lors que l’OFPRA a qualifié les faits, il n’y a aucune raison qu’il n’en tire pas les conséquences. C’est le sens de la position que la commission a adoptée sur la question de la compétence liée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Après avoir entendu ces deux exposés, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 194 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 137 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 228 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 85, présenté par M. Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
ou dans un État membre de l’Union européenne
par les mots :
, dans un État membre de l’Union européenne, dans un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou au sein de la Confédération suisse
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement vise à permettre de refuser le statut de réfugié à un demandeur ayant fait l’objet d’une condamnation pour terrorisme en France, dans tout autre État membre de l’Union européenne, partie de l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse.
L’actuelle rédaction de l’article 4 du projet de loi protège notre pays contre les demandeurs d’asile condamnés pour terrorisme dans un autre État membre de l’Union européenne, mais ne dit rien des autres pays européens.
L’Islande, la Norvège, le Liechtenstein ou la Confédération suisse ne sont pas mentionnés dans cet article, alors qu’ils ont noué des partenariats étroits avec l’Union européenne, y compris sur les questions d’asile et d’immigration.
Le cas futur du Royaume-Uni est tout aussi important, car, en quittant l’Union européenne, il ne sera plus concerné par l’article L. 711-6 du CESEDA.
Il convient donc d’harmoniser la rédaction de cet article en interdisant le statut de réfugié aux demandeurs ayant fait l’objet d’une condamnation en France, dans un État membre de l’Union européenne, dans un État membre de l’Espace économique européen ou dans la Confédération suisse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission demande le retrait de cet amendement, qu’elle considère comme satisfait par la rédaction de l’article 4 issue de ses travaux.
Cet amendement tend à étendre le champ des condamnations prises en compte pour le refus ou le retrait du statut de réfugié, à celles prononcées dans un État de l’Espace économique européen ou au sein de la Confédération helvétique.
Il est satisfait par l’alinéa 7 de l’article 4, qui prévoit que sont prises en compte les condamnations prononcées en dernier ressort dans des États tiers, démocratiques et garantissant l’indépendance des juridictions répressives, dont la liste serait fixée par décret en Conseil d’État.
Cette disposition permettrait par exemple d’écarter du droit d’asile une personne condamnée pour un crime ou un acte de terrorisme par les juridictions des États-Unis ou du Canada, mais aussi de la Confédération helvétique, par exemple.
Je vous propose donc de retirer cet amendement ; à défaut l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement considère également que cet amendement est satisfait par l’alinéa 7 de l’article 4.
M. le président. Monsieur Decool, l’amendement n° 85 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Decool. Non, j’ai été convaincu et je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 85 est retiré.
L’amendement n° 156 rectifié, présenté par MM. Meurant et H. Leroy, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer le mot :
dix
par le mot :
deux
La parole est à M. Sébastien Meurant.
M. Sébastien Meurant. Dans le même esprit, nous considérons que devenir Français est soit une chance de la nature soit un honneur.
M. David Assouline. Ce n’est pas un honneur !
M. Sébastien Meurant. Il est donc inconcevable d’y prétendre en ayant été condamné par la justice. Nous considérons qu’avoir encouru une peine de plus de deux ans de prison devrait interdire d’être Français.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je demande le retrait de cet amendement, qui tend à abaisser à deux ans le quantum des peines prises en compte dans le refus ou le retrait du statut de réfugié dans la seconde hypothèse de l’article L. 711-6 du CESEDA, lorsqu’il existe des motifs sérieux de sécurité publique.
Or cet article constitue la transposition en droit interne de l’article 14 de la directive Qualification, lequel impose de ne prendre en considération que des infractions d’une particulière gravité par leur nature et donc nécessairement punies d’une peine d’un quantum élevé.
Abaisser le quantum de la peine risquerait de conduire à méconnaître le sens et la portée de la directive et pourrait nous exposer, en cas de décisions de retrait ou de refus du statut sur ces motifs, à des annulations par le juge national pour non-respect de la directive ou à une procédure en manquement engagée par la Commission européenne.
Devant ce risque juridique important, je souhaite que vous retiriez cet amendement ; à défaut, je serais meurtri de devoir émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi. Vous seriez meurtrie, également ? (Sourires.)
M. le président. Monsieur Meurant, l’amendement n° 156 rectifié est-il maintenu ?
M. Sébastien Meurant. Je ne sais pas si l’on se rend compte de ce que nous sommes en train de faire.
Le droit français est bafoué de toutes parts en matière d’immigration, le bien commun et l’intérêt général devraient nous conduire à fermer les portes grandes ouvertes, mais l’on entend sur les travées à droite…
M. Patrick Kanner. Nous sommes la gauche, la droite, c’est vous !
M. Sébastien Meurant. … des propos hors de la réalité !
Mme Éliane Assassi. Qui êtes-vous pour prétendre connaître seul la réalité ?
M. Sébastien Meurant. On pourra donc devenir Français, s’intégrer à la société française, en ayant été condamné.
Je considère que c’est très dommageable. Je vais suivre l’avis de la commission (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), mais il faudrait vraiment que nous revoyions les choses de fond en comble et qu’ici, devant les statues de ces grands juristes, nous ne nous intéressions qu’à l’intérêt de la France et des Français. Aujourd’hui, en matière d’immigration, il me semble que nous en sommes loin !
M. Gilbert Bouchet. Bravo, vous avez raison !
M. Sébastien Meurant. Je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 156 rectifié est retiré.
L’amendement n° 195 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et J. Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 5 et 7
Remplacer les mots :
pour la société française
par les mots :
grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État
La parole est à Mme Marie-Pierre de la Gontrie.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Cet amendement vise à rédiger de manière claire l’article 4, dans lequel il est fait référence à la notion curieuse de « menace grave pour la société française », laquelle n’existe pas juridiquement, sauf erreur de ma part.
En revanche, il existe la notion de « menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État », dont nous savons définir les contours. L’objet de cet amendement est donc de clarifier le texte.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’avis est défavorable. Le présent amendement vise à remplacer la notion de « menace pour la société française », par celle de « menace pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État », s’agissant de la seconde hypothèse permettant de refuser ou retirer le statut de réfugié en cas de motifs sérieux de sécurité.
Or cette définition correspond exactement au point b du paragraphe 4 de l’article 14 de la directive Qualification, que l’article L. 711-6 du CESEDA transpose.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Même avis.
Ces termes sont effectivement la transposition de l’article 14.4 de la directive européenne dite « Qualification ». Il est souhaitable de faire coïncider au mieux le texte européen et le texte national et de ne pas « abaisser » la définition.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Mais une menace grave pour la société, cela ne veut rien dire en droit français !
M. le président. Chers collègues, je vous remercie d’attendre d’avoir la parole, que je donne volontiers à qui la demande, pour intervenir dans le débat.
La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Je regrette fort de me trouver en désaccord avec, à la fois, le rapporteur et la ministre, ce qui fait beaucoup… J’ai en effet une autre appréciation de la manière dont on doit transposer une directive européenne.
Nous avons de multiples exemples malheureux du vocabulaire juridique hasardeux utilisé dans les directives, négociées entre les États membres dans des langues variées – le plus souvent en anglais – avec des traductions subséquentes. La notion de « menace pour la société française » ne correspond à aucun concept juridique français. Je ne vois donc pas, madame la ministre, ce qui s’opposerait à ce que nous lui substituions celle de « menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État ».
Je trouve dommageable que, à cause d’un vocabulaire défectueux d’une directive qui ne nous lie en aucune manière en droit, nous écrivions une loi française sur un sujet de cette importance dans un langage qui n’a aucune pertinence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Nous aurions été prêts à nous laisser convaincre par les avis donnés par le rapporteur et la ministre s’ils avaient été plus explicites…
Je m’interroge : qu’y a-t-il dans la notion « de menace pour la société » qui ne serait pas incluse dans celle de « menace grave pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État » ? Qu’est-ce que la société, indépendamment du fait que ce n’est pas un objet juridique ? S’agit-il de l’opinion, de la communauté que nous formons, des valeurs ? Toutes ces notions, subjectives, n’ont pas place dans un texte de loi. C’est pourquoi nous voterons l’amendement de Mme de la Gontrie.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Puisque nous allons passer au vote dans quelques instants, je souhaite ne pas banaliser ce qui se passe depuis tout à l’heure.
Au moment même où nous discutons de ce projet de loi – la ministre et le rapporteur ont souligné l’importance de nos débats –, le ministre de l’intérieur italien déclare : « Nous avons besoin d’une épuration de masse, rue par rue, quartier par quartier. »
Ce que nous faisons ici est donc important et va rester dans l’histoire du débat public de notre pays, car ce qui se passe en Europe et dans le monde est très grave et doit tous nous interpeller. Or les membres de la majorité sénatoriale, qui disent pourtant accorder de l’importance au sujet dont nous débattons, ne sont pas capables de mettre à l’honneur le Sénat en étant suffisamment nombreux dans l’hémicycle. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Ça suffit !
M. David Assouline. Allez donc, faites du bruit !
Quant au groupe qui soutient le Gouvernement à l’origine de ce texte de loi, même s’il est ce qu’il est au Sénat, il compte seulement deux sénateurs présents. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Le bruit ne peut pas compenser l’absence ! (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
M. Xavier Iacovelli. Très bien !
M. David Assouline. Avant de voter, je veux donc souligner que nous devons prendre ce que nous faisons au sérieux. Nous parlons de vies humaines, d’attentes, de délais qui vont décider du destin d’un certain nombre d’êtres humains que nous voulons ou non accueillir dans notre pays. Il me semble que cela mérite vraiment (Les sénateurs du groupe Les Républicains marquent leur impatience et frappent sur leur pupitre pour indiquer que l’orateur a épuisé son temps de parole.), et je veux conclure là-dessus,…
M. Jackie Pierre. Stop !
M. David Assouline. … que vous soyez présents dans l’hémicycle !
M. Rachid Temal. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. J’admire, une fois de plus – ça fait beaucoup aujourd’hui (Sourires.) –, la capacité d’oubli de certains qui nous font la leçon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Ils semblent ne pas se rappeler le nombre de fois où le groupe socialiste, bien maigrement présent, a demandé des scrutins publics.
M. Xavier Iacovelli. C’était l’ancien monde !
M. Roger Karoutchi. Rassurez-vous, dans quelques jours, ce sera votre tour, et le président Kanner sera alors obligé de dire à ses troupes : « Vous n’étiez pas là, et j’ai été dans l’embarras. »
Franchement, ce genre de commentaire, qui pourra se retourner contre vous demain ou après-demain et sur n’importe quel texte, ne fait en rien avancer le débat sur l’immigration. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) C’est même indigne de notre assemblée.
Sur le fond, je dois dire qu’exceptionnellement je suis assez d’accord avec Alain Richard.
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Et avec moi, cher collègue !
M. Roger Karoutchi. Je ne comprends pas bien la notion d’atteinte à la société française. Serait-il possible d’ajouter à la notion de « menace pour la société française » celle de « menace grave pour la sécurité publique » ? J’avoue ne pas être assez juriste pour répondre.
Quoi qu’il en soit, si la notion de « menace pour la société » renvoie très certainement à une réalité européenne fascinante, je ne sais pas ce qu’elle signifie pour les Français de base. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bravo !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Pour être le plus clair possible, je vais vous donner lecture de l’article L. 711-6 du CESEDA, qui, je vous le rappelle, a été modifié par le Sénat en 2015 : « Le statut de réfugié peut être refusé ou il peut être mis fin à ce statut lorsque :
« 1° Il y a des raisons sérieuses de considérer que la présence en France de la personne concernée constitue une menace grave pour la sûreté de l’État ;
« 2° La personne concernée a été condamnée en dernier ressort en France soit pour un crime, soit pour un délit constituant un acte de terrorisme ou puni de dix ans d’emprisonnement, et sa présence constitue une menace grave pour la société. »
Cet article est certes la transposition de la directive Qualification, mais nous n’en faisons pas un totem. Simplement, la rédaction adoptée par notre commission, qui est un peu plus large, est très complémentaire et précise clairement les choses. C’est pour cette raison que l’avis de la commission est défavorable à l’amendement n° 195 rectifié bis.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 195 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant de la commission des lois. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 138 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 136 |
Contre | 206 |
Le Sénat n’a pas adopté.
L’amendement n° 196 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et Jacques Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ces infractions s’apprécient au regard du droit national.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Le projet de loi vise à refuser le statut de réfugié à une personne condamnée dans un autre pays que la France pour un crime ou un délit constituant un acte de terrorisme. Le CESEDA ne prévoyait jusqu’alors ce refus que dans le cas d’une condamnation en France.
Cet amendement tend à préciser que la notion de crime ou de délit constituant un acte de terrorisme s’apprécie au regard du droit national, car elle peut différer d’un pays à l’autre. Cette précision vaut aussi pour un État démocratique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission considère que l’amendement n° 196 rectifié bis est satisfait par le droit en vigueur.
Le présent amendement tend à préciser que l’appréciation des infractions prises en compte par les dispositions de l’article L. 711-6 du CESEDA pour retirer ou refuser le statut de réfugié en cas de motifs sérieux de sécurité s’effectue au regard du droit national.
Sachez que les infractions devront faire l’objet d’une double incrimination : dans le pays tiers et en France. Elles devront en outre être examinées à la lumière des principes du droit pénal français et des peines prévues, comme le Conseil constitutionnel l’a rappelé dans le considérant 23 de sa décision n° 2003-485.
Par ailleurs, le même principe prévaut s’agissant des pays membres de l’Union européenne en vertu de l’article 132-23-2 du code pénal.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Cet amendement vise à préciser que les infractions s’apprécient au regard du droit français, ce qui n’apparaît pas utile. En effet, cette exigence est implicitement contenue dans la définition donnée à l’alinéa 7 de l’article 4.
En outre, l’examen auquel se livrera l’OFPRA avant la décision de rejet ou de retrait permettra de vérifier que ces conditions sont réunies.
Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement n° 196 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu des précisions et des assurances qui viennent d’être données, je retire l’amendement.
M. le président. L’amendement n° 196 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 86, présenté par M. Malhuret et les membres du groupe Les Indépendants - République et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« … La personne concernée est inscrite au fichier de traitement des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste. » ;
La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Cet amendement tend à étendre le refus d’asile aux demandeurs inscrits au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste.
Le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, publié en février dernier, compte environ 20 000 personnes selon Matignon, dont plus de la moitié est actuellement sous haute surveillance. À l’inverse des fameuses fiches S, qui recensent les personnes susceptibles de menacer la « sûreté de l’État » et dont les profils peuvent être très variés – des militants d’extrême gauche aux hooligans –, ce fichier recense exclusivement des individus radicalisés.
Mis à jour régulièrement, il permet d’orienter les perquisitions, notamment pendant les périodes d’état d’urgence. Ainsi, les personnes susceptibles de passer à l’acte sont surveillées par la Direction générale de la sécurité intérieure. Les suspects jugés « moins dangereux » sont pour leur part suivis par le Service central du renseignement territorial, tandis que la police judiciaire, les gendarmes et le service de renseignement parisien s’occupent de tous les autres.
Il est donc essentiel que ce fichier puisse servir dans l’évaluation d’un dossier de délivrance d’une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir que l’inscription au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT, constituerait une troisième hypothèse permettant de refuser ou de retirer le statut de réfugié, au sens de l’article L. 711-6 du CESEDA.
Tout en comprenant parfaitement les intentions des auteurs de cet amendement, la commission considère qu’il est satisfait dans son esprit par les dispositions de l’article 4, qui permettent de procéder à des enquêtes administratives pour la mise en œuvre du refus ou du retrait du statut de réfugié pour des motifs sérieux de sécurité publique. Il s’agira d’ailleurs principalement pour l’OFPRA de demander aux services compétents d’effectuer ce qu’on appelle un criblage des individus concernés via la consultation des fichiers de police, de justice et de renseignement.
L’inscription d’un individu au sein de l’un de ces fichiers – le FSPRT ou le fichier S – sera donc bien prise en compte pour déterminer s’il constitue une menace pour la sécurité publique, la sûreté de l’État ou la société et si le statut de réfugié doit lui être refusé ou retiré.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement comprend la préoccupation exprimée par les auteurs de cet amendement, mais la seule inscription dans un fichier de renseignement ne saurait fonder une mesure de refus ou de retrait d’asile.
Il convient de rappeler que le FSPRT est un fichier administratif établi à partir de signalements et visant le recueil de renseignements sur des personnes dont certaines peuvent représenter une menace pour l’ordre public, d’autres non. Il ne peut donc fonder une décision de refus automatique, qui, en méconnaissant le principe de proportionnalité, serait contraire à la Constitution et au droit international.
Un retrait de cet amendement serait donc bienvenu.
M. le président. Monsieur Decool, l’amendement n° 86 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le rapporteur, vous avez dit que cet amendement était satisfait dans l’esprit. J’aurais préféré qu’il le soit dans la lettre… Néanmoins, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 86 est retiré.
L’amendement n° 197 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et Jacques Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… À la première phrase de l’article L. 713-3, après le mot : « protection », sont insérés les mots : « effective et non temporaire » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’article L. 713-3 du CESEDA permet de refuser une demande d’asile si la personne a accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine. Cet amendement vise à garantir qu’une protection ne pourra lui être refusée en France qu’à la condition que la protection dont elle peut bénéficier dans son pays d’origine soit effective et non temporaire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Le présent amendement vise à préciser la notion d’asile interne, qui permet de rejeter une demande d’asile lorsque la personne concernée peut avoir accès à une protection sur une partie du territoire de son pays d’origine. Les auteurs de l’amendement proposent que ce refus ne puisse être opposé que si la protection dont bénéficie l’intéressé dans son pays d’origine est effective et non temporaire.
L’article L. 713-3 du CESEDA, qui transpose les termes de l’article 8 de la directive Qualification, dispose que la personne doit être en mesure de s’établir dans ledit pays, ce qui suppose bien que la protection soit effective et non pas temporaire.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les conditions de l’asile interne sont strictement définies et encadrées par l’article L. 713-3 du CESEDA, qui est la transposition de la directive du 13 décembre 2011.
Alors que le Gouvernement agit à l’échelle européenne pour harmoniser davantage les règles européennes en matière d’asile, la précision que l’amendement tend à apporter serait contraire à l’objectif poursuivi. Elle introduirait au mieux des confusions, au pire des contradictions avec les directives européennes.
En outre, l’OFPRA et la CNDA veillent à appliquer ce dispositif de manière très attentive en faveur de la protection des personnes.
Pour ces motifs, le Gouvernement émet un avis vraiment défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 197 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 36, présenté par Mmes Assassi, Benbassa et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 8
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
… L’article L. 713-5 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque le statut de réfugié est refusé ou retiré en raison d’une condamnation intervenue dans un État membre de l’Union européenne, la décision étrangère traduite par un expert assermenté est versée au dossier du demandeur.
« Lorsque l’Office a connaissance d’une décision de condamnation intervenue dans un État membre de l’Union européenne, il en informe, sans délai, le demandeur et le cas échéant son conseil afin de recueillir ses observations. Les observations ainsi recueillies sont consignées dans le dossier du demandeur. »
La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Cet amendement a pour objet de compléter l’article 4, qui prévoit la faculté pour l’OFPRA de refuser le statut de réfugié ou de mettre fin à ce statut en cas de condamnation pour faits graves.
Au même titre que les avocats du droit d’asile de l’association ELENA, nous jugeons le présent article incomplet.
Aujourd’hui, le refus ou le retrait du statut de réfugié en raison d’une condamnation intervenue dans un État membre de l’Union européenne existe déjà, et ce de manière plus ou moins informelle. Faute d’un encadrement juridique suffisant, les requérants du droit d’asile se voient parfois refuser leur dossier en raison d’une condamnation intervenue dans un pays européen, alors même qu’ils n’ont jamais eu connaissance d’une telle condamnation.
Cela n’étant pas acceptable, le présent amendement vise à pallier les faiblesses juridiques existantes en accordant les droits nécessaires à la défense, notamment en donnant la possibilité au demandeur d’être informé de cette condamnation. Il s’agit simplement de respecter les droits de la défense, parmi lesquels figure le principe du contradictoire. Pour garantir ce droit, il incombera aux autorités chargées de l’examen des demandes d’asile de faire procéder à la traduction du document relatant la condamnation par un expert assermenté.
Dans un État de droit, il apparaît fondamental que le demandeur et/ou son conseil soient avisés de l’existence de cette décision de condamnation et invités à formuler des observations la concernant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement tend à prévoir une procédure contradictoire en cas de refus ou de retrait du statut de réfugié sur le fondement des dispositions de l’article L. 711-6 du CESEDA. Il est toutefois satisfait par les dispositions des articles L. 724-1 à L. 724-3 du même code, introduites par le Sénat en 2015.
Ces dispositions prévoient précisément que, lorsque l’OFPRA envisage de mettre fin à une protection, la personne concernée est en mesure de se défendre en lui présentant les motifs pour lesquels il n’y a pas lieu de lui retirer la protection internationale grâce à une procédure contradictoire. Ainsi, lorsque l’OFPRA informe par écrit la personne concernée des motifs de l’engagement de cette procédure, celle-ci peut présenter par écrit ses observations, et il peut être procédé à un entretien personnel.
Nous avions veillé en 2015 à ce que la procédure contradictoire soit parfaitement respectée. Cet amendement étant satisfait, je vous demande de bien vouloir le retirer. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Savoldelli, l’amendement n° 36 est-il maintenu ?
M. Pascal Savoldelli. Si d’autres collègues pensent qu’il faut retirer cet amendement, nous le retirerons… (Oui ! sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.) Soit, nous le retirons !
M. le président. L’amendement n° 36 est retiré.
L’amendement n° 578, présenté par M. Buffet, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 10
Compléter cet alinéa par le mot :
français
II. – Alinéas 11 et 13, seconde phrase
Après le mot :
traitements
insérer le mot :
automatisés
La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 198 rectifié bis, présenté par M. Leconte, Mme de la Gontrie, MM. Marie, Sueur, Durain et Fichet, Mme Harribey, MM. Kanner, Kerrouche et Assouline, Mme Blondin, MM. Devinaz et Iacovelli, Mmes Lepage, S. Robert et Rossignol, MM. Temal et Jacques Bigot, Mmes G. Jourda, Taillé-Polian, Meunier et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 25
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Les alinéas 14 à 25 de l’article 4 donnent l’illusion de renforcer la sévérité en imposant à l’Office de mettre fin de sa propre initiative au statut de réfugié lorsque la personne concernée relève de l’une des clauses de cessation. Ainsi, à l’article L. 712-2, concernant le refus de protection subsidiaire, les mots « peut être » sont remplacés par le mot « est ». De même, la nouvelle rédaction de l’article L. 712-3 impose à l’Office de mettre fin au bénéfice de la protection subsidiaire lorsque les circonstances ayant justifié l’octroi de cette protection ont cessé d’exister.
L’Office se voit retirer toute marge d’appréciation. C’est pourquoi nous proposons de supprimer les modifications apportées aux articles L. 711-4, L. 712-2 et L. 712-3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je me suis déjà exprimé sur la compétence liée de l’OFPRA. Je ne vais donc pas refaire la démonstration.
Il appartient à l’OFPRA d’apprécier les faits et d’en tirer les conséquences : en l’occurrence, le refus du statut de réfugié lorsque les conditions ne sont pas réunies pour qu’il soit accordé.
L’avis est donc défavorable
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, je suis très étonné de votre avis, qui semble signifier que le Gouvernement se méfie de l’OFPRA…
Pis, vous rendez-vous compte qu’en remplaçant « peut mettre fin » par « doit mettre fin » ou « met fin », de sa propre initiative ou à la demande de l’autorité administrative, au statut de réfugié, vous exposez l’État français à des poursuites dans le cas où un citoyen français se dirait victime d’un réfugié à qui l’OFPRA aurait dû, en vertu de cette rédaction nouvelle, retirer le statut de réfugié ? Je crains que vous n’ayez pas complètement mesuré cela. J’aurais mieux compris que, n’étant pas à l’origine de cette modification, vous jugiez préférable de revenir au texte initial.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 198 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4, modifié.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Le titre II du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° AA (nouveau) À l’article L. 721-4, après la première occurrence du mot : « sexe », sont insérés les mots : « , par pays d’origine et par langue utilisée » ;
1° A Au quatrième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « femmes », sont insérés les mots : « , quelle que soit leur identité de genre ou leur orientation sexuelle » ;
1° B (nouveau) Au huitième alinéa de l’article L. 722-1, après le mot : « enfants », sont insérés les mots : « ou une association de défense des personnes homosexuelles ou des personnes transgenres » ;
1° C (nouveau) Le chapitre II est complété par un article L. 722-6 ainsi rédigé :
« Art. L. 722-6. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions dans lesquelles l’Office émet par tout moyen les convocations et notifications prévues au présent livre ainsi qu’au livre VIII. Il fixe notamment les modalités permettant d’assurer la confidentialité de la transmission de ces documents et leur réception personnelle par le demandeur. » ;
1° L’article L. 723-2 est ainsi modifié :
a) Au 3° du III, les mots : « cent vingt » sont remplacés par les mots : « quatre-vingt-dix » ;
b) (nouveau) À la seconde phrase du V, après le mot : « accélérée », sont insérés les mots : « , sauf si le demandeur est dans la situation mentionnée au 5° du III, » ;
2° L’article L. 723-6 est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, après le mot : « convoque », sont insérés les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et la réception personnelle par le demandeur, » ;
b) La seconde phrase du sixième alinéa est ainsi rédigée : « Il est entendu, dans les conditions prévues à l’article L. 741-2-1, dans la langue de son choix ou dans une autre langue dont il a une connaissance suffisante. » ;
b bis) À la première phrase du huitième alinéa, après le mot « sexe », sont insérés les mots : « , l’identité de genre » ;
c) Après le même huitième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque cela est justifié pour le bon déroulement de l’entretien, le demandeur d’asile en situation de handicap peut, à sa demande et sur autorisation du directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, être accompagné par un professionnel de santé ou par le représentant d’une association d’aide aux personnes en situation de handicap. » ;
3° La première phrase du premier alinéa de l’article L. 723-8 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur » ;
4° Au cinquième alinéa de l’article L. 723-11, après le mot : « asile », sont insérés les mots : « est effectuée par écrit, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur, et » ;
4° bis (nouveau) À la première phrase de l’article L. 723-12, les mots : « peut clôturer » sont remplacés par le mot : « clôture » ;
5° L’article L. 723-13 est ainsi modifié :
a) Au 1°, les mots : « n’a pas introduit sa demande à l’office dans » sont remplacés par les mots : « a introduit sa demande à l’office en ne respectant pas » ;
b) Après le 3°, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« 4° Le demandeur a abandonné, sans motif légitime, le lieu où il était hébergé en application de l’article L. 744-3.
« Par exception à l’article L. 723-1, lorsque l’étranger, sans motif légitime, n’a pas introduit sa demande, l’office prend une décision de clôture. » ;
c) Le dernier alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’office notifie par écrit sa décision au demandeur, par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur. Cette décision est motivée en fait et en droit et précise les voies et délais de recours.
« Dans le cas prévu au 3° du présent article, la décision de clôture est réputée notifiée à la date de la décision. » ;
6° La première phrase de l’article L. 724-3 est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».
II. – (Non modifié) La première phrase du premier alinéa de l’article L. 812-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est complétée par les mots : « , par tout moyen garantissant la confidentialité et sa réception personnelle par le demandeur ».
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, sur l’article.
Mme Éliane Assassi. L’article 5, l’un des plus emblématiques de ce projet de loi, est de ceux qui cristallisent les critiques de l’ensemble des associations et acteurs du droit d’asile. Pour l’essentiel, il réduit le délai de dépôt d’une demande d’asile de 120 à 90 jours à compter de l’entrée sur le territoire afin que celle-ci soit examinée en procédure normale. Ce qui signifie que les demandes déposées après 90 jours seront toutes examinées en procédure accélérée.
Passer de quatre à trois mois pourrait sembler anecdotique, mais tant s’en faut : la procédure accélérée offre aux demandeurs d’asile des garanties bien moindres que la procédure normale. En particulier, l’OFPRA doit, dans ce cadre, statuer en quinze jours, délai qui ne permet pas d’approfondir l’instruction de la demande d’asile.
Ce choix va directement à l’encontre des mises en garde formulées dans son avis sur le projet de loi par le Défenseur des droits. Celui-ci souligne que, dans un contexte de saturation du dispositif national d’accueil, « rien ne garantit qu’il ne sera pas procédé à des placements injustifiés en procédure accélérée lorsque la personne en quête d’une protection internationale n’aura pas, du fait de la saturation du dispositif, pu déposer sa demande dans le délai imparti, sans toutefois pouvoir justifier de ses tentatives infructueuses ».
La possibilité d’accélérer l’examen de la demande est justifiée, y compris dans le rapport de M. Buffet, par l’article 8 de la directive Procédures. Toutefois, je vous rappelle que, comme le Défenseur des droits vous l’a signifié dans l’avis qu’il vous a remis, que la directive ne fixe aucun délai maximal au-delà duquel il y aurait lieu de supposer que la demande présente un caractère tardif. Ainsi, le droit interne va sur ce point déjà plus loin que ce qu’exige le droit européen, en prévoyant une présomption de tardiveté pour les demandes déposées au-delà de 120 jours.
De plus, cet article réduit ce même délai à 60 jours pour la Guyane, soit un mois de moins que pour la métropole. Nous y reviendrons dans la suite de la discussion, mais le développement du droit d’exception dans le CESEDA est injustifié et fait des territoires ultramarins des territoires de seconde zone.
En parallèle, dans le même objectif, cet article dispose que les convocations à l’OFPRA et les décisions de l’Office pourront désormais se faire « par tout moyen », y compris électronique, inévitablement au détriment des demandeurs d’asile, lesquels sont particulièrement vulnérables. Nous reviendrons sur ce point également dans le débat.
En définitive, cet article entrave le dépôt de la demande d’asile dans un délai raisonnable et ne permet pas la bonne information des demandeurs quant au sort qui leur est réservé. Pour toutes ces raisons, nous en demandons la suppression.
M. le président. La parole est à M. Maurice Antiste, sur l’article.
M. Maurice Antiste. Cet article pose problème à plusieurs niveaux.
Ainsi, au 3° du III de l’article L. 723-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, il réduit de 120 à 90 jours le délai avant placement en procédure accélérée, ce qui augmenterait mécaniquement le nombre de ces placements.
D’un point de vue pratique, en procédure normale, l’OFPRA dispose de six mois pour statuer après enregistrement du dossier et la CNDA de cinq mois après enregistrement du recours. En procédure accélérée, l’OFPRA dispose de quinze jours pour statuer après enregistrement du dossier et la CNDA de cinq semaines après enregistrement du recours. De plus, dans ce cas, l’affaire est jugée par un juge unique, non par une formation collégiale. Cette procédure est donc particulièrement désavantageuse pour les demandeurs d’asile.
Par ailleurs, la première phrase de l’alinéa 1er de l’article L. 723-6 prévoirait que l’OFPRA puisse convoquer le demandeur d’asile à l’entretien « par tout moyen ». En outre, toutes les décisions de l’Office pourraient être notifiées « par tout moyen garantissant la confidentialité ». Il s’agit de permettre la notification des décisions non plus uniquement par voie postale, mais aussi par voie dématérialisée : SMS, courriel et téléphone. Un tel élargissement des voies de notification des décisions de l’OFPRA ne va pas, bien sûr, sans poser des difficultés au regard de la situation de précarité dans laquelle se trouvent de nombreux demandeurs d’asile, certains sans accès direct à internet, d’autres sans téléphone, entre autres situations possibles.
Enfin, l’alinéa 6 de l’article L. 723-6 permettrait à l’OFPRA d’imposer aux demandeurs d’asile la langue dans laquelle ils seront entendus. En effet, il serait prévu que le migrant peut être entendu dans une langue « dont il a une connaissance suffisante ». Or, selon les associations accompagnant les migrants, il n’est pas rare qu’il soit imposé au demandeur une langue qu’il a déclaré comprendre lors de son enregistrement en préfecture, alors qu’il cherchait uniquement à manifester sa bonne disposition à l’intégration. Il est très malaisé pour un demandeur dans cette situation de se faire comprendre au mieux, de décrire son parcours, ses craintes légitimes en cas de retour dans son pays d’origine et, plus simplement, de défendre ses droits.
C’est pourquoi il est nécessaire, conformément à l’avis du Défenseur des droits, d’abandonner ces dispositions, de même que les alinéas 6 et 7 de l’article 7, par ailleurs contraires à l’esprit de la directive Procédures, puisque les modifications envisagées risquent de compromettre l’accès effectif du demandeur d’asile à la procédure.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Le placement en procédure accélérée prive tout bonnement le justiciable de la collégialité devant la CNDA et raccourcit le délai de préparation du dossier, au détriment de la qualité de l’instruction. Vous l’aurez compris, nous pouvons ainsi craindre des traitements de dossier à la hâte et, de ce fait, des décisions éthiquement contestables.
Par cet article, ce sont les requérants qu’on pénalise dans la formation de leur requête, mais également l’instruction par les agents de la CNDA qu’on dessert, en imposant à ceux-ci une logique de rendement. Cette philosophie quantitative plutôt que qualitative devrait pourtant être proscrite dans le traitement administratif de ce type de dossiers.
La disposition de cet article autorisant l’OFPRA à adresser au requérant la convocation à son entretien individuel « par tout moyen » est injuste. Les rédacteurs du projet de loi méconnaissent-ils la réalité au point de croire que tous les exilés disposent d’un téléphone portable, d’une adresse pour recevoir un courrier postal ou d’internet pour se voir communiquer un courriel ? Je ne le pense pas. Je crois, hélas, que l’exécutif fait le pari cynique que le nombre de requérants déboutés sera ainsi multiplié, ceux-ci n’ayant pu défendre leur cause, faute de s’être rendus à leur entretien individuel à l’OFPRA.
Mes chers collègues, ces exilés qui ont fui la guerre, la misère, les dégradations climatiques ou l’instabilité politique méritent un traitement plus digne de leur demande d’attribution de titre de séjour qu’une procédure déshumanisée et mathématique.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Je tiens à exprimer mon désaccord avec cet article tel qu’il est rédigé. Je considère en effet qu’il présente un risque d’affaiblissement des droits pour une majorité des demandeurs d’asile.
Ainsi, l’abaissement du délai de dépôt d’une demande d’asile à 90 jours ne peut avoir que des effets négatifs sur l’accueil du demandeur. On a déjà décrit la situation dans laquelle se trouvent les demandeurs d’asile qui arrivent sur notre sol. Il n’est pas raisonnable de penser qu’ils pourraient, en 90 jours, constituer de façon complète des dossiers aussi complexes que ceux prévus par le CESEDA.
En réalité, derrière cet abaissement du délai de dépôt, il y a une hausse du recours à la procédure accélérée. Aujourd’hui, 40 % des demandes d’asile suivent cette procédure ; il est tout à fait certain que, si l’article 5 est adopté, cette proportion augmentera de manière importante.
Plus de la moitié des demandeurs d’asile risquent donc de voir leur dossier examiné sous un régime dérogatoire au droit commun, qui présente un risque de prise en compte insuffisante des différentes circonstances éclairant leur situation. En effet, si l’OFPRA dispose en procédure normale d’un délai de six mois pour statuer sur une demande d’asile, ce délai est abaissé à quinze jours en procédure accélérée.
Pour toutes ces raisons, je suis hostile au présent article.
M. le président. La parole est à M. Patrice Joly, sur l’article.
M. Patrice Joly. Comment ne pas s’opposer à cet article, qui affaiblit et détériore les garanties des droits fondamentaux des demandeurs d’asile ?
L’article 5 a pour objet la réduction des délais d’instruction des dossiers, actuellement de l’ordre de treize mois. Cet objectif pourrait être partagé, si les services concernés bénéficiaient pour cela de moyens adaptés.
Il est notamment proposé de réduire de 120 à 90 jours le délai à compter de l’entrée sur le territoire au-delà duquel le dépôt d’une demande d’asile peut entraîner l’examen de celle-ci selon la procédure accélérée. Or les moyens choisis pour atteindre ce but consistent exclusivement en une réduction des garanties procédurales, au détriment des demandeurs d’asile : augmentation du nombre de procédures accélérées, réduction des délais de recours devant la CNDA, fin du caractère suspensif de certains de ces recours, choix de la langue de la procédure, convocations envoyées par tout moyen et systématisation de la visioconférence pour les audiences.
Les demandeurs d’asile et les professionnels du droit d’asile ont déjà toutes les peines du monde à respecter le délai de 120 jours. Pensez-vous réellement que le délai de 90 jours soit tenable ?
La procédure accélérée raccourcit le délai de préparation du dossier, au détriment de la qualité de l’instruction ; elle prive en outre le justiciable de la collégialité devant la CNDA.
Toutes ces dispositions méconnaissent manifestement les droits de la défense et le droit à un procès équitable garantis par la convention européenne des droits de l’homme.
M. Jean-Pierre Sueur. Eh oui !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, sur l’article.
M. Didier Marie. Le Gouvernement et la majorité du Sénat veulent, comme l’ont expliqué les orateurs précédents, réduire de 120 à 90 jours le délai dans lequel le demandeur d’asile doit déposer sa demande. La main sur le cœur, on nous affirme que c’est pour réduire les délais d’instruction. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs de l’objectif visé : s’agit-il de protéger au plus vite les demandeurs ou de leur rendre la vie plus difficile et de les décourager, eux et ceux qui seraient tentés, ultérieurement, de choisir la France ?
Le Gouvernement n’a pas avancé d’arguments convaincants pour justifier ce recul en matière de délai. En tout cas pas en faisant référence à la directive, qui ne fixe pas de délai limite pour qualifier les demandes de tardives.
Pourquoi revenir sur les 120 jours ? Pourquoi suspecter le demandeur de tarder ? Pour s’installer, pour frauder ?
C’est méconnaître la situation des demandeurs. Nombre d’entre nous, à l’occasion de ce projet de loi ou plus souvent, vont à leur rencontre et à celle des associations. Quand on fuit un conflit, qu’on y échappe dans la clandestinité et qu’on est maltraité, voire torturé, par les passeurs ou les autorités des pays de transit, quand on traverse la Méditerranée dans des conditions précaires, qu’on risque de chavirer, qu’on voit ses compagnons de voyage se noyer et qu’on franchit les Alpes en hiver pour échapper aux contrôles, on peut, au moment de penser à sa demande d’asile, avoir besoin d’un temps de répit.
Cette semaine, on m’a présenté le cas d’une jeune femme mauritanienne ayant fui son pays du fait d’une menace d’excision. Elle a rejoint en Seine-Maritime sa sœur, qui, elle, n’avait malheureusement pas pu y échapper. Son parcours fut dangereux. Alors qu’elle aurait pu bénéficier d’une protection, elle est restée terrée plusieurs mois chez sa sœur, dépassant les délais, incapable d’affronter les démarches.
Des histoires comme celle-là, il y en a des centaines. La plupart des demandeurs ont besoin de temps pour se reconstruire. À cela s’ajoutent la méconnaissance des procédures, la difficulté de comprendre et de se faire comprendre dans une langue maîtrisée, l’isolement, la précarité – 60 % des demandeurs ne sont pas hébergés – et l’absence de conseils, voire de mauvais conseils.
Le projet de loi complique encore les démarches, avec la dématérialisation et une langue imposée – nous y reviendrons.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Didier Marie. Passé 90 jours, ces personnes seraient placées sous le régime de la procédure accélérée, non pour mieux les protéger, mais pour simplifier l’examen de leur demande, donc rendre précaires leurs conditions d’accès à l’asile. (Applaudissements sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Benbassa, Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet article, comme mes collègues et moi-même l’avons déjà expliqué, comporte des dispositions affaiblissant considérablement les garanties et les droits fondamentaux des demandeurs d’asile. C’est pourquoi nous en souhaitons la suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Vous ne serez pas surpris qu’il soit défavorable, puisque l’amendement tend à supprimer l’article 5.
Pour le principal, cet article réduit de 120 à 90 jours le délai au terme duquel une demande d’asile devient tardive. Je ne puis que souscrire à cette démarche, que le Sénat avait proposée dès 2015. L’objectif est d’assurer la célérité du traitement de la demande, afin de garantir le plus rapidement possible une protection aux personnes qui en ont besoin et évidemment d’exclure les demandes manifestement étrangères à un besoin de protection.
Je rappelle que ce délai de trois mois s’applique à l’enregistrement de la demande en préfecture, non au traitement du dossier.
S’agissant des convocations et des notifications des décisions de l’OFPRA envoyées au demandeur par tout moyen, il s’agit, il est vrai, d’un dispositif nouveau. L’OFPRA a assuré souhaiter mettre en place un dispositif pleinement compatible avec la garantie des droits des usagers.
Vous avez et nous avons raison de rappeler qu’il faut être certain que la décision de l’OFPRA parvienne au demandeur, afin qu’il puisse éventuellement former les recours possibles. La commission a d’ailleurs prévu un décret en Conseil d’État, qui devra préciser les modalités techniques permettant d’assurer la confidentialité de la transmission de ces documents et leur réception personnelle par le demandeur. C’est le moyen de sécuriser la proposition faite par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Le Gouvernement est évidemment défavorable à l’amendement, puisque l’article 5 comporte un ensemble de mesures destinées à favoriser la réduction du délai de traitement des demandes, telles que la simplification des modalités de convocation et de notification des décisions et la réduction du délai laissé au demandeur pour déposer sa demande, une fois entré sur le territoire.
Cet article contient aussi des mesures protectrices, s’agissant notamment de la définition des pays d’origine sûrs et de la présence à l’entretien de protection d’une association spécialisée accompagnant le demandeur handicapé.
Supprimer l’article 5 irait à l’encontre des objectifs visés par le Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Compte tenu des dispositions contenues dans cet article, nous voterons bien évidemment l’amendement.
La procédure accélérée a vocation à permettre un traitement beaucoup plus rapide de la demande. Vous me direz : ce n’est pas nécessairement avec moins de droits. On peut regarder la manière dont cela se passe depuis 2015.
Avec le dispositif proposé par le Gouvernement et entériné par la majorité sénatoriale, la procédure accélérée entraînera un réel affaiblissement des droits. Ainsi, si vous êtes débouté à l’OFPRA et souhaitez saisir la CNDA, votre recours ne sera plus suspensif. Je le répète : relever de la procédure accélérée, ce sera subir un affaiblissement important de ses droits.
Comme plusieurs orateurs l’ont déjà souligné, la réduction de 120 à 90 jours du délai avant passage en procédure accéléré vise des personnes qui ont souvent subi des traumatismes. Nous avons tous vu ce qui s’est passé cette semaine avec les passagers de l’Aquarius. Dans tous les cas, après un départ motivé par des traumatismes et un voyage lui-même traumatisant, il faut un peu de temps pour se remettre et pouvoir agir normalement, à peu près rationnellement, après une phase absolument horrible.
Madame la ministre, si l’on veut accélérer le traitement des demandes, l’enjeu principal est l’accueil en préfecture et la capacité des plateformes à répondre rapidement. C’est ce qui a été le moins bien fait depuis 2015. Songez que des personnes qui demandent l’asile obtiennent un rendez-vous deux ou trois plus mois plus tard, parce que les préfectures ne sont pas capables de répondre plus vite. Là, je dis : il y a échec !
Avant d’en rejeter la responsabilité sur les demandeurs d’asile en leur demandant de déposer leur dossier dans les trois mois, il faudrait que les préfectures soient capables d’enregistrer ces dossiers dans le délai de trois jours imposé par la directive. Combien de préfectures respectent aujourd’hui ce délai ? Combien de plateformes sont aujourd’hui capables, après l’enregistrement des demandes, d’accompagner les demandeurs dans les délais pour qu’ils puissent tranquillement déposer leur récit ?
M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Là est aujourd’hui l’enjeu : défendre les droits des demandeurs d’asile !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. La procédure accélérée est prévue pour les cas où un examen approfondi n’est pas nécessaire, parce qu’il est manifeste que la demande ne relève pas d’un besoin de protection ou, au contraire, parce qu’il faut assurer très rapidement la protection d’une personne dont la situation paraît évidente.
La généralisation de cette procédure, déjà trop largement utilisée, est donc un détournement de son objet initial. En faire une procédure de droit commun n’est pas acceptable !
Comme les orateurs précédents l’ont souligné, ses caractéristiques sont beaucoup plus strictes : délai d’examen par l’OFPRA ramené à quinze jours et, en cas de rejet de la demande, examen du recours par un juge unique de la CNDA, dans un délai ramené de cinq mois à cinq semaines.
On imagine aisément les conséquences désastreuses d’une application généralisée de cette procédure. On ne peut pas l’accepter, et pas davantage les conditions contraignant les demandes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Leconte, les délais que vous avez mentionnés devant les guichets uniques des préfectures étaient exacts à l’automne dernier. Depuis lors, comme vous le savez, nous avons procédé à de vastes réorganisations dans les services des préfectures ; nous avons aussi prévu des personnels supplémentaires.
Aujourd’hui, le délai moyen est de six jours, et de nombreuses préfectures sont déjà à trois jours, soit l’objectif fixé par le Gouvernement pour la fin de l’année et l’ensemble des préfectures.
M. le président. L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… À l’article L. 721-1, les mots : « chargé de l’asile » sont remplacés par les mots : « des affaires étrangères » ;
… À l’article L. 722-2, les mots : « conjointe » et les mots : « et du ministre chargé de l’asile » sont supprimés ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le projet de loi s’intitule : « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Le choix fait par le Gouvernement semble clair : régir dans le même temps la politique de l’asile, qui relève du droit humanitaire, et la régulation de l’immigration, qui répond à des considérations tout autres.
Insidieusement, l’exécutif laisse germer l’idée que l’attribution du droit d’asile devrait être régulée au même titre que l’immigration, comme si les exilés qui pourraient aujourd’hui bénéficier du statut de réfugié devaient voir leur demande traitée comme celles des requérants venus pour des raisons économiques.
Au groupe CRCE, nous nous refusons bien évidemment à procéder à une gradation des misères et des raisons qui poussent les gens à s’arracher à leur terre natale. Nous pensons toutefois que ces raisons doivent être traitées de manière différenciée et adéquate selon le cas et les causes ayant poussé le demandeur à émigrer. Aussi proposons-nous de rattacher l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, non plus au ministère de l’intérieur, mais au ministère des affaires étrangères, afin que les exilés qui formuleront une demande de titre de séjour sur notre territoire puissent bénéficier d’un droit d’asile effectif et indépendant de la politique migratoire, qui relève des compétences de l’administration de la place Beauvau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 43 rectifié bis a pour objet de rattacher l’OFPRA au ministère des affaires étrangères et non plus, comme depuis 2010, au ministère de l’intérieur. Sous-entendu : l’OFPRA ne serait pas indépendant !
En réalité, le principe d’indépendance est inscrit à l’article L. 721-2 du CESEDA, aux termes duquel « l’Office exerce en toute impartialité [ses] missions et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction ».
Quand on connaît un peu le fonctionnement de l’OFPRA et qu’on y participe, il est difficile d’imaginer qu’il reçoive véritablement des instructions, en tout cas, s’il en recevait, qu’il les écoute véritablement. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est également défavorable, pour les raisons exposées par le rapporteur. Considérer que le ministère de l’intérieur mènerait une politique restrictive en matière de moyens accordés à l’asile revient à méconnaître vraiment la réalité des faits.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement présente l’intérêt majeur de nous rappeler ce qu’était l’asile voilà quelques années, lorsque l’OFPRA était placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et l’intégration sous celle du ministère des affaires sociales et de l’emploi.
La perspective était différente. Il y avait l’asile, un droit : s’en occupaient – c’était normal – ceux qui au sein de l’État et de l’exécutif connaissaient le mieux la situation des pays, c’est-à-dire les affaires étrangères. De même, pour l’intégration, la question prioritaire n’était pas la sécurité, mais l’intégration par le travail, l’intégration dans la société ; cela relevait des affaires sociales et de l’emploi.
Depuis quinze ans, peu à peu, nous avons glissé, et tout est arrivé au ministère de l’intérieur.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. Cette domination du ministère de l’intérieur, c’est 2007, Hortefeux, Éric Besson, le ministère de l’identité nationale. Ainsi, la donne a changé, et aujourd’hui toute la question de l’immigration, toute la question de l’asile sont traitées uniquement sous le prisme de la sécurité.
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement nous rappelle ce que c’était quand ça fonctionnait.
Je connais la qualité de l’OFPRA et de ses agents. Je connais l’indépendance que cet office sait garder par rapport au Gouvernement, et je lui fais confiance, quel que soit le sort de cet amendement.
Je tenais simplement à souligner que, si nous voulons une intégration réussie, tout ne peut pas passer par le ministère de l’intérieur. L’ensemble des services de l’État doivent être mobilisés, en particulier les ministères des affaires sociales et de l’emploi, parce que l’intégration se fait par là ! De même, l’asile n’est pas une question de sécurité, mais de droits et de connaissance de la situation dans un certain nombre de pays.
C’est pourquoi cet amendement a un intérêt ; nous le voterons bien entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Tout ça, pardonnez-moi, me semble être un faux débat.
D’abord, qu’une structure dépende du ministère de l’intérieur ou de celui des affaires étrangères, si le Gouvernement veut donner une instruction, il la donne… Ne me dites pas que les affaires étrangères seraient un ministère tellement neutre qu’il n’y aurait aucune instruction !
Ensuite, pour siéger au conseil d’administration de l’OFII, qui est sous la tutelle d’un ministère, ce qui est bien normal, je sais que cet office fonctionne d’une manière extraordinaire, avec des agents dévoués.
Nous travaillons beaucoup avec l’OFPRA, dont l’activité est très intense : cet office applique la loi, avec une marge d’action, de manœuvre considérable.
M. Jean-Yves Leconte. Nous essayons de la préserver !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Leconte, je ne vous ai pas interrompu – et j’ai eu du mal. Veuillez à votre tour ne pas m’interrompre.
Il ne faudrait pas que de ce débat sorte l’idée que nous remettrions en cause les agents ou le fonctionnement de l’OFPRA, parce que ce serait injuste.
Permettez-moi maintenant de rebondir sur ce que vient de dire Mme Benbassa : après tout, on aurait pu effectivement imaginer que les questions d’asile soient rattachées au ministère des affaires étrangères si, comme il y a dix ou douze ans, il y avait 15 000 ou 20 000 demandes d’asile par an. Seulement, le problème est que nous en recevons plus de 100 000 aujourd’hui.
Par ailleurs, on sait parfaitement que les demandes d’asile, si elles sont accordées dans 30 % des cas, sont rejetées dans la plupart des autres cas parce que l’OFPRA, ou la CNDA, estime qu’elles relèvent en réalité d’une filière d’immigration détournée. Il y a donc une logique à ce que tout soit rassemblé aujourd’hui autour d’un seul ministère, et le ministère de l’intérieur fait très bien son travail !
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je voudrais juste apporter une précision pour lever tous les doutes.
Dans la plupart des pays européens, l’immigration dépend du ministère de l’intérieur. J’assiste régulièrement à des réunions des ministres européens de l’intérieur et de la justice – les conseils JAI. Je peux vous assurer que les ministres qui traitent les questions d’immigration sont majoritairement – pas tous – ministres de l’intérieur.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Madame la ministre, justement, avez-vous entendu la déclaration des ministres de l’intérieur allemand, autrichien et italien, qui ont osé parler d’« axe » – ils osent le mot ! – sécuritaire face à l’immigration ? J’espère qu’on n’en arrivera jamais là.
Nous parler de l’Europe sur cette question n’est pas un argument : il ne faut pas essayer de ressembler à ces pays européens qui proposent une régression. Car il s’agit d’une régression !
Mon collègue Jean-Yves Leconte l’a déjà expliqué en détail : la régression, c’est aussi la loi elle-même, qui mélange asile et immigration, ce qui ne s’était jamais vu dans un texte de loi. Et pourtant, on a connu des alternances entre gauche et droite ces dernières années !
Vous le constatez comme moi, de tels débats n’étaient même pas envisageables il y a encore dix ou douze ans quand la droite était au pouvoir.
M. Roger Karoutchi. Attendez qu’on revienne ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Il y a toujours eu des consciences, sur toutes les travées de cet hémicycle, qui auraient évidemment pointé le fait qu’on ne peut pas mettre les questions d’immigration et d’asile dans le même pot, qu’on ne peut pas traiter ces sujets en se demandant simplement quels moyens mettre en œuvre pour se défendre par rapport à cette déferlante… Aujourd’hui, ça passe inaperçu !
C’est la même chose pour tout, pour le délai de rétention dont on va bientôt discuter, par exemple. Je me rappelle que, au moment de l’examen de la loi Hortefeux-Besson, ce sont des sénateurs siégeant sur les travées de droite qui se sont demandé à quoi servait l’allongement de la durée maximale de rétention à 45 jours puisque, au bout de quinze ou seize jours, les demandeurs d’asile se retrouvaient dehors. Finalement, la disposition a été votée après une longue bataille. Monsieur Karoutchi, vous devez vous en souvenir !
M. Roger Karoutchi. Non, moi, je ne me souviens de rien ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. En tout cas, ça n’est pas passé tout seul.
Et, aujourd’hui, on en est à défendre le délai de 45 jours de rétention, parce que vous voulez le faire passer à 90 jours !
Dans tous les domaines, on a cherché à relever un défi, toujours plus difficile, en estimant que la meilleure manière de se protéger était de fermer. En réalité, c’est l’inverse qui se produit : tous les jours, on régresse de plus en plus, alors que le populisme et le racisme continuent de monter !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je veux réagir au précédent débat entre nos collègues Leconte et Karoutchi sur la question du rattachement de l’OFPRA au ministère de l’intérieur ou à celui des affaires étrangères.
Je vais vous livrer ma réflexion : le rôle du ministère des affaires étrangères pose la question de notre cadre de coopération. En d’autres termes, la façon dont le ministère aborde et traite cette question du droit d’asile nous renvoie aux relations que la France entretient avec les autres États.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce n’est pas faux !
M. Pascal Savoldelli. M. Karoutchi nous explique qu’il fut un temps où la France n’accueillait qu’un certain nombre de migrants et que, aujourd’hui, il y en a davantage. Or ces migrants viennent de certains États, pour diverses raisons que nous connaissons bien les uns et les autres. Par conséquent, je suis sensible à la question soulevée par mon collègue Leconte. Notre pays doit prendre certaines décisions : quand des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes quittent leurs pays pour demander l’asile, il faut que ça nous fasse réfléchir à nos relations commerciales.
Quand certaines migrations sont en outre liées à des aléas climatiques, il faut aussi s’interroger sur la nécessité de régler ce problème, faute de quoi ces migrations vont perdurer.
Dans un climat de discussion où règne un esprit de responsabilité, la France, qui jouit quand même d’une belle image sur le plan international, ferait bien d’envisager ces questions de migration sous l’angle de ses relations commerciales et de ses cadres de coopération, surtout quand il est question du droit d’asile.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je souhaite vous poser une question, monsieur Karoutchi : qu’entendez-vous par « immigration détournée » ?
M. Roger Karoutchi. J’ai parlé d’une filière d’immigration détournée via le droit d’asile !
Mme Esther Benbassa. C’est une pensée complexe… (Rires.) J’aime beaucoup les pensées complexes, mais, dans votre cas, elle est soupçonneuse. (Nouveaux rires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Puisque beaucoup de nos collègues ont jugé indispensable de s’étendre sur le sujet, je ne vois pas pourquoi je me priverais d’intervenir à mon tour. (Sourires.)
Je voudrais vous dire que cette question aurait une véritable importance si les pouvoirs exercés par l’OFPRA étaient discrétionnaires, si l’OFPRA prenait ses décisions sous les ordres d’un ministre. Mais tel n’est pas le cas ! L’Office applique des procédures, que nous sommes d’ailleurs en train de modifier, qui sont de niveau législatif. Il applique également des règles fixées par la Constitution, les conventions internationales et les directives européennes.
Vous pourriez décider de rattacher l’OFPRA au ministère de la jeunesse et des sports ou au ministère de la santé, cela ne changerait rien à l’affaire : son travail est, par nature, celui d’une quasi-juridiction sous le contrôle d’une juridiction dont chacun reconnaît l’importance de la mission.
Au reste, tout le travail de l’OFPRA, au cours des dernières années, a consisté à mieux vérifier les droits des demandeurs d’asile pour faire en sorte que le taux des décisions annulées par la Cour nationale du droit d’asile baisse. Or l’OFPRA a réalisé cette performance.
Nous avons passé beaucoup de temps à débattre du rattachement administratif de l’Office, question qui relève d’ailleurs du seul Gouvernement, alors que ce sujet est totalement dénué d’importance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Ça, alors !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président Bas, permettez-moi de vous dire que je suis complètement en désaccord avec ce que vous venez de dire. Ce sujet n’est pas à prendre à la légère.
J’ouvre d’ailleurs une petite parenthèse : les salariés de l’OFPRA l’ont eux-mêmes dit lorsqu’ils se sont mis en grève il y a quelques semaines, ce que vous semblez oublier.
Rétablir la tutelle du ministère des affaires étrangères est la meilleure façon de rappeler la spécificité des protections internationales que représentent les statuts de réfugié, de protégé subsidiaire et d’apatride, ce que n’assure pas le ministère de l’intérieur.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Pour aller dans le même sens que le président Bas, je voudrais indiquer à nos collègues qui se sont beaucoup engagés dans le débat que celui-ci comporte une part d’illusion.
Heureusement, dans notre pays, l’État est un, et les ministères ne suivent pas des politiques contradictoires.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
M. Alain Richard. Notre pays a la capacité de faire fonctionner l’interministériel de manière cohérente et de faire appliquer la même politique gouvernementale par les différents départements ministériels.
Pour ne pas gâcher l’intérêt de la discussion, personne n’a voulu soulever cet argument, mais ce dont nous parlons relève d’un simple décret.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument !
M. le président. L’amendement n° 411 rectifié ter, présenté par Mmes Rossignol, Blondin, Lepage, Perol-Dumont, Lubin, G. Jourda, Lienemann, Grelet-Certenais, Meunier, Préville, Ghali, Monier, Artigalas, Tocqueville et Taillé-Polian et MM. Féraud, Durain, Marie, Houllegatte, Lalande, Tourenne, Temal, Manable, Vallini, Cabanel, Daudigny et Devinaz, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Le quatrième alinéa de l’article L. 722-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ne peut être considéré comme un pays d’origine sûr pour les femmes celui dans lequel le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales. » ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet article précise ce qu’est un pays sûr, c’est-à-dire un régime démocratique dans lequel il n’y a ni persécutions, ni traitements inhumains ou dégradants, ni encore de tortures.
L’Assemblée nationale, puis la commission des lois du Sénat ont jugé utile d’apporter des précisions à propos des femmes ou de l’identité de genre.
Je souhaite apporter une autre précision et m’arrêter un instant, plus particulièrement, sur ces nombreux pays dans lesquels l’avortement est un crime grave, puni de peines pouvant atteindre jusqu’à trente ou cinquante ans d’emprisonnement comme, par exemple, au Salvador, où l’avortement est qualifié d’homicide aggravé. Toujours au Salvador, il y a actuellement au moins trente femmes en prison, non pas pour avoir avorté, mais pour avoir subi une fausse couche spontanée que des juges ont qualifiée d’avortement.
Je crois qu’il est important que notre pays, la France, accueille ces femmes, qui sont menacées de prison quand elles ont recours à l’avortement, en particulier pour elles-mêmes, et leur accorde le statut de réfugié. Ce serait à la fois un signal donné en matière de liberté et une mesure humanitaire indispensable.
En ce qui concerne l’avortement, la planète est exposée à des vents contraires : certes, l’Irlande et l’Argentine sont en train de légaliser ou ont récemment légalisé l’avortement, mais d’autres pays sont en pleine régression en le criminalisant.
Mes chers collègues, je vous suggère d’adopter cet amendement, qui précise que l’on ne peut pas considérer un pays dans lequel le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales comme un pays d’origine sûr pour les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission souhaite avoir l’avis du Gouvernement sur cet amendement, non pas pour éviter d’avoir à prendre ses responsabilités,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela ne lui ressemblerait pas !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. … mais parce que celui-ci pose une vraie question, qui n’est pas sans conséquence sur le plan juridique. Il conviendrait sûrement de trouver une solution satisfaisante sur ce point.
Je rappelle que le présent amendement tend à exclure de la liste des pays sûrs ceux dans lesquels le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales.
La convention de Genève et la directive Qualification de 2011 protègent d’ores et déjà les pratiques d’avortement ou de stérilisation forcés, qui peuvent être prises en compte dans la définition de l’appartenance à un certain groupe social.
Comment qualifier l’avortement sur le plan juridique dans le cadre de la directive ?
Mme Esther Benbassa. C’est simple : il suffit de le qualifier…d’avortement !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est simple uniquement dans l’idée que l’on s’en fait.
En réalité, la question de la pénalisation de l’avortement ne peut pas se traiter indépendamment du cadre européen. La définition de la liste des pays sûrs découle en effet directement de la directive Procédures. Or je rappelle que, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, qui sont considérés comme des pays sûrs en vertu du protocole « Aznar » annexé au traité d’Amsterdam, l’avortement est interdit ou pénalement réprimé. Je citerai notamment les exemples de la Pologne, de Chypre et de Malte.
Des discussions sont en cours pour réviser le régime d’asile européen commun. Ce sujet important devrait donc être abordé au niveau européen.
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente, afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 411 rectifié ter ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Madame Rossignol, il s’agit en effet d’une question juridique, comme l’a dit le rapporteur.
Comme l’a rappelé une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013, la seule pénalisation d’une pratique ne constitue pas, en tant que telle, un acte de persécution, car il faut que la peine soit effectivement appliquée contre un groupe social et dans des conditions qui s’apparentent à une persécution à l’égard de ce groupe.
L’existence d’une infraction pénale n’est pas suffisante pour caractériser une persécution. Pour bénéficier de la protection subsidiaire, il faut ainsi prouver que l’on est exposé dans son pays à un risque de peine de mort, de torture ou de traitements inhumains et dégradants, ou encore d’une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.
Pour ces motifs, le Gouvernement vous demande, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme Laurence Rossignol. Vous plaisantez, madame la ministre ? C’est hors de question !
Mme Laurence Rossignol. Dans ce cas, assumez-le !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Aujourd’hui, il y a des négociations au niveau européen, mais il n’existe pas de liste de pays sûrs à ce niveau, parce que les pays européens n’arrivent pas à se mettre d’accord.
M. Roger Karoutchi. C’est bien dommage !
M. Jean-Yves Leconte. Certains pays considèrent même que l’asile étant, par définition, une question individuelle, on ne devrait pas appliquer de procédure spécifique aux demandeurs en fonction du pays dont ils sont originaires. Pour ces pays, une demande d’asile est par définition une demande individuelle.
Cette liste européenne des pays d’origine sûrs n’existe pas. Elle est en débat, notamment au niveau du Parlement européen. Décider que tel ou tel pays est ou n’est pas un pays d’origine sûr relève donc toujours de notre souveraineté.
De ce point de vue, le présent amendement mériterait, me semble-t-il, d’être soumis au vote. Compte tenu des explications et des arguments utilisés par Mme la ministre, qu’à mon sens on ne peut pas laisser passer, et même si je n’ai pas cosigné cet amendement initialement, je suis maintenant convaincu de son intérêt.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, je ne vois pas bien où se situe le problème juridique si ce n’est, comme vient de l’expliquer mon collègue Leconte, que nous sommes effectivement coincés par l’impossibilité de l’Europe à se mettre d’accord sur la définition des pays d’origine sûrs.
La question de l’avortement et du droit des femmes à disposer de leur corps n’est pas un mince sujet dans l’Union européenne, puisqu’il n’aura échappé à personne que certains pays, dans lesquels l’avortement était auparavant légal, sont en pleine régression et s’orientent vers une criminalisation de l’avortement, y compris lorsque l’avortement est consécutif à un viol, une malformation de l’enfant ou un risque important encouru par la mère.
Le problème n’est donc juridique que si on le veut bien. À un moment donné, cela devient un problème politique ! Je considère qu’affirmer qu’un pays qui condamne les femmes ayant recours à l’avortement n’est pas un pays sûr est une décision politique.
Enfin, lorsque l’on sait qu’une femme meurt d’un avortement clandestin toutes les quatre minutes sur la planète, si ce n’est pas une persécution, je ne sais pas ce que c’est !
Madame la ministre, je ne retirerai pas mon amendement, ce dont vous vous doutiez, j’imagine, et je vous demande d’assumer votre avis défavorable sur cet amendement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. On peut même aller plus loin dans ce débat sur les pays sûrs, parce que la situation n’est pas statique : on va devoir se demander très vite, madame la ministre, monsieur Bas, nous tous, mes chers collègues, si les pays européens sont réellement sûrs.
Vous avez probablement entendu parler de certains faits en provenance de Pologne, de Roumanie, de Hongrie et maintenant d’Italie. Ce ne sera pas seulement la question de l’avortement qu’on aura à traiter en fonction de nos principes, mais beaucoup d’autres sujets : par exemple, les libertés fondamentales et les libertés publiques, qui paraissaient tout à fait évidentes dans le cadre européen, tel qu’il existait, et auxquelles on est en train de porter atteinte.
Si nous restons complètement muets sur le sujet, si on n’en débat pas, on va devoir fermer les yeux sur les potentielles dérives qui se dérouleront dans pas mal de pays européens. Je le répète, il était impensable d’entendre les dirigeants d’un pays fondateur de l’Europe – je parle de l’Italie – dire un jour qu’il faut épurer chaque rue et chaque quartier et généraliser le recensement des Roms ! (Mme Dominique Estrosi Sassone montre des signes d’agacement.) Cela ne choque pas certains collègues, mais je sais que la majorité de cet hémicycle est choquée par ce que je dénonce !
Il faut donc garder un œil sur la dynamique actuelle. La question que pose Mme Rossignol au travers de cet amendement se posera de nouveau, et de façon beaucoup plus aigüe encore, sur d’autres sujets si on ne les aborde pas du point de vue de M. Leconte, c’est-à-dire sous l’angle d’une individualisation du traitement des dossiers.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, je suis presque scandalisé par toutes les réserves que vous opposez à Mme Rossignol et par votre demande de retirer l’amendement.
Le Président de la République, qui a nommé le Gouvernement dont vous faites partie, a souhaité que Simone Veil repose dans quelques jours au Panthéon. Et c’est le moment que vous choisissez, sur cette question fondamentale des valeurs, pour lesquelles Simone Veil s’est battue, pour nous dire que vous ne pouvez pas suivre l’amendement de Laurence Rossignol pour des raisons juridiques.
S’il faut simplement améliorer la rédaction de cet amendement d’ici à la réunion de la commission mixte paritaire, on peut le faire. En revanche, dire qu’un pays qui ne reconnaît pas le droit à l’avortement n’est pas un pays sûr ne signifie pas pour autant que tous les demandeurs d’asile en provenance de ce pays auront automatiquement droit à l’asile. Ils devront de toute façon apporter d’autres preuves. Cela signifie simplement que le Gouvernement, dans son décret, n’inscrira pas d’office cet État dans la liste des pays sûrs.
M. David Assouline. Voilà !
M. Jacques Bigot. Je ne comprends pas la réserve du Gouvernement, alors même que, le 1er juillet prochain, nous allons rappeler en quoi Simone Veil est l’honneur de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Dans la période historique que nous traversons, il faut développer une certaine idée de la France.
Si nous ne sommes pas capables de faire des droits de la personne humaine, notamment des droits de la femme, compte tenu de cet immense drame qu’est l’avortement, un enjeu suffisamment important pour nous permettre d’affirmer ces libertés, de les protéger et de les garantir, nous ne serons pas à la hauteur de l’histoire que nous vivons. Partout, il y a des régressions. Partout, il y a des tentations de faire reculer ces droits.
J’entends beaucoup de commentaires de la part de certains de nos collègues quand les atteintes à ces libertés sont revendiquées au nom de tendances religieuses ou d’intégrismes, ici ou là. En revanche, quand c’est le droit lui-même qui, dans certains États, rend impossible l’avortement ou condamne des femmes qui ont avorté, ne pas dire haut et fort que ces pays ne peuvent pas être considérés par la République française comme des pays sûrs constitue un recul et écorne l’image que nous donnons de nous dans le monde.
Nous devons rester la flamme de la liberté, des droits des personnes, du respect et de la protection qui leur sont dus. De ce point de vue, l’argument fondé sur l’absence d’une liste de pays sûrs au niveau européen ne tient pas. Bientôt, il ne restera de toute façon plus beaucoup de pays sûrs, eu égard à tous les reculs que l’on constate en matière de droits des femmes sur notre propre continent, ou en matière de libertés : il n’est qu’à voir comment la Constitution de la Hongrie ou celles d’autres pays bafouent l’indépendance de la justice ! On est face à un important mouvement de recul dans certains États.
Nous devons donc tenir bon en Europe et considérer que, pour la France, ces pays qui pénalisent l’avortement ne sont pas sûrs.
Personnellement, je pense que le droit d’asile ne devrait pas dépendre de son appartenance à un pays sûr. Il s’agit d’abord d’un droit individuel qui doit être évalué au niveau de chaque personne : il faut déterminer si les demandeurs sont menacés, pour une raison ou pour une autre, dans un autre pays.
En attendant, puisqu’il existe une liste de pays sûrs, la France ne doit pas accepter dans cette liste un pays qui condamne des femmes qui ont avorté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Allizard, pour explication de vote.
M. Pascal Allizard. Je suis un peu étonné par notre capacité à donner des leçons à un certain nombre de pays. (Exclamations sur des travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Je voudrais simplement vous informer, mes chers collègues, que nous avons siégé en commission mixte paritaire cet après-midi, afin de trouver un texte commun avec l’Assemblée nationale sur la loi de programmation militaire. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de l’amendement « élastique ». Peut-être pas…
Cet amendement concerne le statut des femmes dans l’armée française, en particulier les femmes qui vivent leur grossesse tout en étant militaires. Nous avons dû inscrire dans la loi le fait que ces femmes avaient le droit à un uniforme un peu particulier, un uniforme élastique pour bien vivre leur grossesse…
Mme Cécile Cukierman. C’est mieux ! Bravo !
Mme Éliane Assassi. C’est d’une telle évidence !
M. Pascal Allizard. Mes chers collègues, écoutez-moi : on a voté en faveur de cet amendement.
Mme Cécile Cukierman. Ça s’appelle le principe de réalité !
M. Pascal Allizard. Oui, absolument !
C’est pourquoi je dois vous dire que je trouve extraordinaire que nous soyons obligés, nous, Français, qui donnons des leçons au monde entier, d’inscrire cet amendement « élastique » dans la loi ! Quand j’entends vos propos sur les autres pays,… (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, laissez l’orateur terminer son intervention !
M. Pascal Allizard. … je trouve cela stupéfiant.
M. Xavier Iacovelli. Ce qui est stupéfiant, c’est votre intervention !
M. Pascal Allizard. La commission mixte paritaire a voté cet amendement « élastique » à l’unanimité. Quand on vit dans un pays où il faut inscrire dans la loi que les femmes militaires auront droit à un uniforme particulier, parce qu’elles sont enceintes, je me demande de quel droit nous nous permettons de donner des leçons aux autres pays.
M. Patrick Kanner. Quel rapport ?
M. Pascal Allizard. Je trouve que notre débat est un peu décalé.
M. Xavier Iacovelli. C’est vous qui êtes décalé !
M. Pascal Allizard. Pour autant, et j’en reviens à l’amendement de Mme Rossignol (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et républicain.), si nous devions fixer des critères pour définir ce qu’est un pays sûr, je pense – et il s’agit là d’une conviction philosophique personnelle – qu’un pays qui ne reconnaît pas l’avortement n’est pas un pays sûr.
Cela étant, vous l’aurez compris, je m’étonne quand même que nous puissions à la fois avoir une discussion sur l’amendement « élastique » dans l’après-midi et donner des leçons au monde entier dans la soirée. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Éliane Assassi. Je ne vois pas le rapport !
M. le président. Chers collègues, serait-ce trop vous demander que de laisser les orateurs terminer leurs interventions ?
Mme Éliane Assassi. C’était hors sujet !
M. le président. Vous le savez, lorsque vous me demandez la parole, je vous la donne. Alors, respectons-nous les uns et les autres et respectez les orateurs s’il vous plaît !
Mme Esther Benbassa. Aimez-vous les uns les autres ! (Sourires sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Laissez chacun et chacune aller au bout de son argumentation ! Je vous remercie.
La parole est à M. Sébastien Meurant, pour explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Je suis toujours étonné de l’étroitesse d’esprit d’un côté de l’hémicycle. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
Mme Cécile Cukierman. C’est la gauche !
M. Sébastien Meurant. Nos collègues entendent donner des leçons au monde entier, mais où a lieu le plus grand féminicide depuis maintenant des décennies ? En Chine communiste, me semble-t-il, et dans le sous-continent indien ! (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Dans ces pays, au motif que l’on préférait, dans le cadre de la règle de l’enfant unique, avoir des enfants mâles, on a assassiné des millions de filles ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. Si ça continue, je vais faire un rappel au règlement !
M. Pascal Allizard. Nous aussi !
M. Roger Karoutchi. Oui, c’est intolérable !
M. Sébastien Meurant. Je crois savoir que ces pays sont restés assez communistes…
Mme Cécile Cukierman. On voit plus de businessmen que de défenseurs des droits de l’homme dans vos rangs !
M. Sébastien Meurant. Or nous avons des obsédés du continent européen. Nous avons un obsédé de l’Italie, un obsédé de la Hongrie, un obsédé de l’Autriche. Bientôt, ce sera le ministre de l’intérieur allemand que l’on va condamner ! (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.) Mais ouvrez les yeux !
Mme Cécile Cukierman. On les ouvre !
M. Roger Karoutchi. Monsieur le président, il faut faire quelque chose !
M. Sébastien Meurant. L’Europe est un continent de liberté. Qu’en est-il des pays d’origine des migrants ? De la liberté religieuse, du sous-continent, des pays musulmans…
Mme Cécile Cukierman. Nous défendons l’humain contre le business !
M. le président. Chers collègues, je suspends la séance pour quelques instants, afin que tout le monde se calme. Nous ne pouvons pas continuer ainsi !
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue le mercredi 20 juin 2018, à zéro heure quinze, est reprise à zéro heure vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
Monsieur Meurant, je vous invite à poursuivre votre explication de vote.
M. Sébastien Meurant. Merci, monsieur le président.
Intéressons-nous aux droits humains des Français avant tout. Avant de vouloir donner des leçons de morale, avant de condamner des pays européens et de leur jeter l’opprobre, voyons ce qui se passe à côté de nous, de l’autre côté du trottoir, près du théâtre de l’Odéon, par exemple. La misère est à nos portes, constatons-le. Elle gagne sans cesse du terrain, y compris dans le VIe arrondissement de Paris.
Il n’est pas nécessaire d’aller chercher trente femmes au Salvador ; regardons la pauvreté qui sévit autour de nous et occupons-nous des Français d’abord. C’est vers eux que doit être dirigée la politique de défense des droits humains. Nous sommes au Sénat de la République française,…
M. Jean-Yves Leconte. Savez-vous de quoi nous parlons ?
M. Sébastien Meurant. … nous sommes citoyens français, représentants du peuple français, et non les représentants des citoyens du monde !
M. Jean-Yves Leconte. Nous parlons du droit d’asile !
M. Sébastien Meurant. Avant de donner des leçons de morale au monde entier, tâchons d’être exemplaires ! Pour reprendre ce qui a été dit à propos de l’amendement « élastique », regardons-nous d’abord ! Essayons de progresser, car nos marges de progression sont immenses.
M. Xavier Iacovelli. Quel rapport ?
M. Sébastien Meurant. À cet égard, n’oublions pas l’histoire, et prenons du recul par rapport à des événements passés. J’ai cité deux pays concernés par le féminicide, qui, comme vous le savez, est un acte excessivement grave.
Mme Cécile Cukierman. C’est vous qui êtes grave !
M. Sébastien Meurant. Eh bien, c’est dans ces deux pays qu’il a été le plus commis !
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Après la discussion que nous avons eue cet après-midi sur la transidentité, on voit, avec ce débat sur l’avortement, que l’on revient sur les mêmes problèmes et que l’on se heurte aux mêmes incompréhensions. Il s’agit de définir, non pas seulement ce qu’est un pays sûr, mais aussi ce qu’est une persécution.
Une définition de la notion de persécution semble donc nécessaire, car nous avons de ce terme une conception très limitée, alors même que son champ s’est élargi. Nous voyons bien, ici, que certains traitements subis par les transgenres ou l’impossibilité de recourir à l’avortement entrent dans la catégorie des persécutions.
Il serait intéressant de considérer la problématique sous cet angle avant de procéder au vote. Une question comme celle de l’avortement ne doit pas être considérée comme anodine : nous parlons bien de persécution !
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Je trouve certains arguments avancés dans ce débat assez surréalistes. On parle de femmes, on parle de grossesse, on parle de droit à la naissance, et on caricature cet amendement jusqu’à évoquer ce que certains qualifient ici d’« amendement élastique ».
Mme Dominique Estrosi Sassone. Il n’y a pas de caricature !
Mme Cécile Cukierman. Je veux bien qu’on donne des leçons sur ce qui se passe dans d’autres pays de la planète, mais commençons par nous interroger sur ce qui nous permet d’attribuer certaines qualifications à certains amendements !
Oui, cher collègue Meurant, je vous ai bien entendu évoquer certains pays en vous faisant un peu donneur de leçon. Je regrette simplement que, en dépit de votre préoccupation soudaine, ici, ce soir, pour le droit des femmes, vous n’ayez pas tout à fait la même exigence lorsqu’il s’agit de faire du business avec ces mêmes pays. Il y a donc des États sur la planète, qu’on peut qualifier d’autoritaires, de non respectueux des droits humains, et avec lesquels, pourtant, on peut aussi faire des affaires. Comme quoi les dogmatismes, nous, nous savons très bien les faire tomber, alors que vous, vous avez plus de mal.
Bien évidemment, nous allons voter cet amendement. Il s’agit ici de préserver les femmes, tel qu’il est indiqué dans son objet, mais aussi de renforcer l’image de la France au regard du droit des femmes à disposer de leur corps, au-delà même de leurs origines ou des raisons qui peuvent les pousser à venir dans notre pays.
Je ne sais pas si la majorité sénatoriale est unanime sur les arguments que nous venons d’entendre – j’espère que non –, mais ceux-ci ne sont pas recevables. Nous nous y opposerons, car ils visent à remettre en cause le droit des femmes migrantes et, plus largement, le droit des femmes dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je vais essayer d’apporter une réponse.
Une chose est certaine : nous devons tenir compte de l’application, dans certains pays, d’une législation pénale réprimant l’avortement et, de ce fait, accepter de ne pas renvoyer certaines de leurs ressortissantes, quand bien même ces pays figureraient dans la liste des pays sûrs.
Le problème est le suivant : la liste des pays sûrs ne peut être modifiée sans un accord international. L’adoption de cet amendement nous mettrait donc en difficulté sous cet angle.
Il serait sans doute souhaitable que l’on se donne un peu de temps pour réfléchir à la manière dont on pourrait – je parle au conditionnel, car cela exige de contrôler un certain nombre d’éléments juridiques – faire évoluer l’article L.712-1 du CESEDA, qui est relatif à la protection subsidiaire. La modification devra tenir compte de l’existence, dans certains pays, de sanctions pénales liées à la pratique de l’avortement et, ainsi, protéger les femmes encourant un risque de ce fait, en leur accordant le bénéfice de la protection subsidiaire. Mais, je le répète, cette évolution exige un contrôle sérieux au préalable. La rédaction doit être claire, et c’est pourquoi je n’ai pas de solution immédiate à proposer.
Par conséquent, je rejoins l’avis défavorable du Gouvernement sur l’amendement – pour des raisons strictement juridiques, et non des raisons de fond –, en espérant pouvoir travailler sur une proposition, d’ici à la fin de la semaine, qui consistera à modifier cet article du CESEDA relatif à la protection subsidiaire. Ainsi, nous pourrions, me semble-t-il, répondre aux attentes de tout le monde. Nous ne nous mettrions pas en difficulté au regard de la liste des pays sûrs, tout en apportant une réponse à une problématique réelle.
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Ce que propose le rapporteur est une solution, mais encore faut-il trouver cette rédaction d’ici à jeudi. Dès lors que nous sommes en procédure accélérée, il n’y aura pas de deuxième lecture. Il faut que nous puissions défendre cette mesure lors de la CMP, laquelle arrivera assez rapidement.
Je veux seulement rappeler – parce que je ne saisis pas bien tout le sens du débat – que le droit d’asile est un droit individuel. Il existe, bien sûr, une liste de pays théoriquement sûrs et, à ce sujet, je suggère que chacun d’entre nous mesure bien ses propos. Quand j’entends certains de ceux qui ont été tenus ce soir – pardon de le dire à nos collègues du groupe socialiste –, à part un retrait de l’Union européenne, il n’y a pas beaucoup de solutions…
On peut constater que, en Italie, en Autriche ou en Allemagne, il n’y a plus de garanties, plus de certitudes, et en avoir peur. On peut s’inquiéter de ce qui se passe en Hongrie, en Pologne ou ailleurs. Mais en déduire, comme nos collègues le demandent, que ces pays ne sont plus sûrs, que nous ne pouvons plus avoir avec eux des relations « classiques », c’est compliquer à l’extrême la situation. Si tel était le cas, en effet, la France n’aurait plus d’autre solution que de se retirer de l’Union européenne, de s’extraire des règles européennes, considérant que ce qui se produit en Italie, en Allemagne ou en Autriche ne lui convient pas du tout.
Pour ma part, je préfère voir la France rester à l’intérieur de l’Europe, pour l’influencer positivement et conduire une politique favorable à une plus grande ouverture.
En tout cas, si la solution préconisée par le rapporteur peut être concrétisée d’ici à jeudi, nous pouvons parfaitement prévoir de revenir sur ce point pour intégrer, ce jour-là, une rédaction convenant à tous. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)
Mme Françoise Gatel. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je formulerai trois remarques.
Première remarque : je partage les propos de notre collègue Roger Karoutchi. On voit bien les limites de la procédure accélérée… On n’a d’ailleurs pas attendu le projet de loi Asile-immigration pour constater, ici, dans notre diversité, que la procédure accélérée ne montre pas sa totale efficacité quant à la richesse du dialogue et la hauteur de vue propre à notre parlement.
Deuxième remarque : si la tentative de réponse formulée par le rapporteur mérite qu’on l’examine, j’attire l’attention de ce dernier, au nom de mon groupe, sur le fait que les questions relatives aux violences et aux discriminations subies par les femmes, les filles ou les minorités sexuelles, en particulier l’impossibilité légale de recourir à l’avortement, ne se négocient pas.
Je ne vous mets pas en cause personnellement, monsieur le rapporteur, mais soyons clairs : lorsqu’on discrimine, qu’on porte atteinte à des enfants, à des femmes, à des minorités sexuelles, ou culturelles, aucune négociation n’est envisageable ! Je ne prétends pas que telle est l’intention, mais je le dis avec fermeté.
Troisième remarque, à l’attention de Sébastien Meurant, avec qui nous avons parfois des échanges en commission des finances et qui nous dit : « Les Français d’abord… ». Cher Sébastien Meurant, la Constitution, dans son préambule, affirme que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République ». C’est ça, les Français ! Et j’ajouterai : si c’est vrai pour les hommes, c’est vrai pour les femmes ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 411 rectifié ter.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste et républicain.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 332 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 114 |
Contre | 217 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Mes chers collègues, nous avons examiné 57 amendements au cours de la journée ; il en reste 485.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
8
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 20 juin 2018, à quatorze heures trente et le soir :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie (n° 464, 2017-2018) ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 552, 2017-2018) ;
Avis de M. Jacques Grosperrin, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 527, 2017-2018) ;
Texte de la commission (n° 553, 2017-2018).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à zéro heure quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD