M. Charles Revet. Eh oui !
M. François Patriat. Ça a bien marché !
M. Pierre Charon. Enfin, s’agissant de l’éloignement des étrangers, la commission des lois a demandé que toute décision définitive de rejet d’une demande d’asile soit considérée comme une obligation de quitter le territoire français, ou OQTF !
Sur les questions d’immigration, nous devons être francs dans le choix des mots et éviter les contorsions qui démontrent que, même dans les esprits, on se censure !
On parle de migrants au lieu de parler de clandestins. Il est symptomatique d’employer l’expression de « délit de solidarité », alors qu’il n’y a rien d’autre qu’une violation de la loi, le soutien à une installation illégale sur le sol français. C’est de la délinquance, et rien d’autre !
Les termes existent, utilisons-les : on doit nommer le délit d’aide à l’entrée ou au séjour irrégulier tel quel, et non utiliser une métaphore. Il est surprenant de voir que ceux qui s’insurgent contre l’existence de cette infraction pénale veulent à tout prix pénaliser ceux qui appellent au respect de nos frontières.
Aider les clandestins, ce serait bien, mais alerter sur la porosité de nos frontières, ce serait mal ! C’est le comble de la confusion dans un pays où le terrorisme intellectuel a beaucoup sévi dans les esprits !
Notre tâche est lourde : il faut rassurer les Français qui sont inquiets sur ce sujet. Ceux-ci attendent de nous un message et craignent qu’il ne soit trop tard. Ils réclament des mesures fortes. Et tant mieux si c’est le Sénat qui peut leur donner cet espoir : il est le gardien de la République, mais aussi de la France et de son identité. La défense de l’une ne va pas sans l’autre !
Parce qu’il va dans le bon sens et parce qu’il apporte des corrections substantielles, je voterai le texte tel qu’il sera modifié par les amendements du groupe Les Républicains. J’invite tous mes collègues à agir ainsi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires. – M. Loïc Hervé applaudit également.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, si nous ne devions retenir qu’un enjeu lié à ce projet de loi, c’est celui de la recherche d’un équilibre entre responsabilité et humanisme, entre répression et laxisme.
Cet équilibre est au cœur de l’approche française du fait migratoire depuis trente ans.
Ceux qui veulent modifier cet équilibre au profit de l’un ou de l’autre risquent de dénaturer notre modèle d’intégration. Trop de laxisme, d’une part, c’est faillir à l’objectif légitime de lutte contre l’immigration irrégulière. C’est aussi saturer nos services qui font un travail formidable dans des conditions déplorables. C’est enfin se rapprocher des limites de ce que la société française peut intégrer.
Trop de répression, d’autre part, c’est méconnaître la tradition française issue des Lumières. C’est se priver de talents qui souhaitent travailler et vivre en France, et c’est risquer de bafouer les droits les plus fondamentaux de la personne humaine.
Cet équilibre n’est pas simple à trouver. Il nécessite une approche mesurée.
D’un côté, il faut rendre les mesures d’éloignement plus effectives et prendre en compte la dangerosité des candidats à l’asile.
De l’autre, il faut accélérer les procédures et moderniser le droit des étrangers. Sur ce dernier point, nous croyons que le droit au travail est un vecteur particulièrement efficace d’intégration et nous vous proposerons des amendements pour en faire une réalité concrète.
Enfin, nous croyons que l’enjeu des migrations dépasse ces mesures techniques. L’avenir en la matière est certes européen, notre collègue Colette Mélot l’a rappelé, mais il se joue aussi dans les pays sources.
Pour traiter ce problème à la racine, nous vous proposerons un amendement visant à intégrer la lutte contre les causes des migrations aux objectifs de l’aide française au développement, comme c’est déjà le cas au niveau européen. Seule une approche structurelle de la question migratoire nous permettra de répondre à la crise que nous connaissons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Indépendants – République et Territoires.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Je voudrais remercier tous les orateurs pour leurs interventions. Je ne répondrai évidemment pas dans le détail à chacun d’entre eux, mais je vais essayer de revenir sur deux ou trois points, notamment ceux qu’a évoqués le rapporteur François-Noël Buffet.
Nous savons tous que la question des mineurs non accompagnés – les MNA – est une préoccupation importante et partagée entre l’État et les départements, du fait notamment de l’augmentation très significative des flux. Ainsi, en 2017, sur plus de 54 000 personnes ayant fait l’objet d’une évaluation, 15 000 ont été considérées comme mineures. Ce chiffre a triplé depuis 2014.
Cette hausse entraîne automatiquement des difficultés considérables pour les départements, responsables du versement de l’aide sociale à l’enfance ainsi, évidemment, que des difficultés d’ordre matériel et financier.
Il s’agit d’un sujet complexe sur lequel le Gouvernement est très impliqué. Le Premier ministre a entretenu un dialogue nourri avec l’Assemblée des départements de France sur la question de la prise en charge des mineurs non accompagnés.
Le Gouvernement souhaite que la protection de l’enfance bénéficie à ceux qui en ont besoin, c’est-à-dire les mineurs eux-mêmes. C’est cette approche en faveur de la protection de l’enfant qui justifie que ce sujet complexe et délicat des mineurs non accompagnés n’ait pas vocation à être abordé dans le cadre de ce texte. En la matière, nous espérons que l’État et l’Assemblée des départements de France pourront se mettre d’accord rapidement. Je crois que tel sera le cas, si mes informations sont bonnes.
S’agissant de la coopération consulaire, question que vous avez soulevée à juste titre, il faut savoir que le Gouvernement est aussi très actif et très engagé. Il mène une double stratégie, à la fois bilatérale et européenne.
Notre stratégie est bilatérale, dans la mesure où nous menons des discussions avec de nombreux pays, afin d’augmenter le taux de réadmission des étrangers en situation irrégulière. La démarche que nous négocions avec ces pays repose sur un équilibre entre des incitations négatives, c’est-à-dire des restrictions de visas, et des incitations positives, comme les projets de coopération. En réalité, nous mettons en équilibre les visas et les laissez-passer consulaires.
Nous avons d’ailleurs renforcé le pilotage des demandes et du suivi de la délivrance des laissez-passer consulaires par la mise en place d’une task force au sein de la direction générale des étrangers en France, la DGEF, du ministère de l’intérieur. Cette task force réunit à la fois des agents de la DGEF et de la DCPAF, c’est-à-dire la direction centrale de la police aux frontières. Son rôle consiste à harmoniser les procédures de saisine des consulats par nos préfectures et à appuyer ces dernières dans leurs démarches.
Nous avons déjà passé des accords avec le Maroc, la Tunisie, la Guinée, le Mali, la Côte-d’Ivoire et le Sénégal. Les résultats de cette mobilisation sont déjà perceptibles pour plusieurs pays, en particulier après que nous avons utilisé le dispositif de restriction des visas ou lorsqu’un accord de réadmission a été conclu par l’Union européenne.
Notre stratégie est également européenne.
Une réunion des ministres européens de l’intérieur s’est tenue à Luxembourg la semaine dernière. Deux sujets étaient à l’ordre du jour : le premier concernait justement le lien entre visas et laissez-passer consulaires. Nous avons défendu cette idée qu’il faudrait traiter cette question au niveau européen ; le deuxième sujet avait trait au règlement dit « de Dublin », qui constitue certes une garantie pour les demandeurs d’asile, mais dont nous connaissons les imperfections, avec notamment des demandes secondaires beaucoup trop nombreuses. Notre volonté est d’améliorer ce règlement de Dublin.
Je terminerai en rappelant, comme l’a excellemment dit le sénateur Alain Richard, qu’il faut travailler à la fois au niveau national et au niveau européen. C’est la raison pour laquelle le ministre d’État, ministre de l’intérieur, devait absolument être à Berlin aujourd’hui ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen.)
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, je vais suspendre la séance pour quelques instants ; nous la poursuivrons ensuite jusqu’à vingt heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt-cinq, est reprise à dix-sept heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie
Article 1er A (nouveau)
L’article L. 111-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 111-10. – Les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement.
« Le Parlement prend alors connaissance d’un rapport du Gouvernement qui indique et commente, pour les dix années précédentes :
« a) Le nombre des différents visas accordés et celui des demandes rejetées ;
« b) Le nombre des différents titres de séjour accordés et celui des demandes rejetées et des renouvellements refusés ;
« c) Le nombre d’étrangers admis au titre du regroupement familial et des autres formes de rapprochement familial ;
« d) Le nombre d’étrangers admis aux fins d’immigration de travail ;
« e) Le nombre d’étrangers ayant obtenu le statut de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, ainsi que celui des demandes rejetées ;
« f) Le nombre d’attestations d’accueil présentées pour validation et le nombre d’attestations d’accueil validées ;
« g) Le nombre d’étrangers ayant fait l’objet de mesures d’éloignement effectives comparé à celui des décisions prononcées ;
« h) Les procédures et les moyens mis en œuvre pour lutter contre l’entrée et le séjour irréguliers des étrangers ;
« i) Les moyens mis en œuvre et les résultats obtenus dans le domaine de la lutte contre les trafics de main-d’œuvre étrangère ;
« j) Les actions entreprises avec les pays d’origine pour mettre en œuvre une politique de gestion concertée des flux migratoires et de co-développement ;
« k) Les actions entreprises pour favoriser l’intégration des étrangers en situation régulière ;
« l) Le nombre des acquisitions de la nationalité française, pour chacune des procédures ;
« m) Des indicateurs permettant d’estimer le nombre d’étrangers se trouvant en situation irrégulière sur le territoire français.
« Le Gouvernement présente, en outre, les conditions démographiques, économiques, géopolitiques, sociales et culturelles dans lesquelles s’inscrit la politique nationale d’immigration et d’intégration. Il précise les capacités d’accueil de la France. Il rend compte des actions qu’il mène pour que la politique européenne d’immigration et d’intégration soit conforme à l’intérêt national.
« Sont jointes au rapport du Gouvernement les observations de :
« 1° L’Office français de l’immigration et de l’intégration ;
« 2° L’Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui indique l’évolution de la situation dans les pays considérés comme des pays d’origine sûrs.
« Le Sénat est consulté sur les actions conduites par les collectivités territoriales compte tenu de la politique nationale d’immigration et d’intégration.
« Le Parlement détermine, pour les trois années à venir, le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, pour chacune des catégories de séjour à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. »
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l’article.
M. Pierre Laurent. Cet article, introduit en commission, est tout un symbole.
Nous devrions entamer un tel texte par la proclamation de grands principes censés définir notre politique d’accueil et de gestion des migrations, et voilà un article qui, d’emblée, s’attache à un seul objectif : définir pour les trois années à venir « le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France, compte tenu de l’intérêt national ».
En fait, cela revient à définir des quotas et le seuil à partir duquel sera déclenchée, quoi qu’il en coûte, et quelle que soit la situation, la machine à expulser, à renvoyer et à ignorer les vies ainsi brisées !
Nous sommes là au cœur du problème : les auteurs du présent projet de loi se refusent à regarder en face l’un des enjeux majeurs de l’histoire de l’humanité, celui des migrations. Cet enjeu est partie intégrante de la construction de notre nation et prend une importance décuplée, à l’heure de la mondialisation, des dérèglements climatiques et de l’explosion des inégalités.
Les humains ont toujours migré pour vivre ou survivre, pour fuir les conditions de vie indignes, pour en chercher de meilleures. Ils migrent aussi pour fuir les persécutions religieuses ou politiques, les guerres, les génocides. Le rapport statistique annuel de l’Agence des Nations unies pour les réfugiés estime à 65 millions le nombre de personnes déracinées à travers le monde à la fin de l’année 2016, du fait de conflits et de persécutions, la plupart de ces migrations se faisant d’ailleurs du Sud vers le Sud.
De tout cela, vous ne voulez rien entendre ! Vous voulez la libre circulation des capitaux, ça oui ! Vous voulez la concurrence à outrance au niveau mondial, ça oui ! Vous voulez bien le pillage économique et le dumping social, ça oui ! Vous voulez bien la domination des grandes puissances. En revanche, vous ne voulez pas entendre parler du droit à circuler, du droit de tous à vivre dignement, des responsabilités singulières que la France devrait prendre pour accueillir dignement les réfugiés et changer les règles de ce monde injuste et inégal !
Vous essayez de faire peur avec des chiffres auxquels vous vous accrochez comme à des mirages jamais atteints : vous parlez d’invasion, d’appel d’air, quand nous accueillons un peu plus de 200 000 personnes en moyenne chaque année, soit 0,3 % de notre population !
Vous oubliez également de dire la vérité : 4 200 personnes ont été relocalisées en France à ce jour au titre du mécanisme de relocalisation adopté par le Conseil de l’Union européenne.
À nos yeux, il est indigne – car ce n’est pas à la hauteur de nos responsabilités – d’ouvrir la discussion par un article comme celui-ci et par une liste d’indicateurs qui ne visent qu’à justifier un contournement organisé des droits humains les plus fondamentaux.
Allez-vous enfin accepter de changer de logique ? Vous risquez sinon d’aboutir à une négation de nos principes et, au-delà, de mener la France et l’Europe dans une grave impasse, tournant le dos à un monde qui appelle, au contraire, plus que jamais, à la coopération, à la générosité, à la justice et au partage. Voilà le vrai prix, aujourd’hui, de la paix pour les décennies à venir ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Après 1915, fuyant le génocide perpétré par l’État turc, 200 000 Arméniens ont été accueillis par notre pays. Nombre d’entre eux furent aussi de ceux qui défendirent la liberté de la France et tombèrent pour elle.
À la suite d’un accord entre les gouvernements français et polonais, plus de 700 000 Polonais sont venus apporter leurs bras à une industrie française qui en manquait terriblement.
Chassés par le fascisme, 600 000 Espagnols, défenseurs de la deuxième république espagnole, que nous avons abandonnée, ont traversé les Pyrénées durant l’hiver de 1939 pour trouver refuge en France.
Je pourrais aussi évoquer les Belges, les Italiens, les Portugais, les Algériens, toutes ces populations qui ont contribué à faire de notre pays ce qu’il est aujourd’hui : une République de citoyennes et de citoyens unis dans la démocratie par les règles communes qu’ils se sont données.
Je passe sous silence les migrations passées, comme celles qu’évoque le décor de la salle des conférences avec les Germains de sainte Geneviève et de Clovis, ou celles qui ont fait presque totalement disparaître les premiers habitants des îles des Antilles, ainsi que tous les échanges récents qui font que, aujourd’hui, un Français sur quatre a un parent d’origine étrangère.
L’identité de la France n’est à chercher ni dans un roman des origines ni dans un discours historique national qui exclut, mais dans cette dynamique perpétuelle qui mêle les populations et les unit dans la défense de valeurs républicaines qui les dépassent.
Le philosophe allemand Hegel explique très bien comment, dès qu’une chose est figée, elle est morte et remplacée par autre chose. Ce qui compte le plus dans notre République n’est pas d’où nous venons, mais où nous souhaitons aller ensemble. L’historien italien Massimo Montanari dit que « l’identité n’existe pas à l’origine, mais au terme du parcours ».
Ma conscience républicaine est blessée quand vous présentez, comme vous le faites avec ce texte, l’immigration comme un mal dont il faudrait se prémunir, une maladie qu’il serait nécessaire de réduire et d’endiguer.
Je suis triste pour celles et ceux qui, venus d’ailleurs, ont tant apporté à la France, quand je lis qu’il faudrait définir une politique nationale d’immigration et d’intégration « conforme à l’intérêt national ». L’intérêt de la Nation est justement dans cette recomposition permanente du corps civique, dans cet amalgame infini des différentes cultures ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, sur l’article.
M. Richard Yung. Ce nouvel article, adopté par la commission des lois, vise à réintroduire en France les quotas migratoires. Au fond, c’est le recyclage d’une des propositions du candidat Fillon,…
M. Roger Karoutchi. C’est bien !
M. Richard Yung. … qui souhaitait déterminer tous les trois ans le nombre des étrangers admis à s’installer durablement en France.
À mon avis, il s’agit d’une proposition politiquement inopportune et juridiquement contestable.
Puisque nous en sommes aux belles citations, monsieur Karoutchi, permettez-moi de citer un rapport fait en 2008 par M. Mazeaud,…
M. Roger Karoutchi. Ah !
M. Richard Yung. … que l’on ne saurait suspecter d’être dangereux : « Une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d’immigration de travail, inefficace contre l’immigration irrégulière et, s’agissant des autres flux, incompatible avec nos principes constitutionnels et nos engagements européens et internationaux. » Voilà ce que disait M. Mazeaud il y a dix ans.
En réalité, il suffit de réfléchir deux minutes aux flux entrants. L’immigration familiale est bordée de tous les côtés. S’agissant de l’immigration professionnelle, qui peut dire trois ans à l’avance ce que devront être les quotas en la matière ? On ne sait pas ce que sera l’économie à une telle échéance. Enfin, il est plutôt de notre intérêt d’avoir le plus grand nombre possible d’étudiants de tous les pays du monde en France.
Le vrai problème, c’est l’immigration irrégulière, que cet article 1er A ne traite pas. Pour toutes ces raisons, que je ne développe pas davantage, nous ne voterons pas cet article.
M. le président. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.
M. Antoine Karam. Vous m’excuserez de prendre la parole sur l’article, mais je souhaitais insister sur un point avant que nous n’examinions le texte dans le détail.
Les flux migratoires exceptionnels auxquels la France est confrontée ne se limitent pas, j’y insiste régulièrement dans cet hémicycle, au continent européen, et particulièrement à la Méditerranée.
Il est plus que temps de prendre en compte les pressions migratoires extraordinaires qui s’exercent depuis de nombreuses années en Guyane, qui, je le rappelle, est en Amérique du Sud, et à Mayotte, qui, je le rappelle également, est dans l’océan Indien, poussant le système d’accueil et d’intégration au bord de l’asphyxie. Ce système est impossible à gérer aujourd’hui.
Voilà quelques mois, lors de l’examen du projet de loi de finances, j’avais alerté notre assemblée sur l’ampleur du phénomène en Guyane en rappelant quelques chiffres.
En trois ans, 11 000 demandes d’asile ont été enregistrées par l’OFPRA. Je le répète pour mieux le souligner : 11 000 demandes en trois ans en Guyane, c’est comme si la France comptabilisait chaque année près d’un million de demandes d’asile sur son seul territoire hexagonal.
Parce que seuls de tels chiffres nous permettent de prendre la mesure des événements, nous proposerons que le rapport prévu par cet article 1er A intègre une information exhaustive sur la politique d’immigration et d’intégration outre-mer.
Vous le savez, ce texte prévoit par ailleurs un certain nombre de dispositions spécifiques à Mayotte et à la Guyane. Pour cette dernière, un décret spécial vise également à expérimenter un traitement accéléré des dossiers.
Aussi, tout au long de notre débat, je m’efforcerai de partager avec vous une image juste et mesurée de nos réalités. Si l’asile est un droit qu’il ne faut pas remettre en question, il est aussi un bien précieux que nous devons protéger lorsque celui-ci est dévoyé.
Par exemple, il y a moins d’une semaine, en Guyane, un réseau lié à la République Dominicaine a été démantelé à Cayenne, avec l’interpellation d’une personne dont les coordonnées ressortaient dans 118 demandes d’asile ou titres de séjour.
Dans ce contexte, l’accélération du traitement des dossiers n’est pas une solution miracle, mais elle contribuera à la fluidité d’une procédure, qui, par le passé, pouvait prendre de 12 mois à 24 mois avant une réponse définitive.
Pour autant, et j’y reviendrai, accélérer ne veut pas dire négliger. Il me semble donc indispensable d’améliorer en parallèle les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Guyane.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Je voulais m’élever, monsieur le président, contre la loterie que devient l’application de l’article 45 de la Constitution. Nous avions déjà les charmes de l’article 40, les beautés de l’article 41, et, maintenant, voici l’article 45.
Aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er A, « les orientations pluriannuelles de la politique d’immigration et d’intégration peuvent faire l’objet d’un débat annuel au Parlement. » Cette disposition n’a aucun caractère législatif. Il est évident que l’on peut faire des débats au Parlement. Nous sommes là pour cela, et nous avons tout le loisir de faire inscrire un débat à l’ordre du jour, tout comme le Gouvernement. Pourquoi le dire dans une loi et pourquoi les foudres de l’article 45 ne s’abattent-elles pas sur cette disposition adoptée par la commission ?
En ce qui me concerne, avec M. Iacovelli, Mme Lienemann, MM. Marie et Tissot, Mmes Taillé-Polian et Jourda, j’avais déposé un amendement introductif tendant à inscrire au début de la loi les orientations suivantes : « Pour des raisons liées aux demandes d’asile, à la misère économique et sociale et aux changements climatiques, les migrations sont appelées à se développer dans les prochaines décennies. La présente législation prend en compte ce mouvement irréversible et vise à y apporter des solutions respectueuses de l’ensemble des êtres humains concernés dans le cadre d’un projet européen qui devra être à la mesure de l’enjeu, et en concertation avec les pays d’origine et les pays d’accueil. La politique migratoire ne saurait être dissociée des politiques de coopération ». Mais, dans ce cas, l’article 45 balaie tout !
Monsieur le président, je ne voudrais pas que, par ces dispositions et ces pratiques aléatoires eu égard à l’article 45, des textes de même nature apparaissent tantôt hors sujet, tantôt pleinement dans le sujet.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. J’ai vécu des temps, à l’Assemblée nationale et au Sénat, où l’on ne s’embarrassait pas de cet article 45. Ce n’était pas si mal…
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Notre collègue vient de préciser la portée normative de cet article 1er A, considération qui avait probablement un peu échappé à la sagacité de la commission des lois, à tout le moins en ce qui concerne ses premiers alinéas.
Pour ma part, je souhaiterais m’exprimer sur la partie relative aux quotas, dont les dispositions sont plus normatives : « Le Parlement détermine pour les trois années à venir le nombre d’étrangers admis à s’installer durablement en France pour chacune des catégories de séjour, à l’exception de l’asile, compte tenu de l’intérêt national. L’objectif en matière d’immigration familiale est établi dans le respect des principes qui s’attachent à ce droit. » Encore heureux que l’on respecte le droit relatif à l’immigration familiale et que l’on n’instaure pas de quotas en matière d’asile !
Toutefois, monsieur Karoutchi, puisque vous êtes à l’origine de cette disposition, je voudrais vous signaler que nous n’avons pas énormément de primo-arrivants. Nous en avions 240 000 en 2017.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est déjà pas mal !
M. Jean-Yves Leconte. Sur ces 240 000 personnes, 87 000 venaient en France pour des raisons familiales, dont 50 000 pour rejoindre un conjoint français, et 35 000 pour des raisons humanitaires, c’est-à-dire, en grande partie, pour bénéficier de l’asile. Le reste est constitué par l’immigration économique et l’immigration étudiante. Or, compte tenu de la rédaction de cet article, nous ne disposerons de marges de manœuvre que pour ces deux catégories.
Monsieur le sénateur, c’est quand même idiot de demander au Parlement de limiter le nombre de talents étrangers qui voudraient venir en France ; c’est quand même idiot de limiter l’attractivité des universités françaises en laissant le Parlement limiter le nombre d’étudiants venant en France. Je le répète, il n’y a pas énormément de titres délivrés tous les ans dans notre pays : 240 000, monsieur Karoutchi, c’est trois fois moins que ce que délivre la Pologne !