M. le président. Il faut conclure, cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Là est aujourd’hui l’enjeu : défendre les droits des demandeurs d’asile !
M. le président. La parole est à M. Didier Marie, pour explication de vote.
M. Didier Marie. La procédure accélérée est prévue pour les cas où un examen approfondi n’est pas nécessaire, parce qu’il est manifeste que la demande ne relève pas d’un besoin de protection ou, au contraire, parce qu’il faut assurer très rapidement la protection d’une personne dont la situation paraît évidente.
La généralisation de cette procédure, déjà trop largement utilisée, est donc un détournement de son objet initial. En faire une procédure de droit commun n’est pas acceptable !
Comme les orateurs précédents l’ont souligné, ses caractéristiques sont beaucoup plus strictes : délai d’examen par l’OFPRA ramené à quinze jours et, en cas de rejet de la demande, examen du recours par un juge unique de la CNDA, dans un délai ramené de cinq mois à cinq semaines.
On imagine aisément les conséquences désastreuses d’une application généralisée de cette procédure. On ne peut pas l’accepter, et pas davantage les conditions contraignant les demandes.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Monsieur Leconte, les délais que vous avez mentionnés devant les guichets uniques des préfectures étaient exacts à l’automne dernier. Depuis lors, comme vous le savez, nous avons procédé à de vastes réorganisations dans les services des préfectures ; nous avons aussi prévu des personnels supplémentaires.
Aujourd’hui, le délai moyen est de six jours, et de nombreuses préfectures sont déjà à trois jours, soit l’objectif fixé par le Gouvernement pour la fin de l’année et l’ensemble des préfectures.
M. le président. L’amendement n° 43 rectifié bis, présenté par Mmes Benbassa et Assassi, M. Bocquet, Mmes Brulin, Cohen et Cukierman, MM. Gay et Gontard, Mme Gréaume, MM. P. Laurent et Ouzoulias, Mme Prunaud et MM. Savoldelli et Watrin, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… À l’article L. 721-1, les mots : « chargé de l’asile » sont remplacés par les mots : « des affaires étrangères » ;
… À l’article L. 722-2, les mots : « conjointe » et les mots : « et du ministre chargé de l’asile » sont supprimés ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le projet de loi s’intitule : « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Le choix fait par le Gouvernement semble clair : régir dans le même temps la politique de l’asile, qui relève du droit humanitaire, et la régulation de l’immigration, qui répond à des considérations tout autres.
Insidieusement, l’exécutif laisse germer l’idée que l’attribution du droit d’asile devrait être régulée au même titre que l’immigration, comme si les exilés qui pourraient aujourd’hui bénéficier du statut de réfugié devaient voir leur demande traitée comme celles des requérants venus pour des raisons économiques.
Au groupe CRCE, nous nous refusons bien évidemment à procéder à une gradation des misères et des raisons qui poussent les gens à s’arracher à leur terre natale. Nous pensons toutefois que ces raisons doivent être traitées de manière différenciée et adéquate selon le cas et les causes ayant poussé le demandeur à émigrer. Aussi proposons-nous de rattacher l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, non plus au ministère de l’intérieur, mais au ministère des affaires étrangères, afin que les exilés qui formuleront une demande de titre de séjour sur notre territoire puissent bénéficier d’un droit d’asile effectif et indépendant de la politique migratoire, qui relève des compétences de l’administration de la place Beauvau.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. L’amendement n° 43 rectifié bis a pour objet de rattacher l’OFPRA au ministère des affaires étrangères et non plus, comme depuis 2010, au ministère de l’intérieur. Sous-entendu : l’OFPRA ne serait pas indépendant !
En réalité, le principe d’indépendance est inscrit à l’article L. 721-2 du CESEDA, aux termes duquel « l’Office exerce en toute impartialité [ses] missions et ne reçoit, dans leur accomplissement, aucune instruction ».
Quand on connaît un peu le fonctionnement de l’OFPRA et qu’on y participe, il est difficile d’imaginer qu’il reçoive véritablement des instructions, en tout cas, s’il en recevait, qu’il les écoute véritablement. L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Il est également défavorable, pour les raisons exposées par le rapporteur. Considérer que le ministère de l’intérieur mènerait une politique restrictive en matière de moyens accordés à l’asile revient à méconnaître vraiment la réalité des faits.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement présente l’intérêt majeur de nous rappeler ce qu’était l’asile voilà quelques années, lorsque l’OFPRA était placé sous la tutelle du ministère des affaires étrangères et l’intégration sous celle du ministère des affaires sociales et de l’emploi.
La perspective était différente. Il y avait l’asile, un droit : s’en occupaient – c’était normal – ceux qui au sein de l’État et de l’exécutif connaissaient le mieux la situation des pays, c’est-à-dire les affaires étrangères. De même, pour l’intégration, la question prioritaire n’était pas la sécurité, mais l’intégration par le travail, l’intégration dans la société ; cela relevait des affaires sociales et de l’emploi.
Depuis quinze ans, peu à peu, nous avons glissé, et tout est arrivé au ministère de l’intérieur.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean-Yves Leconte. Cette domination du ministère de l’intérieur, c’est 2007, Hortefeux, Éric Besson, le ministère de l’identité nationale. Ainsi, la donne a changé, et aujourd’hui toute la question de l’immigration, toute la question de l’asile sont traitées uniquement sous le prisme de la sécurité.
M. David Assouline. Tout à fait !
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement nous rappelle ce que c’était quand ça fonctionnait.
Je connais la qualité de l’OFPRA et de ses agents. Je connais l’indépendance que cet office sait garder par rapport au Gouvernement, et je lui fais confiance, quel que soit le sort de cet amendement.
Je tenais simplement à souligner que, si nous voulons une intégration réussie, tout ne peut pas passer par le ministère de l’intérieur. L’ensemble des services de l’État doivent être mobilisés, en particulier les ministères des affaires sociales et de l’emploi, parce que l’intégration se fait par là ! De même, l’asile n’est pas une question de sécurité, mais de droits et de connaissance de la situation dans un certain nombre de pays.
C’est pourquoi cet amendement a un intérêt ; nous le voterons bien entendu. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme Marie-Pierre de la Gontrie. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.
M. Roger Karoutchi. Tout ça, pardonnez-moi, me semble être un faux débat.
D’abord, qu’une structure dépende du ministère de l’intérieur ou de celui des affaires étrangères, si le Gouvernement veut donner une instruction, il la donne… Ne me dites pas que les affaires étrangères seraient un ministère tellement neutre qu’il n’y aurait aucune instruction !
Ensuite, pour siéger au conseil d’administration de l’OFII, qui est sous la tutelle d’un ministère, ce qui est bien normal, je sais que cet office fonctionne d’une manière extraordinaire, avec des agents dévoués.
Nous travaillons beaucoup avec l’OFPRA, dont l’activité est très intense : cet office applique la loi, avec une marge d’action, de manœuvre considérable.
M. Jean-Yves Leconte. Nous essayons de la préserver !
M. Roger Karoutchi. Monsieur Leconte, je ne vous ai pas interrompu – et j’ai eu du mal. Veuillez à votre tour ne pas m’interrompre.
Il ne faudrait pas que de ce débat sorte l’idée que nous remettrions en cause les agents ou le fonctionnement de l’OFPRA, parce que ce serait injuste.
Permettez-moi maintenant de rebondir sur ce que vient de dire Mme Benbassa : après tout, on aurait pu effectivement imaginer que les questions d’asile soient rattachées au ministère des affaires étrangères si, comme il y a dix ou douze ans, il y avait 15 000 ou 20 000 demandes d’asile par an. Seulement, le problème est que nous en recevons plus de 100 000 aujourd’hui.
Par ailleurs, on sait parfaitement que les demandes d’asile, si elles sont accordées dans 30 % des cas, sont rejetées dans la plupart des autres cas parce que l’OFPRA, ou la CNDA, estime qu’elles relèvent en réalité d’une filière d’immigration détournée. Il y a donc une logique à ce que tout soit rassemblé aujourd’hui autour d’un seul ministère, et le ministère de l’intérieur fait très bien son travail !
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je voudrais juste apporter une précision pour lever tous les doutes.
Dans la plupart des pays européens, l’immigration dépend du ministère de l’intérieur. J’assiste régulièrement à des réunions des ministres européens de l’intérieur et de la justice – les conseils JAI. Je peux vous assurer que les ministres qui traitent les questions d’immigration sont majoritairement – pas tous – ministres de l’intérieur.
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Madame la ministre, justement, avez-vous entendu la déclaration des ministres de l’intérieur allemand, autrichien et italien, qui ont osé parler d’« axe » – ils osent le mot ! – sécuritaire face à l’immigration ? J’espère qu’on n’en arrivera jamais là.
Nous parler de l’Europe sur cette question n’est pas un argument : il ne faut pas essayer de ressembler à ces pays européens qui proposent une régression. Car il s’agit d’une régression !
Mon collègue Jean-Yves Leconte l’a déjà expliqué en détail : la régression, c’est aussi la loi elle-même, qui mélange asile et immigration, ce qui ne s’était jamais vu dans un texte de loi. Et pourtant, on a connu des alternances entre gauche et droite ces dernières années !
Vous le constatez comme moi, de tels débats n’étaient même pas envisageables il y a encore dix ou douze ans quand la droite était au pouvoir.
M. Roger Karoutchi. Attendez qu’on revienne ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. Il y a toujours eu des consciences, sur toutes les travées de cet hémicycle, qui auraient évidemment pointé le fait qu’on ne peut pas mettre les questions d’immigration et d’asile dans le même pot, qu’on ne peut pas traiter ces sujets en se demandant simplement quels moyens mettre en œuvre pour se défendre par rapport à cette déferlante… Aujourd’hui, ça passe inaperçu !
C’est la même chose pour tout, pour le délai de rétention dont on va bientôt discuter, par exemple. Je me rappelle que, au moment de l’examen de la loi Hortefeux-Besson, ce sont des sénateurs siégeant sur les travées de droite qui se sont demandé à quoi servait l’allongement de la durée maximale de rétention à 45 jours puisque, au bout de quinze ou seize jours, les demandeurs d’asile se retrouvaient dehors. Finalement, la disposition a été votée après une longue bataille. Monsieur Karoutchi, vous devez vous en souvenir !
M. Roger Karoutchi. Non, moi, je ne me souviens de rien ! (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. En tout cas, ça n’est pas passé tout seul.
Et, aujourd’hui, on en est à défendre le délai de 45 jours de rétention, parce que vous voulez le faire passer à 90 jours !
Dans tous les domaines, on a cherché à relever un défi, toujours plus difficile, en estimant que la meilleure manière de se protéger était de fermer. En réalité, c’est l’inverse qui se produit : tous les jours, on régresse de plus en plus, alors que le populisme et le racisme continuent de monter !
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Je veux réagir au précédent débat entre nos collègues Leconte et Karoutchi sur la question du rattachement de l’OFPRA au ministère de l’intérieur ou à celui des affaires étrangères.
Je vais vous livrer ma réflexion : le rôle du ministère des affaires étrangères pose la question de notre cadre de coopération. En d’autres termes, la façon dont le ministère aborde et traite cette question du droit d’asile nous renvoie aux relations que la France entretient avec les autres États.
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ce n’est pas faux !
M. Pascal Savoldelli. M. Karoutchi nous explique qu’il fut un temps où la France n’accueillait qu’un certain nombre de migrants et que, aujourd’hui, il y en a davantage. Or ces migrants viennent de certains États, pour diverses raisons que nous connaissons bien les uns et les autres. Par conséquent, je suis sensible à la question soulevée par mon collègue Leconte. Notre pays doit prendre certaines décisions : quand des milliers, voire des dizaines de milliers de personnes quittent leurs pays pour demander l’asile, il faut que ça nous fasse réfléchir à nos relations commerciales.
Quand certaines migrations sont en outre liées à des aléas climatiques, il faut aussi s’interroger sur la nécessité de régler ce problème, faute de quoi ces migrations vont perdurer.
Dans un climat de discussion où règne un esprit de responsabilité, la France, qui jouit quand même d’une belle image sur le plan international, ferait bien d’envisager ces questions de migration sous l’angle de ses relations commerciales et de ses cadres de coopération, surtout quand il est question du droit d’asile.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je souhaite vous poser une question, monsieur Karoutchi : qu’entendez-vous par « immigration détournée » ?
M. Roger Karoutchi. J’ai parlé d’une filière d’immigration détournée via le droit d’asile !
Mme Esther Benbassa. C’est une pensée complexe… (Rires.) J’aime beaucoup les pensées complexes, mais, dans votre cas, elle est soupçonneuse. (Nouveaux rires.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Puisque beaucoup de nos collègues ont jugé indispensable de s’étendre sur le sujet, je ne vois pas pourquoi je me priverais d’intervenir à mon tour. (Sourires.)
Je voudrais vous dire que cette question aurait une véritable importance si les pouvoirs exercés par l’OFPRA étaient discrétionnaires, si l’OFPRA prenait ses décisions sous les ordres d’un ministre. Mais tel n’est pas le cas ! L’Office applique des procédures, que nous sommes d’ailleurs en train de modifier, qui sont de niveau législatif. Il applique également des règles fixées par la Constitution, les conventions internationales et les directives européennes.
Vous pourriez décider de rattacher l’OFPRA au ministère de la jeunesse et des sports ou au ministère de la santé, cela ne changerait rien à l’affaire : son travail est, par nature, celui d’une quasi-juridiction sous le contrôle d’une juridiction dont chacun reconnaît l’importance de la mission.
Au reste, tout le travail de l’OFPRA, au cours des dernières années, a consisté à mieux vérifier les droits des demandeurs d’asile pour faire en sorte que le taux des décisions annulées par la Cour nationale du droit d’asile baisse. Or l’OFPRA a réalisé cette performance.
Nous avons passé beaucoup de temps à débattre du rattachement administratif de l’Office, question qui relève d’ailleurs du seul Gouvernement, alors que ce sujet est totalement dénué d’importance. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Ça, alors !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président Bas, permettez-moi de vous dire que je suis complètement en désaccord avec ce que vous venez de dire. Ce sujet n’est pas à prendre à la légère.
J’ouvre d’ailleurs une petite parenthèse : les salariés de l’OFPRA l’ont eux-mêmes dit lorsqu’ils se sont mis en grève il y a quelques semaines, ce que vous semblez oublier.
Rétablir la tutelle du ministère des affaires étrangères est la meilleure façon de rappeler la spécificité des protections internationales que représentent les statuts de réfugié, de protégé subsidiaire et d’apatride, ce que n’assure pas le ministère de l’intérieur.
M. le président. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. Pour aller dans le même sens que le président Bas, je voudrais indiquer à nos collègues qui se sont beaucoup engagés dans le débat que celui-ci comporte une part d’illusion.
Heureusement, dans notre pays, l’État est un, et les ministères ne suivent pas des politiques contradictoires.
Mme Éliane Assassi. Et alors ?
M. Alain Richard. Notre pays a la capacité de faire fonctionner l’interministériel de manière cohérente et de faire appliquer la même politique gouvernementale par les différents départements ministériels.
Pour ne pas gâcher l’intérêt de la discussion, personne n’a voulu soulever cet argument, mais ce dont nous parlons relève d’un simple décret.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Absolument !
M. le président. L’amendement n° 411 rectifié ter, présenté par Mmes Rossignol, Blondin, Lepage, Perol-Dumont, Lubin, G. Jourda, Lienemann, Grelet-Certenais, Meunier, Préville, Ghali, Monier, Artigalas, Tocqueville et Taillé-Polian et MM. Féraud, Durain, Marie, Houllegatte, Lalande, Tourenne, Temal, Manable, Vallini, Cabanel, Daudigny et Devinaz, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
… Le quatrième alinéa de l’article L. 722-1 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ne peut être considéré comme un pays d’origine sûr pour les femmes celui dans lequel le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales. » ;
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Cet article précise ce qu’est un pays sûr, c’est-à-dire un régime démocratique dans lequel il n’y a ni persécutions, ni traitements inhumains ou dégradants, ni encore de tortures.
L’Assemblée nationale, puis la commission des lois du Sénat ont jugé utile d’apporter des précisions à propos des femmes ou de l’identité de genre.
Je souhaite apporter une autre précision et m’arrêter un instant, plus particulièrement, sur ces nombreux pays dans lesquels l’avortement est un crime grave, puni de peines pouvant atteindre jusqu’à trente ou cinquante ans d’emprisonnement comme, par exemple, au Salvador, où l’avortement est qualifié d’homicide aggravé. Toujours au Salvador, il y a actuellement au moins trente femmes en prison, non pas pour avoir avorté, mais pour avoir subi une fausse couche spontanée que des juges ont qualifiée d’avortement.
Je crois qu’il est important que notre pays, la France, accueille ces femmes, qui sont menacées de prison quand elles ont recours à l’avortement, en particulier pour elles-mêmes, et leur accorde le statut de réfugié. Ce serait à la fois un signal donné en matière de liberté et une mesure humanitaire indispensable.
En ce qui concerne l’avortement, la planète est exposée à des vents contraires : certes, l’Irlande et l’Argentine sont en train de légaliser ou ont récemment légalisé l’avortement, mais d’autres pays sont en pleine régression en le criminalisant.
Mes chers collègues, je vous suggère d’adopter cet amendement, qui précise que l’on ne peut pas considérer un pays dans lequel le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales comme un pays d’origine sûr pour les femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission souhaite avoir l’avis du Gouvernement sur cet amendement, non pas pour éviter d’avoir à prendre ses responsabilités,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Cela ne lui ressemblerait pas !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. … mais parce que celui-ci pose une vraie question, qui n’est pas sans conséquence sur le plan juridique. Il conviendrait sûrement de trouver une solution satisfaisante sur ce point.
Je rappelle que le présent amendement tend à exclure de la liste des pays sûrs ceux dans lesquels le recours à l’avortement est passible de sanctions pénales.
La convention de Genève et la directive Qualification de 2011 protègent d’ores et déjà les pratiques d’avortement ou de stérilisation forcés, qui peuvent être prises en compte dans la définition de l’appartenance à un certain groupe social.
Comment qualifier l’avortement sur le plan juridique dans le cadre de la directive ?
Mme Esther Benbassa. C’est simple : il suffit de le qualifier…d’avortement !
M. François-Noël Buffet, rapporteur. C’est simple uniquement dans l’idée que l’on s’en fait.
En réalité, la question de la pénalisation de l’avortement ne peut pas se traiter indépendamment du cadre européen. La définition de la liste des pays sûrs découle en effet directement de la directive Procédures. Or je rappelle que, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, qui sont considérés comme des pays sûrs en vertu du protocole « Aznar » annexé au traité d’Amsterdam, l’avortement est interdit ou pénalement réprimé. Je citerai notamment les exemples de la Pologne, de Chypre et de Malte.
Des discussions sont en cours pour réviser le régime d’asile européen commun. Ce sujet important devrait donc être abordé au niveau européen.
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, il est minuit. Je vous propose de prolonger notre séance jusqu’à zéro heure trente, afin d’aller plus avant dans l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’opposition ?…
Il en est ainsi décidé.
Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 411 rectifié ter ?
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Madame Rossignol, il s’agit en effet d’une question juridique, comme l’a dit le rapporteur.
Comme l’a rappelé une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 7 novembre 2013, la seule pénalisation d’une pratique ne constitue pas, en tant que telle, un acte de persécution, car il faut que la peine soit effectivement appliquée contre un groupe social et dans des conditions qui s’apparentent à une persécution à l’égard de ce groupe.
L’existence d’une infraction pénale n’est pas suffisante pour caractériser une persécution. Pour bénéficier de la protection subsidiaire, il faut ainsi prouver que l’on est exposé dans son pays à un risque de peine de mort, de torture ou de traitements inhumains et dégradants, ou encore d’une menace grave et individuelle contre sa vie ou sa personne.
Pour ces motifs, le Gouvernement vous demande, madame la sénatrice, de bien vouloir retirer votre amendement.
Mme Laurence Rossignol. Vous plaisantez, madame la ministre ? C’est hors de question !
Mme Laurence Rossignol. Dans ce cas, assumez-le !
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Aujourd’hui, il y a des négociations au niveau européen, mais il n’existe pas de liste de pays sûrs à ce niveau, parce que les pays européens n’arrivent pas à se mettre d’accord.
M. Roger Karoutchi. C’est bien dommage !
M. Jean-Yves Leconte. Certains pays considèrent même que l’asile étant, par définition, une question individuelle, on ne devrait pas appliquer de procédure spécifique aux demandeurs en fonction du pays dont ils sont originaires. Pour ces pays, une demande d’asile est par définition une demande individuelle.
Cette liste européenne des pays d’origine sûrs n’existe pas. Elle est en débat, notamment au niveau du Parlement européen. Décider que tel ou tel pays est ou n’est pas un pays d’origine sûr relève donc toujours de notre souveraineté.
De ce point de vue, le présent amendement mériterait, me semble-t-il, d’être soumis au vote. Compte tenu des explications et des arguments utilisés par Mme la ministre, qu’à mon sens on ne peut pas laisser passer, et même si je n’ai pas cosigné cet amendement initialement, je suis maintenant convaincu de son intérêt.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le rapporteur, je ne vois pas bien où se situe le problème juridique si ce n’est, comme vient de l’expliquer mon collègue Leconte, que nous sommes effectivement coincés par l’impossibilité de l’Europe à se mettre d’accord sur la définition des pays d’origine sûrs.
La question de l’avortement et du droit des femmes à disposer de leur corps n’est pas un mince sujet dans l’Union européenne, puisqu’il n’aura échappé à personne que certains pays, dans lesquels l’avortement était auparavant légal, sont en pleine régression et s’orientent vers une criminalisation de l’avortement, y compris lorsque l’avortement est consécutif à un viol, une malformation de l’enfant ou un risque important encouru par la mère.
Le problème n’est donc juridique que si on le veut bien. À un moment donné, cela devient un problème politique ! Je considère qu’affirmer qu’un pays qui condamne les femmes ayant recours à l’avortement n’est pas un pays sûr est une décision politique.
Enfin, lorsque l’on sait qu’une femme meurt d’un avortement clandestin toutes les quatre minutes sur la planète, si ce n’est pas une persécution, je ne sais pas ce que c’est !
Madame la ministre, je ne retirerai pas mon amendement, ce dont vous vous doutiez, j’imagine, et je vous demande d’assumer votre avis défavorable sur cet amendement ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)